Comprendre le concept de conscience en classe de philosophie au lycée: approche phénoménologique( Télécharger le fichier original )par Gildas Sylvère NGOMO École Normale Supérieure de Libreville - Master 2 2016 |
PARTIE IAPPROCHE GENERALE, CRITIQUE ET ENJEU DE L'ETUDE DU CONCEPT DE CONSCIENCE EN PHILOSOPHIE
L'inventeur de la définition serait, selon Aristote, Socrate. Pour Socrate, la définition des termes sur lesquels nous allons débattre permet de mettre à l'épreuve notre prétendu savoir sur ces derniers, surtout quand il montre à ses interlocuteurs qu'ils ne savent pas produire une définition cohérente de ce qu'ils pensent : ils ne pensent donc rien de défini, rien qui n'ait une extension précise et bien déterminée. En effet, l'analyse des concepts et de ce que l'on veut dire, la recherche de l'extension des concepts que nous utilisons est l'un des aspects majeurs de la philosophie. C'est ainsi que dans la première sous-partie de la première partie de notre travail, nous nous sommes proposé d'abord de définir dans toute sa généralité le concept de conscience sur lequel nous allons naturellement porter notre réflexion. C'est donc un préalable philosophique majeur qui semble s'imposer à nous. A la suite donc de cette définition générale, nous allons mettre en lumière les enjeux de l'étude du concept de conscience en philosophie, et enfin exposer en dernier lieu les différentes critiques du concept de conscience.
I-Approche généralePeu de mots dans la langue française ont autant de significations que la « la conscience ». De ce fait, s'il avait fallu attendre de trouver un langage commun pour pouvoir parler de la conscience, ce travail de réflexion n'aurait jamais eu lieu. Il y a la conscience du neurologue, du neuropsychologue, du psychologue expérimentaliste, du neurophysiologiste, du bio-informaticien, du psychanalyste, du philosophe. Toutes ces personnes, quelle que soit leur obédience, s'accordent au moins sur deux points : -Ce mot n'est applicable qu'à un individu vivant ; -Il implique une faculté de connaissance de soi-même et de l'environnement. Mais la tendance actuelle est de ne pas considérer la conscience comme une seule fonction dépendante d'un seul centre, mais d'en faire la somme de plusieurs activités cognitives : vigilance ou éveil, mémoire, attention, perception, planification des actes etc. Cette pluralité fonctionnelle rend l'étude de la conscience difficile, car elle intéresse de nombreux domaines de connaissances. La conscience comme « donnée immédiate » nous introduit d'emblée au coeur même de la réflexion philosophique. L'étymologie latine « Conscientia » nous suggère l'idée de connaissance, alors qu'un sens moral s'attache à la notion dans le français du XVIe siècle. Il faut attendre Descartes pour que le terme, en prenant une signification psychologique, devienne l'un des objets privilégiés de la démarche des philosophes. En posant la réalité de la «substance pensante », Descartes affirme la souveraineté de l'esprit sur l'ensemble de ses productions et identifie la pensée à la conscience.
1-La conscience comme connaissance de soi et du monde Selon Le Petit Larousse Illustré, la conscience serait : « Une perception, connaissance plus ou moins claire que chacun peut avoir du monde extérieur et de soi-même.4(*)» A bien comprendre la définition proposée par Le Petit Larousse Illustré, la perception de chacun ici serait une perception directe, plus ou moins claire et précise du monde extérieur, de la réalité, c'est serait comme avoir conscience d'un bruit ou un son. C'est donc la présence de l'esprit à lui-même dans ses représentations, mais elle est aussi un redoublement réflexif par lequel le sujet se sait percevant. La connaissance ici renvoie à la connaissance d'une situation, c'est-à-dire la découverte par l'esprit d'une situation ou d'un problème. C'est en ce sens que les expressions telles que prise de conscience sont souvent utilisées. En parlant de conscience comme connaissance de soi et du monde extérieur, Le Dictionnaire Axis rebondit en disant que la conscience : « C'est la connaissance intuitive, immédiate que l'être humain possède de son existence, de ses facultés, de ses actes. 5(*)» De cette définition, nous pouvons déduire finalement que les concepts, les idées, les manifestations de la volonté sont des expressions les plus élaborées de la conscience. A bien comprendre, l'ensemble de pensées, d'émotions, de sentiments, d'images qui se succèdent en nous et constituent notre vie mentale serait appeler « Etat de conscience ». Au regard de toutes ces différentes définitions, nous pouvons finalement comprendre que la conscience n'est pas une chose, une propriété, ou une fonction, mais plutôt une faculté. La conscience serait donc l'organisation dynamique et personnelle de la vie psychique, elle est cette modalité de l'être psychique par quoi il s'institue comme sujet de sa connaissance et auteur de son propre monde. La conscience est donc l'instance suprême et transcendantale qui anime le sujet. La conscience, en tant qu'elle est l'organisation même de l'être psychique constitue le lieu des relations du sujet à son monde. Avoir connaissance de soi, c'est « être conscient d'être quelqu'un », et avoir connaissance du monde extérieur, c'est « avoir conscience de quelque chose », tout ceci pour dire que la conscience est la connaissance prospective que le sujet peut avoir de lui-même et de son monde. De ce fait, dire d'un être qu'il sent, qu'il perçoit, qu'il se souvient de quelque chose, qu'il prépare une action, ou qu'il se sent ou se sait être quelqu'un qui dirige son existence vers tel ou tel fin, c'est toujours et nécessairement dire qu'il est conscient. 2- La conscience comme juge : la conscience morale Dans son fort intérieur, l'homme aperçoit l'existence d'une loi qu'il ne s'est pas donné lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix qui ne cesse de le pousser d'affectionner et de réaliser le bien et de déjouer le mal. La conscience morale est donc l'espace le plus profond et le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul, où sa voix interne se fait entendre. En clair, la conscience morale est un jugement de la raison par lequel la personne humaine reconnait le caractère moral d'une action concrète qu'elle va poser. En tout ce qu'il dit et fait, l'homme est tenu de suivre scrupuleusement ce qu'il sait être juste et droit. C'est par le verdict de sa conscience que l'homme distingue et reconnait ce qui est bien ou mal. C'est dans cet enchainement d'idées que Rousseau rédige : « Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu, c'est toi qui fais l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe.6(*) » Au regard de cet texte, la conscience morale se comprend comme étant un principe inné de justice et de vertu qui nous permet de juger de nos actions comme bonnes ou mauvaises. Au-delà de cela, celle-ci est aussi un guide naturel pour l'homme en matière de morale, étant donné qu'elle est la preuve de la ressemblance de l'homme à Dieu. La voix dont nous parle Rousseau est exclusivement intérieure, privée, nonobstant son caractère commun à tous les hommes. La conscience morale est donc universelle et ne relève pas d'un principe acquis, mais d'un sentiment congénital. Pour le philosophe français, la conscience fait donc partie de l'essence de l'homme. L'homme responsable de ce fait, est un homme conscient en quelque sorte. L'homme conscient, serait donc capable de prendre de la distance par rapport à ce qui l'entoure, agir en connaissance de cause, à la différence du règne animal. Voila pourquoi sans la conscience, je ne sens rien en moi qui m'élève au dessus des bêtes. Autrement dit, sans la conscience, l'homme aurait un comportement identique à celui des bêtes. Cette conscience morale, qui nous différencierait des bêtes, est également perçue comme juge par Kant : « Le sentiment d'un tribunal intérieur en l'homme (devant lequel ses pensées s'accusent ou se disculpent l'une l'autre) est la conscience. Tout homme a une conscience et se trouve observé, menacé, de manière tenu au respect (respect lié à la crainte) par un juge intérieur, et cette puissance qui veille en lui sur les lois n'est pas quelque chose de forgé (arbitrairement) par lui-même, mais elle est inhérente à son être. Sa conscience le suit comme son ombre lorsqu'il pense lui échapper. Il peut bien s'étourdir ou s'endormir par des plaisirs ou des distractions, mais il ne saurait éviter de revenir à lui ou de se réveiller de temps en temps dès lors qu'il en perçoit la terrible. Il peut arriver à l'homme de tomber dans l'extrême abjection ou il ne se soucie plus de cette voix, mais il ne peut jamais éviter de l'entendre7(*) ». Dès le début de cet extrait de texte, Kant séduit ses lecteurs à travers une approche définitionnelle de la conscience. Pour le philosophe allemand, la conscience serait ce devoir de l'homme envers lui-même comme juge de lui-même. En l'homme apparait donc la force d'une voix, celle de la conscience, qui l'assujettit, le reproche. Cette conscience est présente en tout homme, de ce fait, elle est universelle et également propre à l'être humain. Pour Kant, cette conscience nous détermine, car tout homme est inévitablement un être conscient. Cela revient à dire que chacun de nous est doué de conscience, voila pourquoi nous sommes tous égaux. A travers sa conscience, l'homme se sent observé. En d'autres termes, rien ne fuit à l'attention de notre conscience, étant donné que nous connaissons que nous avons à répondre de ce que nous réalisons ou de ce que nous avons réalisé. En conséquence, nous portons en nous ce juge intérieur, voilà pourquoi nous nous sentons menacé, tenu eu respect. Lorsque nous éprouvons de telles sentiments, d'angoisse et de subordination, c'est parce que nous sommes face à quelque chose qui nous dépasse. Kant pense que ce qui définit la conscience, c'est la manifestation d'une puissance. La conscience morale est une puissance qui veille sur les lois. Les lois dont parle Kant ici, sont les lois morales, les lois de la raison pratique, qui nous contraignent intérieurement et nous ordonne d'agir d'une manière universalisable. A bien voir, la raison pratique en fin de compte est synonyme de conscience morale chez Kant. Voila pourquoi Kant estime que la conscience morale est inhérente à l'homme, consubstantielle à son essence. La conscience est inséparable de l'être humain. L'homme ne peut s'en affranchir. Il peut essayer d'y échapper, de l'éviter, mais la conscience est forcément existence à soi et retour sur soi. Nous ne pouvons échapper à nous-mêmes, cette voix nous appartient, elle est nous. Ainsi, nous ne pouvons pas ne pas l'entendre. De façon claire distincte, nous nous accordons avec Rousseau et Kant sur le fait que la conscience morale soit un juge intime, qui accepte ou conteste nos intensions, d'ailleurs, Le Senne rappelle une idée analogue lorsqu'il note : « Ce qui constitue [...] essentiellement la conscience morale, [...] c'est de promouvoir une intention ou refouler un projet, c'est, implicitement ou explicitement, approuver ou reprouver. L'approbation et la réprobation, voila donc l'essence bipolaire de la conscience morale8(*).» Pour le philosophe français, la conscience morale aurait donc une essence double, celle de l'acquiescement et de la désapprobation de nos actions. Elle est donc de ce point de vue, comprise comme étant un juge, juge de nos actes et de nos réalisations.
* 4Cf. Le Petit Larousse Illustré, 2008, p.238 * 5 Cf. Dictionnaire Axis, volume 2, Hachette, p.658 * 6 ROUSSEAU J.J., Emile, ou De l'éducation, Paris, Garnier, 1961, p.378 * 7 KANT E., Métaphysique des moeurs, IIe partie, Doctrine de la vertu, introduction et traduction par PHILONENKO A., Paris, J.Vrin, 1996, pp.112-113 * 8 LE SENNE R., Traité de morale générale, Paris, P.U.F., 1961, p.316. |
|