Les dispositifs d'encadrement du public du parc des Princes et leurs effets.( Télécharger le fichier original )par Mathieu Kerrien Université Paris-Est Marne-la-Vallée - Master Espaces, Sociétés et Territoires 2014 |
ConclusionLa mise en oeuvre du « plan Leproux » en 2010 a entrainé la dissolution et l'exclusion du supporterisme ultra au Parc des Princes. Ceci a eu pour conséquence un renouvellement profond du public parisien et un appauvrissement général de l'ambiance. De ce fait, une homogénéisation des tribunes s'est mise en place : l'absence d'association et l'interdiction d'entrer avec du matériel de supporters classiques (banderoles, drapeaux, fumigènes, mégaphones, tambours) ne permettent plus de singulariser les virages. Les territoires des kops ne sont plus aussi marqués. Au Parc des Princes, il existe dorénavant une faible différence entre les tribunes latérales et les tribunes populaires. Toutefois, grâce à l'acoustique du lieu et au niveau international du PSG, il existe encore des moments d'excitation collectives, surtout en Coupe d'Europe. Sauf que ces moments intenses se font bien plus rares : « Ils sont interrompus par des longues plages d'apathie que les relances ultras n'abrègent plus. »157. Cette dégradation émotionnelle évoque l'aseptisation du stade. Aujourd'hui, le Parc des Princes tend à ne plus être un lieu d'expression autonome mais un lieu encadré, ultra sécurisé et régi par une logique économique. La politique d'encadrement du public du PSG s'explique par des préoccupations financières et une volonté de retour économique sur investissement. Les propriétaires du PSG n'auraient sûrement pas racheté ce club en 2011 avec un public indiscipliné. En effet, les dirigeants du PSG et les autorités publiques combinent des stratégies de séduction158 et d'encadrement pour pacifier le public afin de garder un contrôle maximal de son comportement. Ainsi, on veut pouvoir sélectionner un public et attirer des supporters consommateurs. Une des conséquences de cette rationalisation économique est la transformation des supporters en simples spectateurs ou clients. En partant de ce constat, j'ai essayé au cours de cette étude de rendre compte des dispositifs d'encadrements sécuritaires. Comme je l'ai montré, ces derniers sont discrets, hybrides, ludiques et innovants, et permettent au public au Parc des Princes de se sentir à l'aise. Cette pacification à l'extérieur comme à l'intérieur du stade, qui permet une plus grande accessibilité pour les femmes et les enfants, se combinent néanmoins à une sévère politique répressive et une liberté d'expression limitée. 157 Latta J., « De quoi le Parc des Princes est-il «mort» ? », Une balle dans le pied, 17 avril 2015, disponible sur http://latta.blog.lemonde.fr/ 158 Giroud M., op cit, 2007, pages 88-103. 79 Ces dispositifs guident et contrôlent les comportements des individus et entraînent une normalisation de leurs attitudes. Face à cela, des formes d'adaptations et de résistances se mettent en place. Celles-ci montrent comment la normalisation comportementale peut être plurielle. Cette diversité a pour conséquence l'instauration d'un fractionnement spatial, une mobilité inégale associée à des représentations différenciées. Le tout met en valeur des conceptions différentes du supporterisme et du rapport au spectacle. Parmi celles-ci, on trouve des résidus de groupes ultras qui appartiennent à un « même monde social dont les activités, les sites et les discours159 reposent sur un socle culturel commun, tout en étant influencé par les liens et les perspectives partagés avec d'autres mondes (par exemple, musical, politique ou judiciaire) »160. Ces résidus sont matérialisés par les groupements de fervents supporters en bas de la tribune Auteuil. Cette communauté complexe crée ses propres activités à l'instar des tifos. Ces spécificités contribuent par là même à marginaliser ce groupe social. Ces personnes sont favorables au maintien d'un football populaire mis en danger par l'augmentation régulière des tarifs des abonnements. En affichant leur mécontentement à l'augmentation des prix, certains ont affiché leur opposition à la modernisation du Parc des Princes. A l'inverse, les spectateurs passifs et attentifs au match de football, semblent être de plus en plus nombreux au Parc des Princes. Soucieux d'assister à un spectacle avec un confort amélioré, les spectateurs ne s'opposent pas à la modernisation du stade et ne paraissent pas touchés par l'augmentation des prix. Ainsi, l'avenir du Parc des Princes constitue un nouveau sujet clivant le public parisien. Plus particulièrement, les comportements et les représentations du supporterisme sont sources de tensions au sein de la tribune Auteuil. La culture du supporterisme s'appuie et se développe notamment sur la notion de compétition. Puisque les groupes de supporters sont engagés dans une lutte fondée sur la capacité à animer une tribune, il arrive que des rivalités existent entre des associations supportrices d'un même club. Au Parc des Princes, cette rivalité entre supporters ultras fut très marquée pendant les années 2000. Les nouveaux dispositifs d'encadrement du public ont déplacé cette rivalité. Dorénavant, on assiste à une opposition entre les partisans d'un supporterisme ultra et les simples spectateurs. Ainsi, les points de repère et les points d'attention des groupes de supporters ultras ont changé. Avant, les regards étaient principalement tournés vers le virage d'en face. Aujourd'hui, à l'intérieur des rassemblements en bas de la tribune, de nombreuses personnes n'hésitent pas à se retourner et insulter le public parisien qu'ils surnomment les « viagogo ». 159 Strauss, A. 1992. La Trame de la négociation, Paris, L'Harmattan. 160 Ginhoux B., op cit, 13 mai 2015. URL : http://www.metropolitiques.eu/En-dehors-du-stade-l-inscription.html 80 Derrière ces insultes se cache une critique de l'évolution du football moderne qui est de plus en plus gouverné par des stratégies économiques. L'absence d'associations susceptibles d'organiser cette critique entraine une liberté totale des dirigeants quant à leur politique et une mainmise sur l'ambiance générale. Alors que les anciennes associations avaient pu négocier un « gel des prix sur 5 ans »161, les dirigeants actuels ont doublé le prix des abonnements en l'espace de quatre ans. Cet encadrement et cette politique de prix entraînent un boycott de quelques supporters historiques du PSG mais aussi de nombreuses associations supportrices de clubs français. En effet, de plus en plus d'associations de supporters adverses boycottent régulièrement le Parc des Princes. Lors de la saison 2014 - 2015, des supporters des clubs de Ligue 1 ont préféré sacrifier le grand chelem162 car de nombreuses associations de supporters ne voulaient pas céder aux conditions financières et sécuritaires163 exigées par le PSG. Ce fut par exemple le cas le 8 mai 2015 avec le refus de déplacement des Guingampais. Ainsi, l'aseptisation générale du Parc des Princes est de plus en plus décriée dans l'ensemble du milieu du supporterisme français164. Autrefois, le stade de football était un lieu accessible financièrement, dans lequel une autogestion était mise en place par le public. En se référant aux analyses énoncées par Norbert Elias sur l'euphémisation de la violence et l'autocontrôle imposés par la civilisation des moeurs165, Eric Witthersheim affirme dans son étude que le stade de football était un lieu d'émancipation pour une partie de la « population dominée »166 à l'extérieur du stade. Aujourd'hui, le stade de football devient un espace totalement contrôlé par les autorités publiques, les dirigeants d'un club et du football. Et le Parc des Princes en est un exemple emblématique. 161 Whenwewerekids, 70min, 2013. URL : https://www.youtube.com/watch?v=WjH055I_VIc 162 Faire le grand chelem signifie, dans le vocabulaire ultra, suivre son équipe dans tous les stades de France pour la supporter pendant une saison entière. 163 Comme pour les supporters du PSG, il est interdit aux supporters adverses de faire entrer mégaphones, tambours et banderoles. 164 Guillou C., « Les supporteurs du PSG et de la Ligue 1 pas à la fête », Le Monde, 16 mai 2015. URL : http://www.lemonde.fr/sport/article/2015/05/07/assignes-a-domicile_4629789_3242.html 165 Elias N, Dunning E, op cit, 1994. 166 Witthersheim E, op cit, novembre 2014. La citation est à la page 41 81 82 |
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