Comprendre le concept de conscience en classe de philosophie au lycée: approche phénoménologique( Télécharger le fichier original )par Gildas Sylvère NGOMO École Normale Supérieure de Libreville - Master 2 2016 |
II-Approche existentialiste du concept de conscience1-Sartre : la conscience comme Être-pour-soi Suivant son ouvrage, l'Être et le Néant, Sartre procède à une interrogation phénoménologique de l'être, examen qui abouti à la distinction d'un couple de modalités de l'être : «''L'être de la conscience, écrivons-nous dans l'Introduction, est un être pour lequel il est dans son être, question de son être'' .Cela signifie que l'être de la conscience ne coïncide pas avec lui-même dans une adéquation plénière. Cette adéquation, qui est celle de l'en-soi, s'exprime par cette simple formule : l'être est ce qu'il est. Il n'est pas, dans l'en-soi, une parcelle d'être qui ne soit à elle-même sans distance. Il n'y a pas dans l'être ainsi conçu la plus petite ébauche de dualité. [...] La caractéristique de la conscience, au contraire, c'est qu'elle est une décompression d'être. Il est impossible en effet de la définir comme coïncidence avec soi [...] La loi d'être du pour-soi, comme fondement ontologique, c'est d'être lui-même sous la forme de présence à soi. [...] En effet toute `' présence à `' implique la dualité, donc séparation au moins virtuelle. La présence de l'être à soi implique un décollement de l'être par rapport à soi. [...] la présence à soi suppose qu'une fissure impalpable s'est glissée dans l'être. S'il est présent à soi, c'est qu'il n'est pas tout à fait soit. La présence est une dégradation immédiate de la coïncidence, car elle suppose la séparation. [...] Le pour-soi est l'être qui se détermine lui-même à exister en tant qu'il ne peut pas coïncider avec lui-même. [...] L'être de la conscience, en tant que conscience, c'est d'exister à distance de soi comme présence à soi 19(*)» En clair, Sartre spécifie dans ce texte deux modes d'être, à savoir : l'être-en-soi et l'être-pour-soi. L'être-en-soi, caractéristique de l'opacité des choses, incapable de distance avec soi-même, désigne l'être du phénomène. A l'inverse, l'être-pour-soi, capable de se rapporter à lui-même, renvoie à l'être de la conscience. La première approche, celle de l'être du phénomène nous enseigne que l'être est en-soi. Autrement dit, il n'a aucun rapport avec soi, ni avec ce qui l'entoure, il est simplement ce qu'il est et il ne peut être rien d'autre que soi. La particularité fondamentale de l'en-soi, c'est donc sa positivité : l'en-soi est tout ce qu'il est, il ne peut même pas devenir autre chose que soi. L'être-en-soi est donc totalement contingent : il ne se fonde sur rien et ne se déduit de rien, mais il est. L'en-soi se donne clairement et totalement dans sa phénoménalité. A contrario, le pour-soi est le mode d'être de la conscience. Alors que l'en-soi s'explique par le fait d'être ce qu'il est, la particularité foncière de la conscience est au contraire d'être ce qu'elle n'est pas ou de n'être pas ce qu'elle est. Ce qui définit en effet ontologiquement la conscience chez Sartre, c'est le rapport à soi : « l'être de la conscience [...] est un être pour lequel il est, dans son être, question de son être.» La conscience chez Sartre est de ce fait relation à soi ou encore conscience de soi, c'est ce que veut dire être-pour-soi. Nonobstant, ce rapport de la conscience à soi suppose que celle-ci soit capable de prendre une certaine distance avec soi. Elle n'est donc soi qu'à condition de pouvoir se distinguer de soi, de n'être pas soi. En conséquence, ce qui définissait l'en-soi étant la coïncidence avec soi, ce qui définit le pour-soi, c'est la disjonction d'avec soi. Cette séparation désigne l'apparition du néant au sein même de l'être. Le pour-soi est ainsi un trou d'être au milieu de l'en-soi. Cette définition de la conscience comme pour pour-soi permet donc à Sartre de mener une véritable approche ontologique de la conscience, irréductible à une simple approche psychologique.
2-Merleau-Ponty : la conscience comme Être-au-monde Afin de mettre en lumière sa définition de la conscience, Merleau-Ponty distingue d'abord deux types de conscience : la conscience naïve et la conscience transcendantale. Suivant Merleau-Ponty, la conscience naïve est réaliste, et son réalisme est empirique. La conscience naïve c'est la conscience perceptive (la perception comprise comme étant le contacte naïf avec le monde). La conscience naïve est particulièrement une conscience du monde : « la conscience du monde n'est pas fondée sur la conscience de soi, mais elles sont rigoureusement contemporaines : il y a pour moi un monde parce que je ne m'ignore pas ; je suis non dissimulé à moi-même parce que j'ai un monde20(*) ». Avec Merleau-Ponty, la conscience naïve est spontanée, immédiate, c'est la conscience perceptive ou conscience du monde. La conscience naïve expose notre accès au monde, parce que nous sommes condamnés à nous ouvrir au monde au même titre que Sartre parle de l'homme condamné à être libre. Cette ouverture au monde se réalise à travers la perception, d'où l'idée d'une conscience perceptive. Avec la conscience naïve, le sujet percevant vit dans un univers de sensations et de perceptions. Le sujet percevant est dans une relation directe avec le monde, parce qu'il n'y pas d'intermédiaire entre le sujet percevant et le monde perçu. La conscience naïve est de ce fait conscience du monde vécu. Cette conscience du monde vécu est au préalable une conscience empirique de mon corps, étant donné qu'on ne peut percevoir que grâce à notre corps. Quand avec Husserl, toute conscience est conscience de quelque chose, avec la conscience naïve de Merleau-Ponty, on dira plutôt que toute conscience est conscience perceptive. Toutefois, suivant Merleau-Ponty, la conscience transcendantale est plutôt la source radicale de significations d'intelligibilité : « la conscience transcendantale est le foyer où tous les objets dont l'homme puisse parler et tous les actes mentaux qui les visent empruntent une clarté indubitable21(*) ». Selon Merleau-Ponty, la conscience transcendantale est ce sans quoi les mots tel que réflexion ou penser n'auraient aucun sens. La conscience transcendantale est donc le point de départ de toute réflexion philosophique : « l'idée d'une philosophie transcendantale, c'est-à-dire, celle d'une conscience constituant l'univers devant elle et saisissant les objets même dans l'expérience externe indubitable, nous parait une acquisition définitive comme première phase de la réflexion22(*).» Seulement, pour le philosophe français, avec la conscience transcendantale, le sujet transcendant reste finalement relié au monde, inséparable de celui-ci, même si cette fois-ci ce rapport au monde reste transcendant : « Le monde est inséparable du sujet, mais d'un sujet qui n'est rien que projet du monde, et le sujet est inséparable du monde, mais d'un monde qu'il projette lui-même. Le sujet est être-au-monde et le monde reste `'subjectif'' puisque sa texture et ses articulations sont dessinées par le mouvement de transcendance du sujet23(*).» Ceci nous conduit donc à une certaine synthèse entre la conscience naïve et la conscience transcendantale. La conscience naïve et celle transcendantale expriment donc la même composition, mais à des degrés divers de perception. L'un n'exclut pas l'autre, il y a plutôt un entrelacement entre les deux. La conscience transcendantale suppose inlassablement l'existence de la conscience naïve. Le sujet se situant dans l'attitude transcendantale, n'oublie jamais qu'il est un sujet ayant un corps qui se situe dans le monde : « La réflexion ne peut jamais faire que je cesse de percevoir le soleil à deux cents pas un jour de brune, de voir le soleil `'se lever'' et `'se coucher'', de penser avec les instruments culturels que m'ont préparés mon éducation, mes efforts précédents, mon histoire. Je ne rejoins donc jamais effectivement, je n'éveille jamais dans le même temps toutes les pensées originaires qui contribuent à ma perception ou à ma conviction présente.24(*)» Résultat, quelle soit naïve ou transcendantale, la conscience chez Merleau-Ponty reste éternellement inséparable du monde, et le monde indissociable de cette dernière, c'est en conséquence une conscience comme Être-au-monde. * 19 SARTRE J-P., L'Être et le Néant, Paris, Gallimard, 1976, pp.134-135. * 20 MERLEAU-PONTY M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p.344. * 21 MERLEAU-PONTY M., La structure du développement, Paris, P.U.F., 1942, pp.300-301. * 22 MERLEAU-PONTY M., La structure du comportement, op. cit., p.293. * 23 MERLEAU-PONTY M., Phénoménologie de la perception, op. cit., p.491-492. * 24MERLEAU-PONTY M., Phénoménologie de la perception, op. cit., pp.74-75. |
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