Introduction
Le fleuve Sénégal prend sa source dans les
massifs du Fouta Djallon en République de Guinée. Il est le
principal cours d'eau du Sénégal. Son régime se
caractérise par une importante crue annuelle qui provoque l'inondation
de la plaine alluviale et du Delta (BRGM, 1967 ; Albergel et
al.,1984). En effet, le fleuve se gonfle à la saison des pluies
(juillet-octobre) et, en saison sèche (novembre et mai-juin) les
écoulements d'eau diminuent très fortement. Pendant cette
période d'étiage, au cours de laquelle aucune
précipitation importante n'est enregistrée, les débits du
fleuve et de ses affluents baissent très fortement. Cette diminution des
débits se traduit par l'intrusion très en amont des eaux
salées de l'océan atlantique dans le lit du fleuve (Trochain,
1940 ; Adam, 1964 ; Reizer, 1974; Cogels et Gac, 1982; Cogels et al.,
1993). Certaines années, l'eau salée remontait
jusqu'à 220 km en amont de Saint Louis, et la marée se faisait
sentir jusqu'à 440 km (Brigaud, 1961). De vastes étendues des
terres du Delta étaient alors envahies par l'eau salée provenant
de l'océan atlantique. Les incertitudes sur le climat et sur les
débits des cours d'eau, la salinisation des eaux de surface et
souterraine ont constitué depuis bien longtemps des handicaps à
l'exploitation des ressources, la « mise en valeur» de la
vallée du fleuve Sénégal et de son bassin versant (Henry,
1918; Lemmet et Scordel, 1918 ; Hubert, 1918 ; Hubert, 1921). Or, la zone du
delta et le lac de Guiers jouent un rôle de premier plan dans le
développement économique et social du Sénégal.
C'est pourquoi, depuis le siècle dernier, des
investissements importants ont été réalisés pour
maîtriser les eaux, éviter leur salinisation en vue de
développer la production agricole, assurer l'alimentation en eau douce
toute l'année des centres urbains notamment Dakar et Saint Louis ainsi
que nombreux villages et hameaux.
La construction du pont barrage de Richard Toll en 1947 a
transformé le lac de Guiers en un réservoir permanent d'eau douce
pour l'irrigation des cultures pendant les périodes de l'année
où l'eau est saumâtre dans le fleuve. Ce changement du
régime des eaux a provoqué des modifications dans la flore
lacustre, notamment la pullulation de Typha domingensis dans le delta
et le lac de Guiers (Trochain, 1956). Les conséquences
socio-économiques et sanitaires liées au développement de
cet hélophyte sur les rives du lac ont été passées
en revue (Grosmaire, 1957; Adam, 1964 ; Thiam, 1983). Des essais de lutte
contre T. domingensis ont été suggérés
(Trochain, 1956).
L'Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve
Sénégal (O.MV.S.) créée par les Etats du Mali, de
la Mauritanie et du Sénégal en 1972, a permis, dans les
années 80, la construction sur le fleuve
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Sénégal, des barrages de Diama et de Manantali
ainsi que des digues de protection. Ces ouvrages ont complètement
modifié le régime naturel du fleuve. Ils ont permis de
régulariser les débits, partiellement en période de crue
et totalement en période sèche. La remontée des eaux
marines dans le fleuve qui intervenait sur une grande partie du delta, a
été stoppée (BDPA/Coyne et Bellier, 1999). Ainsi, des
volumes d'eau douce plus importants sont maintenant disponibles toute
l'année pour divers usages. Les barrages ont eu des impacts importants
sur le développement agricole régional et l'environnement. En
revanche, la prolifération de certaines espèces de plantes
aquatiques suite à l'adoucissement des eaux est l'une des
conséquences écologiques négatives des bouleversements
occasionnés ou amplifiés par les ouvrages.
Avant les grands ouvrages sur le fleuve, quelques plantes des
milieux humides ont été mentionnées par les prospecteurs
qui ont sillonné la zone mais les noms des plantes sont incertains et
incomplets (Adanson, 1757; Heudelot et Lelièvre, 1828; Guillemin et
al., 1830-1833). Des relevés de végétation ont
été effectués dans le delta et le lac dans les
années 30 (Trochain, 1940) et dans les années 60 (Adam, 1964 ;
Adam, 1965) ; mais les informations fournies ne permettent pas de faire une
comparaison avec la situation actuelle. Un catalogue des adventices des
rizières de Richard-Toll avec des indications sur la chorologie des
principales espèces a été présenté (Adam,
1960). La flore ligneuse de la région du lac de Guiers a
été examinée (Doyen et Thiam, 1980 ; Thiam, 1982 ; Doyen,
1983 ; Thoen et Thiam, 1990) et l'étude détaillée des
groupements végétaux aquatiques et amphibies du lac et de sa
plaine d'inondation avec des indications sur les facteurs édaphiques a
été réalisée (Thiam, 1984).
Après la mise en place des grands barrages, quelques
informations sur la flore et la végétation de la zone ont
été fournies (Kuiseu, 1997; Thiam 1998 ; Kuiseu et al.
2001 ; Faye, 2007 ; Noba et al., 2010). Une liste des adventices
des rizières irriguées du delta a été
établie (Diagne, 1991). L'extension importante de Typha a
été observée dans l'ensemble du delta et le lac de Guiers
(Cogels et al. 1993 ; Thiam et al., 1993 ; Thiam, 1998) ; des
essais de faucardage et d'enlèvement de la plante avec un bateau
équipé ont été effectués (Hellsten and
al. 1999) et des essais de valorisation de Typha comme
combustible ont été menés (GTZ, 2001). En plus, de
Typha domingensis, les nouvelles conditions hydrologiques et de la
qualité des eaux ont provoqué des pullulations de Pistia
stratiotes dans le parc National du Djoudj et le lac de Guiers en 1992
(Guiral, 1993 ; Thiam, 1993) et l'apparition massive de Potamogeton
schweinfurthii dans le lac de Guiers (Thiam et Ouattara, 1997). Des
programmes de lutte biologique contre Pistia stratiotes (Anonyme,
1994; Anonyme, 1995b) et Salvinia molesta, introduit dans le delta
à la fin des années 90 ont été mis en oeuvre
(Pieterse et al. 2003; Diop, 2006).
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Ainsi, plusieurs études et travaux visant une meilleure
connaissance des macrophytes aquatiques de la région, leur
contrôle et les possibilités de leur valorisation ont
été réalisés. Cependant, aucune analyse floristique
d'ensemble, d'études détaillées sur la biologie et
l'écologie des macrophytes aquatiques du delta et le lac de Guiers n'ont
été menées jusqu'ici. La lutte contre certaines
espèces végétales aquatiques a été
menée sans avoir une bonne connaissance des espèces (Guiral,
1993). Or, pour mettre au point des méthodes de lutte appropriées
contre les macrophytes proliférants, il est essentiel de disposer de
données approfondies sur leur biologie et leur écologie. Des
méthodes adéquates de contrôle de l'extension de certaines
plantes permettraient d'éviter que les investissements importants
effectués par les Etats membres de l'O.MV.S. afin de maîtriser les
eaux du fleuve et favoriser le développement socio-économique
dans le bassin du fleuve Sénégal, ne soient entravés par
des conséquences inattendues liées à la
prolifération de macrophytes.
Notre travail traite de plusieurs aspects de la flore et de la
végétation des milieux humides du delta du fleuve
Sénégal et du lac de Guiers, après la mise en service des
barrages. Il contribue à une meilleure connaissance de la flore et de la
végétation des milieux humides du delta du fleuve
Sénégal et le lac de Guiers. Ces connaissances sont un
préalable indispensable pour une exploitation rationnelle des ressources
végétales, le suivi scientifique de la diversité
végétale et la dynamique des peuplements de la zone. En outre,
les données sur la croissance, la multiplication et la phytomasse des
principales espèces proliférantes peuvent aider à la
valorisation, à la conception et la mise en oeuvre de méthodes de
contrôle appropriées des macrophytes aquatiques et de gestion
durable des écosystèmes limniques du delta du fleuve.
Ce mémoire est structuré de la manière
suivante :
Le chapitre 1 présente le milieu
physique du point de vue géographique, climatique, édaphique,
hydrogéologique, hydrographique et hydrologique. Les aménagements
hydro-agricoles réalisés et leurs impacts sur l'hydrologie et la
qualité des eaux dans le delta et le lac de Guiers sont également
analysés.
Le chapitre 2 traite de la flore
vasculaire, de la typologie et de la présentation des
principaux macrophyes
Le chapitre 3 expose sur la zonation de la
végétation et les principaux groupements végétaux
des milieux humides salés et d'eau douce,
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Le chapitre 4 aborde quelques aspects de la
biologie, de la reproduction, de la multiplication, de la phytomasse et de
l'écologie de quatre macrophytes aquatiques proliférants dans la
région: Typha domingensis, Pistia stratiotes,
Potamogeton schweinfurthii et Salivinia molesta,
Le chapitre 5 présente une discussion
et des considérations générales portant principalement sur
les problèmes du milieu, la flore, la végétation et les
groupements végétaux reconnus, les aspects de multiplication, de
croissance et les moyens de lutte contre les plantes aquatiques
proliférantes majeures.
Les conclusions et quelques perspectives
envisageables terminent notre étude.
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