4. La mise en place d'un système de placement
aléatoire pour contrer les regroupements
Un dernier dispositif sécuritaire est
déployé dès l'achat d'un billet ou d'un abonnement avant
de rentrer dans le stade. Dès l'arrivée du nouvel investisseur
QSI à la tête du PSG, les dirigeants ont choisi de mettre en place
un système d'abonnement pour les plus fervents supporters. Toutefois,
ils n'ont pas fait table rase du passé. Au contraire, ils se sont
appuyés sur un modèle préexistant. Grâce à la
conversation que j'ai pu avoir avec Madame Leprince et en m'appuyant sur ma
propre expérience, j'ai compris que deux politiques de placement du
public parisien étaient mises en oeuvre. Premièrement, dans les
tribunes Auteuil et Boulogne situées derrière les buts, un
système de placement aléatoire est développé : une
personne qui achète une place appartenant à une catégorie
de prix qui correspond à ces deux virages ne peut choisir son placement
exact dans la tribune. Celui-ci se fait de manière aléatoire par
un logiciel informatique. En revanche, dans les tribunes latérales, que
ce soit pour la tribune Paris ou la tribune Borelli, un supporter choisit un
emplacement précis. De cette façon, Madame Leprince
abonnée au secteur A, a pu choisir sa place : « Non seulement, j'ai
choisi ma tribune, mais j'ai choisi la place que je voulais. J'ai choisi le
14e rang et je voulais... ». Lors de l'entretien, elle m'a
montré une photographie où l'on voit son nom inscrit sur son
siège.
L'objectif de cette politique réservée aux
virages est avant tout sécuritaire. En effet, l'intention des dirigeants
du PSG est d'éviter d'une part des regroupements volontaires de
personnes anciennement affiliées à des associations de supporters
organisés et d'autre part, l'apparition d'association informelle et
contestataire. Pour éviter l'existence de ces phénomènes,
la direction choisit de casser toute dynamique de groupe en effectuant un
nouveau tirage au sort avant chaque saison. Ainsi, comme ce fut le cas avec mon
expérience personnelle et celle du fils de Madame Leprince,
également abonné en virage, notre emplacement a été
modifié d'une année sur l'autre. Ce système d'abonnement
aléatoire produit un processus d'homogénéisation, des
représentations et des comportements dans les tribunes populaires
Boulogne et Auteuil historiquement opposées. J'ai pu observer cette
uniformisation à plusieurs moments de la saison. Par exemple, lors du
match entre le PSG et l'AS Monaco qui s'est déroulé le 5 mars
2015, j'ai vu deux supporters qui portaient des signes distinctifs
représentant le « kop104 of Boulogne » dans la
tribune Auteuil. L'une de ces deux personnes était située au bas
de la tribune et était intégrée à un groupe de
supporters qui tentaient de mettre de l'ambiance en organisant les chants. Le
port d'un insigne de la tribune de Boulogne ne semblait déranger
personne. Dès lors, l'instabilité spatiale,
caractéristique du système de placement aléatoire,
réservée aux virages, casse les dynamiques de groupes et
atténue les sentiments d'appartenance à une tribune. La culture
ultra historiquement liée à la tribune Auteuil,
l'identité et l'ancrage territorial attachés à un virage
sont tempérés. Le processus de territorialisation initialement
très puissant dans les tribunes populaires105 s'estompe au
Parc des Princes. Comme l'explique Eric Wittersheim dans son ouvrage paru en
104 Assimilé aux virages et aux tribunes populaires, le
kop est la tribune où se réunissent les supporters les plus
actifs.
105 Bromberger C., op cit, 1995, 406 pages.
36
2014106, la tribune constituait pour les
abonnés d'Auteuil dans les années 1990 leur maison, leur local,
leur lieu de réunion, de festivité. Leur communauté
imaginée à travers les médias s'incarnait sur ce
territoire. Il y avait donc une réelle appropriation de cet espace par
les abonnés au point de devenir leur territoire. Cette
appropriation semblait même renforcée par la distinction entre le
« eux » (le public présent irrégulièrement) et
le « nous » (les abonnés). Aujourd'hui, le système
aléatoire, en empêchant cette appropriation, atténue de
facto le processus de territorialisation.
Un ensemble de dispositifs immatériels permet donc le
fichage de l'ensemble du public présent au stade et un filtrage du
public parisien selon des critères économiques et historiques. Le
tout se fait en amont du Parc des Princes. Ces initiatives exposent une
sécurité renforcée et optimisée à des fins
ludiques et commerciales qui se retrouvent pendant les matchs.
|