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UNIVERSITÉ DE LORRAINE Naura KASSOU
UFR Arts, Lettres et Langues (Metz) Département Arts
2015-2016
S'EXPOSER ET SOUFFRIR
Blessures et nudité dans la performance
féminine contemporaine. Avatars et dérives d'une fonction
politique.
Mémoire de recherche Master 1 mention Arts et Culture
Soutenu le 08/09/2016 - Mention TB
4
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la
roue, Et la victime et le bourreau !
Charles Baudelaire, L'héautontimorouménos,
1868.
Mes remerciements vont à toutes celles et ceux qui ne
m'ont jamais découragée à
poursuivre dans cette voie, et en particulier,
À ma directrice de mémoire Claire LAHUERTA pour
l'ouverture d'esprit qu'elle a
toujours manifestée devant mes prises de risques,
À son assesseure, Aurélie MICHEL pour la qualité de ses
conseils.
Toutes les illustrations figurant dans ce mémoire se
lisent de gauche à droite et de haut en bas. Couverture : Kira O'Reilly
& Manuel Vason, Post-Succour 2001, (London).
5
SOMMAIRE
INTRODUCTION 7
CHAPITRE 1 De la nudité combattante à la
complaisance justifiée 15
1.1 - La performance comme expression 17
1.2 - Le corps comme nouveau médium 27
1.3 - La nudité comme arme ou comme armure
36
1.3.1 - La nudité insurrectionnelle 36
1.3.2 - La nudité postiche 62
CHAPITRE 2 Captivantes blessures, indicibles souffrances
et postures baroques . 77
2.1 - De la sanguine au sanglant 79
2.2 - Portraits d'artistes en
Héautontimorouménos 90
CONCLUSION 125
Table des illustrations 133
Bibliographie 137
Webographie 141
Index des noms cités 145
6
7
INTRODUCTION
8
L'art-performance, regroupe sous un florilège de
vocables divers - action, body art, happening, live art, art charnel, art
corporel, ordeal art, etc. - un ensemble de pratiques qui occupent au sein de
l'art contemporain, une place aussi difficile à définir
précisément que foncièrement transgressive, mais dont les
femmes ont été, quasiment depuis l'origine, les vecteurs sinon
les plus radicalement violents, du moins les plus résolument politiques,
les plus habilement revendicatifs et, souvent, les plus fougueusement excessifs
ou féministes.
Excessifs, il le fallait bien, à l'aube des
années soixante-dix, pour permettre à ces femmes artistes de tout
à la fois, « délivrer l'art de sa structure
métaphorique et [...] le rendre plus directement accessible
»1 et, surtout, combattre l'invisibilité
séculaire dont elles étaient historiquement victimes, et la
multitude de contraintes fixées par l'idéologie patriarcale
dominante. « Le fait qu'une telle proportion de l'art produit par les
femmes depuis les années soixante-dix utilise et engage directement le
corps féminin est le résultat inévitable
9
1 Essai de P. Phelan in H. Reckitt (dir.),
« Art et féminisme », traduc. M. Hermet, Paris, Phaidon, 2011,
p.29.
10
des circonstances historiques qui ont réglé le
corps de la femme dans sa position d'infériorité sociale et
politique de subordination aux hommes ».2
Féministes, bien évidemment. Bien que certaines
de ces artistes, et non des moindres, se soient défendues à
plusieurs reprises de l'être3, le féminisme implicite
de certaines de leurs oeuvres contredit leurs déclarations. Elles ont
souvent inspiré d'autres artistes ouvertement féministes et servi
de références à leurs héritières. Notre
propos n'est pas ici de retracer la manière dont les femmes de la fin
des années soixante se sont éveillées au
féminisme en se regroupant dans des collectifs qui leur ont permis de
lutter plus efficacement contre les oppressions dont elles étaient
victimes. Mais nous rappellerons toutefois que ces années de combat, de
découvertes mutuelles, de rencontres et de militantisme résolu,
furent, comme le souligne RoseLee Goldberg, celles au cours desquelles les
femmes furent à la pointe de certaines investigations artistiques
majeures.
2 Laura Cottingham citée par J-M. Lachaud et C.
Lahuerta, 2007, « De la dimension critique du corps en actes dans l'art
contemporain », Actuel Marx 1/2007 (n° 41), p.88, source citée
: www.cairn.info/revue-actuel-marx-2007-1-page-84.htm (consulté le
07/11/2015).
3 Marina Abramovic et Gina Pane, par exemple.
« Bien que près de trente années
d'études féministes aient été nécessaires
pour démêler et éclaircir les différentes
utilisations du corps mises en oeuvre par les artistes masculins ou
féminins de cette période, et pour attribuer à ces
créatrices, en toutes connaissance de cause, l'honneur d'avoir ouvert la
voie à une analyse minutieuse du corps en tant qu'aune de
l'identité, des tabous et des limites de l'émancipation
masculine/féminine, leur engagement à l'égard du corps,
considéré comme matériau artistique premier, ouvrit
à l'investigation artistique de nombreux territoires encore
inexplorés. »4
Parmi les pionnières qui firent de leur propre corps un
nouveau médium artistique aussi terriblement efficace que, parfois,
cruellement sollicité, il en est qui utilisèrent, dans leurs
performances, la nudité ou la pratique de violences et de blessures
auto-infligées, comme un saisissant amplificateur de leurs propos. Ce
sont d'elles que traite ce mémoire. Certes, ces initiatrices en la
matière étaient alors animées tout autant par la
volonté farouche de briser de multiples tabous que par celle d'innover.
Elles étaient passionnées, subversives, convaincues et,
très souvent convaincantes. Mais peut-on raisonnablement attribuer
à leurs épigones ultérieurs la même ardeur
révolutionnaire, la même sincérité
militante ? Peut-on s'inquiéter, comme Gérard Mayen que,
« A cet égard, il ne manque pas de critiques pour craindre qu'on
soit passé d'une transgression de l'académisme à un
académisme de la
11
4 R. Goldberg, « Performances. L'art en action
», Paris, Thames & Hudson, 1999, p.96.
12
transgression. »5, ou pointer comme RoseLee
Goldberg qu'il n'y ait « Rien d'étonnant à ce qu'une
puissante tendance masochiste mêlée de narcissisme plus ou moins
prononcé fût associée à ce champ d'investigation
»6 ?
Leurs expressions étaient à l'aune de leurs
personnalités : les nudités sanglantes, vulnérables ou
quelque peu sacrificielles d'Ana Mendieta étaient différentes de
celles, vivantes, stimulantes et sexuelles, de Carolee Schneemann. Tout autant,
les blessures et les souffrances plus ou moins importantes que s'infligeait
Gina Pane, au cours de rituels lents et tragiques, étaient bien
différentes de celles, vigoureuses et sonores, qui
caractérisaient les performances de Marina Abramovic.
Que reste-t-il, dans les corps dénudés et/ou
blessés, exposés dans certaines des performances
ultérieures, des idéaux qui structuraient, semble-t-il, les
oeuvres historiques de Carolee Schneemann, de Marina Abramovic ou de Gina Pane,
archétypes de ces nouvelles pratiques artistiques ?
5 G. Mayen, « Qu'est-ce que la performance ?
» source citée :
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Performance/index.html#haut/
(consulté le 07/11/2015).
6 R. Goldberg, « Performances. L'art en action
», op.cit. p.23.
13
En parcourant les problématiques soulevées, en
particulier par ces trois totems mais aussi par leurs contemporaines, dans
leurs performances originales, sans s'interdire d'en analyser les possibles
incohérences, l'objet de ce mémoire sera de définir les
motifs essentiels qui ont conduit initialement ces artistes à
déshabiller et mutiler ce nouveau medium jusqu'alors
préservé. Puis, en étudiant les travaux de certaines de
leurs héritières, nous tenterons d'analyser s'il convient de
parler de déliquescence du propos, de dérives de sens, ou, au
contraire, si l'on doit se réjouir de l'existence de leurs nouvelles
propositions, malgré l'apparente confusion ou l'hermétisme de
certaines de leurs motivations.
Nous nous risquerons également à vérifier
si les espoirs féministes, ou à tout le moins
émancipatoires, que portaient clairement en elles les performances
historiques, ont été ou non déçus.
Pour ce faire, nous structurerons ce mémoire en deux
parties :
La première, après avoir succinctement
rappelé les règles et dispositifs principaux régissant les
performances, s'intéressera principalement à l'utilisation, par
certaines artistes, de leur propre corps nu et mobile comme outil ou terrain de
revendications. Des nudités combattantes, à celles qui
pourraient apparaître complaisantes, des mises à nu
nécessaires, aux exhibitions pornographiques, nous tenterons de couvrir
le spectre des motifs et des expressions.
14
Dans la seconde, nous confronterons déclarations
d'artistes, essais critiques et analyses universitaires, afin de trouver un
embryon de ligne directrice dans la multitude d'explications et de
théories, souvent contradictoires, qui chacune à leur
manière, tentent d'expliquer comment un processus créatif peut
être associé à un ensemble de souffrances auto
infligées. Des blessures militantes, aux douteuses tentatives
de manipulation, des quasi-simulacres habilement dramatisés, aux rares
mais réelles mises en danger, nous suivrons les traces de celles qui ont
choisi de souffrir en art pour témoigner.
Il va de soi que, pour chacune de ces parties, nous
convoquerons les différents types de regards des spectateurs
confrontés à ce nouvel ensemble de dispositifs.
En guise de conclusion, et sous couvert d'un état des
lieux actuel, nous tenterons de définir les motivations qui, de nos
jours, structurent l'utilisation du nu et de la souffrance dans la performance
ultra contemporaine.
15
CHAPITRE 1
De la nudité combattante à la complaisance
justifiée
16
17
1.1 - La performance comme expression
Tenter de circonscrire les limites de la performance
artistique en quelques phrases est une opération à hauts risques
qui entraine l'investigatrice à cultiver deux qualités absolument
nécessaires avant de s'y risquer : la circonspection, en premier lieu,
tant le terrain apparait miné par des querelles de chapelle qui
semblent, fort heureusement, avoir touché bien plus les
exégètes que les artistes, et en second lieu, la conviction, car
sans elle on en viendrait à douter qu'il puisse encore se trouver une
oeuvre d'art spontanée, poétique ou charnelle, derrière
toutes les tentatives de classifications, d'analyses, de dissections, de
déconstructions, ou de reformulations dont se voit frappée la
moindre tentative de performance.
À ces deux qualités il convient d'ajouter
l'humour, dont il conseillé de ne jamais se départir lorsqu'on
aborde l'art contemporain.
L'universitaire américain Richard Schechner,
théoricien des Performance Studies, définit ainsi la
performance lorsqu'il écrit : « Toute la constellation
d'évènements, la plupart passant inaperçus, qui ont lieu
dans/entre les performers et le public à partir du moment
où le premier spectateur entre dans le champ de la performance -
l'espace où le théâtre a lieu
18
- jusqu'au moment où le dernier spectateur sort.
»7 Ainsi, le champ disciplinaire couvert par les
performances studies, comporte des listes d'objets
hétéroclites telles, qu'à leur propos, Guy Spielmann
ironise :
« Ces listes tiennent moins de l'inventaire à la
Prévert que de la mythique « Encyclopédie chinoise »
à laquelle Jorge Luis Borges fait allusion dans un de ses essais
critiques [...] ; nous sommes en effet sommés de comprendre que notre
étonnement initial devant ce corpus d'apparence si
hétéroclite doit céder à une prise de conscience de
l'unité profonde unissant tous ces éléments, selon une
logique différente de celle à laquelle nous sommes
habitués »8
Ajoutant à l'indétermination, l'artiste
plasticienne et performeuse Dora Garcia, interrogée par Anna Daneri,
avoue que, selon elle : « La performance débute lorsque le
performeur « entre dans le personnage » - sauf qu'il ou elle est
seul(e) à savoir quand cela se produit. De façon similaire, la
performance se termine lorsqu'il (ou elle) sort du personnage. Mais
7 C. Biet, « Pour une extension du domaine de
la performance (XVIIe - XXIe siècle) » in
C. Biet et S. Roques (dirs.), « Performance. Le corps exposé
», Paris, Éd. du Seuil, 2013, p.23.
8 G.Spielmann « L'évènement
spectacle » in C. Biet et S. Roques (dirs.), « Performance.
Le corps exposé », Ibid., p.196.
19
qui sait à quel moment cela se produit, simplement peut
être en regardant ses yeux ou en guettant attentivement un changement du
ton de sa voix ? »9
On pourrait donc, sur ces bases, soutenir au risque de
chagriner les puristes, que la performance est un moyen d'expression qui
consiste pour un artiste, nécessairement présent, à
traiter de tout et de n'importe quoi, devant un public qui ignore quand et
comment le spectacle débute et se termine. C'est peut-être un peu
réducteur. Et cependant, issues de ce melting-pot primordial,
les performances originelles étudiées dans ce mémoire,
celles qui, dans l'art contemporain, sont réalisées par des
femmes artistes dont les corps dénudés, rudoyés,
marqués, sont destinés à bousculer nos
indifférences, à interroger nos lâchetés ordinaires,
ou à heurter notre conformisme travesti en bienséance,
représentent une des formes les plus percutantes et novatrices de cet
art vivant de l'échange entre une artiste et un public et dont, souvent,
la qualité d'interaction détermine la valeur. C'est pourquoi, en
matière de définition, nous préfèrerons emprunter
les termes de Claire Lahuerta :
« Le corps marqué par les artistes contemporains
existe essentiellement dans une forme que l'on appelle la performance. Cette
forme d'art héritée des années 60, bien que
polémique quant à sa
9 Entretien avec D. García
réalisé par A. Daneri, 2010, « Reality must go on »,
artpress2 « performances contemporaines 2 » (n°18), p.34.
20
radicalité, n'est pas seulement le symbole d'une
scène dégénérée composée d'artistes
marginaux, mais plutôt le creuset des représentations corporelles
les plus caractéristiques de la société actuelle. Parce
qu'elle n'est pas une forme figée, la performance est un type de
spectacle vivant, d'oeuvre en action, qui permet à celui qui y assiste
d'être face à une oeuvre en « process » ».
10
Certaines de ces performances puisaient leurs inspirations
dans un ensemble de rituels issus de la mémoire collective, ou de
traditions sociales personnelles ayant façonné le vécu des
artistes. Ainsi, il arrivait à l'américaine d'origine cubaine Ana
Mendieta, d'y associer parfois des symboles issus de la Santeria
cubaine à laquelle elle avait été initiée
durant son enfance, avec par exemple, des représentations de
déesses mésoaméricaines. L'américaine Mary Beth
Edelson, quant à elle, dans des commémorations revendicatives et
funèbres, rendait justice aux ancêtres féminines qui
avaient été crucifiées ou brûlées en tant que
sorcières. La pionnière Carolee Schneemann, apparaissant «
nue dans un décor de toile
10 C. Lahuerta, « Quand le corps parle. Les mots
de l'art » in M. Laforcade et V. Meyer (dirs.), « Les
usagers évaluateurs ? Leur place dans l'évaluation des «
bonnes » pratiques profesionnelles en travail social », Les
Études Hospitalières, p.78, source citée :
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahUKEwiUmNKvidLNAh
XDbBoKHRhVD-0QFggcMAA&url=http%3A%2F%
2Fwww.gepso.com%2Fdownload.php%3Ff%3D480%252Factes.pdf%
26g&usg=AFQjCNGCiMpu0w2XV1Vnl7Wv4fPKBh6FOw&sig2=rkKx7FeXqvTIFBRziXCA4A&bvm=
bv.125801520,d.d2s (consulté le 07/11/2015).
21
plastique, entourée de cordes, sorte de serpents
vivants rampant sur son ventre et sa poitrine [...] » symbolisait «
à travers cette attitude qu'elle a nommé à l'époque
« -une sorte de rituel shamanique- », la puissance de la renaissance
et la fertilité reliée aux thèmes de la femme, de l'eau et
de la guérison. »11
D'autres performances empruntaient au quotidien des artistes
des problématiques qu'elles développaient alors, souvent de
manières frontales, mais aussi de façons oniriques et
étrangement symboliques. La polonaise Ewa Partum, stigmatisait
l'absurdité, l'arbitraire et la brutalité du régime
politique auquel elle était quotidiennement confrontée. Marina
Abramovic, figure centrale de la genèse de l'art performance dès
les années soixante-dix, abolissait la barrière entre la
performance et le réel en impliquant son corps de manière
impitoyable, brutale et douloureuse. La radicalité de certaines de ses
performances, imposait aux spectateurs les moins endurcis, une très
sérieuse remise en question assortie d'une interpellation
éprouvante. L'Anglaise Tracey Emin, proposait des oeuvres à
connotations fortement autobiographiques, dans lesquelles les détails
intimes de sa vie privée et de son intimité étaient
dévoilés sans précautions visuelles et avec un
réalisme glaçant. L'Américaine Hannah Wilke, longtemps
décriée pour des oeuvres dont le sujet
11 O. Lussac, « Performances et Rituels
corporels féminins. L'exemple de Carolee Schneemann », source
citée :
http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/96/04/42/Schneemann.pdf
(consulté le 01/07/2016).
22
était son visage et son corps resplendissants,
repoussait avec courage le réalisme aux limites extrêmes, en
photographiant, jusqu'à l'ultime échéance, son corps
vieilli et transformé par la maladie qui devait l'emporter. Quant
à la Française Gina Pane qui ordonnançait des «
actions » dont l'hermétisme confinait parfois au nébuleux,
elle les dédiait toutes entières aux douloureux désordres
du corps social, en espérant, semble-t-il, que la
créativité de l'imagination, dégagée enfin des
automatismes sociaux, pourrait être à l'origine de nouveaux
comportements évolutifs.
Mais qu'elles s'inspirent de l'imaginaire collectif ou
d'expériences personnelles, la caractéristique principale de ces
performances, celle qui leur était en quelque sorte consubstantielle,
consistait en une implication féministe forte, souvent militante et
toujours évidente même si, comme nous l'avons mentionné
dans l'introduction, certaines de ces artistes se défendaient de
l'être. La performance, en devenant une forme d'expression majeure, a
investi la pratique des femmes artistes en leur permettant de définir et
de faire évoluer les rapports qu'elles entretenaient avec leur propre
corps. Elles purent envisager, en particulier, de le dissocier du seul
rôle d'objet auquel il était jusqu'alors assujetti : celui,
idéalisant, de muse et de modèle.
« Au coeur de la prise de conscience des
féministes, il y avait la confiance dans le pouvoir de la
répétition en tant que moyen de refaire l'histoire de leurs vies.
On voyait maintenant dans les expériences personnelles, même
lorsqu'elles étaient source de honte, les symptômes de facteurs
23
politiques plus larges. Ainsi revues et corrigées, ces
expériences devenaient aussi une source d'inspiration pour la
création artistique. Le fait de croire que l'on pouvait changer (changer
le monde) était sous-entendu. Pour changer, pourtant, il fallait tenir
compte du passé et non l'ignorer en passant, d'un bond, du
côté de la nouveauté. Cette attitude, qui incitait à
s'intéresser à l'Histoire, a contribué à
développer la solidarité entre les femmes, en particulier celles
qui avaient été victimes de traitements dégradants.
»12
Certes, les positions féministes s'exprimèrent
de manières différentes dans les milieux artistiques
nord-américains et européens, et selon RoseLee Goldberg, si les
artistes californiennes tiraient une part de leur inspiration des routines
quotidiennes contraignantes et, parfois, dégradantes, celles de la
côte Est donnaient à leurs performances « une orientation
conceptuelle plus marquée [...]. »13 En Europe, par
contre, « L'art et la performance féministes se
révélaient rarement aussi organisés. [...] », et si,
« Les artistes se référaient plus subtilement, par des
oeuvres habituellement métaphoriques, à la vie des femmes. [...]
», celles d'outre-manche différaient des artistes françaises
qui « globalement, se considéraient, et se considèrent
aujourd'hui encore, davantage comme des femmes artistes inscrites dans leur
époque que comme des artistes féministes. »14.
12 Essai de P. Phelan in H. Reckitt (dir.),
« Art et féminisme », op. cit., p.30.
13 R. Goldberg, « Performances. L'art en action
», op. cit., p.130.
14 R. Goldberg, « Performances. L'art en action
», Ibid., p.130.
24
Rapidement, il apparut aussi que le féminisme
n'était pas seulement un combat orienté par un ensemble de
convictions, mais, dans les milieux artistiques, un système de
réinterprétation des oeuvres et du monde. Il imprégna les
performances au point qu'il devint, au moins pour un temps, difficile
d'étudier le premier sans se confronter aux secondes.
25
Figure 1 : Ana Mendieta, Blood Inside Outside, 1975
· Mary Beth Edelson, Trickster Body/Baubo,
1973.
Figure 2 : Ewa Partum, Change, 1979.
Figure 3 : Tracey Emin, Everyone I have Ever Slept With
1963-1995, 1995 · My Bed, 1998.
26
Figure 4 : Hannah Wilke, S.O.S Starification Object Series
(Curlers), 1974-1975 · Hannah Wilke
Super-t-Art, 1974-1991 · Intra
Venus #3, 1992-1993 · Intra Venus
#6, 1992-1993.
27
1.2 - Le corps comme nouveau médium
Au cours des années soixante, alors que le conformisme,
les valeurs dominantes et les institutions sociopolitiques établies,
voyaient leurs pouvoirs et leurs hiérarchies violemment contestés
par une part importante de la société, un grand nombre de jeunes
artistes, tant en Europe qu'aux Etats-Unis, bousculèrent l'institution
artistique, discréditèrent certains des fondements et des
postulats qu'elle défendait, et décidèrent d'en
redéfinir le sens et les fonctions. Dans un climat de remise en cause
générale et d'exaltation permanente, ils rejetaient dans un
même élan, les galeries qu'ils accusaient de mercantilisme et les
critiques d'art à qui ils ne reconnaissaient plus le rôle
d'exégètes de confiance. Privés ainsi
d'intermédiaires, ils décidèrent d'expliquer
eux-mêmes les orientations qu'ils envisageaient de prendre et les
motivations personnelles qui sous-tendraient leurs créations futures. Ce
nouvel environnement esthétique participa à l'apparition de l'art
conceptuel, puis, dans la foulée et peut-être pour les mêmes
raisons d'intangibilité - bien que visible, elle ne pouvait être,
en théorie, ni achetée, ni vendue - de la performance. Dans le
même esprit de découverte :
« Du milieu des années 1960 jusque dans les
années 1970, parallèlement à l'essor des mouvements
revendicatifs mais aussi des « cultures » en quête
d'elles-mêmes, parfois hédonistes (la « déesse-
28
terre », l'amour libre, les drogues), le corps de
l'artiste est mis en acte, de manière ironique, figée ou
débridée, pour sa faculté - en tant que dépositaire
d'un « moi authentique » - à « vaincre [...] le
déterminisme technologique et scientifique ». »15
Comme nous allons le voir ultérieurement, les
utilisations faites de ces corps d'artistes-actants furent multiples,
régulières et particulièrement dérangeantes. Il est
d'autant plus étrange que, lors de performances ultra-contemporaines,
alors que les effets de surprise, de scandale ou de répulsion, devraient
être depuis longtemps estompés ou abolis, il arrive assez souvent
que, sinon le public, du moins les médias, la critique, les
institutions, ou plus généralement l'opinion publique, soient
effarouchés, voire traumatisés, et se comportent comme si
quelques décennies ne s'étaient écoulées depuis
l'origine du phénomène. Pour Catherine Millet :
« On peut distinguer plusieurs époques de l'art
corporel, la première ayant surtout été
phénoménologique. Les artistes se sont d'abord servis de leur
corps pour éprouver les choses alentour, mesurer l'environnement. [...]
C'est progressivement, ensuite, peut-être parce que, à force de
rapporter le monde à l'unité de mesure du corps, il devint
nécessaire de vérifier cette unité de mesure
15 Kristine Stiles, citée dans l'essai de A.
Jones in T. Warr (dir.), « Le corps de l'artiste », traduc.
D.-A. Canal, Paris, Phaidon, 2011, p.29.
29
elle-même, ou peut-être parce que, à force
de se raccorder à l'environnement, le corps devint lui-même
contexte, qu'apparurent des actions plus expressives, soit que le corps
éprouvât ses propres limites (épreuves et expression du
danger, de la douleur, transgression de certains tabous), soit que le corps
finît par être le support d'une image (travestissement).
»16
Le corps est alors sollicité, interrogé,
consacré comme nouvelle source de création. Il est
fouetté, menacé, suspendu, pincé, accouplé, voire
greffé à d'autres éléments. Il est mis à nu
et exposé. Le corps induit la nécessaire présence de son
enveloppe : la peau. Cette peau qui à son tour sera peinte,
percée, scarifiée, déchirée,
brûlée.
« À recenser les performances mettant en jeu la
peau, ce sont pourtant celles qui en font un objet submergé,
malmené, attaqué, meurtri, qui semblent dominantes, celles
même qui, il y a quelque temps encore, apparaissaient comme les plus
emblématiques d'une période mêlant outrage et outrance. S'y
associent d'emblée nombre d'« images
stéréotypées de corps battus et violentés ».
Reprendre quelques performances datées de plusieurs décennies le
montre. Mais reprendre celles d'aujourd'hui le montre encore, même si
beaucoup d'entre elles peuvent faire songer à une rupture »17
Parfois, l'exploration du corps de certaines artistes se
poursuivait de manière singulière. Dans Post-Porn Modernist
Show (Spectacle post-porno moderniste) 1992, l'artiste
16 C. Millet, « Le corps exposé »,
Nantes, éd. Nouvelles Cécile Defaut, 2011, p.144.
17 S. Roques et G. Vigarello, « La fascination
de la peau » in C. Biet et S. Roques (dirs.), « Performance.
Le corps exposé » op. cit., p.92.
30
militante porno-féministe Annie Sprinkle,
insérait un spéculum dans son vagin et invitait le public
à examiner le col de son utérus. Dans Corps Étranger
1994, Mona Hatoum, par le biais de caméras endoscopiques et
coloscopiques, proposait une oeuvre foncièrement technologique qui
sondait l'intérieur de son corps, tandis que l'échographie
permettait de saisir le bruit de sa respiration et les battements de son coeur.
Dans un registre peut-être plus apaisant, la lithuanienne Egle
Rakauskaite présentait une performance, In Honey (dans du miel)
1996, dans laquelle, couchée en position foetale et à
moitié immergée dans du miel, elle respirait par un long tube
souple qui ressemblait à un cordon ombilical. L'espace alentour donnait
l'impression d'un corps maternel auquel elle se trouvait reliée pour
assurer sa survie.
Avec Marina Abramovic, le corps pouvait se faire
objet18. Avec Carolee Schneemann, féministe engagée,
artiste active de Fluxux et du Judson Dance, il pouvait devenir à loisir
outil ou matériau. C'est ainsi que dans sa performance Up to And
Including Her Limits (Jusques et y compris ses limites) 1976, elle se
faisait pinceau autrement plus charnel et libéré que les
modèles ayant servi aux Anthropométries d'Yves Klein,
ou, que dans Eye Body : 36 Transformative Actions (OEil-corps : 36
actions de transformation) 1963, elle
18 Lors de sa performance Rhythm 0 (Rythme
0) 1974, un texte affiché sur le mur disait : « Il y a
soixante-douze objets sur la table que l'on peut utiliser sur moi comme on le
désire. Je suis l'objet. »
31
réalisait enfin le souhait longtemps formulé -
en incluant son corps dans une oeuvre construite à sa propre
échelle à l'aide de matériaux aussi insolites que
variés (panneaux, miroirs brisés, parapluie, lumières) -
d'utiliser ce dernier, selon sa propre expression « comme un
matériau à part entière - comme une dimension
supplémentaire à la construction. »19 Plus
simplement, la française ORLAN, décidait subitement de changer
d'univers créatif et de moyens d'agir :
« À cette époque, je faisais de la peinture
et de la sculpture. Et je me suis dit brusquement que ce n'était pas
cela qui était important. L'important était de travailler avec le
corps, sur son corps : dire des choses publiquement pour que change le monde et
que les femmes puissent parler de leur jouissance, de leur nudité, de
leur plaisir, puissent prendre la parole et obtenir un minimum de droits.
»20
Les performances des années soixante à
quatre-vingts, celles que l'on peut désormais qualifier
d'avant-gardistes, étaient réalisées sans complaisance,
dans un instant-présent qui, à de rares exceptions, leur
conférait un réalisme, une force de conviction et une
capacité à égratigner un ensemble de strates de
perceptions assoupies. Ces facultés
19 T. Warr, « Le corps de l'artiste »,
op. cit., p.61.
20 Entretien avec ORLAN réalisé par
S. Roques, 2013, « Les préjugés ébranlés par
L'Art-Action » in C. Biet et S. Roques (dirs.), «
Performance. Le corps exposé » op. cit., p.226.
facilitaient une réelle empathie avec un public qui
devenait petit à petit plus complice et dont le regard, en particulier
sur le corps humain, était soumis à de multiples remises en
question. Certes, « Selon les principes actuels de la théorie
critique, le spectateur de l'art, le lecteur d'un texte, le public d'un film ou
d'une production théâtrale, sont tous des performers, des
interprètes, puisque notre réaction vivante,
immédiate, à l'oeuvre d'art est essentielle à
l'accomplissement de cette oeuvre. »21 Mais, jeune spectatrice
du vingt-et-unième siècle, on ne peut s'empêcher de
regretter de ne pas avoir été spectatrice-performeuse
des créations de ces pionnières pour, qui sait, mieux
comprendre ou simplement mieux accepter celles qui tentent à
présent, et de manière souvent plus conceptuelle ou
hermétique, d'emprunter le même parcours. Les photos,
vidéos, films et écrits qui demeurent les seuls
témoignages de ces moments héroïques, ne restituent qu'une
infime et dérisoire partie de ces fêtes du corps, du sens et des
sens.
32
21 R. Goldberg, « Performances. L'art en action
», Op cit, p.9.
Figure 5 : Annie Sprinkle, Post-Porn Modernist Show,
1992.
33
34
Figure 6 : Mona Hatoum, Corps Étranger,
1994. Figure 7 : Egle Rakauskaite, In Honey, 1996.
35
Figure 8 : Carolee Schneemann, Up to and Including Her Limits
with Kitch, 1974 · Study for Up To and
Including Her Limits, 1973 · Up to and
Including Her Limits, 1976 · Ibid.
36
1.3 - La nudité comme arme ou comme armure
1.3.1 - La nudité insurrectionnelle
Comme nous venons de le voir, le corps est certainement un des
composants les plus novateurs parmi ceux introduits par la performance dans
l'art contemporain. Et fondamentalement, la nudité,
particulièrement la nudité en mouvement de certains
artistes, et la capacité qu'ils eurent à se dénuder
naturellement et même, dans certaines circonstances, à inviter le
public à toucher leur corps22, transgressèrent
certains usages sociaux, comme le tabou de la nudité, celui des
attouchements publics et les limites imposées à l'érotisme
ou à la pornographie. Le combat féministe et ses implications
artistiques passaient, bien évidemment, par une libération du
corps féminin. Et elle devait être la plus complète, la
plus radicale possible. Le corps nu de la femme, le corps nu et mobile de la
femme artiste, devint un des symboles les plus forts de cette volonté
22 Dans la performance Imponderabilia
(Impondérables) 1977, réalisée lors d'un vernissage
à la Galleria communale d'arte moderna de Bologne, Marina Abramovic et
son compagnon Ulay, se tinrent nus, debout et face à face, dans
l'encadrement de la porte d'entrée, contraignant ainsi les visiteurs
à choisir dans quel sens se placer pour toucher leurs corps nus.
d'émancipation, et la performance, son terrain d'action
le plus efficace. Ces nouvelles pratiques furent loin de faire
l'unanimité, même au sein des mouvements féministes, car,
dans ces représentations, le corps qui s'exprimait pouvait être
militant ou au contraire, volontairement caricatural :
« Les réactions à l'oeuvre d'artistes
femmes travaillant avec leur corps nu sont particulièrement
révélatrices. Même les critiques les mieux disposés
à leur égard ont souvent parlé, à propos de
l'utilisation du corps comme objet de l'oeuvre, d'exhibitionnisme, sinon de
masturbation. Ainsi, une féministe comme Catherine Francblin a
critiqué les artistes femmes qui se livraient à ces pratiques,
les accusant de faire le jeu de la notion machiste de femme-objet. La
contextualisation critique, l'insistance de l'artiste sur ses intentions ne
sauraient stabiliser le langage du corps. »23
Certes, dans l'art, le corps féminin, vivant
et nu, avait déjà été plus ou moins
agité. Mais jamais de sa propre initiative ou par des femmes.
En 1958, le peintre français Yves Klein, en habit, s'était servi
de corps de modèles féminins, nus et enduits de peinture, comme
de gigantesques pinceaux vivants, en les faisant évoluer selon ses
instructions sur des toiles apprêtées. Les photos de ce même
évènement, réalisé une nouvelle fois en 1960, et
d'un réalisme aussi daté que cruel, montrent un public mondain et
pour le moins circonspect, où les expressions masculines, faussement
blasées, se conjuguent avec celles, faussement
37
23 Essai de A. Jones in T. Warr (dir.),
« Le corps de l'artiste », op. cit., p.13.
38
amusées des femmes. En 1961, l'artiste italien Piero
Manzoni, abandonnant pour un temps ses Achromes, avait
décidé de créer des sculptures vivantes, en
apposant sa signature sur une partie du corps de certaines personnes plus ou
moins nues. En 1963, dans Action matérielle n°1 :
dégradation d'une vénus, Otto Mühl jetait de la
peinture et des ordures sur une femme nue avant de la rouler dedans. Tout cela
était nouveau, d'aucuns diraient espiègle ou machiste, mais loin
de pouvoir bouleverser les corps et les esprits comme la vague de performances
qui suivit. L'audace décisive vint, en 1963, de l'Américaine
Carolee Schneemann. Sublimant l'idée de Jackson Pollock d'être
dans la peinture, en désir personnel d'avoir le corps enduit de
peinture pour en faire un outil, elle réussit à donner
à voir simultanément un nu féminin et le corps agissant de
la créatrice.24 L'artiste voyait dans cette attitude radicale
et novatrice, et selon ses propres mots, un défi adressé «
aux lignes de défense territoriale psychiques permettant d'admettre les
femmes dans le club fermé de l'Art. »25 En janvier 1963,
déjà, « c'est avec le Judson Dance Theater, et une
performance, Newspaper Event, que Schneemann développe le
côté matériel du corps et imagine une sorte de
système, reliant le corps à l'environnement [...].
»26 Mais en
24 C'est sa performance Eye Body : 36
Transformative actions qui est évoquée ici.
25 T. Warr, « Le corps de l'artiste »,
op. cit., p.61.
26 O. Lussac, « Performances et Rituels corporels
féminins. L'exemple de Carolee Schneemann », Op cit.
39
décembre, avec Eye Body : 36 transformative
actions, elle compose une oeuvre fondatrice et incontournable qui tire son
origine d'une note écrite la même année :
« -Que le corps soit dans l'oeil- ; que les sensations
reçues visuellement prennent racine dans l'organisme dans son ensemble.
Cette perception remue l'entière personnalité dans
l'excitation... Mes drames visuels pourvoient simultanément à une
intensification de toutes les facultés - appréhension qui va en
avant dans une juxtaposition sauvage. Mes yeux créent, recherchent une
forme expressive dans les matériaux que je choisis- ; de telles formes
correspondant à une dimensionnalité esthétique visuelle et
cinétique- ; une nécessité viscérale
dessinée par les sens [...] un évènement mobile et tactile
dans lequel l'oeil guide le corps. - »27
Dans une Amérique des années soixante,
patriarcale, religieuse et puritaine, Carolee Schneemann fut, au mieux
blâmée, au pire ignorée par la critique qui «
s'indignait du fait qu'une artiste osât ainsi incorporer sa nudité
à son oeuvre, comme si un intermédiaire vêtu de pied en cap
dût nécessairement être présent pour diriger
l'action, à l'instar de Klein, Manzoni et Robert Morris [...].
»28 Pourtant, l'année suivante, elle proposa Meat
Joy (Joie de la viande) 1964, « l'apothéose de la
plénitude libidinale ou de la « -jubilation
27 O. Lussac, « Performances et Rituels corporels
féminins. L'exemple de Carolee Schneemann », Op cit.
28 R. Goldberg, « Performances. L'art en action
», op.cit. p.95.
charnelle- » [...], avec la figure de la femme
nourricière, avec hommes, poisson cru, poulets éventrés,
saucisses, peinture et chansons pop [...]. »29, performance au
cours de laquelle elle fut victime d'une tentative d'étranglement de la
part d'un spectateur, puis encore, une décennie plus tard, Interior
Scroll (Parchemin intérieur) 1975, stupéfiant manifeste
féministe dans lequel, nue et sculpturale, elle lisait un parchemin
qu'elle retirait lentement de son vagin, et sur lequel étaient inscrits
des bribes de textes féministes qu'elle avait écrits pour
d'autres oeuvres et, parmi eux, la relation de la discussion affligeante
qu'elle avait eue avec un cinéaste structuraliste qui trouvait son
travail encombré de détails personnels. Elle
accouchait ainsi, littéralement, d'une parole longtemps
confisquée par les hommes. Interior Scroll, qui fut
également le fruit de ses recherches sur « l'espace vulvaire
», dissimulait aussi un monde de symboles et de significations d'un
accès moins immédiat. La très fréquente
nudité de Carolee Schneemann demeura, tout au long de son parcours,
foncièrement militante. Mêlée à une audace et une
agressivité que l'on considérait alors comme masculine,
elle participait à la réalisation d'une oeuvre qui, selon les
termes de Peggy Phelan, s'avérait « spirituelle, sarcastique, et
surtout « cultivée »
40
29 O. Lussac, « Performances et Rituels corporels
féminins. L'exemple de Carolee Schneemann », Ibid.
41
[...]. »30 Il nous semble impossible de clore
cette trop succincte approche de Carolee Schneemann sans citer d'elle ces
quelques lignes emblématiques :
« Un istorien31 de l'art peut-il être
une femme nue ? Une femme a-t-elle une autorité intellectuelle ?
Peut-elle avoir une autorité publique alors qu'elle est nue et qu'elle
parle ? Est-ce que le contenu de la conférence était moins
appréciable quand elle était nue ? Quels multiples niveaux de
malaise, de plaisir, de curiosité, de fascination érotique,
d'acceptation ou de rejet ont été activés dans le public ?
»32
Tout est dit. Et les cinq années qui séparent
les Anthropométries d'Yves Klein du Eye Body de
Carolee Schneemann apparaissent, dès lors, comme des
années-lumière.
Cette nudité, en quelque sorte exemplaire, l'est
à plusieurs niveaux d'interprétation.
« Je me mets nue parce que Claude Cahun, Carolee
Schneemann, Valie Export, Ana Mendieta, Marina Abramovic, Annie Sprinkle, etc.,
se sont mises nues. Le nu féminin renvoie d'abord à des femmes
féminines et hétérosexuelles, prises par le regard
d'artistes hommes (et majoritairement
30 Essai de P. Phelan in H. Reckitt (dir.),
« Art et féminisme », op cit, p.30.
31 Schneemann retire le « h » d'«
historien », car his renvoie en anglais au masculin.
32 J. Perrin, « Le nu féminin en
mouvement » in C. Biet et S. Roques (dirs.), « Performance.
Le corps exposé » op. cit., p.178.
42
hétérosexuels), mais les artistes femmes
auxquelles mon travail renvoie sont justement sorties, les unes après
les autres et chacune à leur manière, de ce regard masculin
hégémonique ».33
Elle fut donc utilisée par d'autres artistes militantes au
cours de ces années d'offensives.
L'autrichienne Valie Export, fait partie, avec Marina
Abramovic, Gina Pane, Rebecca Horn et Ulrike Rosenbach, des performeuses
européennes qui présentèrent des oeuvres troublantes et
émotionnellement poignantes. Mais, parmi ces dernières, elle peut
apparaître la plus proche de Carolee Schneemann par son engagement
féministe, les provocations radicales de certaines de ses approches, et
son statut de pionnière des années soixante.
Spécialisée dans les actions de rue, elle
réalisa, dès 1968, avec l'actionniste Peter Weibel, la
performance Tapp und Tastkino (cinéma tactile) dans laquelle,
elle se promenait dans la rue, avec accrochée à son cou, une
sorte de scène de théâtre miniature qui cachait ses seins
nus. Peter Weibel haranguait la foule avec un mégaphone, en proposant
aux passants d'écarter le rideau de scène pour toucher, en
aveugle, les seins de sa partenaire. Le propos était clair :
« En permettant à tout le monde de toucher ce que
l'on peut appeler en langage cinématographique l'«écran de
mon corps», ma poitrine, j'ai dépassé les limites de la
communication sociale
33 Gaëlle Bourges citée par R. Huesca,
« La danse des orifices », Paris, Nouvelles éditions
Jean-Michel Place, 2015, p.143.
43
communément admise. Ma poitrine échappait
à la «société du spectacle» responsable de la
transformation des femmes en objets. De plus, les seins n'appartiennent plus
à un seul homme, et la femme qui dispose librement de son corps tente de
se donner une identité indépendante. C'est le premier pas pour
passer du statut d'objet à celui de sujet. »34
La même année, avec Genital Panik
(Panique génitale), elle se montra encore plus explicite, en
pénétrant dans une salle de cinéma d'art de Munich alors
que des réalisateurs y présentaient leurs oeuvres. Elle
était revêtue d'une chemise noire et de jeans dont elle avait
découpé l'entrejambe pour laisser voir son sexe nu. Elle
parcourut lentement toutes les rangées de spectateurs en
déclarant que son sexe était disponible et qu'on pouvait en faire
ce que l'on voulait. Si, comme le dit Julie Perrin, « Le nu dans la
performance doit alors être appréhendé au regard d'un
régime de pouvoir et de représentation donné. Il n'est pas
dit qu'il produise du désordre à tous les coups.
»35, on peut néanmoins imaginer l'impact du
désordre produit, il y a un demi-siècle, sur un public
essentiellement masculin, même averti des surprises
réservées par le monde de l'art. « J'avais peur et pas la
moindre
34 Valie Export citée par H. Reckitt, «
Art et féminisme », op. cit., p.64.
35 J. Perrin, « Le nu féminin en
mouvement » in C. Biet et S. Roques (dirs.), « Performance.
Le corps exposé » op. cit., p.175.
44
idée de ce que les gens allaient faire. Au fur et
à mesure que je passais de rangée en rangée, les gens se
levaient en silence et sortaient du cinéma. »36 Il
convient toutefois de préciser que la photographie Aktionshose
Genitalpanik (Action de pantalon, panique génitale), qui fut prise
en 1969, pour la réalisation d'une série d'affiches
commémoratives de la performance, et pour la documenter après
coup, est, en partie, à l'origine de la légende selon laquelle
Valie Export aurait menacé, avec une arme, le public d'une salle de
cinéma pornographique. Une anecdote ultérieure démontre,
s'il était besoin, à quel point la nudité de Valie Export
était aussi foncièrement militante que celle de Carolee
Schneemann : Lorsqu'en 1970, à Londres, Carolee Schneemann accueille
chez elle Valie Export qui, persécutée, fuit son Autriche natale,
elle écrit :
« Nous nous sommes dit l'une à l'autre combien
nous étions dans le risque de tout perdre sauf notre vision de l'art :
le gouvernement autrichien avait pris l'enfant de Valie la considérant
comme une mère indigne et la jugeant inapte à l'élever.
J'étais en exil, loin de mon partenaire, de ma maison, de mon travail.
Nous étions toutes les deux fragiles et furieuses. Ensemble nos buts
étaient confirmés, la potentialité des pouvoirs
déstabilisants du corps féminin était entre nos mains.
»37
36 Valie Export citée par H. Reckitt, «
Art et féminisme », op. cit., p.97.
37 Introduction de N. Boulouch et E. Zabunyan
in E. Zabunyan (dir.), « La performance. Entre archives et
pratiques contemporaines », Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2011, p.17.
45
À la lecture des commentaires laissés par les
femmes artistes de cette époque, on est frappé par la similitude
de ton avec certains récits de guerre. Il est certain que l'art
féministe, et particulièrement celui permettant au corps nu
féminin d'imposer son indocile présence, se pratiqua en terrain
miné et dans un climat de constante mise en danger.
Nous allons en avoir confirmation avec ce nouvel exemple de
nudité combattante, celle de l'américaine d'origine cubaine, Ana
Mendieta, elle aussi amie de Carolee Schneemann, qui lui rendit hommage, en
1986, dans son oeuvre Hand/Heart for Ana Mendieta (Main/coeur pour Ana
Mendieta), réalisée un an après la mort de cette
dernière dans des circonstances aussi tragiques que
troublantes.38
Arrivée en 1961 de Cuba, jeune adolescente
immigrée fuyant le régime castriste, Ana Mendieta commença
son parcours américain, déplacée de foyers d'accueil en
orphelinats, avant de commencer des études d'arts et de peinture. Mais
dès 1972, elle se dirigea vers une voie différente et entama une
série de performances qui restent parmi les plus radicales et puissantes
de l'histoire de l'art féministe. Dans Death of a Chicken (Mort
d'un poulet) 1972, elle apparaissait nue, tenant par les pattes un poulet dont
on venait de couper la tête
38 Le 8 septembre 1985, et pour des raisons
toujours indéterminées aujourd'hui, Ana Mendieta chute d'une des
fenêtres de l'appartement qu'elle partage avec son mari, le très
célèbre sculpteur minimaliste Carl André, au
34ème étage d'un immeuble de Manhattan.
et dont le sang l'aspergeait. Elle reproduisait dans cette
performance un rite de purification et d'intronisation issu de la
Santeria, un syncrétisme religieux pratiqué à
Cuba. Il s'agissait de la première occurrence d'une série de
nudités que l'on retrouvera ultérieurement dans ses
siluetas, reformulations personnelles de rituels primitifs
pluriculturels. Puis, en 1973, traumatisée par le viol et l'assassinat
d'une étudiante de son campus, elle réalisa Rape Scene
(Scène de viol), performance avec laquelle elle espérait briser
la loi du silence.
« Un soir, l'artiste a invité des amis et ses
condisciples à lui rendre visite dans son appartement de Moffit Street
(Iowa City). Les invités ont trouvé la porte de l'appartement
entrouverte et sont entrés dans une pièce sombre
éclairée par une seule lampe ; ils ont découvert Ana
Mendieta, le bas du corps dénudé, plaquée et
attachée sur une table, les jambes et les fesses souillées de
sang ; sur le sol, maculé de traces de sang, gisaient des assiettes
brisées. L'artiste a raconté par la suite à quel point la
tragédie de l'étudiante l'avait bouleversée et
traumatisée. Cette identification avec une vraie victime signifiait
à l'évidence qu'elle ne se présentait pas comme l'objet
anonyme d'un « tableau vivant ». »39
L'oeuvre d'Ana Mendieta, bien qu'évoquant souvent le
pouvoir de la sexualité féminine, dénonçait les
violences faites aux femmes et le carcan social par lequel ces dernières
étaient opprimées dans un monde construit historiquement sur des
valeurs patriarcales. Mais dans la série des siluetas
évoquées précédemment, l'utilisation de son
corps, très souvent nu,
46
39 T. Warr, « Le corps de l'artiste »,
op. cit., p.100.
47
comme élément agrégé, en
particulier à la terre-mère, et la convocation des
différentes déesses associée à celle-ci,
l'entrainèrent vers les sources de la théorie du matriarcat
initial ou des matriarcats partiels. Cette réappropriation de
déesses sera, elle aussi, considérée comme une militance
féministe. De cette artiste d'une extrême sensibilité,
étincelante, provocante, ombrageuse, franche et férocement
ambitieuse, dont l'universitaire et curateur Irit Rogoff disait qu'elle «
alliait un appétit sauvage, à une sexualité
féminine libérée »40, il demeure les
traces d'un grand nombre de performances utilisant son corps nu, sans
qu'à aucun moment, cette nudité n'apparaisse comme gratuite
ou complaisante.
L'Américaine Hannah Wilke, qui utilisa un nombre
important de média différents, fut, comme Carolee Schneemann,
intéressée par l'espace vulvaire et demeure une des
premières artistes à avoir privilégié la
représentation de cette partie du corps féminin dès la fin
des années soixante. Tout au cours de sa brillante carrière, elle
s'exposa nue dans diverses performances, dévoilant souvent une
sensualité triomphante dont les motivations parurent quelquefois
ambigües à ses contemporains. Pourtant, s'il lui arrivait de
40 S. O'Hagan, 2013, « Ana Mendieta: death of
an artist foretold in blood », source citée :
https://www.theguardian.com/artanddesign/2013/sep/22/ana-mendieta-artist-work-foretold-death
(consulté le 16/02/2015).
48
revendiquer clairement sa féminité, « La
fierté, le pouvoir et le plaisir que l'on retire à être
soi-même, un être sexué, menacent la culture, sauf s'ils
sont récupérés comme un simple produit
économiquement et socialement utile. »41, son
implication féministe et le bien-fondé de ces mises à
nu, ne font aucun doute à la lecture de certaines de ses
déclarations.
« Je me suis donné la forme d'une déesse,
d'un ange, d'une femme crucifiée pour pouvoir expulser les symboles
féminins créés par les hommes et pour donner ainsi aux
femmes un nouveau statut, un nouveau langage formel. En particulier, j'ai voulu
réaffirmer la nature physique du corps qui semble être devenue
plus étrangère que jamais dans le monde de la
déconstruction. Les femmes ont toujours servi d'idéal et
d'inspiration créatrice aux hommes. Créer mes propres images en
tant qu'artiste et objet était important pour moi car je refusais
totalement d'être l'objet. Je me suis transformée en objet pour
idéaliser la femme, à la manière dont les hommes l'ont
fait si souvent, pour lui restituer son corps. J'ai repris possession de mon
corps au lieu de le faire «créer» par quelqu'un d'autre.
»42
Dans une dernière oeuvre exposée à titre
posthume, Intra Venus 1993, elle montre ce même corps,
déformé par la chimiothérapie destinée à
combattre le mal qui l'emportera la même
41 Hannah Wilke citée par H. Reckitt, «
Art et féminisme », op. cit., p.107.
42 C. Morineau et Q. Bajac avec la collaboration de
M. Archambault, « elles@centrepompidou », cat. Expo., Paris, Centre
national d'art et de culture Georges Pompidou, (29 mai 2009-21 février
2011), Paris, Éditions du centre Pompidou, 2009, p.14.
49
année, accompagné d'autoportraits à
l'aquarelle, de sculptures d'objets médicaux et de collages de cheveux
perdus pendant son traitement.
À l'ombre de ces totems, ou à côté
d'eux, se sont tenues et se tiennent encore - quelquefois plus
médiatisées pour des raisons qui tiennent d'avantage aux
manipulations qui sous-tendent le marché de l'art, qu'à la valeur
intrinsèque de leurs oeuvres - un certain nombre de performeuses qui
entretenaient avec la nudité de fréquents rapports,
justifiés dans la majorité des cas. Le Mirror Check (le
test du miroir) 1970 de Joan Jonas ne pouvait se concevoir d'autre
manière puisqu'il était destiné à mettre l'accent
sur les différences de point de vue pouvant exister au même
moment, entre le sujet et l'artiste, sur un corps de femme. De même,
compte tenu de la problématique soulevée - montrer
l'évolution de la sculpture d'un corps au cours d'une
période de régime strict - il était impossible à
Eleanor Antin de ne pas être nue pendant la réalisation de son
oeuvre Carving : A Traditionnal Sculpture (Modelage : une sculpture
traditionnelle) 1973. Quant à Egle Rakauskaite, son rôle
foetal dans In Honey (dans du miel) 1996, ne pouvait que se
concevoir nu. Dans un contexte plus contemporain, la mexicaine Rocio Boliver ne
limite pas ses performances à utiliser son vagin comme instrument de
musique. Dans La daica del ser (La chute de l'être) son corps nu
et vulnérable est utilisé pour reproduire la dernière
toilette du corps d'une
50
femme défunte.43 Et ce rituel funèbre
ne peut se concevoir qu'avec un corps nu. L'artiste croate Vlasta Delimar, qui
refuse énergiquement de voir ses performances qualifiées, tout
autant, d'art féministe que d'art féminin, ne peut, dans Lady
Godiva, réalisée en 2001 dans les rues de Zagreb,
qu'apparaître nue comme son modèle. Boryana Rossa, bulgare et
féministe revendiquée, apparaît elle aussi logiquement nue,
dans sa réinterprétation, Vitruvian Body (Le corps de
Vitruve) 2009, exécutée avec son partenaire russe Oleg
Mavromatti.
Parmi les performances de Yolene Richard, étudiante
à l'Université de Lorraine, À ma planche 2016,
semble, tel un prolongement limpide, s'inscrire dans la droite ligne des
nudités insurrectionnelles. À l'occasion de l'exposition
collective À ma hauteur 2016, une
43 Dans un très intéressant article
paru en 2015, « Mort et sacrifice dans la performance féministe
ibéro-américaine. OEuvres d'Ana Mendieta et de Rocio Boliver
», Melissa Simard s'intéresse particulièrement à
l'utilisation de la mort réelle et au simulacre funéraire chez
ces deux performeuses féministes mais d'époques
différentes.
M. Simard, 2015, « Mort et sacrifice dans la performance
féministe ibéro-américaine. OEuvres d'Ana Mendieta et de
Rocío Boliver », Amerika (en ligne), 12, source citée :
http://amerika.revues.org/6537
; DOI : 10.4000/amerika.6537 (consulté le 21/11/2015).
51
« cinquantaine de mètres de [planches de] Sapin
Brut »44 ont été façonnées et
illustrées par des étudiants en troisième année de
licence d'Arts plastiques.
Cependant, au milieu de « toutes ces planches
fièrement dressées »45 se tenait, à
l'identique, le corps nu de Yolene Richard, recouvert de motifs figurant les
nervures et les noeuds du bois. La performeuse, qui assimile le naturel de sa
peau à celui du bois brut, devient une planche parmi d'autres que le
public peut manipuler tel un objet.
L'intention de l'artiste, qui était de dénoncer
le statut de femme-objet, est ainsi matérialisée de façon
humoristique.
Dès 1980, la Polonaise Ewa Partum, utilise sa
nudité revendicatrice pour combattre l'absurdité d'un
régime politique et affermir son combat féministe. Sa compatriote
Katarzyna Kozyra, considérée comme l'artiste polonaise la plus
subversive de sa génération, rappelle par la nudité
tragique qu'elle affiche dans certaines de ses oeuvres, la bouleversante
morbidité des derniers opus d'Hannah Wilke.
44 Descriptif de l'exposition À ma
hauteur 2016, figurant sur la page Facebook de l'événement,
source citée :
https://www.facebook.com/events/1400122306955992/
(consulté le 21/04/2016).
45 A. Valentin, 2016, « Les étudiants
s'exposent », KLANCH. Culture et sous-culture, source citée :
http://klanch.fr/les-etudiants-sexposent-a-la-galerie-octave-cowbell/
(8 juillet)
52
« Ses polaroïds de nus anorexiques
réalisés en 1991 ont annoncé une de ses oeuvres les plus
emblématiques de sa recherche : Olympia (1996) qui, sous la
forme d'un triptyque, photographique mais également sous celle d'une
vidéo sonore, montre l'artiste à l'issue d'une lourde
chimiothérapie, chauve, le teint brouillé un bras sous perfusion
adoptant une pose rendue célèbre par le tableau de Manet. La
vidéo permet d'entendre une voix féminine, celle d'une
infirmière s'indignant que l'on puisse se filmer et, surtout, envisager
de se montrer dans un tel état. »46
Et comment ne pas évoquer, pour clore cette liste non
exhaustive, l'incontournable Marina Abramovic, dont nous reparlerons plus
longuement dans la partie de ce mémoire réservée aux
blessures auto-infligées. Elle pourrait à elle seule
représenter le parangon de la nudité performantielle. Plus
courageuse, plus résistante, et plus nue, pourrait être la devise
qu'elle s'emploie à mériter depuis quelques décennies,
même s'il conviendrait d'y rajouter plus médiatique
depuis un certain temps. Devenue La grand-mère de
l'art-performance, elle écarte toujours toute
référence au féminisme. Son discours ne s'encombre que
rarement de digressions sophistiquées et se résume en quelques
axiomes personnels : « Je n'ai jamais voulu d'un corps d'homme. J'ai
toujours pensé que les femmes étaient plus fortes de toutes
46 A. Tronche, 2008, « Kulik, Èernicky,
Kozyra. Trois résistances culturelles. », artpress2 «
performances contemporaines » (n°7), p.56.
53
manières [...] Le fait que les femmes puissent donner
la vie en fait déjà des êtres humains supérieurs
[...] Je suis très souvent nue. Mais je ne suis pas nue pour plaire aux
hommes. [...] C'est à vous de prendre le pouvoir. Vous devez sentir,
avant tout, que vous êtes puissante. Si vous ne le sentez pas, ils vous
passeront dessus. »47 ou, tout aussi clairement « Je
n'apprends que de ce que je crains le plus. »48 Sa propre
conception de la performance fait frissonner maints exégètes plus
timides ou consensuels.
« Pour être une performance artist, il
faut haïr le théâtre. Le théâtre est faux ; il y
a une boîte noire, vous payez votre ticket et vous vous asseyez dans le
noir et vous voyez quelqu'un jouer la vie de quelqu'un d'autre. Le couteau
n'est pas réel, le sang n'est pas réel et les émotions ne
sont pas réelles. La performance, c'est exactement le contraire : le
couteau est réel, le sang est réel et les émotions sont
réelles. C'est un concept très différent. C'est à
propos de la vraie réalité. »49
47 Entretien avec M. Abramovic réalisé
par A. Maloney, 2015, « Marina Abramovic and the art of female sacrifice.
The «grandmother of performance art» talks nudity, feeling one's
power and why she refuses to identify as a feminist », The New York Times,
source citée :
http://nytlive.nytimes.com/womenintheworld/2015/11/17/marina-abramovic-and-the-art-of-female-sacrifice/
(consulté le 11/12/2015).
48 R. Goldberg, « Performances. L'art en action
», op. cit., p.13.
49 C. Biet, « Pour une extension du domaine de
la performance (XVIIe - XXIe siècle) » in C. Biet et S. Roques
(dirs.), « Performance. Le corps exposé », op. cit.,
p.23.
54
Certes, le propos est radical, et, dans le même ouvrage,
Christian Biet ironise sur « ce que pourrait être la « vraie
réalité » de Marina Abramovic [...] ».50
Peut-être pourrions-nous suggérer que cette vraie
réalité est tout simplement l'expérience du
terrain : elle a connu dans sa chair les coups, l'oppression,
l'éducation militaire, religieuse et rigoriste, ce qui permet de lui
donner en cette matière, l'autorité du vécu, dont
certains sont démunis. Sa nudité, quant à elle, a toujours
été assumée, frontale, guerrière, souvent tactile
voire percutante.51 Mais toujours utilitaire. La
prise de risques, expression souvent galvaudée dans le monde de
la performance, est une quasi-constante dans une part importante de ses
oeuvres. La personnalité de Marina Abramovic est clivante, la pertinence
de certaines de ses oeuvres peut être discutée, mais il est un
point qu'il est difficile de réfuter : sur le terrain de l'action
performancielle, cette artiste représente un cas unique en
matière de longévité et de performances extrêmes.
50 C. Biet, « Pour une extension du domaine de
la performance (XVIIe - XXIe siècle) » in C. Biet et S. Roques
(dirs.), « Performance. Le corps exposé », Ibid.,
p.24.
51 Relation in Space (Relation dans
l'espace) 1976, la première performance qu'elle a réalisée
avec son compagnon Ulay, consistait à se percuter violemment, l'un
l'autre, nus, et sur un rythme de plus en plus rapide, pendant une heure.
55
Figure 9 : Carolee Schneemann, Eye Body, 1963.
56
Figure 10 : Carolee Schneemann, Interior Scroll,
1975.
Figure 11 : Carolee Schneemann, Meat Joy, 1964.
57
Figure 12 : Valie Export, Tapp und Tastkino, 1968
· Action Pants, Genital Panic, 1969.
58
Figure 13 : Carolee Schneemann, Hand/Heart for Ana
Mendieta, 1986.
59
Figure 14 : Ana Mendieta, Untitled (Death of a
Chicken), 1972.
Figure 15 : Ana Mendieta, Rape Scene, 1973.
Figure 16 : Joan Jonas, Mirror Check, 1970.
Figure 17 : Vlasta Delimar, Lady Godiva, 2001.
Figure 18 : Boryana Rossa, Vitruvian Body, 2009.
60
Figure 19 : Yolene Richard, AÌ ma planche,
2016.
Figure 20 : Katarzyna Kozyra, Olympia, 1996.
61
62
1.3.2 - La nudité postiche
Comme nous venons de le constater, la nudité de la
performeuse a souvent trouvé sa justification dans l'expression d'une
revendication émancipatrice. Le carcan patriarcal et séculaire,
en cédant sous les efforts conjugués des embryons de pouvoirs
féministes, libérait dans un même élan des esprits
et des corps, même si cette délivrance se trouvait
facilitée par l'existence d'une problématique non
équivoque. Le corps nu et en mouvement exprimait dans ce cas une
idée-force dans laquelle l'érotisme ou la pornographie
étaient remplacés par l'évidence d'une
nécessité : en la circonstance, et pour que la
problématique puisse être correctement traitée, la
nudité était impérative. Certes, on ne pouvait
éviter, çà et là, des cas d'angélisme ou des
soupçons de (fausse ?) candeur. L'oeil du spectateur, masculin en
particulier, ne pouvait, par moments, s'empêcher de céder à
un voyeurisme pur qui mettait en péril la portée initiale du
message. Mais la franchise des intentions de l'artiste semblait ne pas pourvoir
être mise en défaut.
Il en est autrement de ce que nous avons choisi de nommer : la
nudité postiche, et que nous aurions pu, tout aussi bien
qualifier de cosmétique. Qu'elle soit potache, espiègle,
ouvertement agressive ou clairement provocante, elle est souvent le postiche
qui cache la calvitie des idées, la séduisante vitrine
d'une boutique dont l'inventaire peut s'avérer décevant. En
aucune manière, nous ne souhaitons ici, contester le droit à
toute nudité,
63
d'exister sans motif induit autre que celui de donner à
voir un corps nu. Surtout dans une oeuvre relevant de l'art contemporain, dont
nous admettons qu'il puisse s'isoler des notions de beauté, de
moralité, de dignité, d'éthique, de plaisir, de
transparence, de sens et de toutes les valeurs généralement
sollicitées pour étayer les oppositions à sa
légitimité. Après tout, l'absence d'idées est,
peut-être, une idée en soi, puisque dénoncer l'absence
c'est déjà en reconnaître l'existence. Mais, nous percevons
dans certaines de ces nudités cosmétiques, le risque d'affaiblir
la position des nudités combattantes par une sorte d'effet
d'accoutumance. Trop de nudité tue la nudité. Et, dans le maquis
de l'art contemporain, le public est prompt à jeter le
bébé avec l'eau du bain. Aussi subjective que puisse
paraître la dissemblance entre nudité insurrectionnelle et
nudité postiche dans une performance, nous nous proposons de classer
dans cette dernière catégorie les oeuvres pour lesquelles la
performeuse s'est dénudée en dehors de toutes justifications,
celles dont l'argumentation ténue ou confuse cache mal un
exhibitionnisme rampant ainsi que celles dont le projet de choquer est
uniquement concrétisé à l'aide de la nudité.
Le Feed Me (Nourris-moi) 1973, de l'américaine
Barbara T. Smith est emblématique de cette confusion des genres. Dans
une salle de ce qui deviendra plus tard le Musée d'art conceptuel de San
Francisco, les 20 et 21 avril 1973, Barbara T. Smith attend, nue, des visiteurs
qui rentreront un par un, pour leur proposer une sorte de dialogue
réciproque ou d'échange nourricier. Pour ce faire,
elle est allongée sur un divan, plongée dans une
64
lumière tamisée, munie d'un arsenal comprenant
marijuana, nourriture, livres, musique, vin, thé, huile de massage.
L'échange de nourriture, peut aller jusqu'à l'usage du
corps d'autrui. « La rumeur circulait que Barbara Smith « voulait
faire l'amour avec chaque nouveau visiteur » ; mais - selon elle - son
intention était de « renverser la situation afin que chaque
visiteur me nourrisse ». »52 Seize hommes et trois femmes
se pressèrent derrière la porte pour obéir aux injonctions
de la bande son qui répétait feed me, en boucle. Selon
Tracey Warr :
« L'objectif de Barbara Smith était de montrer que
le stéréotype de la femme-odalisque s'offrant dans un endroit
douillet où la nudité et le confort évoquent le sexe et la
détente relevait à la fois de la « vie réelle »
et de l'« imagination ». En endossant le rôle
stéréotypé de la maman et de la putain, et en y ajoutant
celui de l'artiste avec sa propre subjectivité, elle mettait à
mal la lecture univoque des rôles féminins, proposant à la
place un espace dans lequel de multiples points de vue peuvent cohabiter.
»53
La problématique de départ semble plus
intelligible que les exégèses mouvantes dont l'oeuvre a
été suivie. Se nourrir d'une multiplicité
d'échanges est une évidence. Mais c'est la mise en oeuvre qui
l'est moins. La jeune artiste étant offerte nue au premier regard et
apparaissant agréable et disponible, il semble difficile de concevoir
que les invités se soient
52 Essai de A. Jones in T. Warr (dir.),
« Le corps de l'artiste », op. cit., p.45.
53 T. Warr, « Le corps de l'artiste »,
Ibid., p.116.
65
précipités dans l'espoir de pouvoir,
prioritairement, se nourrir de mets et d'alcool, tout en discutant sur les
mérites de la maïeutique socratique. La nudité
immédiate rend la problématique équivoque. Et le
féminisme déclaré de Barbara T. Smith semble, ici, loin
d'être probant, même si, il y a quarante ans, toute nudité
pouvait apparaître contestataire. De nos jours, un reenactment de cette
oeuvre, réalisé dans les mêmes conditions, pourrait
être qualifié de purement racoleur. Et c'est semble-t-il
légitimement, que la notion de racolage pourrait être
associée à certaines performances actuelles qui justifient
l'emploi des nudités exposées à l'aide d'arguments
spécieux.
« C'est de l'art ; c'est de la mode. C'est bon ; c'est
mauvais. C'est sexiste ; ça ne l'est pas. C'est une performance
artistique de Vanessa Beecroft. »54 C'est ainsi que la critique
d'art, Roberta Smith, présente la polyvalente et controversée
icône, Vanessa Beecroft. Américaine d'origine italienne, cette
artiste est l'un des exemples les plus flagrants, et
54 R. Smith, 1998, « Critic's Notebook;
Standing and Staring, Yet Aiming for Empowerment », The New York Times
Company, source citée :
http://www.vanessabeecroft.com/NewYorkTimes.pdf
(consulté le 29/06/2016).
66
médiatisés, du mariage incestueux entre l'art et
la mode et de ce que nous appelons, dans notre introduction, la
déliquescence du propos. Selon RoseLee Goldberg :
« Vanessa Beecroft, Mariko Mori ou Yasumasa Morimura
abordent la performance en public, les projections vidéo et la
photographie avec le professionnalisme de directeurs artistiques d'agence de
publicité - faisant appel aussi bien à des maquilleuses
qu'à des éclairagistes pour créer des performances et des
performances-photographies qui montrent la convergence de la haute couture et
de l'histoire de l'art »55
Certes, le spectre des troubles alimentaires dont a souffert
l'artiste et son obsession d'une perfection physique relative56,
sous-tendent une part importante de son oeuvre. Mais l'abondance de
nudités soigneusement sélectionnées, conjuguée
à l'élitisme des lieux d'exhibition (dans tous les sens du
terme), donnent l'impression d'une surenchère abusive, parfois
même arrogante et machiste, alors même que le propos serait d'en
dénoncer justement l'existence. Ne participant pas elle-même
à la performance, mais se contentant de la concevoir et d'en assurer la
mise en scène, elle donne la déplaisante impression de se limiter
à jouer avec le matériau humain d'autrui, sans jamais s'impliquer
physiquement. Parmi de très nombreux exemples, était-il
nécessaire que les vingt-trois jeunes femmes de
55 R. Goldberg, « La Performance du futurisme
à nos jours », Paris, Thames & Hudson, 2012, p.223.
56 On peut consulter à ce sujet l'entretien
que J. Thurman a accordée au New Yorker le 17 mars 2003, source
citée :
http://www.vanessabeecroft.com/NewYorker.pdf
(consulté le 29/06/2016).
67
la performance VB43 2000, et les vingt de VB46
2001, toutes deux réalisées à la Gagossian Gallery de
Londres, soient entièrement nues ? Comment justifier la nudité
des trente jeunes nigérianes installées, pour la performance
VB48 2001, dans la salle du Grand Conseil du Palais Ducal de
Gênes, pour l'inauguration du G8 ? Quant aux jeunes femmes nues qui
avaient été placées, sur des étagères, entre
des sacs et des bagages de la firme Louis Vuitton, lors de VB56 2005 à
Paris, étaient-elles destinées, elles aussi, à la vente,
ou simplement à satisfaire les pulsions d'un voyeurisme mondain (mal)
dissimulé ? En matière d'utilisation de corps féminins
multiples, certes, moins systématiquement nus, mais indubitablement plus
expressifs, la performance Tableaux vivants 200957 d'Oriana
Fox, avec ses citations de Carolee Schneemann et son humour incisif, conserve,
elle, toute la puissance de sa portée revendicatrice.
Dans le cadre du format autorisé par ce mémoire,
il nous est impossible de traiter de tous les cas avérés de
nudité postiche. Nous nous contenterons d'en évoquer certains
autres, exemplaires et ultra contemporains, qui, sans toujours le même
talent, ni surtout le même succès, semblent participer à la
dérive de sens que nous dénonçons parfois. Ainsi, dans une
performance de sept heures, I trust you (je compte sur toi) 2007,
l'artiste grecque Evangelia
57 Vidéo mise en ligne par O. Fox, «
Oriana Fox, Tableaux Vivants, Tate Modern - 27 June 2009 », Viméo,
2010, Source citée :
https://vimeo.com/10992449
(consulté le 25/06/2016).
68
Basdekis, se brode sur la plante des pieds des reproductions
de la Joconde de Léonard de Vinci et de Mickey Mouse
de Walt Disney. Mais pourquoi est-elle nue ? Le temps que passe le public
à la regarder piquer points après points, est-il ou non
influencé par la jeunesse de sa nudité ? Son public porte-t-il un
regard d'esthète sur son travail ? Ou un regard de brodeuse, de
couturier, de sellier, de taxidermiste ? Ou plus simplement de voyeur ?
Piquerait-elle mieux, habillée ? Reste-t-elle nue en prévision de
travaux futurs qui couvriraient tout son corps ? On se perd en conjectures.
Ailleurs, la française Eve Bonneau dans ALT TLA 2015, et
pendant les trois heures que durent cette performance, monte sur une
échelle en portant sur sa tête un verre rempli d'eau qu'elle boit,
arrivée en haut, puis elle redescend pour le ré-emplir avant de
recommencer une nouvelle ascension. Pour ce faire, elle est simplement
vêtue d'un pull imbibé de l'eau du bain qu'elle vient de prendre.
Certains des spectateurs conviés à la regarder, peuvent à
bon droit se demander pourquoi elle ne porte rien pour couvrir son sexe.
Certains. Mais combien sont vraiment tentés de le faire ? D'autant que
rien dans ses explications ne vient confirmer la nécessité de
cette exhibition gratuite. Combien sont-ils à être
présents, simplement parce qu'ils sont avertis de l'absence d'inhibition
de l'artiste ?
En la matière, la Suissesse Milo Moiré et la
Luxembourgeoise Deborah de Robertis sont de très redoutables
concurrentes, car l'une comme l'autre, apparaissent si souvent nues dans le
microcosme de l'art contemporain, qu'il devient désormais difficile de
les
69
reconnaitre lorsqu'elles sont vêtues. Dotées d'un
physique qui laisse peu de doute sur le centre d'intérêt principal
de leurs admirateurs, et poursuivant, l'une et l'autre, des axes de recherches
aussi faiblement soutenus que difficiles à cerner
précisément, elles possèdent toutefois deux
qualités appréciables, absentes chez certaines de leurs consoeurs
respectées : une détermination courageuse et une certaine
capacité à bousculer l'institution, pour la pousser, parfois,
à la faute ou au ridicule.58 Dans le contexte des
années soixante, et soutenues par des problématiques mieux
construites et des références moins fragiles, leurs
nudités auraient pu être insurrectionnelles. Mais les temps ont
changé. Il est à présent plus difficile de se construire
une légitimité par la nudité sans étayer
très sérieusement son propos, ou, malheureusement, sans disposer
de moyens importants associés à un carnet d'adresses, qui
peuvent, dans certains cas, remplacer le génie.
Milo Moiré est un lointain et approximatif
épigone de Valie Export. Spécialisée comme elle dans les
actions de rue, elle emprunte, dans une de ses premières
performances The Script System (Le système script) 2013, le
tramway de Düsseldorf, entièrement nue, avec peint en noir sur la
peau de différents endroits de son corps, le nom des vêtements qui
s'y
58 Voir à ce propos l'attitude pour le moins
ambiguë du Musée d'Orsay, lors des performances que Deborah de
Robertis a tenté de réaliser au sein de cette institution, en mai
2014 et janvier 2016, relatée sur le site
http://onkraut.lu/2016/02/06/la-nudite-dans-mon-travail-est-un-vetement/
(consulté le 29/06/2016).
70
seraient trouvés si elle avait été
habillée. Réitérant, en 2014, la même action en
marge de la foire ArtBasel, elle la justifie ainsi :
« La nudité et l'incarnation sont les
thèmes centraux de mes performances. Je m'en sers comme d'un outil pour
créer une controverse entre la norme bourgeoise et la liberté de
l'esprit. ArtBasel est LA foire la plus significative dans le monde de l'art
avec un schéma dominé par les factures. Je voulais donc
confronter ma performance à but non commercial à ce règne
de l'argent dans le monde de l'art, inviter à une pause pour
réfléchir, générer un dialogue pour une symbiose
fertile entre le social et le commercial, deux valeurs ajoutées de
l'art. »59
Si le propos est clair, son application achoppe sur un
écueil de taille : le corps de Milo Moiré doit une part de sa
perfection à une chirurgie esthétique et des produits
cosmétiques dont les mondes peuvent, eux aussi, être
dominés par les factures. Dès lors, en croisant la
bimbo-militante, le public est plus réceptif aux arguments
évidents de la première qu'aux slogans viciés de la
seconde. Sa nudité devient gratuite. Avec The Naked Life (La vie nue)
59 Entretien avec M. Moiré
réalisé par V. Duponchelle, 2014, « Milo Moiré :
«Depuis le début, je suis nue» », Le Figaro, source
citée :
http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2014/06/24/03015-20140624ARTFIG00300-milo-moire-apres-artbasel-je-vois-le-corps-nu-comme-une-toile-blanche.php
(consulté le 20/02/2016).
71
2015, certainement marquée par l'oeuvre de Joseph
Beuys,60 elle visite les salles d'un musée de
Düsseldorf, toujours entièrement nue, en portant un
bébé, nu lui aussi, dans les bras. On ne saisit pas non plus,
dans cette oeuvre, le besoin de nudité, sinon pour en justifier le
titre. Plus désolant, en 2016, Milo Moiré commet avec Box
Performance (La performance de la boîte), une sorte de reenactment
porno-clinquant du Tapp und Tastkino 1968, de Valie Export dans
lequel, non seulement ses seins, mais aussi son sexe, sont proposés aux
caresses d'un public harangué dans la rue. Chaque partie
concernée est cachée dans une sorte de scène portative,
recouverte cette fois de miroirs étincelants, ce qui donne à
l'ensemble un petit air de maison close voyageuse. Même ainsi couverte,
elle apparait nue dans l'imaginaire du public, et d'une nudité sans
autre raison que celle d'un racolage frontal et immédiat. Tout ce qui
justifiait l'action initiale de Valie Export disparait dans cette mascarade.
Mais comment reprocher cette dérive à Milo Moiré, quand on
apprend, par exemple, qu'à ArtBasel Miami 2014, la performeuse
américaine Lena
60 Nous n'avons pas trouvé, dans les propos
de Milo Moiré, de référence explicite à la
performance de Joseph Beuys Comment expliquer les tableaux à un
lièvre mort 1965, mais, dans l'interview accordée à
Valérie Duponchelle (Entretien avec M. Moiré
réalisé par V. Duponchelle, 2014, « Milo Moiré :
«Depuis le début, je suis nue» », ibid.), elle
précise : « Joseph Beuys, son esprit chamanique et son esprit
révolutionnaire, m'ont aussi beaucoup marquée ».
72
Marquise, dans sa performance Body As Commodity (Le
corps comme marchandise), proposait aux visiteurs, contre une
rémunération de vingt dollars les dix minutes, de recharger
leurs smartphones à l'énergie de son sexe, à l'aide
d'une prise de connexion sortant de sa vulve ?61 La nudité
totale de l'artiste était-elle justifiée par la volonté de
montrer qu'il ne pouvait y avoir de fraude sur la source d'énergie ?
L'artiste Deborah de Robertis sera le point d'orgue de cette
étude non exhaustive. Disposant jusqu'à présent d'un fonds
de références et d'une notoriété inférieure
à celle de Milo Moiré, elle semble pour l'instant aussi connue
pour ses démêlés judiciaires avec certaines institutions
que pour l'exhibition frontale caractérisant la performance qui l'a
poussée sous les feux des médias : Mémoire de
l'origine 2014, réalisée au Musée d'Orsay, dans
laquelle, assise sous l'Origine du monde de Gustave Courbet, robe
relevée, sexe nu
61 Art Fairs, 2014, « Usher Charged His Phone
Inside a Nude Woman », artnet News, source citée :
https://news.artnet.com/art-world/usher-charged-his-phone-inside-a-nude-woman-192544
(consulté le 30/06/2016).
73
et écarté, elle souhaitait « aussi donner
un visage, un regard à l'oeuvre »62. Le musée
était resté sourd aux arguments de l'artiste et avait
déposé plainte sans qu'une suite y soit donnée. En janvier
2016, Deborah de Robertis décide d'investir à nouveau la
même institution, afin d'incarner, elle-même, l'Olympia de Manet,
en prenant la pose devant ce tableau, dans la même tenue et la même
posture. Elle souhaite, par ce geste, poursuivre sa recherche sur « le
point de vue du modèle féminin »63 en donnant
à voir le regard de celui-ci. Depuis 2013, l'artiste explore une
problématique qu'il est difficile de cerner précisément,
même si, au fil des mois et de ses déclarations, elle semble se
focaliser sur le besoin de « renverser le point de vue du modèle
nu. »64 Mais son propos, parfois teinté de
féminisme, et dont les sources d'inspirations vont de la philosophe
Geneviève Fraisse à
62 J. Rasplus, 2016, « Déborah de
Robertis, l'artiste "pudique" qui s'exhibe nue dans les musées »,
francetvinfo, source citée :
http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/art-culture-edition/deborah-de-robertis-l-artiste-pudique-qui-s-exhibe-nue-dans-les-musees_1279085.html
(consulté le 30/06/2016).
63 Publication de Deborah de Robertis le 14 juin
2015 sur son groupe public « Deborah De Robertis », Facebook, source
citée :
https://www.facebook.com/groups/716170585196029/?fref=nf
(consulté le 17/02/2016).
64 Extrait du mail adressé par Deborah de
Robertis, le 16 janvier 2016, au directeur du musée d'Orsay, source
citée :
http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/culture/elle-se-denude-au-musee-d-orsay-et-s-explique-19-01-2016-5465563.php
(consulté le (17/02/2016).
74
Michael Jackson « pour sa façon d'empoigner son
sexe sur scène »65 ne semblent pas suffisamment
convaincants pour lui éviter un second dépôt de plainte.
Sans épiloguer sur l'attitude de l'institution, force est de constater
que les monstrations répétitives et vaginocentrées de
l'artiste apparaissent souvent comme difficilement justifiables, d'autant
qu'elle-même trouve que sa nudité est « vraiment accessoire
[...]. »66 De cet accessoire, elle a malheureusement
fait une généralité et un fonds de commerce qui en
décrédibilise l'usage.
65 P. Marque, 2016, « L'ARTISTE QUI SE MET
À NU », L'Est Républicain, source citée :
http://www.estrepublicain.fr/actualite/2016/01/24/l-artiste-qui-se-met-a-nu
(consulté le 17/02/2016).
66 C. Boinet, 2016, « L'artiste qui s'est
exposée nue au musée d'Orsay raconte : «Ce n'était
pas un strip-tease mais bien une performance» », Les inrocks, source
citée :
http://www.lesinrocks.com/2016/01/22/actualite/lartiste-qui-sest-exposée-nue-au-musée-dorsay-raconte-ce-nétait-pas-un-strip-tease-mais-bien-une-performance-11799895/
(consulté le 17/02/2016).
Figure 21 : Evangelia Basdekis, I Trust You, 2007.
Figure 22 : Eve Bonneau, ALT TLA, 2014.
75
Figure 23 : Milo Moiré, The Script System, 2013
· The Naked Life, 2015 ·
Box Performance, 2016.
76
Figure 24 : Lena Marquise, Body As Commodity, 2014.
77
CHAPITRE 2
Captivantes blessures, indicibles souffrances et
postures
baroques
78
2.1 - De la sanguine au sanglant
1976. Musée d'art moderne de Bologne.
« L'action intitulée Jo Mescolo Tutto (Je
mélange tout), [...] faisait doublement référence à
la peinture. Tout d'abord à celle de Fra Angelico à partir d'un
texte de G.C. Argan précisant : « Fra Angelico essaie de
dépeindre l'action, ce qui l'intéresse est la dialectique du
sujet qu'il s'est donné : il active la peinture en la faisant passer de
la puissance à l'acte. » Puis, à celle de Malevitch, le
«presque carré dans le carré», à propos duquel
le peintre écrivait : « Ce système dur, froid, sans sourire,
est mis en mouvement par la pensée philosophique. » En
traçant un triangle à l'aide d'une lame de rasoir « de la
forme «presque» apparente de mon sexe sur la texture : chair
elle-même », elle établissait une symétrie entre deux
gestes, deux systèmes de pensée à partir de ce
«presque», évocateur du doute qui laisse voir dans les formes
comme un principe d'incertitude. »67
1976. Los Angeles Institute of Contemporary Arts. (L.A.I.C.A.)
« Ensuite j'ai pris un clou de 10 pouces et j'ai
essayé de l'avaler, ce qui m'a fait vomir. J'ai léché le
vomi sur le sol et Cosey m'a aidé à le lécher. Et elle
était nue et essayait de s'ouvrir du vagin au nombril avec une lame de
rasoir. Eh bien, elle se coupa du vagin au nombril avec une lame de rasoir
79
67 A. Tronche, « gina pane actions », Paris,
FALL ÉDITION, 1997, p.101.
80
et elle s'injecta du sang dans le vagin qui s'écoula
ensuite. On aspira le sang de son vagin avec une seringue et on l'injecta dans
des oeufs peints en noir que nous avons ensuite essayé de manger. Et on
a vomi à nouveau. [...] (Tout était complètement
improvisé) [...] Chris Burden, qui était connu pour être
scandaleux, est sorti avec sa petite amie en disant « Ce n'est pas de
l'art, c'est la chose la plus dégoutante que j'ai jamais vue, et ces
gens sont malades. » »68
Prise séparément, chacune de ces deux courtes
citations rend déjà compte d'un monde artistique imaginatif,
étrange et sophistiqué ou quelque peu scabreux. Mais son
inquiétante extravagance prend toute sa force lorsque l'on prend
conscience de la quasi simultanéité des deux actions. Tout
était possible, et n'importe où. Nous avons entrevu, dans le
précédent chapitre, les diverses raisons qui sous-tendaient
l'utilisation de la nudité, dans leurs performances, par les femmes
artistes. Mais, à présent, nous allons constater à quel
point, la mise en oeuvre d'un éventail de blessures
auto-infligées, a pu répondre à une litanie de motifs bien
plus impénétrables, dont les tentatives d'explications continuent
à donner matière à de très rigoureuses et
austères publications qui, parfois, ne sont pas exemptes de savoureuses
contradictions.
68 Genesis P-Orridge évoquant une des
performances réalisées avec sa partenaire, C. Fanni Tutti, source
citée :
http://www.brainwashed.com/tg/coum.html
(consulté le 02/07/2016).
81
Ce mémoire étant circonscrit aux souffrances
physiques auto-infligées, résultant de pratiques artistiques
contemporaines incluant des mises en situation publiques aléatoires,
nous exclurons de notre champ d'études tout ce qui se limite, en
particulier, au seul emploi du sang ou autres liquides corporels comme
substitut de la peinture, associés ou non à tous les
ingrédients hétéroclites extérieurs qui ont fait le
bonheur, en particulier, des actionnistes viennois. Seules nous
intéresseront les femmes qui ont franchi le cap du simulacre pour
accéder à la réalité tangible et nous
retrouverons parmi elles, certaines de celles qui ont, parfois conjointement,
utilisé la nudité.
D'emblée, une question évidente vient à
l'esprit : pourquoi ne sont-elles pas plus nombreuses ? Ou, plus
précisément, pourquoi sont-elles apparues si peu nombreuses parmi
les performeuses, alors que les performeurs comprenaient rapidement dans leurs
rangs une importante proportion d'amateurs de flagellations, crucifixions,
brûlures, suspensions, morsures, chutes, mutilations, mortifications,
coups et blessures divers, qui peuvent laisser penser, à un public
choqué et interrogatif, que le monde de la performance est le plus
discret et le plus sûr refuge pour des sadomasochistes en mal de
reconnaissance sociale ou de reconversion professionnelle. Lorsque la
psychanalyse s'en mêle, les propos incitent à une réflexion
plus soutenue :
82
« De plus, on ne peut manquer d'observer que le mouvement
de la peinture privilégiant le support inaugural de la peau,
coïncide avec l'intérêt actuel de la théorie
psychanalytique pour la notion de peau psychique, à partir des
états limites, des états autistiques et des symptomatologies
modernes des adolescents. Ces démarches artistiques se rapprochent de ce
que le clinicien rencontre dans les nouvelles cliniques du corps (piercing,
scarifications, tatouages, chirurgie esthétique, automutilations,
transsexualisme) : un sujet qui cherche un changement d'apparence pouvant aller
jusqu'à la mutilation. [...] Dans le body art, on peut penser que
l'artiste est dans la même logique que le patient auto-mutilateur mais
qu'ici elle « se solde par un extraordinaire bénéfice
artistique, à savoir une libération d'énergie
linéaire expansive, un affolement du dispositif de figuration, une
relance graphique aux retombées incommensurables » (Thévoz,
2003, p. 83). »69
Pour le public, d'ailleurs, la méprise est toujours
possible.
« « Berlin, à l'aube, lasse de la vie, elle
se jette du cinquième étage d'une coopérative artistique
et tombe sur un camping-car avant de rouler au sol. Un groupe de touristes
découvre la scène au matin
69 S. Korff-Sausse, 2006, « Le corps
extrême dans l'art contemporain », Champ psychosomatique 2/2006
(n° 42), p.85-97, source citée :
www.cairn.info/revue-champ-psychosomatique1-2006-2-page-85.htm (consulté
le 17/06/2016).
83
et la prend pour «une performance ou une installation».
Ils la photographient sous toutes les coutures,
avant qu'un garçonnet de douze ans ne suggère qu'il
puisse s'agir d'un véritable cadavre ». »70
Le déficit en performeuses utilisant la blessure
auto-infligée pourrait trouver une de ses origines dans un des effets
collatéraux de la persistance du patriarcat dominateur : celui de la
préséance des représentations masculines dans
l'iconographie religieuse, en particulier chrétienne. Dans l'art, la
représentation du corps souffrant débute essentiellement par
celle du Christ, homme de douleurs par excellence, attaché,
flagellé, couronné et crucifié, mais homme.
Déjà, la femme n'est, là aussi, qu'un
élément accessoire. Au point qu'au XIXème
siècle, le Manuel d'iconographie chrétienne grecque et latine
de M. Didron lui assigne, sur certaines représentations, la
neuvième et dernière place derrière le choeur des
apôtres,
70 M. Horassius, 2005, « Le body art d'hier et
d'aujourd'hui », L'Information Psychiatrique vol.81 (n°6)
Juin-Juillet 2005, source citée :
http://www.jle.com/fr/revues/ipe/e-
docs/le_body_art_dhier_et_daujourdhui_266212/article.phtml?tab=references
(consulté le 15/12/2015)
84
celui des premiers parents, puis ceux des patriarches, des
prophètes, des évêques, des martyrs, des saints et des rois
pieux.71
Lorsque l'on quitte l'iconographie religieuse et le milieu du
XIXème siècle pour rejoindre, un siècle plus
tard, le temps des pionnières de la performance, on constate rapidement
que la place des femmes dans l'art n'est que rarement plus avantageuse. Certes,
elles occupent, comme nous l'avons mentionné précédemment,
les places de muses et de modèles. Mais les exemples de courage physique
devant l'épreuve et la douleur sont encore trop souvent
représentés par des hommes : il reste communément admis
que le courage est une qualité masculine et que seuls les hommes savent
résister à la douleur. Le drame des deux récentes guerres
mondiales a renforcé la position de l'héroïsme masculin en
oubliant un peu trop vite la place que les femmes ont occupée. David Le
Breton rappelle « que si une blessure
71 M. Didron, « Manuel d'iconographie
chrétienne grecque et latine », Paris, Imprimerie Royale, 1845,
p.264, source citée :
https://books.google.fr/books?id=gqQE9Mk7J4oC&pg=PA264&lpg=PA264&dq=iconographie+femmes+
martyrs&source=bl&ots=opnxzSA3xL&sig=kwmfsJYDzRAC_gwG9rNvS4Ud7BA&hl=fr&sa=X&ved=0
ahUKEwj21-SBy9zNAhUhLsAKHQFbDEgQ6AEIIzAD#v=onepage&q=iconographie%20femmes%20martyrs&f=fals
e (consulté le 28/06/2016).
85
délibérée est valorisante sur un corps
d'homme, affirmant ainsi sa virilité, sur le corps d'une femme elle
traduit son infinie vulnérabilité. »72 Participer
activement à un mouvement de révolution artistique tout en
gagnant une part de leur liberté intellectuelle et physique,
représentait déjà pour les femmes un tel progrès,
qu'il leur était quasiment impossible d'espérer bouleverser, dans
le même élan, la hiérarchie des qualités
traditionnellement attachées à chaque sexe. Par ailleurs, en
agissant comme des hommes, elles encouraient le risque d'être
à nouveau critiquées par certains courants féministes.
Plus prosaïquement, on peut raisonnablement penser que ces femmes, dans
leur majorité, envisageaient de mener leur combat bien plus avec leur
tête qu'avec leurs muscles. En la circonstance, les souffrances
gratuites étaient un luxe dont elles pouvaient se passer pour
transmettre leurs messages ; les artistes masculins se chargeraient bien assez
d'envahir le terrain avec leurs actions performantielles et leurs catharsis
théâtrales ou effroyables.
Elles, avaient à leur disposition, s'il le fallait,
d'autres moyens de représentations de la douleur tels que la
photographie, la vidéo, ou, plus simplement encore, le simulacre.
72 D. Le Breton, « Body Art : la blessure
comme oeuvre chez Gina Pane » in C. Biet et S. Roques (dirs.),
« Performance. Le corps exposé », op. cit., p.106.
86
Dans Sweating Blood (Transpiration de sang) 1973, le
sang qui semble exsuder du visage d'Ana Mendieta ne provient d'aucune blessure.
Mais l'impression ressentie à la vue de ce court film de trois minutes
n'en est pas moins intense.
Pourtant, certaines artistes, aidées en cela par un
climat de radicalité latente, ont délibérément
choisi d'orienter leurs pratiques vers des recherches d'absolus qui
les entrainaient vers des prises de risques aléatoires.
« Si la performance de Hermann Nitsch est principalement
symbolique puisque non réellement mutilante, d'autres formes d'oeuvres,
dans les années 70 notamment, revendiquent une dimension vraiment
radicale, avec des actions très violentes parfois même
intitulées des « drames ». L'avènement du
féminisme et la volonté de lutter contre les tabous
révélés par la jeune psychanalyse freudienne ou
lacanienne, ont contribué à rendre les artistes
résistants, endurants, voire dangereux. Le fait d'affronter la peur et
les états limites leur apparaissaient comme libérateurs, pour eux
comme pour le public »73
73 C. Lahuerta, « Quand le corps parle. Les
mots de l'art » in M. Laforcade et V. Meyer (dirs.), « Les
usagers évaluateurs ? Leur place dans l'évaluation des «
bonnes » pratiques profesionnelles en travail social » op. cit.,
p.80.
87
Nous constaterons toutefois au cours de nos recherches, que
certains de ces risques ont été, consciemment ou non,
surestimés par quelques exégètes, permettant ainsi
d'ajouter à la notoriété de l'oeuvre, une sorte de
frisson romantique, préjudiciable à leur
crédibilité.
Le public, quant à lui, est physiquement touché
et vit une osmose empathique dont les fondements ont été
clairement identifiés :
« [...] la capacité qu'a le cerveau de
résonner à la vue du visage et des gestes d'un autre individu et
de les coder immédiatement en termes viscéromoteurs fournit le
substrat neural d'une coparticipation empathique qui, fût-ce de
différentes manières et à différents niveaux,
alimente et oriente nos conduites et nos relations interindividuelles.
»74
Là, plus qu'ailleurs, c'est tout le corps qui
participe, tant à la réalisation de l'oeuvre, qu'au regard qu'on
lui porte. Pour Jean-Marc Leveratto « Le corps du spectateur est une
réalité biologique et psychologique qui fait partie de la
situation artistique [...] ».75 Le
spectateur-performeur, selon l'expression de Roselee Goldberg,
partage, ou pense partager, les
74 G. Rizzolatti et C. Sinigaglia, « Les neurones
miroirs », Paris, Odile Jacob, 2008, p.202.
75 C. Charliac, 2013, « Le corps du
spectateur, ce grand oublié », Implications Philosophiques. Espace
de recherche et de diffusion, source citée :
http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/le-corps-du-spectateur-ce-grand-oublie/
(consulté le 20/11/2015).
88
souffrances de la femme, et de l'artiste. Mais il goûte
également aux délices d'une esthétique aussi ancienne que
l'humanité : celle de l'horreur.
« L'horreur est considérée comme un moyen
dont l'art peut s'emparer de manière inventive. Il faut distinguer une
horreur régressive, attirance pour le macabre ou le morbide et
fascination pour la cruauté et la violence, de l'horreur transgressive
qui caractérise une nouvelle configuration esthétique, par
laquelle s'expose une « part maudite » que l'art ne parvient pourtant
jamais à apprivoiser. »76
Convoquer la souffrance et les blessures, comme il faut bien
le reconnaître, l'érotisme, était déjà une
constante dans la peinture classique. Mais les mortifications des
ascètes, les supplices des martyrs et les nudités suggestives des
déesses ou des héroïnes, possédaient indubitablement
une dimension métaphorique et exemplaire protectrice. Et, bien
évidemment, rien de ce qui était proposé au public ne
possédait de réalité tangible.
Mais les performances changent la donne : le public devient
une composante de l'oeuvre. On exige tout de lui, que cela lui plaise ou non.
Arraché à la distance paisible qu'il maintenait jusqu'alors entre
l'oeuvre et lui dans les lieux d'expositions, il se voit interrogé,
interpellé, bousculé, choqué, intégré dans
une action qui le perturbe au point que, parfois, il en vient à
l'interrompre brutalement. La nudité en mouvement, déjà,
avait en exposant
76 C. Margat, 2001, « Le version
française de l'horreur », artpress+ « Représenter
l'horreur » Hors-série Mai 01, p.24.
89
l'intime, troublé les frontières qu'il pensait
pouvoir maintenir entre le privé et le public. Mais l'irruption de la
souffrance, si proche et réelle à la fois, le plongera dans la
stupeur, l'angoisse ou la sidération.
On ne peut alors s'empêcher de penser au propos du grand
collectionneur belge Anton Herbert : « L'art contemporain est tellement
fort qu'il peut te tuer si tu le vois sans y être préparé ;
il m'est impossible d'avoir en face de mon lit une oeuvre contemporaine que je
regarderais en me réveillant, par inadvertance : elle pourrait me
ravager ».77
Nous allons tenter d'analyser le parcours de certaines de ces
tueuses.
77 N. Heinich, « Le paradigme de l'art
contemporain. Structure d'une révolution artistique », Paris,
Éditions Gallimard, 2014, p.339.
90
2.2 - Portraits d'artistes en
Héautontimorouménos
Comme nous l'avons remarqué, les performeuses qui
soumettent leur corps à la souffrance et à l'automutilation sont
rares. Mais en matière de pratiques, l'imagination est
protéiforme. Les outils employés vont du fouet à la flamme
et de la lame de rasoir à ... la sangsue. Il n'est pas dans notre
intention de tenter un quelconque classement des artistes par accessoire, qui
pourrait donner à penser que ces derniers sont choisis plus en fonction
de la douleur infligée que de leur utilité fonctionnelle ou de la
symbolique qu'ils véhiculent. Les accusations de masochisme primaire,
comme d'exhibitionnisme pur et simple, ont été suffisamment
répandues pour que nous ne donnions pas l'impression de nous joindre
à la curée. Nos recherches porteront essentiellement sur
l'analyse d'artistes emblématiques, souvent plagiées, très
rarement égalées, et, en particulier, sur les motivations
avouées par ces dernières ou prêtées par le
nécessaire cortège de commentateurs.
« C'est dire que, contrairement à ce qu'affirment
souvent ses contempteurs, l'art contemporain n'est nullement vide de sens : il
en est plein, car il est empli des significations que lui attribuent ceux qui
écrivent sur lui. « Donner prise » à des
interprétations est le passage obligé de l'intégration
d'une proposition artistique au monde de l'art contemporain, comme l'explique
bien le sociologue Morgan Jouvenet : « Ce sont aussi les artistes qui
orientent la compréhension de leurs travaux dans les cercles
91
d'experts, présentant, au gré des
``feedbacks réciproques» qui guident le choix des uns et
des autres, des saillies «intéressantes» pour les
commissaires. »78
Nous débuterons par la plus singulière
d'entre-elles, celle dont le parcours pour le moins multiforme et les
actions79 parfois sibyllines, ont été
à l'origine de multiples exégèses souvent
enflammées, quelquefois confuses ou hermétiques, mais très
rarement univoques. Gina Pane, puisqu'il s'agit d'elle, est un
kaléidoscope d'exacerbations variées, travesti en moniale. Mais
le résultat est instable : il arrive à chacun des
éléments de prendre le dessus sur l'autre. La peinture et la
sculpture minimaliste ont été ses premiers moyens d'expression.
Puis, en 1968, à la suite d'une promenade dans les environs de Turin,
elle entame une série d'actions proches du Land Art américain
débutant, et conduites au sein du paysage naturel. Mais c'est en 1970
qu'elle réalise dans son atelier la première des actions
douloureuses80, au cours desquelles et seulement jusqu'en
1981, elle soumettra son corps aux violences qui sont l'objet de cette
étude.
78 N. Heinich, « Le paradigme de l'art
contemporain. Structure d'une révolution artistique », op.
cit., p.186.
79 Au terme de performance, qu'elle
hésitait à utiliser en raison de son côté trop
théâtral, Gina Pane préférait celui
d'action.
80 Blessures théoriques, 1970.
Trois photographies témoignent de trois utilisations d'une lame de
rasoir : découper un papier, fendre un tissu, inciser un doigt.
92
Rapidement, d'autres performances, celles-ci publiques, vont
suivre. Les commentaires qu'en font la majorité des observateurs sont
plus que mitigés.
« Dans les années 1970, l'oeuvre de Gina Pane a
suscité des rejets. Sur un mode ironique et critique, les observateurs
de l'époque ont rapidement assimilé les protagonistes de l'art
corporel à deux séries de figures, les martyrs et les fous, en
envisageant leurs gestes à l'aune d'un cadre tantôt religieux
(« posture messianique ») tantôt pathologique et médical
(« masochisme », « repli sur soi », complaisance au morbide
»). »81
Ce sont certainement ces conformistes qui sont pointés
du doigt dans la Lettre ouverte qu'elle publie dans Artitudes
International n°24-26 de juin-septembre 1975 pour dénoncer
ceux qui font d'elle : « LA MARGINALE que la POLICE DES INITIÉS
détourne de la VIE DES ARTS pour paralyser la déflagration de ses
ACTIONS, car on en parle de ses ACTIONS comme d'un acte sexuel des plus
dénaturé. »82 Il faut dire que ses
actions, justement, sont loin d'engendrer la monotonie : elle se lave les
mains dans du chocolat chaud, se coupe le visage, les mains, les pieds et le
ventre avec une lame de rasoir, lape du
81 J. Bégoc, 2010, « La vraie image
selon Gina Pane. Quelques réflexions pour une anthropologie des images
de l'art corporel », communication réalisée dans le cadre de
la journée d'études « Les fluides corporels dans l'art
contemporain » organisée à l'INHA, Paris, le 29 juin 2010,
p.1, source citée :
http://hicsa.univ-paris1.fr/documents/pdf/PublicationsLigne/La%20vraie%20image.pdf
(consulté le 16/12/2015).
82 G. Pane, « Gina Pane. Lettre à un(e)
inconnu(e) », Paris, Beaux-Arts de Paris les éditions, 2012,
p.19.
93
lait et de la menthe dans des éclats de verre, ou
escalade une échelle dont les barreaux ont été
hérissés de pointes tranchantes. Plusieurs constantes
accompagneront son parcours : elle ne sera jamais nue (tout au plus
dévoilera-t-elle un sein au cours de Psyché 1974), ses
blessures ne mettront jamais sa vie en danger, et ses actions feront l'objet
d'une préparation et d'une mise en scène dont la
méticulosité s'étendra jusqu'au travail et au choix des
photographies qui en documenteront la trace.
« Un an avant sa disparition, Gina Pane (1939-1990)
faisait une déclaration qui suffit à définir le statut
qu'elle accordait à ses grands montages photographiques
dénommés « constats d'action ». « La mise au mur
était donc déjà intégrée dans l'action,
affirme-t-elle. L'action corporelle n'a jamais été pensée
comme une oeuvre éphémère, mais comme une composition
murale réalisée en trois temps. » Ces trois temps -
préparation (story-boards), action et prises de vue, puis
montage -, désignent un processus maîtrisé dans lequel la
photographie travaille à l'accomplissement iconique de la performance
»83
Par ailleurs, ses actions feront souvent l'objet d'une
surinterprétation dramatique qui en desservira la
sincérité et le bien-fondé. On oubliera trop vite la femme
révoltée et très déterminée, sous la
dimension ritualisée et proche de l'iconographie chrétienne
mutilante de certaines d'entre-elles. On confondra pudeur avec
pudibonderie. L'extrême minutie
83 J. Hountou, 2008, « Le corps au mur. La
méthode photographique de Gina Pane », Études
photographiques, source citée :
http://etudesphotographiques.revues.org/229
(consulté le 15/01/2016).
94
avec laquelle elle travaillera et le silence qui accompagnera
ses oeuvres pourront, à tort, donner l'impression d'une maîtrise
des sens et des objets un peu glaçante. On occulte de cette façon
une part importante de sa personnalité. Celle qui lui fait écrire
« Je rends hommage à VAN GOGH qui a donné un formidable coup
de pied au cul des ronds de cuir. »84, ou encore «
L'humour et le dérisoire sont aussi des éléments
associatifs de l'imaginaire qui soulignent, avec force, le peu de
réalité de la réalité. »85 Certes,
on ne peut s'affranchir de certaines exégèses prestigieuses,
comme celle86 où « en s'allongeant sur une structure de
métal sous laquelle brûlent des bougies, elle métaphorise
la souffrance de la femme qui accouche »87 qui côtoie,
pour la même action, « la structure métallique sur laquelle
Gina Pane s'allonge, garnie de douze bougies dont les flammes lui frôlent
le dos, a souvent été comparée aux structures primaires
omniprésentes dans l'art des années 1970. Mais elle renvoie
également au gril du martyre de Saint Laurent, dont on trouve encore
des
84 G. Pane, « Gina Pane. Lettre à un(e)
inconnu(e) », op. cit., p.19.
85 G. Pane, « Gina Pane. Lettre à un(e)
inconnu(e) », ibid., p.111.
86 Il s'agit de : Action Autoportrait(s)
1973. Galerie Stadler, Paris.
87 D. Le Breton, « Body Art : la blessure
comme oeuvre chez Gina Pane » in C. Biet et S. Roques (dirs.),
« Performance. Le corps exposé », op. cit., p.104.
95
exemplaires exposés dans les musées italiens.
»88 Pourtant, le plus évident ne serait-il pas de
s'imprégner des propres termes de l'artiste ?
« L'action avait pour but de transposer
l'autocréation en signe autonome de la femme. Mise en condition -
activité pulsionnelle et activité du monde extérieur,
articulées à deux niveaux : sur la variation de
l'intensité de l'énergie globale, sa répartition sur la
chair : feu (désir/affect) et sur l'esprit : DOULEUR
(déchirement), FANTASMES : réactions (conditionnées par
une soumission historique de la femme à l'homme). »89
Le feu n'y est-il pas clairement rapproché du
désir et de la chair ? Et le fantasme y apparaît-il religieux ?
Dans ce style quasi télégraphique si facilement identifiable,
où le jaillissement des idées semble buter sur les mots, on
perçoit bien toute l'ambiguïté et la sensualité que
Gérard Mayen devait pressentir sous « l'apparence d'une
intégrité physique trop sage pour
88 J. Bégoc, 2010, « La vraie image
selon Gina Pane. Quelques réflexions pour une anthropologie des images
de l'art corporel », op. cit., p.7.
89 G. Pane, ACTION AUTOPORTRAIT(S), Notes, JANVIER
1973, GALERIE STADLER, PARIS, « GINA PANE. TERRE-ARTISTE-CIEL »,
dossier de presse, Paris, Centre Pompidou, (16 février-16 mai 2005),
p.18, source citée :
http://www.geifco.org/actionart/actionart01/entidades_01/CENTROS_CULTURALES/CentrePompidou/gi
napane/1%20DP%20Gina%20Pane.pdf (consulté le 05/01/2016).
96
ne rien cacher. »90 On a écrit que ses
performances étaient « [...] souvent insupportables pour le public.
»91 Mais, la France du début des années 1970 ne
pouvait lui proposer, au mieux, qu'un public à l'image de son
président, Georges Pompidou, moderne et décalé certes,
mais aussi élitiste. Plus prompt, en matière d'art contemporain,
à s'enthousiasmer pour Pierre Soulages, Jean Dubuffet ou Yves Klein
qu'à ouvrir grand les yeux devant les entailles que s'infligeait Gina
Pane. Alors, effectivement, ses actions ont pu être anxiogènes
pour celles et ceux qui n'y ont vu que la marque d'un « masochisme pur
»92 ou d'un « délire mystique
»93.
Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer
Marina Abramovic dans le chapitre que nous consacrions à la
nudité. Nous l'avons qualifiée d'incontournable et de
parangon de la nudité performantielle. Et s'il était
nécessaire de résumer en quelques mots sa place et son influence
dans le monde de la performance mutilante, nous pourrions employer les
mêmes
90 G. Mayen, « Qu'est-ce que la performance ?
», op. cit., p.9.
91 D. Le Breton, « Body Art : la blessure
comme oeuvre chez Gina Pane » in C. Biet et S. Roques (dirs.),
« Performance. Le corps exposé », op. cit., p.106.
92 D. Watteau, 2004, « « Regarde-moi
» : les appels muets des femmes dans l'art contemporain. », Savoirs
et clinique 1/2004 (n°4), source citée :
www.cairn.info/revue-savoirs-et-cliniques-2004-1-page-108.htm (consulté
le 17/01/2016).
93 D. Watteau, 2004, « « Regarde-moi »
: les appels muets des femmes dans l'art contemporain. »,
ibid.
97
termes. Plus encore que pour la nudité, il existe en
elle un inextinguible besoin de se confronter à ses limites mentales et
physiques et l'ambiance de certaines ses performances, même les moins
sanglantes, confine autant à celle de la réalisation
d'une oeuvre d'art puissante, qu'à celle d'une des compétitions
sportives auxquelles notre société nous a habitué.
« Dans une société de performance
extrême, le sport n'est plus seulement une activité corporelle :
il devient un état d'esprit marqué par le goût du
dépassement des limites. Au lieu qu'un exploit soit
réalisé, mettant au défi autrui de l'égaler, le
record devient sans cesse « à battre ». Et l'ennemi devient
plus soi-même que l'autre. Il s'agit de « se » battre, et de se
dépasser soi-même chaque fois plus. »94
Marina Abramovic est l'exemple type d'un formatage
éducatif familial basé sur la discipline, le contrôle du
corps et des sentiments, et le respect des règles politiques et
religieuses dont les performances représenteront les exutoires partiels
et temporaires. Car rien n'est définitivement réglé pour
elle, et chaque performance, en solo ou en couple avec son compagnon Ulay,
remet en cause un acquis antérieur. Ainsi, l'étoile
soviétique qui a marqué son enfance par son omniprésence
et sa symbolique totalitaire, puis a manqué de l'asphyxier dans une de
ses premières performances : Rhythm 5 (Rythme 5) 1974, elle
l'a
94 P. Baudry, « Le Corps Extrême.
Approche sociologique des conduites à risque », Paris,
Éditions L'Harmattan, 1991, p.85.
98
transformée en glace avant de s'y coucher en y opposant
une source radiante de chaleur, puis l'a gravée à plusieurs
reprises sur son ventre avec une lame de rasoir : Lips of Thomas
(Lèvres de Thomas) 1975 (reproduite plusieurs fois avec quelques
variantes). De même, chacune de ses performances en couple avec Ulay, a
donné le spectacle d'une confrontation physique frontale et violente, ou
s'est faite l'écho d'une relation autant fusionnelle que
nécessairement explosive. Dans Relation in Space (Relation dans
l'espace) 1976, ils se percutent, nus, et de plus en plus rapidement, pendant
une heure, et Light/Dark, (Lumière/Ténèbres)
1977, leur permet de se gifler respectivement et de plus en plus fort, en
cadence. Les problématiques soulevées sont limpides. Et le besoin
de confrontation ouvertement exprimé.
« Dans notre civilisation occidentale, nous sommes si
pleins de peur, contrairement aux cultures orientales, que nous n'avons jamais
développé de techniques qui puissent déplacer les limites
physiques. La performance a été pour moi une forme qui a rendu
possible ce saut mental. Initialement, lorsque je travaillais toute seule, ou
dans les premières phases de mon travail avec Ulay,
l'élément du danger, la confrontation avec la douleur et
l'épuisement des forces physiques étaient très
importants,
99
car ce sont les états de la «présence»
totale du corps, états qui maintiennent une personne sur le qui-vive et
consciente. »95
La même année, Marina Abramovic et Ulay
apparaissent dans Relation in Time, dos à dos, prisonniers en
quelque sorte d'une queue de cheval commune qui caractérise parfaitement
l'aspect carcéral autant que fusionnel de leur couple. Breathing In
- Breathing Out (Inspirant - Expirant) 1977, les retrouve, accolés
à pleine bouche, échangeant leur souffle et s'asphyxiant
mutuellement petit à petit. Dans AAA-AAA 1978, ils sont encore
face à face, hurlant de plus en plus fort jusqu'à extinction de
voix. Jusque dans leur ultime performance commune, The Lovers, The Great
Wall Walk (Les amoureux, La marche sur la Grande Muraille) 1988, où
après avoir marché l'un vers l'autre, pendant quatre-vingt-dix
jours et sur quatre mille kilomètres de la Grande Muraille de Chine, ils
mettent fin à leur couple et à leur collaboration par une longue
poignée de main, Marina Abramovic affirme l'inexistence, pour elle, de
la notion de certitude et le mirage des acquis. Elle est bien dans la «
vraie réalité » évoquée dans le premier
chapitre. Elle l'a été, à son paroxysme, dans Rhythm 0
(Rythme 0) 1974, qui relègue le Cut Piece (Pièce
découpée) 1965, de Yoko Ono au rang de bluette conceptuelle :
Pendant six heures, et à l'aide d'un ensemble
hétéroclite
95 Marina Abramovic citée dans, C. Morineau
et Q. Bajac avec la collaboration de M. Archambault, «
elles@centrepompidou », op. cit., p.20.
100
d'outils, mis par elle à la disposition du public qui
était autorisé à en faire un libre usage, son corps a
été déshabillé, palpé, incisé,
attaché, souillé, peint, couronné d'épines et
même menacé d'un revolver chargé. Une partie du public
avait alors demandé l'arrêt de la performance. Mais à un
tel degré d'interaction entre le public et l'artiste, on peut
légitimement se demander si le premier n'avait pas, à un certain
moment, pris le rôle du second.
Depuis quelques années, elle apparait plus apaisée
:
« Dans les années 1970, la performance permettait
aux gens d'exprimer la violence qu'ils avaient en eux. Aujourd'hui cette
violence est omniprésente dans nos sociétés. Sur Internet,
on voit des hommes en décapiter d'autres. Il n'est donc pas
nécessaire que l'art en rajoute. Dans un monde contemporain aussi dur,
dans un monde d'injustice où aucun pays ne peut plus servir de
modèle, il est plus important d'offrir un amour inconditionnel.
»96
Sans la précision de certains de ses propos, on
pourrait la croire impassible, rendue indifférente à force de
dureté supportée et infligée. Cependant, mythifiée,
elle devient plus
96 Entretien avec M. Abramovic
réalisé par Y. Youssi, 2012, « Marina Abramovic, la
grand-mère kamikaze de l'art contemporain »,
Télérama, source citée :
http://www.telerama.fr/scenes/marina-abramovic-la-grand-mere-kamikaze-de-l-art-contemporain,90368.php
(consulté le 08/04/2016).
101
difficile à cerner. Même Ulay avoue
lui-même ne pas savoir si elle a ou non joué l'émotion lors
de leur rencontre sur The Artist is Present (L'artiste est
présente) 2010.97 Il reste certainement, dans la
grand-mère de l'art-performance, plus de la tueuse
qu'il n'y parait.
Aux deux totems que sont Gina Pane et Marina Abramovic, il
apparaitrait logique de rajouter la Française ORLAN qui leur est souvent
associée.
« De In Mourning and in Rage, de Suzanne Lacy et
Leslie Labowitz, aux expériences d'« ordeal art »
(art de l'épreuve) entreprises par Gina Pane, Linda Montano, Marina
Abramovic, Angelika Festa et Orlan, l'art féministe a beaucoup
parlé des formes de violence physiques subies par les femmes dans un
monde masculin et de leurs conséquences. »98
Pourtant, s'il est exact que les cicatrices qui marquent le
corps de ces trois artistes proviennent d'outils quasiment identiques (lames de
rasoir, couteaux ou scalpels), leurs motivations réciproques et le
rapport qu'elles entretiennent avec la douleur, sont, eux fondamentalement
différents. De plus, les métamorphoses que subit le corps
d'ORLAN,
97 Entretien avec Ulay réalisé par E.
Lequeux, 2016, « Las d'être masqué par Marina Abramovic, Ulay
sort du bois », Le Monde, source citée :
http://www.lemonde.fr/acces-
restreint/culture/article/2016/02/06/95187bc925dee51b9c995fe49d3a2397_4860544_3246.html
(consulté le 07/02/2016).
98 Essai de P. Phelan in H. Reckitt (dir.),
« Art et féminisme », op. cit., p.44.
par le biais d'interventions de chirurgie esthétique,
ne peuvent être, à proprement parler, qualifiées de
blessures auto-infligées puisque, seul le geste du chirurgien,
lui-même contraint par le respect de protocoles médicaux stricts,
construit le projet d'ORLAN. Ces transformations et marquages divers sont
effectués, certes à la demande de l'artiste, mais par
procuration. Le résultat obtenu est proche, mais l'implication
volontariste est différente. Quant au rapport à la douleur, il
est évacué par la performeuse, en termes triviaux d'une grande
franchise :
« J'essaie que ce travail soit le moins masochiste
possible, mais il y a un prix à payer : les piqûres
d'anesthésiques ne sont guère agréables - je
préfère boire du champagne ou un bon vin avec mes amis que me
faire opérer. Cependant, tout le monde connaît cela, c'est comme
chez le dentiste, on fait la grimace pendant quelques secondes. Il y a
nécessairement plusieurs piqûres, donc je fais plusieurs grimaces.
Mais comme je n'ai pas payé mon tribut à la nature en connaissant
les douleurs de l'enfantement, je m'estime heureuse après les
opérations. C'est plus ou moins inconfortable, plus ou moins douloureux,
je prends donc, comme tout le monde le ferait dans ce cas, des
analgésiques. »99
Pour justifier ces métamorphoses chirurgicales,
l'artiste évoque l'idée de se créer un autre visage, une
nouvelle image, un nouveau corps, avec lesquels elle entreprendrait la
réalisation de nouvelles oeuvres. Elle s'élève, non contre
la chirurgie esthétique, mais
102
99 ORLAN, « ORLAN, de l'art charnel au baiser de
l'artiste », Paris, Éditions Jean-Michel Place, 1997, p.41.
103
contre les standards de beauté. Elle fustige la
religion et la psychanalyse qui, selon elle « s'accordent pour dire qu'il
ne faut pas attaquer le corps, qu'il faut s'accepter soi-même.
»100 Comme Marina Abramovic, elle défend la
véracité de la performance par rapport à
l'artificialité du théâtre, et soutient le
rôle d'actante de la performeuse. Elle assume ses engagements
féministes :
« Si tout avait changé et si les femmes avaient un
statut comparable aux hommes, il n'y aurait pas ce travail à faire. Un
effort certes a été fait. Des choses ont changé. Pour ma
génération la contraception n'existait pas, les filles qui ont
dû avorter, comme moi, étaient chassées comme des
sorcières. Si on était attrapée, les conséquences
étaient graves. »101
Elle oeuvre donc pour sa liberté et il s'agit bien pour
elle d'une démarche émancipatrice, comme l'a remarqué
Claire Lahuerta :
« La démarche d'Orlan est bien alors
au-delà du corps et repose sur la notion de corps caduque qui est,
semble-t-il, au coeur de ce que l'artiste nomme le «carnal art»,
l'« art charnel ». Ici le corps ouvert
100 ORLAN, « ORLAN, de l'art charnel au baiser de l'artiste
», ibid.
101 Entretien avec ORLAN réalisé par S. Roques,
2013, « Les préjugés ébranlés par L'Art-Action
» in C. Biet et S. Roques (dirs.), « Performance. Le corps
exposé » op. cit., 226.
104
donne accès au projet d'émancipation de
l'artiste, dans une perspective que l'on peut aisément appliquer
à toutes les pratiques de modifications corporelles : piercing,
implants, scarifications. »102
Kira O'Reilly occupe, elle aussi, une position
particulière, en raison de l'ambivalence de sensations et de sentiments
qu'elle suscite dans son public, ou, plus exactement, dans cette part du public
qu'elle choisit, parfois, de traiter en collaborateur actif. Ses
oeuvres sont souvent répulsives et magnifiques à la fois. Dans
l'une de ses performances les plus perturbantes, Succour (Secours),
sorte de work in progress commencé en 1998, et poursuivi, au
cours de sept étapes ultérieures jusqu'en 2005, il arrive qu'elle
reçoive, assise sur une chaise et nue, un membre du public qu'elle place
à côté d'elle, et à qui elle demande de lire le
message contenu dans l'enveloppe close qui lui a été remise avant
son entrée. Ce message est une invitation à pratiquer une courte
incision sur sa peau, qui viendra compléter toutes celles qui, par
centaines, y figurent déjà, et qu'on ne peut manquer de voir
dès qu'on l'aperçoit. Déjà cicatrisées, en
voie de l'être, ou encore entachées de sang frais, elles composent
un motif hypnotique et traumatisant que l'invité(e) décidera,
peut-être, d'actualiser. En complément de cette mise en
scène troublante, un grand écran de télévision
102 C. Lahuerta, « Quand le corps parle. Les mots de
l'art » in M. Laforcade et V. Meyer (dirs.), « Les usagers
évaluateurs ? Leur place dans l'évaluation des « bonnes
» pratiques profesionnelles en travail social » op. cit.,
p.84.
105
retransmet, en direct, le déroulement de la
performance. Les actants se retrouvent spectateurs des gestes insolites qu'ils
ont acceptés d'accomplir et se sentent psychologiquement
écartelés entre leur potentielle fonction de bourreau et le
désir qu'ils pourraient avoir de soigner et de consoler. La situation
dans laquelle ils sont plongés est à la fois anxiogène et
frustrante. Mais c'est dans ce moment partagé, qui remplace un dialogue
empêché, que Kira O' Reilly, place la performance :
« Les performances extraordinaires de O'Reilly sont
nourries par le désir de : [...] créer quelque chose de
réel qui dépasse la simple représentation [...] au sujet
de choses que je n'arrive pas à exprimer par des mots [...] comme si le
langage me trahissait [...] ou les mots me manquaient
[...]»103
Dans un entretien accordé en 2008 à Patrick
Duggan, Kira O'Reilly évoque le pouvoir d'éloquence de la
blessure :
« Toutes les blessures parlent. Elles sont toutes le
signe que quelque chose vient d'arriver ; cette chose arrivée à
temps comme une sorte de pause pour le meilleur ou pour le pire. En ce sens
elles sont performatives. Mais je pense que, de toute façon, il est
vraiment important pour moi qu'elles puissent exister dans un continuum. Le
contexte en est vraiment la clé. Il existe une différence entre
quelque
103 R. Zerihan, 2005, « Dites quand », esse arts +
opinions, Dérives II (n°55), source citée :
http://esse.ca/fr/article/55/Zerihan
(consulté le 18/05/2015).
106
chose qui arrive parce que quelqu'un n'a pas le choix, et
quelque chose qui arrive à un moment et à un endroit clairement
déterminés comme ceux d'une action artistique. »104
L'oeuvre globale de cette artiste très
singulière, souvent occultée par ses performances les plus
sanglantes, mériterait à elle seule un long mémoire. Mais
nous nous limiterons à rappeler qu'outre le scalpel dont elle a
usé dans certaines de ses actions, et toujours dans le projet de marquer
le corps mais aussi, cette fois, de dénoncer les méthodes par
lesquelles on soignait, à l'époque victorienne, les femmes
hystériques ou prétendues telles, il lui est arrivé
d'utiliser deux sangsues qu'elle se laissa appliquer dans le dos. Nous
évoquerons, pour l'anecdote, que c'est également une sangsue que
la performeuse polonaise, Angelika Fojtuch, utilise dans Wyprowadzona
(Extrait) 2014, en la positionnant, cette fois, sur son front, mais avec
une signification qui reste obscure.
Plus évidentes sont les motivations des quatre artistes
avec lesquelles nous conclurons ce parcours dédié aux mutilations
auto-infligées :
104 P. Duggan, 2009, « The touch and the cut : an annotated
dialogue with Kira O'Reilly », Studies in Theatre and Performance 29 : 3,
source citée :
https://www.academia.edu/210296/The_touch_and_the_cut_an_annotated_dialogue_with_Kira_O_Reilly
(consulté le 28/06/2016).
107
« C'est une performance personnelle et politico-sensuelle
qui concerne les limites invisibles et sous-cutanées qui enveloppent le
corps activement et infiniment ».105 C'est par ces mots que
l'artiste israélienne, Sigalit Landau, définit Barbed
Hula (cerceau en barbelé) 2000, performance au cours de laquelle,
nue, sur une plage proche de Tel Aviv, elle fait du hula hoop avec, en lieu et
place du cerceau traditionnel, un cercle fait d'un épais fil de fer
barbelé. Si sensualité il y a, elle est létale : la
vidéo, prise en gros plan, tourne en boucle ; elle est cadrée sur
le ventre et les hanches de la performeuse et montre, dans une terrible
frontalité, les pointes acérées du barbelé arrivant
en vagues continues sur la chair de l'artiste, la perforant et la
déchirant sans peine, dans un lancinant mouvement de danse
sacrificielle. Le soleil qui se lève et la mer infinie en fond d'image,
apportent une impression fugitive de loisirs et de liberté que vient
immédiatement effacer la vision d'un corps que l'on meurtrit
inexorablement. On pense aux libertés enchaînées, aux
humains parqués, aux frontières et aux camps, aux horizons
désormais limités. Le message politique est clair et va bien
au-delà des seules problématiques israéliennes. Comme
certaines des performances sanglantes que nous avons évoquées et
qui touchent à l'intégrité du corps en
105 Sigalit Landau citée par J. Perrin, « Le nu
féminin en mouvement » in C. Biet et S. Roques (dirs.),
« Performance. Le corps exposé » op. cit., p.180.
interrogeant, en nous, la dualité
désir/dégoût, Barbed Hula nous contraint à
ré-étalonner notre rapport à la beauté. Comme le
suggère Julia Peker, s'inspirant de Kant, face au dégoût,
notre équilibre esthétique est ébranlé :
« L'aversion ressentie face à l'immonde ne
s'exerce pas différemment dans l'art et dans la nature, car la puissance
de l'émotion est telle qu'elle ruine tout accès à la
beauté, tout dépassement de l'aversion spontanée. Sur ce
point, l'artiste est impuissant à agir : il touche un réel qui
certes se donne en spectacle, au sens où il attire le regard, mais qui
ne peut-être contemplé comme un spectacle. Les beaux-arts
savent mettre en scène les pires horreurs, [...] mais le
dégoût menace l'équilibre même de la
représentation. »106
Ebranlé également, nous ne pouvons que
l'être devant la peau scarifiée de Mary Coble dont le
résultat de la performance Blood Script (Écriture de
sang) 2008, recouvre le corps en entier. Cette artiste américaine,
vivant et enseignant en Suède, est une militante féministe
particulièrement engagée dans la défense des
minorités LGBT. En 2008, elle décide de se faire scarifier
soixante-quinze des insultes homophobes les plus usitées. La performance
dure seize heures, pendant lesquelles la souffrance est intense. Sur chaque mot
fraîchement scarifié et encore sanguinolent, Mary Coble applique
une feuille de papier qui en recueille l'empreinte inversée. Toutes ces
feuilles réunies font ensuite l'objet d'un affichage géant.
D'emblée, et avant même de s'interroger sur les raisons d'un tel
travail
108
106 J. Peker, « Cet obscur objet du dégoût
», Lormont, Le Bord de L'eau éditions, 2010, p.148.
109
dont la portée politique est évidente, et sur le
courage qu'il a fallu pour accepter de le subir, nous sommes frappés par
la recherche esthétique effectuée sur les lettres tracées,
dont la taille et l'élégance font d'autant plus ressortir la
haine dissimulée dans les mots qu'elles composent. Un ensemble d'images
confuses apparaissent ensuite dans notre esprit : celle des
flétrissures de l'Ancien Régime, par lesquelles
étaient marqués au fer mendiants, voleurs et galériens,
celle du numéro tatoué sur l'avant-bras des prisonniers des camps
de concentrations ; à chaque fois la marque se voulait infamante,
honteuse et déniant toute humanité107. Puis s'insinue
l'image du bouc émissaire de la tradition rabbinique, chargé
symboliquement des péchés des hommes. Pourtant, il n'a
certainement pas été dans l'intention de Mary Coble de donner une
portée sacrée à son oeuvre, de sanctuariser son
corps ; mais plutôt de le désacraliser, ce qui ne veut pas dire de
le dévaloriser. Il devient le vivant miroir de nos possibles
intolérances et, comme pour Kira O'Reilly, c'est un peu comme si chacun
de nous avait tenu le scalpel.
107 Mary Coble anime, en collaboration avec Bergen Academy of
Art and Design (Norvège), la Valand Art Academy (Suède) et la
Funen Art Academy (Danemark), un workshop sur les connexions reliant la honte
et les performances.
110
L'oeuvre de l'artiste guatémaltèque, Regina
José Galindo, est toute entière dédiée à la
cause des femmes, et notamment, à la dénonciation de toutes les
violences et exactions dont les femmes guatémaltèques ont
été victimes de tout temps, mais particulièrement durant
les trente-cinq années de la dernière guerre civile. Arrestations
arbitraires, tortures, viols, exécutions sommaires, de la part des
militaires et des services de polices, venaient se surajouter aux violences
domestiques, ancestrales et quotidiennes. C'est dire à quel point
chacune de ses performances est à la fois édifiante et
édificatrice d'un devoir de mémoire comme d'un travail de deuil.
Fustigeant les systèmes de pouvoirs quels qu'ils soient, elle
représente certainement à elle seule, l'éventail le plus
important des pratiques corporelles dans la performance actuelle.
Attaché, dénudé, exhibé, plâtré,
suspendu, battu, enterré, ensaché, noyé, autopsié,
opéré, électrocuté, compissé et, bien
entendu, lacéré, son corps gracile trace, à seulement
quarante-deux ans, dans l'histoire de la performance et à travers le
monde entier, un sidérant parcours qu'il sera difficile d'égaler.
Sa force de conviction indiscutable, le choix de ses cibles et sa fureur
combattante, en font l'une des plus proches héritières des
pionnières historiques. Son oeuvre, loin de nous transporter vers les
rives d'un esthétisme délicat ou onirique, nous saisit
immédiatement à la gorge et nous contraint à regarder la
réalité en face. La réflexion est salutaire à
défaut d'être poétique. Et son image est terriblement
persistante.
111
Nous souhaitions terminer cette courte galerie de portraits
par la présentation de la performance paradoxale de l'artiste chinoise
He Chengyao : 99 Needles (99 aiguilles) 2002. Elle présente en
effet la particularité de consister en une réalisation de
micro-blessures douloureuses qui, en réalité, devaient constituer
un acte médical, destiné à soigner et non à
meurtrir. L'acupuncture est en effet une des cinq branches de la
médecine traditionnelle chinoise qui, en agissant sur les
méridiens par le biais de fines aiguilles
insérées sous la peau et à des points précis,
permet de traiter, souvent en association avec d'autres pratiques
médicales, un ensemble de maux courants. En la circonstance, cette
performance retrace plutôt l'histoire du calvaire de la mère de
l'artiste. Cette dernière, se trouva enceinte alors qu'elle
n'était pas encore mariée, dans la Chine des années 1960.
En opposition avec les directives gouvernementales, les futurs parents
décidèrent de garder l'enfant et perdirent, en
conséquence, leur emploi. Deux enfants suivirent. Le scandale et le
stress provoquèrent, chez la mère de He, de fréquentes
crises de nerfs que les proches décidèrent de soigner en usant de
fréquentes et douloureuses séances d'acupunctures non
maîtrisées. Le père de He disparut dans les geôles
chinoises. La mère glissa alors dans la folie.
« Ma mère ne savait pas où elle
était. Elle n'avait pas de travail, pas d'argent, pas de mari et trois
enfants. [...] Par deux fois dans la rue, je fis semblant de ne pas la
reconnaître. Une fois, plus tard,
112
elle fut rassemblée avec d'autres et emmenée
dans une autre ville.[...] Elle était perdue.[...] J'avais cinq ans, je
regardais, et je ne pouvais rien faire »108
En souvenir de ce drame, et pour tenter de comprendre et de
ressentir ce que sa mère a subi pendant ces années, He Chengyao a
décidé de se faire poser quatre-vingt-dix-neuf aiguilles
d'acupuncture sur tout le corps de manière aussi arbitraire. 99
Needles, est un hymne à la maternité, une ode douloureuse et
silencieuse destinée à illustrer le combat des femmes pour leurs
libertés. C'est une oeuvre qui stigmatise également les
comportements inhumains dans leur plus grande banalité. En cela, et
malgré son apparente simplicité, elle représente
l'archétype de la performance douloureuse et engagée.
108 D. K. Tatlow, 2014, « «She. Herself. Naked.
» : The Art of He Chengyao », The New York Times,
http://sinosphere.blogs.nytimes.com/2014/01/20/she-herself-naked-the-art-of-he-chengyao/?_r=0
(consulté le 05/07/2016).
113
Figure 25 : Gina Pane, Blessures théoriques,
1970.
114
Figure 26 : Gina Pane, Psyché, 1973
· Azione Sentimentale, 1975
· Le corps pressenti, 1974
· Psyché,
1974.
Figure 27 : Gina Pane, Transfert, 1973.
Figure 28 : Gina Pane, Escalade non
anesthésiée, 1971.
115
Figure 29 : Gina Pane, Le corps pressenti, 1975
· Jo mescolo tutto, 1976 ·
Manipulation d'humus, 1970.
116
Figure 30 : Gina Pane, Action Autoportrait(s) - mise en
condition / contraction / rejet, 1973.
117
Figure 31 : Marina Abramovic, Lips of Thomas, 1975-1993
· Lips of Thomas, 1976 ·
Rhythm 5, · Lips of
Thomas, 1975 · Ibid. ·
Lips of Thomas, 1975-1993 ·
Lips of Thomas, 1993.
118
Figure 32 : Marina Abramovic et Ulay, Breathing In -
Breathing Out, 1976 · AAA - AAA, 1978
· The Lovers, The Great Wall Walk,
1988.
Figure 33 : Marina Abramovic et Ulay, Relation in Space,
1976 · Light / Dark, 1977 ·
Relation in Time,
1977.
119
Figure 34 : Marina Abramovic, Rhythm 0, 1974.
120
Figure 35 : ORLAN, Couture et suture, 4ème
chirurgie, Opération réussie, 1991.
Figure 36 : Kira O'Reilly, Wet Cup, 2000
· Succour, 2002 ·
Wet Cup, 2000.
Figure 37 : Kira O'Reilly et Manuel Vason, Post-Succour,
2001.
121
Figure 38 : Kira O'Reilly et Manuel Vason, Wet Cup,
2000.
122
Figure 39 : Angelika Fojtuch, Performance
interwencyjny, 2013.
Figure 40 : Sigalit Landau, Barbed Hula, 2000.
123
Figure 41 : Mary Coble, Blood Script, 2008.
Figure 42 : He Chengyao, 99 Needles, 2002.
124
Figure 43 : Regina José Galindo, Perra, 2005
· Vertigo, 2005 ·
Hilo de Tiempo, 2012.
125
CONCLUSION
126
127
Au moment où nous avons choisi le sujet de ce
mémoire, la connaissance très limitée que nous avions du
monde de la performance féminine contemporaine, et
particulièrement des artistes utilisant la nudité et la
souffrance auto-infligée, nous laissait entrevoir un sujet, certes
passionnant, mais suffisamment circonscrit pour que nous puissions en livrer un
aperçu exhaustif dans le volume de pages qui nous était
autorisé. Puis, en tentant de rassembler le fonds documentaire minimal
qui nous semblait nécessaire pour la réalisation du corpus, nous
avons rapidement découvert que ce minimal était
illusoire, tant la matière est formidablement abondante et en constante
progression. Certes, comme dans tous les autres secteurs artistiques, les
propositions sont loin d'être toutes d'intérêt égal.
De confirmations en découvertes, on glisse de l'admirable à
l'ignoble, du stimulant au soporifique, du séduisant au racoleur. Mais
ce monde que nous pensions voué aux bourrasques des grandes
pionnières et aux zéphyrs minimalistes d'une fraction de leurs
suivantes, est en réalité, traversé par un ensemble de
courants novateurs et singuliers, qui laissent toutefois la part belle aux
artistes qui persistent à défendre essentiellement leurs
idéaux en utilisant les mêmes armes.
Enfin, les interrogations incessantes qui sont apparues au fil
de sa rédaction ont achevé de nous persuader, qu'au mieux, nous
ne pourrions que frôler la partie émergée d'une
minorité d'icebergs qui dépassent de cet océan de
réalisations et de personnalités ; et nous avons tenté
d'en étudier un panel représentatif.
À certaines de nos questions initiales, nous avons
trouvé des embryons de réponses qui ouvrent un ensemble de pistes
vers de nouvelles réflexions. Ainsi, nous avons découvert que
certaines des pionnières, outre la reconnaissance et le respect
évidents manifesté par leurs continuatrices, voyaient les plus
emblématiques de leurs oeuvres, faire l'objet de reprises. Ce
n'était pas, d'ailleurs, sans poser certaines questions
déontologiques, puisque, selon Barbara Formis « [...] si les
happenings meurent précisément dans la mesure où, selon
Kaprow, leurs « résultats intentionnels sont presque des
rituels à ne jamais répéter », quelle fonction
accorder aux différentes revivifications, revivals,
reprises, reenactments, redoings qui les concernent, et qui se
multiplient parallèlement ces dernières années dans le
champ de l'art performantiel ? »109 Il est évident que
certains des totems que nous avons évoqués, restent des
sources d'inspiration pour les performeuses actuelles, et que les luttes
émancipatoires initialisées dès les années 1960,
sont toujours d'actualité pour les militantes ultra-contemporaines les
plus déterminées. Certaines d'entre-elles dépassent
même, par la frontalité de leur nudité combattante et la
violence exemplaire des sévices qu'elles s'infligent, les limites de
quelques-unes de leurs devancières. Il faut toutefois pondérer
l'importance de l'écart parfois constaté, en replaçant ces
actions dans leurs contextes historiques réciproques. Mais force est de
constater que certaines performeuses, comme
128
109 B. Formis, 2010, « Les arts vivants sont morts, longue
vie aux arts vivants ! », artpress2, op. cit., p.44.
129
Regina José Galindo, Ewa Partum, Boryana Rossa ou He
Chengyao, ont pris au cours de leurs carrières respectives, des risques
identiques à ceux assumés par Carolee Schneemann ou Valie
Export.
La nudité et/ou les souffrances auto-infligées
ont également servi d'autres causes. En matière de nudité,
par exemple, Gaëlle Bourges, en mettant en scène danseurs et
non-danseurs, sex workers et ex-sex workers, dans des
performances ou l'humour s'allie à l'impertinence, continue à
interroger le regard du spectateur sur le nu féminin. Mélanie Le
Grand, quant à elle, utilise son corps nu pour la création de
processus immersifs et participatifs, qui mixent arts visuels et performances
en incluant, parfois, la pratique du bondage comme outil multifonctionnel.
Quelquefois, les oeuvres de certaines artistes s'orientent explicitement vers
des chemins bien plus violents ou plus difficilement justifiables. La Hongroise
Borbala Szente, utilise son corps dans un ensemble de rituels éprouvants
au sein desquels, The Great Vagina Show (Le grand spectacle du vagin)
2014, apparait presque badin. Selon Dawn Perlmutter :
« Il existe de nombreux clubs servant de «
scènes » où convergent le monde des mutilations corporelles,
celui des piercings, de l'art de la performance, des rituels
sanglants, des tatouages et de toutes les formes de servitudes et
d'activités sexuelles violentes. La scène fétichiste
induit des clubs qui assurent, outre la promotion du fétichisme, celle
du sadomasochisme, de la servitude et de l'obéissance [...]. Les
artistes de la performance qui utilisent fréquemment du sang se
produisent
130
souvent dans ces lieux. Ces scènes qui sont
fondamentalement constituées autour d'une esthétique de la
violence, ne se concurrencent pas mais s'entrecroisent. »110
Ainsi, les performances qui font l'objet de ce mémoire
ne se contentent plus des scènes traditionnelles et de la rue pour
s'exprimer. Et, en comparaison des quelques dizaines de spectateurs qui
composaient l'ordinaire des actions de Gina Pane, il arrive à
présent que plus de six cents personnes se pressent aux grand-messes
dionysiaques organisées par des clubs spécialisés dans le
monde entier.111
Nous demeurons, par contre, dans la plus complète
expectative, en ce qui concerne l'impact de toutes ces performances sur
l'évolution du statut des femmes. Et en particulier des femmes artistes.
Nous rappelons que les pionnières parmi les performeuses, portaient en
elles, outre la volonté de bousculer certaines valeurs artistiques,
l'espoir de participer efficacement aux combats pour l'émancipation des
femmes. Certes, les artistes féminines ont acquis à
présent, un niveau de visibilité supérieur
à celui qui prévalait il y a un demi-siècle. Mais elles
sont encore très loin d'occuper une place équivalente à
celle de leurs
110 D. Perlmutter, « The Sacrificial Aesthetic: Blood
Rituals from Art to Murder », Anthropoetics 5, no. 2 (Fall 1999 / Winter
2000), source citée :
http://www.anthropoetics.ucla.edu/ap0502/blood.htm
(consulté le 22/02/2016).
111 D. Perlmutter, « The Sacrificial Aesthetic: Blood
Rituals from Art to Murder », ibid.
131
collègues masculins. Et de manière plus
prosaïque encore, leurs cotes personnelles, sur le marché de l'art,
sont sans commune mesure avec celles des hommes. Par ailleurs, certaines des
luttes initiales ont vu leurs messages brouillés, en raison de
l'explosion des mouvements en une myriade de groupuscules qui combattent
désormais autant entre eux que pour leur défense commune.
Peut-être serait-il souhaitable que cette fraction de la scène
artistique puisse continuer à transmettre les valeurs fondamentales qui
avaient une portée émancipatoire, à une nouvelle
génération qui perçoit le féminisme comme un fait
accompli.
132
133
Table des illustrations
FIGURE 1 : Ana Mendieta, Blood Inside
Outside, 1975 · Mary Beth Edelson,
Trickster
Body/Baubo,
1973..............................................................................23
FIGURE 2 : Ewa Partum, Change,
1979......................................................23 FIGURE 3 :
Tracey Emin, Everyone I have Ever Slept With 1963-1995, 1995
· My Bed,
1998..............................................................................................23
FIGURE 4 : Hannah Wilke, S.O.S Starification Object Series (Curlers),
1974-1975 ·
Hannah Wilke Super-t-Art, 1974-1991
· Intra Venus #3, 1992-1993
· Intra Venus #6,
1992-1993.......................................................................................24
FIGURE 5 : Annie Sprinkle, Post-Porn Modernist Show,
1992...........................31 FIGURE 6 : Mona Hatoum,
Corps Étranger,
1994..........................................31 FIGURE 7 :
Egle Rakauskaite, In Honey,
1996..............................................31 FIGURE 8 :
Carolee Schneemann, Up to and Including Her Limits with
Kitch, 1974 ·
Study for Up To and Including Her Limits, 1973
· Up to and Including Her Limits,
1976 ·
ibid.......................................................................................32
FIGURE 9 : Carolee Schneemann, Eye Body,
1963..........................................51 FIGURE 10 :
Carolee Schneemann, Interior Scroll,
1975....................................51 FIGURE 11 : Carolee
Schneemann, Meat Joy,
1964..........................................52 FIGURE 12 :
Valie Export, Tapp und Tastkino, 1968 ·
Action Pants, Genital Panic,
1969..............................................................................................52
FIGURE 13 : Carolee Schneemann, Hand/Heart for Ana Mendieta,
1986................53 FIGURE 14 : Ana Mendieta, Untitled
(Death of a Chicken), 1972.........................54
134
FIGURE 15 : Ana Mendieta, Rape
Scene, 1973...54 FIGURE 16 : Joan Jonas, Mirror
Check, 1970...55 FIGURE 17 : Vlasta Delimar, Lady
Godiva, 2001.....55 FIGURE 18 : Boryana Rossa,
Vitruvian Body, 2009...55 FIGURE 19 : Yolene Richard,
À ma planche, 2016...56 FIGURE 20 : Katarzyna
Kozyra, Olympia, 1996...56 FIGURE 21 : Evangelia
Basdekis, I Trust You, 2007........69 FIGURE 22 : Eve
Bonneau, ALT TLA, 2014...69 FIGURE 23 : Milo
Moiré, The Script System, 2013 · The Naked
Life, 2015 · Box
Performance, 2016....70 FIGURE 24 :
Lena Marquise, Body As Commodity, 2014...70 FIGURE 25
: Gina Pane, Blessures théoriques, 1970...105
FIGURE 26 : Gina Pane, Psyché, 1973 ·
Azione Sentimentale, 1975 · Le corps pressenti,
1974 · Psyché, 1974...106
FIGURE 27 : Gina Pane, Transfert, 1973........106
FIGURE 28 : Gina Pane, Escalade non
anesthésiée, 1971...107 FIGURE 29 : Gina
Pane, Le corps pressenti, 1975 · Io mescolo tutto,
1976 · Manipulation
d'humus, 1970........107 FIGURE 30 :
Gina Pane, Action Autoportrait(s) - mise en condition / contraction /
rejet,
1973........108 FIGURE 31 : Marina Abramovic,
Lips of Thomas, 1975-1993 · Lips of Thomas, 1976
·
Rhythm 5, 1976 · Lips of Thomas,
1975 · ibid. · Lips of Thomas, 1975-1993
· Lips of
Thomas, 1993...109 FIGURE 32 :
Marina Abramovic et Ulay, Breathing In - Breathing Out, 1976
· AAA -
AAA, 1978 · The Lovers, The Great Wall
Walk, 1988...110
135
FIGURE 33 : Marina Abramovic et Ulay,
Relation in Space, 1976 · Light /
Dark, 1977 ·
Relation in Time, 1977 .....110
FIGURE 34 : Marina Abramovic, Rhythm
0, 1974 111
FIGURE 35 : ORLAN, Couture et suture,
4ème chirurgie, Opération réussie, 1991
112
FIGURE 36 : Kira O'Reilly, Wet Cup,
2000 · Succour, 2002 ·
Wet Cup, 2000 112
FIGURE 37 : Kira O'Reilly et Manuel Vason,
Post-Succour, 2001 .....113
FIGURE 38 : Kira O'Reilly et Manuel Vason,
Wet Cup, 2000 ..113
FIGURE 39 : Angelika Fojtuch, Performance
interwencyjny, 2013 .114
FIGURE 40 : Sigalit Landau, Barbed
Hula, 2000 ....114
FIGURE 41 : Mary Coble, Blood
Script, 2008 .....115
FIGURE 42 : He Chengyao, 99 Needles,
2002 ....116
FIGURE 43 : Regina José Galindo,
Perra, 2005 · Vertigo, 2005
· Hilo de Tiempo,
2012 .....116
136
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Index des noms cités
A
ABRAMOVIC Marina:11, 13, 22, 34, 39, 44,
45, 55, 56, 57, 101, 102, 104, 105, 106,
108, 125, 126, 128, 146, 155, 157 ANGELICO Fra:84
ANTIN Eleanor:53
B
BASDEKIS Evangelia:72, 79, 145
BAUDRY Patrick:102
BEECROFT Vanessa:69, 70
BÉGOC Janig:97, 100 BEUYS Joseph:75 BIET Christian:57
BOLIVER Rocio:53 BONNEAU Eve:72, 80, 145
BOULOUCH Nathalie:48
BOURGES Gaëlle:45, 140
BURDEN Chris:85
C
CAHUN Claude:44
CHENGYAO He:116, 117, 135, 140, 147, 157
COBLE Mary:114, 115, 134, 147
Cosey Fanni Tutti:85
COURBET Gustave:76
D
145
DE ROBERTIS Deborah:73, 76, 77, 155 DELIMAR Vlasta:53, 63,
145
DIDRON M.:88, 89 DUBUFFET Jean:101 DUGGAN Patrick:111
E
EDELSON Mary Beth:21, 26, 144 EXPORT Valie:44, 45, 46, 47, 60,
73, 75, 140, 145
F
FOJTUCH Angelika:112, 132, 146 FORMIS Barbara:139
FOX Oriana:71
FRANCBLIN Catherine:40
G
GARCIA Dora:19
GENESIS P-ORRIDGE:85, 154 GOLDBERG RoseLee:11, 13, 24, 70
H
HATOUM Mona:33, 37, 144 HEINICH Nathalie:94, 96 HERBERT
Anton:93
HORN Rebecca:45 HOUNTOU Julia:98 HUESCA Roland:45
J
JONAS Joan:52, 63, 145 JONES Amelia:31, 40, 68 JOSÉ
GALINDO Regina:115, 140 JOUVENET Morgan:96
K
KANT Emmanuel:113
Kaprow Allan:139
KLEIN Yves:34, 40, 44, 101 KORFF-SAUSSE Simone:87 KOZYRA
Katarzyna:54, 65, 145
L
LACHAUD Jean-Marc:11 LAHUERTA Claire:20, 109 LANDAU Sigalit:112,
133, 146 LE BRETON David:89 LE GRAND Mélanie:140 LEVERATTO Jean-Marc:92
LUSSAC Olivier:22, 42, 43
M
MALEVITCH:84 MANZONI Piero:41 MARGAT Claire:93 MARQUISE Lena:76,
81, 145 MAVROMATTI Oleg:53
MAYEN Gérard:12, 101
146
MENDIETA Ana:13, 21, 26, 44, 48, 49, 50,
53, 61, 62, 90, 144, 145, 157
MILLET Catherine:31
MOIRÉ Milo:73, 74, 75, 76, 80, 145, 158
MORI Mariko:70
MORIMURA Yasumasa:70
MORRIS Robert:43
MÜHL Otto:41
N
NITSCH Hermann:91
O
O'REILLY Kira:109, 111, 115, 129, 146 Ono Yoko:105
ORLAN:34, 35, 106, 107, 108, 109, 129, 146, 150
P
PANE Gina:11, 13, 23, 45, 89, 96, 97, 98, 99,
100, 101, 106, 119, 120, 122, 123, 124,
141, 145, 146, 150, 154, 155
PARTUM Ewa:22, 27, 54, 140, 144
PEKER Julia:113
PERLMUTTER Dawn:140
PERRIN Julie:46
PHELAN Peggy:44
POLLOCK Jackson:41
R
RAKAUSKAITE Egle:33, 37, 53, 144
T
T. SMITH Barbara:67, 69 THURMAN Judith:70
U
Ulay:39, 57, 103, 104, 106, 155
V
VIGARELLO Georges:33
W
WARR Tracey:68
WATTEAU Diane:101
WEIBEL Peter:45
WILKE Hannah:23, 29, 51, 55, 144
Z
ZABUNYAN Elvan:48 ZERIHAN Rachel:111, 158
147
RECKITT Helena:10, 24, 44, 46, 47, 51, 106 RICHARD Yolene:54, 65,
145 RIZZOLATTI Giacomo:92
ROGOFF Irit:50
ROQUES Sylvie:19, 33, 35, 44, 46, 57, 89, 99, 101, 109, 112
ROSENBACH Ulrike:45
ROSSA Boryana:53, 64, 140, 145
S
SCHECHNER Richard:18
SCHNEEMANN Carolee:13, 22, 34, 38, 41,
42, 43, 44, 45, 47, 48, 51, 59, 60, 61, 71,
140, 144, 145, 155
SINIGAGLIA Corrado:92
SMITH Roberta:68, 69
SOULAGES Pierre:101
SPIELMANN Guy:19
SPRINKLE Annie:33, 37, 44, 144
STILES Kristine:31
SZENTE Borbala:140
148
149
·
·
|
|