Université de Nice Sophia-Antipolis
Faculté de Droit des Sciences économiques et de
Gestion
Ecole doctorale marchés et organisations
Le rôle disciplinaire des OPA durant la vague de
rachats des années 80 aux Etats-Unis
Mémoire soutenu en vue de l'obtention du DEA
« organisation industrielle et dynamique
économique »
Etudiant : Antoine Suzzoni
Directeur de recherches : Jacques Laurent Ravix
Septembre 2004
Sommaire
Introduction p6
Partie1 L'OPA : Le moyen de
réduire l'inefficience des firmes p8
Chapitre 1 La défaillance des conseils
d'administration et le conflit pour le free cash-flow p8
Section 1 :Des conseils d'administration
dominés par les managers p8
§1 La composition des conseils
d'administration p9
A) Le rôle et les caractéristiques des
administrateurs internes p9
B) Les administrateurs externes et le problème de leur
information p10
§2 Le problème de la
responsabilité des managers et des administrateurs p11
§3 La rémunération des managers
et administrateurs p11
A) La part du capital détenue par les managers et
administrateurs p12
B) Les contrats d'incitations négociés par les
managers lors de leur prise de fonction (stock options, parachutes
dorés) p12
Section 2 : Le conflit pour le free cash-flow
p14
§1 La théorie du free cash-flow
p14
§2 La théorie du free cash-flow
appliquée aux rachats p16
Chapitre 2 Les caractéristiques des cibles
P18
Section 1 : Les industries visées et la
question du démantèlement des conglomérats
p18
§1 Les compagnies pétrolières
p18
§2 L'industrie du pneu p20
§3 Le transport aérien
p21
§4 Les autres industries visées
p22
§5 La question du démantèlement
des conglomérats p23
Section 2 : Les performances des cibles
p24
§1 Les résultats des études
empiriques p24
§2 Le lien entre mauvaises performances et
remplacement des dirigeants p25
Chapitre 3 Les sources des gains issus des rachats
p28
Section 1 : L'invalidation des théories
redistributives p28
§1 La myopie des marchés et
l'inefficience des rachats p28
§2 La théorie des cibles sous
évaluées p29
§ 3 Les économies d'impôts
sont elles à l'origine des rachats ? p29
§4 Les rachats sont ils préjudiciables
aux détenteurs d'obligations ? p30
§5 Les pertes subies par les salariés
ont elles servi à financer les rachats ? p30
Section 2 : Le LBO : Un modèle
d'efficience p32
§1 Définition et principe
p32
A) Définition p32
B) Principe du LBO p32
§2 Quels leviers pour les opérations
LBO p33
A) Le levier financier p34
B) Le levier fiscal p34
C) Le levier social p34
§3 Les performances post LBO
p35
§4 L'explication de l'efficience dans les
LBO : La réduction des coûts d'agence p 39
A) Les restructurations p40
B) La minimisation du pouvoir discrétionnaire du
manager p40
C) Le mode spécifique de rémunération des
managers p46
D) Le contrôle minutieux exercé par les
investisseurs p47
§5 Les risques inhérents au LBO
p48
Partie 2 Les réactions des managers
face aux menaces d'OPA p51
Chapitre 4 Les restructurations
défensives p51
Section 1 : Les principaux modèles p52
§1 Le modèle de Harris et Raviv (1988)
p52
§2 Le modèle de Stulz (1988)
p55
§ 3 Le modèle d'Israel
(1991) p57
Section 2 : Les paiements défensifs
financés par la dette p59
§1 Le green-mail et les recapitalisations
duales : deux modes particuliers de rachats d'actions p59
A) Le green-mail p59
B) Les recapitalisations qui divisent les actions de
l'entreprise en deux catégories p60
§2 Les conséquences des paiements
défensifs financés par la dette p61
A) L'augmentation de la part du capital détenue par le
management p61
B) Le turnover des managers à la suite d'un paiement
défensif p62
C) L'augmentation du taux d'endettement et ses
conséquences : p62
1) Les restructurations p62
2) Les difficultés
rencontrées par les firmes endettées p63
Chapitre 5 La généralisation des
clauses et des lois
anti-OPA p65
Section 1 :Présentation des principales
mesures et lois anti-OPA p65
§1 Les principales pilules empoisonnées
p65
A) Les flip-in right plans p66
B) Les flip-over right plans p66
C) Les fair price provisions p66
D) Les preffered stocks plans ou dispositifs à titres
privilégiés p67
E) Les back-end rights plans ou dispositifs à droits en
arrière p67
F) Les springing voting rights ou droits de vote bondissants
p68
G) Les suicides poisons pills p68
§2 Les autres clauses anti-OPA
p68
A) Blank check preferred stocks p68
B) Classified boards p68
C) Stakeholder clause p69
D) Shareholder meeting requirement p69
E) Les clauses de super majorité p69
F) Les droits de vote inégaux p69
§3 Les lois anti-OPA p70
A) Freeze out law p70
B) Control share acquisition law p70
C) Fair price law p70
D) Cash-out law p70
E) Les lois d'approbation des pilules empoisonnées
p71
Section 2 :L'analyse de la réaction des
marchés financiers à l'annonce de l'adoption de pilules
empoisonnées p71
Section 3 :L'implication des clauses anti-OPA
dans le déclin de la vague de rachats p73
§1 La remise en question des clauses en tant
que principale cause de la baisse du nombre de rachats p73
§2 Les autres causes évoquées
p74
Conclusion p75
Si nous avons choisi de nous intéresser à la
vague d'OPA qui a frappé les Etats Unis durant les années 80,
c'est parce que cette dernière a de nombreuses particularités.
De par les effets durables qu'elle a eu sur l'économie
américaine elle est sans précédent. Elle s'est
déclenchée dans un contexte très spécial ; au
début des années 80 l'industrie américaine venait de
subir le choc pétrolier, l'état renonçait à
réguler plusieurs industries et les progrès technologiques
étaient spectaculaires (par exemple la généralisation du
pneu radial a complètement bouleversé l'industrie du pneu). Ces
changements auraient dû conduire les managers à restructurer leurs
entreprises et à repenser leurs stratégies, ce ne
fût pas le cas . Avant 1980 les mécanismes de contrôle
interne étaient inefficaces, les conseils d'administration
étaient dominés par les managers (ce qui permettait toutes les
dérives) et l'actionnariat dispersé était passif et
résigné. En 1980 les stock option ne représentaient que
20% de la rémunération totale des managers, ainsi les
intérêts des dirigeants et des actionnaires étaient loin
d'être alignés. Les managers réinvestissaient le free
cash-flow dans des activités par ou peu rentables. Au début des
années 80 devant l'ampleur de l'inefficience des firmes
américaines, le marché réussit grâce aux OPA
à imposer les changements nécessaires à
l'amélioration de la compétitivité des firmes
américaines . Cette vague se caractérise d'abord par une forte
proportion d'OPA hostiles, entre vingt et quarante pour-cent des offres furent
contestées par les managers des cibles. Presque la moitié des
grandes firmes américaines reçurent une offre de rachat hostile
(Mitchell et Mulherin 1996). La deuxième caractéristique de cette
vague c'est l'importance du recours à l'emprunt dans le financement des
rachats. Durant l'hiver 1983 un petit groupe de jeunes loups de la banque
d'affaire Drexel Burnham Lambert eurent l'idée révolutionnaire de
financer les OPA hostiles avec des junk bonds (obligations à fort
rendement) ; désormais la grande taille ne constituerait plus une
protection contre les offres hostiles. Les investisseurs institutionnels, qui
durant la décennie ont considérablement augmenté leur
participation dans le capital des grandes entreprises cotées (Ils sont
passés de 30% à 50%), furent parmi les premiers à vendre
leurs titres en cas d'OPA et à acheter des junk bonds. En 1985 les
rachats financés par la dette (LBO) représentaient 32% de la
valeur totale de tous les rachats, en 1986 ils représentaient 39% soit
44.3 milliards de dollars . A l'intérieur des LBO le levier
financier était de grande ampleur, il n'était pas rare que
la dette représente dix fois le montant des capitaux propres, en moyenne
elle représentait 5.25 fois le montant des capitaux propres (Jensen
1988). Ainsi des raiders comme Carl Icahn, T. Boone Pickens ou James Goldsmith
furent au coeur de nombreuses polémiques. Comment ces financiers
pouvaient ils proposer des primes de rachat représentant 30 à 50%
de la valeur des actions tout en continuant à faire des
profits grâce aux rachats ? Etaient ils en train de détruire
le tissus industriel américain ou au contraire de le moderniser ?
Même si les LBO ont rencontré des difficultés durant la
deuxième moitié des années 80, notamment à cause
des guerres entre offreurs qui les conduisirent à surévaluer
sensiblement les cibles, le LBO apparaît, aujourd'hui encore, comme un
modèle emblématique de gouvernement d'entreprise.
Face à ces menaces de rachats et de
démantèlements (mille deux cent démantèlements
évalués à soixante milliards de dollars ont eu lieu en
1986) les managers des grandes entreprises cotées ne sont pas
restés stoïques, ils ont entrepris d'importants programmes de
rachats d'actions et de cessions d'actifs. Le recours à l'emprunt a
été si important que le montant total des actions retirées
du marché entre 1984 et 1990 est estimé à 534 milliards de
dollars (Holmstrom et Kaplan 2001). (Ce chiffre comprend l'ensemble des
rachats d'actions financés par la dette et le retour à la
propriété privée des sociétés cotées,
via des LBO).
Les managers ont aussi riposté sur le terrain
juridique ; inventées en 1983 par l'avocat d'affaire Wachtell
Lipton, les pilules empoisonnées (clauses anti-OPA) se
généralisèrent en 1988 . Le lobby des managers est en
grande partie responsable de la multiplication des lois anti-OPA à
partir de 1988. Quel rôle cette vague a t'elle réellement
joué ? Qu'a t'elle définitivement changé ? Si
nous parlons d'un rôle disciplinaire dans le titre, ça n'est pas
seulement pour faire allusion au remplacement des managers des cibles à
l'issue des OPA , ce qui nous intéresse c'est de savoir dans quelle
mesure cette vague d'OPA a contraint les managers à prendre
exclusivement en compte les intérêts des actionnaires. Aurait il
été possible d'imposer la shareholder value sans une telle vague
d'OPA ?
Ce mémoire s'articule autour de deux parties, la
première est consacrée à la réduction de
l'inefficience des entreprises grâce aux rachats . Nous
commencerons par aborder les principales causes de l'inefficacité des
conseils d'administration en évoquant les problèmes liés
à la responsabilité des managers, à leur
rémunération ou à la composition des conseils
d'administration, puis nous présenterons la théorie du free
cash-flow appliquée aux rachats. Dans un second chapitre nous
évoquerons les bouleversements subis par les différentes
industries américaines et le démantèlement des
conglomérats crées durant la vague de rachats des années
60, dans une deuxième section nous tenterons de savoir si les cibles ont
des traits communs. Le troisième chapitre sera consacré à
l'identification des sources des gains issus des rachats .Après
avoir montré que les théories redistributives ne permettent pas
de fournir une explications satisfaisante , nous tenterons de comprendre
pourquoi les LBO sont aussi performants. La seconde partie du mémoire
est consacrée aux réactions des firmes face aux menaces de
rachats. Dans le quatrième chapitre nous verrons comment, pour
éviter d'être rachetées, des firmes ont été
amenées à entreprendre des restructurations
drastiques ; restructurations qu'elles n'auraient jamais entrepris
sans la menace de rachat. Enfin, dans le dernier chapitre, nous nous
intéresserons à l'impact des pilules empoisonnées sur la
richesse des actionnaires et à leur implication dans le déclin de
la vague d'OPA à la fin des années 80 .
Partie 1: L'OPA :Le moyen de réduire
l'inefficience des firmes
Après avoir évoqué les principales causes de
l'inefficacité des conseils d'administration, nous verrons quelles ont
été les conséquences concrètes de cette vague d'OPA
sur l'industrie américaine. Enfin nous verrons comment les offreurs ont
pu verser des primes de rachats aussi importantes, tout en faisant des
profits.
Chapitre 1
La défaillance des conseils d'administration et
le conflit pour le cash-flow libre
D'après Jensen c'est l'inefficacité des conseils
d'administration et la non prise en compte des intérêts des
actionnaires qui sont à l'origine de la violente vague d'OPA qui a
frappé les Etats Unis dans les années 80.
Au début de cette décennie les
administrateurs et les dirigeants ne détenaient qu'une part infime du
capital des entreprises et les contrats d'incitation ne représentaient
que 20% de la rémunération totale des managers.
Dans ce chapitre nous tenterons de comprendre pourquoi il
est si difficile de constituer un conseil d'administration qui défend
vraiment les intérêts des actionnaires. Nous aborderons notamment
les problèmes liées à la composition des conseils,
à la responsabilité des administrateurs et à la
rémunération des managers . Dans la deuxième section nous
verrons comment les OPA peuvent se substituer aux conseils d'administration
pour sanctionner et discipliner les managers .
Section 1 : Des conseils d'administration
dominés par les managers
Jusque dans les années 80 l'actionnariat
était très dispersé, essentiellement constitué de
petits porteurs. Ces derniers n'étaient pas dans un état d'esprit
qui aurait pu les conduire à se mobiliser afin d'élire des
administrateurs déterminés à licencier le PDG.
C'était avant l'émergence de la shareholder value et de ses
préceptes .
§1 La composition des conseils d'administration
A cette époque c'était le management qui
proposait sa liste de candidats aux postes d'administrateurs (cette pratique
est encore en vigueur aujourd'hui). Les assemblées
générales ne fonctionnaient pas de manière
démocratique, il n'y avait pas de contre pouvoir . Le jeu des
procurations permettait, en quelque sorte, aux managers de faire élire
les administrateurs de leur choix. Ainsi le contrôlé choisissait
le contrôleur ce qui explique en partie l'inefficacité du
contrôle .
Les administrateurs externes (non salariés de
l'entreprise) sont ils plus enclin que les administrateurs internes à
défendre les intérêts des actionnaires ? Quelle
doit être la proportion d'administrateurs internes au
conseil ? Quelle est la taille optimale d'un conseil
d'administration ? Sur ces sujet la littérature abonde. Cependant
nous ne sommes pas convaincus que le problème des conseils
d'administration dans les années 80 fut simplement dû à la
trop forte proportion d'administrateurs internes dans les conseils.
A) Le rôle et les caractéristiques des
administrateurs internes
On entend par administrateur interne, administrateur
déjà salarié de l'entreprise.
Bien souvent il s'agit de cadres supérieurs très
proches du PDG .
Ce qui légitime leur présence au sein du conseil
d'administration, c'est leur connaissance approfondie de l'entreprise. On ne
peut imaginer que ces personnes puissent avoir une approche critique de la
stratégie exposée par le PDG le jour du conseil
d'administration, étant donné qu'elles ont participé
à son élaboration. Les administrateurs élus sont souvent
des insiders loyaux envers le PDG, ayant un intérêt dans la
continuité du management en place (Shleifer et Vishny 1988).
Assurément, ces personnes sont au conseil pour
soutenir le PDG et sa stratégie .
De plus, étant salariés de l'entreprise, ils
sont plus enclin à défendre les intérêts des autres
salariés même si ceux ci s'opposent à ceux des
actionnaires .
Comment avoir au sein du conseil d'administration des gens,
sans liens avec le PDG, qui connaissent l'entreprise en profondeur ?
D'après Jensen (1993) le seul membre interne du conseil
devrait être le PDG, cependant les administrateurs externes devraient
pouvoir rencontrer régulièrement les cadres dirigeants de
l'entreprise. D'une part cela permettrait aux administrateurs externes de
mieux connaître l'entreprise et les candidats à la succession du
PDG , d'autre part, les cadres dirigeants auraient une meilleure
compréhension de la vision des choses des membres du conseil
d'administration . Les administrateurs (y compris le PDG) devraient être
obligés d'investir dans le capital de l'entreprise à hauteur de
100 000 dollars .
Cette solution proposée par Jensen n'est pas une
panacée puisqu'au contact des cadres dirigeants et autres personnels de
l'entreprise, les administrateurs externes peuvent être influencés
par des gens qui ont d'autres préoccupations que la maximisation de la
valeur pour l'actionnaire .
Venons en maintenant à la question de l'information des
administrateurs externes.
B) Les administrateurs externes et le problème
de leur information
Lorsqu'on parle des administrateurs externe, le
problème qui vient immédiatement à l'esprit est celui de
leur information . En effet ils ne participent pas à la vie
quotidienne de l'entreprise, ils ne connaissent pas ses
spécificités. Ce sont les documents qui leur sont remis lors des
conseils d'administration qui sont censés leur permettre de faire la
différence entre un projet qui va créer de la richesse pour les
actionnaires et un projet inopportun. La plupart du temps c'était le PDG
qui présidait le conseil, il fixait donc le calendrier des
réunions et choisissait les informations qu'il donnait aux
administrateurs. On voit difficilement comment le contrôle aurait pu
être efficace (Jensen 1993). Même lorsque les administrateurs sont
déterminés à faire valoir les droits des actionnaires, ils
manquent souvent de connaissances pour savoir si un projet est bon ou mauvais
(Shleifer et Vishny 1988) .
Le deuxième problème réside dans le fait
qu'il s'agissait souvent d'administrateurs qui avaient un intérêt
financier dans la continuité du management en place (avocats,
publicitaires...) (Shleifer et Vishny 1988).
Pour couronner le tout, on sait que pour se rendre plus
coûteux à remplacer, le manager va être tenté de
pratiquer la rétention d'informations vis à vis du conseil. Les
parachutes dorés servent à faire en sorte que les managers
n'aient pas de raisons de chercher à s'enraciner en pratiquant la
rétention d'informations. Cependant on est en droit de se demander si ce
remède n'est pas pire que le mal.
Nous serions tentés de penser que le problème de
l'information des administrateurs externes pourrait être partiellement
résolu si ces derniers passaient plus de temps dans
l'entreprise ; mais plus ils sont présents dans l'entreprise et
plus ils risquent de nouer des liens avec les salariés, et ainsi subir
l'influence des corporations et des syndicats.
Les problèmes que nous venons de décrire son
encore d'actualité, même si aujourd'hui les conseils fonctionnent
moins mal que dans les années 80.
Un autre problème est indissociable de ceux que nous
venons de décrire, c'est celui des conditions d'engagement de la
responsabilité des managers et des administrateurs.
§2 Le problème de la responsabilité des
managers et des administrateurs
D'après la loi américaine, en l'absence de
mauvaise foi ou de corruption, les administrateurs ne peuvent être tenus
pour responsables vis à vis de l'entreprise pour des erreurs de jugement
si ces erreurs sont considérées comme des erreurs de fait ou des
erreurs de droit (Gilson 1986 cité par Shleifer et Vishny 1988).
En fait les administrateurs ne risquent quasiment rien s'ils
avalisent de mauvaises décisions, cela ne les incite pas à
approfondir l'étude des projets du PDG !
Il existe tout de même une procédure qui permet
aux actionnaires de se porter partie civile ; cette procédure est
souvent déclenchée en cas de chute des cours inattendue .
Cependant ces contraintes légales incitent plus les administrateurs
à minimiser les risques qu'à maximiser la valeur pour
l'actionnaire. Les conseils peuvent aussi être motivés par la
menace d'une mauvaise publicité émanent des autorités de
régulation ou de la presse, mais cette menace incite plus les
administrateurs à se couvrir personnellement plutôt qu'à
prendre des décision susceptibles de maximiser la valeur de la firme
(Jensen 1993) .
La question de la responsabilité des managers et des
administrateurs correspond à un problème épineux . Si
leur responsabilité est trop facilement engageable, on risque de se
retrouver avec des managers frileux et un conseil d'administration qui, de
toute façon, s'opposera systématiquement aux projets
d'investissements audacieux .
La prise de risque participe du fonctionnement des
marchés financiers (la gestion n'est pas une science exacte) ; une
responsabilité managériale trop facilement engageable serait de
nature à freiner l'activité économique dans le pays. D'un
autre coté il faut que la protection des investisseurs soit suffisante
pour d'une part, attirer les capitaux étrangers dans le pays et d'autre
part éviter la fuite des capitaux nationaux vers des pays où les
investisseurs seraient mieux protégés. Il faut donc trouver un
juste milieu, ce qui n'est pas simple.
A ce stade, nous ne pouvons occulter la question centrale du
mode de rémunération des dirigeants et administrateurs .
§3 La rémunération des managers et
administrateurs
Quelle part du capital les managers et administrateurs doivent
ils détenir ? Dans quelle mesure les contrats d'incitation
permettent ils d'aligner les intérêts des dirigeants avec ceux
des actionnaires ?
A) La part du capital détenue par les managers
et les administrateurs
Lorsqu'il s'est agi d'expliquer l'inefficacité des
conseils d'administration, avant et durant les années 80 , on a
évoqué le fait que les managers et les administrateurs
détenaient une part du capital qui n'était pas suffisamment
importante. En moyenne les PDG des mille plus grandes entreprises
américaines détenaient en 1991 2.7% du capital de leur
entreprise, 75% des PDG détenaient moins de 1.2% du capital de
leur entreprise (Murphy 1992 cité par Jensen 1993).
Lorsque Jensen (1993) préconise d'obliger les
administrateurs à investir dans le capital de l'entreprise à
concurrence de 100 000 dollars , son idée est de forcer les
administrateurs à reconnaître que leurs décisions affectent
leur richesse personnelle comme elle affecte celle des petits porteurs.
Intuitivement, on comprend que plus les dirigeants et
administrateurs détiennent une part importante du capital, plus les
coûts d'agence sont réduits. Cependant on trouve des
études empiriques qui mettent en évidence un enracinement
managérial lorsque les dirigeants détiennent une part importante
du capital. Cela peut être préjudiciable aux autres
actionnaires dans la mesure où si l'entreprise a besoin
d'évoluer, de changer de métier, le manager en place n'aura peut
être pas les compétences nécessaires . D'autre part, plus
le manager détient une part importante du capital plus il est
isolé de la discipline imposée par le marché (voir le
chapitre 4) .
L'autre problème est lié au fait que le cours de
bourse d'une entreprise n'évolue pas uniquement en fonction des efforts
et de la qualité du travail des managers. Ainsi ces derniers vont
pouvoir réaliser des plus values parce que le ou les marchés sur
lesquels l'entreprise est positionnée sont en croissance, ou parce la
tendance générale est à la hausse . Inversement, ils
peuvent être victime de l'éclatement d'une bulle
spéculative. Tout dépend du moment où le manager
achète ses actions et des conditions dans lesquelles il a le droit de
s'en séparer.
Evoquons maintenant la question des stock options et autres
contrats d'incitation.
B) Les contrats d'incitation négociés par
les managers lors de leur prise de fonction (stock-options, parachutes
dorés)
Le fait qu'au début des années 80 les contrats
d'incitation ne représentaient que 20% de la rémunération
des PDG a fait partie des arguments avancés pour expliquer
l'inefficience des entreprises américaines. Depuis ces contrats se sont
développés, en 1994 ils représentaient en
moyenne 50% de la rémunération totale des PDG aux USA .
Comme nous l'avons déjà dit, les conseils
d'administration étaient et sont encore dominés par les managers
. Généralement les administrateurs élus en
assemblée générale étaient ceux qui figuraient sur
la liste définie par l'équipe managériale. Les choses sont
peut être en train d'évoluer ( putch d'euro tunnel) mais avant et
pendant les années 80 il était quasiment impossible pour
des petits porteurs d'envisager de proposer leur propre liste de candidats aux
postes d'administrateurs.
Ainsi un administrateur qui veut garder son poste n'a pas
intérêt à contrarier le PDG lors de la négociation
des contrats d'incitation. Une personne, candidate au poste d'administrateur,
qui aurait une réputation de marchandeur ne serait pas sollicitée
par les managers . De plus le PDG influe sur le mode et le montant des
rémunérations des administrateurs (Arye Bebchuk et Fried 2003).
Les contrats d'incitation les plus répandus sont les
stock options, ce système est d'une efficacité relative car
il a de nombreuses limites .
La particularité de ce système est que
même si la côte de l'entreprise s'effondre le manager ne perd pas
d'argent. Cela permet au manager d'éviter de subir
l'éclatement d'une bulle spéculative, mais d'un autre coté
on peut s'interroger ; comment responsabiliser le manager avec un
système incitatif qui ne le sanctionne en aucune circonstance ?
Même s'il est licencié il part avec un parachute
doré ; nous y reviendrons. Bien sûr avec ce système
le manager va bénéficier d'effets d'aubaine, lorsque la tendance
est à la hausse ou que le secteur est en croissance, même les
managers qui ont réalisé de mauvaises performances (par rapport
aux concurrents ) peuvent faire des plus values. Il faudrait mettre en place
des stock-options indexés sur la moyenne du secteur et sur la tendance
générale du marché (Arye Bebchuk et Fried 2003).
Un autre problème se pose lorsque le manager a
levé son option, pour que la rémunération soit de nouveau
sensible à la performance il faut donner de nouveaux stock-options au
manager (Arye Bebchuk et Fried 2003).
A ce niveau, se pose aussi le problème des conditions
dans lesquelles on autorise le manager à lever son option. Les contrats
prévoient des périodes durant lesquelles les managers peuvent
faire valoir leurs droits ainsi que d'autres contraintes, cependant il est
très difficile d'empêcher toute manoeuvre orchestrée par le
manager . Les dirigeants qui prévoient de lever leurs options
peuvent tenter de camoufler les mauvaises nouvelles en manipulant les comptes,
ils peuvent aussi choisir des projets moins transparents ou rendre opaques
des projets existants (Bar-Gill et Bebchuck 2003 cités par Arye
Bebchuk et Fried 2003).
Régulièrement, la presse financière fait
écho de managers ayant levé leurs options avant d'annoncer des
nouvelles catastrophiques, qui les conduisent ...à toucher leur
parachute doré !
Concernant les parachutes dorés, comme nous l'avons
déjà dit plus haut, ils sont censés servir à
réduire la tendance à l'enracinement du manager . Cependant
comme le soulignent Arye Bebchuk et Fried (2003) il n'est pas évident
que les parachutes dorés reflètent des contrats optimaux .
En effet ils réduisent la différence entre les gains
réalisés par le manager lorsqu'il a obtenu de bons
résultats et les gains qu'il réalise lorsque les résultats
de l'entreprise sont mauvais ; alors que les firmes dépensent
énormément d'argent pour créer un système
incitatif.
Pour conclure sur ce paragraphe ce qu'on peut dire, c'est que
les managers ont une réelle influence sur la forme et le montant de leur
propre rémunération. Ainsi la rémunération des
manager ne doit pas être seulement vue comme un moyen de traiter le
problème d'agence, mais comme partie intégrante du
problème d'agence (Arye Bebchuk et Fried 2003).
Comme nous l'avons vu, il est très compliqué de
faire fonctionner correctement un conseil d'administration. Il est difficile
pour les administrateurs de ne pas subir l'influence du manager ou des
corporations.
Même si aujourd'hui des progrès ont
été accomplis, notamment grâce à l'avènement
de la Shareholder value, nous ne devons pas oublier qu'avant les années
90 les conseils d'administration auraient pu être assimilés
à des chambres d'enregistrement des décisions prises par les
dirigeants.
Nous avons vu brièvement à quel point il est
difficile de mettre en place un système incitatif qui permet d'aligner
les intérêts des managers avec ceux des actionnaires. Avant les
années 80, managers et administrateurs détenaient une part
marginale du capital et les systèmes incitatifs étaient loin
d'être aussi élaborés qu'aujourd'hui ; ainsi les
intérêts des managers et des actionnaires divergeaient vraiment.
Cette divergence d'intérêts est criante lorsqu'on analyse les
décisions d'affectation du cash-flow libre prises par les managers dans
les années 70 et 80 . En effet ces derniers
préféraient investir le free cash-flow dans des projets non
rentables, plutôt que de le verser aux actionnaires sous forme de
dividendes.
Michael Jensen a été le premier à
proposer une théorie évoquant ce problème.
Section 2 : Le conflit pour le free cash-flow
§1 La théorie du free cash-flow
Dans son article de 1986 Jensen expose la théorie du
cash-flow libre; le cash-flow libre est défini comme le cash-flow
restant lorsque tous les projets à valeur actualisée nette
positive ont été financés . Comme nous l'avons dit,
managers et actionnaires ont des intérêts divergents. Si la firme
est efficiente les cash-flow libres doivent être versés aux
actionnaires. Cependant le versement de dividendes réduit le montant des
capitaux contrôlés par les managers, ainsi le pouvoir des managers
est réduit et ils seront obligés de se soumettre au
contrôle des marchés financiers lorsqu'ils auront besoin de
capitaux supplémentaires. De plus les managers ont intérêt
à développer leur entreprise au delà de la taille qui
maximise la richesse des actionnaires. Le pouvoir du manager augmente avec la
taille de l'entreprise (il contrôle plus de ressources), les salaires des
dirigeants augmentent avec la taille des firmes. De plus la tendance des firmes
à récompenser les cadres moyens par des promotions plutôt
que par des bonus annuels crée un biais organisationnel qui favorise la
croissance . Le but étant de créer les nouveaux postes
nécessaires au système de récompense (Baker 1986
cité par Jensen 1988).
Les conflits entre actionnaires et managers concernant le
versement des dividendes sont particulièrement violents lorsque
l'entreprise génère beaucoup de cash-flow libre. C'est le cas
dans les industries matures dans lesquelles les entreprises ont peu
d'opportunités d'investissement et beaucoup de cash-flow libre ;
nous y reviendrons. La question est de savoir comment inciter les managers
à verser le cash-flow au lieu de l'investir dans des projets à
VAN négative ou de le gaspiller. La plupart du temps le manager utilise
son pouvoir discrétionnaire pour servir ses propres
intérêts .
La théorie explique : (1) comment le remplacement
des capitaux propres par la dette réduit l'inefficience des entreprises
qui génèrent beaucoup de cash-flow libre (le fort taux
d'endettement permet de discipliner les managers) ; (2) pourquoi la
dette peut être considérée comme un substitut aux
dividendes ; (3) pourquoi les programmes de diversification ont plus
tendance à occasionner des pertes que les programmes d'expansion dans
la même industrie ;(4) pourquoi les fusions au sein d'une industrie
et les liquidations motivées par les rachats créent
généralement plus de gains que les fusions
inter-industries ; (5) pourquoi les causes des rachats dans des secteurs
aussi divers que les appareils électriques, le tabac, ou l'industrie
pétrolière sont les mêmes et (6) pourquoi les offreurs et
certaines cibles ont des performances particulièrement bonnes avant le
rachat.
Nous reviendrons sur ces différents aspects tout au
long du mémoire.
D'après Jensen (1986, 1988) la mauvaise affectation du
cash-flow libre par les managers est la principale cause de la vague d'OPA des
années 80. Il aborde aussi d'autres causes comme la
dérégulation ou l'accumulation de surcapacités de
production liée à des problèmes de sortie de l'industrie
sur lesquels nous reviendrons .
Il conçoit vraiment le rachat comme un moyen de
sanctionner les managers peu préoccupés par la maximisation de la
valeur pour les actionnaires (même s'il reconnaît qu'une douzaine
de théories sont susceptibles d'expliquer les rachats). Ce qui a permis
à cette vague d'OPA d'avoir une telle ampleur c'est l'utilisation
d'obligations à haut rendement (Junk bonds) dans le financement des OPA
hostiles . Dès lors la grande taille ne constituait plus une
protection contre les OPA .
La théorie du cash-flow libre appliquée aux
rachats fournit une véritable explication de la vague de rachats des
années 80 .
§2 La théorie du cash-flow libre
appliquée aux rachats
Dans son célèbre article de 1986 Jensen expose
la théorie du cash-flow libre appliquée aux rachats .
Cette théorie montre comment les rachats sont à
la fois une conséquence du conflit d'intérêts entre
actionnaires et managers et une solution au problème. Les acquisitions
sont l'un des moyens pour les managers d'éviter de verser le cash-flow
libre aux actionnaires, cependant l'auteur précise que ces acquisitions
sont moins préjudiciables aux actionnaires que les investissements
réalisés en interne dans des projets non profitables (ces
acquisitions sont profitables aux actionnaires des cibles qui reçoivent
des primes lors des OPA).
Dans les industries en déclin les fusions à
l'intérieur de l'industrie créeront de la valeur et les fusions
à l'extérieur de l'industrie auront plus tendance à
être pas ou peu rentables.
Selon cette théorie les rachats qui créent de la
valeur surviennent en réponse à la défaillance du
contrôle interne dans les firmes qui génèrent beaucoup de
cash-flow libre et qui ont une stratégie qui gaspille les ressources
(exemple: les programmes de diversification). Elle prédit des OPA
hostiles, de fortes augmentations du taux d'endettement, le
démantèlement des conglomérats avec peu d'économies
d'échelle ou de gamme et de nombreuses controverses liées au fait
que les managers en place vont chercher à conserver leur poste et
s'opposer aux réformes stratégiques (restructurations) que leur
impose la menace d'un rachat.
Le fort taux d'endettement, nécessaire au financement
d'un rachat hostile ou occasionné par la nécessité pour
la cible de se défendre en rachetant ses propres actions, va obliger la
firme à se restructurer si elle veut pouvoir rembourser ses dettes (voir
chapitre 5). Le fort taux d'endettement crée la crise qui permet de
mettre fin aux programmes d'expansion et provoque la vente des divisions qui
auraient plus de valeur à l'extérieur de la firme. Les cessions
d'actifs permettent de réduire le taux d'endettement ; ainsi les
managers sont amenés à repenser complètement la
stratégie de l'entreprise et sa structure.
En accord avec les études empiriques, la théorie
du cash-flow libre prédit que beaucoup d'acquéreurs auront des
performances exceptionnellement bonnes avant l'acquisition. Ces très
bonnes performances génèrent le cash-flow nécessaire
à l'acquisition.
D'après la théorie il y aura deux
catégories de cibles :
- les firmes mal gérées qui ont eu de mauvais
résultats avant le rachat.
- les firmes qui ont eu de très bons résultats,
qui ont beaucoup de cash-flow libre que les managers refusent de verser aux
actionnaires.
La théorie prédit aussi que les rachats
financés avec des capitaux propres et des capitaux empruntés
seront plus profitables que les rachats financés par des échanges
d'actions .
Ainsi, les OPA ont permis aux actionnaires de sanctionner les
équipes dirigeantes qui avaient d'autres objectifs que la maximisation
de la valeur de la firme. En quelque sorte, les OPA se sont substituées
aux conseils d'administration défaillants. Ces rachats ont non seulement
permis aux actionnaires de toucher des primes qui représentaient
fréquemment 50% de la valeur de l'action, mais ils ont aussi permis de
changer les comportements des managers en permettant à la shareholder
value d'émerger.
Grâce à cette vague de rachats l'industrie
américaine s'est restructurée en profondeur afin de s'adapter aux
changements technologiques et à la dérégulation. Dans le
chapitre qui va suivre nous aborderons les bouleversements subis par les
différentes branches de l'industrie américaine.
Chapitre 2
Les caractéristiques des cibles
Durant la décennie 80 l'industrie américaine a
dû s'adapter à de nombreux chocs (progrès technologique,
choc pétrolier, dérégulation). La vague d'OPA semble avoir
permis la transformation de l'industrie américaine .
Mitchell et Mulherin (1996) ont trouvé que dans sept
industries (divertissement, drugstore, pétrochimie, production
télévisuelle, textile, pneu et sidérurgie) au moins les
trois quart des firmes ont soit été rachetées, soit ont
reçu une offre de rachat qui n'a pas abouti, soit se sont
restructurées entre 1982 et 1989. Ils trouvent aussi que 50% des
rachats dans une industrie donnée sont regroupés sur une
période de deux ans. Un-peu comme si les premiers rachats brisaient
un équilibre précaire et qu'il fallait de nombreux autres rachats
pour en retrouver un autre. Dans une première partie nous verrons
comment le choc pétrolier a conduit les firmes américaines
à se restructurer, comment l'avènement du pneu radial a
amené les industriels du pneu à fermer 37 usines et à
supprimer 40% des emplois dans cette industrie, ou bien encore, pourquoi les
pilotes de ligne ont dû accepter des réductions de salaires. Dans
une seconde partie nous nous intéresserons aux performances des firmes,
nous confronterons plusieurs études empiriques afin de voir si elles
corroborent la théorie du free cash-flow .
Section 1 : Les industries visées et la
question du démantèlement des conglomérats
Il semblerait que les industries ayant subi des chocs
(dérégulation, progrès technologique, choc
pétrolier,...) aient été particulièrement
concernées par la vague de rachats. L'un des éléments que
l'on ne peut occulter lorsqu'il s'agit d'expliquer la vague d'OPA c'est le choc
pétrolier des années 70. L'industrie pétrolière a
subi de plein fouet l'embargo décrété par les pays de
l'OPEP en 1973 et l'arrêt des exportations de pétrole par l'Iran
en 1978 et 1979 . Bien sûr, de nombreuses autres industries ont subi
ce choc , ce fut notamment le cas pour l'industrie du pneu et le
transport aérien.
Intéressons nous d'abord à ce qui s'est
passé dans l'industrie pétrolière .
§1 Les compagnies pétrolières
Entre 1973 et 1979 les prix du pétrole ont
augmenté dix fois. L'accroissement des prix du brut a été
à l'origine d'importants cash-flow pour les compagnies
pétrolières. En effet, la demande de pétrole ne chuta pas
immédiatement et les compagnies qui détenaient toutes
d'importantes réserves de brut purent engranger d'importants cash-flow.
En 1984 le cash-flow des dix plus grandes compagnies
pétrolières était de 48.5 milliards de dollars, ce qui
représentait 28% du cash-flow total des deux cents plus grandes
entreprises américaines (Dun's Business month survey).
Cependant on anticipait un déclin de la demande
(lorsque les prix du brut augmentent, la demande ne diminue pas
immédiatement (faible élasticité prix)). Ainsi le niveau
optimal des capacités de distribution, de raffinage et des
réserves de brut chuta au début des années 80 ;ce qui
laissa l'industrie pétrolière avec des capacités
excédentaires. Au même moment les profits étaient
élevés ; cela arriva parce que la productivité
moyenne des ressources de l'industrie augmentait tandis que la
productivité marginale diminuait ( Jensen 1986). L'industrie avait
besoin d'être restructurée ; les réserves de brut des
compagnies étaient trop importantes et la profitabilité de
l'exploration pétrolière et des forages diminuait à cause
de la baisse de la demande .
Conformément à la théorie du free
cash-flow , les managers, au lieu de verser le cash-flow libre aux
actionnaires, continuèrent à investir dans des projets
d'exploration bien que les rendements moyens furent inférieurs au
coût du capital. Ils entreprirent aussi des programmes de
diversification. Ces programmes furent à l'origine de rachats
d'entreprises de vente au détail , (Marcor racheté par
Mobil) de manufacture (Reliance electric racheté par exxon) ,
de fabrication d'équipements de bureau (Vydec racheté par
Exxon). Les compagnies pétrolières rachetèrent
même des sociétés d'extraction minière (Kennecott
par Sohio, Anaconda minérals par Arco, Cyprus mines par Amoco).
Ces acquisitions ont fait partie des moins réussies de
la décennie, en partie à cause de la malchance (par exemple
l'effondrement de l'industrie minière) et en partie à cause du
manque de compétence des managers à l'extérieur de
l'industrie pétrolière (Jensen 1986).
A ce stade nous ne pouvons occulter le fait que si les rachats
peuvent servir à sanctionner les managers, ils sont aussi pour eux le
principal moyen de gaspiller le cash-flow libre. Rappelons que pour Jensen
(1986) ces acquisitions non rentables sont tout de même
préférables (socialement) à des projets de croissance
interne non rentables, dans la mesure où ces acquisitions permettent aux
actionnaires des cibles de percevoir une partie du cash-flow libre.
Deux études indiquent que les dépenses
d'exploration dans l'industrie pétrolières ont été
trop importantes depuis la fin des années 70. Mc Connell et
Muscarella (1986) cités par Jensen (1986) ont trouvé que les
annonces d'augmentation des dépenses d'exploration entre 1975 et 1981
étaient associées à des baisses de cours
systématiques (et vis versa).
Picchi cité par Jensen (1986) a trouvé que les
dépenses d'exploration entre 1982 et 1984 avaient en moyenne un
rendement avant impôt inférieur à 10% .
Le foreur indépendant T Bonne Pickens de la
société Mesa pétroleum fut un des premiers à
comprendre que l'industrie pétrolière devait être
restructurée, il fut le premier à lancer une OPA sur une
compagnie pétrolière . Cette OPA fût la première
d'une longue série de fusions qui conduisirent les compagnies
pétrolières à faire d'importants versements aux
actionnaires (ventes de leurs réserves de brut dont le produit fût
versé aux actionnaires ). Elles réduisirent
considérablement leurs dépenses en exploration ainsi que leurs
capacités de raffinage et de distribution . Cela s'est traduit par
d'importants gains en efficience et en valeur . Les gains totaux pour les
actionnaires , générés par les fusions entre Gulf et
Chevron ,entre Getty et Texaco et entre Dupont et Conoco
s'élevèrent à plus de 17 milliards de dollars (Jensen
1986). Allen Jacob (1986) cité par Jensen (1986) estime à 200
milliards de dollars les gains totaux liés à la réduction
de l'inéfficience dans 98 compagnies avec d'importantes réserves
de brut en 1984 .
La menace d'OPA a aussi joué un rôle très
important dans la réduction de l'inéfficience dans cette
industrie . Les restructurations défensives de Philips et Unocal et
la restructuration volontaire d'Arco ont permis aux actionnaires de
réaliser des gains allant de 20 à 35% de la valeur initiale des
actions. Les restructuration étaient couplées à des
rachats d'actions allant de 25 à 53% de la capitalisation
boursière des compagnies (plus de 4 milliards dans chaque cas) .
L'autre industrie dans laquelle la vague de rachats a eu des
conséquences spectaculaires c'est l'industrie du pneu.
§2 L'industrie du pneu
C'est une industrie qui pendant des années a
accumulé des surcapacités de production. Il y a plusieurs raisons
à cela , en premier lieu il y a eu le succès commercial des
pneus radial , en effet ces pneus s'usent trois à cinq fois moins
vite que les anciens pneus . La deuxième cause de l'accumulation
des surcapacités fût la baisse des ventes de voitures neuves, elle
même provoquée par le choc pétrolier . Le troisième
élément d'explication fût la progression des concurrents
étrangers sur le marché Américain (Jensen 1993 ;
Mitchell et Mulherin 1996) . D'après Jensen (1993) il était
nécessaire pour l'industrie du pneu de se séparer des deux tiers
de ses capacités de productions .
Au lieu d'entreprendre d'importantes restructurations, les
managers ont continué à investir le cash-flow libre,
persuadés que c'était le seul moyen de conserver leurs parts de
marché. Bien sûr cela a été possible parce que les
conseils d'administrations étaient inefficaces, cependant il
semblerait que les problèmes de sortie de l'industrie se posent avec
encore plus d'acuité dans les industries ayant connu de longues
périodes de prospérité . Comme si la cession d'actifs
était contraire à la culture de ces entreprises. De plus la
résistance aux restructurations est très forte , non
seulement dans les entreprises (« les fermeture d'usines attristent
les salariés, créent de l'incertitude et interrompent les
carrières » Jensen 1993), mais aussi à
l'extérieur de l'entreprise (hommes politiques , groupes de pression,
syndicats ...). Ainsi les managers vont résister tant qu'ils ont du
cash-flow pour financer les activités non rentables. D'après
Jensen (1993) les managers n'ont pas conscience du fait que c'est leur
entreprise qui a les coûts de production les plus élevés et
que c'est donc eux qui doivent quitter l'industrie. L' autre
élément d'explication avancé par l'auteur , ce sont les
contrats implicites que les managers passent avec les syndicats , les
fournisseurs et les communautés. Ces contrats forment des
barrières au changement qui renforcent la résistance
organisationnelle et empêchent les réorganisations .
Dans ces conditions la tentative de rachat va
déclencher une crise dans l'entreprise qui va permettre de
légitimer les restructurations, qui sans ça n'auraient pas pu
être réalisées (Jensen 1986). C'est ce qui s'est
passé lorsque Sir James Goldsmith a lancé en 1986 son OPA sur
Goodyear ; sans racheter l'entreprise il est parvenu à imposer les
restructurations qu'il jugeait nécessaires (vente de la filiale
aéronautique, vente de l'usine de jantes et de la division
pétrole).
En fait la solution au problème des capacités de
production excédentaires dans l'industrie du pneu est venue du
marché du contrôle des entreprises ; toutes les grandes
entreprises américaines du pneu ont été rachetées
et (ou) restructurées dans les années 80 . En mai
1985 , Uniroyal accepta une proposition de LBO afin d'échapper aux
avances hostiles du raider Carl Icahn . Simultanément Goodrich a
commencé à investir hors de l'industrie du pneu. En janvier 1986
Goodrich et Uniroyal se sont débarrassés de leurs divisions pneus
pour former ensembles un joint venture ; il ont formé la Uniroyal
Goodrich Tire Company . En décembre 1987 Goodrich a vendu ses
intérêts dans le joint-venture à Clayton et Dubilier,
Uniroyal l'imita peu de temps après .
Similairement Général Tire quitta l'industrie du
pneu, la compagnie renommée Gencorp en 1984 vendit sa division pneu
à Continental en 1987. Firestone fût vendu à
Bridgestone ; Pirelli racheta l'Armstrong Tire Company.
Au total 37 usines de pneu ont été
fermées entre 1977 et 1987 et le nombre de salariés de
l'industrie a été réduit de 40% . Ainsi , l'OPA
apparaît comme un outil indispensable à la transformation d'une
industrie.
Toutes les industries frappées par la vague d'OPA
n'avaient pas pour principal problème l'accumulation de
surcapacités de production . La dérégulation a
bouleversé le marché du transport aérien, ce qui a
obligé les compagnies aériennes à se réorganiser.
§3 Le transport aérien
Outre le choc pétrolier, la loi de 1978 sur la
dérégulation du transport aérien a réduit
progressivement le contrôle par le gouvernement des lignes
aériennes et des prix. La dérégulation a facilité
l'entrée de nouvelles compagnies , le développement de nouveaux
aéroports et le développement de lignes permettant de traverser
les Etats Unis. L'entrée de nouvelles compagnies a été
à l'origine de graves difficultés financières pour les
anciennes compagnies. Lorsque le raider Carl Icahn a racheté la TWA ,
il a pu verser une prime substantielle aux actionnaires parce qu'il avait
réussi a négocier avec les syndicats (pilotes , hôtesses ,
mécaniciens) des réductions de salaires que les managers en place
n'auraient jamais pu obtenir . Shleifer et Summer (1988) cités par
Shleifer et Vishny (1988) ont calculé que la prime payée aux
actionnaires de la TWA correspondait à la moitié des pertes de
salaires subies par les salariés de la compagnie ; de tels
transferts au profit des actionnaires et du raider ne peuvent être
considérés comme des améliorations sociales.
D'après Shleifer et Summers le raider casse les contrats implicites de
long terme passés entre les salariés et le management de la
compagnie ; il finance la prime en forçant les salariés
à accepter des baisses de salaires. En théorie ces pratiques
peuvent être socialement inefficientes car elles ruinent le marché
des contrats implicites de long terme et forcent ainsi managers et
salariés à utiliser des mécanismes contractuels moins
efficients (Shleifer et Summer 1988).
Cependant , de l'avis de nombreux observateurs, les raids sur
les compagnies aériennes ont permis de faire baisser
considérablement les prix des billets d'avion. Ainsi , il semble
difficile d'évaluer l'impact sur le bien être social des raids sur
les compagnies aériennes à cette époque.
De nombreuses autres industries ont été
visées, sans entrer dans les détails pour chacune d'entre
elles, il convient de mentionner les principaux chocs subis par ces
industries.
§4 Les autres industries visées
L'industrie agroalimentaire a elle aussi été
touchée par la vague de rachats . Cette industrie avait
accumulé des capacités de production excédentaires en
partie liées au faible taux de croissance démographique.
L'industrie générait d'importants cash-flow libres et avait peu
d'opportunités de croissance. Le LBO réalisé par Kohlberg
Kravis and Roberts (KKR) sur la société Béatrice pour un
montant de 6.3 milliards de dollars est le plus grand LBO jamais
réalisé.
L'industrie de la production télévisuelle et
radiophonique a elle aussi été lourdement touchée .
Cette industrie générait d'importants cash-flow grâce
à ses licences , cependant la régulation limitait l'offre
globale ainsi que le nombre de licences détenues par une seule
entité. Ainsi, les investissements internes rentables étaient
limités et le cash-flow libre de l'industrie a été
gaspillé dans des programmes de diversification faisant de ces firmes
des cibles pour les raiders. La CBS s'endetta et se restructura afin de se
défendre contre l'offre hostile de Turner. Américan Broadcasting
Company fût rachetée pour 3.5 millions de dollars par Capital
Cities Communication. Ce qui s'est passé dans cette industrie est en
accord avec la théorie du free cash-flow (Jensen 1986 1988).
Nombre d'autre industries ont été
touchées ; l'industrie textile a subi une forte augmentation des
importations, les importants cash-flow des grands laboratoires pharmaceutiques
ont suscité la convoitise des raiders, la dérégulation des
transports ferroviaires permit à de nouvelles firmes d'entrer sur le
marché. L'industrie sidérurgique, la métallurgie,
l'industrie cosmétique, les chaînes d'hôtels et de
drugstores ont aussi été durement touchées par la vague de
rachats.
Pour Mitchell et Mulherin (1996) le point commun entre toutes
ces industries est qu'elles ont subi des chocs . Ces chocs sont de nature
diverses (choc pétrolier, dérégulation, concurrence
étrangère, choc de demande, choc technologique ...). Ces chocs
ont, en quelque sorte, joué un rôle de catalyseurs en mettant en
évidence l'incapacité des dirigeants à faire face aux
difficultés que rencontraient leurs industries. Par exemple, dans
l'industrie du pneu, l'invention du pneu radial a augmenté la vitesse
d'accumulation des surcapacités de production. Mitchell et Mulherin
(1996) trouvent que le nombre de rachats dans une industrie est directement
relié à l'ampleur du choc économique qui a frappé
cette industrie. Les OPA ont permis à l'industrie américaine de
se restructurer rapidement à un moment où la
compétitivité des entreprises baissait.
Venons en maintenant à une question qui a fait couler
beaucoup d'encre : est ce que la vague d'OPA des années 80 a servi
à démanteler les conglomérats bâtis durant la vague
de rachats des années 60 ?
§5 La question du démantèlement des
conglomérats
Pour Shleifer et Vishny (1990) cités par Holmstrom et
Kaplan (2001), la vague de rachats des années 80 est dans une large
mesure une réponse aux mauvaises performances des conglomérats
constitués durant les années 60. Cependant si les
entreprises diversifiées avaient été
démantelés par la vague de rachats, on aurait dû observer
(en moyenne) une diminution de la diversification des entreprises
américaines au début des années 90 ; or les
études empiriques sont mitigées sur ce point. Montgomery (1994)
cité par Holmstrom et Kaplan (2001) souligne qu'en 1991 la firme typique
du Standard and Poor's 500 était positionnée sur le même
nombre de segments industriels que la firme typique en 1981 . Graham,
Lemmon et Wolf (2000) cités par Holmstrom et Kaplan (2001) trouvent que
beaucoup de cibles d'OPA ont été démantelées et que
leurs différents éléments sont ensuite devenus des parties
de firmes diversifiées . A l'opposé, Comment et Jarrell
(1995) trouvent un fort déclin de la diversification après les
années 80 : parmi les firmes couvertes par compustat, le
pourcentage de firmes ayant un seul métier est passé de 36.2% en
1978 à 63.9% en 1989 .
L'explication la plus plausible est que ce sont les
conglomérats qui détruisaient le plus de valeur qui ont
été démantelés en priorité (Berger et Ofek
1996).
C'est pour nous l'occasion d'aborder la question du lien entre
la diversification et la destruction de valeur. La diversification
détruit de la valeur lorsqu'elle découle de rachats
désordonnés réalisés par des dirigeants qui ne
veulent pas verser le cash-flow libre aux managers. De notre point de vue, une
diversification maîtrisée et judicieuse qui s'inscrit dans une
stratégie d'exploitation des synergies peut tout à fait
être créatrice de valeur . Cependant, nous ne pouvons
ignorer le fait que les entreprises spécialisées ont les faveurs
des investisseurs institutionnels qui préfèrent choisir eux
même la manière dont ils vont répartir les risques entre
les différentes activités. Ainsi, pour lever des capitaux , il
vaut mieux être spécialisé que diversifié.
Venons en maintenant à l'analyse des différentes
études empiriques cherchant à mettre en évidence les
caractéristiques des cibles.
Section 2 : Les performances des cibles
§1 Les résultats des études
empiriques
D'après la théorie du free cash-flow
appliquée au rachats, il y a deux catégories de cibles :
- les firmes qui ont de mauvais résultats
- les firmes qui ont de très bons résultats, qui
génèrent beaucoup de free cash-flow que les
managers refusent de verser aux actionnaires .
Dickerson , Gibson et Tsakalotos (2002) ont cherché
à vérifier la théorie de Jensen à partir d'un large
échantillon d'entreprises cotées en Grande Bretagne entre 1970 et
1990 (les spécialistes considèrent qu'il y a beaucoup de
similitudes entre ce qui s'est passé aux USA et ce qui s'est
passé en Angleterre à cette époque). Ils trouvent qu'une
faible profitabilité est associée à une forte
probabilité conditionnelle de rachat, cependant le lien entre
faible profitabilité et la probabilité de rachat s'affaiblit
durant la vague d'OPA . Concernant la deuxième prédiction de
la théorie du free cash-flow, selon laquelle les firmes
générant d'importants free cash-flow mais ayant peu
d'opportunités d'investissement seront sanctionnées par des
rachats si les managers investissent le cash-flow libre au lieu de verser des
dividendes, les auteurs ne parviennent pas à vérifier
empiriquement ce phénomène.
Peut être faut il prendre en compte le fait qu'il s'agit
d'un échantillon de firmes anglaises, pour expliquer la non
vérification empirique de la théorie du free cash-flow .
Palepu (1986) cité par Jensen (1988), à partir
d'un échantillon de 256 firmes rachetées entre 1971 et 1979,
trouve que les firmes ayant un écart important entre leurs perspectives
de croissance et leurs ressources ont plus tendance à être
rachetées. Ainsi , il identifie deux profils de cibles :
- les firmes avec un fort taux de croissance de leurs ventes ,
peu de liquidités et un taux d'endettement élevé
- les firmes avec un faible taux de croissance de leurs vente,
beaucoup de liquidités et un faible taux d'endettement.
Palepu trouve aussi que de mauvaises performances
antérieures sont liées à une forte probabilité
d'OPA . Ces résultats tendent à confirmer la théorie
du free cash-flow appliquée aux rachats.
Morck, Shleifer et Vishny (1989) ont étudié un
échantillon de 454 entreprises américaines entre 1981 et
1985. Ils trouvent que les cibles d'OPA hostiles ont en moyenne un ratio
Tobin's Q de 0.524 (valeur boursière /valeur
comptable), tandis que les cibles d'OPA amicales ont un ratio Tobin's Q de
0.774 . Pour leur part , les firmes de l'échantillon qui n'ont pas
été rachetées ont en moyenne un ratio Tobin's Q de 0.932
.
Les auteurs trouvent aussi que les cibles d'OPA hostiles ont
en moyenne des résultats 14% inférieurs à la moyenne de
leur industrie et que les OPA hostiles visent des industries ayant en moyenne
des résultats 19% inférieurs à la moyenne de toutes les
industries. Ainsi la probabilité d'OPA hostile augmente avec la mauvaise
performance de l'industrie par rapport au marché et avec la mauvaise
performance de la firme à l'intérieur de l'industrie.
Les OPA amicales visent typiquement les entreprises ayant des
performances inférieures à la moyenne de leur industrie, dans des
industries connaissant une forte croissance .
Globalement, ces résultats confirment le rôle
prépondérant des OPA hostiles dans la restructuration des
industries en déclin. Ces études empiriques semblent conforter la
théorie du free cash-flow .
Voyons maintenant ce qu'il en est du rôle disciplinaire
(au sens strict) des OPA .
§2 Le lien entre mauvaises performances et
remplacement des dirigeants
Le ratio Tobin's Q des firmes ayant subi un turnover complet
est 0.734 ce qui est 27% inférieur au ratio moyen des firmes non
rachetées (0.932) (Morck, Shleifer et vishny 1989). D'après ces
auteurs, les cibles des rachats après lesquels les dirigeants de la
cible ne sont pas remplacés ont en moyenne des performances 4.35%
supérieures à la moyenne de leur industrie ; tandis que les
cibles des rachats après lesquels les managers sont remplacés ont
en moyenne des résultats 15.38% inférieurs à la moyenne
de leur industrie . On a donc une mise en évidence du rôle
directement disciplinaire joué par les OPA, qui permettent de remplacer
l'équipe managériale lorsque le conseil d'administration ne veut
pas ou ne peut pas le faire (Martin et Mc Connell 1991) .
Mikkelson et Partch (1997) ont comparé le turnover du
management des firmes industrielles américaines non rachetées
durant une période où les OPA furent nombreuses
(1984 à 1988) et durant une période où les OPA furent
moins nombreuses (1989 à 1993). Ils trouvent que parmi les firmes
appartenant au plus bas quartile de performance (mesurée par le ratio
revenu/actifs), 33% connurent un turnover complet (PDG et président
du conseil) durant la période d'OPA active , alors que seulement 17% des
firmes appartenant au quartile de performance le plus bas connurent un turnover
complet entre 1989 et 1993.
Les auteurs trouvent que parmi les firmes qui n'ont pas
été rachetées, la relation inverse entre la performance et
la probabilité de remplacement des managers disparaît durant la
période où les OPA sont moins nombreuses. Nous serions
tentés d'expliquer cela en disant que c'est la pression disciplinaire
exercée par la menace d'OPA qui aide les conseils d'administration
à se débarrasser des managers inefficaces . Cependant, la
période où les OPA furent moins nombreuses (1989 à
1993) inclue une phase de récession qui peut servir à expliquer
la faiblesse du lien entre les mauvaises performances et le turnover des
managers. En fait les résultats de Mikkelson et Partch sont difficiles
à interpréter car nous n'avons pas de certitudes quand aux causes
de la diminution du nombre d'OPA à la fin des années 80 (une
partie du chapitre 5 sera consacrée à cette question). Si l'on
considère que ce sont les pilules empoisonnées et les lois
anti-OPA qui sont à l'origine de la fin de la vague d'OPA, (Coffe 1991,
Pound 1992 cités par Danielson et Karpoff 1998 ) on peut
considérer qu'elles sont aussi responsables de la baisse du turnover
managérial dans les entreprises en difficulté (les pilules et les
lois isolent les managers de la discipline imposée par le
marché). Cependant d'après Comment et Schwert le déclin
de la vague d'OPA est plus lié à la récession et au
crédit crunch qu'aux pilules empoisonnées et aux lois anti-OPA.
Si l'on s'en tient à ces explications, on aura plutôt tendance
à expliquer la baisse du turnover managérial dans les entreprises
en difficulté par le fait que durant une crise économique, les
managers ne sont pas complètement responsables des mauvaises
performances de leurs entreprises et que les administrateurs en tiennent compte
(Mikkelson et Partch 1997).
Ainsi, l'industrie américaine a été
transformée, adaptée à un nouvel environnement grâce
à l'outil OPA . L'analyse des faits confirme que les OPA ont bien
servi à adapter des entreprises et plus largement des industries
à des changements brutaux qui ont pris au dépourvu les managers.
Ces chocs ont mis en évidence l'incapacité des dirigeants et des
conseils d'administration à restructurer radicalement leurs entreprises
alors que cela était nécessaire. Ainsi des raiders comme Carl
Icahn ou James Goldsmith ont forcé l'industrie américaine
à se restructurer malgré la résistance sociale. Ces
rachats ont permis aux actionnaires de percevoir des primes d'un montant
pouvant aller jusqu'à 50% de la valeur des actions ; ce qui
était inespéré pour eux . Les raiders ont montré
que l'inefficience des firmes n'était pas inéluctable et qu'en
mettant en oeuvre une gestion rigoureuse il était possible de verser des
dividendes colossaux aux actionnaires .
Si les OPA ont été si nombreuses et les primes
si élevées durant les années 80, c'est bien parce que les
offreurs avaient compris que racheter des entreprises pour les restructurer et
les réorganiser constituait une activité très
lucrative . Durant cette vague d'OPA on peut considérer qu'il y a
eu deux types de rachats : les rachats d'une entreprise par une autre qui
conduisent à des restructurations et aboutissent à une fusion et
les rachats LBO (leveraged buy out) lors desquels des financiers
rachètent une entreprise cotée, lui font quitter le marché
, la restructurent et la réorganisent afin de rembourser les prêts
contractés. Dans le chapitre qui va suivre nous verrons plus en
détail, notamment en nous intéressant aux LBO , quelles
sont les sources des gains issus des rachats.
Chapitre 3
Les sources des gains issus des rachats
La question est de savoir ce qui a permis aux offreurs de
verser des primes d'un montant variant entre 30% et 50% de la valeur des
actions, tout en continuant à faire des profits grâce aux
rachats .
Les raiders ne font ils qu'organiser des transferts de
richesse à leur profit ou créent ils véritablement de la
richesse ?
Sur ce sujet les débats furent passionnés. Dans
le développement qui va suivre nous tenterons d'apporter une
réponse claire à cette question.
Dans la première section nous verrons que les
études empiriques visant à vérifier l'ensemble des
théories redistributives se sont avérées peu
concluantes.
Etant donné que la vague d'OPA qui nous occupe se
caractérise par un fort recours à l'emprunt, dans une
deuxième partie nous verrons comment et pourquoi les LBO (leveraged buy
out) qui ont été si nombreux dans les années 80
constituent un véritable modèle de gouvernance
d'entreprise . Nous montrerons qu'un taux d'endettement
élevé peut permettre de réduire considérablement
les coûts d'agence en exerçant une pression disciplinaire sur les
managers. Nous évoquerons notamment les restructurations entreprises au
début des LBO, la réduction du pouvoir discrétionnaire des
managers, le mode spécifique de rémunération des
managers dans les LBO et le rôle joué par les investisseurs. Enfin
nous étudierons les principales difficultés rencontrées
par les LBO .
Section 1 : L'invalidation des théories
redistributives
Durant la vague d'OPA les opposants aux offreurs, aux
premiers rangs desquels les managers, ont cherché à montrer que
les raiders ne faisaient qu'organiser des transferts de richesse à leur
profit. Ainsi, ils ont proposé un ensemble de théories visant
à démontrer leurs affirmations.
§1 La myopie des marchés et
l'inéfficience des rachats
Cette théorie est basée sur l'idée selon
laquelle les investisseurs et en particulier les investisseurs institutionnels
ne s'intéressent qu'à la performance à court terme et donc
sous évaluent les entreprises engagées dans des stratégies
de création de valeur à long terme. Ainsi ces firmes seraient
sous évaluées par le marché ce qui ferait d'elles des
cibles pour les offreurs .
Les critiques de cette théorie montrent qu'elle est en
désaccord avec un marché des capitaux efficient. Si le
marché sous évaluait systématiquement les investissements
à long terme, ça impliquerait des conséquences
économiques néfastes qui iraient au delà des coûts
générés par des rachats inopportuns .
De nombreuses études empiriques ont montré que
les marchés réagissaient positivement à l'annonce de
l'augmentation des dépenses en R&D. Par exemple McConnell et
Muscarella (1985 ) cités par Jarrell, Brickley et Netter (1988) trouvent
qu'en moyenne le marché réagit positivement à l'annonce
d'augmentations des dépenses d'investissement sauf pour l'exploration
dans l'industrie pétrolière .
§2 La théorie des cibles sous
évaluées
Les managers des cibles et autres opposants aux rachats
affirment que les cibles sont sous évaluées par le
marché . Ainsi un offreur peut verser une prime importante aux
actionnaires tout en payant un prix bien inférieur à la valeur
véritable de l'entreprise. Cette théorie a pour but de justifier
les stratégies de défense mises en oeuvre par les managers des
cibles, même lorsque les primes sont élevées. Selon cette
théorie les actionnaires des cibles seront récompensés sur
le long terme (si ils ne vendent pas) au delà de la prime
proposée par l'offreur qui recherche les gains à court terme.
Cependant les travaux empiriques montrent que lorsqu'une cible
échappe à une offre hostile son cours revient au niveau qui
prévalait avant l'offre (Bradley, Desai et Kim 1983 ;
Eastbrook et Jarell 1984 ; Jarell 1985 ; Ruback
1986 ; cités par Jarell, Brickley, Netter 1988). Cette
théorie a donc été invalidée empiriquement.
§3 Les économies d'impôts sont elles
à l'origine des rachats ?
Les économies d'impôts ont longtemps
été considérées comme un élément
d'explication important des fusions acquisitions. En effet la réforme
fiscale de 1986 aux Etats Unis avait pour but de réduire les
économies d'impôts permises par les fusions. Cependant, la plupart
des études plus récentes trouvent que les économies
d'impôts jouent un rôle mineur dans l'explication des fusions
acquisitions.
Auerbach et Reishus (1987) cités par Jarrell, Brickley
et Netter (1988) ont étudié les économies d'impôts
permises par 318 fusions et acquisitions entre 1968 et 1983. Ils trouvent
qu'elles étaient suffisamment importantes pour affecter la
décision de fusionner dans seulement 20% des cas .
Lehn et Poulsen (1987) cités par Jarrell, Brickley et
Netter (1988) trouvent, dans leur étude réalisée sur les
LBO entre 1980 et 1984, que le montant des primes payées aux
actionnaires sortants dépendait directement des économies
d'impôts associées à ces transactions. Ce qui
suggère qu'en partie ces LBO furent motivés par des
considérations fiscales.
Ce qu'on peut dire c'est que les économies
d'impôts semblent avoir eu un impact sur les fusions. Cependant, les
études suggèrent que la plupart des rachats ayant eu lieu ces
vingt dernières années n'étaient pas motivés par
des économies d'impôts (Jarrell, Brickley ,Netter 1988) .
§4 Est ce que les rachats sont préjudiciables
aux détenteurs d'obligations ?
Certains critiques suggèrent que les primes
payées par les offreurs ne sont pas financées par une
création de richesse mais par une redistribution . Par exemple, les
obligations émises par la firme acheteuse peuvent perdre de la valeur si
elle achète une firme cible risquée . Etant donné que la
valeur combinée des deux firmes reste inchangée , les gains des
actionnaires de la cible seraient compensés par les pertes subies par
les détenteurs des obligations émises par la firme acheteuse .
Cette théorie a été invalidée par
les études empiriques ( Jarrell , Brickley et Netter 1988)
§5 Les pertes subies par les salariés ont
elles servi à financer les rachats ?
Les rachats dans le secteur du transport aérien ont
entraîné des conflits entre le management des firmes acheteuses et
les syndicats des firmes rachetées. Ces conflits ont contribué
à diffuser l'idée que les primes des OPA étaient
financées par des destructions d'emplois et des baisses de salaires .
Shleifer et Summers (1987) cités par Jarrell, Brickley
et Netter (1988) ont étudié cette question. Ils ont trouvé
que lors du rachat de la TWA , la prime offerte aux actionnaires correspondait
à la moitié des pertes de salaires subies par les salariés
de la compagnie. En se focalisant sur les contrats implicites de long terme
passés entre les salariés et le management en place des cibles,
Shleifer et Summers trouvent que les raiders peuvent quelquefois rompre ces
contrats, une fois qu'ils ont pris le contrôle de la firme, en utilisant
des stratégies pour imposer d'importantes réductions de salaire.
En théorie ces pratiques peuvent être néfastes socialement
car elles ruinent le marché de ces contrats implicites de long terme et
forcent les travailleurs et le management à utiliser des
mécanismes contractuels moins efficaces .
Cette théorie de la redistribution entre travailleurs
et actionnaires n'a pas été largement testée,
néanmoins une étude du NBER réalisée par Brown et
Médoff (1987) portant sur l'emploi et les salaires dans le Michigan
invalide cette théorie.
Bien que cette étude réalisée dans le
Michigan puisse ne pas être représentative de ce qui s'est
passé sur l'ensemble du territoire des Etats Unis, elle conclue que les
salaires et le nombre d'employés ont augmenté, en moyenne, dans
les firmes impliquées dans des rachats .
Les théories redistributives ont fait l'objet de
nombreuses études empiriques, les plus convaincantes sont celles qui
rejettent la théorie de la sous évaluation et la théorie
de la vision à court terme. Les études attribuent aux
économies d'impôts peu d'importance dans l'explication des fusions
acquisitions et invalident les théories selon lesquelles les gains des
actionnaires des cibles correspondent aux pertes subies par les
détenteurs d'obligations et les salariés.
Bien que les managers des cibles soient manifestement perdants
(au moins dans certains rachats), selon Jarrell, Brickley et Netter (1988) la
littérature offre peu ou pas de support à l'idée selon
laquelle les théories redistributives expliquent une part importante des
gains issus des rachats .
Il a été impossible de trouver
systématiquement des pertes qui pouvaient compenser les gains des
actionnaires des cibles et des offreurs lors de fusions, de rachats et autres
activités de prise de contrôle des entreprises. Donc les gains
sont issus du remaniement des actifs des entreprises (Jarrell, Brickley et
Netter 1988). Les résultats ont conduit beaucoup d'économistes
financiers comme Jensen (1986) à qualifier les rachats, les LBO et les
restructurations, d' « activités entrepreneuriales
productives qui améliorent le contrôle et la gestion des actifs et
aident à déplacer les actifs vers des usages plus
productifs. »
Plus précisément, quelles sont les
réformes mises en oeuvre dans une entreprise dont le rachat a
été financé par l'emprunt. L'augmentation du nombre et de
la taille des LBO a été rendue possible par l'utilisation massive
des junk bonds dans le financement des rachats. En 1986, le montant total
des LBO représentait 44.3 milliards de dollars soit 39% du montant total
des rachats d'entreprises cotées. Dans ces LBO il n'était pas
rare d'avoir une dette d'un montant dix fois supérieur à celui
des capitaux propres ; en moyenne la dette représentait 5.25 fois
le montant des capitaux propres. Comment expliquer les très bonnes
performances obtenues grâce à ces montages financiers ?
Jensen considère que les LBO permettent de réduire
considérablement les coûts d'agence.
Un fort taux d'endettement est un très bon vecteur de
changements, le LBO correspond à la meilleure illustration des
réformes au sein de la cible qui sont à l'origine des gains issus
des rachats. Après avoir présenté et défini le LBO,
nous tenterons d'identifier les origines de leurs très bonnes
performances, enfin nous évoquerons les difficultés qu'ils
doivent contourner.
Section 2 : Le LBO (leveraged buy out) : un
modèle d'efficience
§1 Définition et principe
A) Définition
Selon l'association française des investisseurs en
capital (livre blanc LBO 2002) cité par Chérif
(2004) : « Un leveraged buyout peut être
défini comme l'achat d'une entreprise , financé partiellement par
emprunts, dans le cadre d'un schéma juridique spécifique et
fiscalement optimisé où les dirigeants sont associés en
partenariat avec des investisseurs professionnels spécialisés
. »
Ainsi une opération de LBO peut être
définie comme le rachat d'une société cible par
l'intermédiaire d'une société holding qui reçoit
des apports et souscrit une dette pour financer l'acquisition. Par la suite ,
la dette est remboursée par les dividendes que la société
achetée verse au holding d'acquisition. Le LBO se caractérise par
l'association des dirigeants avec un investisseur financier et par un
schéma fiscal permettant la mise en place d'emprunts remboursés
par les cash-flow futurs dégagés par la cible (Chérif
2004). Le principal avantage de ces opérations est de permettre à
des cadres dirigeants ou à des investisseurs de prendre le
contrôle d'une société cible avec un apport personnel
minimum. Le taux d'intérêt de l'emprunt doit évidemment
être inférieur au taux de rentabilité attendu de la cible
.
B) Principe du leveraged buy out
Le principe d'un LBO est donc d'acquérir une entreprise
souvent appelée OpCo ou société cible, par
l'intermédiaire d'une société holding, la NewCo,
créée à l'occasion de l'opération et dont la seule
vocation est de posséder les capitaux propres de la cible .
L'acquisition de la cible est financée par :
- L'injection de capital social ou l'octroi de prêts
subordonnés à la cible par les actionnaires/investisseurs de la
société holding.
- L'octroi d'un prêt à moyen terme à la
société holding par les banques prêteuses et
parfois :
- L'octroi d'une dette subordonnée accordée par
les investisseurs et/ou des prêteurs spécialisés,
généralement effectué par le biais d'une souscription
d'obligations (junk bonds) émises par la société holding.
L'opération LBO permet d'optimiser la
rentabilité des fonds d'actionnaires par un double effet de
levier : l'effet de levier financier et l'effet de levier fiscal.
La société holding contracte
généralement deux types de dettes ; la dette senior et la
dette mezzanine (dette remboursée après toutes les tranches de la
dette sénior) .
Les investisseurs sont propriétaires de la
société holding et cette dernière détient le
capital de la société cible .
La dette sera remboursée grâce aux dividendes
versés par la cible à la holding. L'équilibre du montage
est basé sur la prévision de dividendes toujours
supérieurs au service de la dette du holding .
§2 Quels leviers pour les opérations LBO
En matière de LBO il n'existe pas de règle
absolue pour déterminer le levier optimum (ce qui explique en partie les
dérives de la deuxième moitié des années 80
où on a vu des LBO financés avec des ratios dette /capitaux
propre égaux à 10). On est dans le domaine du sur mesure, le
montage dépendra des caractéristiques de la cible, de ses
prévisions objectives mais également des données du
marché de la dette au moment où se négocie la transaction.
Par contre le monteur de l'opération se base sur un certain nombre de
critères financiers ;le plus élémentaire étant
la capacité de remboursement .
Cette capacité est conditionnée par deux
facteurs : le free cash-flow et la capacité distribuable de la
cible :
- Le free cash-flow doit s'apprécier après une
juste évaluation des investissements futurs et du besoin en fond de
roulement (en intégrant les effets saisonniers). La tentation est
grande de rogner sur les investissements (ou de les différer) pour
libérer du free cash-flow (c'est à l'origine d'un débat
entre chercheurs sur lequel nous reviendrons).
- Le bénéfice distribuable constitue un second
butoir. Le monteur peut également vouloir doser le levier à
partir d'un taux fixe de distribution des résultats. Lorsque la cible
dispose d'une trésorerie positive, il est courant de prévoir
parmi les financements une remontée d'une partie de cette
trésorerie .
Le niveau de levier s'apprécie
généralement à partir de deux ratios classiques :
- Endettement net global / fonds propres consolidés
- Endettement net global/marge brute d'autofinancement
Cependant, le levier n'est pas le résultat d'une pure
arithmétique financière. D'autres facteurs sont à prendre
en compte :
- Le prix de la transaction
- La qualité des garanties offertes au prêteur
- L'existence ou non d'actifs facilement cessibles
Le LBO permet de jouer sur trois leviers : un levier
financier, un levier fiscal et un levier humain et managérial (via des
solutions variées de motivation du management).
A) Le levier financier
Il exprime l'effet démultiplicateur que procure un
endettement additionnel par opposition à un recours aux fonds propres.
Pour bénéficier du levier financier au delà des
possibilités offertes par le levier juridique (avec 50% des actions je
contrôle la société toute entière), les
investisseurs recherchent la répartition optimale des ressources du
holding de reprise entre les fonds propres et les dettes. Durant les
années d'acquisition les cash-flow libres de la cible remboursent, par
remontées de dividendes vers la holding, le capital et les
intérêts de la dette bancaire. Au débouclage du LBO ,
les investisseurs récupèrent la valeur totale de la
société diminuée des dettes bancaires résiduelles.
Supposons que l'entreprise a une valeur constante sur la période
égale à 100 ; si l'acquisition est financée par 30 de
fonds propres et 70 de dettes et qu'à l'issue de la période la
totalité des dettes est remboursée, alors, au final les
actionnaires récupèrent 100 sur une mise de 30 , ce qui
représente un effet de levier de 3.33 (100/30). Dans ce cas on peut
considérer la dette comme un substitut aux dividendes (Jensen
1986 , 1989).
B) Le levier fiscal
Le LBO permet une économie d'impôt
équivalente au taux de l'impôt sur les sociétés
multiplié par le montant des intérêts payés sur les
dettes d'acquisition .
La capacité du holding et de la cible à
consolider leurs pertes et profits respectifs (c'est à dire les pertes
du holding générées par ses charges financières et
les profits de la cible) et la possibilité de report des déficits
fiscaux de la cible sont deux des hypothèses de base du
« business plan » préparé par les
investisseurs et soumis aux prêteurs. L'intégration fiscale est un
élément clé dans la mise en oeuvre d'un LBO car elle
permet de déduire des profits de la cible les charges financières
découlant de la dette d'acquisition et d'assurer la neutralité
des distributions et des opérations effectuées au sein du groupe
intégré .
C) Le levier social
L'effet de levier social réside dans le rôle
joué par les repreneurs dans le LBO. L'équipe d'entrepreneurs
salariés engagés dans une transaction doit être
compétente, complémentaire et fortement motivée. Nous
verrons ultérieurement comment les managers des LBO sont
rémunérés.
§3 Les performances post LBO
Les études empiriques convergent à peu
près toutes lorsqu'il s'agit d'évaluer les performances post
LBO des sociétés cibles. Qu'il s'agisse des
cash-flows, de la productivité des usines ou des profits
opérationnels, quasiment toutes les études constatent une
progression spectaculaire par rapport aux résultats de ces entreprises
avant le LBO .
Le tableau ci dessous résume les principales
études empiriques portant sur les performances des LBO dans les
années 80 .
Performances post LBO des sociétés
cibles : principaux résultats
Auteurs
|
Année
|
Echantillon
|
Variables
|
Méthodologie
|
Résultats
|
KAPLAN
|
1989
|
48 MBO (management buy out) de 1980 à 1986
|
-Cash-flow opérationnel
-Dépenses d'investissement
-Cash-flow net
|
-Mesure des changements de ces trois variables sur les trois
années suivant le rachat
par rapport aux chiffres de l'année
précédent le MBO
- Comparaison sur les montants absolus , sur le rapport entre
chaque indicateur et le total de bilan et sur le rapport entre chaque
indicateur et les ventes
- Ajustement des chiffres par rapport à l'évolution
moyenne observée dans le secteur d'activité de la firme
|
- Augmentation de 24% du cash-flow opérationnel la
troisième année
- Augmentation régulière du cash-flow
net :
22% la 1ère année ; 43.1% la
2ème et 80.5% la 3ème
-Diminution des dépenses d'investissement
- Changements positivement corrélés à la
prime perçue par les actionnaires sortants .
|
SINGH
|
1990
|
- 65 MBO réalisés entre 1980 et 1987
- Echantillon de contrôle constitué de 130
sociétés de leurs industries respectives
|
- Cash-flow/ ventes
- Créances clients/ ventes
- Croissance des bénéfices avant le MBO
- Gestion des stocks
- ETE
(excédent de trésorerie d'exploitation)
|
- Comparaison à un échantillon de
référence
- Modèle de régression Logit pour identifier les
facteurs discriminants des sociétés faisant l'objet d'un MBO
|
- Les sociétés faisant l'objet d'un MBO ont des
cash-flow plus élevés , elles ont déjà fait
l'objet d'OPA.
- Globalement : performance accrue après le MBO
qui peut être attribuée au changement de structure de gouvernement
de la firme .
|
SMITH
|
1990
|
- 58 MBO de
1977 à 1986 :
- Deux sous ensembles selon l'importance des cessions d'actifs
réalisées
|
- Ratio cash-flow opérationnels/actifs
opérationnels .
|
- Mesure de la performance de l'entreprise par le ratio cash-flow
opérationnel / actifs opérationnels (les actifs
opérationnels sont les actifs directement liés à
l'activité d'exploitation)
- Les chiffres sont ajustés par rapport à
l'évolution moyenne du secteur d'activité .
|
- Augmentation significative des bénéfices
opérationnels après le rachat pour les deux sous
échantillons
- L'accroissement de la performance ne provient pas d'une
cession des activités moins rentables mais du LBO lui même .
|
Auteur
|
Année
|
échantillon
|
Variables
|
méthodologie
|
résultats
|
Lichtenberg
et Siegel
|
1990
|
Environ 1000 usines au total, impliquées dans des LBO
entre 1981 et 1986
|
Mesure de la productivité de l'usine
|
Examen des changements dans la productivité pour des
usines liées à un LBO
|
-Productivité moyenne supérieure pour les usines
LBO avant et après l'opération par rapport aux usines non LBO
-Amélioration significative de la productivité dans
les usines LBO entre l'année précédent et les deux
années suivant l'opération
-Pas d'amélioration de la productivité pour les LBO
de 1981 à 1982
et amélioration pour les LBO de 1983 à 1986
|
Muscarella et
Vetsuypens
|
1990
|
72entreprises ayant fait appel public à
l'épargne depuis 1983 alors qu'elles avaient auparavant fait l'objet
d'un LBO partiel ou total
|
-Participation du management dans le capital
-Turnover des cadres
-Plans de compensation incitative
-Activités de restructuration
-Ventes
-Marge brute
-Marge commerciale
-Marge nette
-Rotation de l'actif
-Dépenses d'investissement
-Taux d'endettement
|
-Mesure de la performance par des données comptables
-Statistiques descriptives
|
-Confirmation de l'hypothèse selon laquelle la structure
organisationnelle liée au LBO permet d'améliorer l'efficience de
l'entreprise
-L'hypothèse d'un avantage informationnel des initiateurs
et des dirigeants n'est pas rejetée
|
Backer et Wruck
|
1989
|
Le cas du MBO d'OM Scott&Sons
|
Données relatives à la dette, à la
géographie du capital et à l'emploi avant et après le
LBO
|
Recueil de données et interviews au sein de
l'entreprise
|
Performance accrue de l'organisation due au service de la dette ,
à la participation des dirigeants au capital et à leur
contrôle
|
Opler
|
1992
|
44 opérations
de retour à la propriété privée
réalisées entre 1985 et 1989
|
-Cash-flow opérationnel
- Cash-flow net
-Données comptables diverses
|
-Statistiques descriptives
-Calculs de ratios
|
-Augmentation moyenne de 16.5% du ratio « profits
opérationnels /ventes »
-Augmentation significative du cash- flow net
-Augmentation moyenne de 40.3% des profits opérationnels
par employé
-Peu d'impact du LBO sur les dépenses de R&D
|
Phan et Hill
|
1995
|
214 LBO de 1986 à 1989
|
-Variation du ratio EBIT/coûts salariaux
-Variation du ratio EBIT/CA
|
Mesures des variables un an avant et un an après le
LBO , puis mesures trois ans et cinq ans après sur un
échantillon plus restreint de LBO
|
-La performance augmente immédiatement après le LBO
- L'impact du LBO sur la performance est bien moins important
à plus long terme
- C'est plus l'augmentation de l'actionnariat des salariés
que l'augmentation du niveau d'endettement qui est corrélée aux
changements stratégiques et structurels
|
Source : A. L. Le Naudant, Analyse financière
, n° 116 septembre 1998 pages 68 et 69 Citée par Cherif
(2004).
§4 Les explications de l'efficience dans les
LBO : la réduction des coûts d'agence
Pour expliquer la forte amélioration des
performances dans les LBO , nous ne pouvons nous contenter d'invoquer les
leviers financiers et fiscaux . La question est de savoir ce qui fait
qu'on parvient à faire fonctionner des leviers financiers d'une telle
ampleur . Qu'est ce qui fait qu'une entreprise va réussir en sept
ans à générer des cash-flow qui vont permettre de
rembourser une dette qui correspond à 80% de sa valeur, voir
plus ? Nous avons montré dans la première section que
les transferts de richesse ne permettaient pas d'expliquer la plupart des gains
issus des rachats . D'après Jensen (1986,1988,1989) c'est la
réduction des coûts d'agence permise par la discipline
imposée par la dette qui permet d'expliquer les gains des offreurs. Dans
ce cas on parle d'une véritable création de richesse. Notons que
la réduction des coûts d'agence peut être à l'origine
de transferts de richesse notamment au détriment des
salariés ; en effet plus les managers détiennent une part
importante du capital , plus ils sont enclin à réaliser les
restructurations nécessaires (notamment les réductions
d'effectifs et de salaires ). Les restructurations réalisées au
début du LBO sont incontestablement à l'origine d'une partie des
gains issus du rachat.
En fait si les transferts de richesse n'ont rien de
systématique dans un LBO, ce qui est systématique c'est la
réduction des coûts d'agence (créatrice de richesse pour
l'actionnaire ).
D'après la théorie du cash-flow libre, les
coûts d'agence sont exacerbés dans les entreprises qui
génèrent beaucoup de cash-flow et qui n'ont pas de réelles
opportunités d'investissement. Dans ces entreprises les managers vont
préférer réaliser des investissements à VAN
négative au lieu de verser des dividendes.
Cela est en partie lié à l'imperfection du
système de rémunération (dans les années
80 , les dirigeants des entreprises américaines détenaient
en moyenne 0.25% du capital de leur entreprise ce qui est trop peu).
Dans le LBO, le fort taux d'endettement va avoir plusieurs
conséquences à l'origine de la réduction des coûts
d'agence :
- Il va déclencher, tout de suite après le
rachat, des restructurations (cessions d'actifs, licenciements).
- Il permet de réduire, voir d'annuler le pouvoir
discrétionnaire des managers.
- Dans le LBO le manager est aussi un investisseur, s'il
atteint les objectifs qui lui ont été fixés, il aura sa
part dans la plus value réalisée par les investisseurs lors de la
revente de la société, une fois la dette remboursée.
- Les investisseurs, peu nombreux, exercent un contrôle
minutieux sur le manager.
A) Les restructurations
Le surendettement peut être désirable et efficace
lorsqu'il donne un sens économique au démantèlement d'une
entreprise, à la vente de divisions, et au recentrage sur le
métier de base (Jensen 1989).
Les investisseurs qui se sont endettés lourdement pour
racheter une entreprise commencent par se séparer des divisions ou
filiales pas ou peu rentables. Les montages financiers étaient
faits en fonction des restructurations prévues. D'une part ces cessions
d'actifs ont immédiatement permis de réduire le taux
d'endettement qui dans les années 80 a bien souvent
dépassé les limites du raisonnable à cause de
l'utilisation des junk bonds et des guerres entre offreurs ; d'autre part
les impératifs liés au remboursement de la dette font qu'il est
urgent et indispensable de se séparer des actifs dont la
rentabilité n'est pas supérieure aux taux
d'intérêts. En effet ce sont les cash-flow de la cible qui doivent
servir à rembourser l'emprunt . Berger et Ofek (1996) trouvent que
lorsque le rachat est financé par l'emprunt la probabilité de
démantèlement de la cible est plus élevée.
Les restructurations sont liées au fort taux
d'endettement qui lui même explique en partie la réduction des
coûts d'agence. Certains auteurs considèrent les restructurations
comme une conséquence de la réduction des coûts
d'agence.
D'après Phan et Hill (1995) cités par
Bruton, Keels et Scifres (2002) lorsqu'une firme devient privée
après un rachat, il n'est pas étonnant que les managers
propriétaires aient tendance à lancer des programmes de
restructuration, c'est à dire des changements opérationnels et
stratégiques ayant pour but d'augmenter l'efficience de la firme.
Pour Holthausen et Larcker (1996) cités par Bruton
,Keels et Scifres (2002) plus les managers détiennent une part
importante du capital, plus ils sont incités à faire des choix
qui vont augmenter la valeur pour l'actionnaire .
Liebeskind ,Wierseman et Hansen (1992) cités par
Cherif (2004) proposent une théorie qui trouve l'origine des gains
réalisés au travers des LBO dans la réorganisation
industrielle. Celle ci permet une plus grande efficacité dans
l'organisation et de ce fait vise à l'élimination de tout goulot
d'étranglement dans l'entreprise par une réduction de la taille ,
un recentrage de l'entreprise sur son métier d'origine ou une
réorganisation du portefeuille d'activités.
Cependant, s'il est incontestable que les restructurations
sont à l'origine d'une partie importante des gains de
productivité observés dans les LBO, elles ne sont pas seules
à l'origine des très bonnes performances réalisées
par les LBO .
B) La minimisation du pouvoir discrétionnaire du
manager
Dans un LBO le montage est fait de manière à ce
que tout le cash-flow libre de la cible soit affecté au remboursement de
la dette. Ainsi le manager n'a plus ou quasiment plus de pouvoir
discrétionnaire. Le cash-flow libre n'est plus disponible pour
« la construction d'empires », le paiement de salaires
superflus ou l'octroi d'avantages privés.
Les échéances de remboursement de la dette
contractée mettent le management sous pression afin qu'il dégage
le cash-flow nécessaire au remboursement.
La dette joue un rôle disciplinaire (Chérif
2004) :
- d'une part elle limite la dilution du contrôle des
investisseurs (ils sont généralement deux ou trois), ils sont au
contact des décisions importantes
- d'autre part elle crée une obligation de
résultat bien plus forte qu'un simple engagement à verser des
dividendes.
Les créanciers détiennent un pouvoir bien plus
grand que les actionnaires, en cas de non remboursement ils peuvent provoquer
la faillite de l'entreprise et c'est cette menace qui permet de discipliner les
managers au quotidien (gestion plus rigoureuse, gaspillages
réduits...).
D'après Jensen (1989) le recours à un
endettement élevé peut réduire les coûts issus de la
relation d'agence ; Jensen emploi le terme d' « effet de
contrôle de la dette », ce contrôle est double :
- d'une part les dirigeants sont obligés d'affecter le
cash-flow libre au remboursement de la dette, c'est pour cela qu'il
considère que la dette est un substitut aux dividendes
- d'autre part, le fort taux d'endettement incite les
dirigeants à gérer de façon plus efficiente. Ayant investi
leur capital dans l'entreprise, ils ne désirent pas qu'elle fasse
faillite à la suite d'une incapacité à honorer la
dette.
Jensen (1989) estime qu'une augmentation du taux
d'endettement doit entraîner une augmentation de la valeur des actions,
car la dette exerce un double contrôle sur les dirigeants. Dans le cadre
d'un LBO, cette théorie prédit une augmentation anticipée
de la valeur des actions du fait de la diminution attendue des conflits
d'intérêt entre actionnaires et dirigeants. En d'autres termes
pour Jensen il y a une véritable création de richesse dans le
LBO, ce qui explique en partie les primes payées aux actionnaires
sortants.
De leur coté Harris et Raviv (1990) parviennent
à la même conclusion que Jensen mais en mettant l'accent sur
d'autres qualités de la dette. Ils sont d'accord avec Jensen pour dire
que l'endettement joue un rôle disciplinaire qui permet de diminuer les
coûts issus de la relation d'agence .
Selon eux le contrôle exercé par la dette
provient de deux éléments : les créanciers ont la
possibilité de provoquer la liquidation, or selon Harris et Raviv les
dirigeants désirent continuer les activités courantes de
l'entreprise quelles que soient les circonstances. De plus la dette
génère des informations utiles aux investisseurs selon les
difficultés rencontrées pour honorer son remboursement.
Leur article propose une théorie de la structure du
capital basée sur l'idée que la dette permet aux investisseurs de
discipliner les managers et fournit une information utile pour cela. Dans le
modèle, les investisseurs vont utiliser les informations concernant les
perspectives de la firme pour décider si ils vont la liquider ou pas.
Les auteurs supposent que les managers veulent éviter la liquidation de
la firme et sont peu disposés à livrer des informations au
investisseur qui pourraient les conduire à liquider la firme. En
conséquence, les investisseurs utilisent la dette pour
générer de l'information et contrôler le management. Le
fait que les managers parviennent à rembourser la dette fournit des
informations et lorsqu'ils n'y parviennent pas les investisseurs obtiennent des
informations grâce à un audit coûteux.
Les créanciers utilisent leurs droits pour forcer les
managers à fournir des informations et pour liquider la firme si il y a
lieu de le faire.
Modèle statique
Les actionnaires utilisent la dette pour se procurer des
informations concernant la qualité de l'entreprise. La dette
génère deux types d'informations :
Premièrement, comme on suppose que le revenu est inobservable par les
investisseurs, le remboursement de la dette indique que le revenu est
supérieur au montant nécessaire au remboursement (ce qui conduit
les actionnaires à réviser leur opinion concernant la
qualité de l'entreprise).
Deuxièmement, l'incapacité à rembourser
la dette déclenche un audit coûteux qui révèle le
revenu courant et des informations supplémentaires concernant la
qualité de l'entreprise. L'information véhiculée par la
dette permet aux investisseurs de prendre de meilleures décisions
opérationnelles. Dans le modèle la décision
opérationnelle consiste à choisir entre la liquidation et la
poursuite des activités courantes. Ainsi, le taux d'endettement optimal
est déterminé en mettant en balance, la meilleure gestion de
l'entreprise imposée par la dette avec la probabilité pour que
les actionnaires aient à subir les coûts d'audit.
Les managers veulent éviter la liquidation afin de
continuer à percevoir leurs salaires. Ils évitent la
défaillance tant que possible, mais ne paient jamais plus que
nécessaire.
Compte tenu de ces hypothèses les investisseurs ne
peuvent se baser que sur les paiements effectués par l'entreprise pour
prendre des décisions.
Le modèle est représenté par une firme et
de nombreux investisseurs neutres au risque, tous les investisseurs escomptent
les futurs paiements sur le marché des facteurs d'escompte .
La firme génère un revenu aléatoire xt
à la fin de chacune des deux périodes t
t = 1 ; 2 . On suppose que le revenu n'est pas
observable par les investisseurs.
A la fin de la première période la firme peut
être liquidée.
La répartition du revenu dépend de la
qualité de la firme notée q . La qualité de la firme peut
dépendre de la compétence des managers, de la position de la
firme sur le marché, etc.
H (x q ) = répartition du revenu étant
donnée la qualité.
On suppose que la qualité de la firme n'est pas
observable.
P( q ) = croyance antérieure à propos de la
qualité de la firme .
H(x ;p) = répartition marginale du revenu quand
les croyances antérieures sont données par p .
s = échelle de la firme
P(q s) = P (q /s 1)
(1)
La probabilité pour que la qualité de la firme
soit inférieure à 10 quand l'échelle est deux est la
même que la probabilité pour que la qualité soit
inférieure à 5 quand l'échelle est un .
Le rôle de la dette c'est de donner des informations
concernant la qualité de la firme. La valeur nominale de la dette est D
payable à la fin de la période 1 .
Si la firme parvient à rembourser la dette, les
investisseurs révisent leur opinion concernant la qualité de la
firme.
K ( x, p ) = coûts d'une défaillance de la firme
(audit, interruption des opérations
...)
En cas de défaillance, le paiement anticipé pour
les créanciers est le même que la firme soit liquidée ou
réorganisée.
B = D[ 1 H ( D ;p)] + E[b(x,a,D ,p) h(x ;p) dx
(2)
Avec
B: valeur des obligations lorsqu'elles ont été
émises
Le premier terme de l'équation correspond au paiement
promis multiplié par la probabilité pour qu'il soit
réellement versé .
Le second terme correspond au paiement anticipé en cas
de défaillance .
Le problème de la maximisation de la valeur pour
les actionnaires
Les actionnaires choisissent le niveau d'endettement qui
maximise la valeur de leurs actions en tenant compte des coût de
défaillance et du fait qu'en cas de défaillance une
décision optimale de liquidation, basée sur l'information
disponible, pourra être prise.
Les paiements escomptés par les actionnaires à
la période 1 correspondent : ( i ) au montant payé par les
créanciers pour leurs droits (B) ; (ii) en cas de
défaillance : au revenu de première période x1
diminué des coûts de défaillance K (x,p) et de la somme
versée aux créanciers dont la valeur est b(x,a,D,p) , plus la
majeure partie de la valeur de liquidation ou la valeur actualisée du
revenu de seconde période (si la firme n'est pas
liquidée) ;
(iii) si il n'y a pas de défaillance : à la
valeur actualisée des revenus de la firme sur la période 1et 2,
nette des paiements dû aux créanciers.
Les paiements escomptés par les actionnaires sont
formalisés dans l'équation 3
B + [x Eb(x,a,D,p) + (x,p) K (x,p)] h(x;p) dx
+ [x D + x (D,p)] h(x;p) dx
(3)
où
(x,p) = E[max {L (x,a,p),x (x,a, p)} x,p] (4)
L (x,a,p) : valeur de liquidation
(x,p) : politique optimale
V(p) = max (1+ ) x (p) + [(x,p) K(x,p) x (x,p)] h(x;p) dx
(5)
Le premier terme dans l'équation 5 correspond à
la valeur actualisée du revenu anticipé x(p) aux périodes
1 et 2 étant données les croyances antérieures p et
supposant la continuation des activités de la firme.
Le deuxième terme correspond aux gains anticipés
liés à l'augmentation de la valeur de la firme due à la
poursuite d'une politique optimale .
L'intégrale correspond à la valeur
actualisée du revenu futur sous la politique optimale (x,p), moins les
coûts de défaillance, moins la valeur actualisée de la
poursuite sans conditions x (x,p). Ce qui vient après correspond
à la valeur escomptée pour la période suivante du revenu
anticipé, étant donné le revenu courant x et les croyances
antérieures p.
Plusieurs propositions sont issues de l'analyse de ce
modèle :
Proposition 1
Si la firme a des difficultés financières en
période 1 , la probabilité pour qu'elle soit
réorganisée est indépendante des coûts de
défaillance et du taux d'endettement et diminue quand la valeur de
liquidation (fonction) augmente. Si la fonction de la valeur de liquidation
n'augmente pas avec x (revenu), la probabilité de réorganisation
augmente avec le revenu. Ainsi sous l'hypothèse de rendements
d'échelle constants, la probabilité de réorganisation
dépend du revenu courant x et de l'échelle de l'entreprise.
Proposition 2
Le taux d'endettement optimal diminue lorsque les coûts
de défaillance augmentent et augmente lorsque la valeur de liquidation
augmente.
Le taux anticipé de couverture de la dette
évolue en sens inverse du taux d'endettement. De plus sous
l'hypothèse de rendements d'échelle constants, le niveau de la
dette est proportionnel à l'échelle de la firme et le taux
anticipé de couverture de la dette est indépendant de
l'échelle de la firme .
Proposition 3
Le taux d'endettement et la probabilité de
défaillance évoluent dans la même direction que les
changements dans les coûts de défaillance K et la valeur de
liquidation L . Sous l'hypothèse de rendements d'échelle
constants, la probabilité de défaillance est indépendante
de la taille de la firme.
Proposition 4
La valeur de marché de la firme augmente lorsque la
valeur de liquidation augmente et diminue lorsque les coûts de
défaillance augmentent. Sous l'hypothèse de rendements
d'échelle constants, la valeur de la firme est proportionnelle à
sa taille .
Proposition 5
Sous l'hypothèse de rendements d'échelle
constants, la probabilité pour que les créanciers
reçoivent ce qu'on leur a promis et le ratio de la dette sur la valeur
de la firme sont indépendants de l'échelle de la firme . La
valeur de marché de la dette est proportionnelle à
l'échelle de la firme.
Ce modèle se focalise sur le fait que la dette ou plus
exactement la manière dont elle est remboursée va fournir des
informations aux investisseurs. Ces informations vont permettre aux
investisseurs de contrôler le management et de prendre des
décisions efficientes (poursuite des activités,
réorganisation, liquidation).
Le fait de mettre en balance la valeur créée
grâce aux avantages de la dette avec les coûts de
défaillance conduit à la structure de capital optimale.
Cette théorie souligne l'importance de la valeur de
liquidation, des coûts de défaillance et des croyances des
investisseurs concernant la qualité de la firme.
Elle permet aussi de faire des prédictions concernant
la probabilité de défaillance et la probabilité pour
qu'une firme en détresse financière soit restructurée
plutôt que liquidée.
Les restructurations réalisées au début
du LBO et la réduction du pouvoir discrétionnaire des dirigeants
ne sont pas seules à l'origine des gains de productivité obtenus
dans les LBO . Le fait que les dirigeants soient réellement
associés aux cotés des investisseurs joue aussi un rôle
important.
C) Le mode spécifique de
rémunération des managers
Selon Jensen (1989) le fort taux d'endettement permet aux
dirigeants de détenir une part plus importante du capital car
l'investissement nécessaire pour détenir X% du capital de la
firme est plus faible que dans une entreprise similaire pas ou peu
endettée. Aux USA dans les années 80 les dirigeants
détenaient en moyenne 6.4% du capital de leur unité LBO, la
différence est énorme avec les 0.2% détenus en moyenne par
les managers des entreprises cotées.
Dans les LBO de taille moyenne la participation des managers
peut atteindre plus du quart des actions, si ils sont nombreux .
Ainsi le managers est un véritable investisseur, on
peut lui demander d'investir l'équivalent d'une à deux
années de salaire . L'objectif poursuivi par les financiers
étant que le niveau de risque capitalistique assumé par le
management soit suffisamment important pour que les intérêts des
différents partenaires soient effectivement liés Chérif
(2004) .
Pour le capital investisseur la participation du management
constitue le meilleur gage de son incitation à réaliser les
meilleures performances. Tout le mécanisme va reposer sur la
possibilité pour le management de monter progressivement au capital du
holding (et par conséquent d'augmenter sa part dans la plus value
potentielle lors de la revente de sa participation) et ce, en fonction de
l'accroissement de la valeur de l'entreprise. Cette participation croissante
à la plus value sera mise en place via un système de BSA (bons
à souscription d'actions). Le nombre d'actions auquel il donne droit
dépend finalement du taux de rendement interne atteint. Le TRI est le
fondement même de l'opération à effet de levier ; plus
il est élevé plus l'investisseur réalise un gain important
lors de la revente de l'entreprise . Cependant et inversement, des
mécanismes dilutifs peuvent aussi être mis en place. Dans ce cas
le management dispose dès le départ de la part maximale du
capital à laquelle il peut prétendre en cas de succès
(c'est à dire atteinte du TRI maximum) ;celle ci venant à se
réduire à due concurrence des contre performances
enregistrées lors de la sortie (mécanisme basé sur des
obligations convertibles en actions détenues par le capital
investisseur).
Les formes d'incitation des managers dans le cadre d'un LBO
Chérif (2004)
- Outre la participation des managers au capital, Les
stocks options constituent le second instrument d'intéressement .
Leur nombre est souvent indexé sur le taux de rendement interne de
l'opération, et leur versement peut être réalisé sur
toute la durée du LBO.
- Les bons de souscription d'actions s'apparentent aux
stock options et présentent l'avantage d'une fiscalité
plus favorable.
- Le sweet equity : pour convaincre et
attirer des managers, les opérateurs de LBO n'hésitent plus
à leur faire miroiter une participation accrue aux plus values finales
par le biais du sweet équity. C'est un système qui permet aux
financiers d'accorder aux managers une fraction de leurs plus values par le
biais de montages spécifiques souvent à base d'obligations
convertibles. Si le TRI dépasse un certain seuil, les financiers ne
convertissent pas leurs obligations en actions ce qui permet aux managers de
se partager une part plus importante de la plus value issue de la revente de la
société. Avec les sweet équity ce sont les financiers et
non les managers qui peuvent prendre l'initiative d'exercer ce droit ou non. Le
sweet équity est en revanche potentiellement beaucoup plus
rémunérateur que les stocks options.
Denis (1994) nous rapporte qu'après le LBO de Safeway,
le système de rémunération du management était le
suivant : si l'objectif n'était pas atteint à 90% les
managers ne percevaient pas le bonus, si ils atteignaient l'objectif ils
percevaient la moitié du bonus et si ils dépassaient l'objectif
de 20% ils avaient droit à l'autre moitié. Ainsi les managers
étaient vraiment incités à tout faire pour dépasser
l'objectif .
Le but c'est d'associer le manager aux conditions de revente
pour l'investisseur.
Ce qui est sous jacent à tout cela, c'est le
problème du partage de la valeur entre managers et investisseurs ;
la question est de savoir où se situe le juste équilibre.
Les professionnels du private équity cherchent
aujourd'hui encore des mécanismes pour améliorer le
fonctionnement de leur métier.
Ainsi dans un LBO le manager est un véritable
associé qui travaille main dans la main avec le ou les investisseurs.
Ces investisseurs sont peu nombreux et omniprésents, nous allons voir
que leur contrôle est tout à fait différent de celui
qu'exerçaient les administrateurs des grandes firmes
cotées.
D) Le contrôle minutieux exercé par les
investisseurs
Dans un LBO le fort taux d'endettement fait que la
propriété du capital n'est pas dispersée, les financiers
sont de véritables partenaires pour les managers, ils sont
impliqués dans toutes les décisions stratégiques.
Les membres du conseil d'administration sont bien moins
nombreux que dans les entreprises cotées, les réunions du conseil
sont plus fréquentes et les différents problèmes sont
examinés en profondeur.
Denis (1994) décrit les bouleversements au sein du
conseil d'administration de Safeway Stores, après que celle ci ait
été rachetée par Kohlberg , Kravis et Roberts (KKR).
Notons que le rachat a largement été financé par
l'emprunt ; il s'agissait d'un LBO.
Avant le LBO, Safeway avait un conseil d'administration de 18
membres ; quatre d'entre eux étaient salariés de la firme,
l'un était le frère du PDG et les treize autres
étaient des administrateurs indépendants qui détenaient
une part négligeable du capital.
Après le LBO le conseil n'était plus
composé que de cinq membres : le PDG, le vice PDG et trois
associés de Kohlberg, Kravis et Roberts (KKR). Henri Kravis, Robert
MacDonnell et Georges Roberts qui détenaient 90% du capital. Le PDG et
son bras droit détenaient 3% du capital .
Denis (1994) nous rapporte l'interview réalisée
en 1991 de Peter Magowan PDG de Safeway, non remplacé après le
LBO :
« Je pense que le conseil d'administration de
Safeway lorsqu'elle était cotée était un bon conseil, mais
le niveau d'examen minutieux et de questionnement n'est tout simplement pas
comparable. Lors des réunions avec Kravis, McDonnell et Roberts, rien ne
peut être éludé, et le management doit travailler dur pour
se défendre. C'est juste complètement différent de ce qui
se passe dans les entreprises cotées.»
On comprend aisément pourquoi, lorsque les
administrateurs détiennent 90% du capital d'une firme très
endettée, ils sont plus attentifs et curieux lors des conseils
d'administration .
Si le LBO apparaît aujourd'hui comme un véritable
modèle de gouvernance, il n'est reste pas moins que c'est un mode de
financement qui a ses failles. En effet le fort taux d'endettement comporte des
risques .
§5 Les risques inhérents au LBO
Si le fort taux d'endettement a des avantages, il a aussi des
inconvénients. Durant la deuxième moitié des années
80 environ un tiers des LBO ont été mis en cessation de
paiement . Plusieurs explications ont été avancées,
la plus communément admise est celle de la surévaluation des
firmes cible lors des rachats. Les très bonnes performances des LBO lors
de la première moitié des années 80 ont été
à l'origine de la multiplication du nombre d'offreurs potentiels,
précisons que les enchères pour le rachat de firmes ont
été nombreuses à cette époque. Les offreur se sont
véritablement affrontés, ce qui les a conduits à
surévaluer les cibles ( Holmstrom et Kaplan 2001) .
En matière de LBO il n'existe pas de règle
absolue pour déterminer le levier optimal ; on est dans le domaine
du sur mesure (Chérif 2004). Ces rachats, lors desquels les cibles ont
été surévaluées, ont été à
l'origine de montages financiers trop tendus. Il est arrivé que le
montant de la dette soit dix fois supérieur à celui des capitaux
propres (Jensen 1988). Dans ces circonstances, les dividendes remontés
au holding sont si élevés que la firme ne peut financer son BFR
ou des investissements nécessaires au maintient et au
développement de son activité .
On peut aboutir à des situations de sous investissement
concernant l'outil industriel, les systèmes d'information ou la
recherche et développement et finir avec des équipements non
adaptés aux contraintes réglementaires . Ainsi un fort taux
d'endettement peut se traduire à long terme par une diminution de la
valeur de l'entreprise. A ce sujet Stulz (1990) cité par Shérif
(2004) souligne que dans les firmes où le free cash-flow est
insuffisant, l'utilisation de la dette peut entraîner une diminution de
la richesse des actionnaires. En effet dans une telle situation, les
dirigeants ne peuvent pas convaincre les actionnaires que les fonds sont
insuffisants pour investir dans tous les projets rentables. Ceci est dû
à une asymétrie d'information entre actionnaires et dirigeants
.
Dans une entreprise lourdement endettée, appartenant a
une industrie high-tech , si un choc technologique se produit elle risque de ne
pas avoir les moyens d'investir massivement et rapidement pour ne pas perdre
ses parts de marché, on a donc un exemple de l'impact négatif de
la dette sur la richesse de l'actionnaire .
Bien souvent, ces situations de surendettement conduisent
à la mise en cessation de paiement des entreprises concernées.
Même si les méthodes d'évaluation sont de plus en plus
sophistiquées « monter un LBO , c'est faire
un pari sur la rentabilité future de l'entreprise, sur sa
capacité à maintenir ou à faire progresser ses parts de
marché » Cherif (2004).
Le deuxième écueil qui guette les
LBO correspond aux retournements conjoncturels, ils peuvent
entraîner soit une baisse du chiffre d'affaire soit une augmentation des
coûts d'achat ou encore l'apparition de charges ou d'investissements
exceptionnels nécessaires au maintient de l'activité (par exemple
notre principal concurrent sort un nouveau produit qui rend le notre
obsolète). Ainsi on va avoir des cash-flow inférieurs à
ceux qui étaient prévus dans le business plan initial du LBO et
donc insuffisants pour servir le remboursement de la dette .
Cela nous conduit à nous interroger sur
l'utilité d'un certain pouvoir discrétionnaire pour le manager et
de la présence d'un trésor de guerre dans les caisses de
l'entreprise.
Incontestablement, c'est la discipline imposée par la
dette qui permet de réduire les coûts d'agence. Ainsi on explique
les très bonnes performances des LBO et par là même les
sources des gains issus des rachats .
D'une certaine manière la dette permet de
légitimer la discipline imposée. Plus précisément,
les restructurations sont entreprises sans états d'âme, elles font
partie du plan de remboursement de la dette.
Concernant la réduction du pouvoir
discrétionnaire des managers il n'y a pas que des aspects
positifs. Si un endettement trop faible peut conduire à une diminution
de la valeur de l'entreprise à cause des investissements non rentables
réalisés par les managers, un endettement trop fort peut aussi se
traduire par une diminution de la valeur de l'entreprise (parce que
l'entreprise n'aura pas les moyens de faire les investissements
nécessaires au maintien de l'activité ).
Jensen (1988) nous dit : « Le ratio
optimal dette/actions est celui qui maximise la valeur de la
firme ; le point où les coûts marginaux de la dette
compensent juste le profit marginal. »
Le problème réside dans le fait que des
évènements imprévisibles peuvent se produire ;
l'avenir est irréductiblement incertain. Aucune entreprise n'est
à l'abri d'une nouvelle technologie lancée par un concurrent qui
l'obligerait à investir à son tour pour ne pas perdre ses parts
de marché. Ainsi vouloir enlever tout pouvoir discrétionnaire au
manager en lui imposant un taux d'endettement maximal correspond à une
importante prise de risque pour l'investisseur.
L'idéal est d'avoir un taux d'endettement qui permette
à l'entreprise d'avoir une marge de manoeuvre en cas de problème.
C'est là que le conseil d'administration doit jouer pleinement son
rôle de contrôleur et de guide pour les managers.
Quoi qu'il en soit, le LBO dépasse aujourd'hui le
statut de montage juridico- financier et apparaît comme un modèle
emblématique de gouvernement d'entreprise. Il a permis de
démontrer que les grandes entreprises cotées dans les
années 80 aux Etats Unis étaient loin d'être efficientes.
Le mode de gestion des LBO dans les années 80 a servi d'exemple aux
managers des firmes cotées, les LBO ont forcé les dirigeants
à admettre que tous les capitaux ont un coût et ainsi
contribué à imposer la shareholder value.
Le financement des LBO par les junk bonds a
véritablement bouleversé le fonctionnement de l'économie
américaine dans la mesure où pour la première fois dans
l'histoire, la taille n'était plus une protection contre les OPA.
Face à cette menace, les managers des firmes
cotées ne sont pas restés sans réactions. Au début
de la décennie ils ont commencé par endetter leurs firmes
afin de racheter leurs propres actions, puis, durant la
deuxième moitié de la décennie la riposte s'est
organisée sur le terrain juridique.
Partie 2 : Les réactions des managers face
aux menaces d'OPA
Chapitre 4
Les restructurations défensives
Dans ce chapitre nous considérerons les
restructurations au sens large du terme, c'est à dire que nous
traiterons et des restructurations financières et des restructurations
physiques (cessions d'actifs ...).
Lorsque la menace d'OPA s'est accentuée, le premier
moyen de défense des entreprises a consisté à augmenter
leur taux d'endettement, afin de financer le rachat de leurs propres actions
ou le versement de dividendes spéciaux. Le but étant de faire
remonter rapidement le cours boursier de l'entreprise. Ces rachats ont
été réalisés à grande échelle ;
au milieu des années 80 le montant total des programmes de rachats
d'actions avoisinait les 25 milliards de dollars par an ! En mars 1987
Général Motors annonça la plus importante recapitalisation
de l'histoire : le rachat de 20% de ses titres pour quelques cinq
milliards de dollars. Ces rachats d'actions financés par la dette ont eu
plusieurs conséquences que nous allons évoquer (augmentation
de la part du capital détenue par les managers, augmentation du turnover
managérial). Ce qui est remarquable c'est que ces restructurations
financières ont été associées à
d'importantes cessions d'actifs, qui n'auraient jamais pu être
entreprises sans la menace d'un rachat.
Dans une première section, nous étudierons les
principaux modèles qui font le lien entre le marché du
contrôle des entreprises et la structure du capital de ces
dernières, puis, nous verrons quelles ont été les
conséquences de ces restructurations financières.
Section 1 : Les principaux modèles
La vague de rachats a conduit les auteurs à
étudier les liens entre le marché du contrôle des
entreprises et la structure du capital des firmes.
Ces modèles exploitent le fait que les actions
procurent un droit de vote alors que les obligations n'en procurent pas. En
1991 Harris et Raviv confrontent les trois modèles
principaux : le leur, publié en 1988, celui de Stulz publié
en 1988 et celui d'israel publié en 1991. Dans les deux premiers
modèles, la structure du capital affecte les gains issus du rachat
à travers son effet sur la répartition des votes et plus
précisément sur la fraction du capital possédée par
le management. Dans le modèle d'Israel (1991) la structure du capital
affecte la répartition du cash-flow entre les actionnaires et les
créanciers. Les modèles de Harris et Raviv (1988) et Stulz (1988)
étudient la relation entre la part du capital détenue par le
management et la valeur des actions détenues par les petits porteurs.
La structure du capital va influer sur la part du capital détenue par
les managers, sur la valeur de la firme, sur la probabilité de rachat et
sur le montant de la prime versée par l'offreur. Dans ce qui suit les
modèles seront exposés de manière synthétique et
nous comparerons leurs implications.
§1 Le modèle de Harris et Raviv (1988)
Harris et Raviv (1988) se focalisent sur la capacité du
management en place à agir sur les conditions et la probabilité
de succès de l'OPA en augmentant la part des actions qu'il
détient. Si l'entreprise s'endette pour racheter ses propres actions, le
manager ne vend pas les siennes, ainsi il augmente sa participation. Si
l'entreprise s'endette pour verser un dividende spécial, les managers
convertissent généralement le dividende qui leur revient en
actions ; c'est ainsi qu'ils peuvent accroître la part du capital
qu'ils détiennent.
Dans ce modèle, le management en place et l'offreur ont
des compétences différentes pour gérer la firme. La valeur
de l'entreprise dépend de l'issue de l'OPA.
La part du capital détenue par le management
détermine l'une des trois issues possibles :
- Le rival rachète l'entreprise
- Le management en place garde le contrôle
- L'issue est déterminée par le vote des
investisseurs passifs (bataille de procurations) et cela conduit à la
victoire du meilleur candidat (management en place ou offreur)
Ce qui suit est une version simplifiée du modèle
:
Un manager en place ( I ) possède initialement une
fraction 0 du capital d'une entreprise financée exclusivement par des
capitaux propres. Les actions restantes sont détenues par des
investisseurs passifs.
Le management en place retire des profits ( B ) issus du
contrôle de la firme. Ces profits peuvent être vus comme des
profits privés liés au contrôle ou comme la partie du
cash-flow que le management parvient à détourner.
La valeur du cash-flow généré par la
firme (B exclu) dépend de la compétence du manager. Il y a deux
niveaux de compétence possibles : le niveau 1 et le niveau
2 . Les cash-flow correspondants sont notés Y1 et Y2 avec
Y1Y2 .
En plus du management en place et des investisseurs passifs,
il y a aussi un rival ( R ) pour le contrôle de la firme ; si le
rival rachète il obtient aussi les profits liés au
contrôle. Les compétences du rival et du management en place ne
sont pas observables par toutes les parties, mais tout le monde sait que l'un
est plus compétent que l'autre. Plus exactement, tout le monde sait
qu'il y a une probabilité P pour que le management en place ait une
compétence de niveau 1 et une probabilité 1P pour que le rival
ait une compétence de niveau 1. L'autre a une compétence de
niveau 2 .
Si le manager en place a le contrôle, le cash-flow de la
firme correspond à un montant Yi . Si le rival a le contrôle,
le cash-flow vaut Yr où :
Yi = P Y1 + ( 1 P)Y2 et
Yr = (1P) Y1 + P Y2
Quand le rival apparaît, le management en place choisit
une nouvelle fraction des actions de la firme. Cela est possible
grâce à un changement dans la structure du capital (par exemple,
recapitalisation financée par la dette).
Le rival achète des actions aux investisseurs
passifs ; l'issue de la tentative de rachat dépend d'un vote
à majorité simple où les deux concurrents votent chacun
pour eux. Une fraction des investisseurs passifs vote pour le management en
place, le reste vote pour le rival.
L'OPA peut avoir l'une des trois issues possibles :
- la part détenue par le management en place peut
être si petite que même si le rival est moins compétent il
réussira à racheter. Harris et Raviv (1988) parlent d'une OPA
réussie. La valeur du cash-flow dans ce cas est Yr
- la part du capital détenue par le management en place
peut être si grande que même si il est moins compétent il
gardera quand même le contrôle. On parlera d'OPA manquée et
la valeur du cash-flow dans ce cas est Yi
- finalement, pour une valeur intermédiaire de le
management en place gagnera si et seulement si, il est plus compétent
que le rival. Ce cas est appelé bataille de procuration ; dans ce
cas le meilleur candidat (le plus compétent) gagne et la valeur du
cash-flow est Y1
La valeur du cash-flow Y() de la firme est
déterminée par la part du capital détenue par le
management en place, en fonction de son importance l'un des trois cas ci dessus
prévaudra.
Y 1 est supérieur à Yi et à Yr , si
l'objectif est de maximiser la valeur du cash-flow pour les investisseurs
externes, la valeur de qui provoquera une bataille de procuration sera
optimale.
L'objectif du management en place, en choisissant la
participation , est de maximiser ses gains anticipés. Ces gains
correspondent à la valeur des actions qu'il détient
additionnée des profits privés liés au contrôle,
s'il garde le contrôle.
La valeur des actions détenues par le management en
place est 0 Y ( ) où 0 est la part des actions qu'il détenait
initialement, puisque les transactions qu'il a réalisé pour
changer sa part du capital ont une valeur actualisée nette nulle.
Par conséquent :
- les gains V( ) du management en place sont 0 Yr ; si
l'OPA réussit (le management en place perd les profits liés au
contrôle de l'entreprise)
- les gains du management en place sont 0 Yi + B ; si
l'OPA est manquée (le management garde les profits liés au
contrôle)
- Les gains du management en place sont 0 Y1+ PB si il y a une
bataille de procurations (les gains liés au contrôle sont
conservés avec une probabilité P)
La part optimale du capital détenue par le management
en place est celle qui maximise V(). En particulier, si augmente, la
probabilité pour que le management en place garde le contrôle
augmente, mais si augmente trop, la valeur de la firme et par là
même la richesse du management sont réduites.
Chez Harris et Raviv , est déterminé
indirectement à travers la structure du capital de la firme. En
particulier, le management en place est supposé avoir un montant fixe de
richesse représenté par sa participation initiale 0. Il peut
augmenter sa part en organisant des rachats d'actions auprès des
investisseurs passifs ; ces rachats sont financés par la dette. La
dette réduit la valeur des actions, ce qui permet au management en place
d'acheter une plus grande quantité d'actions avec l'argent dont il
dispose.
Pour maximiser les gains des managers, il faut choisir le taux
d'endettement pour lequel est optimal . Dans ce modèle, les
profits B liés au contrôle diminuent quand le niveau de la dette
augmente (il est plus difficile de détourner du cash-flow car les
créanciers contrôlent les managers). Ainsi dans les trois cas
décrits plus haut, il est optimal de choisir le taux d'endettement le
plus faible, adapté au cas .
Il découle des arguments précédents que
si le cas d'une OPA réussie est optimal, la firme n'aura pas à
s'endetter.
On a aussi montré que généralement les
batailles de procurations nécessitent le recours à l'emprunt et
s'assurer que l'OPA sera manquée nécessite un taux d'endettement
encore plus fort.
Ainsi, les cibles d'OPA doivent augmenter leur taux
d'endettement ; les cibles qui parviennent à repousser l'offreur
s'endettent en moyenne plus que celles qui sont rachetées ou connaissent
une bataille de procurations.
Ainsi, les firmes qui augmentent leur endettement subissent
soit une OPA manquée, soit une bataille de procurations. Dans ce dernier
cas la valeur de la firme reste au niveau Yi en moyenne, tandis que sur la fin
elle augmente au niveau Y1. Ainsi, en moyenne l'augmentation du taux
d'endettement s'accompagne d'une hausse du cours des actions .
Finalement, notons que la fraction des investisseurs passifs
qui votent pour le management en place est déterminée par les
informations reçues par les investisseurs passifs à propos des
compétences des deux candidats. Une plus grande proportion votera pour
le management en place si la probabilité P pour qu'il soit plus
compétent que le rival augmente. Par conséquent le taux
d'endettement nécessaire pour provoquer une bataille de procuration est
moins élevé lorsque le management en place a plus de chances
d'être plus compétent. Ainsi la probabilité pour que la
bataille de procuration soit gagnée par le management en place est
positivement reliée à la probabilité pour que le
management en place soit plus compétent. Puisque c'est le plus
compétent qui remporte la bataille de procurations, la victoire du
management en place est aussi associée à un taux d'endettement
moins élevé. Par conséquent dans un échantillon de
firmes dans lesquelles s'est déroulée une bataille de
procurations, on devrait observer un taux d'endettement moins fort parmi les
firmes où les managers en place ont réussi à garder le
contrôle.
§2 Le modèle de Stulz (1988)
Stulz (1988) se focalise aussi sur la capacité des
actionnaires à affecter l'issue d'une tentative d'OPA en changeant la
part du capital détenue par le management en place .
En particulier, si la part détenue par le management
en place augmente, la prime offerte en cas d'OPA augmente mais la
probabilité pour qu'une OPA survienne et que les actionnaires
reçoivent effectivement la prime diminue. Stulz étudie comment
la part du capital détenue par le management en place est
affectée par la structure du capital.
Le modèle de Stulz peut être
présenté simplement comme suit : comme dans Harris et Raviv
(1988) il y a un management en place, un rival potentiel et un grand nombre
d'investisseurs passifs. Le management en place possède une fraction
des actions et obtient des profits privés issus du contrôle de
l'entreprise. On suppose que le management en place n'offrira pas ses actions
en cas d'OPA .
Le rival peut obtenir un profit aléatoire B lié
au contrôle après le rachat.
Initialement B est inconnu de toutes les parties, le montant
du profit devient connu du rival avant qu'il décide le montant de la
prime qu'il va proposer aux actionnaires.
Pour prendre le contrôle le rival doit réussir
à acheter 50% des actions ; ces actions sont achetées aux
investisseurs passifs. Les investisseurs passifs sont supposés
avoir des prix de réservation hétérogènes lorsqu'il
s'agit de vendre leurs actions.
Plus précisément, s(P) est la fraction des
investisseurs passifs qui vendent si la prime totale payée par le rival
est P. La fonction d'offre ( s ) est supposée être une fonction
croissante de P . Dès lors, le prix minimal que le rival doit
offrir pour acheter 50% des actions P*() satisfait la condition :
s( P*()) (1 ) = 1/2
Ainsi s est une fonction croissante de P , cette
condition implique que la prime offerte P* augmente avec la part du capital
détenue par le management en place . Plus la part détenue par le
management est grande, plus l'offreur devra acquérir une fraction
importante des actions détenues par les investisseurs passifs, et donc
plus il devra verser une prime importante.
Le rival offrira P* si et seulement si son profit potentiel B
est supérieur à P*.
Dès lors, la probabilité pour que les
investisseurs passifs obtiennent la prime P* est :
Pr ( B P*()) = [ P*() ]
Ainsi P* augmente avec et est une fonction
décroissante, la probabilité d'un rachat décline quand
augmente.
Les gains attendus par les investisseurs passifs
sont :
Y() = P*() [ P*() ]
La part détenue par le management en place est choisie
pour maximiser Y.
Comme nous l'avons déjà mentionné, plus
la part du capital détenue par le management en place est importante,
plus la prime perçue par les actionnaires de la cible sera importante en
cas d'OPA réussie mais plus la probabilité d'un rachat
diminue.
Comme dans le modèle de Harris et Raviv , peut
être augmenté en accroissant le taux d'endettement de la firme.
Cependant, Stulz obtient que les cibles d'OPA vont être amenées
à augmenter leur taux d'endettement jusqu'au niveau qui maximise la
valeur pour les investisseurs externes. Les cibles d'OPA hostiles seront plus
endettées que les firmes qui ne sont pas visées. Ainsi devenir
une cible d'OPA est une bonne nouvelle, on peut s'attendre à ce que des
capitaux propres soient remplacés par des capitaux empruntés ce
qui est associé à une augmentation des cours. Notons enfin que la
probabilité de rachat est négativement reliée au ratio
dette/capitaux propres de la cible et que la prime de rachat est positivement
reliée à ce ratio.
§3 Le modèle d'Israel (1991)
L'approche d'Israel (1991) cité par Harris et Raviv
(1991) est similaire à celle de Stulz (1988) . L'augmentation du
taux d'endettement accroît les gains potentiels pour les actionnaires de
la cible, mais réduit la probabilité d'OPA . La raison qui fait
que l'augmentation du taux d'endettement accroît les gains
anticipés pour les actionnaires de la cible est différente de
celle évoquée par Stulz . Israel observe qu'il y a une part des
gains issus du rachat (fixée contractuellement ) qui revient aux
créanciers. Le management de la cible et l'acquéreur
négocient seulement la fraction des gains qui ne revient pas aux
créanciers. La plus grosse partie des gains revient aux
créanciers, les actionnaires de la cible et de l'acheteur se partagent
le reste. Ceux qui récupèrent la plus petite partie des gains
issus du rachat sont les actionnaires de l'acheteur.
Cependant, les actionnaires de la cible ont la
possibilité de s'approprier les gains revenant aux créanciers de
la cible lorsque l'emprunt est contracté. Ainsi, ils s'approprient tous
les gains qui ne vont pas aux actionnaires de l'acheteur. Puisque la dette
réduit les gains des actionnaires de l'offreur, les gains des
actionnaires de la cible augmentent avec le taux d'endettement (si le rachat a
lieu). Le taux d'endettement optimal est déterminé par
l'équilibre entre cet effet et la réduction de la
probabilité d'OPA résultant du fait que plus la cible est
endettée plus la part des gains qui revient aux actionnaires de
l'acheteur est faible.
Le modèle d'Israel peut être résumé
comme suit : on suppose qu'un rachat peut générer un gain
total G (augmentation de la valeur de la firme) mais qu'il correspond
à un coût T . Supposons que la firme a contracté un
emprunt d'un montant D ; dans l'hypothèse d'un rachat la valeur de
cette dette augmente de (D ,G). Si le rachat a lieu, l'acquéreur et
les actionnaires de la cible peuvent se partager le gain net restant GT .
Supposons que les actionnaires de la cible obtiennent une part 1 de ce gain net
et que les actionnaires de l'acheteur obtiennent le reste ( peut être
perçu comme une mesure du pouvoir de négociation de l'acheteur).
Ainsi un rachat aura lieu si et seulement si :
(G T) 0 ou G
(D ,G) T
La probabilité d'un rachat correspond à la
probabilité de réalisation des conditions ci dessus, elle est
notée ( D,T ). En plus, quand les obligations sont émises les
actionnaires de la cible capturent aussi les gains attendus par les
détenteurs d'obligations .
Par conséquent, les gains totaux attendus par les
actionnaires de la cible sont :
Y (D) = E [{(1 [G(D,G)T] + (D,G)} G (D,G) T] (D,T)
=E[{(1) [GT] + (D,G)} G( D,G) T] (D,T)
Comme on peut le voir grâce à cette
dernière expression, les actionnaires de la cible s'approprient une
fraction 1 du total des gains nets issus du rachat plus une fraction des gains
des créanciers de la cible. Le niveau d'endettement optimal est obtenu
en maximisant Y(D). Cela implique que les gains supplémentaires faits
aux dépens des actionnaires de l'acheteur compensent la diminution de la
probabilité pour que le rachat ait lieu.
Israel obtient plusieurs résultats de statique
comparative intéressants :
Premièrement : Si le coût
d'organisation d'une OPA augmente, cela se traduit par une diminution du taux
d'endettement de la cible et par une augmentation de la valeur des actions de
la cible si un rachat a lieu .
Deuxièmement : Si la
répartition des gains potentiels change, le taux d'endettement de la
cible augmente. Un tel changement peut résulter d'une diminution de la
compétence du management en place.
Troisièmement : Plus le pouvoir
de négociation du rival augmente plus le taux d'endettement optimal
augmente. La probabilité de rachat et les gains pour les actionnaires de
la cible (en cas de rachat) diminuent avec le pouvoir de négociation du
rival .
En définitive, on constate que les trois modèles
concluent que les cibles augmenteront leur taux d'endettement en moyenne et que
cela sera accueilli favorablement par les marchés financiers.
Les trois papiers trouvent qu'en moyenne, plus le taux
d'endettement est élevé plus la probabilité de
succès de l'OPA diminue .
Concernant la relation entre la prime versée aux
actionnaires de la cible et le taux d'endettement, Stulz et Israel obtiennent
des résultats opposés.
Chez Stulz, la prime payée aux actionnaires de la cible
augmente avec le taux d'endettement de la cible . Chez Israel, lorsque le
pouvoir de négociation des actionnaires de la cible diminue, le taux
d'endettement optimal de la cible augmente et la fraction des gains issus du
rachat qui revient aux actionnaires de la cible diminue.
Israel montre que les cibles qui sont les plus coûteuses
à racheter sont moins endettées mais que leurs actionnaires
s'approprient une plus grande partie des gains si le rachat a lieu .
Israel prédit aussi que les firmes dont le rachat est susceptible de
procurer des gains importants seront plus endettées .
Les théories que nous venons d'étudier dans
cette section doivent être vues comme des théories traitant de
changements à court terme dans la structure du capital de l'entreprise,
initiés en réponse à une menace de rachat imminente .
Ainsi la structure du capital optimale
préconisée dans ces modèles doit être
considérée comme une réponse à la menace
d'OPA . Ces théories n'ont rien à voir avec la structure
à long terme du capital des firmes.
Venons en maintenant aux différents paiements
défensifs et à leurs conséquences .
Section 2 : Les paiements défensifs
financés par la dette
Au milieu des années 80, les programmes de rachats
d'actions annoncés par les firmes avoisinaient les 25 milliards de
dollars par an . Les versements de dividendes spéciaux
financés par l'emprunt ont aussi été fréquents. De
nombreux managers, devant l'imminence du danger, annoncèrent des
programmes de rachats d'actions, financés par l'emprunt, de plus ou
moins grande envergure. Les recapitalisations ou les versements de dividendes
correspondaient à la première phase du plan de
restructuration ; la deuxième phase consistait à
réduire le taux d'endettement (souvent très élevé
après les recapitalisations) en vendant les actifs les moins
rentables . Ainsi les restructurations financières
justifiées par la menace d'OPA permettaient de légitimer les
restructurations physiques car il était nécessaire de
réduire le fort taux d'endettement.
§1 Le green-mail et les recapitalisations
duales :deux modes particuliers de rachats d'actions
A) Le green-mail
Cette défense tire son nom de la contraction de
greenback (billet d'un dollar) et de blackmail (chantage), elle consiste pour
la société cible à négocier l'échec de
l'offre en rachetant ses titres à l'offreur à un prix
supérieur à celui de l'OPA.
L'attaquant , après s'être engagé
à ne pas renouveler son offre, se retire après avoir fait une
plus value sur la vente de ses titres.
A cette époque les primes proposées par les
offreurs aux actionnaires des cibles avoisinaient les 30% , on comprend
facilement pourquoi les green-mails étaient mal accueillis par les
marchés (pertes allant de 2% à 5% pour les actionnaires de la
cible) , ils peuvent être assimilés à de mauvaises
opérations financières.
Cette défense est un moyen pour les managers de
conserver le contrôle de l'entreprise ; même au prix d'une
perte pour les actionnaires.
Manry et Nathan (1999) trouvent une relation non
linéaire entre la prime de green-mail versée par la cible et la
part du capital détenue par les administrateurs internes
(salariés de l'entreprise). La relation est négative
jusqu'à 15% et devient positive au delà. Cela n'est pas en accord
avec l'idée selon laquelle l'augmentation de la part du capital
détenue par les managers contribue toujours à aligner les
intérêts des managers avec ceux des actionnaires . Cela
suggère plutôt que l'augmentation de la propriété
managériale conduit finalement à l'enracinement des managers
(qui veulent garder le contrôle de la firme même si c'est contraire
aux intérêts des actionnaires).
A l'issue du green-mail la part du capital détenue
par les managers augmente. On retombe donc sur la question de savoir si
l'accroissement de la part du capital détenue par les managers permet un
meilleur alignement des intérêts des actionnaires et des managers
et ou l'enracinement de ces derniers. Quelle part du capital les managers
doivent ils détenir pour que la création de valeur pour les
actionnaires soit maximale ?
B) Les recapitalisations qui divisent les actions
de l'entreprise en deux catégories
Ces plans séparent les actions de l'entreprise en deux
catégories avec différents droits de vote. Il existe plusieurs
techniques, le but est de permettre aux managers ou aux familles actionnaires
d'avoir des droits de vote disproportionnés par rapport à la part
du capital qu'ils détiennent.
Ainsi il va y avoir des actions sans droits ; Lease, Mc
connell et Mikkelson (1983) cités par Jarrell, Brickley, Netter (1988)
ont montré que les actions avec droit de vote ont une valeur de 1%
à 7% supérieure à celles qui n'en ont pas .
De Angelo et De Angelo (1985) cités par Brickley et al
(1988) trouvent qu'en moyenne après ce type de recapitalisations, le
management et les familles contrôlent 57% des droits de vote. Cependant
De Angelo et De Angelo suggèrent que les actionnaires des firmes de cet
échantillon peuvent avoir intérêt à limiter la
compétition pour le management de leurs firmes, selon eux la
réduction de la probabilité d'OPA peut inciter les managers en
place à faire des investissements de long terme en capital humain.
Deux études ont été
réalisées dans le but de savoir si les structures doubles sont
bénéfiques ou pénalisantes pour les actionnaires.
Partch (1987) cité par Brickley et al (1988) a
examiné la réaction des marchés lors de l'annonce d'une
recapitalisation duale dans quarante quatre firmes, elle trouve un effet
non négatif. Cependant, Jarrell et Poulsen (1988) cités par
Brickley et al (1988) trouvent un effet négatif ( 0.93%) . Ils mettent
aussi en évidence le fait que les firmes qui entreprennent ce type de
recapitalisations ont un profil particulier : de très bonnes
performances boursières avant la recapitalisation (+37% durant
l'année précédente) , les salariés de ces firmes
détenaient en moyenne 44% des droits de vote avant la recapitalisation
or nous savons que les rachats d'actions augmentent significativement les
droits de vote des salariés.
Ces caractéristiques suggèrent que la firme type
qui entreprend une telle recapitalisation est déjà
contrôlée par les actionnaires salariés .
Les deux catégories de rachats d'actions que nous
venons d'évoquer ne sont pas représentatives de l'ensemble des
recapitalisations réalisées durant les années 80 . En
effet la majeure partie des rachats d'actions n'appartenaient à aucune
de ces deux catégories ; il s'agissait de rachats classiques.
§2 Les conséquences des paiements
défensifs financés par la dette
Lorsque l'on parle de paiements défensifs on parle soit
de recapitalisations soit du versement de dividendes spéciaux .
Généralement, les rachats d'actions sont bien accueillis par les
investisseurs (Vermaelen 1981, Lakonishok et Vermaelen 1990, Comment et
Jarrell 1991 cités par Nohel et Tarhan 1998). Cependant Denis (1990)
trouve que les dividendes spéciaux sont beaucoup mieux accueillis par
les marchés que les rachats défensifs, 1.62% pour ces
derniers, + 2.66% en moyenne pour les dividendes spéciaux ( Denis
1990). Dans son échantillon seulement trois des trente sept paiements
défensifs réalisés furent suivis par un transfert de
contrôle, alors qu'il y a eu changement de contrôle dans neuf
cas sur douze quand le paiement n'a pas été
réalisé.
Ces deux types de paiements ont eu plusieurs
conséquences : la part du capital détenue par le
management, le taux d'endettement des cibles et le turnover des managers ont
augmenté. Mais ces restructurations ont aussi et surtout
entraîné d'importantes cessions d'actifs qui ont bouleversé
l'industrie américaine.
A) L'augmentation de la part du capital détenue
par le management
Comme nous l'avons évoqué
précédemment, ces paiements permettent aux managers de
détenir une part du capital plus importante .
Lors du versement d'un dividende spécial, les managers
convertissent le dividende qui leur revient en actions . Denis (1990) trouve
que la part moyenne détenue par le management passe de 5.6% avant le
versement du dividende spécial à 18.9% après . Lorsqu'il
s'agit de rachats d'actions le phénomène est de moins grande
ampleur, on passe de 5% avant à 11.2% après.
Lorsqu'on observe ce type de modifications, on ne peut
s'empêcher de songer à nouveau au problème de l'alignement
des intérêts des actionnaires et des managers et ou de
l'enracinement des managers lorsque la part du capital détenue par ces
derniers augmente. Cependant, les résultats concernant le turnover des
managers ayant réussi à repousser une OPA ne semblent pas
confirmer l'hypothèse de l'enracinement .
B) Le turnover des managers à la suite d'un
paiement défensif
Denis (1990) trouve que dans les firmes où le
management est parvenu à repousser l'offreur 5.4% des managers ont
été remplacés entre l'annonce du paiement défensif
et sa mise en oeuvre, au bout d'un an 35.1% avaient été
remplacés, au bout de deux ans 46% , et au bout de trois ans
54.1% des managers avaient été remplacés.
Klein et Rosenfeld (1988) cités par Denis (1990)
trouvent que 40.2% des firmes de leur échantillon ont connu un
changement de manager dans les trois ans qui suivirent le green-mail.
Ce sont des taux de turnover nettement supérieurs
à ce qui est considéré comme normal . Ainsi, ces
études auraient plutôt tendance à invalider
l'hypothèse de l'enracinement ; on constate que les paiement
défensifs ne permettent pas aux managers de s'isoler de la discipline
imposée par les marchés.
L'autre explication que l'on peut avancer pour expliquer ces
turnovers élevés, c'est que l'augmentation du taux d'endettement
rend nécessaires des restructurations que le management en place n'est
pas capable de mettre en oeuvre . Ce qui est incontestable c'est que tous ces
paiement défensifs se soldent par un accroissement du taux
d'endettement.
C) L' augmentation du taux d'endettement et ses
conséquences
1 Les restructurations
Denis (1990) trouve qu'en moyenne le taux d'endettement passe
de 21% avant à 42.6% après le paiement défensif .
Saffieddine et Titman trouvent qu'en moyenne les firmes qui ont subi une
tentative d'OPA (entre 1982 et 1991) ont augmenté
considérablement leur taux d'endettement durant l'année qui a
suivi . Avant la tentative d'OPA le taux d'endettement moyen des firmes de
l'échantillon était de 59.8% , un an après la
tentative d'OPA il était de 71.5% .
Une augmentation brutale du taux d'endettement peut avoir des
conséquences positives sur une firme qui génère beaucoup
de cash-flow libre. En effet, l'impératif lié au remboursement de
la dette peut être à l'origine de la crise qui motivera
l'arrêt des programmes d'expansion et la vente des divisions qui auraient
plus de valeur à l'extérieur de la firme (Jensen 1986)
.
En accord avec Jensen, Saffieddine et Titman (1999)
trouvent que les firmes qui ont accru leur endettement plus que la moyenne de
l'échantillon ont en moyenne versé à leurs
actionnaires, dans l'année qui a suivi l'OPA manquée, une somme
équivalente à 5% de leur capitalisation boursière sous
forme de dividendes spéciaux . Durant cette même année
ces firmes ont racheté en moyenne plus de 11% de leurs actions.
Autres résultats intéressants : entre
l'année - 1 et l'année +3 , ces firmes ont réduit de
28% leurs dépenses en capital ; leurs cessions d'actifs ont
augmenté de 45% en deux ans et elles ont réduit leurs effectifs
de plus de 5.5% durant l'année qui a suivi l'OPA . Les
résultats statistiques indiquent aussi que ces firmes se sont
recentrées . Leur cash-flow (compte tenu de la variation de la
valeur comptable des actifs) s'est accru de 14.5% en quatre ans, ce qui n'est
pas exclusivement dû aux cessions d'actifs mais aussi à une
amélioration de la motivation des managers. Conformément à
ces résultats, l'étude conduite par Nohel et Tarhan (1998) montre
que la plupart des rachats d'actions s'inscrivent dans un plan de
restructuration plus global qui inclus d'importantes cessions d'actifs .
Denis (1990) constate que 24 des 37 firmes de son
échantillon (firmes ayant réalisé un paiement
défensif ) ont entrepris des restructurations ;onze d'entre elles
ont réduit leurs effectifs. Les choses se passent un-peu comme si les
managers de la firme ayant échappé au rachat mettaient en oeuvre
les restructurations qu'aurait entrepris le raider.
De plus, un fort taux d'endettement permet de réduire
les dépenses discrétionnaires des managers et évite que
ces derniers n'investissent le cash-flow libre dans des projets pas ou peu
rentables (Jensen 1986, 1989) .
Nohel et Tarhan (1998) trouvent que les firmes qui avaient un
ratio Tobin's Q faible avant le rachat de leurs actions ont, trois ans
après, amélioré leurs performances opérationnelles
de 23.3% .
Tous ces résultats empiriques corroborent
l'idée de Jensen selon laquelle, c'est l'impératif lié au
remboursement de la dette qui va déclencher la crise à l'origine
des restructurations. C'est à travers des programmes comme ceux
là, que la shareholder value a commencé à s'imposer ;
c'est la menace d'OPA qui a conduit les managers à changer d'état
d'esprit.
Cependant comme nous l'avons déjà dit,
l'accroissement du taux d'endettement augmente la vulnérabilité
de la firme face à un retournement conjoncturel.
2 Les difficultés rencontrées par
les firmes endettées
L'augmentation du taux d'endettement à l'issue d'une
recapitalisation n'a pas toujours eu des conséquences positives. Denis
et Denis (1995) constatent que 31% des firmes qui se sont endettées pour
racheter leurs actions entre 1985 et 1988 ont ensuite rencontré des
difficultés financières. Il semblerait que ces firmes aient eu
des problèmes pour céder les actifs qu'elles avaient prévu
de vendre aux prix prévus ; les estimations suggèrent que si
elles avaient pu vendre aux prix prévus elles auraient pu
rembourser.
Le premier élément qui permet d'expliquer
la réduction de liquidité du marché des actifs, c'est la
récession qui a frappé les USA à la fin des années
80 . Cependant, la restriction des conditions d'émission des
obligations à haut risque (junk bonds) en 1989 a certainement
contribué à rendre le marché des actifs moins liquide en
diminuant les fonds disponibles pour l'achat des actifs .
Pour Jensen (1991) cité par Denis et Denis (1995) les
changements dans la réglementation ont contribué à
augmenter la probabilité de défaillance des transactions à
fort levier financier en réduisant les possibilités pour les
firmes en détresse de recontracter avec leurs créanciers.
Palepu et Wruck (1992) cités par Denis et Denis (1995)
considèrent que les rachats d'actions défensifs ont tendance
à être moins bien structurés que les rachats d'actions
volontaires. Cependant d'après Denis et Denis (1995) ce ne fut pas la
principale cause de détresse financière.
Ainsi, c'est la menace d'OPA qui a conduit des centaines de
grandes entreprises cotées à racheter leurs actions en
s'endettant, puis à se restructurer. Ces plans de restructuration ont
fait brutalement remonter les cours des entreprises concernées. En
quelque sorte, les managers en place ont fait sous la pression des raiders ce
que ces derniers auraient fait si ils avaient racheté
l'entreprise . La menace d'OPA a servi d'argument aux PDG qui ont ainsi pu
faire accepter les restructurations aux syndicats et aux autres groupes de
pression .
A travers ces plans de restructuration défensifs c'est
la shareholder value qui a commencé à s'imposer, les managers ont
dû reconnaître qu'ils n'avaient pas tout fait pour maximiser la
valeur pour les actionnaires.
On peut considérer que les restructurations
correspondaient à cette époque à la défense
anti-OPA la plus loyale vis à vis des actionnaires. Cependant, à
partir de 1988 un nouveau type de défenses a commencé à
s'imposer : les pilules empoisonnées et les lois anti-OPA .
Chapitre 5
La généralisation des clauses et des lois
anti-OPA
La première pilule empoisonnée (shareholder
right plan) fût inventée en 1983 par l'avocat d'affaire Wachtell
Lipton . Cependant l'adoption des pilules ne se banalisa qu'à
partir de 1985 ; en 1989 30% des firmes étaient
protégées par une pilule empoisonnée. C'est aussi au
début des années 80 qu'apparurent les premières lois
anti-OPA, peu nombreuses jusqu'en 1988 elles se multiplièrent cette
année là. Si en 1986 seul 6% des firmes étaient
protégées par une loi ou une clause anti-OPA, en 1989 elles
étaient 87% à être protégées. Le lobby des
managers est en grande partie responsable de la généralisation de
ce type de défenses.
Dans une première section nous présenterons
les principales clauses et lois anti-OPA, puis, nous tenterons d'analyser les
conséquences de l'adoption de ces protections sur le déroulement
des OPA et sur la richesse des actionnaires . Dans une dernière
partie nous tenterons d'analyser les causes de la diminution du nombre de
rachats à la fin des années 80 .
Section 1 : Présentation des principales mesures
anti-OPA
Ces clauses affectent les contrats liant les managers aux
administrateurs, les contrats liant les administrateurs aux actionnaires et
donc la vulnérabilité de la firme face aux OPA. Parmi les clauses
anti-OPA nous devons faire la distinction entre les pilules empoisonnées
et les autres clauses. Les pilules empoisonnées regroupent un ensemble
de défenses anti-OPA statutaires ; le principe commun à
toutes les pilules est qu'elles ont la faculté de s'activer en cas
d'attaque sur la cible et d'être désactivées en cas d'offre
amicale. Il est possible pour un conseil d'administration d'adopter une pilule
une fois que l'entreprise fait l'objet d'une OPA .
§1 Les principales pilules empoisonnées
Il existe différents types de pilules, plus ou moins
gênantes pour les offreurs potentiels.
A) Les flip-in rights plans
Ces plans sont élaborés par le conseil
d'administration puis soumis à l'approbation de l'assemblée
générale des actionnaires.
La mise en place d'une telle pilule permet aux actionnaires
d'acquérir un droit de souscription. Les détenteurs de ce droit,
à l'exception de l'initiateur de l'offre, ont la possibilité de
souscrire à des actions nouvelles à un prix réduit (en
général la moitié du cours de bourse) lorsqu'un
actionnaire hostile vient à dépasser un certain seuil du capital
de la société. Ce mécanisme cache tout simplement une
augmentation de capital, réservée aux anciens actionnaires,
à un prix très favorable. Il provoque une dilution de la
participation de l'attaquant et augmente ainsi le coût total de
l'OPA .
B) Les flip-over right plans
Cette pilule statutaire est une sophistication de la
précédente. Elle est née de la constatation qu'une grande
partie des OPA réussies aux Etats-Unis se soldent par la fusion de la
cible et de l'attaquant. Dès que la pilule est activée elle
permet aux anciens actionnaires d'acquérir à un prix
réduit soit des actions de la société absorbante
(une fois la fusion absorption réalisée ), soit des actions
de la société nouvelle (en cas de fusion proprement dite avec
disparition des deux sociétés existantes ). Contrairement aux
flip-in plans, les flip-over plans entraînent une dilution de la
participation de l'offreur dans le capital de la structure juridique
adoptée après l'OPA et non plus dans celui de la
société cible. Cette pilule est donc d'autant plus dangereuse
qu'elle affaiblit la position de l'attaquant directement dans la
société qu'il contrôle. Cette pilule est très
répandue aux Etats-Unis .
C) Les fair price provisions
La spécificité d'une clause de juste prix est de
dissuader l'initiateur d'une OPA de s'engager dans une opération de
fusion. Cette pilule ne s'active en effet qu'une fois l'OPA réussie et
le contrôle obtenu par l'initiateur, si les dirigeants décident de
fusionner les deux sociétés. L'initiateur doit alors proposer aux
minoritaires qui n'avaient pas apporté leurs titres à l'OPA des
conditions d'échange comparables à celles proposées au
cours de l'offre publique. L'adoption de cette pilule permet de
décourager l'initiateur d'une OPA en augmentant le coût qu'il
devra supporter pour pouvoir fusionner avec la société
visée. Cette clause équivaut en fin de compte à
contraindre l'initiateur à lancer une offre publique sur 100% des titre
de la société visée.
D) Les preferred stocks plans ou dispositifs à
titres privilégiés
Les preferred stock plans font partie des toutes
premières mesures anti-OPA adoptées par les
sociétés américaines durant la première
moitié des années 80. Ces plans instaurent la possibilité
pour les actionnaires de percevoir l'équivalent du dividende annuel sous
la forme d'actions privilégiées remboursables.
Le privilège attaché à ce type d'actions
est le suivant : le porteur a le droit d'exiger l'amortissement de ses
actions privilégiées en cas de prise de participation hostile
supérieure à un seuil statutaire (en général 30% du
capital). De plus, le remboursement se fait automatiquement au prix le plus
élevé payé par l'attaquant, au cours des douze derniers
mois, pour acquérir les actions de la cible (donc au minimum au prix de
l'offre). Ces actions sont cessibles mais l'attaquant qui provoque le
déclenchement de cette pilule ne profite pas du droit au remboursement
si il possède des actions privilégiées. Il peut en
revanche acquérir des actions privilégiées car elles
conservent toujours un droit de vote.
Si l'attaque par OPA hostile réussit et débouche
sur la fusion de la société initiatrice et de la cible, les
actions privilégiées seront converties (en actions de la nouvelle
société ou de la société absorbante ) sur la base
du prix le plus élevé payé par l'acquéreur au cours
des douze derniers mois .
L'intérêt de cette pilule en période
d'offre est de réduire le volume de titres apportés à
l'initiateur en pariant sur le comportement rationnel des actionnaires qui
cherchent à maximiser leur investissement. En effet , le
détenteur d'actions privilégiées a intérêt
à ne pas apporter ses titres à l'offre et à attendre la
fin de celle ci pour, une fois le seuil statutaire dépassé par
l'attaquant, user de son droit à l'amortissement .
Ces plans sont contestables pour deux raisons : d'abord
ils supposent un prélèvement sur les biens sociaux au profit des
actionnaires privilégiés, de plus ils contribuent à
l'appauvrissement de la société en aggravant sa situation
financière.
L'invention de pilules beaucoup plus dissuasives (flip-in ,
flip-over) à contribué au déclin des preferred stock
plans.
E) Les back-end right plans ou dispositifs à
droits en arrière
Cette pilule est apparue pour la première fois aux USA
en 1984, c'est une variante améliorée du dispositif à
titres privilégiés. Comme son modèle, elle se
déclenche lorsqu'un attaquant vient à détenir une
participation supérieure à un certain seuil statutaire. Les
back-end right sont des droit offerts aux actionnaires, qui rattachés
à des actions ordinaires peuvent être remboursés non plus
au prix le plus élevé payé par l'attaquant au cours des
douze derniers mois mais à un prix fixé statutairement
supérieur de 8% à 92% à celui du marché. Comme les
actions privilégiées, la détention de droits en
arrière permet de sortir de la société dans de bonnes
conditions tout en limitant le volume des titres apportés à
l'offre.
F) Les springing voting rights ou droits de vote
bondissants
Une société distribue à ses actionnaires
des actions auxquelles aucun droit de vote n'est rattaché. Toutefois une
clause statutaire leur permet de les récupérer sous certaines
conditions. Ainsi lorsqu'un raider vient à détenir un certain
pourcentage des actions à droit de vote de la société (en
général 30%), la pilule s'active et les actions retrouvent leurs
droits de vote .
L'intérêt d'une telle pilule est
d'entraîner la dilution de la participation du raider dans le total des
droits de vote et , dans la mesure où ce dernier souhaite obtenir le
contrôle de la société , de renchérir
considérablement le coût de son offre.
G) Les suicides poisons pills
C'est une clause statutaire qui vise à compromettre la
pérennité de la société en cas de changement de
contrôle consécutif à une OPA. Une telle disposition
contraint l'initiateur de l'offre à rembourser la totalité de la
dette de la société, généralement dans un
délai de trois mois après la prise de contrôle .
Une telle clause est toutefois préjudiciable aux
actionnaires restés fidèles à la société
puisqu'elle risque de mener cette dernière à la faillite dans le
cas où la société ne pourrait pas rembourser la
totalité de sa dette .
§2 Les autres clauses anti-OPA
Hormis les pilules empoisonnées, il existe un grand
nombre de clause statutaires anti-OPA. Elles peuvent être
adoptées lors de la création de la société ou
ultérieurement ; voici les principales :
A) Blank check preferred stock
Cette clause permet aux administrateurs proches des managers
d'émettre des titre privilégiés pour lesquels ils ont
toute discrétion concernant les droits de vote, les dividendes et
autres droits. Ces titres privilégiés sont émis en cas
d'offre hostile .
B) Classified board
Dans un tel conseil les administrateurs sont divisés
en plusieurs catégories et les mandats électifs de ces
différents administrateurs se chevauchent. Par exemple, dans une firme
avec trois catégories d'administrateurs, chaque année, on ne peut
remplacer plus d'un tiers des administrateurs. Ainsi un offreur hostile devra
patienter trois ans pour remplacer tous les administrateurs, même s'il a
réussi à obtenir la quasi totalité des droits de vote.
C) Stakeolder clause
Cette clause permet au conseil d'administration de rejeter,
avec une base légale explicite, une OPA attractive pour les
actionnaires. Si le conseil estime que les restructurations et autres
réformes proposées par l'offreur seront préjudiciables aux
salariés , aux fournisseurs et autres communautés, il a la
possibilité légale de rejeter l'offre. Notons que cette clause
est tout à fait contraire à la shareholder value.
D) Shareholder meeting requirement
Cette clause vise à empêcher les manoeuvres des
offreurs pour contourner le processus normal de prise de décision dans
l'entreprise. Ces clauses incluent des règles qui interdisent aux
actionnaires autres que les administrateurs ou les managers d'organiser des
assemblées générales d'actionnaires, ou qui imposent
une super-majorité d'actionnaires pour organiser une assemblée
générale spéciale.
E) Les clauses de super-majorité
Ces clauses stipulent que les décisions prises en
assemblée générale doivent être approuvées
par 75% ou 85% des actionnaires (alors que normalement la majorité
simple suffit). Ces taux excèdent souvent le niveau de participation des
actionnaires aux assemblées générales, ce qui rend ces
votes très coûteux.
Ces clauses concernent le remplacement des administrateurs,
les ventes d'actifs ou les fusions.
F) Les droits de vote inégaux
Cette clause instaure deux catégories d'actions, les
une ont des droits de vote supérieurs à ceux des autres. En
général les actions à droit de vote supérieur sont
concentrées entre les mains d'actionnaires proches du management en
place.
Cette liste n'est pas exhaustive ; toutes ces clauses ont
pour objectif d'augmenter le coût du rachat. Peu nombreuses jusqu'en 1988
les lois anti-OPA se sont multipliées cette année là,
grâce aux pressions exercées par le lobby des managers . Dans le
paragraphe qui va suivre nous décrirons les principales lois.
§3 Les lois anti-OPA
C'est l'état du Delaware qui fût à l'avant
garde concernant la législation et la jurisprudence anti-OPA .
A) Freeze out law
Ce type de loi interdit à un actionnaire important de
racheter une firme protégée sans avoir obtenu l'accord des
administrateurs de cette firme et ce durant un nombre d'années
précisé. Même après la période de gel, la
plupart des freeze out laws autorisent le rachat seulement s'il satisfait la
clause de juste prix (fair price provision).
Cette loi adoptée par l'état du Delaware en 1988
concerne un grand nombre d'entreprises. Elle requière une période
d'attente de trois ans, elle autorise les rachats durant cette période
seulement si ils sont approuvés par deux tiers des votants à
l'assemblée générale (offreur exclu).
B) Control share acquisition law
Le premier état à adopter cette loi fût
l'Ohio en 1982 ; cette loi requière l'approbation des actionnaires
avant qu'un nouveau grand actionnaire puisse voter en assemblée
générale. Elle concerne les grands actionnaires qui ont
dépassé un certain seuil (un cinquième) dans le capital de
la société protégée .
C) Fair price law
Ce type de loi impose des contraintes similaires à
celles imposées par les fair price provisions. En général,
cette loi interdit le rachat de la firme par un grand actionnaire tant que
l'une des deux conditions ci dessous n'est pas satisfaite :
- le rachat est approuvé par 80% de tous les votants
à l'assemblée générale et par les deux tiers des
votants excepté l'offreur.
- Les actionnaires reçoivent un prix fixé
(très élevé) pour les actions qu'ils vendront à
l'acheteur.
D) Cash-out law
Ce type de loi oblige l'actionnaire qui rachète plus
de 20% des titres d'une société à avertir tous les autres
actionnaires de son projet de rachat . Ces derniers ont alors le droit de
vendre leurs actions à l'offreur à un prix au moins aussi
élevé que le prix le plus élevé payé par
l'offreur durant la période où il a acheté ses titres.
Cette loi à été adoptée par seulement trois
états .
E) Les lois d'approbation des pilules
empoisonnées
Ce type de loi donne explicitement le droit aux entreprises
d'adopter des pilules empoisonnées. Ces lois ne sont pas
négligeables car elles donnent la certitude que les pilules ne pourront
pas être contestées juridiquement.
Toutes ces lois et clauses ont incontestablement
gêné le fonctionnement du marché du contrôle des
entreprises en augmentant les coûts subis par les acheteurs. Mais quel
est l'impact de ces clauses sur la richesse des actionnaires des
cibles ?
Section 2 : L'analyse de la réaction des
marchés financiers à de l'annonce de l'adoption de pilules
empoisonnées
L'adoption de pilules empoisonnées s'accompagne
généralement d'une faible baisse des cours . Ryngaert (1988)
a examiné l'évolution des cours de 283 entreprises ayant
adopté des pilules empoisonnées en 1986 , il trouve une
baisse moyenne de 0.34% . Malatesta et Walkling (1988), après avoir
examiné un échantillon de 132 firmes ayant adopté des
pilules, trouvent une baisse moyenne de 0.92% . Karpoff et
Malatesta (1989) constatent une baisse moyenne de 0.3% après avoir
examiné l'évolution des cours de 1505 firmes dans vingt six
états différents ayant adopté une loi anti-OPA. Ces trois
études sont citées par Comment et Schwert dans leur article de
1995.
Il est possible d'identifier trois effets correspondant
à l'adoption d'une pilule . Le premier correspond à une
perte de richesse pour les actionnaires ; les pilules ont pour objectif
d'augmenter les coûts d'une OPA pour l'offreur donc la probabilité
pour que la firme reçoive une offre de rachat diminue. Ainsi la
probabilité pour que les actionnaires de la cible touchent la prime
liée au rachat est réduite. Ce premier effet correspond à
une baisse des cours . Notons que cet effet peut être pollué
par le fait que beaucoup de managers attendent que l'OPA soit imminente pour
adopter une ou des pilules empoisonnées. Le deuxième effet
augmente la richesse des actionnaires car la pilule accroît le
pouvoir de négociation des managers vis à vis de l'offreur. La
pilule peut être désactivée par les managers en cas
d'accord trouvé avec l'offreur, ils vont ainsi pouvoir négocier
une prime de rachat plus élevée, ce qui est en accord avec les
intérêts des actionnaires de la cible. Le troisième effet
n'est pas évoqué par Comment et Schwert (1995), il est lié
à l'enracinement des managers . La pilule en augmentant les
coûts pour l'offreur isole les managers de la discipline imposée
par le marché.
Ainsi Borokhovich, Brunarski et Parrino (1997) mettent
en évidence le fait que les PDG des firmes ayant adopté des
clauses anti-OPA étaient mieux rémunérés que la
moyenne des PDG des firmes de leur échantillon. Non seulement ces PDG
étaient mieux payés que la moyenne avant l'adoption des pilules
mais leur rémunération a augmenté durant les trois
années qui ont suivi l'adoption. Borokhovich, Brunarski et Parrino
(1997) en déduisent que les PDG ont utilisé les clauses anti-OPA
pour augmenter encore leur niveau de rémunération. Cheng, Nagar
et Rajan (2001) cités par Arye Bebchuk et Fried (2003) trouvent que les
PDG des firmes implantées dans des états ayant promulgué
des lois anti-OPA entre 1984 et 1991, ont ensuite réduit leur part dans
le capital de la firme d'en moyenne 15% ; apparemment parce qu'une telle
participation ne leur était plus nécessaire pour maintenir le
contrôle.
Les études empiriques plaident donc en faveur d'un
enracinement des managers, permis par l'adoption des pilules
empoisonnées.
Une fois ces trois effets mis en évidence, la
difficulté est d'identifier les facteurs qui vont faire que tel ou tel
effet va dominer les deux autres (composition du conseil
d'administration, part du capital détenue par les managers...) .
Brickley, Coles et Terry (1994) ont fait une démarche
en ce sens en cherchant à vérifier l'hypothèse selon
laquelle les conseils d'administration dominés par des administrateurs
internes utilisent les pilules empoisonnées pour empêcher les
rachats (ils ne désactivent pas la pilule même si l'offre est
intéressante pour les actionnaires) tandis que les conseils
dominés par des administrateurs externes utiliseraient les pilules pour
négocier des primes de rachat plus élevées .
Il trouvent qu'en moyenne les investisseurs réagissent
plutôt favorablement (+ 0.94) à l'annonce de pilules lorsque le
conseil de la cible est dominé par des administrateurs externes et
réagissent plutôt défavorablement ( 0.31%) lorsque le
conseil est dominé par des administrateurs internes. Si ils n'ont pas
réussi à montrer que les offres de rachat lancées contre
des cibles dominées par des administrateurs externes
réussissaient plus fréquemment que les offres lancées
contre des cibles dominées par les managers, ils ont en revanche
montré que la présence d'administrateurs externes favorisait
l'évolution de l'offre vers une enchère. Lorsque les cibles sont
dominées par des administrateurs externes, 85.7% des offres
évoluent vers une enchère (bataille entre offreurs) alors que
lorsque le conseil des cibles est dominé par les managers, seules 23.5%
des offres évoluent vers une bataille entre offreurs. Ces batailles
entre offreurs sont évidemment profitables aux actionnaires de la cible
et défavorables au actionnaires de l'acheteur.
En définitive les études empiriques
réalisées sur l'impact de l'adoption de pilules sur la richesse
des actionnaires constatent toutes un effet négatif . Cependant il
n'y a pas de consensus quand à l'ampleur de cet effet (Malatesta et
Walkling 1988, Ryngaert 1988, Lee 1988 cités par Chakraborty et Baum).
L'impact des pilules sur la richesse des actionnaires de la cible dépend
de nombreux facteurs tels que l'opportunisme des managers, lui même
lié à la composition du conseil d'administration . La
situation financière de la cible et la stratégie mise en oeuvre
avant l'adoption de la pilule sont aussi à prendre en compte.
Ce qui est claire en revanche c'est qu'en cas de rachat, la
présence de pilules empoisonnées réduit les gains des
actionnaires de la firme acheteuse.
Les clauses anti-OPA, qui certes augmentent les coûts
pour l'offreur, ont été présentées par certains
comme la cause de la diminution brutale du nombre d'OPA à la fin des
années 80. Que savons nous sur cette question ?
Section 3 :L'implication des clauses anti-OPA
dans le déclin de la vague de rachats
Quelle est réellement la part de responsabilité
des pilules dans le déclin de la vague d'OPA ?
§1 La remise en question des clauses en tant que
principale cause de la baisse du nombre de rachats
C'est un débat qui a été vif ,
aujourd'hui encore il n'est pas tout à fait clos .
C'est durant le deuxième semestre de l'année
1989 que le nombre de rachats a considérablement baissé aux
USA, cette date correspond à la généralisation des
clauses et lois anti-OPA . Si nous regardons les statistiques, nous
constatons que jusqu'en 1986 seul 6% des entreprises américaines
étaient protégées par une mesure anti-OPA (loi ou clause)
alors qu'en 1989 87% des entreprises étaient
protégées par une loi ou une clause anti-OPA . Pour Coffee
(1991), Pound (1992) et d'autres, cités par Danielson et Karpoff (1998)
ce sont les clauses et les lois anti-OPA qui ont mis fin à la vague de
rachat des années 80 . En augmentant le coût des rachats ces
mécanismes auraient découragé les offreurs.
Comment et Schwert ne sont pas d'accord avec cette
explication, dans leur article de 1995 ils ont mis en évidence le fait
que beaucoup de managers attendaient que l'OPA soit imminente pour adopter une
ou des pilules empoisonnées et ils ont montré que la
présence de pilules n'affectait pas vraiment la probabilité de
succès de l'OPA . Heron et Lie (2000) sont d'accord avec cette
analyse puisque selon eux, la présence de pilules augmente le pouvoir de
négociation de la firme cible, ce qui permet d'obtenir une prime de
rachat plus élevée mais n'affecte pas la probabilité de
réussite de l'OPA. Ainsi l'adoption tardive d'une pilule, non
seulement ne dissuaderait pas l'offreur de lancer son OPA, mais en plus
n'aurait pas d'impact sur la probabilité de réussite de l'offre.
Ainsi même si personne ne conteste le fait que les clauses augmentent les
coûts des rachats ni que ces clauses aient empêché une
partie des rachats, pour Comment et Schwertz (1995) la
généralisation des clauses et lois anti-OPA n'est pas la
principale cause du déclin de la vague de rachats à la fin des
années 80 . Ils donnent d'autres éléments
d'explication.
§2 Les autres causes évoquées
Même s'ils n'ignorent pas l'impact qu'a pu avoir la
généralisation des clauses et des lois anti-OPA en 1988 ;
Comment et Schwert (1995) évoquent la récession qui débuta
en juillet 1990 (NBER) et soulignent qu'en août 1989 le
congrès américain vota une réforme des institutions
financières visant à restaurer la confiance (Financial
Institution Reform Recovery and Enforcement Act). Cette réforme
pénalisa les détenteurs d'obligations à fort rendement
(junk bonds) et ordonna leur vente, simultanément, les
autorités de régulation interdisaient aux banques commerciales de
participer à des transactions où la dette représentait
plus de 75% des actifs. Le marché des junk bonds s'effondra en septembre
1989 lorsque le principal émetteur révéla
l'étendue de sa crise de liquidités. L'effondrement de la
valeur du portefeuille de la banque Drexel entraîna sa faillite et sa
dissolution en février 1990 .
Cette réforme est très certainement responsable
de l'effondrement des prêts octroyés au secteur non financier par
les banques commerciales. Le montant total des prêts accordés en
1989 s'élevait à trente trois milliards de dollars, en 1990 il
n'était plus que de deux milliards ; or nous savons que les banques
commerciales étaient les principaux financeurs des rachats (Comment et
Schwertz 1995).
La réforme des institutions financières
(août 1989) et l'intervention des autorités de régulation
marquèrent la volonté du gouvernement américain d'en finir
avec les rachats financés par la dette, cette réforme
coïncide avec le déclin de la vague d'OPA (deuxième
moitié de 1989). Ainsi, il semblerait que les clauses n'aient pas
joué un rôle déterminant dans la sensible diminution du
nombre de rachats en 1989. S'il est difficile d'évaluer avec
précision la part de responsabilité des clauses anti-OPA dans le
déclin de la vague de rachats, ce qui est incontestable c'est qu'elles
ont entravé le fonctionnement du marché du contrôle des
entreprises, en augmentant les coûts des rachats, et ainsi
favorisé l'enracinement des managers .
Au début des années 80 l'économie
américaine est entrée dans une ère nouvelle.
Cette vague d'OPA a marqué le début d'un
processus à l'origine d'un changement durable dans le comportement des
managers ; ils sont passés d'une stratégie de
rétention et de réinvestissement du free cash-flow à une
stratégie de réduction de la taille de leurs entreprises et de
distribution de dividendes. Si ils ont renoncé à une partie de
leur pouvoir et de leurs prérogatives, c'est parce que le marché
les y a contraint. Le nombre élevé d'offres hostiles est
lié au fait que les intérêts des actionnaires et des
managers n'étaient pas alignés .
Galvanisé par l'utilisation des junk bonds et par la
progression des investisseurs institutionnels dans le capital des grandes
firmes cotées, le marché du contrôle des entreprises a
été suffisamment puissant pour transformer l'industrie
américaine et ainsi rendre les entreprises plus compétitives face
à la montée en puissance de la concurrence
étrangère. Durant cette décennie, les offreurs ont
démontré que les entreprises américaines étaient
inefficientes. Leur compétitivité était en train de
s'effondrer tandis que les concurrents étrangers, notamment japonais,
devenaient de plus en plus dangereux.
Même si elles ont été douloureuses
socialement (entre 1983 et 1987 4.6 millions de salariés perdirent leur
emploi), les restructurations mises en oeuvre étaient
inéluctables ; l'industrie américaine devait se moderniser
afin de faire face à la concurrence étrangère.
Cette vague a aussi et surtout marqué le début
de la shareholder value en tant que principe de gouvernance. Pour Holmstrom et
Kaplan (2001), «La shareholder value est devenue dominante dans les
années 80 et 90 , au moins en partie, parce que le
marché a un avantage comparatif dans la mise en oeuvre des
réformes structurelles que la dérégulation et le
changement technologique nécessitent. » Concernant la
persistance de la shareholder value après la vague d'OPA, Kaplan (1997)
cité par Denis et Kruse (2000), pour expliquer le très faible
nombre d'OPA hostiles lors de la résurgence des OPA dans les
années 90, invoque le fait que les managers et les conseils
d'administration ont retenu les leçons des LBO des années
80 . C'est certes un élément d'explication, mais ce qui a
très certainement permis à la shareholder value de perdurer et de
se diffuser dans le monde entier, c'est l'utilisation massive des stock
options. Elles ont permis, tant que faire se peut, d'aligner les
intérêts des managers avec ceux des actionnaires .
D'après la théorie de la shareholder value, le
fait que les entreprises maximisent la valeur pour l'actionnaire est profitable
à l'économie dans son ensemble parce que les actionnaires vont
réaffecter les dividendes qu'ils reçoivent de manière
efficiente. La dernière bulle spéculative et ses
conséquences nous incite à prendre cette affirmation avec
circonspection . Même si durant cette vague d'OPA le marché a
montré sa supériorité par rapport aux managers en
réaffectant efficacement les ressources ; on ne peut
décemment parler de l'efficience des marchés.
Le marché est, en quelque sorte, un mal
nécessaire !
Je tiens à remercier Jacques Ravix pour ses
conseils avisés.
Bibliographie
· Arye Bebchuk Lucian and Jesse M. Fried, 2003, Executive
compensation as an Agency Problem ; Journal of economic perspective Volume
17 Number 3 Summer 2003 Pages 71-92
· Berger Philip G and Eli Ofek, 1996, Bustup Takeovers of
value Destroying diversified Firms ; The journal of finance volume LI
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