2. Normalisation à l'intérieur du stade : un
public de supporters subalternes ?
Si cette normalisation des comportements est constatée
à l'extérieur du Parc des Princes, elle l'est également
à l'intérieur du stade. Une très grande majorité du
public semble en effet écouter et suivre les directives du PSG. Mes
nombreuses observations combinées aux conversations effectuées
avec Madame Leprince, Baptiste et Kerim, ont fait ressortir un public
plutôt enclin à suivre les propositions de la direction. Cet
état de fait est caractérisé par un encadrement collectif
sans communication directe avec les supporters. Au contraire, puisque les
antécédents des supporters du PSG semblent faire peur aux
dirigeants club, ces derniers communiquent par médias interposés.
A la différence des clubs allemands143, il n'y a aucun
médiateur en place144. L'absence de dialogue associée
à l'encadrement sécuritaire renforcé à
l'intérieur d'un stade ont pour conséquence le contrôle
total de l'image et de l'ambiance qui règne à l'intérieur
du stade par l'institution. La faible marge de manoeuvre accordée au
public du PSG est justifiée par une volonté de réduire les
débordements
143 Hourcade N., « Tolérance zéro dans les
stades ? », Le sociographe, 2012/2 (n°38), pages 59 - 69.
144 Ces médiateurs sont réunis dans un service
de coordination appelé Fan Projekte. Ce sont des organisations
sociales, présentes dans une cinquantaine de ville en Allemagne,
chargées de faire le lien au quotidien entre des supporters, la
direction d'un club, les autorités municipales et
sécuritaires.
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passionnels et est légitimée par un désir
d'apaisement général de l'intérieur et de
l'extérieur du Parc des Princes.
Ce succès sécuritaire s'exprime par le respect
des normes sécuritaires par le public et des « bonnes pratiques du
supporter » que les instances du PSG souhaitent imposer. Grâce
à mon abonnement, j'ai pu par exemple me rendre compte qu'à
presque chaque rencontre, des drapeaux étaient déposés sur
les sièges des tribunes latérales. Ainsi, les personnes
situées en tribunes latérales ont pris l'habitude d'agiter ces
drapeaux à l'entrée des joueurs et lorsque le PSG marque des
buts. Cette action est confirmée par les propos de Madame Leprince :
- Mathieu : « Vous avez souvent des cadeaux comme ça
? »
- Madame Leprince : « Non, on a les drapeaux c'est tout.
Les drapeaux, c'est régulièrement. »
- Mathieu : « Tu les gardes ? »
- Madame Leprince : « Non. Ma soeur les ramène car
elle connait pleins de gamins qui sont ravis d'avoir des drapeaux.
Tu vois, j'en ai un là qui est bloqué (elle me
montre un drapeau - rire). C'est un vieux qui est là. Sinon je les agite
dans la tribune. »
(Entretien réalisé le 29 avril 2015 au domicile de
Madame Leprince)
La photographie ci-dessous (fig. 8) montre ainsi la bonne
volonté du public qui agite les drapeaux distribués par le club.
On voit ici que la majorité du public en tribune latérale
n'hésite pas à « jouer le jeu » et à suivre les
« bonnes pratiques » incitées par la direction du PSG. Le
comportement du public parisien participe donc à la production de
l'ambiance festive à l'intérieur du Parc des Princes et ce en
acceptant d'être encadré. Le public apparaît ainsi comme
l'un des principaux acteurs de l'ambiance que souhaitent créer et
orchestrer les instances du club.
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Fig 8 - Une majorité de personnes en tribune
latérale « joue le jeu » et agite les drapeaux (Source :
google
image)
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De plus, afin de contrôler encore plus
complètement les comportements du public parisien, la direction du PSG a
mis en place l'interdiction de fumer dans les gradins. Dorénavant, pour
pouvoir fumer une cigarette, il faut sortir des tribunes et se rendre dans les
travées destinées à la déambulation où on ne
peut pas voir le terrain. Aujourd'hui, il est très rare de voir des
personnes fumer. D'ailleurs, à plusieurs reprises cette année,
j'ai vu des personnes sortir à la demande d'un agent de
sécurité car elles étaient en train de fumer dans les
tribunes. Cette expérience observée à plusieurs reprises
est confirmée par Madame Leprince :
« Oui... En tout cas moi je sais que chez nous, s'il y en
a un qui allume une cigarette, ça dure 10secondes... Tout de suite le
mec il regarde et il éteint la cigarette. Ça se passe super vite.
On lui demande de sortir pour fumer sa cigarette. Généralement je
les vois revenir, mais je pense qu'ils se font passer un savon. Ce qui est
normal... Moi j'adore l'histoire de la cigarette... ».
(Entretien réalisé le 29 avril 2015 au domicile de
Madame Leprince)
Cette interdiction, motif de satisfaction pour cette
supportrice est, au contraire, la cause d'un regret exprimé par Kerim le
22 mai 2015 lors de l'entretien croisé : « Ça aurait
été cool de boire sa bière et fumer sa clope pendant le
match ». Ainsi, globalement, le règlement intérieur est
connu et respecté par le public parisien.
Cette attention de la part du public au respect du
règlement est somme tout légitime lorsque les ordres de la
direction du PSG sont raisonnables. En revanche, il arrive que le club agisse
de manière autoritaire sans motif légitime, voire sans fondement
légal. En effet, le 4 mars 2015, lors du match entre le PSG et l'AS
Monaco, un supporter de la tribune Boulogne a lancé un chant
contestataire repris par beaucoup de monde autour de lui : « Abonnements
trop chers, supporteurs en colère ! »145. Cette plainte
est venue en réponse à la hausse du prix des abonnements
intervenue les jours précédents. Pour avoir dénoncé
une sélection par l'argent, son abonnement fut résilié.
Cette affaire, reprise par de nombreux médias sportifs et
généralistes comme l'Express146 pour atteinte
à la liberté d'expression, fut connue de tous. Aussi bien Madame
Leprince que Monsieur André connaissent cette histoire et l'ont
mentionné lorsque j'ai abordé le sujet. En voici un premier
extrait :
145 Guillou C., Dupré R., « Un supporteur exclu
pour avoir contesté le prix des abonnements », Le Monde, 7
mars.
URL:
http://www.lemonde.fr/football/article/2015/03/05/psg-un-supporteur-expulse-du-parc-des-princes-pour-avoir-conteste-le-prix-des-abonnements_4588088_1616938.html
146 « Un supporter viré du Parc des Princes
après avoir critiqué le prix des abonnements »,
L'Express, 5 mars 2015.
URL:
http://www.lexpress.fr/actualite/sport/football/un-supporter-vire-du-parc-des-princes-apres-avoir-critique-le-prix-des-abonnnements_1658352.html
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Madame Leprince : « Ah oui, ah oui ! Par rapport à
ça, oui oui je comprends. Comme je n'ai pas été d'accord
qu'ils virent un mec des tribunes parce qu'il a lancé le chant.
Là, je suis pas d'accord du tout. C'est d'ailleurs ça qui a
dégouté mon fils hein. Parce que je pense qu'ils n'étaient
pas loin de là où ça s'est produit. Et il ne l'a pas
accepté. Il a vu les images du gars qui se fait sortir de la tribune.
Donc je pense qu'il n'était pas d'accord du tout sur ce qu'il se passe.
C'est pas correct là-dessus. Je ne peux pas admettre que les gens
n'aient pas le droit de manifester une hausse de tarif. Et puis tout comme....
»
(Entretien réalisé le 29 avril 2015 au domicile de
Madame Leprince) En voici un second :
- Mathieu : « Par exemple, le fait qu'un supporter ait vu
son abonnement supprimé parce qu'il a critiqué l'augmentation des
prix... Vous avez suivi cette histoire ? »
- Monsieur André : « De loin »
- Mathieu : « Vous n'en parlez pas avec vos
collègues ?
- Monsieur André : « Non parce que c'est
même plus des questions de sécurité. C'est la politique du
club. C'est son droit ou sn choix, je ne saurais pas dire. Mais c'est une
politique commerciale qui ne nous concerne plus en tant que prestataire. Ca ne
nous regarde pas et on n'en parle pas entre nous... Ou alors, on l'apprend plus
des médias... En réunion, on ne dit pas `untel, untel, untel, on
a supprimé son abonnement' ».
(Entretien réalisé le 7 mai 2015 au siège
social de l'entreprise ACA Sécurité dont Monsieur
André est salarié)
Lors du premier match qui a suivi cette affaire, soit la
rencontre entre le PSG et le FC Lorient le 20 mars 2015, une personne
située à quelques rangs du mien, a de nouveau essayé un
chant contre l'augmentation des prix. Cette fois-ci, elle ne fut pas suivie par
le reste de la tribune. Pis, elle fut sortie de la tribune par un agent de
sécurité. L'ensemble de la tribune Auteuil n'a pas soutenu cette
personne. Ainsi, la forte autorité du PSG à travers ses
directives et le recours aux IAS ont inhibé les chants contestataires
des supporters mécontents. Dorénavant, ces derniers se sont
assagis et ont moins tendance à aller à l'encontre de la
politique du club. Ils sont dans une positionnée subordonnée
à l'institution du PSG. Cette perte d'autonomie conduit au
contrôle des sensations et des émotions par les dirigeants du PSG.
En effet, sans la possibilité de s'organiser à l'intérieur
d'association, le public du PSG et la tribune Auteuil en particulier, sont
dépendants de la mise en scène organisée par le club au
point de devoir accepter les abus commis par la direction du PSG.
Toutefois, même si la marge de manoeuvre des supporters
est réduite, elle n'est pas nulle. Des actes de résistances sont
visibles et constituent des résidus du phénomène italien
ultra.
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