2. La tribune Auteuil scindée en deux
Cette division spatiale est de plus en plus marquée au
fur et à mesure qu'on avance dans la saison. Ce processus s'explique
notamment par les rituels des supporters les jours de match. Que ce soit Madame
Leprince, les supporters observés dans la tribune Auteuil ou mes amis et
moi, les personnes qui se rendent régulièrement au Parc des
Princes ont leurs habitudes qui impliquent leur propre mode de socialisation
dans la tribune. Concernant la capacité des abonnés à
tisser des relations qui s'enracinent avec le temps, Madame Leprince constitue
un cas exemplaire :
- Mathieu : « Est-ce que vous avez des habitudes
dès que le PSG joue ? Les jours de match ? »
- Madame Leprince: « Alors les jours de match....
Généralement, j'ai un tee-shirt sur mon dos, un tee-shirt du PSG,
ça c'est obligé (rire). Je prépare mes affaires
dans mon petit sac, euh... et puis j'essaye d'arriver toujours une heure avant
le match.»
- Mathieu: « Pourquoi 1h avant ? »
- Madame Leprince: « 1h avant parce que je discute avec
des gens que je connais maintenant. Comme on est toujours dans la même
tribune je commence à connaitre du monde donc on discute, on boit un
coup... ça devient convivial en fait. »
(Entretien réalisé le 29 avril 2015 au domicile de
Madame Leprince)
Ces habitudes entrainent des réflexes spatiaux : elle
retrouve sa soeur avec qui elle est abonnée à leur place
habituelle. De même, cette attitude a été observée
de nombreuses fois dans la tribune Auteuil par des groupes d'amis. Les notes de
terrain ci-dessous prises à l'occasion du match entre le PSG et l'AS
Monaco, le 5 mars 2015, retranscrivent mes observations avant la rencontre.
Pour ce match, je suis entré à l'ouverture des portes,
c'est-à-dire à 19h30. J'ai donc été l'un des
premiers à entrer dans le stade ce qui m'a permis de porter une
attention particulière au flux d'entrée du public et aux
dynamiques de regroupements des individus entre l'ouverture des portes et le
début du match.
Des personnes restent debout. Ce sont des habitués
(abonnés sûrement) car ce sont des têtes que je reconnais.
Elles sont seules et attendent sûrement leur camarade. A ce moment
là, les personnes en groupes semblent avoir un comportement de «
viagogo » : ils se repèrent dans la tribune grâce au
numéro de la place sur le billet, mangent et consomment. J'ai même
entendu une personne, venir avec trois autres amis, appeler une autre personne
pour lui dire où ils se trouvaient. Par conséquent, j'ai
l'impression que les personnes venues groupées ont plus de chance
d'être des viagogo. Alors que les personnes seules connaissent
les lieux, les normes et savent se repérer par habitude. Elles n'ont pas
« peur » de venir seules.
Les abonnés (des personnes que je reconnais)
arrivent peu à peu. Ils sont plus mobiles dans les gradins. Comme
certains retrouvent des personnes arrivées en avance, ces
abonnées « dérangent » les personnes autour : ces
dernières doivent se lever et laisser passer les nouveaux arrivants. A
quelques minutes du coup d'envoi, de nombreuses personnes entrent dans la
tribune et se regroupent en bas. Ils sont plus nombreux que le nombre de places
prévues, cette zone est très dense. Comme je suis arrivé
en avance, j'ai pu me positionner avec eux.
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Ainsi, j'ai pu observer plusieurs regroupements au bas de la
tribune (voir document 3 en annexe). Ce sont des supporters organisés
autour de deux ou trois leaders qui veulent créer une ambiance de
fête et manifester un soutien sans faille aux joueurs. En s'inspirant du
modèle ultra, ils écoutent les directives des leaders
dans l'objectif de former un groupe puissant et performant. De plus, leur
regroupement dense leur permet d'être solidaires et de contourner les
interdictions. En effet, lors de l'opposition contre Monaco, j'ai vu plusieurs
personnes boire dans des bouteilles en plastique (je présume qu'il
s'agissait d'alcool) et fumer discrètement des cigarettes et de la
marijuana. Cette observation me fut confirmée par Baptiste :
- Mathieu : « Oui t'as raison. C'est mis en place avec
l'accord de la mairie de Paris C'est respecté ça ? Le coté
non-fumeur ? »
- Baptiste : « Non ! Non j'ai vu des gens fumer. Y'en a
même qui fumait leur joints. »
- Kerim : « Un joint à Boulogne ? Rémi il y
va souvent et il me dit que c'est super chaud. »
- Baptiste : « Ceux que j'ai vu fumer, ils étaient au
milieu de gens tous regroupés. »
(Entretien croisé avec Baptiste et Kerim
réalisé à mon domicile le 22 mai 2015)
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La densification du public dans cette zone et la connaissance
du règlement leur permet de se cacher des caméras et des agents
de sécurité. Ainsi, ces regroupements sont des formes
d'adaptation et de résistance par rapport à la politique du club
et des placements aléatoires.
De plus, ces regroupements sont plus importants en fin de
saison qu'en début de saison. Ceci s'explique par les modes de
socialisation qui sont propres aux abonnés. Au fur et à mesure
que le temps passe, les habitudes sociales et spatiales permettent à de
nombreuses personnes de faire connaissance et de se retrouver dans la tribune.
Ainsi, par expérience et grâce à mes observations, j'ai pu
constater que des regroupements sont de plus en plus marqués au cours de
la saison malgré le système d'abonnement aléatoire. Autour
des leaders au bas de la tribune, les rassemblements se densifient grâce
aux interconnaissances qui se créent dans l'année (voir document
3 en annexe).
Par conséquent, et comme le montre la photographie
ci-dessous (fig 11), le virage Auteuil se trouve scindé en deux.
![](Les-dispositifs-d-encadrement-du-public-du-parc-des-Princes-et-leurs-effets13.png)
Fig 11 - Photographie illustrant une scission spatiale au sein
de la tribune Auteuil (Source : M.Kerrien - Photographie prise le 16 aout
2015)
Le bas de la tribune est dense, animé, collectif et
solidaire. Les personnes sont debout et suivent les directives du leader. En
revanche, au-dessus de l'allée centrale qui permet de se déplacer
horizontalement (où on trouve les dernières personnes debout),
les regroupements ne sont pas organisés et sont plus
éparpillés. Dans cette zone, on rencontre souvent des personnes
assises. Lorsque la tribune n'est pas pleine, c'est dans ce secteur de la
tribune qu'on voit des places vides. La plupart du temps, la scission est faite
au milieu de la tribune par une allée horizontale (voir figure 3 en
Annexe).
Par conséquent, ces regroupements sociaux et spatiaux
mettent en évidence différentes formes d'appropriation des
règles de sécurité et des normes de comportements
véhiculées par le club. Ces appropriations sont le signe d'une
forme de détournement des règles et de résistance face
à la direction du PSG. Ainsi, ces deux parties du stade distinctes
abritent des logiques d'occupation spatiales plurielles auxquelles ont peut
associer des représentations différenciées.
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