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INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
FACULTE DES SCIENCES SOCIALES ET
ECONOMIQUES
Mémoire pour l'obtention du Diplôme
Universitaire Solidarités internationales, action solidaire et
dialogue interculturel
Quelle place pour la psychologie dans une culture
traditionnelle
africaine ?
L'exemple des itinéraires
thérapeutiques en République du Congo
Rédigé et soutenu par Manon Le Flour Sous la
direction de Cécile Dubernet
Année universitaire 2015-2016
Ce document est le résultat d'une démarche
d'analyse propre à son auteur. Il n'engage pas la responsabilité
de la Faculté des Sciences sociales et économiques de l'Institut
Catholique de Paris.
REMERCIEMENTS
Je tiens en premier lieu à remercier les équipes
soignantes des Centres de Santé Intégrés de
La Source, de Mayangui et de Bacongo qui m'ont accueillie tout
au long de cette expérience congolaise et où j'ai beaucoup
appris.
Je tiens également à remercier Philippe
Saint-Macary, dans son rôle de tuteur mais pas que. Les échanges
partagés tout au long de l'année m'ont permis de me remettre en
question, de continuer à avancer et surtout de ne pas lâcher
prise. Il a été d'un grand soutien dans les périodes plus
difficiles.
Enfin, je tiens à remercier mes parents qui me
soutiennent quelque soient mes projets et respectent mon besoin
d'évasion, et plus particulièrement ma Maman, qui a pris le temps
de relire ce mémoire et de me donner son avis.
Sans leur soutien que je reçois depuis toujours, je
n'en serais pas làÉ
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« Follow your dream... »
RESUME
Ce travail de recherche en sciences sociales va tenter de
répondre à la question qu'une jeune psychologue clinicienne s'est
posée en quittant son cocon pour partir à la découverte
d'une culture à l'opposé de la sienne. Elle est emplie de doutes,
de questions et ne sait pas trop comment elle va pouvoir adapter sa pratique
dans cette culture africaine et plus particulièrement au
Congo-Brazzavile, pays d'Afrique centrale.
A travers son expérience, à travers les
rencontres qu'elle fait, et à travers les entretiens menés, elle
va découvrir les trois itinéraires thérapeutiques
existants et leurs implantations au sein de la société au cours
des dernières années. Elle articule alors l'avancement de sa
pensée autour de l'itinéraire thérapeutique le plus commun
des années 1980, pour comprendre au fur et à mesure de cette
recherche l'évolution des parcours empruntés par les malades.
Au fil des parties, nous observons l'évolution que ces
pays connaissent et la sensibilisation menée par les institutions
internationales à propos de la santé mentale, concept de plus en
plus présent au sein des esprits.
Mots clefs : santé mentale,
itinéraire thérapeutique, culture traditionnel africaine
Conclusion p.72
TABLE DES MATIÈRES
Introduction p.2
I. La République du Congo en quelques chiffres
p.7
1. Rappel géographique et historique
p.7
2. Politique actuelle au Congo-Brazzaville
p.8
3. Données démographiques en 2007
p.10
4. Données économiques récentes
p.12
II. Le Congo-Brazzaville : une culture traditionnelle
africaine p.14
1. La culture : une notion phare des sciences
sociales p.14
2. La culture traditionnelle africaine
p.18
3. Le concept de personnalité et
l'identité congolaise p.25
4. Les représentations de la maladie mentale
au Congo p.31
III. La religion au centre de la culture congolaise
p.39
1. L'arrivée des religions dites occidentales
en Afrique et le concept d'inculturation
p.39
2. Les Eglises Evangéliques au Congo et leurs
mouvances p.44
3. La prise en charge des malades mentaux par les
institutions religieuses p.49
IV. La naissance d'un système de santé
mentale au Congo p.54
1. Première réflexion sur la
santé mentale dans les pays du sud p.54
2. Les théories utilisées et leur
adaptabilité p.62
3. Les politiques de santé publique en termes
de santé mentale p.67
SIGLES
ASUdh : Action de Secours d'Urgence et de
développement humain
CHU : Centre Hospitalier Universitaire
CNLS : Conseil National de Lutte contre le
VIH/Sida
CNR : Conseil National de la
Révolution
EEC : Eglise Evangélique du Congo
FMSM : Fédération Mondiale de
la Santé Mentale
MDM : Médecins du Monde
MSF : Médecins Sans
Frontières
OMS : Organisation Mondiale de la
Santé
ONG : Organisation Non Gouvernementale
PCT : Partie Congolais du Travail
PVVIH : Personne Vivant avec le VIH
RCA : République Centre Africaine
RTA : Religion Traditionnelle Africaine
SMPS : Santé Mentale et Pratiques de
Soins
TCC : Thérapie
Cognitivo-Comportementale
VIH : Virus de l'Immunodéficience
Humaine
AVANT PROPOS
Je profite de cet avant-propos pour me présenter
rapidement. Je m'appelle Manon Le Flour et je suis née le 28 novembre
1989 à Evian-les-Bains en Haute-Savoie. J'ai grandi au milieu des
montagnes et soufflé quasiment toutes mes bougies avec l'arrivée
de la première neige de la saison.
Dès ma rentrée au lycée je quitte en
partie le cocon familial pour l'internat. Puis à l'obtention du mon
baccalauréat, je déménage pour démarrer mon cursus
universitaire en psychologie. Après deux années de
faculté, je passe le concours pour intégrer l'Ecole de
Psychologues Praticiens de Lyon afin de bénéficier d'une
formation de qualité. Les années se poursuivent et les stages
également. Je ferai mon premier stage dans le service de ressources
humaines de la mairie de mon village natal et le second dans le service de
l'hôpital de jour pédopsychiatrique de Vienne. Enfin, afin de
valider mon diplôme de psychologue clinicienne, j'effectuerai mon dernier
stage en établissement d'hébergement pour personnes
âgées dépendantes (EHPAD), tout en écrivant mon
mémoire de recherche intitulé « Le tatouage, pansement
symbolique des blessures narcissiques ».
Une fois le diplôme en poche, c'est décidé
je prends une année pour moi et décolle avec un aller simple pour
la Nouvelle-Zélande. Sur le chemin, je ferai mon premier stop en Asie du
sud est, en Malaisie. Malgré les quelques appréhensions de ce
premier voyage « sac à dos », je découvre un monde dont
je ne pourrai plus me passer. Novembre 2013, j'arrive donc à Auckland et
vais parcourir le pays pendant les cinq mois qui suivent. L'hiver arrivant, je
ressens le besoin de me rapprocher des sommets enneigés et m'installe
à Queenstown ou je trouve du travail pour la saison. J'endosse alors le
rôle d'« housekeeping manager », c'est-à-dire
que je supervise et gère le service de chambre d'une des plus grosses
auberges de jeunesse de la ville, pendant six mois. J'aime ma vie en
Nouvelle-Zélande, mais il me manque quelque chose : une stimulation
intellectuelle que je trouvais dans la psychologie. L'hiver passé, il
est temps de reprendre le chemin de la maison. Sur le chemin, je
m'arrêterai en Australie et à nouveau en Asie du sud est pendant
trois mois.
C'est à ce moment là que je commence mes
recherches sur l'humanitaire, réalisant que mes compétences
techniques peuvent être utiles dans les pays du sud où des
personnes vulnérables vivent. Je découvre alors
Intercordia, je suis séduite et je commence à
réfléchir à un projet, à postuler à des
services civiques, à des missions de volontariat de solidarité
internationale. Après plusieurs candidatures, plusieurs
entretiens me voilà en train d'accepter une mission au Congo-Brazzaville
d'une durée de 10 mois. La mission consiste à appuyer un projet
de santé communautaire, et plus particulièrement le volet VIN et
le suivi thérapeutique des patients.
L'été passe et nous voilà le mercredi 09
septembre 2015. Je prends la direction avec mes parents de l'aéroport de
Genève comme première étape. Il est tôt, il fait
encore nuit et nous nous disons au revoir devant les contrôles de
sécurité. J'ai l'habitude de passer ces portiques, mais cette
fois-ci, j'ai une appréhension un peu plus importante. Premier
décollage pour Paris, où je retrouve mon binôme avec qui je
pars et qui est pharmacienne. L'avion en direction de Brazzaville
décolle et il est impossible de faire marche arrière. Ce soir
nous serons à Brazzaville, surnommé la Belle Verte.
Cette année sera riche en découvertes, en
émotions, en surprises, en rencontres, en de nombreuses choses. Ce ne
sera pas toujours facile, il y aura des hauts mais également des bas.
Des difficultés, des déceptions, des frustrations feront
également partie de l'aventure. J'ai eu envie de rentrer à
certains moments, de tout lâcher, mais en même temps ma
curiosité s'éveillait à chaque instant et je me sentais
utile (tout en étant inutile à certains moments).
Cependant, après 10 mois passés à
Brazzaville, je peux dire que je n'ai que rarement quitté un
aéroport avec le coeur aussi gros.
« Autrefois, lorsque les gens traversaient le monde
à pied, à cheval ou en bateau, ils avaient le temps de
s'accoutumer aux changements. Les images de la terre défilaient sous
leurs yeux lentement, le film du monde tournait tout doucement. Comme leur
voyage durait des semaines, des mois, ils se familiarisaient progressivement
à l'environnement, aux paysages nouveaux. Le climat lui aussi changeait
par étapes. Avant d'atteindre la fournaise équatoriale, le
voyageur venu de la froide Europe avait déjà traversé la
douceur de Las Palmas, la canicule d'El-Mahary et l'enfer du Cap Vert.
Que reste-t-il aujourd'hui de cette gradation ? Rien ! L'avion
nous arrache violemment de la neige et du gel pour nous plonger le jour
même dans le gouffre des flammes tropicales. Nous avons à peine le
temps de nous retourner que nos nous retrouvons au coeur d'un brasier humide.
Dès notre arrivée, nous sommes en nage. Si nous quittons l'Europe
en hiver, nous jetons manteaux et pulls : voilà le geste initiatique que
nous, les gens du Nord, exécutons en débarquant en Afrique
»
Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.91
1
1 Kapuoeciñski, R. (1998). Ebène. Aventures
Africaine. Librairie Plon
2
Introduction
Ces premières lignes de l'ouvrage de R.
Kapuoeciñski éveillent en moi beaucoup de sensations, de
pensées, de souvenirs. Elles éveillent en moi mes premiers
moments à Brazzaville. Je quittais, quelques heures auparavant la
fraicheur de la Haute-Savoie pour me retrouver dans cet environnement humide et
presque étouffant. Tous mes sens sont alors en éveil : les
premiers sons des percussions, les premières odeurs qui me rappellent un
ancien voyage sur le continent africain, les scènes de vie qui
m'émerveillent avec toutes ces femmes en boubous de multiples couleurs.
Je suis alors marquée par cette effervescence continue. Cette
effervescence à laquelle, petit à petit, je vais m'habituer.
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Je repense alors à la formation Intercordia, et tout
particulièrement à Gilles Le Cardinal nous disant : « Pour
que notre vie ait du sens, il faut sortir de sa zone de confort ». Pour
comprendre cette phrase il faut revenir aux théories de psychologie du
développement et plus particulièrement aux travaux de Lev
Vytgosky (1978)2 sur la zone proximale de développement,
concept repris par les théories de développement personnel et de
coaching qui ont vu le jour ces dernières années. L'être
humain, au cours de sa vie et de ses expériences, voyage entre plusieurs
zones. Tout d'abord la zone de confort, qui est la zone
où nous passons le plus de temps et dans laquelle nous avons nos
habitudes. Nous pouvons y évoluer sans besoin de l'aide de personne.
C'est la zone où nous nous sentons en sécurité. Puis,
à certains moments, l'individu va sortir de sa zone de confort pour
entrer dans la zone de challenge, pouvant aussi être
appelée zone proximale d'apprentissage. C'est la zone qui va confronter
l'individu à des nouveautés qu'il va être en mesure
d'intégrer afin de développer de nouvelles compétences.
C'est une zone où se retrouvent les défis que l'individu se lance
afin de progresser. Si ces derniers sont trop importants ou hors de
portée, nous entrons dans la zone de panique, où
de nombreuses émotions négatives émergent : peur,
anxiété... C'est cette zone qu'il va falloir apprivoiser en
traversant la zone de challenge.
2 Vytgosky, L. (1978). Interaction between learning and
development, Mind and Society. Cambridge, MA: Harvard University Press,
p.79-91
3
L'aventure Intercordia me semble un bon exemple du
voyage que nous faisons au travers ces différentes zones, de
manière non linéaire, tout au long de notre expérience. En
effet, nous quittons notre zone de confort pour partir à la
découverte d'un nouveau pays. Nous arrivons dans la zone de challenge ou
de nombreux défis sont à relever et frôlons des fois la
zone de panique. Petit à petit, notre zone de confort s'élargit
afin de repousser de nouvelles limites au fur et à mesure que les mois
passent. C'est effectivement une expérience qui va nous permettre de
trouver un sens à nos envies, à nos choix et potentiellement
à notre vie.
Nous quittons donc notre espace familier avec nos
représentations sur le monde, sur ce nouveau pays, sur la mission dans
laquelle on va s'investir. Bien entendu, il y a aussi des questions, des
doutes, des interrogations qui vont se faufiler dans nos bagages pour nous
accompagner tout au long de l'année. Je quittais la France avec mon
bagage de connaissances et de compétences et sur le point de
débuter ma première expérience professionnelle dans mon
domaine et j'avais bel et bien emporté avec moi de nombreuses questions.
Beaucoup de ces dernières concernaient ma pratique de psychologue dans
une culture qui me semblait très différente de la mienne.
J'écrivais d'ailleurs lors de mon premier rapport d'étonnement de
juillet 2015 : « débuter sa pratique professionnelle dans un cadre
culturel complètement différent est d'autant plus
inquiétant ».
Puis au fil des jours et des expériences sur le
terrain, ces questionnements se sont intensifiés et de nouveaux ont vus
le jour. J'ai pris le temps de découvrir cette culture, cet
environnement, ces centres de santés et les personnes qui y
travaillaient. Chaque jour je découvrais un peu plus. Je
découvrais aussi le monde du travail au Congo, et ce n'était pas
sans peine. Mes notions d'exigence, d'efficience, d'efficacité
étaient alors confrontées à la notion du temps africain
connu de tous. Le concept de cadre, important et essentiel dans de nombreuses
théories psychologiques, était lui aussi mis à rude
épreuve.
Toutes ces observations m'ont amenée à me
questionner sur la prise en charge de la santé mentale dans les pays
africain tel que la République du Congo. J'ai alors débuté
des recherches dans la littérature actuelle et me suis rendue compte que
la notion de santé mentale était encore très jeune. En
effet, comme le précise Florian Kastler dans son article
(2011)3, la composante mentale de la santé apparaît
pour la première fois en 1946 dans le Préambule de à la
Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui
définit la santé comme
3 Kastler, F. (2011). « La santé mentale en
Afrique : un défi oublié ou une réponse institutionnelle
inadaptée ? ». Santé internationale : Les enjeux de
santé au Sud. Paris : Presses de Science Po, 169-177
4
« un état de complet bien être physique,
mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou
d'infirmité ».
Cependant, ce n'est seulement qu'au début des
années 2000 que l'OMS définit le concept de santé mentale
comme « un état de bien-être dans lequel chaque personne
réalise son potentiel, fait face aux difficultés normales de la
vie, travaille avec succès de manière productive et peut apporter
sa contribution à la communauté »4.
Nous pouvons alors constater que ce n'est que
dernièrement que la question de la santé mentale en Afrique a
émergé malgré la présence réelle des
maladies mentales dans les pays en voie de développement. Les chiffres
de l'OMS évoquent 450 millions de personnes atteintes d'une pathologie
mentale dans le monde à l'heure actuelle et qu'une personne sur quatre
rencontre un épisode de trouble mental au cours de sa vie. La
Fédération Mondiale de la Santé Mentale
(FMSM)5 va plus loin en affirmant que plus de la
majorité des personnes souffrant d'un trouble mental ne reçoivent
pas les soins dont elles auraient besoin pour se soigner. Les organisations
internationales sonnent le signal d'alarme et commencent tout juste à
prendre en compte l'importance de la prise en charge des troubles mentaux dans
les sociétés et particulièrement dans les pays en voie de
développement. Cela est d'autant plus important que dans la
majorité des cas les troubles mentaux vont amener à l'exclusion
sociale, avec des conséquences importantes sur cette population
déjà vulnérable.
Afin de pousser un peu plus la réflexion lorsque
j'étais sur place, j'ai rencontré des professionnels de la
santé qui ont accepté de répondre aux questions que je me
posais et d'ouvrir le débat. J'ai alors rencontré un psychiatre
travaillant au sein du service psychiatrique du Centre Hospitalier
Universitaire (CHU) de Brazzaville, ainsi que deux psychologues. Le premier,
psychologue formé dans une université française au
début des années 1980 et travaillant actuellement dans le Centre
National de Traitement des Traumatismes Psychiques, part
régulièrement en mission dans le nord du pays pour prendre en
charge les réfugiés de la République Centre Africaine
(RCA). Le second, psychologue, formé à Cuba dans les
années 1980 travaille actuellement à l'OMS en tant que consultant
sur la prise en charge du stress post-traumatique chez les
réfugiés.
4 Organisation Mondiale de la Santé (2001). Rapport
sur la santé dans le monde 2001 - La santé mentale : nouvelle
conception, nouveaux espoirs. Bibliothèque de l'OMS
5 Fédération Mondiale de la Santé Mentale
(2009). La Santé mentale en soins primaire : améliorer le
traitement et promouvoir la santé mentale. Bibliothèque de
la FMSM
5
Ces entretiens m'ont amenée à pousser les
recherches et à me questionner sur le concept d'itinéraires
thérapeutiques, lui aussi déjà étudié dans
la littérature des sciences sociales, et plus particulièrement en
anthropologie. Comme nous le précise Anne Marcellini et ses
collaborateurs dans leur article (2000)6, c'est le
célèbre J.-M. Janzen qui a définit cette notion
d'itinéraire thérapeutique lors de son étude sur la
région du Bas-Zaïre (1995)7. Il définit ce
concept par le parcours qu'empruntent les malades, en prenant en compte les
différents recours aux soins, mais aussi leurs familles, lors de leur
choix thérapeutique afin de parvenir à la guérison,
à la stabilisation ou au décès.
La République du Congo se trouvant dans un entre deux,
où la culture traditionnelle africaine a été
influencée par les cultures occidentales, à travers la
colonisation mais aussi la mondialisation, trois recours thérapeutiques
se trouvent dorénavant en concurrence : le recours traditionnel, le
recours religieux et le recours à la psychiatrie.
La communauté ayant une importance
prépondérante au sein des cultures africaines comme nous pourrons
le voir, le choix du recours thérapeutique est intimement lié
à la dynamique familiale et plus particulièrement aux rapports de
force qui existent entre les différents membres. Au cours des
dernières décennies, les personnels de santé ont pu
observer une modification des itinéraires thérapeutiques avec un
inversement des trois recours, au profit de la médecine occidentale.
Toutes ces lectures, ainsi que les rencontres faites sur mon
terrain de mission, m'ont alors amenée à poser la
problématique suivante :
Quelle place pour la psychologie dans une culture
traditionnelle africaine ? L'exemple des itinéraires
thérapeutique en République du Congo.
Afin de répondre à cette problématique,
j'ai essayé de réfléchir en partant de l'idée des
itinéraires thérapeutiques qui existent au Congo-Brazzaville et
de leurs évolutions dont les professionnels rencontrés m'ont
parlé.
6 Marcellini, A., Turpin, J.-P., Rolland, Y., Ruffié,
S. (2000). « Itinéraires thérapeutiques dans la
société contemporaine ». Corps et culture. [En
ligne], Numéro 5 | 2000, mis en ligne le 24 septembre 2007,
Consulté le 13 juillet 2016. URL :
http://corpsetculture.revues.org/710
7 Janzen, J.-M. (1995). La quête de la thérapie au
Bas-Zaïre. Paris : Karthala
6
Le plan suivra donc l'itinéraire thérapeutique
qui a été reconnu majoritaire au début des années
1980 : l'individu qui rencontre des troubles psychiques va dans un premier
temps se diriger vers un soigneur traditionnel. Puis, si les troubles
persistent, il va consulter auprès d'une personnalité religieuse
dans un second temps. Enfin, en dernier recours, la famille se tournera vers le
service de psychiatrie de l'hôpital général afin de
parvenir à la disparition du symptôme.
Dans cette optique, nous évoquerons dans une
première partie le Congo-Brazzaville en tant que culture traditionnelle
africaine afin de mieux comprendre ce qu'est le recours thérapeutique
traditionnel. Tout d'abord, nous ferons un point sur la République du
Congo en s'appuyant sur les données statistiques actuelles disponibles
afin de se rendre compte des problématiques et de la situation d'un
point de vue historique, démographique, politique et économique.
Puis, nous prendrons le temps de définir le concept de culture dans les
sciences sociales, et plus particulièrement celui de culture
traditionnelle africaine, qui sera alors illustrée par certaines
caractéristiques de la culture existante en République du
Congo.
Dans une seconde partie, nous aborderons la question de la
religion, et de son importance au sein de la culture congolaise. Pour cela,
dans un premier temps, nous reviendrons sur les différents courants qui
se trouvent au sein du pays, pour ensuite apprécier l'importance de la
religion dans la vie quotidienne des congolais. Enfin, nous consacrerons une
sous-partie à la puissance des institutions religieuses, et plus
particulièrement à l'Eglise Evangélique du Congo qui a
été l'organisme qui m'a accueillie au cours de ma mission.
Enfin, dans une dernière partie, nous évoquerons
la naissance du système de santé prenant en charge les troubles
mentaux en République du Congo, et plus précisément
à Brazzaville. Afin de comprendre les enjeux de cette
problématique actuelle, nous aborderons dans une première
sous-partie les premières réflexions sur la santé mentale
et sa gestion dans les pays du sud. Puis, nous évoquerons la
difficulté rencontrée par de nombreux pays en voie de
développement qui se traduit par la crise des ressources humaines dans
le domaine de la santé. Dans une troisième sous-partie, nous
reviendrons sur les théories psychologiques interculturelles, ainsi que
les plus utilisées par les professionnels de la santé sur le
terrain. Enfin, afin de clore notre travail de réflexion, nous ferons
l'état des lieux des politiques de santé publique existantes au
Congo-Brazzaville. Nous évaluerons les perspectives d'évolutions
envisagées par le gouvernement actuel.
I. 7
La République du Congo en quelques chiffres
1. Rappel géographique et historique
La République du Congo, plus communément
appelée Congo-Brazzaville, est située en Afrique Centrale. Le
territoire du Congo trouve sa particularité par la présence de la
forêt tropicale humide, second massif forestier tropical, couvrant alors
une majeure partie du territoire et participant à la dynamique du pays.
Cette forêt tropicale est majoritairement drainée par le fleuve
Congo qui joue un rôle important dans la vie économique du pays,
et sert aussi de frontière naturelle avec la République
Démocratique du Congo et de l'Angola.
La découverte de ce pays date du
XVème siècle lors de l'exploration du fleuve Congo et
les premiers contacts seront principalement commerciaux. C'est en 1879, lorsque
Pierre Savorgnan de Brazza pénètre sur le sol congolais, qu'un
traité de souveraineté est signé avec le Roi Makoko. Au
cours de l'exploration du pays, plusieurs traités de ce type seront
alors signés avec les différentes tribus. Le Congo devient alors
un des quatre Etats de l'Afrique équatoriale française en 1885.
Puis, quelques années plus tard, en 1891, la colonie du Congo
français est créée officiellement.
C'est à la suite de la Première Guerre Mondiale
que les premiers mouvements de protestation apparaissent menés par
André Matsoua. Cependant, ce n'est qu'à la fin de la Seconde
Guerre Mondiale que le mouvement vers l'indépendance reprend,
symbolisé par l'élection du premier député
congolais à l'assemblée constituante de Paris en 1945.
Le chemin vers l'indépendance sera long et difficile.
Il débute à la suite de la Première Guerre Mondiale,
pendant laquelle les Congolais se sont battus aux cotés de
l'armée française, par la création d'une amicale par
André Matsoua en 1926 qui devient rapidement un mouvement de
protestation. C'est seulement à la fin de la Seconde Guerre Mondiale que
le mouvement vers l'indépendance reprend avec l'élection du
premier député congolais à l'assemblée constituante
de Paris en 1945. Le Congo devient alors une république autonome en 1958
et, au cours des troubles de 1959 à Brazzaville, Fulbert Youlou est
élu président de la République. Le Congo accède
à l'indépendance le 15 Août 1960.
La présidence sera reprise en 1963 par Alphonse
Massamba-Débat qui se prononce en faveur du socialisme et qui se
rapproche de la Chine. Cinq années après, l'arrestation du
capitaine Marien Ngouabi pour ses convictions socialistes, va faire vibrer
certains éléments de l'armée qui vont alors organiser un
putsch. A la création du Conseil National de la Révolution
8
(CNR) par le capitaine Marien Ngouabi, le président
Alphonse Massamba-Débat se doit de déposer sa démission en
septembre 1968. A la fin de l'année, le CNR se proclamera à la
tête du pays et de ce fait Marien Ngouabi devient le chef de l'Etat
congolais. Cette période sera caractérisée par la seconde
République du Congo de type populaire pendant laquelle le
président assiéra le socialisme. Cependant, le régime est
instable et est confronté à plusieurs tentatives de coup d'Etat.
Marien Ngouabi sera alors assassiné en 1977 et Joachim Yhombi-Opango lui
succédera, jusqu'à l'arrivée du président
actuel.
C'est donc le 05 février 1979 que Denis Sassou N'Guesso
s'empare du pouvoir par les armes. L'atmosphère politique va de nouveau
être troublée à la fin du premier mandat de Denis Sassou
N'Guesso. Pendant plusieurs années, le président ne sera pas
destitué mais perdra une grande partie de ses privilèges. En
1992, lors des élections présidentielles, Denis Sassou N'Guesso
sera vaincu par Pascal Lissouba avec qui il crée un partenariat. A
partir de 1995, il commencera à préparer un coup d'Etat qu'il
mettra alors à exécution en 1997, année où il
reprendra le pouvoir par les armes.
La République du Congo va alors connaître de
sombres années où la guerre civile va faire des ravages.
L'apogée de cette crise se situera à la fin de l'année
1998 ou l'armée procèdera à une opération lourde au
sein des quartiers du sud. Ce n'est qu'une année plus tard que le
pouvoir reprendra en partie le contrôle du territoire. Mais la guerre
civile a laissé des traces indélébiles, avec une
opposition Nord-Sud, qui va diviser le pays en créant un sentiment
d'insécurité.
2. Politique actuelle au Congo-Brazzaville
Après son retour par les armes, au cours de la seconde
guerre civile de 1997, Denis Sassou N'Guesso a adopté une nouvelle
Constitution en 2002 garantissant le nombre de mandats présidentiels
à deux et un âge maximal de 70 ans pour le président lors
de son élection. L'adoption de cette Constitution a amené un
régime présidentiel renforcé dont le Président de
la République est le centre puisqu'il a la main mise sur toutes les
institutions gouvernementales. Tous les membres du gouvernement sont alors
nommés par le président lui même et l'absence de tout
contrepoids institutionnel déjoue l'émergence de toute
opposition, comme nous le rappel l'article de Félix Banjounda
(2001)8. Cet article pose alors la question
8 Bankounda, F. (2001). « Congo-Brazzaville. Une
septième Constitution pour quoi faire ? ». Politique africaine
2001/1 (n° 81), p.163-170
9
de la légitimité des textes institutionnels dans
les sociétés africaines, qui sont le ticket gagnant pour entrer
sur la scène internationale. Ces derniers ne sont donc pas
adoptés par les pays africains parce qu'ils sont nécessaires au
bon fonctionnement politique, mais parce qu'ils permettent d'entretenir les
relations internationales. Ceci pourrait expliquer pourquoi le président
actuel se détache aussi facilement de tous textes et est responsable du
« plus vaste cimetière institutionnel de l'ensemble des pays
d'Afrique » comme le précise l'article (pp.163).
A l'heure de la fin de son deuxième mandat, Denis
Sassou N'Guesso n'a pas d'autre solution que de faire adopter une nouvelle
Constitution afin de pouvoir se représenter aux élections de
2016. Suite au référendum d'octobre 2015, certains partis de
l'opposition se sont mobilisés et ont tenté de se faire entendre.
C'est le cas du Front Républicain pour le Respect de l'Ordre
Constitutionnel et l'Alternance Démocratique (Frocad) et de l'Initiative
Démocratique au Congo (IDC) qui dénoncent alors un coup
d'état constitutionnel de la part du gouvernement. Les élections,
alors prévu pour l'été 2016, seront avancées au
premier trimestre de l'année et la date du premier tour sera
fixée au 20 mars 2016. Ces élections se passeront dans une
atmosphère de tension où les télécommunications
seront coupées entre le jour du scrutin et l'annonce des
résultats. C'est durant la nuit du 24 mars que le président
annoncera lors d'une conférence audiovisuelle sa
réélection à la tête du gouvernement avec 60,39% des
voix. Dès le petit matin, l'opposition contestera les résultats
en évoquant une fraude massive de la part de Denis Sassou N'Guesso.
L'opposition fera appel au Conseil Constitutionnel qui validera les
résultats obtenus par le président sortant et validera
officiellement la réélection de ce dernier.
A l'heure d'aujourd'hui, le Congo-Brazzaville se trouve encore
dans une situation potentiellement instable, où des affrontements
peuvent survenir entre l'armée du président et certaines
milices.
10
11
3. Données démographiques en 2007
Il est intéressant de noter que le dernier recensement
fiable date de 2007 avec la dernière opération nationale de
recensement général de la population et de l'habitat/habitation
(RGPH). En 2007, comme le montre le tableau ci-dessous, le Congo-Brazzaville
était donc peuplé de 3 697 490 habitants, avec une
disparité dans la répartition de cette dernière se
regroupant alors principalement aux alentours du chemin de fer reliant
Brazzaville à Pointe-Noire. Le taux d'urbanisation, selon le site
américain The World Factbook9, est alors estimé
à 65,40% en 2015.

Tableau 1 : Indicateurs démographiques de
base de la République du Congo
Nous pouvons aussi constater que, en 2007, le nombre moyen
d'enfants par femme était de 4,9, le taux de mortalité infantile
s'élevait à 76,4ä et l'espérance de vie était
de 51,6 ans. The World Factbook propose des chiffres plus récents,
estimés en juillet 2015, montrant alors une amélioration au cours
des dernières années. En effet, nous pouvons constater que le
taux de mortalité infantile a diminué de 18,5 points de
pourcentage (57,9ä) et que l'espérance de vie a augmenté et
est dorénavant de 58,79 ans.
La population congolaise peut être
considérée comme jeune puisque l'âge médian est de
19,8 ans et que la majorité de la population à moins de 25 ans.
Comme le précise l'EDSC-II10, « la pyramide du Congo qui
présente une base élargie qui se rétrécit
rapidement au fur et à mesure que l'on avance vers les âges
élevés est significative des populations à
fécondité et à mortalité élevée
» (pp.24).
9 The World Factbook (2013-14). Washington, DC: Central
Intelligence Agency, 2013.
10 Centre National de la Statistique et des Études
Économiques (CNSEE) [Congo] et ICF International (2013).
Enquête Démographique et de Santé du Congo (EDSC-II)
2011-2012. Calverton, Maryland, USA : CNSEE et ICF International.

Graphique 1 : Pyramide des âges de la
population congolaise
Le taux de fréquentation scolaire est l'indicateur nous
permettant d'évaluer le niveau d'accès de la population au
système éducatif. Le graphique ci-dessous, issu de l'EDSC-II,
nous permet de constater un taux de fréquentation scolaire important au
Congo, tournant autour des 90% de la population à partir de l'âge
de 6 ans et ce jusqu'à 12 ans. C'est donc à l'entrée dans
le cycle secondaire que le taux de fréquentation scolaire commence
à chuter, avec une différence entre les filles et les
garçons qui s'agrandit au fur et à mesure des années.

Graphique 2 : Taux de fréquentation scolaire
par âge au Congo
12
Le taux d'alphabétisation - population
âgée de plus de 15 ans pouvant lire et écrire -
s'élève alors à 79,3% de la population selon The World
Factbook. Une fois de plus, les garçons semblent alors être plus
avantagés que les femmes, puisque 86,4% d'entre eux sont en mesure de
lire et d'écrire, contre 72,9% des femmes. Ceci peut alors être
expliqué par la diminution de la fréquentation scolaire chez les
filles à partir de l'âge de 12 ans, comme nous l'avons vu
précédemment.
4. Données économiques récentes
Le Produit Intérieur Brut (PIB), indicateur majeur pour
rendre compte de la richesse d'un pays, a été estimé en
2011 par le CNSEE à 7053,2 milliards de FCFA courants. Comme le
précise le rapport de la Banque Mondiale de 201211, le Congo
se situe alors dans la classe des pays à revenu intermédiaire,
grâce aux revenus pétroliers conséquents et à une
faible population de seulement 4 millions d'habitants.
Le graphique ci-dessous nous permet de constater une
évolution majeure du PIB depuis les années 1980, principalement
appuyée par le développement dans le secteur pétrolier. En
effet, l'économie congolaise est principalement basée sur le
pétrole puisque ce domaine représente actuellement 70% du PIB,
alors qu'il ne représentait seulement 56% en 1980 comme le
précise le rapport du Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD) sur la vulnérabilité de
l'économie congolaise12.
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Graphique 3 : Evolution du PIB à prix courant
(1980-2011)
(En milliards de FCFA)
11 World Bank (2012). Congo, Republic of - Country
partnership strategy for the period FY13-FY16. Washington, DC: World
Bank
12 Programme des Nations Unies pour le Développement
(juin 2012). Etude sur la vulnérabilité de l'économie
congolaise et ses perspectives de diversification. Brazzaville,
République du Congo
13
Depuis plusieurs années, nous pouvons observer un
amenuisement progressif des différents secteurs économiques,
à l'exception du secteur pétrolier et du secteur marchand, qui
« conduit à l'amenuisement de la base productive de la richesse
nationale, avec les conséquences que l'on imagine sur les plans
économique, social et politique » comme le souligne le rapport du
PNUD (pp.25).
L'indice de développement humain est un indicateur
créé par le PNUD afin de pouvoir évaluer le
développement humain dans les pays. Cet indice est calculé
à partir des trois dimensions que nous avons évoquées
précédemment : l'espérance de vie à la naissance,
le niveau d'éducation et le PIB du pays. Sur le site internet du
PNUD13, nous pouvons alors trouver des chiffres nous permettant de
mieux comprendre la dynamique du Congo, dont l'indice de développement
humain qui est de 0,534. Le Congo se trouve alors dans la tranche d'un
développement humain moyen et se place au 142ème rang
mondial.
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Carte 1 : Carte de l'Indice de Développement
humain de 2013 Source - PNUD
13 Programme des Nations Unies pour le Développement
(2013). A propos de la République du Congo. Brazzaville,
République du Congo
II. 14
Le Congo-Brazzaville : une culture traditionnelle
africaine
1. La culture : une notion phare des sciences
sociales
Il est impossible de nier la complexité du mot «
culture » dans la langue française. Il suffit d'ouvrir le
Dictionnaire de la langue française pour se rendre compte des
nombreux sens que nous pouvons attribuer à ce mot. Au premier coup
d'oeil, nous remarquons qu'il faut alors prêter attention aux
différents sens propres mais aussi figurés de ce mot.
Afin de mieux comprendre le sens de ce mot et
l'évolution de ce dernier au cours des derniers siècles et son
apparition dans les sciences sociales, Denys Cuche (2010)14 lui a
consacré un ouvrage. Comme le dit si bien l'auteur, « les mots ont
une histoire et, dans une certaine mesure aussi, les mots font l'histoire. Si
cela est vrai de tous les mots, cela est particulièrement
vérifiable dans le cas du terme « culture » » (2010,
p.9). En effet, tout débute au cours du XIIIème
siècle où le mot « culture » fait son apparition dans
la langue française. Il relève alors d'un sens propre et
correspond aux soins que les individus apportaient aux champs et aux
bétails. Au fil des années, son sens va petit à petit se
modifier. Quelques siècles plus tard, l'idée d'action sera alors
associée au terme culture et il se définira comme « l'action
de cultiver la terre, travail visant à la rendre productive » (Le
Dictionnaire du Français, 1996, p.412)15.
Ce n'est qu'au milieu du XVIème siècle que va
émerger le sens figuré du mot « culture ». La culture
n'est alors plus seulement une action, mais elle définit
également un état. C'est pendant le siècle des
Lumières que le terme « culture » va commencer à
connaître son essor. Il est alors utilisé au singulier et
représente alors l'universalisme et l'humanisme des philosophes qui ont
marqué ce siècle. Il va alors être associé à
la dimension éducative et la culture est alors définie par les
penseurs comme « la somme des savoirs accumulés et transmis par
l'humanité, considérée comme totalité, au cours de
son histoire » (Cuche 2010, p.11).
Cependant, le mot « culture » va avoir moins de
succès qu'en Allemagne et a du mal à s'imposer face au terme
« civilisation » qui rencontre un réel succès en
France. Ces deux mots qui appartiennent au même champs sémantique
sont très souvent associés et pourtant différents. En
effet, comme le précise D. Cuche dans son ouvrage (2010), la «
culture » fait
14 Cuche, D. (2010). La notion de culture dans les sciences
sociales. Paris : La Découverte
15 Moingeon, M. (1996). Le Dictionnaire du Français - 60
000 Mots. Paris : Hachette
15
plus référence aux progrès individuels,
alors que la « civilisation » est plus associée aux
progrès collectifs.
C'est au XIXème siècle que le terme
culture va devenir un concept scientifique avec la naissance de la
sociologique, et plus particulièrement de l'ethnologie, qui se penchent
sur la question de la culture, mais aussi des cultures. Cette dernière
science tente d'expliquer objectivement la diversité humaine à
travers l'unité des hommes. De nombreux auteurs et chercheurs se
confrontent à l'exercice et de nombreux courants théoriques
naissent de ces recherches.
La première approche à voir le jour est
menée par Edward Tylor, anthropologue de formation, qui propose une
conception universaliste de la culture. Il sera alors
le premier à définir le terme de culture dans un de ses ouvrages
:
« Culture ou civilisation, pris dans
son sens ethnologique le plus étendu, est ce que tout complexe qui
comprend la connaissance, les croyances, l'art, la morale, le droit, les
coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l'homme en
tant que membre de la société »
Edward Tylor, 1871, p.116
Cette définition nous permet de voir que E. Tylor prend
en considération tous les aspects de la vie sociale de l'individu
lorsqu'il parle de « culture » et de « civilisation ». Pour
cet auteur la culture est donc acquise par l'individu au cours de son
existence, tout en lui accordant une dimension inconsciente tout de même.
De ce fait, il était en accord avec les théories
évolutionnistes puisqu'il considérait que l'être humain
acquérait au fil des expériences de nouvelles compétences
mais aussi la culture et ses règles et valeurs. Il est
intéressant de noter que E. Tylor croyait à l'aspect
universaliste des êtres humains, ainsi l'homme réagit de
façon plus ou moins identique dans des situations semblables. C'est de
cette manière qu'il expliquait les ressemblances observées dans
des sociétés pourtant très différentes.
Les travaux de E. Tylor vont pousser d'autres anthropologues
à se questionner sur le concept de culture. C'est le cas de Franz Boas
qui est le premier à mener des observations en situation qui le poussent
à proposer une conception particulariste de la
culture. Comme le
16 Tylor, E. (1871). La civilisation primitive. Paris :
Reinwald
16
précise D. Cuche (2010, p.21), F. Boas «
s'aperçut que l'organisation sociale était plus
déterminée par la culture que par l'environnement physique
». A travers son travail il cherche à montrer l'absurdité de
la notion de « race ». Selon lui, il n'y a pas de lien entre les
traits physiques de l'individu et les capacités mentales de chacun. Les
différences que nous pouvons observer entre des populations de diverses
sociétés sont dues à la culture et non pas à des
différences génétiques. C'est pour cette raison que F.
Boas préfère utiliser le terme de « culture » qui
permet de souligner la diversité humaine. Il utilise même le
concept de « culture » au pluriel en évoquant « les
cultures ». F. Boas rejoint Tylor en attribuant une dimension plutôt
acquise que innée à la culture. Ainsi, chaque culture est
singulière et c'est cette dernière qui permet de comprendre les
coutumes particulières de certaines sociétés puisqu'elle
influence les comportements de l'individu dans une société
particulière.
Le concept de culture va continuer à être
étudié par différents chercheurs. C'est Emile Durkheim,
éminent sociologue de la fin du XIXème siècle,
qui va consacrer son travail afin d'étudier le « fait social »
dans toutes ses dimensions, et donc la dimension culturelle. E. Durkheim
propose alors une approche unitaire des faits de
culture. Cependant il est intéressant de noter que dans
ses travaux, E. Durkheim ne fait que rarement référence au
concept de « culture ». En effet, il préfère utiliser
le concept de « civilisation », mais de manière flexible. De
ce fait, il définit la civilisation comme :
« Un ensemble de phénomène sociaux qui ne
sont pas attachés à un organisme social particulier ; ils [ces
phénomènes] s'étendent sur des aires qui dépassent
un territoire national, ou bien ils se développent sur des
périodes de temps qui dépassent l'histoire d'une seule
société ».
Emile Durkheim, 1969, p.68217
Selon Durkheim, l'humanité est un tout et ce sont
toutes les civilisations dans leurs spécificités qui contribuent
à la civilisation humaine dans son entité complète. Il
crée d'ailleurs le concept de « conscience collective » qui
existe dans chaque société et qui permet l'union et la
cohésion d'une société. Cette théorie culturelle
suppose que la conscience collective s'impose à l'individu à
travers les représentations collectives, les idéaux et les
valeurs que partagent les individus vivant dans une société
commune.
17 Durkheim, E. (1913). « Note sur la notion de civilisation
», Journal sociologique, Paris : PUF, p.681-685
17
En parallèle de l'anthropologie culturelle mis en
lumière par les américains, en France, Claude Lévi-Strauss
travaille lui aussi sur le concept de « culture » et propose une
analyse structurale de la culture. Il s'appuie sur
les théories américaines vues précédemment et
définit la culture comme :
« Toute culture peut être considérée
comme un ensemble de système symbolique au premier rang desquels se
placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports
économiques, l'art, la science, la religion. Tous ces systèmes
visent à exprimer certains aspects de la réalité physique
et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces
deux types de réalité entretiennent entre eux et que les
systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les
autres. »
Claude Lévi-Strauss, 1968, p.1718
Son but premier est d'observer et d'analyser
l'invariabilité de la Culture et cherche alors à
répertorier ce qui ne change pas entre les différentes
sociétés. Selon lui, chaque culture spécifique a besoin de
la Culture, qu'il considère alors comme le capital commun de
l'humanité. L'être humain a besoin de vivre en
société mais il est nécessaire que des règles,
explicites et implicites, existent pour assurer le fonctionnement de cette
dernière. L'approche structurale de la culture va alors tenter de
répertorier ce qu'il appelle les « invariants »,
c'est-à-dire ce qui est similaire et commun à chaque culture.
Comme le précise D. Cuche (2010) dans son ouvrage, la prohibition de
l'inceste est l'exemple le plus caractéristique de ces règles
universelles. A travers son travail, C. Lévi-Strauss va alors tenter de
présenter la relation entre l'universalité de « la »
Culture et la particularité « des » cultures.
La multitude de courant scientifique proposant de
définir la culture nous permet de mettre en avant certaines
caractéristiques d'une culture. Tout d'abord, la culture contient des
codes communs qui permettent à l'individu de comprendre son
environnement et de s'adresser à autrui. La seconde
caractéristique est que chacun ne possède pas une culture mais
plusieurs identités culturelles qui s'entremêlent créant
l'identité individuelle. Enfin, la culture est en perpétuel
mouvement face à des influences multiples et variées. De ces
caractéristiques découlent des fonctions précises que la
culture possède. En effet, la culture joue un rôle clef dans la
compréhension de l'environnement par l'individu lui permettant de se
sentir en
18 Lévi-Strauss, C (1968). « Introduction à
l'oeuvre de Marcel Mauss », in Mauss Marcel, Sociologie et
Antrhopologie. Paris : Presses Universitaires de France
18
sécurité et en confiance. De plus, la culture
est le lien qui existe au sein de la communauté qui la partage
puisqu'elle permet aux individus de communiquer les uns avec les autres. De ce
fait, elle est également un facteur d'appartenance et d'insertion
sociale puisqu'elle permet aux membres de la société de se
reconnaître les uns et les autres. Enfin, elle fournit également
la matière qui va permettre à chacun de construit sa
personnalité individuelle.
Les différents courants théoriques
abordés précédemment nous permettent de comprendre un peu
mieux le concept de culture et son évolution au cours des derniers
siècles. De ce fait, nous pouvons dire que l'Homme est avant tout un
être de culture et qu'il a besoin de celle-ci pour se construire. Il va
alors acquérir au cours de son existence les règles fondamentales
afin de pouvoir s'adapter à son milieu.
Lévi-Strauss parle de la Culture universelle en
comparaison avec les cultures existantes. Chaque société globale
se différencie par sa propre culture, mais il existe également
des « sous-cultures » qui se rencontrent au sein d'une même
société.
Beaucoup de travaux ce sont basés sur l'observation des
cultures dites « primitives » par rapport aux cultures occidentales
où sont nés ces différents courants scientifiques. Ayant
effectué mon expérience à l'étranger en Afrique
Subsaharienne, il me semble inévitable d'évoquer la culture
traditionnelle africaine et ses grandes différences par rapport à
nos cultures occidentales.
2. La culture traditionnelle africaine
Comme nous l'avons vu précédemment, c'est au
XIXème siècle que les premiers travaux sur la notion de culture
voient le jour à travers la naissance de la sociologie et de
l'ethnologie. La découverte de ses peuples considérés
comme « primitifs » va être au coeur des recherches. Il est
vrai que lorsque nous quittons notre pays européen pour partir à
la découverte du continent africain, nous ne pouvons qu'être
décontenancé et étonné. Un changement de
décor, de climat, de ce qui met nos sens en éveil... Le lendemain
de mon arrivée, j'écrivais au coeur de mon journal de bord :
« Première journée intense et
chargée en informations. Nous découvrons petit à petit
notre nouvelle ville, grouillante et pleine de vie. Pleins de petites choses
ont marqué ces premiers instants. Tout d'abord les odeurs. Il faut que
je me
19
souvienne de ces odeurs, qui me rappellent le
Sénégal. L'Afrique a des odeurs bien particulières. Quand
nous traversons la ville en taxi, les fenêtres grandes ouvertes, au
passage de certains quartiers les odeurs changent. Une odeur de roussi, de
grillade ou tout simplement de poussière ».
Manon Le Flour, septembre 2015, p.1-2
En quelques secondes nous sommes confrontés à
une toute nouvelle culture, qui peut nous paraître étrange,
incompréhensible mais qui nous fait vibrer. Au premier coup d'oeil il
est évident que la culture africaine semble très riche : une
musique particulière remplie de percussion pour danser, une cuisine
partageant l'identité du pays aux mille épices, des arts
multiples tels que la sculpture, la peinture, la création de bijoux...
Chaque pays, et même chaque quartier, semble avoir ses propres traditions
et sa propre culture.
Très vite, nous nous rendons compte qu'il est
impossible de parler de culture traditionnelle africaine sans parler de
religion. D'ailleurs, comme nous l'a appris Evariste Adjangba (intervenant lors
de la formation Intercordia) la religion, et plus
particulièrement la religion traditionnelle africaine (RTA), est un
élément fondamental et constitutif de la culture africaine.
L'africain est essentiellement déterminé par ses croyances.
La religion se définit comme « l'ensemble des
croyances ou des dogmes et de pratiques culturelles qui constituent les
rapports de l'homme avec la puissance divine (monothéisme) ou les
puissances surnaturelles (polythéisme, panthéisme) » (Le
Dictionnaire du Français, 1996, p.1399). De ce fait, nous pouvons dire
que la religion est donc un élément constitutif de la culture.
Yves Lambert, sociologue français
spécialisé dans l'histoire des religions dont nous a parlé
E. Adjangba, a tenté de définir trois critères au concept
de religion. La première caractéristique est la croyance en une
réalité se situant au delà du réel,
c'est-à-dire en dehors des limites qu'impose la science. Le second
critère est la croyance en la possibilité d'une communication
entre l'individu et la puissance surréelle grâce à des
moyens symboliques (prière, etc.). Enfin, le dernier critère qui
compose la religion est l'existence de rituels collectifs inclus dans un
système de croyances et de pratiques donnant lieu à des formes
communautaires.
La religion, présente dans la majorité des
sociétés, endosse plusieurs fonctions. Tout d'abord, elle permet
de créer du lien social entre les individus qui partagent alors des
valeurs
20
et des croyances communes sur lesquelles ils peuvent partager.
De plus, à travers les anciens écrits, les religions peuvent
fournir une explication du monde et de sa création à leurs
fidèles. Enfin, elle permet aussi de répondre à certaines
inquiétudes essentielles que les individus peuvent ressentir en donnant
des éclaircissements sur ces préoccupations, comme le mal ou
encore la mort par exemple.
Cependant, malgré sa prégnance dans la culture
africaine, ce n'est que lors du colloque sur « Les religions africaines
comme source de valeurs de civilisation »19 qui s'est
déroulé en 1970 à Cotonou que le terme de RTA a
été adopté par la communauté de chercheurs.
Auparavant, c'était le terme d'animisme qui prédominait dans le
langage commun. Le Dictionnaire du Français (1996, p.66) définit
l'animisme comme « une croyance attribuant aux choses une âme, une
conscience ». Comme le précise René Tabard (2010,
p.191)20 dans son article : « les Noirs n'étaient pas
matérialistes parce qu'ils croyaient que tous les êtres,
animés et inanimés, avaient une âme ».
Le terme de RTA est donc né suite à de
nombreuses recherches sur les pratiques religieuses observées en Afrique
subsaharienne et désigne l'ensemble des expressions
répertoriées : animisme, fétichisme, naturalisme... Albert
Mukena Katayi dans son ouvrage défini les RTA comme telles :
« Ensemble des croyances et des pratiques religieuses
traditionnelles par lesquelles les Africains se relient à Dieu et
à la communauté formée par les morts-vivants et les
vivants d'ici-bas. »
Albert Mukena Katayi, 2007, p.3421
Comme le précise Philippe Denis (2007)22
dans son article, les RTA recherchent principalement à assurer
l'harmonie entre les vivants, les morts-vivants mais aussi les ancêtres.
En effet, dans les RTA il n'y a pas de coupure entre le visible et l'invisible,
ni entre le sacré et le profane, tout se confond. Comme nous l'avait
précisé Evariste Adjangba lors de son intervention, dans les RTA
tout est lié, tout est vivant, tout est doté d'une âme et
tout est interdépendant.
19 Aguessy, H. (1970). « A propos du Colloque sur "Les
religions traditionnelles comme source de valeurs de civilisation" ».
Présence Africaine, n°74, p.90-93
20 Tabard, R. (2010). « Religions et cultures
traditionnelles africaines ». Revue des sciences religieuses, 84
(n°2), p.191-205
21 Mukena Katayi, A. (2007). Dialogue avec la religion
traditionnelle africaine. Paris : L'Harmattan
22 Denis, P. (2007). « La montée de la religion
traditionnelle africiane dans l'Afrique du Sud démocratique ».
Histoire et missions chrétiennes, (n°3), p.121-135
21
La grande différence entre les RTA et les religions que
nous connaissons dans nos cultures occidentales est que ces religions ne sont
pas instituées. En effet, comme l'écrit P. Denis (2007, p.122) :
« elle n'a ni clergé, ni lieu de culte, ni doctrine. Son seul objet
est de développer une relation de confiance avec les ancêtres du
clan ou de la tribu pour éviter les malheurs, accidents et maladies qui
risqueraient de se produire s'ils cessaient de protéger leurs
descendants ». Il est aussi intéressant de mettre en lumière
la dimension dynamique des RTA ou rien n'est figé, ou toute
évolution est possible. Les RTA présentent alors une forte
capacité d'adaptation et ne sont pas antonymes avec une évolution
possible.
R. Tabard (2010) appui son article sur les travaux de
Gérard Buakassa (1977)23, anthropologue congolais, pour
évoquer l'influence des RTA dans la vie quotidienne des individus. Il
cite alors G. Buakassa dans son article :
« Aujourd'hui, écrit-il, la religion africaine
n'existe nulle part, mais elle est
partout, dans les consciences, dans les opérations
spirituelles ou empiriques,
dans les représentations, dans les attitudes, dans les
gestes, dans les proverbes
dans les légendes, dans les mythes... Elle est partout,
à la campagne comme en
ville, dans les procès judiciaires comme dans les
conventions politiques ».
R. Tabard, 2010, p.194

Lors du Colloque du Festival mondial des Arts
Négro-africain, G. Buakassa démontre alors l'impact
prépondérant des RTA sur l'existence quotidienne des individus.
Elles influencent les rythmes de vie à travers les nombreux rituels,
mais aussi l'organisation sociale dans son ensemble. La société
peut alors se représenter sous forme d'un triangle, divisé en
quatre catégories. La première, à la base de la pyramide,
représente les individus qui composent la famille menée par le
chef de clan. La seconde catégorie est celle des ancêtres qui
représente les ascendants qui ont déjà quitté le
monde réel et se trouvent dans un entre-deux. Ils continuent à
vivre mais d'une nouvelle manière, dans un autre monde. Ces deux
catégories forment la famille
23 Buakassa, G. (1977). « Impact de la religion africaine
sur l'Afrique d'aujourd'hui : latence et patience », Colloque du
Festival mondial des Arts Négro-africains, Lagos
22
étendue. Les membres de la famille entrent en contact
avec les ancêtres dans deux types de situations comme l'explique P. Denis
dans un de ses articles (2004)24. La première situation est
lors des rites de passage que la famille célèbre au cours de la
vie, tel que les naissances, les mariages, les enterrements par exemple. La
seconde situation est lors des moments de crises, pouvant alors être la
maladie ou les conflits au sein de la famille. De cette manière, les
ancêtres accompagnent les vivants tout au long de leur vie et de leurs
expériences avec pour mission d'assurer la protection de ces
derniers.
La troisième catégorie qui organise la
société est celle des divinités et des esprits. Elle se
trouve entre les humains présents sur terre et la divinité au
sommet de la pyramide. Ces esprits, pouvant également être
appelé génies dans certaines sociétés, sont des
êtres vivants très souvent lié aux phénomènes
de la nature (génie de la rivière, génie du vent,
génie de la forêt, etc.) et ont pour rôle de maintenir
l'ordre du monde. Enfin, la dernière catégorie est celle qui
représente Dieu qui est à la base du fondement du monde et de la
vie. Il est inaccessible. C'est un créateur bon et tout puissant, comme
le qualifie E. Adjangba, et la question de son existence ne se pose même
pas. Le concept d'athéisme, c'est-à-dire la doctrine qui nie
l'existence de Dieu, n'existe pas en Afrique Subsaharienne. Pour un africain,
il est inconcevable de ne pas croire en Dieu.
Le monde des vivants est lui organisé en fonction de
différentes structures sociales qui partagent toutes des valeurs morales
et religieuses similaires. Chaque structure englobe la suivante, allant de la
famille à l'ethnie d'appartenance. Dans le cadre de mon
expérience au Congo-Brazzaville, j'ai pu remarquer la présence et
l'importance de ces structures.
Il y a tout d'abord la famille comprenant les
personnes vivant sous le même toit ou au sein de la même parcelle.
En Afrique, le concept de famille nucléaire, c'est-à-dire un
père, une mère et des enfants, n'existe pas. Ensuite, nous
pouvons évoquer la parenté, c'est-à-dire
tous les membres de la famille éloignés mais également les
alliés, c'est-à-dire les individus de confiance. La
parenté en Afrique est plus sociale que biologique. Puis se trouve le
clan qui regroupe alors un ensemble d'individus partageant des
liens de sang, mais surtout se considérant comme descendants d'un
ancêtre commun. La quatrième structure est celle de la
tribu qui se définit alors comme le groupe social et
politique qui fonde leur solidarité sur une parenté ethnique
réelle ou supposée comme nous l'explique E. Adjangba lors de
son
24 Denis, P. (2004). « Chrétiennes et africaines.
Le dilemme d'un groupe de femmes sud-africaines », Revue
théologique de Louvain, (n°1), p.54-74
23
intervention. Enfin, la dernière structure est
l'ethnie, structure la plus large et englobant les
précédentes, qui se définit alors comme un ensemble
d'individus unis par une certaine culture.
Ces différentes structures partagent donc un socle
commun de valeurs et travaillent dans un but commun : le maintien de l'ordre
social. L'ordre social, en opposition au désordre, est la recherche de
ce qui est conforme aux traditions et aux lois. Ce concept d'ordre social
permet à l'individu de faire la différence entre le bien et le
mal. De ce fait la recherche de l'ordre et donc du bien accroît
l'harmonie sociale et assure l'équilibre qui mène alors au
bien-être social.
Enfin, la culture africaine se différencie
également par son oralité. Qui n'a jamais entendu le vieil adage
?
« En Afrique, lorsqu'un vieillard meurt, c'est une
bibliothèque qui brûle »
Cette citation que nous avons tous déjà entendue
a été prononcée par Amadou Hampâté Bâ,
écrivain et ethnologue malien, qui défendait avec ferveur la
tradition orale très présente sur le continent noir. En effet,
comme le précise A. Sow et ses collaborateurs dans leur ouvrage
(1977)25, l'oralité est l'une des caractéristiques des
cultures africaines traditionnelle, voir même celle qui est essentielle.
En effet, les valeurs culturelles sont transmises depuis de nombreuses
générations par la voie orale permettant alors aux individus de
les acquérir. A. Sow & all. (1977) précisent que la
transmission orale n'est bien entendu pas la seule, mais c'est cette voie de
transmission qui est privilégiée au sein de la
société. De ce fait, ils écrivent que «
l'oralité est l'effet autant que la cause d'un certain mode d'être
social. Elle marque des rapports sociaux spécifiques en
privilégiant certains facteurs de stratification ou de
différenciation sociale tels que la détention de la parole qui
fait autorité, l'initiation à des connaissances constituant une
sorte de savoir minimum garanti qualifiant l'individu » (A. Sow &
all., 1977, p.173-174).
La dimension orale prend alors une place importante dans la
culture africaine. Elle est essentielle pour la transmission des valeurs, des
règles, de la culture comme nous venons de le voir. Dans son ouvrage
relatant ses aventures africaines, R. Kapuoeciñski (1998, p.362)
témoigne de cette oralité à travers l'éducation
donnée aux enfants du village lorsqu'il raconte la vie autour du
manguier du village :
25 Sow, A. & all. (1977). Introduction à la culture
africaine - Aspects généraux. Unesco
24
« Si dans le village il y a un instituteur, l'arbre
tient lieu d'école. Le matin, il entraine sous ses ramures les enfants
du village tout entier. Il n'y a ni classes ni limite d'âge. Qui veut
venir vient. Le maître ou la maîtresse accroche au tronc un
alphabet imprimé sur une feuille de papier. Il montre les lettres avec
une baguette, et les enfants regardent et répètent. Ils doivent
apprendre par coeur, car ils n'ont ni crayon ni papier ».
Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362
Bien heureusement, cet auteur-voyageur raconte les
scènes qu'il a découvertes au début des années 1960
et les choses ont évolué depuis. Des écoles se sont
construites avec des tableaux noirs aux murs et des ardoises dans les casiers,
les cahiers et les stylos sont plus facilement accessibles pour la
majorité de la population. Bien entendu, comme j'ai pu le constater au
cours de mon expérience congolaise, des disparités subsistent et
l'accès à l'éducation est encore un luxe pour certains
enfants.
De ce fait, comme l'écrit Mesmin Tchindjang, Athanase
Bopda et Louise Angéline Ngamgne dans l'article intitulé «
Langues et identités culturelles en Afrique » (2008,
p.48)26 : « L'oralité est une voie de transmission de
l'histoire, de la loi, de la littérature, de génération en
génération dans les sociétés humaines (peuples,
ethnies, etc.) qui ne disposent pas ou ne veulent pas disposer de
système d'écriture ou qui, dans certaines circonstances,
choisissent de ne pas l'utiliser, ou y sont contraintes ».
La République du Congo n'échappe pas à
cette tradition de l'oralité comme nous le précise Charlemagne
Moukouta dans son ouvrage (2005)27. En effet, les congolais,
descendants directs des peuples bantous, utilisent cette communication
essentiellement orale qui inclut l'animisme, le cosmos et le divin. Les langues
bantoues, qu'il serait possible de dénombrer à plus de quatre
cents, se retrouvent essentiellement en Afrique subsaharienne. Cependant, il
est nécessaire de ne pas mettre de côté la communication
non verbale, tout aussi importante chez les bantous. Comme dirait C. Moukouta
(2005, p.37) : « l'animisme rime toujours avec la mimique ». Ainsi,
il est essentiel pour recevoir le message dans sa totalité de prendre en
compte l'environnement de la personne (hiérarchie, valeurs, etc.), mais
aussi la position de l'émetteur (assis ou debout, etc.).
Dans son ouvrage, le manguier symbolise le lieu de
transmission de l'éducation, mais aussi le lieu ou tout se règle.
La communauté étant tout aussi importante que l'oralité au
sein de la
26 Tchindjang, M., Bopda, A., Ngamgne, L.A. (2008). «
Langues et identités culturelles en Afrique. Museum International
(Edition Française). Unesco
27 Moukouta, C.S. (2005). Maladie mentale : itinéraires
thérapeutiques au Congo. Paris : Paari
25
culture traditionnelle africaine, elle a le besoin de se
retrouver régulièrement afin de faire le point sur la situation
actuelle, sur les problèmes rencontrés et de prendre une
décision ensemble. Les individus discutent afin de trouver une solution
qui convient à chacun. R. Kapuoeciñski témoigne avec
beaucoup de simplicité ces scènes de vie que nous pouvons
rencontrer de manière quotidienne lorsque nous nous promenons dans un
pays africain. Elles se font peut-être de nos jours au fond d'une
parcelle ou au détour d'une ruelle, mais elles existent bel et bien :
« C'est l'après-midi que les choses
sérieuses se passent : les adultes se retrouvent sous l'arbre pour tenir
conseil. Le manguier est le seul endroit où ils peuvent se réunir
et discuter, car dans le village il n'y a pas de local suffisamment spacieux.
Les gens se rendent à cette réunion avec ponctualité et de
bon gré. Les Africains ont une nature collectiviste, ils
éprouvent un besoin intense de participer à tout ce qui fait
partie de la vie du groupe. Toutes les décisions sont prises de concert.
C'est en commun que l'on tranche les disputes et les conflits, que l'on
décide qui recevra telle terre à cultiver. La tradition veut que
toute décision soit prise à l'unanimité. »
Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362
Nous avons donc vu que l'Afrique détient une forme
traditionnelle de culture, se caractérisant essentiellement par une
forme de religion traditionnelle mais aussi par une transmission via une voie
orale des valeurs communes.
Nos recherches sur le concept de « culture » dans
les sciences sociales nous ont également amenées à
découvrir l'école « culture et personnalité »
mis en lumière par certains anthropologues et ethnologue. De plus, comme
les concepts de « culture » et d'«identité »
relèvent d'une réalité similaire, certain auteur, comme
Charlemagne Moukouta (2005), ont tenté de définir
l'archéologie de la personnalité congolaise au sein de l'un de
ses ouvrages traitant des maladies mentales.
3. Le concept de personnalité et
l'identité congolaise
Le concept de culture est également au centre des
recherches dans différentes sciences comme l'anthropologie, la
sociologique, ou encore la psychologie. Cependant, les années 1930 vont
marquer un tournant dans l'étude de la culture. Certains anthropologues
vont alors chercher à se défaire de l'étude des cultures
considérée comme abstraite et à se concentrer sur la
manière dont les individus incorporent et vivent leur culture. Ils vont
alors former l'école « culture et personnalité
». Comme le précise D. Cuche dans son ouvrage (2010,
p.38) : « l'hypothèse [de ce courant théorique] étant
précisément que chaque culture détermine un
26
certain style de comportement commun à l'ensemble des
individus participant d'une culture donnée ». De ce fait, la
pensée majeure de ce courant est que ce sont les hommes qui vivent cette
culture qui permette de la définir.
Ruth Benedict va essentiellement centrer son travail sur la
définition des « types culturels »
qui se retrouvent au sein d'un « arc culturel » qui inclus les
différentes possibilités culturelles. De ce fait, la culture est
définie par un certain modèle que Benedict va nommer
pattern. C'est d'ailleurs grâce à son concept de
pattern of culture qu'elle va devenir célèbre. La
culture est alors homogène et cohérente, et non pas seulement une
juxtaposition de traits culturels. Et c'est grâce à cette
direction globale que la culture va pouvoir être définie, et non
pas par la présence ou non de traits culturels.
En parallèle aux recherches de Benedict, Margaret Mead
va essentiellement travailler sur les processus de transmission
culturelle et de socialisation. Pour
cela, elle étudie alors les modèles d'éducations afin de
comprendre de quelle manière la culture s'inscrit chez l'individu,
pouvant alors expliquer la personnalité de ce dernier. Ainsi, comme le
résume D. Cuche dans son ouvrage (2010, p.41), « la
personnalité individuelle ne s'explique pas par des caractères
biologiques (par exemple, ici, le sexe), mais par le « modèle
» culturel particulier à une société donnée
qui détermine l'éducation de l'enfant ». L'enfant,
dès sa naissance va alors être confronté à des
valeurs et des interdits formulés de manière explicite ou non qui
vont l'amener a adopter de manière inconsciente un comportement
considéré comme conforme aux principes fondamentaux de la culture
dans laquelle il évolue.
La psychologie s'est elle aussi penché sur la question
de la culture à travers ce courant théorique. Ralph Linton et
Abram Kardiner ont souhaité se différencier des anthropologues en
étudiant l'individu dans sa singularité. Pour eux, ainsi que pour
ce courant de pensée, l'homme et la culture sont deux entités bel
et bien différentes, tout en étant indissociables puisqu'elles
agissent l'une sur l'autre. R. Linton mettra en avant le concept de «
personnalité de base » qui est directement lié à la
culture dans laquelle l'individu grandit. Selon lui, c'est le type de
personnalité de base prédominant dans une culture qui la
différencie des autres. Ainsi, l'individu au cours de ses
expériences acquiert les valeurs et les fondements de sa culture
à travers l'éducation transmise par les institutions primaires,
soit la famille et l'école. Souhaitant un concept flexible et
adapté, Linton avance que dans une même culture il peut y avoir
plusieurs types de personnalité de base puisqu'il peut également
y avoir plusieurs systèmes de valeurs.
27
Enfin, ces auteurs vont également aborder la question
de l'évolution des cultures. En effet, puisque l'individu qui
intériorise sa culture à sa manière, et qu'il peut
être créateur d'innovation, il peut alors amorcer un changement.
C'est donc « l'accumulation des variations individuelles
(d'intériorisation et de vécu) à partir du thème
commun que constitue la personnalité de base permet [qui] d'expliquer
l'évolution interne d'une culture qui se fait le plus souvent à
un rythme lent » (Cuche, 2010, p.45).
Plusieurs groupes de recherche se sont penchés sur la
définition du concept de « personne » et Gora Mbodj (1988,
p.141)28 nous propose celui de l'université du Mirail
à Toulouse qui définit la personne comme « l'être
conscient de son existence, doué de raison, maître et responsable
de ses actes ». De ce fait, l'individu a conscience d'exister et
d'être différent des autres, mais a aussi besoin d'être en
lien avec son entourage pour être, tout en étant un dans un espace
temps et spatial donné.
Dans son ouvrage, C. Moukouta (2005) tente de définir
l'archéologie de la personnalité congolaise. Il débute ce
chapitre en précisant que « l'une des caractéristique de
l'Afrique en général, du Congo en particulier est sa conception
singulière de la notion de personne. En effet, attribuer à un
individu la qualité de personne sous-entend reconnaître
d'emblée l'existence d'un ordre de symboles, d'une logique de
représentation qui lui assignent une reconnaissance juridique et morale
à travers le rôle et la fonction qui l'occupe dans la
société » (Moukouta, 2005, p.33). Cependant, pour cet
auteur, il existe un écart entre le dualisme cartésien de
Descartes présent dans les sociétés occidentales et le
monisme proposé par Spinoza des sociétés traditionnelles
africaines. En effet, l'articulation entre esprit et matière ne
correspond pas aux organisations sociales observées sur le continent
africain. En Afrique, l'individu ne se différencie par de son
environnement, il est lié à son entourage, à son groupe.
L'âme et le corps sont liés. Ainsi, « au Congo, comme partout
en Afrique, l'être est indivisible voire insécable. C'est dans la
dynamique de ses rapports à la fois avec le monde réel et le
monde invisible que l'existence de l'être prend sens et corps »
(Moukouta, 2005, p.34).
Comme nous l'avons vu précédemment, la
communauté joue un rôle essentiel dans l'organisation de la
société africaine et cela va jusque dans l'achèvement du
Moi de la personne. Nous pouvons dire que l'unité personnelle existe,
mais elle englobe le groupe qui
28 Mbodj, G. (1988). « Modèle(s)
théorique(s) et développement de la personne chez les Wolofs du
Sénégal ». Regards sur la personne. Toulouse :
Presses Universitaires du Mirail
28
entoure l'individu. L'autorité de la tribu, le plus
souvent exercé par l'oncle maternel, est le garant du respect des lois
et de la mémoire collective. Face à lui, il n'y a pas de notions
de volonté et de liberté individuelle dans les
sociétés africaines.
Comme nous l'avons vu précédemment, dans les
cultures traditionnelles africaines, la société privilégie
la transmission orale pour transmettre la culture de la communauté. De
ce fait, nous pouvons dire qu'il existe un lien entre la culture, la langue et
le langage. D. Cuche (2010) consacre dans son ouvrage un encadré sur le
rapport entre ces trois entités. Il est essentiel pour le chercheur
d'étudier la langue puisque c'est un fait culturel à part
entière. Il évoque alors les travaux de l'analyse structurale en
linguistique qui précise le lien complexe entre ces deux concepts. En
effet, le langage est un produit de la culture qui est transmit de
génération en génération, mais il est aussi une
condition de la culture puisque c'est via ce langage que l'individu va
acquérir sa culture. La langue est donc le ciment de la culture, et cela
est d'autant plus vrai en Afrique.
L'Afrique est caractérisée par sa
diversité linguistique avec l'existence de nombreux dialectes. En
République du Congo, en raison du nombre important d'ethnies
différentes, il est d'ailleurs difficile de tous les compter. Cependant,
il est intéressant de noter que peu de pays africain ont conservé
une langue nationale comme langue officielle ou co-officiel comme le
précise M. Tchindjand & all. (2008). C'est le cas du
Congo-Brazzaville puisque la langue officielle est le français. En
effet, la majorité des pays africains ont choisi comme langue principale
celle issue des longues années de colonisation.
Cependant, en République du Congo, nous avons pu
observer que ce sont les dialectes nationaux qui sont principalement
utilisés dans la vie quotidienne. D'ailleurs, il est intéressant
de noter que le lingala et le kituba sont deux dialectes qui
sont considérés comme les langues nationales véhiculaires
dans le pays. Ces deux dialectes sont largement répandus au
Congo-Brazzaville, mais il est possible de noter des différences en
fonction des régions du pays, voir même des quartiers. En effet,
le kituba est essentiellement parlé dans le sud du pays,
à Pointe-Noire par exemple, alors qu'il sera plus rare à
Brazzaville. Dans la capitale, il est plus courant de rencontrer une population
qui parle le lingala, surtout dans les quartiers situés au nord
de la ville. En revanche, la population vivant dans les quartiers sud, comme le
quartier de Bacongo, utilise plus facilement un autre dialecte appelé
lari qui se différencie du lingala dans sa construction et son
vocabulaire.
La langue est importante puisqu'elle est le vecteur essentiel
de la culture et qu'elle permet à l'individu de communiquer avec son
entourage mais aussi parce qu'elle permet de marquer
29
l'appartenance au groupe, à la communauté et
même à l'ethnie. Ce sont les parents qui choisissent la langue
qu'ils vont transmettre à leurs enfants, signifiant alors qu'ils
appartiennent à la communauté dans laquelle ils
évoluent.
Nous avons donc vu que la personnalité de l'individu se
construit au fur et à mesure de ses expériences au sein d'une
communauté, mais aussi que le langage est une des dimensions de
l'identité de l'individu puisqu'il partage un socle commun avec son
groupe lui permettant de partager et de communiquer.
L'identité de la personne est donc formée
à travers de nombreuses dimensions et nous pouvons dire que le
prénom en est une composante essentielle. En Afrique, c'est la
reconnaissance du groupe, à travers les rites d'initiation, qui va
valoriser la naissance biologique de l'individu, comme nous l'apprend C.
Moukouta (2005). De ce fait, l'acte de nommer un individu, qui est alors du
premier stade d'initiation, va permettre à l'individu de prendre toute
son essence. En effet, il existe de nombreuses études cliniques
menées en psychologie cherchant à démontrer le lien de
corrélation entre prénom, identité et personnalité.
Ainsi, comme l'écrivent Nicolas Guéguen & all. (2005,
p.33)29 dans son article, le prénom est un «
élément intrinsèque du soi privé et social, a une
incidence sur les individus et il participe aux interactions sociales et
à l'évaluation d'autrui ». Le choix du prénom
dépend directement de celui des futurs parents qui vont se mettre
d'accord, mais ce dernier semble directement influencé par la culture
dans laquelle les parents évoluent.
Dans son article, N.Guéguen & all. (2005) exposent
plusieurs études qui ont permis de démontrer un lien entre le
prénom que l'individu porte, l'image de soi qui pourrait être
influencé par ce dernier, mais aussi avec la personnalité de la
personne. Les résultats des recherches montrent que le prénom est
donc une composante de la personnalité de l'individu, et donc de son
identité. Le prénom est la représentation du projet
familial mais aussi social comme l'expose Jean-Gabriel Offroy
(2001)30 dans son article. Il fait alors référence
à plusieurs types de prénoms que nous pouvons retrouver dans la
culture congolaise par exemple. Tout d'abord, il évoque « le
prénom sacré », c'est-à-dire un prénom
qui a déjà été porté par un ainé,
vivant ou décédé. Selon l'auteur, par ce processus, les
parents cherchent à
29 Guéguen, N. & all. (2005). « Le
prénom : un élément de l'identité participant
à l'évaluation de soi et d'autrui ». Les Cahiers
Internationaux de Psychologie Sociale, 2005/1 (n°65), p.33-44
30 Offroy, J-G. (2001). « Prénom et
identité sociale. Du projet social et familial au projet parental
». Spirale, 2001/3 (n°19), p.83-99
30
conserver les âmes qui détiennent le potentiel
productif du groupe. Le second type de prénom est celui qu'il a
appelé « le prénom et l'héritage ». Ce
dernier englobe les règles de prénomination qui sont liées
aux stratégies familiales et le prénom joue un rôle
économique. Le troisième type des prénoms est «
le prénom et le projet familial » et correspond au droit
d'ainesse répandu dans de nombreuses cultures. La transmission des
prénoms est essentiellement lié à l'ordre de naisse et au
sexe. Dans ce cadre, le prénom est révélateur du projet
familial détenu par les parents et la famille. Enfin, il y a «
le prénom qui situe dans un ordre social » très
souvent présent dans les cultures traditionnelles, et
particulièrement celle où le mythe est important. Dans ce cas, le
prénom renvoi de nombreuses informations comme le statut social. Il
permet de positionner l'individu à l'intérieur de sa famille,
mais également au sein de la communauté. « Il fixe le
destin, le statut, la « condition », comme on disait autrefois »
(Offroy, 2001, p.88).
Le prénom peut alors jouer sur deux dimensions que J-G.
Offroy (2001) va distinguer dans son article. Sur un niveau collectif, le
prénom, et plus précisément sa répétition,
va mettre en avant la volonté du groupe à se perpétuer. En
revanche, sur un niveau individuel, le prénom est le symbole du
désir parental de se réaliser à travers l'enfant.
Le prénom joue donc un rôle important dans la
construction de l'identité de l'individu et semble pouvoir influencer
l'individu au cours de sa vie. De ce fait, le nom que l'individu donne à
son enfant n'est que rarement le fruit du hasard, et ce particulièrement
en Afrique. Comme l'écrit M. Tchindjand & all. (2008, p.49) : «
si le nom donné à un enfant à sa naissance est lié
aux mutations politiques et sociales dues aux guerres que les régions,
les clans ou les tribus ont connues, il révèle aussi les
espérances et les projets d'avenir en même temps que les craintes,
les appréhensions à conjurer ». Le prénom est alors
un réel indicateur permettant de connaître l'origine ethnique dans
le cas des prénoms traditionnels, ou encore l'appartenance religieuse.
Cela est vrai en République du Congo. En effet, il n'est pas rare de
rencontrer des individus qui ont des prénoms que nous pouvons
considérer comme hors du commun. Il est impossible de compter le nombre
de Dieu-veille, Dieudonné et Dieu-béni
rencontré au cours de l'année.
Le prénom peut également raconter les
circonstances de sa naissance comme témoigne R. Kapuoeciñski
(1998) dans son ouvrage sur ses aventures africaines :
31
« Dans de nombreuses communautés africaines,
les noms que l'on donne aux enfants sont en rapport avec des
événement du jour de leur naissance. [É].
Jadis, dans les régions où le christianisme
et l'islam n'étaient pas encore bien implantés, la richesse des
prénoms donnés aux hommes était infinie. C'est là
que s'exprimait la poésie des adultes. Ils donnaient à leurs
enfants des noms comme « Matin agile » (si l'enfant était
né à l'aube) ou « Ombre d'Acacia » (s'il était
né sous un acacia). Dans les sociétés ignorant
l'écriture, les noms perpétuaient les évènements
les plus importants de l'histoire ancienne ou actuelle. Si un enfant naissait
au moment de la proclamation de l'indépendance du Tanganyika, on le
baptisait « Indépendence » (en swahili Uhuru). Si les parents
étaient des inconditionnels du président Nyerere, ils appelaient
leur enfant Nyerere. »
Ryszard Kapuoeciñski, 1998, p.362
En revanche, de nos jours, les prénoms africains
disparaissent petit à petit pour laisser place à des
prénoms plus courants dans les sociétés occidentales.
Selon M. Tchindjand & all. (2008), l'attribution du nom est actuellement
influencé par trois facteurs : la mobilité des populations, le
déracinement culturel (ou le nouvelle enracinement), ou encore
l'assimilation culturelle. De ce fait, de nos jours, il n'est pas rare de
rencontrer des prénoms de nos stars et héros occidentaux lorsque
nous nous promenons en Afrique. Cependant, il est important de noter que tous
ces prénoms et noms qui disparaissent au profit des prénoms
occidentaux c'est avant tout du patrimoine immatériel qui se perd.
4. Les représentations de la maladie mentale au
Congo
Le concept de représentation sociale est lui aussi un
incontournable des sciences sociales. C'est dans un premier temps E. Durkheim
(1968, p.621)31 qui présente le concept de
représentation collective qu'il définit alors comme la «
manière selon laquelle cet être spécial qui est la
société, pense sa propre expérience ». Ce concept est
par la suite étudié par S. Moscovici, qui selon A. Bergamaschi
(2011)32 a réussi à saisir l'aspect processuel et
social des représentations. Ce sont donc des phénomènes
complexes et actifs, présents au sein de toute vie sociale. Ils
composent la réalité commune à la société
puisqu'ils sont élaborés et partagés par cette
dernière. Comme le précise Amsata Sene (2004)33 dans
sa thèse, les
31 Durkheim, E. (1968). Les formes élémentaires de
la vie religieuse. Paris : Presses Universitaires de France
32 Bergamaschi, A. (2011). « Attitudes et
représentations sociales. Les adolescents français et italiens
face à la diversité », Revue européenne des
sciences sociales, 49-2, p.93-122
33 Sene, A. Les structures anthropologiques de
l'imaginaire en Afrique Noire Traditionnelle ; Ou vers une
archétypologie des concepts de pratiques rituelles et de
représentations sociales. Thèse de doctorat de 3ème
cycle, Université Pierre Mendès-France Grenoble II (France) :
2004
32
représentations sociales forment des systèmes
d'interprétation qui régulent les relations aux mondes et aux
autres en organisant les conduites et les communications sociales. Puisque ces
représentations sont des phénomènes cognitifs, mais avant
tout des productions sociales, elles participent au sentiment d'appartenance
sociale de l'individu au sein de sa société. De ce fait,
D. Jordelet (2003, p.371)34 définit les
représentations sociales comme les « modalités de
pensée pratique orientée vers la communication, la
compréhension et la maîtrise de l'environnement social,
matériel et idéal ».
Lors de l'introduction nous avons déjà
évoqué la définition donnée par l'OMS de la
santé mentale. Mais comme nous venons de le voir, chaque culture est
porteuse de ses propres représentations sociales et a donc sa vision de
certains concepts. C. Moukouta (2005) dans son ouvrage a d'ailleurs
consacré une partie aux maladies et à leurs
représentations dans la culture congolaise. Selon cet auteur, les
représentations collectives de la maladie mentale sont directement
liées aux notions de « bien » et de « mal ». Ces
dernières sont utilisées couramment au Congo et se traduisent
respectivement par « m'boté ou buboté
» et « yimbi ou mbi ». Ces deux mots ont
chacun plusieurs significations qui peuvent à terme renvoyer à la
notion du corps, comme lieu de cristallisation de la souffrance, de la douleur.
C'est le corps qui est la cible des envoutements.
D. Tsokini (2008)35 pointe une différence
essentielle entre les cultures traditionnelle et les cultures occidentales. En
effet, la place accordé aux malades mentaux n'est pas la même dans
ces deux sociétés. Nos sociétés occidentales,
recherchant avant tout la productivité en chacun des individus la
composant, n'accordent que très peu de place aux individus en
difficulté et ne pouvant répondre aux attentes de la
société. Ceci n'est pas le cas au sein des cultures
traditionnelles qui elles se sentent responsables de la prise en charge des
déviants, devant l'accompagner tout au long du passage difficile. Comme
le souligne Tsokini (2008, p.53) en reprenant la pensée d'Henri Collomb,
« dans ces conditions, les chances d'évolution sont
préservées et le fou n'est enfermé ni dans une structure,
ni dans un discours médical, ni dans le regard de l'autre ». La
société est tolérante et les malades mentaux font partie
intégrante de cette dernière. C. Moukoutou (2005, p.70) fait
référence à plusieurs proverbes Kongo représentant
bien ce mode de pensée :
34 Jordelet, D. (2003). « Représentation sociale :
phénomènes, concept et théorie », Serge Moscovici
- Psychologie sociale. Paris : Presses Universitaires Françaises,
« Quadriges », p.357-378
35 Tsokini, D. (2008). Psychologie clinique et santé au
Congo. Paris : L'Harmattan
33
« Kilawuki na nkua mayela salu bena mu kanda »
Le malade mental ainsi que la personne dite saine d'esprit
sont tous utiles pour la communauté
« Fwéti zaba, tiya tu nata lawuki gâ mbongui,
twa kwa ba yétéla » Sache que, le feu apporté par
une malade mental au cénacle, on s'y réchauffe toujours
« Ka kwena zala dia bantu ko »
Il n'existe pas de déchetterie où on pourrait
se débarrasser d'un être humain
Le malade mental est donc intégré à la
société et fait partie de la vie quotidienne comme il le peut.
C'est d'ailleurs le groupe entier qui va être responsable d'un changement
afin de rétablir l'ordre perdu. De ce fait, tout le processus
thérapeutique va inclure le groupe entier comme l'évoque Tsokini
(2008).
Une seconde différence qu'il est important de mettre en
lumière entre les cultures occidentales et les cultures traditionnelles
est la cause de la maladie. En effet, en Afrique, les causes biologiques
n'existent pas. Cela veut dire que si un individu tombe malade c'est à
cause d'une tierce personne qui lui a jeté un mauvais sort. Comme dirait
Tsokini (2008, p.53) dans le cadre des maladies mentales : « le conflit
psychique est le résultat de l'agression de l'individu par un autre
individu ou par un esprit ».
Moukouta (2005, p.64) rejoint cette idée en expliquant
que « fidèle au principe d'autoréférence sociale,
l'homme traditionnel Kongo adopte face au désordre, c'est-à-dire
à la maladie, une démarche particulière qui consiste
à rendre l'homme (l'Autre) responsable de l'inscription du
désordre, en se donnant les moyens imaginaires, symboliques ou concrets
de le produire. Ces moyens sont ce que nous appelons « les forces
productrices » du désordre que sont la sorcellerie,
l'envoûtement, la persécution. Parallèlement, se donner les
moyens de produire le désordre signifie aussi, dans une certaine mesure,
se donner la possibilité symbolique ou imaginaire de réparer,
d'éliminer ces méfaits ». Lors de mon arrivée au
Congo-Brazzaville et un peu perdue face à cette culture, j'ai
rencontré le psychiatre Paul Gandou à l'hôpital
psychiatrique qui m'a de suite expliqué cette différence afin de
m'aider à mieux situer la réalité de chacun. En effet, au
Congo, quand vous tombez malade ce n'est pas à cause de la
température qui se rafraichit par exemple, mais bien parce que quelqu'un
essaye de vous faire du mal et vous a donc lancé un sort.
Cela nous amène à parler du concept de «
sorcellerie » très présent dans les cultures traditionnelles
africaines. Elle est d'ailleurs considérée comme partie
intégrante de la
34
mentalité « primitive » au début du
XXème siècle. La sorcellerie n'est pas seulement une
croyance, mais plutôt un mode de vie. C'est l'anthropologue
français Marc Augé (1974, p.53)36 qui propose une
définition de la sorcellerie comme « un ensemble de croyances
structurées et partagés par une population donnée touchant
à l'origine du malheur, de la maladie ou de la mort, et l'ensemble des
pratiques de détection, de thérapie et de sanction qui
correspondent à ces croyances ». La sorcellerie a donc une
sémiologie plurielle faisant écho aux différentes
représentations et pratiques existantes. De ce fait, la sorcellerie ne
se traduit pas de la même manière en fonction du pays, ni
même au sein des différentes régions de ce même pays
et aussi entre les groupes socioculturels. Dans beaucoup de régions
d'Afrique subsaharienne la sorcellerie est donc un pouvoir qui est
détenu à l'intérieur du corps du sorcier.
Moukouta (2005) reprend les travaux de L-V. Thomas (1977) qui
a différencié le magician (magicien), le
sorcerer (qui se livre à la magie noire) qui est conscient de ses
pouvoirs et le witch (le sorcier a proprement dit) qui lui ne l'est
pas et qui est donc animé par une force incontrôlable. Dans ses
travaux il est possible de distinguer une dichotomie entre le bien et le mal,
l'admis et le puni. Le sorcerer et le witch font partie de la
catégorie de la wyzardy (la sorcellerie latosensu) et
représentent les forces les plus redoutées et redoutables. Le
sorcerer est toujours poussé par une motivation objective,
c'est-à-dire qu'il a le désir de nuire, de se venger ou encore de
supprimer un rival dangereux. Comme le witch n'est pas conscient de
ses pouvoirs, il n'a pas de motivation objective et accomplit donc ses actions
malfaisantes de manière quasi permanente. Evoquer tout cela nous
amène obligatoirement à parler de persécution. Moukouta
(2005) fait alors un lien entre « sorcellerie », «
envoûtement » et « persécution » définissant
tous une pratique sociale dont le but est de faire du mal à autrui, ou
alors dans le sens contraire, de protéger un membre de sa famille contre
d'éventuelles attaques maléfiques. Comme le dit Tsokini (2008,
p.69) dans son ouvrage, « en tant qu'instance persécutive et prise
comme telle, la sorcellerie est de l'ordre du discours se déroulant en
jeu de société. Elle se sert de l'existence sociale pour exprimer
les relations de haine, d'hostilité, de frustration, et pour faire
prendre en charge par le groupe les problèmes individuels ». Dans
de nombreuses sociétés africaines, le sorcier occupe une place
importante au sein de la communauté. Etant donné qu'il est
directement en lien avec le monde de
36 Augé, M. (1974). « Les croyances à la
sorcellerie », La construction du monde. Paris : F. Maspero,
p.52-73
35
l'invisible, et plus particulièrement les génies
et les esprits, il est tout autant craint que respecté par les
individus.
Au Congo, le sorcier est très souvent l'un des membres
de la famille qui occupe une certaine place. En utilisant la sorcellerie il
cherche alors rétablir l'ordre perturbé au sein de la famille. Il
intervient donc quand les normes et les valeurs sont transgressées. Il a
obtenu ses dons suite à une initiation qu'il a reçue à un
moment de sa vie (durant l'enfance ou à l'âge adulte).
Le phénomène d'enfant sorcier n'est pas rare et
a été étudié par plusieurs auteurs, et peut
être à la une des journaux internationaux. P. Yengo
(2008)37 dans son ouvrage évoque l'existence des enfants
sorciers en le caractérisant comme un phénomène existant
depuis plusieurs années dans de nombreuses sociétés
africaines. Le plus souvent les accusations sont tournées vers les
nouveaux nés selon les circonstances de la naissance et les
tératogénies. Cependant, selon A. Cimpric (2010)38, au
jour d'aujourd'hui quand nous évoquons le phénomène des
enfants sorciers, nous parlons principalement de celui lié au contexte
urbain, différent de celui évoqué par Yengo (2008). Selon
cet auteur, il est essentiel de différencier les enfants « mal
nés » du Nigéria et les enfants « sorciers »
très présent en Afrique centrale et plus particulièrement
dans le bassin du Congo. Ce phénomène est en plein essor depuis
une trentaine années et touche principalement les enfants en bas
âges et les jeunes adolescents en difficulté. Selon Yengo (2008),
ce phénomène est intiment lié aux territoires de l'aire
culturelle kongo qui regroupe tous des similitudes : changements politiques
avortés, conflits et guerres civiles et mobilisations miliciennes des
enfants. Ces enfants, principalement des garçons,
considérés comme des sorciers sont victimes de rejets, voir de
maltraitance. Ce sont très souvent des orphelins, des handicapés,
des albinos, ou encore des enfants avec certains comportements particuliers.
Selon les croyances communes, ces enfants ont le pouvoir d'agir de
manière néfaste sur le monde visible via le monde invisible.
La sorcellerie, même si elle est principalement
utilisée pour nuire à autrui, peut aussi être
utilisée à des fins positives. En effet, comme le souligne
Moukouta (2005, p.66), le sorcier « peut remédier à divers
maux et protéger également l'individu contre toutes les attaques
maléfiques. C'est le cas des tradithérapeutes qui, eux, peuvent
démasquer les sorciers et
37 Yengo, P. (2008). « Le monde à l'envers.
Enfance et kindoki ou les ruses de la raison sorcière dans le
bassin du Congo », Cahiers d'Etudes Africaines, XLVIII (1-2),
189-190 : 297-323
38 Cimpric, A. (2010). Les enfants accusés de
sorcellerie. Etude anthropologique des pratiques contemporaines relatives aux
enfants en Afrique. Dakar : UNICEF Bureau d'Afrique de l'ouest et du centre
(BRAOC)
36
affaiblir leurs pouvoirs ». De ce fait, la sorcellerie
semble jouer le rôle de régulateur individuel et social
puisqu'elle permet également de localiser l'origine du mal,
potentiellement l'exorciser ce qui permet à la famille et au groupe
d'être rassuré.
La sorcellerie se retrouve donc entre controverse et
acceptation, ce qui est inhérent à la nature humaine dans les
cultures traditionnelles africaines. « Du totem protecteur à
l'agresseur qui détruit, la sorcellerie fait partie de l'univers
congolais et figure en bonne place dans la cosmogonie africaine »
(Tsokini, 2008, p.68). Les ouvrages de Tsokini (2008) et de Moukouta (2005)
nous permettent de comprendre le phénomène de sorcellerie chez
les Kongo du Congo. Comme le souligne Moukouta (2005, p.69), la sorcellerie
« étant au coeur des représentations de la maladie mentale
communément partagées par la collectivité, elle influe sur
la perception qu'on a du malade mental ».
Comme nous venons de le voir dans l'ouvrage de Moukouta
(2005), au Congo, la maladie mentale est la conséquence d'un
sortilège lancé par un sorcier qui cherche alors à nuire
à la personne pour certaines raisons. La famille cherche alors à
trouver un remède afin de guérir l'individu malade et se tourne
vers les tradithérapeutes. Ces derniers, dans l'imaginaire collectif
Kongo, sont capables de donner des traitements adaptés afin de faire
disparaître le mal, mais aussi de révéler l'agresseur
à la communauté.
Moukouta (2005) fait la différence entre deux types de
traitement proposé par les tradithérapeutes : la
phytothérapie et la spirithérapie. Le choix de la
thérapie, comme beaucoup de décision dans la culture
traditionnelle africaine, se fait en groupe lors du « palabre familial
». Ce lieu est crée afin de régler les conflits et de
permettre à l'agresseur d'avouer sa faute. Il est très souvent
convoqué par l'ancien de la famille et selon certains auteurs jouent un
rôle thérapeutiqe. C'est le cas de J-G. Bidima (1997,
p.37)39 qui écrit : « La palabre Ð en tant que
dialogue ininterrompu Ð donne corps au dissensus dans un espace social
pacifié, elle fixe la limite entre le tolérable et
l'intolérable, permet d'évaluer le lien et de le consolider. On
définit généralement la palabre comme un mouvement qui
arrête la violence après une discussion vive. Elle conduit des
gens en conflit vers un consensus. Dans la palabre Ð selon cette optique
Ð on exorcise le dissensus pour promouvoir l'unité, le peuple uni et
individisible ».
39 Bidima, J-G. (1997). La palabre. Une juridiction de la parole.
Paris : Editions Michalon
37
Moukouta (2005) fait alors la distinction entre deux types de
traitement. Tout d'abord la phytohérapie, c'est-à-dire le
traitement via les plantes. Chez les Kongo, afin de soigner une maladie, ils
utilisent les « N'Kisi » qui défini actuellement
toutes thérapeutiques (produits pharmaceutiques et produits
traditionnels). Il existe de nombreux N'Kisi pour soigner de nombreux
maux et ils sont différents d'une région à une autre. Les
N'Kisi qui sont administrés sous forme de potion font partie
d'un rite pouvant aller jusqu'à plusieurs semaines. En effet, si la
potion fait effet et les symptômes diminuent, l'individu est alors
interné chez le tradithérapeute et soumis à un repos
complet et à certains rites. Selon Moukouta (2005), cette connaissance
du phénomène N'Kisi est indispensable à toute
pratique thérapeutique puisque les patients relatent
régulièrement ce type de traitement au cours des entretiens.
Moukouta (2005) nous parle également de l'herboriste qui joue un
rôle dans le traitement des maladies mentales. Le Congo, pays accueillant
le second poumon de la terre (seconde massif forestier tropical du monde),
dispose d'une flore riche et dense. De ce fait, de nombreuses plantes aux
vertus thérapeutiques poussent et sont alors utilisées pour
soigner les maux physiques mais aussi mentaux. L'herboriste a la
particularité d'utiliser les plantes, mais également les animaux
et les minéraux afin de créer ses élixirs. Cependant, au
Congo, pour soigner des troubles mentaux, le traitement par les plantes doit
être accompagné d'une psychothérapie. Ainsi, la fabrication
et l'ingestion de potions sont le plus souvent accompagnées de rites.
Ces derniers sont alors menés par le N'ganga,
tradithérapeute généraliste pouvant être
spécialisé en maladie mentale. Le second type de traitement
évoqué par Moukouta (2005) est la spirithérapie et les
religions à guérison que nous évoquerons alors dans la
seconde partie de ce travail.
L'étude de 1988 menée par M. Lallemant, G.
Jourdain et M-E. Gruenais (1988)40 qui tente d'identifier les
réseaux de prise en charge des problèmes de santé mentale
à Brazzaville nous permet de prendre conscience de l'importance du
recours aux traitements traditionnels à la fin des années 1980.
Cette recherche s'appuie sur l'urbanisation intensive qu'a connue la
République du Congo au cours des dernières années. Les
auteurs se posent la question de la prise en charge des malades mentaux dans
les villes, puisqu'auparavant c'était le village tout entier qui en
avait la charge. Les villes sont aussi caractérisées par la
multiplicité des recours thérapeutiques possibles laissant alors
aux individus un choix nouveau. L'itinéraire
40 Lallemant, M., Jourdain, G., Gruenais, M-E. (1987-1988).
Itinéraires et prises en charge thérapeutique à
Brazzaville : La logique des choix. Brazzaville, République
Populaire du Congo : Ministère des affaires sociales et de la
solidarité internationale (mission recherche
expérimentation-Mire) et ORSTOM Institut Français de Recherche
Scientifique pour le Développement en Coopération
thérapeutique au Congo s'articule alors entre trois
instance : le traditionnel, le religieux et l'hôpital psychiatrique. Lors
de l'entretien mené avec le psychiatre Paul Gandou à
l'hôpital psychiatrique de Brazzaville, il nous parlait de cette
étude faite à la fin des années 1980 et qui mettait en
avant un itinéraire thérapeutique usuellement emprunté par
les individus. A cette époque, le premier recours utilisé par les
personnes présentant des troubles mentaux était le soigneur
traditionnel, comme nous avons pu le voir dans cette partie. Si les troubles ne
disparaissaient pas, les malades mentaux et leur famille se tournaient vers les
pasteurs et les centres de prières. Enfin, en dernier recours, ils se
dirigeaient vers les institutions publiques et l'hôpital psychiatrique de
Brazzaville.
Cette partie sur la culture traditionnelle africaine, et plus
particulièrement celle de la République du Congo, nous a permis
de faire un tour d'horizon sur la représentation de la maladie mentale
au sein de cette culture traditionnelle et de voir les différents
traitements thérapeutiques utilisés. A. Bouquet (1969,
p.27)41 écrit a ce sujet que « ces
sociétés secrètes n'y existent pratiquement plus, mais
leur souvenir est encore vivace » dans les cultures congolaises.
Cependant, Moukouta (2005) ne rejoint pas son avis et souligne un manque
d'appréciation chez A. Bouquet (1969). En effet, ces différents
phénomènes n'ont jamais réellement disparu des
sociétés et nous pouvons le constater avec les articles et
documentaires qui voient le jour sur les enfants sorciers ou sur les centres de
prières présent dans certaines forêts africaines comme nous
le verrons dans la prochaine partie.
38
41 Bouquet, A. (1969). Féticheurs et médecines
traditionnelles au Congo. Paris : Mémoire Orstom (n°36)
39
III. La religion au centre de la culture congolaise
1. L'arrivée des religions dites occidentales en
Afrique et le concept d'inculturation
Comme nous l'avons vu dans la partie précédente,
la République du Congo possède une culture traditionnelle
africaine. Cependant, il ne faut pas oublier son histoire et la période
coloniale qui a duré plus de cent ans. C'est donc à la fin du
XIXème siècle que les européens font leurs
premiers pas sur le sol congolais en naviguant le long du fleuve Congo et
signent un traité de souveraineté avec le Roi Makoko. Au fur et
à mesure des explorations, les traités se multiplient. De fil en
aiguille, le Congo devient l'un des quatre Etats de l'Afrique
équatoriale française en 1885 puis, quelques années plus
tard, la colonie du Congo Français officiellement.
Les européens arrivent donc sur ce nouveau territoire
avec leur propre langue, leur propre monnaie, leur propre moyen de
communication. Tout simplement avec leur culture, alors bien différente
de celle des locaux. Lorsque deux cultures se rencontrent, de nombreuses
possibilités apparaissent et de là sont nées les notions
phare de l'anthropologie actuelle comme celle de l'acculturation. En raison du
nombre trop important de recherche sur le sujet, le Conseil de la recherche en
sciences sociales des Etats-Unis crée un comité afin de
définir ce concept. C'est donc en 1936 que le Mémorandum pour
l'étude de l'acculturation est publié définissant le
concept d'acculturation :
« L'acculturation est l'ensemble des
phénomènes qui résultent d'un contact continu et direct
entre des groupes d'individus de cultures différentes et qui entrainent
des changements dans les modèles (patterns) culturels initiaux
de l'un ou des deux groupes. »
Denys Cuche, 2010, p.59
Ce Mémorandum joue un rôle essentiel et permet de
créer un champ de recherche spécifique qui est précieux
afin d'obtenir et d'utiliser les outils théoriques adéquates. De
ce fait, au fil des années, la culture congolaise se voit
transformée par la présence des français sur leur
territoire.
Il existe un concept propre à la religion, celui de
l'inculturation qui se définit alors comme « l'activité
visant à intégrer le message chrétien dans une tradition
culturelle » (Le Dictionnaire du Français, 1996, p.835). Ce concept
se rapproche de celui de l'acculturation, à la différence qu'il
évoque le contact entre l'Evangile et les autres cultures. De ce fait,
l'inculturation est un concept théologique. R. Tabard (2010) consacre
une partie de son article
40
à ce phénomène d'inculturation. Selon
lui, ce concept semble actuellement s'imposer en Afrique mais il s'agit avant
tout d'une communication entre des hommes qui utilisent chacun leurs
systèmes culturels de représentations. Ainsi, selon
Léonard Santedi Kinkupu (2003, p.141)42, la théorie de
l'inculturation s'articule autour de deux dimensions : « d'une part,
évangéliser la culture africaine de telle sorte qu'elle puisse
s'intégrer dans l'héritage chrétien de toujours et
contribuer à rendre cet héritage plus « catholique »
et, d'autre part, « africaniser » le christianisme au point d'en
faire un constituant du patrimoine culturel et spirituel de l'Afrique
».
Selon Tabard (2005), « même si la vie
chrétienne s'inculture depuis quelques décennies, le mouvement
d'inculturation fait apparaître avec plus de force la vivacité des
cultures traditionnelles » (Tabard, 2010, p.193). De ce fait, le
Congo-Brazzaville en tant que culture traditionnelle africaine parvient tout de
même à garder son identité et sa particularité. Les
deux cultures se côtoient, se mélangent mais l'une
n'étouffe pas complètement l'autre. Il n'y a pas eu assimilation,
c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu disparition de la culture d'origine
comme le précise Cuche (2010). L'assimilation est alors la phase ultime
de l'acculturation. En effet, pour Tabard (2010), même si il est possible
de noter une augmentation importante du nombre de baptisé, sous-tendant
une augmentation du nombre de catholiques, cela ne veut pas dire que l'Africain
abandonne son identité profonde. Comme nous l'avons vu
précédemment, puisque les cultures traditionnelles africaines
sont profondément marquées par la dimension religieuse, le
christianisme africain de nos jours ne peut pas être complètement
détachée des systèmes de représentations
traditionnelles présents au sein de la société. Comme
l'écrit Tabard (2010, p.192), « on doit dire que si tout
baptême d'un Africain constitue effectivement une augmentation du nombre
de catholiques, ce rite ne signifie pas qu'il y a un Africain de moins !
Autrement dit, le baptême d'un adulte ne fait pas disparaître dans
l'eau bénite toute la culture qui le constitue dans son être
d'Homme et d'Africain ».
Cependant, il est impossible de ne pas se rendre compte du
phénomène d'inculturation et de la présence de plus en
plus forte des églises chrétiennes sur le continent africain. En
2005, Courrier International a consacré un dossier sur cette expansion
du fondamentalisme chrétien qui sert d'appui à Elisabeth
Dorier-Appril et Robert Ziaboula dans leur article (2005)43. Cet
42 Santedi Kinkupu, L. (2003). Dogme et inculturation en Afrique.
Paris : Karthala
43 Dorier-Apprill, E., Ziavoula, R. (2005). « La
diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale.
Théologie, éthique et réseaux »,
Hérodote, 2005/4 (N°119), p.129-156
41
article parle essentiellement du christianisme
évangélique et de sa conquête du monde. En effet, depuis le
début des années 2000, le nombre de nouveaux adeptes se compte
par million et ne cesse d'augmenter sur tous les continents. Tabard (2005) le
précise dans son article en utilisant des chiffres récents. Bien
que l'Eglise se soit implanté seulement un siècle auparavant en
Afrique, représentant alors seulement cinq ou six
générations de chrétien dans les familles, le nombre de
baptisés à triplé en vingt-cinq ans. Tabard (2005) remet
en cause ces informations et évoque la présence de l'Eglise
catholique au sein du Royaume Kongo entre les années 1500 et 1838. Ces
trois siècles auraient été une période
féconde dans la construction d'églises et le baptême de
nombreux individus, avant de disparaître. A l'heure d'aujourd'hui, les
Eglises sont présentes sur tout le continent africain et
intégrées aux sociétés. Cependant Tabard (2005,
p.198) laisse à penser que « c'est aussi une « nouvelle Eglise
qui naît dans des formes originales, dans la mesure où elle
intègre des éléments des cultures et religions africaines
».
Durant la colonisation, chaque état menait sa propre
politique et cette dernière pouvait être appuyée par une
Eglise. Mais en parallèle et de manière indépendante, les
Eglises évangéliques ont mit en place des missions afin
d'évangéliser les peuples. De ce fait, l'émergence de ces
Eglises n'est ni récente, ni soudaine. Selon Dorier-Apprill et Ziavoula
(2005), cette émergence a précédé la crise
économique et s'est consolidé dans la clandestinité
lorsque les Eglises missionnaires étaient bridées par le
régime marxiste. En Afrique Centrale, et plus particulièrement au
Congo-Brazzaville, ce sont les Eglises évangéliques nordiques qui
s'installent à partir du XIXème siècle. Cela a
d'ailleurs été vérifié lors de mon
expérience à Brazzaville. En effet, la plupart des projets mis en
place par mon organisation d'accueil, c'est-à-dire l'Eglise
Evangélique du Congo (EEC), est financé en grosse partie par une
association regroupant l'Eglise Unie de Suède et l'Eglise
Evangélique de Norvège : l'ASUdh (l'Action de Secours d'Urgence
et de développement humain). Nous avons d'ailleurs partagé notre
maison avec un couple de retraités norvégiens et une amie
à eux qui étaient là pour donner des « cours de
mariage » aux paroissiens de l'EEC qui le désiraient. De ce fait,
l'EEC descend directement d'une branche de l'Eglise luthérienne
suédoise et a été fondée en 1898 par des
missionnaires comme le précise Dorier-Appril et Ziavoula (2005).
C'est au cours des périodes de pré et de post
indépendance que les grands mouvements évangéliques ont
commencé à se diffuser. Et actuellement, ces mouvements
connaissent un réel succès en Afrique noire et ils s'enracinent
dans un champ religieux diversifié. Comme
42
l'écrivent Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.130),
« la variété des formes du christianisme contemporain y est
peut-être plus grande que partout ailleurs ». Ils expliquent cette
diversité religieuse par l'inculturation rapide des monothéismes
qui sont arrivés lors de la période coloniale, mêlée
aux nombreux prophétismes afro chrétiens et aux nombreuses
croyances mystico-religieuses locales.
Il subsiste tout de même un conflit entre les religions
monothéistes arrivées au cours des dernières années
et les religions traditionnelles africaines présentes depuis toujours.
Comme l'écris D. Philippe (2004, p.70), « certaines Eglises, nous
l'avons vu, rejettent catégoriquement le culte des ancêtres au
motif qu'il n'est pas sanctionné par l'Ecriture. C'est le cas de la
plupart des Eglises évangéliques et pentecôtistes ».
Cependant, toutes les églises missionnaires ont débuté une
réflexion sur le concept d'inculturation et sur leur présence en
Afrique. Nombre d'entre elles prennent le parti de ne pas se positionner sur la
pratique des rites traditionnels chez leurs paroissiens. Selon D. Philippe
(2004), c'est l'Eglise catholique qui a mené la réflexion sur
l'inculturation la plus poussée et n'a donné aucune consigne
précise sur la manière de concilier les héritages
africains et les héritages chrétiens. Cependant, les
autorités de l'Eglise catholique d'Afrique australe hésitent
entre deux positions. Pour certains, l'inculturation est également une
forme d'évangélisation, c'est-à-dire que les croyances
déjà présentes peuvent être
considérées comme une préparation à la foi. Dans
cette vision, il suffit d'adapter le discours religieux à la culture
indigène. Pour d'autre, la religion traditionnelle africaine a une
réelle importance et ne doit pas seulement être utilisée
comme un simple outil d'évangélisation mais doit être prise
en considération dans sa globalité. Ainsi selon D. Philippe
(2004, p.73), « le christianisme africain est profondément
authentique. Le « théologie orale » qui s'élabore sous
nos yeux est un signe de son dynamisme ».
Pendant et depuis la fin de la colonisation,
l'évolution des relations entre sphère religieuse et gouvernement
oscille. Les autorités coloniales n'ont cessé de se battre contre
les messianismes chrétiens africains qui cherchaient à promouvoir
l'identité africaine. Ces derniers étaient alors
surveillés par les autorités comme nous le raconte Dorier-Apprill
et Ziavoula (2005). La prise d'indépendance des pays africains marque la
prolifération de mouvements religieux de différentes confessions.
C'est donc à partir de 1960 que la République du Congo
connaît une multiplication des Eglises chrétiennes nouvelles et
indépendantes. Le Congo a connu une évolution un peu
différente de celle de ces voisins en raison de la restriction
religieuse menée par les gouvernements communistes militaires
43
jusqu'aux années 1980. En effet, l'Etat congolais avait
institué une loi antisectes qui permettait de contrôler la vie
religieuse. Entre 1978 et 1991, en raison de cette loi, seulement sept Eglises
étaient reconnues. Cette restriction prend fin en 1991 lors de la
Conférence Nationale pendant laquelle la liberté de culte est
proclamée. A partir de là, le Congo connaît une
augmentation fulgurante de l'offre religieuse, et particulièrement dans
les villes. Le Parti Congolais du Travail (PCT), parti politique de l'actuel et
indétrônable président de la république
déjà au gouvernement, tolère le pluralisme religieux
à condition que les « sectes » se rassemblent en union. De ce
fait, le Congo-Brazzaville se différencie de ses voisins par sa
structuration de l'espace religieux. En effet, comme le précise
Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), le champ religieux s'organise
essentiellement en fédérations et en réseaux
stratégiques qui lui permet de défendre leurs
représentations.
Les années 1990 sont marquées par trois guerres
civiles en République du Congo qui laissent encore des traces
aujourd'hui. En effet, il subsiste de nombreuses tensions ethno
régionales, principalement entre les ethnies du nord et celles du sud,
qui ont profité aux leaders des partis politiques tel que Denis Sassou
N'Guesso. C'est la capitale Brazzaville qui a essentiellement été
touchée pendant ces périodes noires, et particulièrement
les quartiers du sud qui ont alors été bombardés, amenant
la population à fuir. Cette période difficile prend fin en 2001
avec l'organisation du retour des populations exilées dans les
forêts au sein de leur quartier, dans des conditions encore très
pénibles. Cette période post conflit est une aubaine pour le
président actuel qui est alors élu avec 89% des voix grâce
à une campagne présidentielle de taille et à l'absence de
concurrent sérieux. Ainsi, comme l'écrivent Dorier-Apprill et
Ziavoula (2005, p.139), « en l'espace de quinze années, la
société congolaise subit alors une mutation brutale liée
à un contexte d'effondrement de l'économie rentière et de
l'Etat redistributeur, lié au surendettement du pays et aux politiques
d'ajustement, de chômage des jeunes scolarisés, de guerres entre
milices politiques, d'un coup d'Etat, d'exodes urbains et de banditisme
».
Les guerres civiles ont bien entendu ralenti l'expansion des
Eglises mais n'ont en aucun cas empêché cette dernière. En
effet, Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) ont débuté leur
étude après la première guerre civile et ont
constaté une différence entre les chiffres du gouvernement et la
réalité. Ils ont alors découvert 250 lieux de cultes,
comprenant des Eglises indépendantes diverses, mais également
plusieurs Eglises chrétiennes évangéliques et des grandes
Eglises instituées.
44
A l'heure d'aujourd'hui, la liberté de culte est
garantie par la Constitution mais le sujet reste délicat. En effet, les
partis politiques nationaux et également les puissances occidentales
restent très vigilants en raison de la situation actuelle au Congo. Les
Eglises inquiètent puisqu'elles peuvent être le lieu de
rassemblement de contre pouvoir ou encore de mobilisation partisane, mais en
parallèle elles intéressent puisqu'elles sont des relais sociaux.
Le texte de la Constitution de 2002 garantit également des dispositions
relatives à la sécurité, la tranquillité et la
salubrité du lieu et de la voie publique.
En 2005, le ministère de l'Administration du territoire
et le ministère de l'Intérieur procèdent à un
recensement des toutes les Eglises présentes à Brazzaville. Ce
dernier va être réalisé par les forces de police qui
arpentent les rues de la capitale afin d'identifier les lieux de cultes, tout
en demandant aux responsables des Eglises de fournir les papiers en
règle. Ils recensent alors 350 lieux de culte, rassemblée sous
224 dénominations. Les Eglises doivent alors répondre a un
certain nombre de critère évoqués par Dorier-Apprill et
Ziavoula (2005) : les pasteurs doivent être formés, les lieux de
culte être construits en maçonnerie durable. De plus, l'Eglise
doit disposer d'une date d'ordination et être capable de créer des
oeuvres sociales et d'ouvrir un compte en banque... Les lieux de culte ne
répondant pas à ses critères sont menacés de
fermeture par le ministère de l'Intérieur. Ils ont alors un
délai de six mois pour se conformer aux différents
critères.
Comme nous l'avons vu, les Eglises et leurs mouvements sont en
expansion au Congo-Brazzaville depuis plusieurs années malgré les
politiques de restrictions mises en place par le gouvernement. Les Eglises
doivent leur succès grâce à la population présente
friande de cette effervescence religieuse. Cependant, comme l'écrivent
Dorier-Apprill et Ziavoula (2005, p.131), « leur influence politique est
amoindrie, voire nulle, dans un pays où la démocratie est
purement formelle, comme le Congo ».
2. Les Eglises Evangéliques au Congo et leurs
mouvances
Le terme d'Eglise évangéliques est
polysémique comme l'écrit Dorier-Apprill et Ziavoula (2005) dans
leur article. Ce mouvement à la particularité de mettre en avant
l'expérience spirituelle vécue. Elles cherchent alors la
conversion du coeur et se considèrent comme des communautés de
vrais convertis qui se baptisent à l'âge adulte. Ces Eglises sont
dirigées par les élites de la société, sensibles
à la modernité et à la mondialisation, recherchant alors
l'ouverture des paroisses vers l'occident. La plupart de ces Eglises
s'autofinancent, c'est-à-
45
dire que les activités proposées sont possibles
grâce aux contributions des fidèles, lors des temps de culte par
exemple. Les Eglises recrutent leurs fidèles auprès des
catégories sociales plutôt favorisées comme nous explique
Dorier-Apprill et Ziavoula (2005). Le public visé est alors les
élites du pays, les potentielles jeunes élites ou encore les
jeunes diplômés qui ne parviennent pas à trouver un emploi.
En effet, je me souviens de mon premier culte à la paroisse du
Centenaire à Brazzaville, j'avais été très surprise
des montants annoncés par le pasteur lors de l'annonce du montant de la
quête de la semaine précédente. Le montant annoncé
s'élevait à plusieurs milliers, voir proche du million.
Les Eglises évangéliques comprennent le
mouvement pentecôtisme actuellement en vogue dans de nombreux pays, comme
en République du Congo. Selon Dorier-Apprill et Ziavoula (2005), ce
mouvement religieux compterait plus de 150 millions de croyants dans le monde.
Ce mouvement a la particularité de regrouper de nombreuses
communautés de différentes tailles et dirigées par des
leaders charismatiques. Cette mouvance a la particularité d'asseoir sa
réputation sur le rigorisme moral et l'interprétation
littérale de la Bible. Il rejette donc en bloc les religions
traditionnelles africaines et le lien avec les ancêtres. De ce fait,
« il manifeste une double revendication de rupture : prise de distance
à l'égard de toutes les représentations et pratiques
néo-traditionnelles (magie, culte des morts, funérailles
somptuaires, mariage coutumier, polygamie), qui sont systématiquement
« satanisées » - et rejet du « matérialisme
dialectique » qui a occupé pendant des années le champ
politique et culturel, prétendant canaliser le religieux au sein des
seules sept Eglises reconnues par l'Etat » (Dorier-Apprill et Ziavoula,
2005, p.134). Dans leur recherche, Lallemant, Jourdain et Gruenais (1988),
évoquent les églises pentecôtistes comme l'un des choix
possible lors de l'itinéraire thérapeutique. Selon eux, ce
mouvement est très hiérarchisé avec le Pasteur comme
leader de la communauté. Pour ces derniers, l'appartenance à une
Eglise chrétienne associée à une foi chrétienne
forte est la solution pour se confronter aux pressions familiales mais surtout
pour se protéger des puissances surnaturelles à l'origine des
entraves au développement du pays. Apparaît alors
l'émergence d'une nouvelle éthique versée sur l'individu.
S'appuyant sur un modèle occidental, c'est alors le lien conjugal et la
famille nucléaire qui sont mis en lumière. Ces nouveaux
mouvements diffusent un modèle neuf où la place de l'individu est
modifiée, au détriment de la communauté. Dorier-Apprill et
Ziavoula (2005) associent ce changement à une modification de
l'éthique actuellement basée sur un phénomène
d'acculturation consentie. Ces mouvements religieux sont un excellent moyen de
communication et de diffusion des nouveaux paradigmes promulgués par ces
Eglises. Les
46
auteurs notent que le réseau présent à
Brazzaville a une structure souple et que ces dernières cherchent
à se rattacher entre elles dans l'ensemble du pays, en laissant de
côté les clivages ethno régionaux.
Il existe les Assemblées de Dieu présentes
à Brazzaville. Certes, comme nous le disent Dorier-Apprill et Ziavoula
(2005), elles sont minoritaires mais ce sont ces dernières qui ont
joué un rôle important dans l'expansion du pentecôtisme
pendant les années 1970. Il est intéressant de parler de ce petit
mouvement religieux puisque son activité principale se base sur la
guérison des malades. Ainsi, « les malades guéris ont
constitué le vivier des adeptes, c'est pour cette raison d'ailleurs que
malgré l'interdiction de la loi de 1977, ils ont résisté
aux pressions, et même gagné le soutien de dignitaire du pouvoir
qui y cherchent un appui spirituel » (Dorier-Apprill et Ziavoula, 2005,
p.148).
Les Assemblées de Dieu offrent donc des cours bibliques
afin de former la nouvelle génération de cadres religieux
affichant des pratiques et des modes de guérison plus orthodoxes. Ils
mettent également en place des campagnes d'évangélisation
et des séminaires afin de propager leurs voix à travers le pays.
Grâce aux dons, ils parviennent à acquérir des terrains ce
qui va permettre de structurer le mouvement à travers les dynamiques
locales. Cependant, après la loi « antisecte » de 1977, ils
sont expulsés du Congo. Malgré tout, ce mouvement religieux ne
disparaît pas totalement et continue de se développer dans la
clandestinité. C'est de cette manière que les premières
Eglises du réveil verront le jour. Les mouvements religieux
indépendants deviennent légal en 1991 ce qui leurs permet de se
multiplier rapidement. « Elles contribuent à un
élargissement et une « banalisation » de la sensibilité
religieuse pentecôtiste hors du contrôle direct des
Assemblées de Dieu, qui deviennent minoritaires » (ibid.).
Afin de se différencier de l'Eglise protestante, le
mouvement pentecôtiste et les autres mouvements indépendants
partageant certaines idéologies, utilisent le nom Eglises du
réveil pour se désigner.
Comme nous l'avons vu précédemment et comme le
précise J-P. Bat (2014)44, le Congo connaît, comme
nombreux de ses voisins, une augmentation fulgurante de l'Eglise du
réveil sur le territoire. Ses Eglises sont partout, au milieu des
quartiers et dans les périphéries. Ce sont de petits locaux
pouvant accueillir quelques dizaines de personnes. Elles sont
44 Bat, J-P. (2014). « Les Eglises de réveil au
Congo-Brazzaville », Afrique contemporaine, 2014/4 (n252),
p.145-146
47
essentiellement présentes dans les quartiers populaires
tels que Bacongo, Kinsoudi, Mokondo à Brazzaville. Elles mettent en
place des actions sociales, tel que des cours d'alphabétisation, pour
aider les paroissiens et les fidéliser ainsi. Ce mouvement religieux a
sa propre identité qu'elle transmet à travers ses logos, ses
slogans, ses discours. Elles réunissent alors un tissu social
composé par la communauté où certaines valeurs et
idées sont diffusées et adoptées. « Le pasteur, point
d'équilibre de la communauté, est bien plus qu'un ministre du
culte. Il renoue pleinement avec la figure du guide spirituel... et temporel
» (Bat, 2014, p.146).
Les Eglises du réveil, ayant une influence directe sur
les populations, sont la cible du gouvernement actuel. En effet, avec les
élections qui se sont déroulées en 2016, le gouvernement
à la tête du pays avait tout intérêt à se lier
avec ces nouvelles mouvances religieuses pouvant faire la différence.
Toutes ces entités sont gérées administrativement par le
Conseil Supérieur des Eglises de réveil (COSERCO) dirigé
par Germain Loubouta. Hasard ou coïncidence, G. Loubouta est
également le premier collaborateur d'Antoinette Sassou N'Guesso, femme
du président de la république du Congo. Ainsi, « certaines
Eglises de réveil sont dirigées par des personnalités
politiques proche du pouvoir, à titre personnel ou à titre
politique » (ibid..).
Il est alors clair que le lien entre le gouvernement et les
institutions religieuses existe, donnant du pouvoir à l'un comme
à l'autre. C'est également le cas pour l'Eglise
Evangélique du Congo, reconnu dans tout le pays. En effet, l'EEC est
l'église protestante la plus importante dans le pays et reconnaît
le Pasteur Patrice N'souami comme président depuis 2005 et
jusqu'à la fin de cette année 2016. Cette mouvance religieuse
compte 500 000 fidèles, soit environ 17% de la population congolaise.
Leur dogme et leurs pratiques sont centrés sur les Ecritures et une
théologie protestante en opposition avec les phénomènes du
« réveil » et la superstition en général venant
de la tradition africaine. Cependant, selon Katie Badie pasteure dans une
paroisse parisienne (2009)45, l'Eglise affirme son identité
tout en rappelant ses origines africaines par l'utilisation de chants
traditionnels par exemple. L'EEC est en lien avec de nombreux partenaires
à travers le monde, montrant sa place dans une Eglise universelle. Au
Congo-Brazzaville, l'EEC s'engage à plusieurs niveaux, dont de nombreux
fronts sociaux comme la lutte contre le VIH/Sida, l'accueil des malades et des
orphelins dans les centres de santé intégrés et les soins
donnés dans les dispensaires, mais aussi dans le processus de
réconciliation suite aux guerres civiles connues par le pays.
45 Fédération Protestante de France (2009, 14
octobre). « Cent ans de protestantisme au Congo-Brazzaville ». [En
ligne] mis en ligne le 14 octobre 2009, Consulté le 22 août
2016
48
Cette Eglise, faisant partie des sept reconnues pendant les
périodes difficiles, possède certains privilèges et un
lien étroit avec le gouvernement. En effet, chaque voiture de l'Eglise a
le droit à un laisser passer sur le pare-brise leur permettant de passer
outre les barrages policiers et/ou militaires. Elle est également
financée en partie par le gouvernement et participe à certains
programmes nationaux. Par exemple, l'EEC a décidé au sein de ces
centres de santé intégrés de prendre en charge les
personnes vivant avec le virus de l'immunodéficience humaine (VIH).
L'EEC a alors établi un partenariat avec le Conseil National de Lutte
contre le VIH/Sida (CNLS), même si ça semble aller à
l'encontre des valeurs diffusées par l'EEC. En effet, peu d'Eglises
reconnaissent l'existence du VIH/Sida et encouragent le port du
préservatif afin de ralentir l'expansion de la maladie. Malgré
tout, le slogan congolais pour la lutte contre le Sida traduit cette forte
présence des Eglises dans le pays : « Abstinence,
Fidélité, Préservatif ». Leur seule limite est la
prise en charge des patients homosexuels comme me l'avait précisé
ma collègue psychologue au centre de santé intégré
de La Source.
De part ce partenariat avec le gouvernement, ils travaillent
également avec des ONG internationales tel que la Croix Rouge
Française sur certains programmes de prise en charge des personnes
vivant avec le VIH (PVVIH). C'est dans ce cadre là que j'ai
effectué mon Service Civique à l'International, sur la
continuité du projet R5, prenant en charge les adultes vivant avec le
VIH et sur l'actuel projet R9 qui s'occupe des enfants vivant avec le VIH. Il y
donc un réel lien entre les centres de santé
intégrés de l'EEC et les organisations politiques et
internationales agissant dans le pays.
Comme nous l'avons vu, la santé est au coeur des
préoccupations de la religion chrétienne et ce depuis
l'arrivée des premiers missionnaires. Ces derniers avaient pour mission
de soigner les malades au sein des différents dispensaires ruraux. Au
fil des années, en plus des dispensaires, des centres de santé et
des hôpitaux sont apparus afin de soigner les malades mais
également pour faire du prosélytisme.
Cependant, l'EEC ne propose pas réellement de soins
adaptés pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Cette
dimension là, encore peu développée au Congo, n'est que
peu prise en charge dans la vie quotidienne. Malgré tout, certaines
structures religieuses proposent de prendre en charge ces personnes vivant avec
des troubles psychiques.
49
3. La prise en charge des malades mentaux par les
institutions religieuses
Comme nous l'avons vu dans la partie précédente
de ce travail, lorsqu'un individu rencontre des troubles mentaux c'est la
responsabilité de tout le groupe qui est mobilisée. Nous avons
déjà évoqué les différentes méthodes
de prise en charge traditionnelle disponibles à travers la
médecine des plantes et l'oeuvre des tradipraticiens. Mais, comme
l'écrit Serge M'Boukou dans son article (2007, p.6)46, «
le christianisme en premier lieu apparaît comme un adversaire redoutable
de l'ordre local. Il porte avec lui une énergie disruptive tendant
à disqualifier systématiquement les pratiques et les
représentations locales. La démonisation des cultes locaux ainsi
que des modes de compréhension et de prise en charge des maux dont
souffrent les hommes bouleverse les cadres traditionnels ».
De ce fait, la religion a fait son entrée dans
l'itinéraire thérapeutique rencontré chez les congolais.
En effet, au début des années 1980, comme l'évoque le Dr
Paul Gandou dans l'entretien que nous avons passé, lorsque les
tradithérapeutes ne parvenaient pas à faire disparaître le
symptôme, la famille se tournait alors vers le pasteur ou le prêtre
de la paroisse à laquelle elle appartenait. Ainsi, il explique : «
dans l'itinéraire thérapeutique, puisque les perceptions sont
mystico religieuses, ou mystiques en général, ce qui se passe
dans la dynamique, la personne aura tendance à aller plutôt
d'abord à l'église voir le pasteur pour faire qu'elle sorte de
cet envoûtement ». La consultation à l'église a
vraiment pour but de sortir de l'envoûtement qui a été
jeté sur l'individu.
Les tradithérapeutes sont donc concurrencés par
les pasteurs des Eglises comme l'explique Michel Mboussou (2009)47
dans son article. En effet, « ces lieux de culte drainent toutes les
couches sociales de notre pays et les acteurs qui y professent, reprennent tout
simplement le discours des guérisseurs, à savoir que le mal vient
généralement de l'extérieur, et à ce titre, ces
propos sont ensemencés sur une terre fertile, riche en mystère
» (Mboussou, 2009, p.772). Selon l'auteur, les pasteurs actuels font
preuve d'une certaine agressivité et s'appuient sur la
naïveté de la population, ainsi que sur la misère
matérielle et morale, afin d'embrigader un maximum de personne. Ainsi,
« dans ce contexte de souffrance, la seule voie de salut et de
guérison est de croire fermement en un dieu suprême »
(ibid..). Le concept d'acculturation ayant fait son petit bonhomme de chemin
dans les cultures traditionnelles africaines avec les
46 M'Boukou, S. (2007). « Trajectoires du soin en Afrique
», Le Portique. [En ligne], 4-2007 | Soin et éducation
(II), mis en ligne le 14 juin 2007, consulté le 04 août 2016. URL
:
http://leportique.revues.org/944
47 Mboussou, M. & all. (2009). « Religion et
psychopathologie africaine », L'information psychiatrique, 2009/8
(volume 85), p.769-774
50
présences des dogmes chrétiens,
l'étiologie « sorcière » a finalement fait son
entrée dans les discours des nouvelles églises
évangéliques. De ce fait, nous pouvons témoigner d'une
mutation des systèmes de croyances culturels qui perdent petit à
petit les valeurs principales.
Les Eglises se différencient et prennent de l'ampleur
puisqu'elles offrent « un espace rassurant, stable et permanent,
partagé collectivement, où une parole sur l'invincible va pouvoir
exister et où l'individu va pouvoir se sentir vivre, malgré sa
souffrance, par l'action de s'exprimer » (ibid., p.773). D'une certaine
manière, l'Eglise reprend le rôle du village qui prenait en charge
les personnes malades, comme on l'entendait avant le phénomène
d'urbanisation. De plus, il parait important d'accueillir les individus dans un
cadre d'entraide et de réflexion, où le discours est rassurant.
En effet, Dieu peut apporter la guérison et le salut, là ou la
médecine traditionnelle et/ou occidentale ont échoué. Les
individus reprennent alors espoir et trouve la force de
persévérer. Ainsi, comme l'écrit Mboussou & all.
(2009, p.773), les Eglises sont alors de « véritables refuges
contre tout ce qui trouble la quiétude des hommes, les nouvelles
églises se substituent progressivement à nos communautés
villageoises pour devenir des partenaires privilégiés du nouvel
équilibre social€ ; elles canalisent, indéniablement, une
grande part de la misère humaine, allant même pour certaines
d'entre elles, à transformer leurs lieux de culte en lieux de soin
».
Dans leur enquête de terrain sur les itinéraires
thérapeutiques, Lallemant, Jourdain et Gruenais (1988) ont visité
des centres de soin religieux, provenant pour la plupart des mouvements
pentecôtistes. Selon les auteurs, ces dernières sont plus
fermées et difficiles d'accès. Elles existent au coeur de la
ville de Brazzaville mais se font discrètes. Ces sectes sont très
hiérarchisées, avec en haut de l'échelle le Pasteur qui
gère la communauté. Les patients peuvent être reçus
le jour et la nuit, selon les besoins de chacun, accueillis par une
équipe toujours présente. Les patients sont invités
à prier afin de parvenir au désenvoûtement et à la
disparition des différents symptômes. Ils peuvent être
aidés par le pasteur au cours des consultations. Ces dernières
sont organisées autour de prières, de récits sur les
plaintes amenées par les patients, de chants et d'interrogations
directives par les membres de l'équipe. Il y a aussi des moments de
divination pendant lesquels les individus recherchent la cause de la
maladie.
Certains malades sont également invités à
rester sur le lieu de culte et participer aux différentes
activités, afin de favoriser la guérison. Les auteurs
décrivent de nombreuses séances de prières, tout au long
de la journée, mais également au cours de la nuit. Par
51
exemple, entre 20 heures et 6 heures du matin, des
séances de prières sont organisées toutes les deux
heures.
Cependant, certains reportages ou documentaires nous montre
une réalité tout autre. Une réalité difficile
où les personnes présentant des troubles mentaux sont exclues de
la société. Benedict Carey (2015)48, journaliste pour
le The New York Times, a consacré un reportage sur la prise en
charge des malades mentaux en Afrique de l'Ouest. Ce journaliste
témoigne de scènes difficiles à croire :
« The church grounds here sprawled through a strange,
dreamlike forest. More than 150 men and women were chained by the ankle to a
tree or concrete block, a short walk from the central place of worship.
»
Benedict Carey, 2015, p.A1
L'auteur précise que dans ces pays où la maladie
mentale est peu connue, les chaines peuvent être une solution pour les
familles confrontées au désespoir face à la perte de
contrôle des personnes atteintes de troubles. Le reportage photo d'Alexis
Duclos (2012)49, nommé « Les enchaînés
», fait froid dans le dos. Malgré des images magnifiques, elles
traduisent la souffrance et le désespoir de ces personnes qui se sont un
jour retrouvées attachées à un tronc d'arbre suite
à des troubles mentaux.
Ces derniers sont donc rassemblés dans des centres de
prières, comme l'un de ceux que B. Carey (2015) a visité au Togo
appelé « Jesus Is the Solution ». La vie quotidienne est
rythmée par les prières faites pour Dieu afin d'éloigner
les mauvais esprits qui se sont abattus sur eux et par la visite de la famille.
En effet, cette dernière est responsable du malade et doit lui fournir
une chaine à son arrivée et bien souvent une paillasse, ainsi que
de la nourriture et les soins primaires tel que vider le « pot de chambre
» et la toilette. La durée des séjours varie d'un individu
à l'autre. Si la situation s'améliore, c'est-à-dire que
l'individu est attentif et capable de penser clairement, la décision est
prise de relâcher la personne afin qu'il rentre chez lui. Dans le cas
contraire, les pasteurs présents dans ces camps de prières
continuent et intensifient ces dernières afin qu'une solution se
présente à eux. Et si cela ne change rien, à un moment
donné, la famille reprend dans le foyer la personne atteinte de troubles
mentaux et cherche un autre moyen afin de traiter les difficultés. Il
est important de noter que dans ces
48 Carey, B. (2015, 12 octobre). The Chains of Mental Illness in
West Africa, The New York Times, p.A1
49 Duclos, A. (2012). Les enchaînés. Reportage
photo, Côte d'Ivoire. http://www.alexisduclos.com/
52
centres aucune personne qualifiée en médecine ou
en psychiatrie ne travaille et que toutes les décisions reviennent au
pasteur et à ses assistants.
Il est intéressant de noter également que la
majorité des personnes présentent ont déjà eu
recours aux traitements traditionnels, tel que les tradithérapeutes, les
herbes et les drogues, et que ces derniers ont échoué comme en
témoigne Carey (2015).
Toutes les sociétés rencontrent des
difficultés concernant la prise en charge des malades mentaux, et
l'Afrique tout particulièrement puisqu'elle est confrontée
à un manque de moyen. Dans les pays d'Afrique de l'Ouest ou l'offre
psychiatrique est presque inexistante, les chaines proposées par ces
centres de prières représentent alors le dernier recours que la
famille peut avoir lorsqu'elle ne parvient plus à contrôler le
malade mental. Etant donné que la religion joue un rôle important
dans cette partie du monde, ces camps de prière connaissent une certaine
reconnaissance. D'autant plus, que selon l'article du The New York
Time (2015) les pasteurs prêchent, qu'à travers eux, Dieu
dans sa toute puissance est en mesure de guérir tous les maux et les
symptômes, et que cela est d'autant plus vrai€ pour les maladies
psychiatriques qui relèvent de la spiritualité d'une certaine
manière.
Cette pratique est présente dans de nombreux pays
d'Afrique de l'Ouest comme l'évoque B. Carey (2015) qui témoigne
de fait similaire au Ghana par exemple. Ces pays partagent une culture
traditionnelle africaine, toute différente bien entendu mais avec des
similitudes, ce qui peut nous laisser penser que ces centres de prières
sont présents au Congo-Brazzaville également. Cependant, je n'ai
pas eu l'occasion de constater une telle pratique au cours de mon séjour
brazzavillois.
Il est donc difficile d'estimer exactement le nombre de
malades mentaux en Afrique aujourd'hui puisqu'une partie d'entre eux est
enchainée au fond des forêts dans des centres de prières,
ou plus simplement enfermée au fond des parcelles familiales.
A l'heure actuelle, l'individu est alors confronté
à un choix lorsqu'il entre dans un circuit thérapeutique. En
effet, il peut avoir recours à un tradipraticien comme nous l'avons vu,
à des séances de guérison par la prière dans des
centres religieux comme nous venons de le voir ou encore se présenter
dans des dispensaires afin de profiter de soins médicaux et/ou
psychiatriques. Il n'est d'ailleurs pas rare que les malades aient recours
à ces différents moyens en parallèle les uns des
autres.
53
Lors de l'entretien avec le docteur Paul Gandou, psychiatre
à l'hôpital psychiatrique de Brazzaville, ce dernier nous avait
parlé du renversement progressif de l'itinéraire
thérapeutique commun à de nombreux patients. En effet, pendant
les années 1980, les malades et leurs familles avaient tendance à
se diriger vers le tradithérapeute, puis le pasteur et enfin vers la
sphère psychiatrique en tout dernier recours. Cependant, il
témoigne d'une modification progressive de l'itinéraire
thérapeutique depuis le début des années 2000. L'expansion
des mouvements religieux répondant à certaines attentes de la
population a créé un retournement. De ce fait, les individus
auraient tendance à consulter le pasteur en premier afin de faire
disparaître les symptômes présents, selon le docteur Paul
Gandou. Cependant, la sphère psychiatrique, avec l'augmentation du
personnel soignant compétant et le développement des
connaissances, prend de plus en plus de place au sein des itinéraires
thérapeutiques empruntés par les malades comme nous allons le
voir dans la partie suivante.
54
IV. La naissance d'un système de santé
mentale au Congo
1. Première réflexion sur la santé
mentale dans les pays du sud
A l'heure actuelle, notre monde connaît de grosses
disparités économiques, sociales et en termes de santé
entre les différents continents et les différents pays. Comme
l'écrit Hubert Balique (2011, p.29)50, « cinquante ans
après leurs accès à la souveraineté nationale, les
pays d'Afrique subsaharienne subissent encore, de façon très
discordante, une situation sanitaire inacceptable en ce début du
XXIème siècle ». Même si les médias
diffusent de nombreuses images de souffrance des pays d'Afrique en
général, il ne faut pas oublier que les principaux indicateurs de
santé, tel que l'IDH par exemple, progressent grâce aux effets du
développement, à l'engagement des Etats et au soutien des
partenaires. Cette évolution positive est certes lente, mais elle est
présente dans la majorité des endroits, à l'exception des
zones de conflits armés. Cela a été permis par les
nombreuses campagnes et actions sanitaires menées, permettant
d'arrêter les épidémies, de soigner les maladies et de
réduire le nombre de décès grâce à des moyens
matériels (vaccins, médicaments, personnel médical...).
Mais également par la modification de certaines normes culturels comme
l'âge du mariage, le nombre d'enfants par femme, l'augmentation du taux
de scolarisation...
Avant l'arrivée des colons, les ethnies avaient
développé les médecines traditionnelles afin de soigner
les individus qui présentaient certains troubles comme nous l'avons vu.
L'arrivée des colons et des missionnaires religieux correspond
également aux premières implantations de dispensaires dans
lesquels certains soins étaient donnés afin d'étendre la
couverture sanitaire. La prise d'indépendance des pays par les
gouvernements est accompagnée par l'extension des services de soins
à une population plus large. Elle s'appuie très souvent sur la
gratuité des soins comme le précise Balique (2011). Afin de
pouvoir soigner un maximum de personnes, les pays développent les soins
de santé primaires selon les préconisations de l'OMS. A partir de
là, de nombreuses équipes voient le jour et s'installent
même dans des régions reculées.
Pendant de longues années, les gouvernements ont mis de
côté la prise en charge des troubles mentaux. En effet, ils
préfèrent avoir recours aux programmes verticaux afin d'obtenir
un maximum d'efficacité dans la réalisation de certains
objectifs. Ces programmes représentent toutes les campagnes de
vaccination, les campagnes contre le paludisme et celle
50 Balique, H. (2011). « Le défi de la
santé en Afrique subsaharienne et ses perspectives ».
Santé internationale : Les enjeux de santeì au
Sud. Paris : Presses de Science Po, 29-50
55
contre le VIH/Sida. Bien entendu, « la disparition de la
maladie, des charges qui lui sont liées et de ses conséquences
économiques et sociales justifie pleinement l'importance des ressources
mobilisées dans la mesure où elles constituent des
investissements rentables » (Balique, 2011, p.34). Cependant, cette
approche verticale ne répond pas dans sa totalité aux exigences
des indicateurs de développement.
Longtemps oublié au profit d'autres causes sanitaires,
ce n'est donc qu'au début des années 2000 que l'OMS va
définir le concept de santé mentale et le mettre au coeur de ses
actions. En effet, « chez chacun de nous, la santé physique et la
santé mentale sont deux aspects fondamentaux de la vie intimement
liés et étroitement interdépendants » (OMS, 2001,
p.3). Ainsi, la santé mentale, puisqu'elle est essentielle au bien
être général des individus, donc des sociétés
et donc des pays, est alors intégrée dans les objectifs du
millénaire proposé par l'OMS. Dans ce rapport (2001), l'OMS tente
de diffuser un nouveau regard sur les troubles mentaux et la manière de
les prendre en charge afin de redonner espoir aux malades et à leurs
familles.
Selon Kastler (2011), 450 millions de personnes sont atteintes
de maladie mentale dans le monde. « Une personne sur quatre souffre d'un
trouble mental ou neurologique à un moment ou à un autre de sa
vie » (ibid., p.171). Cela représente un nombre certains de
personnes qui ont besoin de soin psychique. Cependant, « plus de 40% des
pays n'ont aucune politique de santé mentale, plus de 30% pas de
programme dans ce domaine, et plus de 90%, aucune politique de santé
mentale qui englobe les enfants et les adolescents » (OMS, 2001, p.3).
Ainsi, seulement une minorité d'individu souffrant d'une maladie mentale
ou de trouble du comportement reçoit des soins. Béatrice Lamboy
(2005, p.584)51 évoque ce problème dans son article :
« mais si de nombreux traitements existent et qu'ils ont fait preuve
d'efficacité, leur utilisation reste très problématique.
L'accès à des soins adéquats est un sujet complexe qui est
source de nombreuses insatisfaction pour les personnes en souffrance psychique
et pour les pouvoirs publics ». Les troubles mentaux n'étant pas
pris en charge par les politiques de santé publique, le financement est
très souvent à la charge du patient, ou de sa famille, les
propulsant vers des difficultés financières en raison du
coût important des soins et des psychotropes.
51 Lamboy, B. (2005). « La santé mentale :
état des lieux et problématique », Santé
Publique, 2005/4 (vol.17), p.583-596
56
Il existe d'ailleurs un lien étroit entre troubles
mentaux et pauvreté, comme l'explique le schéma suivant :

Figure 1 : Cercle vicieux de la pauvreté et
des troubles mentaux
La pauvreté se définit comme « le manque de
biens, insuffisance des choses nécessaires à la vie » (Le
Dictionnaire du Français, 1996, p.1188). Elle peut alors concerner la
dimension économique, sociale ou environnementale. Comme nous pouvons le
voir, elle entraine donc un faible niveau de ressources et un niveau
d'instruction peu élevé. Les études ont montré que
les individus les plus démunis présentent plus souvent des
troubles mentaux et que c'est derniers ne consultent que rarement. Cette
absence de recours au soin entraine donc une évolution
défavorable des troubles ayant des effets dramatiques : perte d'emploi,
augmentation des dépenses de santé... Ces conséquences
renforcent alors la première bulle qui est la pauvreté.
Avant de proposer des recommandations pour la prise en charges
des troubles mentaux, l'OMS a tenté de définir les concepts clefs
de cette problématique et leurs origines. L'ouvrage de
référence sur la santé mentale, les droits de l'homme et
la législation écrit par l'OMS en
57
200552 s'est essayé à l'exercice et
précise de suite que « définir les troubles mentaux est
difficile parce qu'il ne s'agit pas d'une pathologie unique, mais d'un groupe
de troubles ayant quelques caractéristiques communes » (OMS, 2005,
p.21). Afin de déterminer les troubles mentaux et leurs
caractéristiques, il est donc essentiel de prendre en compte le contexte
social, culturel, économique et juridique de la société
dans laquelle nous nous trouvons.
Les recherches actuelles nous ont permis de savoir que les
troubles mentaux existent sur tous les continents du globe, que toute personne
est susceptible un jour d'être concernée par un trouble mental et
que les maladies sont influencées par un ensemble de facteurs :
biologique, psychologique et sociaux.
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Figure 2 : Interaction des facteurs biologiques,
psychologiques et sociaux dans la survenue et l'évolution
des troubles mentaux et du comportement
Ainsi, comme l'écrit Anne Biadi-Imhof (2006, p.
485)53, « la dimension psychique de la vie sociale
apparaît désormais comme un enjeu collectif majeur qui concerne,
au-delà du politique et de la psychiatrie, les sociétés
dans leur ensemble ». La médecine dans son ensemble a connu des
changements apportant des transformations, touchant alors directement
52 Organisation Mondiale de la Santé Mentale (2005).
Ouvrage de référence sur la santé mentale, les droits
de l'homme et la législation. Bibliothèque de l'OMS
53 Biadi-Imhof, A. (2006). « La santé mentale dans le
rapport nord-sud. Présentation : contexte et enjeux », Revue
Tiers Monde, 2006/3 (n°187), p.485-508
58
le monde de la psychiatrie. Cette dernière est donc
à la recherche d'une nouvelle légitimité. La question est
alors posée par Biadi-Imhof (2006, p.486) puisque « la rencontre
entre la représentation du « besoin » de soins psychiques,
formulé ou non par les populations ou les Etat du Sud, et les
réponses apportées par les pays du Nord en terme de techniques
thérapeutiques d'abord, de représentation et modèles
théoriques ensuite, de coopération, développement,
interventions humanitaires enfin, n'est pas sans interroger sur les
capacités des acteurs de la santé mentale à intervenir
auprès des populations qui ont des références culturelles
et des contextes économiques, sociaux et politiques si fondamentalement
différents ».
La question de la législation de la santé
mentale est légitime et fondamentale. Elle a d'ailleurs
été au coeur de la réflexion d'un groupe de travail de
l'OMS en 2005. Elle a pour but « de protéger, promouvoir et
améliorer la vie et le bien-être mental des citoyens » (OMS,
2005, p.1). Cela est d'autant plus vrai que les personnes vivant avec des
troubles mentaux sont plus vulnérables de manière
générale et plus particulièrement face aux abus et aux
violations de leurs droits. Il est vrai que dans de nombreuses cultures, les
personnes atteintes de troubles mentaux sont souvent victimes de stigmatisation
et de discrimination. Il est donc nécessaire de mettre en place un
dispositif afin de les protéger. Selon ce groupe de travail, la
législation doit être perçue comme un outil permettant
l'accès aux soins de santé mentale et à la protection des
droits de chacun. De ce fait, elle doit se faire progressivement. Cette
dernière s'appuie sur les textes des Droits de l'Homme et concerne les
gouvernements puisqu'ils sont tenus de faire respecter, de promouvoir et de
faire appliquer les droits fondamentaux tels que nous les retrouvons dans les
documents internationaux et régionaux existant.
Cependant, « la législation de la santé
mentale est plus qu'une simple législation de soins et traitement. Elle
fournit un cadre juridique pour l'étude de questions cruciales de
santé mentale telles que l'accès aux soins, à la
réadaptation et aux soins de suivie, l'intégration
complète des personnes atteintes de troubles mentaux dans la
société et la promotion de la santé mentale dans
différents acteurs de la société » (OMS, 2005, p.19).
La législation proposée par l'OMS (2005) est
complémentaire aux politiques et aux programmes de santé. Elle a
pour but de parvenir à la réalisation des objectifs de
santé publique et de politique sanitaire mis en place, comme le
précise l'OMS (2005).
L'OMS (2001, p.xi-xiii), travaillant sur les questions de
santé en général mais aussi se penchant sur la
problématique de la santé mentale depuis peu, propose
plusieurs
59
recommandations (10) sur les mesures à prendre afin de
prendre en charge au mieux les troubles mentaux partout dans le monde.
La première recommandation est de « traiter les
troubles au niveau des soins primaires », permettant l'accès
à un nombre plus important de personne. Cela sous-entend que le
personnel de santé travaillant au sein des dispensaires doit être
formé aux problématiques psychiatriques afin de pouvoir prendre
en charge les individus atteints de troubles mentaux de la meilleure
façon possible.
La seconde recommandation est d'« assurer la
disponibilité des psychotropes » dans les différents centres
de soin des pays et d'être inscrit sur la liste des médicaments
essentiels puisqu'ils permettent de prendre en charge une crise pendant
l'absence de personnel psychosociaux compétent.
La troisième recommandation est de « soigner au
sein de la communauté » afin d'éviter les temps en
institution dans les sociétés du sud. Les soins communautaires
sont alors plus économiques pour le malade et sa famille, mais
également plus respectueux des droits de l'homme.
La quatrième recommandation est d'« éduquer
le grand public » afin d'informer la population sur l'existence de
certaines troubles, ainsi que de diffuser auprès d'un grand public les
différents traitements possibles et les possibilités de
guérison. Les outils principaux sont des campagnes d'éducation et
de sensibilisation au sein des écoles, des lieux de rassemblement par
exemple.
La cinquième recommandation est d'« associer les
communautés, les familles et les consommateurs » à la
réflexion autour des programmes, des politiques et des services afin que
ces derniers soient le plus adaptés à la demande.
La sixième recommandation est d'« adopter des
politiques, des programmes et une législation au niveau national »
se basant sur les connaissances actuelles et les droits de l'homme. La
réforme de la santé mentale doit être directement
intégrée dans la réforme du système de santé
en général.
La septième recommandation est de «
développer les ressources humaines » afin d'avoir du personnel
médical et paramédical au sein des centres de soins. Pour que
cela soit possible, il faut alors renforcer la formation du personnel en
santé mental déjà existant et augmenter le nombre de
soignants spécialisés.
La huitième recommandation est d'« établir
des liens avec d'autres secteurs », c'est-à-dire travailler en
commun avec le secteur de l'éducation, de la justice, mais
également avec les organisations non gouvernementales afin
d'améliorer la santé mentale.
60
La neuvième recommandation est de « surveiller la
santé mentale des communautés » afin de dégager les
tendances et de mieux comprendre l'apparition de certains troubles. Cela permet
également d'évaluer l'efficacité des programmes mis en
place et de les adapter si besoin.
Enfin, la dixième recommandation émise par l'OMS
(2001) est de « soutenir la recherche » afin de mieux
appréhender les troubles mentaux dans leur genèse, leur
évolution et leur guérison.
Ainsi, comme nous venons de le voir, la santé mentale
est au coeur des préoccupations depuis plusieurs années. Il est
d'ailleurs vrai que de nombreuses organisations non gouvernementales proposent
désormais des programmes prenant en charge le bien être psychique
des individus se trouvant en situation précaire. Biadi-Imhof (2006)
observe une augmentation du nombre de psychiatres et de psychologues dans la
médecine humanitaire, comme chez Médecins sans frontières
(MSF) et Médecins du Monde (MDM) pour les plus représentatifs.
C'est également le cas d'Action Contre la Faim par exemple et ses
programmes en Santé Mentale et Pratiques de Soins (SMPS) afin de prendre
en charge les troubles psychiques apparus suite à des catastrophes
naturelles ou des conflits armées, mais également les dyades
mère/enfant qui se retrouvent en difficulté (malnutrition, lien
mère/enfant fragile, etc.).
Cependant, Luciano Carrino (2006)54 s'interroge sur
le sujet de la santé mentale, de la coopération et du
développement dans son article. Carrino (2006, p.509) débute son
article en faisant le constat que « les approches couramment
adoptées par les professionnels de la santé mentale montrent des
insuffisances conceptuelles lorsqu'elles sont appliquées aux situations
d'extrême pauvreté et d'insécurité ». Il
réfléchit alors sur le comportement du personnel de santé
venant des pays occidentaux qui pratique au sein des pays du sud. Ses
observations l'ont mené a mettre en lumière deux pratiques. La
première étant celle ou le praticien applique à la lettre
ce qu'il a appris dans son pays d'origine, sans réellement
réfléchir. Cette pratique, du fait d'utiliser des méthodes
conçues sur des bases culturelles complètement
différentes, montre certaines faiblesses puisqu'elle n'est pas
réellement adaptée. La seconde pratique est celle de
l'éthnopsychiatrie, c'est-à-dire de prendre en compte les
différences culturelles, de les évaluer et de chercher les
connexions. Cependant, cette seconde pratique présente elle aussi
54 Carrino, L. (2006). « Santé mentale,
coopération et développement, au delà des techniques
d'importation dans l'aide humanitaire : l'expérience du Prodere »,
Revue Tiers Monde, 2006/3, (n°187), p.509-525
61
certaines faiblesses, comme un ralentissement de l'action afin
de ne pas trop perturber et troubler la culture de l'autre.
Bien que les programmes soient mis en place pour aider les
populations défavorisées, il subsiste quelques défauts
dans l'aide humanitaire. Selon Carrino (2006), l'un des principaux
défauts est la création de dépendance et de
passivité chez les populations aidées. De plus, l'aide
humanitaire peut également attiser les conflits entre les populations
vulnérables. En effet, les programmes répondent à certains
critères pouvant mettre les bénéficiaires en
compétition les uns avec les autres. Les ONG sont elles aussi en
compétition en termes de financement, de visibilité ou encore
d'idéologie. Le troisième défaut mis en avant par Carrino
(2006) est la désagrégation sociale, conséquence de la
gestion par secteur des problèmes présents sur le terrain. Les
individus sont pris en charge en fonction de leurs critères, et non pas
de leurs appartenances locales par exemple. Enfin, tous ces petits
défauts impactent alors directement les personnes aidées et
peuvent aller jusqu'à atteindre leur dignité propre. Selon
Carrino (2006), psychiatre, dans ces situations c'est directement le « Moi
» de la personne qui est touché et déstabilisé, ce
qui peut créer des failles par la suite.
Ainsi, il consacre son article à une réflexion
pour améliorer l'aide humanitaire. Selon lui, l'aspect fondamental est
de ne pas séparer les messages symboliques de l'action.
C'est-à-dire qu'ils ne doivent faire qu'un et être
cohérents les uns avec les autres. Les populations vulnérables ne
sont pas seulement faibles et passives en raison des difficultés
rencontrées, mais également car elles évoluent au sein
d'une période de frustration qui déstructure leur organisation.
En effet, le Moi comme instance de la personnalité, est sans cesse
à la recherche de la satisfaction. S'il y parvient, l'individu se trouve
alors dans un cycle affectif positif. Et plus l'individu connaît de
cycles positifs, plus le Moi se renforce et plus l'individu a confiance dans
ses capacités. Lorsque le Moi ne parvient pas à la satisfaction,
il ne se décourage pas directement et va mettre en place des
stratégies pour être satisfait par la suite. Si la satisfaction
est impossible, il va alors connaître un cycle affectif négatif.
Et dans la même logique, plus il va rencontrer des cycles négatifs
et plus le Moi va faiblir, l'individu devenant moins sur de ses moyens. A
terme, si les cycles affectifs négatifs sont plus nombreux que les
cycles affectifs positifs, l'individu va se démobiliser, perdre de la
volonté et de l'énergie, pour entrer dans une spirale proche de
la dépression. Ce sont souvent à ce stade que les gens vivant
dans des situations précaires oscillent.
Si nous voulons que les programmes humanitaires aient un sens
et fonctionnent, il faut alors s'appuyer sur la théorie de Carrino
(2006). « Le but de la relation d'aide doit viser dès le
début la reconquête et le renforcement du rôle actif des
Moi, temporairement en détresse,
62
dans la gestion des problèmes qui se présentent
» (Carrino, 2006, p.517). En effet, si ce dernier est remobilisé,
il va pouvoir reprendre confiance en lui et retrouver l'énergie pour
s'en sortir, avec l'aide des programmes environnant le temps dont il en a
besoin. Il faut alors trouver le juste équilibre entre apporter de
l'aide, sans pour autant priver les gens de leur savoir faire et ressources
personnelles.
Pour cela il existe plusieurs stratégies, plusieurs
méthodes possibles. Dans le cadre de la santé mentale et plus
particulièrement de la psychologie, il existe de nombreuses
théories pouvant s'appliquer de différentes manières. Dans
la prochaine partie nous allons voir les principaux courants et la
manière dont ils peuvent être adaptés dans une culture
différente.
2. Les théories utilisées et leur
adaptabilité
La psychologie est une science qui existe depuis de nombreuses
années. Au début elle était dans les traces de la
philosophie et ce n'est qu'au XIXème siècle qu'elle va
prendre son envol et se développer en Europe. Très vite de
nombreux courants se développent, avec chacun leurs
particularités et leurs méthodes afin de parvenir à un
bien être psychique. Il y a souvent conflit entre les pères
fondateurs de chacun de ses courants, chacun voulant être à
l'origine de la méthode miracle.
Comme nous allons le voir, tous ces courants prennent
naissance en Europe, voir aux Etats-Unis, dans des pays dits occidentaux. En
France, l'université et l'Ecole de Psychologues Praticiens nous forment
sur ces modèles théoriques qui ont vu le jour dans la même
culture que nous. Pendant les cinq années de formation, nous apprenons
les théories, les concepts et les méthodes. Puis pour la plupart
d'entre nous, nous débutons notre vie professionnelle en nous appuyant
sur un courant particulier en fonction de nos affinités et nous
évoluons dans notre culture tout au long de notre carrière. Puis
pour d'autres, l'envie d'aller voir ailleurs prends le dessus, puis l'envie de
travailler et d'utiliser ses compétences afin d'aider des populations
vulnérables également. Je me reconnais dans cette seconde
catégorie et c'est pour cela que j'ai fait le choix d'entreprendre ce
Service Civique à l'international. Cependant, ce choix de pratiquer la
psychologie dans une tout autre culture a été accompagné
de nombreux questionnements qui sont à l'origine de ce mémoire.
En effet, je me demande alors de quelle manière les théories et
méthodes apprises sont adaptées à une pratique dans une
culture traditionnelle africaine.
63
N'étant moi-même pas réellement sûre
du courant de pensée qui me plait le plus, pensant qu'il y a du bon dans
chacun d'entre eux selon la demande et les symptômes, j'étais un
peu perdue à mon arrivée. Première expérience
professionnelle en tant que psychologue, pays à la culture
complètement différente de la mienne, première
expérience humanitaire et premiers étonnements. En effet, tout ce
qui m'avait été enseigné à l'école
était remis en cause. Le cadre, concept tellement important en
psychologie, était complètement déstructuré. Je
suis très rapidement confrontée à cette notion du temps
élastique caractéristique de l'Afrique, et également au
concept d'efficacité. Au Congo-Brazzaville on prend le temps, le temps
pour tout, laissant de côté le rendement. La question de l'argent
m'étonne également. A mon sens, l'argent représente
quelque chose dans la relation thérapeutique, il joue un rôle
symbolique. L'acte de payer le thérapeute est important. Cependant, dans
le projet dans lequel j'interviens, c'est le psychologue qui donne de l'argent
pour le transport, ce qui permet aux malades de se déplacer en
consultation. Une fois de plus je me retrouve décontenancée et
toutes mes connaissances théoriques s'en trouvent remises en cause.
Le cadre est donc mis à rude épreuve mais pas
seulement. La majorité de mon temps d'activité est
consacré au suivi thérapeutique des patients et au
réapprovisionnement des médicaments luttant contre le VIH. Les
notions de base de l'entretien thérapeutique sont elles aussi
différentes, voire inexistantes. En effet, les trois principes
fondamentaux de l'entretien thérapeutique sont l'empathie, la
neutralité bienveillante et la confidentialité. Très
rapidement j'ai constaté que ces principes, essentiels à la
création et la mise en place de l'alliance thérapeutique,
n'étaient que très rarement respectés. Bien entendu, il
est possible d'observer de l'empathie chez le personnel soignant, d'autant plus
que ces derniers sont recrutés en partie en raison de leur
sérologie positive. Mais en règle général, les
bureaux de consultation sont comme des moulins, où chacun vient dire
bonjour, s'asseoir auprès des patients, écouter et même
prendre part à la consultation sans s'assurer auparavant de la
possibilité de le faire ! Il m'a alors été très
difficile d'assurer une consultation avec autant d'oreilles, d'yeux et de va et
vient autour de moi, ce qui stoppait le processus thérapeutique dans la
plupart des cas.
Je me suis sentie perdue, ne sachant pas vraiment par
où commencer et me demandant quelle était ma
légitimité de modifier cette organisation. Bien entendu il
s'agissait de trouver un compromis entre mes connaissances théoriques et
universitaires et la pratique la plus adaptée à la culture dans
laquelle j'évoluais. Afin de trouver des réponses à mes
questions, j'ai rencontré rapidement le docteur Paul Gandou, psychiatre
à l'hôpital psychiatrique de Brazzaville afin qu'il me donne des
clefs pour mieux comprendre les situations auxquelles
64
j'étais confrontée quotidiennement. Le premier
entretien que nous avons eu en octobre 2015 m'a permis d'appréhender les
choses différemment afin de mieux adapter ma pratique aux conditions
réelles et à la culture congolaise. J'ai à nouveau
rencontré le docteur Paul Gandou à la fin de ma mission, ainsi
que les psychologues Raymond Sita et Michel N'Zalamou avec lesquels j'ai pu
discuter des différents courants et de leurs pratiques en
République du Congo.
Dans un premier temps nous évoquerons le courant de la
psychologie dynamique, proche de la psychanalyse, et qui est également
le courant principal de l'école dans laquelle j'ai été
formée. Le père fondateur est le célèbre autrichien
Sigmund Freud. Ce courant s'appuie sur la structuration de la personne en trois
instances : le Ca, le Surmoi et le Moi dont parlait Carrino (2006) dans son
article. L'être humain se développe grâce aux pulsions
d'autoconservation et sexuelles et grandit en passant par les
différentes étapes du développement libidinal. Tout
symptôme présent à l'âge adulte trouve son origine
dans l'enfance de l'individu. Docteur Gandou fait la différence entre la
théorie d'origine analytique et la psychanalyse. Selon lui, la
psychanalyse à proprement parler n'a pas réellement sa place dans
la culture congolaise. Il y a d'ailleurs très peu de psychanalyste au
Congo-Brazzaville et je n'ai rencontré qu'un seul spécialiste
évoquant Sigmund Freud dans son discours. En revanche, les
théories analytiques peuvent avoir du sens dans les cultures africaines.
En effet, il évoque le concept du mari de nuit dont il m'a parlé
à plusieurs reprises. Ce concept est présent quand la personne,
le plus souvent une femme, rêve à des relations sexuelles avec une
personne inconnue ou connue qu'elle appellera le mari de nuit. Ce rêve
est alors perçu comme un événement mystique ou le mari de
nuit représente le mal et l'envoûtement. Dans un premier temps, la
personne va se diriger vers l'Eglise afin de rompre l'envoûtement. Mais
très souvent, ce dernier en accusant un membre de la famille, va
renforcer l'élément négatif faisant que les rêves
vont persister. C'est là que les théories analytiques, et plus
particulièrement les méthodes d'analyse de rêve, entrent en
jeu et peuvent avoir du sens au sein de la culture congolaise.
Proche de ce courant, il y a la psychologie clinique, qui est
largement pratiquée en République du Congo. En effet, depuis peu,
cette spécialité de la psychologie est enseignée à
l'université de Brazzaville, formant dorénavant des psychologues
cliniciens.
Le second courant important est la psychologie
systémique et familiale, qui est celle que je pensais retrouver en
Afrique. L'individu est pris en compte dans son entourage, dans le groupe
auquel il appartient. L'école de Palo-Alto utilise essentiellement les
concepts de rétroaction et de feedback. Le postulat de base est que tout
comportement de l'un rétroagit sur
65
l'autre qui rétroagit à son tour. La famille est
alors considérée comme un système au sein duquel existent
des règles explicites et implicites. Ce système est
lui-même intégré dans un environnement sociologique avec
lesquels il y a des interactions. Afin de comprendre les comportements, il est
essentiel de connaître le contexte c'est-à-dire l'ensemble des
éléments qui affectent le système. Il est impossible de
comprendre un comportement sans connaître le système dans lequel
il est produit. Etant donné que la communauté et le groupe sont
très importants dans les cultures traditionnelles africaines comme nous
l'avons vu, je pensais que ce courant serait plus présent au
Congo-Brazzaville. Le docteur Paul Gandou nous explique pourquoi ces
méthodes sont peu pratiquées. P. Gandou rejoint l'idée que
la théorie systémique est peut être la théorie la
plus adaptée mais elle est difficile à mettre en place. En effet,
comme la famille en Afrique correspond à la famille au sens large,
réunir tout le monde à la même heure et au même
endroit représente une charge de travail conséquente et une
organisation difficile.
Le dernier courant est celui qui est utilisé
quotidiennement par le psychiatre Paul Gandou dans sa pratique, mais
également pas Michel N'Zalamou. C'est le courant des thérapies
cognitivo comportementales (TCC) qui s'appuie sur la psychologie cognitive et
scientifique. Le postulat est que tout comportement est créé par
un conditionnement, comme l'explique l'expérience de Pavlov. Des fois,
certains conditionnements peuvent être inadaptés, entrainant un
comportement inadapté pouvant également être appelé
symptôme. Le but des TCC va alors être de rationnaliser ce
comportement inadapté en changeant les perceptions de l'individu afin
qu'il corrige sa conduite. Cette pratique prend alors tout son sens dans la
culture africaine qui s'articule autour de la sorcellerie comme nous l'avons
vu. Ainsi, selon Paul Gandou, la prise en charge doit s'appuyer sur les
perceptions de l'individu. Sa pratique est associée avec des exercices
de relaxation afin de diminuer les tensions internes.
Les TCC ont également développé des
méthodes pour gérer le stress post-traumatique que nous
retrouvons de plus ne plus dans les pays en crise. En effet, suite à des
conflits armés ou à des catastrophes naturelles, certaines ONG
ont mis en place les techniques de soins des troubles de stress
post-traumatique, comme le débriefing, afin d'apporter de l'aide aux
populations locales et vulnérables. C'est le cas à Brazzaville,
ou le Centre National de Traitement des Traumatismes Psychiques a
été mis en place à la suite des guerres civiles des
années 1990. L'initiative est partie de l'UNICEF, ONG internationale
reconnue et agissant au Congo-Brazzaville depuis plusieurs années, qui a
fait venir un psychiatre du Sénégal pour former les
équipes sur place à cette dimension. C'est réellement
après la catastrophe du 04
66
mars 2012, lors de l'explosion d'un dépôt d'armes
à Mpila qui a fait plus de 200 morts, que ce centre de traitement a pris
de l'ampleur au sein de la communauté de psychologues brazzavillois.
Parler de psychologie dans les cultures traditionnelles
africaines sans évoquer la psychologie interculturelle et plus
particulièrement l'éthnopsychiatrie est impossible.
L'éthnopsychiatrie a été fondé par Tobie Nathan qui
a débuté la prise en charge des patients migrants à la fin
des années 1970. Selon Lauriane Courbin (2010, p.240)55,
« ce qui fait la spécificité de l'ethnopsychiatrie, c'est
qu'elle est une discipline qui contraint à la rencontre, parce qu'elle
se contraint elle-même à la rencontre, si l'on entend par «
rencontre » le type de mise en rapport que requiert la singularité
d'une situation ». Cependant, ce courant est sujet à des critiques
par rapport aux méthodes utilisées. L'éthnopsychiatrie est
alors un courant hybride entre l'anthropologie et la psychiatrie afin de
répondre aux problématiques des personnes ayant
évolué dans des cultures différentes. En France, selon son
fondateur, « l'ethnopsychiatrie s'est avant tout développée
de manière clinique et plutôt en direction de la
psychothérapie » (Tobie Nathan, 2000, p.137)56.
Tobie Nathan (2000) ne cesse de développer son approche
et continue de développer de nouveaux paradigmes comme il l'explique
dans son article. Il cherche alors à prendre de la distance avec les
démarches néo-colonialistes et se base sur la mondialisation afin
de proposer de nouvelles bases théoriques s'articulant sur trois points.
Tout d'abord, il ne faut pas disqualifier les psychopathologies locales et les
respecter. Puis, il propose de mettre en valeur les implicites
théoriques des pratiques traditionnelles. Enfin, le troisième
point est l'importance de montrer que ces pratiques locales peuvent elles aussi
donner des solutions aux problèmes rencontrés par tous les
thérapeutes. Tobie Nathan (2000, p.139) précise tout de
même que « cette tentative, certes ambitieuse, n'est possible que si
l'on considère sur le même plan - c'est-à-dire avec un
égal respect - les thérapeutes occidentaux et les
guérisseurs locaux ». Ainsi, l'ethnopsychiatrie a réussi
à s'éloigner des modèles coloniaux à travers les
expériences originales qu'elle traverse.
Comme nous avons pu le voir, même si la plupart des
approches en psychologie ont vu le jour dans les sociétés dites
occidentales, il est possible de les adapter à d'autres cultures. Le
55 Courbin, L & al. (2010). « Philosophie et
ethnopsychiatrie : rencontre avec une pensée fabricatrice »,
Cliniques méditerranéennes, 2010/1 (n°81),
p.239-258
56 Nathan, T. (2000). « Psychothérapie et
politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de
l'ethnopsychiatrie », Genèses, 2000/1 (n°38),
p.136-159
psychiatre Paul Gandou partage également cet avis. Ce
qu'il faut retenir c'est l'importance de rencontrer l'autre, de prendre en
compte ses représentations avant les siennes. Cela me rappelle la phrase
de Jean Vanier qui avait marqué un bon nombre d'entre nous lors de la
formation :
« Tu as toujours voulu me changer mais jamais me
rencontrer ».
3. Les politiques de santé publique en termes de
santé mentale
Comme nous l'avons vu précédemment, la
santé mentale est au coeur des nouvelles préoccupations
gouvernementales en termes de santé. Cependant, les troubles mentaux ont
longtemps été pris en charge par les médecines
traditionnelles et encore aujourd'hui. Comme l'écrit Kastler (2011,
p.172) dans son article, « les malade sont souvent
considérés comme « possédés » par
l'esprit des ancêtres ou agressés par la sorcellerie. Cela
entraine des réponses inadaptées et contribue à
stigmatiser ceux qui souffrent de maladies mentales. Ce sont les
guérisseurs et les dirigeants religieux qui sont ainsi amenés
à traiter les maladies mentales en raison de l'influence de la tradition
et du manque d'infrastructures adéquates ». Ce dernier point que
Kastler (2011) évoque est important et primordial€ dans la
compréhension de la prise en charge en santé mentale.
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a Basé sur les informations communiquées par 181
Etats Membres bBasé sur les informations communi uées
ar 160 Etats Membres
67
Figure 3 : Présence de politiques et de
législation de santé mentale, pourcentage d'Etats Membres par
Région, OMS
2000
L'OMS (2001) fait un état des lieux de la situation
actuelle. De nombreux pays du sud ne disposent pas de politiques de
santé mentale, ni même de législation alors que ces
dernières sont essentielles afin de protéger les personnes
vulnérables. Comme nous pouvons le voir sur les figures, en Afrique,
dans 52% des cas, les politiques de santé mentale n'existent pas.
Cependant, nous pouvons remarquer que dans 59% des cas, une législation
de santé mentale existe dans le pays.
68
De plus, les pays d'Afrique sont confrontés à
l'absence de structures et de personnel pour prendre en charge correctement ces
malades. En effet, comme le précise Kastler (2011) qui s'appuie sur les
chiffres de l'OMS (2001), nous comptons un psychiatre pour 5 millions
d'habitants. A comparaison, en Europe, il y a un psychiatre pour 1000
personnes. La République du Congo n'est pas la dernière du
classement mais est loin des standards européens. Dans tout le pays qui
compte 4 millions d'habitants, il y a quatre psychiatres. Deux d'entre eux
officient au Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville, dont le docteur
Paul Gandou que j'ai eu l'occasion de rencontrer à plusieurs reprises ;
un psychiatre intervient à l'hôpital militaire de Brazzaville ; un
psychiatre à Pointe-Noire (capitale économique du pays). Il y a
aussi un psychiatre retraité qui officie en libéral pour soulager
les services psychiatriques surchargés lorsque cela est
nécessaire. Tous ces psychiatres ont été formés
à l'étranger avant de revenir pratiquer au Congo puisque
l'université Marien N'Gouabi ne propose pas le cursus adapté.
Cela met en avant la première faiblesse du système : la formation
des professionnels de santé spécialisés en santé
mentale. Afin de répondre aux besoins des populations il semble
essentiel de renforcer la formation du personnel pour mieux prendre en charge
les malades.
Sarah Sauneron (2011)57 consacre un article
à un phénomène important en Afrique : la fuite des
cerveaux. Chen et ses collaborateurs (2004)58 estime qu'il manque 4
millions de professionnels médicaux dans les pays les plus pauvres. Ce
constat est le même quelques années plus tard. L'OMS
(2006)59 évoque une situation extrêmement
préoccupante avec 57 pays en manque important de personnel de
santé, dont de nombreux en Afrique. Cela est d'autant plus
inquiétant que l'OMS (2006) évalue que 20% des personnes malades
se trouvent en Afrique, alors que ce continent ne compte seulement que 4% des
agents de santé. Il existe donc bel et bien une pénurie de
personnel médical dans les différents pays qui peut être
expliquée par plusieurs facteurs. Sauneron (2011) différencie les
facteurs de départ et les facteurs d'attraction pour expliquer ce
phénomène important. Les facteurs de départ sont donc ceux
qui motivent les professionnels à quitter leur pays afin
d'émigrer dans un nouveau, ce sont des facteurs propres au pays. Les
plus récurrents sont les conditions de travail et les
57 Sauneron, S. (2011). « La migration des
médecins africains vers les pays développés ».
Santé internationale : Les enjeux de santeì au
Sud. Paris : Presses de Science Po, 207-213
58 Chen, L. & all. (2004). « Human ressources for
health: overcoming the crisis », The Lancet, 364 (9449),
p.1984-1990
59 Organisation Mondiale de la Santé Mentale (2006).
Travailler ensemble pour la santé. Rapport sur la santé dans
le monde. Bibliothèque de l'OMS
69
difficultés rencontrées, l'instabilité
politique et économique du pays et enfin l'absence de valorisation. En
revanche, les facteurs d'attraction sont liés au pays d'accueil et
à ce qu'il offre de meilleur, comme un salaire plus attrayant, des
meilleures conditions d'éducation pour les enfants de la famille ou
encore des possibilités de promotion professionnelle. Ces facteurs
associés il est tout à fait possible de comprendre la
décision des médecins d'émigrer vers d'autres pays.
Afin d'éviter la fuite des cerveaux, plusieurs
solutions sont possibles. Les organisations internationales s'accordent sur la
nécessité d'agir de manière coordonnée et
rapidement. L'une des premières solutions envisagées est de
financer les pays africains formateurs afin de favoriser l'éducation,
mais également pour compenser le manque à gagner de ces
départs. La seconde action est d'instaurer des codes de recrutement
éthiques étant donné que certains pays mènent des
politiques de recrutements qui poussent à l'émigration de ces
médecins africains. Il existe donc huit documents internationaux pour
encourager le recrutement international éthique de personnel de
santé. Ces textes sont intéressants mais ils n'ont qu'une marge
d'action limitée car ils ne sont pas obligatoires. Enfin, une autre
solution possible est la mise en place de mesures de restriction (services
obligatoires, etc.) dans les pays à forte émigration. Tout cela
étant très compliqué, les institutions internationales
mettent en avant la migration circulaire. Cette migration consiste à
voir les médecins revenir au pays après leur formation. Ainsi,
« l'objectif n'est donc pas d'empêcher la circulation entre le Nord
et le Sud mais bien d'inciter les médecins à revenir dans leurs
pays » (Sauneron, 2011, 210).
Il faut donc améliorer plusieurs dimensions afin de
voir la fuite des cerveaux ralentir. Travailler sur les politiques de
recrutements est essentiel, mais il est également important d'essayer de
réduire les facteurs de départ afin d'inciter les médecins
à rester dans leur pays d'origine.
Au Congo-Brazzaville, il y a de plus en plus de psychologues,
et plus particulièrement de psychologues cliniciens. En effet,
l'université Marien N'Gouabi forme des psychologues
généraux depuis les années 1980 et a ajouté
à son offre de formation la psychologie clinique depuis plusieurs
années. Le métier est petit à petit en train de se
démocratiser et de faire sa place dans la société.
Cependant, il est encore très rare de trouver des cabinets
libéraux ouverts au public. Les psychologues formés ont longtemps
essentiellement travaillé dans les administrations, comme c'était
le cas pour Monsieur Raymond Sita rencontré en entretien. Depuis peu,
les psychologues font leur entrée dans les services des hôpitaux
du pays. Il y a donc désormais une psychologue dans le service
psychiatrique qui travaille au côté des deux
70
psychiatres. Egalement il y a des psychologues dans les
services de neurologie et de cardiologie afin de prendre en charge le stress.
Beaucoup d'entre eux sont également engagés par les ONG
internationale (Terre Sans Frontière, Croix Rouge Française,
etc.) afin d'intervenir sur les programmes spécialisés comme la
prise en charge des personnes vivant avec le VIH ou des réfugiés
au nord du pays par exemple.
Au cours de mon expérience au Congo, j'ai eu l'occasion
d'assister à la première journée de la « Psychologie
et de la Santé Publique » le 12 mai 2016. Cette journée a
été organisée à l'initiative du département
de la psychologie et du département de la santé publique de
l'université Marien N'Gouabi de Brazzaville. Le thème principal,
« Pathologie Psychosomatique et Psychotraumatique » a donné
lieu à plusieurs conférences. Son objectif principal a
été de créer du lien entre ces deux départements et
le CHU de Brazzaville qui a accueilli cet événement. Le
partenariat avec le CHU est essentiel car il y a une demande pour la
présence des psychologues au sein des différents services. Ce qui
créerait un lieu ou les étudiants pourraient effectuer leurs
stages universitaires et pratiquent pour la première fois
encadrés par un tuteur. La salle était pleine à craquer.
Des médecins, des psychiatres, des psychologues et de nombreux
étudiants ont assisté à des conférences plus
intéressantes les unes que les autres. En plus des conférences,
des débats se sont tenus afin d'évoquer les problèmes de
législation inexistante au Congo-Brazzaville, et l'absence de
déontologie. La fin de journée a été
consacrée à la création d'un code de déontologie
afin de mieux définir la pratique des psychologues.
Selon le docteur Paul Gandou, le plus gros problème
à Brazzaville c'est que tout le monde fait ses choses dans son coin,
qu'il n'y a pas de communication entre les différentes institutions. Les
ONG travaillent dans leur coin, le système judiciaire aussi et fait
appel aux psychiatres lorsqu'ils en ont besoin. Les psychologues font de
même et travaillent là où ils le peuvent.
Un autre problème est la présence de personnes
non qualifiées à la tête de certains gouvernements, comme
celui qui prend en charge la problématique de la santé mentale.
Depuis son investiture à la tête du ministère de la
santé mentale, ce ministre n'a encore jamais mis les pieds dans le
service de psychiatrie de la ville. Et comme le souligne Dr Gandou, si le
ministre ne se déplace pas dans le lieu de référence de la
prise en charge de la maladie mentale, les réformes ne vont pas pouvoir
se faire, ou du moins seront inadaptées. Comme il n'y a pas de
politiques existantes sur la santé mentale, il ne peut pas y avoir de
moyens attribués et donc il est impossible de faire la promotion de la
santé mentale et de ses
71
problématiques. Il est donc difficile pour les
individus d'avoir accès à l'information et donc au soin
psychiatrique si nécessaire.
De plus, étant donné que le service de
psychiatrie est rattaché au CHU de la ville, ils n'ont qu'une
très faible liberté de mouvement sur certains choix importants
(budget, aménagement, etc.). Le CHU prend en charge le service de
psychiatrie comme un autre service, ce qui n'est pas adapté à la
demande réelle.
Cette journée montre que les choses sont en train de
bouger petit à petit. Que le pays est en train de prendre conscience de
l'importance de la prise en charge de la santé mentale et de la
nécessité de former son personnel médical. Au fil des
années, les lieux de soins des troubles mentaux sont de plus en plus
visibles et accessibles aux malades. Ainsi, les réformes sont petit
à petit mises en place dans le pays afin de voir une amélioration
de la prise en charge de ces malades. Au fil des dernières
décennies, des changements ont déjà pu être
constatés, ce qui est encourageant pour la suite.
72
Conclusion
Nous voilà à la fin de ce travail qui a pour
objectif de répondre à la question suivante :
Quelle place pour la psychologie dans une culture
traditionnelle africaine ?
Afin de répondre à cette large question, nous
avons réduit notre champ d'étude à la République du
Congo, pays dans lequel j'ai passé mon service civique et
travaillé au sein des centres de santé intégrés. Le
Congo-Brazzaville, comme nous l'avons vu, a une culture traditionnelle
africaine. Cette culture est largement empreinte des religions animistes,
où les sorciers, les génies et les ancêtres jouent un
rôle important au sein de la société.
La psychologie, science d'origine occidentale, est liée
à la santé mentale de l'individu. Il a été
essentiel de définir la santé mentale au coeur de ce sujet de
recherche afin d'en délimiter le cadre. Pour cela nous nous sommes
appuyés sur les travaux de l'OMS, précurseur en termes de
réflexion autour de la santé mentale. Ainsi depuis une dizaine
d'année, la santé mentale est au coeur des préoccupations
actuelles dans les organisations internationales.
La société congolaise a la particularité
d'offrir plusieurs choix de recours thérapeutiques, et ce d'autant plus
avec l'urbanisation du pays au cours des dernières années.
L'itinéraire thérapeutique le plus courant dans les années
1980 a servi de squelette au plan de ce travail.
La première partie de ce travail a permis de faire le
point sur la réalité congolaise d'un point de vue
économique, démographique et politique, afin de mieux cerner les
problématiques actuelles présentes dans ce pays.
Nous avons donc consacré la deuxième partie de
ce travail à la culture traditionnelle africaine et ses
particularités et donc à la médecine traditionnelle qui a
longtemps été utilisée et qui encore aujourd'hui a une
importance certaine.
La troisième partie de ce travail a porté sur la
sphère religieuse, qui a connu une expansion incroyable au cours des
dernières décennies et qui joue également un rôle
majeur dans la prise en charge des malades au Congo-Brazzaville.
Enfin, la dernière partie a été
consacrée à la prise en charge des troubles mentaux par les
institutions médicales et psychiatriques présentes dans le pays
depuis peu.
La question de base était de savoir si la psychologie,
d'origine occidentale, pouvait s'adapter à une culture
complètement différente comme les cultures traditionnelles
africaines. Pour nombre d'entre nous, la psychologie est avant tout universelle
comme nous l'a dit le
73
psychologue congolais Monsieur Raymond Sita rencontré
en entretien à Brazzaville. L'être humain, quelque soit son
origine, est animé par les mêmes pulsions, les mêmes
mécanismes physiologiques et psychologiques. Cependant, il est tout de
même marqué par sa culture dans laquelle il évolue depuis
sa naissance, et peut-être même avant. La culture joue un
rôle important sur la personne, elle le modèle, elle lui inculque
les valeurs et les normes qu'il doit intégrer. Comme nous l'avons vu, la
culture traditionnelle africaine est particulière, avec ses codes
à elle et l'importance de la religion traditionnelle très
présente encore de nos jours. De ce fait, beaucoup de symptômes
sont directement associés à des phénomènes de
sorcellerie.
Malgré tout, les troubles psychiques présents en
Afrique ont de nombreux points communs avec ceux de l'occident. Ils ne
s'expriment pas tous de la même manière mais les mécanismes
sous-jacents sont similaires. De ce fait, les psychologues et psychiatres
présents pratiquent donc les théories qu'ils ont apprises lors de
leurs études à l'étranger. C'est le cas du psychiatre Paul
Gandou et du psychologue Michel N'Zalamou qui pratiquent les thérapies
cognitivo comportementales. A travers leurs témoignages, ils m'ont
montré la pertinence de ces théories et la possibilité de
les mettre en pratique au Congo ainsi que leur efficacité. Chacun des
grands courants peut alors trouver une accroche dans les cultures
traditionnelles africaines. Ce qui est important c'est de prendre le temps de
connaître l'autre, de comprendre son fonctionnement et de prendre en
compte ses représentations. Cette notion avait déjà
été abordée à la formation de départ
Intercordia par Gilles Le Cardinal. Les représentations sont au
coeur des relations interculturelles et rejoignent les dogmes théoriques
de certains courants de pensée comme l'éthnopsychiatrie.
Il est également nécessaire de prendre le temps.
Le temps, pour un psychologue occidental arrivant dans un pays africain pour
pratiquer, de découvrir son environnement, de découvrir ses
collègues, de découvrir la population et d'essayer de comprendre.
Nous l'avons évoqué, le temps en Afrique est très
élastique, et c'est le cas pour cette prise de contact. Il ne faut pas
trop brusquer les choses afin de favoriser l'alliance thérapeutique.
Peut-être est-il préférable de « perdre » un peu
de temps au début, afin de construire des bases solides, quitte à
ne pas répondre aux demandes d'efficacité des institutions ou des
sièges d'ONG se trouvant en occident. J'ai souvent évoqué
cette notion de temps dans mes rapports d'étonnement, j'ai
également abordé ce temps d'adaptation avec les patients, avec
les collègues.
74
J'avais alors cité un passage du célèbre
livre d'Antoine de Saint-Exupéry (1943)60 qui à mon
sens résume bien l'approche à adopter :
« C'est alors qu'apparut le renard . ·
[...]
- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis
tellement triste.
- Je ne puis jouer avec toi dit le renard, je ne suis pas
apprivoisé.
- Ah ! pardon, fit le petit prince.
Mais après réflexion, il ajouta
. ·
- Qu'est ce que signifie "apprivoiser" ?
[...]
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard.
Ça signifie "créer des liens"... »
A. de Saint-Exupéry, 1943, p. 66-68
La prise en charge de la santé mentale est donc
actuellement au coeur des préoccupations dans la communauté
internationale et de plus en plus présente en République du
Congo. Comme nous l'avons vu précédemment, dans les années
1980, l'itinéraire thérapeutique dominant était :
Apparition des troubles - Consultation du
tradithérapeute
Si persistance des troubles - Consultation du pasteur /
prêtre
Si persistance des troubles - Consultation du médecin /
psychiatre
Les entretiens avec les psychologues et psychiatre
rencontrés, ainsi que les analyses et les articles existants, nous a
permis de nous rendre compte d'un changement au fil des dernières
années. En effet, avec l'expansion des sphères religieuses
à la sortie des guerres civiles, ces dernières prennent de plus
en plus de place dans la société congolaise.
De ce fait, à l'heure d'aujourd'hui, les personnes qui
souffrent de troubles mentaux et leurs familles vont avoir tendance à se
diriger en premier vers leurs paroisses afin de consulter le pasteur ou le
prêtre. Ce dernier a pour mission de désenvoûter le malade
comme nous avons pu le voir. Il existe donc des centres prières qui
accueillent les malades, dans des conditions plus ou moins difficiles. Ainsi,
aujourd'hui l'itinéraire thérapeutique dominant prend cette forme
:
Apparition des troubles - Consultation du pasteur /
prêtre
Si persistance des troubles - Consultation du médecin /
psychiatre
Si persistance des troubles - Consultation du
tradithérapeute
60 de Saint-Exupéry, A. (1943). Le Petit Prince. Paris :
Gallimard
75
Cette recherche nous permet de voir que la psychologie a une
place cohérente au sein des cultures traditionnelle africaine, et plus
particulière en République du Congo. Elle est de plus en plus
utilisée par les ONG internationales au sein de différents
programmes d'aide aux populations vulnérables suite à conflits
armées, aux catastrophes naturelles, aux difficultés
économiques. Mais également de plus en plus présente au
sein des pays. Le Congo-Brazzaville propose dorénavant une formation
universitaire afin de diplômer des psychologues cliniciens. Cependant,
des efforts sont encore à fournir, au niveau de la qualité de la
formation mais également de la communication entre les
différentes institutions afin de sensibiliser la population aux
problématiques de santé mentale.
Pour cela, le gouvernement doit prendre part aux
réformes, doit s'investir et investir dans cette dimension de la
santé. Il doit donner les moyens aux acteurs pour prendre en charge
correctement les malades.
Le psychiatre Paul Gandou est confiant, les choses vont
s'améliorer et l'itinéraire thérapeutique va encore se
modifier en faveur des institutions psychiatriques. Il devrait alors prendre la
forme suivante :
Apparition des troubles - Consultation du médecin /
psychiatre Si persistance des troubles - Consultation du pasteur / prêtre
Si persistance des troubles - Consultation du tradithérapeute
Cela ne veut pas dire que la population locale abandonne son
identité, sa culture, ce qu'elle est, et ce d'autant plus que la
psychologie et la psychiatrie respecte cette dimension traditionnelle. Elles
s'adaptent aux représentations collectives, aux représentations
individuelles de chaque patient. Il est essentiel que chaque pratique
réponde à une certaine éthique enseignée. C'est
également pour cette raison qu'il est essentiel que le domaine de la
santé mental soit régi par une législation et un code de
déontologie afin de prévenir les excès. Comme nous l'avons
vu, des premiers textes ont été écrits pour une
législation de la santé mentale par l'OMS (2005) et des actions
naissent petit à petit au sein des pays comme c'est le cas au
Congo-Brazzaville avec l'organisation de la première journée de
« Psychologie et de Santé Publique ».
Il y a donc quelque chose qui se met en mouvement, petit
à petit, des mesures qui favorisent le développement des
institutions psychiatriques afin de prendre en charge les
76
personnes atteintes de troubles mentaux. La République
du Congo est un pays qui s'est enrichi grâce au pétrole et qui
possède actuellement un PIB important. C'est donc un pays qui a les
moyens de mettre en place des réformes, de construire des centres de
prise en charge répondant aux critères européens, de
fournir les psychotropes nécessaire. Mais c'est également une
société qui fonctionne à deux vitesses. En effet, d'un
côté nous avons la population favorisée, proche des
ministères la plupart du temps et qui possèdent une grosse partie
du pays. De l'autre, une population qui rencontre de nombreuses
difficultés pour se nourrir, se vêtir, se déplacer et
également se soigner. La classe moyenne n'existe pas réellement
au Congo. Etant donné l'existence d'un lien de causalité entre la
pauvreté et les troubles mentaux, c'est également cette classe de
la population qui a besoin d'être sensibilisée aux
problématiques de santé mentale, d'avoir accès aux soins
psychiatriques si nécessaire et également aux psychotropes.
La question est donc maintenant de savoir si le gouvernement
va prendre ses responsabilités et s'investir réellement pour
améliorer le service de prise en charge des personnes atteintes de
troubles mentaux ?
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