Les instruments du Copax face au enjeux sécuritaires en Afrique centrale( Télécharger le fichier original )par Cyr Revelli MBA ABESSOLO Université Omar Bongo - Master recherche en Géographie 2014 |
I.1.1. La centralisation du pouvoir politiqueL'insécurité en Afrique centrale a le plus souvent pris la forme de conflits entre différents groupes ethniques pour le contrôle de l'Etat. La décolonisation a produit des régimes à la fois faibles et très centralisés, peu désireux ou incapables de remporter le soutien d'une population politiquement, socialement et culturellement peu soudée autour d'un projet commun de construction d'un Etat-nation. Beaucoup de dirigeants ont concentré le pouvoir et les ressources de l'Etat entre les mains de leur propre groupe tandis que des opposants prenaient les armes. Les conflits internes sont les plus récurrents et sont ceux qui ont le plus marqué l'histoire de la violence en Afrique centrale. Ces conflits sont le plus souvent des guerres civiles opposant des gouvernements à des groupes d'opposants dont l'unique ambition est le contrôle du pouvoir. L'Afrique centrale presque dans son entièreté s'était plongée après les indépendances dans une forme de compétition politique entre les partis politiques ou les classes sociales qui privilégiaient la force comme principal moyen opératoire. Ainsi, plusieurs foyers de tensions se sont déclarés il s'agit de l'Angola, du Burundi, de la Centrafrique, du Congo Brazzaville, de la RDC, du Rwanda, Tchad. Le génocide rwandais du 6 avril 1994- qui a coûté la vie à 800 000 Tutsi et Hutu modérés, massacrés par une milice hutu et par l'armée, est la pire tragédie de la seconde moitié du vingtième siècle, dont les métastases se développent encore en RDC. La RCA qui vient de connaitre une nouvelle crise qui a vu le départ de son président BOZIZE. Le tableau suivant illustre les changements violents de pouvoirs en Afrique centrale de 1960 à 2013. Ces changements sont aussi bien l'oeuvre des militaires que des civils. Tableau 1 : Changements violents de pouvoir en Afrique centrale depuis 1960
Source : www. cahiers.cerium.ca21(*) Cette récurrence des conflits due à la course au pouvoir peut s'expliquer à travers les propos de Koffi Annan : L'Etat postcolonial, n'a pas renoncé aux mécanismes d'asservissement mis en place par l'Etat colonial : mise en place de classes prédatrices qui aggravent la lutte pour le contrôle des moyens de l'Etat. 22(*). Le Professeur M.L. Ropivia nous l'explique lui aussi en ces termes : C'est la première élite africaine issue de la colonisation qui a été plus liberticide en forgeant le parti unique et en se muant en bourgeoisie bureaucratique plus soucieuse de ses intérêts égoïstes que d'intérêt général23(*). Dans cette logique, il va utiliser le concept d'« Etat-gaspilleur » pour illustrer le fonctionnement de l'Etat africain postcolonial. A travers un tableau (voir tableau 2), il va s'inspirer des travaux de l'économiste jamaïcain Arthur Lewis dans son ouvrage the theory of economic growth cité par F. Perroux24(*) qui recense les maux et les comportements néfastes par lesquels les bourgeoisies bureaucratiques paralysent le bon fonctionnement de l'Etat et se transforment en oligarchie gaspilleuses. Tableau 2 Action et exactions du gouvernement public selon Arthur Lewis
Source : ML. Ropivia, 1994, Géopolitique de l'intégration en Afrique noire, Paris, L'Harmattan, p.138. On constate que c'est le coté droit du tableau qui dévoile un rôle spoliateur car on y retrouve les éléments qui constituent le lot quotidien des pratiques et des exactions des classes dirigeantes en Afrique noire. A cet effet, il est maintenant bien connu que la raison d'Etat dans les pays africains, beaucoup plus qu'ailleurs se confond la raison des classes ou avec la raison d'être des élites gouvernantes25(*) . Ainsi, le Pr Marc-Louis Ropivia continu en nous disant : Dès lors que l'Etat cesse d'assumer le développement de la collectivité (coté gauche) pour se consacrer à ses seuls intérêts égoïstes de classe, étant entendu que de bureaucratique, la classe-Etat voudrait se donner une légitimité économique. Elle fait donc fi des préceptes de bon gouvernement. 26(*) Nous pouvons comprendre que la centralisation du pouvoir peut engendrer l'asservissement d'une classe par une autre. La classe dirigeante adoptera des pratiques non seulement pour s'enrichir en spoliant une grande partie de la population, et se maintenir au pouvoir en bloquant le processus démocratique ce qui peut fragiliser l'Etat et être source de conflit ou de violence. Comment un Etat fragile peut être source de conflit ? I.1.2. La fragilité de l'Etat, facteur de conflit en Afrique centrale Les situations de fragilité représentent un obstacle important à l'émancipation tant politique qu'économique d'un pays. Evaluer la fragilité des Etats est une tâche qui s'avère de plus en plus importante non seulement pour les pays en question mais aussi pour la communauté internationale non seulement pour estimer le degré d'effort à fournir pour créer les mécanismes d'alerte rapide. Il existe plusieurs définitions de la notion d'Etat fragile à ne pas confondre avec les concepts d'Etat failli ou d'Etat effondré. Nous allons définir ici cette notion sous une approche fonctionnelle. Selon Eizenstat & al. (2005)27(*) cité par B. Bounoung Fouda, la fragilité peut être saisie à travers trois critères fonctionnels. - La sécurité nationale, - La fourniture des services de bases (éducation, santé, etc.), - La protection et la garantie essentielle des libertés. Le premier critère qui renvoie à la sécurité nationale traduit le fait que l'une des tâches essentielles d'un Etat, c'est le monopole de l'usage de la force pour se protéger contre les menaces intérieures et extérieures et préserver son intégrité territoriale. Si un gouvernement ne peut garantir son intégrité territoriale ou la sécurité de ses populations, le territoire devient le terreau propice au développement de la criminalité et/ou des groupes armé. Le deuxième critère signifie qu'un gouvernement a le devoir sinon l'obligation de satisfaire les besoins essentiels de sa population tels que l'éducation, la santé etc. Une incapacité à assurer ces besoins crée dans le pays un « écart d'aptitude ou écart de capacité » qui entraine une perte de confiance envers le gouvernement en place.28(*) Le troisième critère est lié à la légitimité des gouvernements. Pour S. Eizenstat & al. (2008)29(*), un gouvernement doit protéger les libertés individuelles de sa population, garantir la démocratie et l'Etat de droit. Le non respect de ces éléments crée un « écart de légitimité » qui peut, en cas de contestation, conduire à l'instabilité politique, source successive de l' « écart sécuritaire » et de l' « écart d'aptitude ». Ces auteurs pensent que l' « écart sécuritaire » est entretenu par des gouvernements autocratiques et « politicides ». Tout en reconnaissant l'importance de ces trois écarts dans la systématisation de la notion d'Etat fragile, S. Rice pense que la pauvreté est la caractéristique principale d'un Etat fragile30(*). Pour elle il existe une relation symétrique entre la pauvreté et les différents écarts ci-dessous évoqués (figure1) Figure 1 : Caractéristiques d'un Etat fragile selon S. Rice Ecart de sécurité Conflits ou tensions Pauvreté Ecart de performance ou de capacité Non satisfaction des besoins humains essentiels Ecart de légitimité Faible gouvernance Source : B. Bounoung Fouda. « De la fragilité des Etats en Afrique centrale à une pensée reconstructive des Etats en déconstruction : essai d'analyse ». In Enjeux, n°38, Janvier-Mars 2003. FPAE. Une définition nous parait plus exhaustive c'est celle de P. Stewart31(*) . Selon lui, l'Etat fragile na pas la capacité de fournir à sa population des services publics suivants qui lui incombent de manière naturelle : la sécurité nationale, les institutions politiques légitimes, le bien être économique et social. Pour lui, un tel Etat se caractérise par son incapacité : à maintenir le principe du monopole de l'usage de la force, à assurer le contrôle de son territoire et de ses frontières, à maintenir l'ordre public et la sécurité des populations. Sur le plan politico institutionnel, la fragilité se manifeste par : un gouvernement qui s'appuie sur une administration inefficace, l'absence et le non respect de la démocratie et des libertés individuelles, l'absence de justice sociale, la confiscation du pouvoir . Sur le plan économique, l'Etat fragile se détermine : par des politiques économiques (fiscalité etc.) hasardeuse, qui détériorent l'environnement des affaires, une gestion opaque des ressources naturelle et une faible attractivité au niveau des investissements directs à l'étranger (IDE). Sur le plan social, dans ce type d'Etat il ya une absence ou une insuffisance significative d'investissements dans les secteurs sociaux liés à l'éducation, à la santé ainsi qu'à tous les autres secteurs sociaux annexes (fourniture de l'électricité, de l'eau, etc.). Ces définitions semblent se cristalliser autour du triptyque « sécurité-démocratie-développement » C'est ainsi que tout en restant dans cette logique, B. Bounoung Fouda a fait une étude d'évaluation de la fragilité des Etats de l'Afrique centrale à travers la problématique de sécurité, des questions de démocratie et de développement32(*). Il a pris pour échantillon six pays à savoir le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, Le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad. Par rapport à l'évaluation de la fragilité à travers la problématique de sécurité, il a utilisé l'indicateur de stabilité politique et d'absence de violence et/ou de terrorisme développé par D. Kaufman, A. Kraay et M. Mastruzzi (2008). Selon lui, il en ressort que le Gabon, mais surtout la Guinée Equatoriale et le Congo-Brazzaville, ont connu une baisse de l'insécurité entre en 2007 par rapport à 2005. A contrario, durant la même période, l'insécurité a augmenté au Cameroun au Tchad et en RCA. Sur ce plan il affirme que le Tchad et la RCA font partie des pays les plus instables et donc avec un niveau d'insécurité particulièrement élevée. Le Cameroun aussi présente un niveau d'insécurité préoccupant. La carence démocratique est le plus souvent corollaire de la carence de la gouvernance, elle-même se manifestant par la conservation de tous les avantages par une minorité. Le peuple est exclu du processus d'acquisition du pouvoir du fait du non respect des droits et des libertés des citoyens. L'écart de légitimité qui en résulte est certainement lié à la base d'une autre caractéristique des Etats fragiles qui est le niveau élevé de corruption. Pour évaluer la fragilité des Etats de l'Afrique centrale à travers la question de démocratie, B. Bounoung Fouda, a retenu deux autres indicateurs de gouvernance parmi par ceux développés par D. Kaufman, A. Kraay et M. Mastruzzi (2007) : le degré d'implication des citoyens dans le processus démocratique et le niveau de corruption. Le degré d'implication des citoyens dans le processus démocratique mesure entre autre, le niveau d'implication des citoyens dans la sélection des dirigeants et le degré de respect des liberté des média, des liberté d'associations et plus largement des libertés d'expression. Les données fournies par D. Kaufman, A. Kraay et M. Mastruzzi (2008) montrent que l'expression du citoyen a le plus de considération au Gabon. Mais ce résultat montre aussi que la situation démocratique se détériore d'une année à une autre. Il convient donc de relever que cet indicateur s'est amélioré au Cameroun, ce qui traduit une hausse de l'implication des citoyens dans le processus démocratique. On observe aussi une telle amélioration en RCA. En revanche la dégradation de cet indicateur au Congo, mais surtout au Tchad et en Guinée Equatoriale indiquent que ces pays ont viré dans une forme d'Etat que S. Rice (2008) appelle « autocratie répressive ». De manière générale, la situation des libertés individuelles et le niveau de participation des citoyens d'Afrique centrale dans le processus de sélection des gouvernements sont largement en deçà de ce qui est pratiqué dans plus de la moitié des pays du monde33(*). Quant à l'indicateur du niveau de corruption, il mesure le degré d'exercice du pouvoir à des fins personnel tels qu'effectués par les détenteurs du pouvoir et par d'autres groupes d'intérêt. Ainsi, l'analyse de l'Etat de la corruption en Afrique centrale montre que le Gabon est le moins corrompu de la région malgré une inversion de la tendance en 2005. Par contre ce fléau atteint des proportions inquiétantes en Guinée Equatoriale et au Tchad. En revanche, au Cameroun, l'évolution du niveau de corruption a significativement fléchi depuis 2005. En revanche, en RCA, la tendance baissière qui a commencé depuis 2000 se poursuit ce qui fait de ce pays depuis 2007, le deuxième pays le moins corrompu de la sous-région après le Gabon. Enfin, concernant l'évaluation de la fragilité à travers les questions de démocratie, l'auteur a retenu deux critères le taux d'immunisation et la qualité de régulation. Selon lui cet indicateur est un bon proxy de l'effort de l'Etat à assumer ses responsabilités. Ainsi, le taux d'immunisation de la population est plus élevé au Cameroun soit 73%. Il est suivi par le Congo 50%, le Tchad, 47%, et la RCA 40%. Le Gabon et la Guinée Equatoriale ont des taux d'immunisation les plus faibles de la région malgré le fait qu'ils aient des le PIB par tête d'habitant les plus élevés. Au Gabon, ce taux était de 38 % alors qu'il était de 33% en Guinée Equatoriale. Au terme de son étude, B. Bounoung Fouda, propose que quatre des six pays pris pour échantillon sont fragile à savoir : le Congo, la RCA, le Tchad, la guinée Equatoriale sont des Etats fragiles. Par contre la fragilité du Cameroun et du Gabon n'est pas relevée. Au regard de ce qui précède on comprend aisément que la centralisation du pouvoir par une classe constitue un problème majeur dans la sous-région et cette dernière biaise souvent le processus électorale pour se maintenir au pouvoir. C'est pourquoi, l'organisation des élections générale dans chaque Etat membre peut être considérée comme un moment déterminant pour promouvoir la paix, la sécurité dans la sous-région. La fragilité des Etats constitue aussi un fait important qui menace la stabilité de la sous-région, compromet le développement et freine le processus d'intégration à tous les niveaux en générale et au niveau sécuritaire en particulier. D'autres facteurs menacent la paix et la sécurité dans la sous région à savoir l'exploitation illégale de ressources naturelles. I.2. L'exploitation illégale des ressources naturellesDepuis 1990, au moins dix-huit conflits violents ont été alimentés par l'exploitation des ressources naturelles. En fait, des recherches récentes suggèrent que 40% au moins des conflits internes survenus au cours de ces soixante dernières années ont un lien avec les ressources naturelles. Des guerres civiles comme celles du Libéria, de l'Angola et de la République Démocratique du Congo ont eu pour enjeu des ressources de « grande valeur », telles que le bois, les diamants, l'or, les minéraux et le pétrole34(*). Les facteurs environnementaux sont rarement, voire jamais, la seule cause d'un conflit violent. L'appartenance ethnique, une conjoncture défavorable, un faible niveau de commerce international et des conflits dans les pays voisins sont autant de facteurs qui alimentent la violence. Toutefois, l'exploitation des ressources naturelles et les contraintes environnementales qui en découlent peuvent jouer un rôle à tous les stades du cycle d'un conflit, du déclanchement et de la perpétuation de la violence, à la fragilisation des perspectives de paix. I.2.1. Contribution au déclanchement des conflits La paix et la sécurité internationales sous-tendent la Charte des Nations Unies, qui engage la communauté internationale à « préserver les générations futures du fléau de la guerre.»35(*) Le rôle essentiel de la paix et de la sécurité pour le développement durable est également souligné dans la Déclaration de Rio, qui demande aux Etats de « respecter le droit international relatif à la protection de l'environnement en période de conflit armé et de participer à son développement, selon que de besoin.»36(*). Elle reconnaît explicitement aussi que la paix, le développement et la protection de l'environnement sont « interdépendants et indivisibles. » Enfin, l'Assemblée générale des Nations Unies a récemment établi un lien entre conflits armés et ressources naturelles dans plusieurs résolutions importantes, en particulier en désignant l'exploitation des ressources comme une source de conflit et une menace à la paix et au développement durable en Afrique en général en Afrique centrale en particulier. La relation entre « environnement » et « conflit » continue toutefois à alimenter la controverse sur la scène politique internationale. Le rapport de 2004 du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement a fait ressortir les liens déterminants qui existent entre l'environnement, la sécurité et le développement économique et social dans la quête de la paix mondiale au 21e siècle37(*), tandis qu'un débat historique qui a eu lieu en juin 2007 au Conseil de sécurité des Nations Unies arrivait à la conclusion qu'une mauvaise gestion des ressources de « grande valeur » constituait une menace à la paix38(*). Ainsi, aucune discussion sérieuse sur les menaces actuelles ou émergeantes pesant sur la sécurité ne saurait avoir lieu sans tenir compte du rôle des ressources naturelles et de l'environnement. Nombre de pays connaissent actuellement des problèmes de développement liés à l'utilisation non durable des ressources naturelles et à la répartition des richesses naturelles. En général, les tensions sont créées par des pressions concurrentes sur les ressources naturelles existantes. Dans certains cas, c'est l'incapacité de la gouvernance (institutions, politiques, lois) à résoudre équitablement ces tensions qui conduit certains groupes à être défavorisés et qui, en définitive, engendre des conflits. Il arrive aussi que les problèmes viennent de l'exploitation illégale des ressources. Des recherches et des observations sur le terrain ont montré que les ressources naturelles et l'environnement contribuent au déclanchement d'un conflit de trois manières principales. Tout d'abord, un conflit peut survenir à propos de la juste répartition des richesses tirées de l'extraction de ressources de « grande valeur, » comme les minéraux, les métaux, les pierres, les hydrocarbures et le bois. L'abondance locale de ressources précieuses, combinée à la grande pauvreté ou à la difficulté à trouver d'autres formes de revenus, incite des groupes à s'emparer de ces ressources en prenant le contrôle des territoires où elles abondent, ou en expropriant sauvagement l'Etat. Le risque que des ressources naturelles de « grande valeur » contribuent à un conflit est en fonction de la demande mondiale, et largement tributaire des prix du marché. Aussi, les pays dont l'économie est tributaire de l'exportation d'un nombre restreint de produits primaires sont plus susceptibles d'être politiquement fragiles. Leur situation économique est à la merci des fluctuations de prix de ces denrées sur les marchés internationaux, et lorsqu'il s'agit de pays en développement, il leur est souvent difficile d'augmenter la valeur ajoutée de ces produits ou de créer des emplois à grande échelle à partir de telles exportations. En outre, les gouvernements dont le budget est alimenté davantage par l'exportation de produits de base que par les recettes fiscales tendent à être coupés des besoins de leurs électeurs. La combinaison des problèmes d'appréciation de la monnaie et de gestion opaque des revenus et de corruption qui se sont développés dans nombre de pays riches en ressources est appelée la « malédiction des ressources. » En Afrique centrale, la RDC et la République Centrafricaine (RCA) abritent de vastes zones diamantifères qui ont été l'enjeu de conflits et d'activités criminelles. Le Rwanda a notamment été cité39(*) dans le contexte du trafic illicite de diamants en provenance de la région, et notamment de RDC. I.2.2. Le financement, l'entretien des conflits et les Obstacle au rétablissement de la paix Qu'il existe ou non une relation de cause à effet entre le déclenchement des conflits et les ressources naturelles, celles-ci peuvent contribuer à entretenir et à alimenter la violence. Les ressources de « grande valeur » peuvent notamment être utilisées pour générer des revenus servant à financer les forces armées et à acquérir des armes. S'emparer de ces ressources devient alors un objectif stratégique pour les campagnes militaires, ce qui prolonge leur durée. Au cours des vingt dernières années, non moins de dix-huit guerres civiles ont été alimentées par des ressources naturelles. La présence de ressources naturelles faciles à obtenir et à exploiter peut en effet non seulement rendre une insurrection économiquement viable40(*) (et partant, la guerre plus probable), mais aussi modifier la dynamique même du conflit en encourageant les combattants à tout faire pour obtenir des biens leur permettant de poursuivre leur lutte. Les revenus et les richesses peuvent donc modifier l'Etat d'esprit des belligérants, transformer une guerre et une insurrection en une activité non pas purement politique mais aussi économique, la violence étant alors engendrée moins par des griefs que par la cupidité. Aussi, les incitations économiques liées à la présence de ressources naturelles précieuses peuvent empêcher la résolution d'un conflit et nuire aux efforts de paix. Plus la perspective d'un accord de paix semble proche, plus les personnes ou les groupes dissidents susceptibles de perdre l'accès aux revenus tirés de l'exploitation des ressources risquent d'agir pour empêcher la restauration de la paix. Autre obstacle majeur : le risque perçu ou réel que la paix modifie l'accès aux ressources naturelles et leur réglementation, et nuise aux intérêts de certains acteurs. En créant des incitations économiques qui tendent à renforcer les divisions politiques, les ressources naturelles peuvent également empêcher une réintégration politique et une réconciliation véritable, même une fois l'accord de paix signé.41(*) Enfin, selon les conclusions préliminaires d'une analyse rétrospective des conflits internes survenus au cours de ces soixante dernières années, les conflits liés aux ressources naturelles ont deux fois plus de chances de resurgir durant les cinq premières années après la signature d'un accord de paix.42(*) I.2.3. L'instabilité permanente de l'Est de la RDC, une situation préoccupante pour la sécurité de la sous-région. La crise en RDC est un problème majeur en Afrique centrale et un défi sécuritaire non négligeable pour les Etats de la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC). Les activités criminelles susceptibles d'attiser la violence en Afrique centrale ne manquent pas, mais ce sont bien les ressources minérales qui sont au coeur du conflit. La RDC regorge de richesses minérales (voir tableau 3), et tout porte à croire qu'elles n'ont été explorées qu'en partie. Le pays possède certaines des réserves de cobalt, de cuivre et de diamants les plus vastes du monde, de même que d'importants gisements d'or et de pétrole. Les richesses minérales du pays sont réparties sur l'ensemble du territoire, mais c'est l'est du pays qui renferme la majeure partie des ressources connues, et plus particulièrement les provinces du Katanga et du Kasaï occidental et oriental, la province Orientale et les Kivu43(*). En volume, c'est le cuivre qui arrive en tête des exportations officielles de la RDC : les réserves de la ceinture de cuivre du Katanga sont estimées à 70 millions de tonnes et sont les plus riches du monde après celles du Chili44(*). En 2008, la RDC aurait exporté 335 000 tonnes de cuivre. Si la production de cuivre est de première importance pour l'économie nationale, la RDC reste cependant un producteur mineur à l'échelle mondiale : en 2007, les exportations congolaises de cuivre ne représentaient que 2 % des approvisionnements mondiaux. Tableau 3 : Richesses minières par province en RDC
Source: Banque Mondiale, Growth with Governance in the Mining Sector, 2010 Les activités criminelles transnationales menées dans l'est de la RDC génèreraient chaque année quelque 200 millions de dollars US de revenus bruts. On peut partir du principe que la moitié de ces profits, soit 100 millions de dollars US, va aux groupes armés, y compris aux renégats des FARDC. Selon les estimations disponibles les plus fiables, il y a actuellement entre 6 500 et 13 000 membres actifs de groupes armés dans la région, et un nombre indéterminé de militaires corrompus. Si le marché était divisé à parts égales entre l'armée régulière et les groupes armés rebelles, il en résulterait un revenu moyen par membre de groupes armés de 5 000 dollars US45(*). Quand bien même ces profits ne seraient pas répartis de manière équitable, le revenu national brut par habitant de la RDC n'était que de 160 dollars US en 200946(*). Quel que soit le montant réservé à l'achat d'armes et de munitions, ces profits représentent donc une source de revenus importante pour les combattants. En fait, ces hommes gagnent leur vie et subviennent aux besoins de leur famille grâce à des marchés criminels qui n'existeraient pas si la région n'était pas en proie à la violence et à l'impunité. Les groupes armés présents dans l'est de la RDC compteraient actuellement entre 6 500 et 13 000 membres actifs47(*). Le plus important de ces groupes est la milice hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), forte de 2 400 à 4 000 hommes48(*). Son équivalent tutsi, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), a été largement intégré aux forces armées de la RDC (FARDC) ces dernières années, bien qu'une administration parallèle continue de contrôler bon nombre de ses membres. Il compterait actuellement entre 1 000 et 2 000 membres non intégrés49(*). On recense par ailleurs de nombreuses milices locales, généralement appelées « Maï-Maï», qui ne visent pour la plupart aucun objectif politique cohérent mais qui ont été impliquées dans activités criminelles de diverses natures. Ces groupes armés tirent directement profit de ce climat d'instabilité et ont donc intérêt à ce que le conflit perdure. On distingue deux grandes catégories de groupes : ceux dont les origines remontent au génocide rwandais, comme les FDLR et le CNDP, et ceux qui se sont constitués à des fins d'autodéfense, avant de se transformer en gangs se livrant au pillage, comme les milices Maï-Maï. Pour ces deux types de groupes, le contrôle d'un territoire est à la fois une fin en soi et un moyen de financer leurs activités. Aujourd'hui, il est devenu difficile de dire s'ils cherchent à se procurer des fonds dans le but d'étendre leur territoire ou si, au contraire, ils cherchent à contrôler un territoire dans le but de se procurer des fonds. Ont-ils besoin d'argent pour pouvoir poursuivre le combat, ou doivent-ils se battre pour continuer à gagner de l'argent? Les rapports du Groupe d'experts des Nations Unies sur la RDC établissent clairement que ces groupes sont impliqués dans la contrebande de minéraux et utilisent les revenus qu'ils en tirent pour se procurer des armes. Il est en revanche plus difficile de déterminer si les profits tirés de ces activités l'emportent sur les ambitions politiques des rebelles et s'ils constituent désormais leur principale motivation sur le terrain. L'Afrique centrale malgré les différents facteurs de conflit reste une sous-région conflictogène au regard des différents conflits armées observés jusqu'à nos jours notamment en RDC et en RCA et même au Tchad ou la situation entre le gouvernement et les rebelles reste tendue. Aussi signalons les conflits que connait la sous-région sont le plus souvent à l'origine de la criminalité et de l'insécurité que doivent faire face les Etats de cette partie du continent africain. * 21 Voir l'article de « Comprendre la causalité de la conflictualité post Guerre froide en Afrique » [ En ligne]www. cahiers.cerium.ca, consulté le 16 avril 2013. Ce tableau a été réactualisé par Cyr Revelli Mba Abessolo. * 22 Koffi Annan, les causes des conflits et la promotion d'une paix et d'un développement durable en Afrique , Rapport ONU, New York, mai 1998. * 23 M-L. Ropivia 1994, Géopolitique de l'intégration en Afrique noire, Paris, L'Harmattan. * 24 François Perroux, Pour une philosophie du nouveau développement. Paris, Aubier/Les presse de l'UNESCO, 1981, cité par Ropivia (ML), 1994, Géopolitique de l'intégration en Afrique noire, L'Harmattan, Paris. * 25 ML Ropivia, op. cit. * 26 Ibid. * 27 Bounoung Fouda (B). « De la fragilité des Etats en Afrique centrale à une pensée reconstructive des Etats en déconstruction : essai d'analyse ». In Enjeux, n°38 , Janvier Mars 2003. FPAE. * 28 Ibid. * 29 Ibid. * 30 Ibid. * 31 Ibid. * 32 Ibid. * 33 Ibid. * 34 Programme des Nations Unies pour l'environnement, 2009, « Du conflit à la consolidation de la paix : le rôle des ressources naturelles et de l'environnement » PNUE, Nairobi, KENYA. * 35 Ibid. * 36 Ibid. * 37 Groupe de personnalités de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur les menaces, les défis et le changement. (2004). A more secure world: our shared responsibility: Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur les menaces, les défis et le changement. Assemblée générale des Nations Unies. New York. * 38 Conseil de sécurité des Nations Unies. (25 juin 2007). Déclaration 2007/22 du Président du Conseil de sécurité. Conseil de sécurité des Nations Unies. New York. * 39 Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime. * 40 I. Smillie, L. Gberie, & R. Hazleton, (2000). « Le coeur du problème. La Sierra Leone. Les diamants et la sécurité humaine.» Partenariat Afrique Canada. Ottawa. * 41 Programme des Nations Unies pour l'environnement. « Du conflit à la consolidation de la paix : le rôle des ressources naturelles et de l'environnement » PNUE, Nairobi, KENYA. * 42 Ibid. * 43 Banque mondiale. République démocratique du Congo : la bonne gouvernance dans le secteur minier comme facteur de croissance. Rapport N° 43402- ZR (Washington, Banque mondiale, mai 2008). * 44 * 45 Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime. 2011, Criminalité organisée et instabilité en Afrique centrale, Une évaluation des menaces. UNODC. * 46 Ibid. * 47 Code minier de la RDC, loi 007/2002, article 27 : Des personnes non éligibles ? Cité par Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, op cit * 48 Rapport final du Groupe d'experts sur la République démocratique du Congo(publication des Nations Unies, 29 novembre 2010, S/2010/596), para. 181. * 49 Ibid. |
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