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Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.

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par Myriam ARFAOUI
Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015
  

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II. Les islams en Afrique : De la conquête arabe aux djihads précoloniaux.

L'islam pénètre progressivement en Afrique dès les premières années de l'Hégire, et modifie profondément la géopolitique de cet espace.

Alors qu'ils sont persécutés par les autorités mecquoises, certains compagnons du prophète Mohamed, suivant ses ordres, s'exilent de l'autre côté de la mer Rouge où ils sont accueillis par le souverain chrétien d'Axoum, au nord de l'actuel Ethiopie296. Les relations entre le royaume d'Axoum et le monde musulman naissant sont caractérisées par l'échange et le dialogue - d'autant que le premier muezzin de l'islam, Bilal, est un esclave affranchi originaire d'Axoum297. Le souverain chrétien respecte et loge ces migrants qui prônent le Dieu unique dans une Arabie païenne. Ainsi, cette première sortie d'Arabie ne se fait pas par la violence de la conquête, mais par l'échange, et le renouveau du dogme monothéiste qui séduit l'Afrique du nord divisée. A sa mort en 632, le prophète Mohamed contrôle quasiment toute la péninsule arabique. Le premier calife, Abu Bakr, lance dès 633 une expédition contre les possessions byzantines en Syrie, actant le départ d'une longue série de conquêtes de plus en plus poussées vers l'ouest298. Et c'est son successeur Omar qui, en 635 soumet Damas, la Mésopotamie, et une partie de l'Arménie299. Le monde arabo-musulman se tourne une seconde fois vers l'Afrique, et sort cette fois de la péninsule armes en main en direction de l'Egypte. Cette seconde sortie, faite par la guerre et la conquête, marque d'une certaine manière la fin du repli arabique et le début de l'épanchement mondial (1).

Il existe deux tendances dans l'expansion de l'islam, comme deux pulsions d'Eros et Thanatos concomitantes - la diffusion par la paix, l'imposition par la guerre. Elles participent toutes deux à l'élaboration de cette nouvelle réalité : l'arrivée de l'islam en Afrique, et l'émancipation des islams africains (2).

296FICQUET, Eloi, « L'histoire de l'Islam en Afrique depuis le 7e siècle », Conférence UTLS, enregistrement

vidéo, [En Ligne], 2'06», 23'42»

URL : https://www.youtube.com/watch?v=0J4OaooRDoo

297AL HACHEM, Mohamed, Bilal, le premier muezzin de l'Islam, Paris, Al Bouraq, 1998

298CHALLIAND, Gérard, RAGEAU, Jean-Pierre, Géopolitique des empires, des pharaons à l'impérium

américain, op. cit., p.90

299LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.166

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1. De l'islam arabe aux islams africains : Une religion localement adaptée.

Au VIIème siècle l'Egypte fait face à une crise politique et sociale : d'un côté les gouverneurs byzantins orthodoxes, de l'autre, les coptes300 locaux asservis qualifiés d'hérétiques301. L'arrivée des Arabes est louée par les coptes qui y voient un moyen de résister aux Grecs ; d'autant que les guerriers arabes avaient pour ordre de respecter ces populations au nom de Maria, femme du prophète d'origine copte302.

« Le Dieu des vengeances voyant la méchanceté des Grecs qui, partout où ils dominaient, pillaient cruellement nos églises et nos monastères et nous condamnaient sans pitié, amena de la région du Sud les fils d'Ismaël pour nous délivrer [...]. Ce ne fut pas un léger avantage pour nous que d'être libérés de la cruauté des Romains. »303

Les Byzantins se replient face à la poussée des guerriers arabes, et tiennent un siège à Alexandrie : « Le siège d'Alexandrie débuta au début de l'été 641. Au mois de septembre 642, la riche cité pourtant protégée par un impressionnant système défensif fut abandonnée par sa garnison byzantine et se rendit aux Arabes qui n'avaient pourtant pas les moyens de la prendre »304. Les divisions religieuses entre Eglise orthodoxe et Eglise monophysite favorisent l'insertion, la diffusion, et la conversion rapide des Egyptiens à l'islam ; « car le petit peuple chrétien, étranger aux querelles théologiques qui opposaient les clercs, fut séduit par la clarté du message monothéiste et égalitaire véhiculé par les conquérants »305.

300Ce sont des chrétiens d'Egypte de généralement de confession monophysite.

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, « Copte », CNRTL, [En Ligne], 2012

URL : http://www.cnrtl.fr/definition/copte

301FICQUET, Eloi, « L'histoire de l'Islam en Afrique depuis le 7e siècle », Conférence UTLS, enregistrement

vidéo, [En Ligne], 6'08», 23'42»

URL : https://www.youtube.com/watch?v=0J4OaooRDoo

302GAÏD, Tahar, « Epouses du Prophète », Oumma, [En Ligne], 2002

http://oumma.com/Epouses-du-Prophete

303 LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.167 304Ibid.

305 Ibid., p.166

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Le troisième calife Othman poursuit la conquête de l'Afrique à partir du socle égyptien, d'abord vers le sud du Nil, où il se confronte au royaume de Nubie chrétien avec lequel il conclut un pacte306, puis vers l'ouest, dans le Maghreb actuel, terre des Berbères.

L'Afrique du nord est à cette époque divisée « entre Byzantins et Berbères, entre partisans de l'empereur et chrétiens fidèles à Rome »307, ce qui facilite la pénétration arabo-musulmane308. En revanche, la conquête militaire se fait avec bien moins d'aisance qu'en Egypte, puisque les Berbères résistent pendant près d'un siècle309. A la fin du VIIIème siècle, le Maghreb finit par être intégré au Califat Omeyyade sous le commandement de Musa Ibn Nusayr310.

L'islamisation se fait massivement311, et l'arabe étant la langue de la religion, cette conversion entraine « l'arabisation cultuelle [...] et donc culturelle »312 des peuples berbères313. Or, si la conversion religieuse n'a pas rencontré trop d'obstacles, la résistance berbère à l'arabisation est bien plus virulente, et ce notamment à cause des contestations vis-à-vis du Califat Omeyyade314. La répartition des devoirs fiscaux au sein de l'Empire s'organise autour de la distinction entre musulmans et non-musulmans. Mais, du fait de l'islamisation massive des Berbères et de la peur de perte de rente, les califes exigent des nouveaux convertis l'acquittement d'une taxe foncière (kharaj) et d'une taxe personnelle (jiziya), les mettant au

306« En échange de la reconnaissance de leur indépendance, les Nubiens s'engageaient à livrer annuellement un tribut en esclaves « noirs » capturés parmi les tribus nilotiques de l'actuel Sud-Soudan. », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, ibid., p.167

307CAMPS, Gabriel, « Comment la Berbérie est devenue le Maghreb Arabe », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, 1983, pp.7-24

308Il est intéressant de voir qu'aujourd'hui encore, l'islam violent, c'est-à-dire, le « djihadisme », s'insère essentiellement dans les espaces où des fractures sociales et politiques existent entre les populations, et s'impose comme solution de substitution, ou bien comme allié d'un des deux camps. Nous retrouvons la même mécanique et les mêmes dynamiques.

309FICQUET, Eloi, « L'histoire de l'Islam en Afrique depuis le 7e siècle », Conférence UTLS, enregistrement vidéo, [En Ligne], 10'03», 23'42»

URL : https://www.youtube.com/watch?v=0J4OaooRDoo

310BOHAS, Georges, « MÛSÂ IBN NUSAYR (640-716/17) », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 18 mai 2015

URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/musa-ibn-nusayr/

311« Les causes de la relative facilité de la conquête et de l'islamisation sont [...] : Faiblesse des Byzantins [...] Divisions entre Berbères sédentaires et Berbères nomades [...] Anarchie dans tout le pays, amplifiée par les Vandales [...] Divisions de toute l'Afrique du Nord chrétienne dues aux querelles théologiques [...] », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.179

312LUGAN, Bernard, « Les Berbères, la mémoire des sables », Clio, [En Ligne], septembre 2000

URL : https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_berberes_la_memoire_des_sables.asp

313« L'arabisation linguistique et culturelle de l'Egypte fut rapidement réalisée à partir du moment où, en 706, le calife omeyyade Walid Ier (705-715) décida que l'arabe devenait langue officielle en Egypte et en Syrie. Le mouvement fut achevé à partir de 715, quand il remplaça les fonctionnaires chrétiens par des musulmans. », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.168

314La notion d'Umma surgit des conquêtes Omeyyades, « pour laquelle l'arabe était devenu la langue de culte et parfois de culture », LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.181

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même rang que les non-musulmans315. Or, « pour les Berbères, qui se considéraient comme de vrais musulmans, il y avait une terrible injustice qu'ils ne pouvaient accepter »316.

« L'Empire Omeyyade fut donc perçu par eux pour ce qu'il était, à savoir un Etat arabe dirigé par une aristocratie composée de la tribu mecquoise des Kurashites laquelle considérait le monde musulman comme un bien personnel conquis par la force et dont elle pouvait ponctionner les ressources. »317

Les Berbères ne se révoltent pas contre l'islam, mais contre les Arabes, et en particulier les Koraïchites qui n'ont, pour eux, aucune légitimité politique318. Cette résistance de la berbérité se traduit par la manifestation de deux branches dissidentes de l'islam, le kharijisme et le chiisme (qu'on retrouve surtout chez les Perses, à l'est)319. Ces deux dissidences ouvrent la voie à une démultiplication des branches de l'islam en Afrique, et une adaptation locale de la religion.

« Le kharijisme qui procède de la grande crise née en 656 au sein du monde musulman à la suite de l'assassinat du calife Othman repose sur une idée fondamentale : la direction de la communauté musulmane doit être confiée par élection au meilleur des siens et cela sans distinction de race, ce qui implique l'égalité de tous les musulmans. Pour les kharijites, le calife devait donc être élu par tous les musulmans sans exception. Pour cette doctrine égalitaire et « démocratique », tous les membres de l'Umma étaient égaux, qu'il s'agisse des Arabes ou des convertis, il n'était donc pas acceptable que les vainqueurs arabes constituassent une oligarchie dominant la masse des croyants nouvellement convertis. Pour les Omeyyades, cette hérésie était évidemment inacceptable car elle menaçait l'essence même de leur pouvoir devenu temporel et ils traquèrent les dissidents. »320

315LUGAN, Bernard, Histoire de l'Afrique des origines à nos jours, op. cit., p.182 316Ibid.

317Ibid., p.183

318Dans les premiers temps de l'Islam, sur la péninsule arabique, les Koraïchites avaient combattus le prophète et

ses compagnons. 319Ibid., p.180 320Ibid., p.184

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A partir du Xème et XIème siècles, des groupes berbères islamisés s'implantent au Sahel. Avec l'Empire almoravide, l'islamisation progressive de l'Afrique de l'ouest commence par l'attaque, en 1076, de la capitale de l'Empire du Ghana321. Rejointe par des « noirs » islamisés, les Tekrour322, l'armée d'Abu Bakr finit par assiéger la capitale de l'Empire et les routes du Sahel-Sahara. A partir de là, l'islam évolue, avec l'Empire du Mali, et l'Empire du Kanem323, par exemple. Aux routes commerciales transsahariennes s'ajoute une nouvelle route est-ouest, la route du pèlerinage à la Mecque.

En Afrique de l'ouest, l'islamisation se fait, non pas au détriment de l'animisme local, mais conjointement à cette réalité sociale. La religion monothéiste n'éradique, ni ne supprime, les croyances singulières - elle cohabite avec elles, dans une sorte d'hybridation qui fonde la particularité de l'islam africain324. Bien que convertis à l'islam, les souverains sahéliens continuent de tirer leur légitimité politique des croyances animistes325 ; « Cette organisation religieuse [animisme] est la garantie de l'organisation sociale toujours fondée en Afrique sur la notion de parenté, sur la famille patriarcale, suivant une hiérarchie stricte qui donne au patriarche l'autorité absolue sur toute la communauté du lignage ou du clan [...] »326. Alors même que certaines pratiques animistes, comme le culte des objets, sont en désaccord complet avec les lois du Coran, elles survivent dans leurs formes traditionnelles. Elles ont contribué en grande partie au maintien de la cohésion sociale ; « Ces religions prennent des formes variables suivant les régions et l'ethnie. Mais elle est animiste, c'est-à-dire, repose sur l'idée que des esprits

321THOUY, Michel, « L'islamisation de l'Afrique Occidentale au Moyen-âge (IX°-XVI°s) », Académie Dijon, [En Ligne], PDF,

URL : http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/IMG/pdf/Islamisation_Afrique_occidentale.pdf

322Ibid.

323Royaume au nord du Tchad fondé vers le VIIIème siècle, devenu Kanem-Bornou, considéré par Marc-Antoine Pérouse de Montclos comme « L'ADN de Boko Haram », PEROUSE DE MONTCLOS, Marc-Antoine, « L'ADN de Boko Haram », Le Un, n°43, février 2015

324« L'appartenance à l'Islam des familles royales n'exclut pas le maintien de pratiques animistes et ce d'autant plus que celles-ci sont intimement liées à la légitimité du pouvoir [...] », dans Michel Thouy, « L'islamisation de l'Afrique Occidentale au Moyen-âge (IX°-XVI°s) », Académie Dijon, [En Ligne], PDF,

URL : http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/IMG/pdf/Islamisation_Afrique_occidentale.pdf

325« L'islam a rencontré un succès certain dans ces sociétés et de façon plutôt paradoxale dans les milieux du pouvoir politique paradoxale car en effet ces mêmes pouvoirs tenaient leur légitimité de la pratique de l'animisme. », Ibid.

326BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, op. cit., p.212

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habitent tous les êtres de la nature, et survivent aux morts (fétichisme et culte des objets par exemple) »327.

« Les pratiques animistes ne sont pas absentes dans l'islam pratiqué par les empereurs ; ainsi le même Mansa Mousa liait semble-t-il étroitement la rentabilité des mines d'or sous son contrôle à la pratique de l'animisme. Ce serait donc, aux dires de cet empereur, volontairement que le Mali autorisait les cultes animistes dans les régions productrices et que les populations concernées étaient exemptées de tribut afin de garantir la production de ce métal si précieux. Par ailleurs, dans sa description de la cour du Mali, Ibn Battûta rapporte que les audiences de l'empereur avaient lieu sous la protection de deux boucs chargés d'éloigner le mauvais oeil. »328

« Parmi les regalia connues des askya, figure à côté d'un sabre et d'un turban le « din-toüri » qui n'est autre que le « bois à allumer le feu ». Les premiers furent remis à askya Mohamed lors de son pèlerinage à la Mecque en 1495-1496 par le calife Abbasside qui lui conféra le titre « d'imän et de protecteur des croyants pour tout le Soudan occidental ». Le troisième illustre l'héritage de la période animiste de la dynastie. Une double légitimité apparaît donc ici, celle de premier maître d'un territoire et celle conférée par l'islam. »329

L'expansion de l'islam en Afrique n'a pas été un mouvement unifié. Elle s'est faite plus ou moins progressivement, par trois canaux : les conquêtes arabes sur le Maghreb, puis berbères sur l'Afrique de l'ouest, et soudaniennes sur le Sahel-Sahara ; le commerce transsaharien, les flux de marchandises et d'idées ; la présence de savants et d'intellectuels au sein des Empires330, qui contribuent à l'effervescence de cette culture dans des villes comme Tombouctou et Gao331. Cette expansion donne naissance à une hybridation de traditions en apparence contradictoires, en constantes évolutions : vers l'extérieur, la diffusion de l'unicité par le djihad, et vers l'intérieur, l'adaptation de la religion aux particularités des sociétés africaines.

327BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, op. cit., p.211

328THOUY, Michel, « L'islamisation de l'Afrique Occidentale au Moyen-âge (IX°-XVI°s) », op. cit. 329Ibid.

330 « Les interprètes du roi sont choisis parmi des musulmans, ainsi que son trésorier et la plupart des ministres », Ibid.

331« L'instrument principal assurant la propagation de cette foi islamique dans cette partie du monde était le

verbe du commerçant, puis l'épée du combattant de la foi et enfin l'enseignement du prosélyte lettré, mais aussi la bienveillance doublée parfois de la rigueur du souverain déjà acquis à cette foi. », MBAYE, Ravane, « L'islam noir en Afrique », op. cit., p.833

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