INTRODUCTION GENERALE
Mode courant d'expression littéraire, où les
relations avec les phénomènes sociaux et l'histoire sont les plus
amples et les plus précises, le roman est le genre littéraire
où se lisent le plus nettement la structure et la texture d'une
société en général, d'un individu en en
particulier.
Mais, au lendemain des deux Guerres Mondiales et leurs
conséquences, les hommes de lettres de l'époque, en l'occurrence,
les néo-romanciers au premier rang desquels Nathalie Sarraute se
trouvent dans l'impossibilité de narrer et de lire cette double
réalité ambiante etcauchemardesque. D'ailleurs, quel récit
peut-il prétendre exister à l'heure de la dérobade du sens
et du schisme entre les mots et les choses? Nathalie Sarraute de se demander,
à ce propos:
« Quellehistoireinventée pourrait
rivaliser avec celle de la séquestrée de Poitiers ou avec les
récits des camps de concentrations ou de la bataille de
Stalingrad ? »1(*)
Certainement pas avec celle qui prétendait reproduire,
représenter ununivers cohérent et cartésien. Mais celle
qui figure l'étonnementface au désordre de la crise.
En fait, ce phénomène aberrant de la guerre, va
générer un renouveau d'intérêt qui se met en
déphasage des codes périmés. Cette nouvelle conception de
la littérature n'a pas échappé à Lucien Goldmann
qui affirme :
« [C'est] leproblèmede la nature des
transformations sociales qui ont effectivement créé le besoin
d'une forme romanesque nouvelle »2(*) S'il est avéré que tout
événement tragique enclenche des formes nouvelles, quelles
seraient alors ces formes ? Comment se présenteraient-elles par
référence au roman traditionnelle? Quelle serait la place du
lecteur moderne ?Autant de questions qui débouchent
vraisemblablement la déstructuration du récit. Ainsi en rapport
avec le récit, La déstructuration répond à la
définition que luidonne le NouveauPetit Robert, c'est-à-dire
une action de déstructurer ; fait de déstructurer ;
état de ce qui en résulte.
Dans cet esprit, comment se décrypte cette destruction,
cette déconstruction du récit dans Tropismes et
LePlanétarium?Comment Nathalie Sarraute réussit-elle
à traduire la complexitédu monde dans le récit ?.
Aussi, devrait-on garder présente à l'esprit
cette notion de récit qui, à vrai dire, a mission d'enseigne
depuis la Poétique d'Aristote jusqu'aux
ProblèmesduNouveauRoman de Jean Ricardou.
En effet, couche verbale qui prend en charge la mise en texte
de l'histoire, le récit doit être, de l'aveu d'Arisote comme un
assemblage d' « histoires
[qui]doiventêtreagencéesenformededrame
,autourd'uneaction
,formantuntoutetmenéejusqu'àsonterme,
avecuncommencement, unmilieuetunefin »3(*) A sa suite, Tzevtan Todorov
dira, à ce propos :
« Un récit idéal commence par une
situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte
un état de déséquilibre; par l'action d'une force
dirigée en sens inverse, l'équilibre est
rétabli »4(*).
Mais avec le choc de la guerre, le récit change de
perspectives, et on le définit avec Jean Ricardou comme:
« une mise en place d'événement qui dans le cas du
récit habituel peut reposersur une chronologie »5(*).
Cette dimension du récit aura des résonances
dans ce qu'il est convenu d'appeler : Le Nouveau Roman. Regroupés
autour de cette étiquette, Alain -Robbe-Grillet, Michel Butor, Samuel
Becket, Claude Olivier, Robert Pinget, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute,
etc., bouleversent à bon escient les codes narratifs traditionnels du
roman qui faisaient autorité de Cervantès à Balzac en
passant par Stendhal...
Cette radicalisation de la nouvelle génération
marque un tournant décisif dans le paysage littéraire en ce
qu'elle porte essentiellement sur les traits spécifiques du roman: le
personnage, la description, la spatio-temporalité, le langage, le
récit, etc. Ce qui fait dire, du reste, à Falilou Ndiaye:
« DeLa ModificationàLa Route des
Flandres, on observe, un certain nombre de tendances majeures: une
désarticulation de l'espace-temps, une désagrégation du
personnage, un refus du psychologique, une déstructuration
durécit qui affecte la logique de la narration, la syntaxe des
actions(...) »6(*).
Pour ce qui a trait au récit, loin d'être
construit traditionnellement par une intrigue et une temporalité
cohérente, par des personnages auxquels le lecteur peut s'identifier,
par un faisceau de lieux et mécanismes sociaux vraisemblables, il suit
ou plutôt épouse les méandres de la
« conscience malheureuse » et des
événements tragiques. De ce fait, le récit pêche
contre la filiation chronologique et logique de la narration, des descriptions,
etc.
En effet, il est singulier de souligner que ces processus
de transformation radicale des formes du roman, ne sont pas créés
ex nihilo étant entendu que le Nouveau Roman reconnaît
une certaine dette envers bien d'autres romans : français, russes,
anglais, etc.
S'il est admis que chaque écrivain tire sa
pertinence de l'écriture dans le terreau d'un autre écrivain de
façon conscience ou inconsciente, il faut reconnaître que les
néo-romanciers sont débiteurs de quelques romanciers des
dix-neuvièmes et vingtièmes siècles.
En effet, si, déjà en 1965, Nathalie
Sarraute écrivait un essai intitulé: Flaubert le
précurseur, on comprend, par-là, son honnêteté
intellectuelle et morale, et de surcroît sa reconnaissance envers un
écrivain soucieux de construire « un livre sur
rien».
Dans cette logique, mis à part Salammbô
(1862) où Gustave Flaubert s'adonne à une sorte
d'archéologie de l'antiquité ou du passé récent,
Nathalie Sarraute jette son dévolu sur Madame Bovary (1857).
Car, de son aveu, cette oeuvre semble un chef d'oeuvre où
« l'inauthentique » est la cheville
ouvrière du récit. A ce propos, Gérard Genette soutient :
« l'oeuvre de Flaubert peut apparaître en partie comme une
oeuvre morte, qui n'aurait plus rien à nous dire, ni peut-être
à nous cacher »7(*).
Par ailleurs, la quête de l'inauthenticité, en
apparence banale, se décrypte manifestement sous la plume de Marcel
Proust, un autre précurseur de la modernité. Aussi, est-il
nécessaire de souligner que la volonté inénarrable de
Proust à chercher ce « temps perdu »,
s'inscrit, en grande partie, dans la perspective de rétracter le primat
accordé au langage à dire et nommer le monde en toute
quiétude.
Cette critique de l' « illusion
référentielle» qui consiste à chercher dans ce
langage un cliché fidèle, une expression fiable de
laréalité, interpelle de nouveau la lucidité de
Gérard Genette quand il écrit :
« L'incapacité du langage à
révéler cette « vérité »
autrement que d'une manière dérobée,
déguisée, retournée, toujours indirecte et comme seconde:
c'est l'âge des mots »8(*).
C'est dire qu'avec Marcel Proust, « l'âge
des noms » celui du contact naturel entre le nom et le lieu, le
mot et la chose, est gommée au profit de « l'âge des
mots».
Naturellement, l'incohérence de ce langage engage
bien entendu le récit dans un terrain mouvant où son
économie verse dans l'anachronie et devient presque invisible. Cette
conception du récit n'a pas échappé à Claude Simon
lorsqu'il écrit : « Personne ne fait l'histoire, on ne la
voit pas, pas plus qu'on ne voit l'herbe pousser »9(*)
Toutefois, en prenant du recul, force est de rappeler la
grande influence russe a marqué d'une empreinte les écrivains
rénovateurs. Leur cheminement esthétique avait sonné le
glas du roman à caractère et favorisé l'érection
d'un roman nouveau où le sujet fait « dialoguer avec
les lobes de son cerveau »10(*)
Cette descente dans le flux souterrain de la conscience de
l'être, débouche, avec Dostoïevski, dans le vide, le
nihilisme et perturbe vraisemblablement la charpente du récit
romanesque. Cet état de fait, nous oblige à convoquer de nouveau
Julia Kristeva qui souligne à juste raison:
«Lorsque le "nouveau roman" analysera au microscope
les "états baladeurs", « semblables » au mouvement
des atomes et qui, sous-jacents, pulvérisent la linéarité
de la communication entre des sujets fins, il désignera en
Dostoïevski le premier qui ait ouvert l'accès à ce monde
souterrain »11(*).
Partant de cette assertion de Julia Kristeva, la
réaction de Nathalie Sarraute est très illustrative:
« J'ai été influencée
d'abord, je crois, par beaucoup d'auteurs, mais en tout cas fortement par
Dostoïevski, et puis Proust et par Joyce»12(*).
Ainsi Nathalie Sarraute et à sa suite, Robbe-Grillet,
Robert Pinget, Butor, etc., vont hériter, approfondir et fortifier cette
littérature pour l'adopter conformément aux préoccupations
de l'heure. Ils prétendent à la fois justifier le besoin
d'innover le roman et le satisfaire. Comment comptent-ils le justifier? Bien
évidemment, en démontrant, dans des écrits
théoriques à l'image de l'Ere du Soupçon
(1956)de Nathalie Sarraute, Pour un nouveau roman (1964) d'Alain
Robbe-Grillet, Essais sur le roman de Butor (1964), qu'il est vain de
vouloir représenter notre monde du vingtième siècle avec
des techniques de narration empruntées au dix neuvième
siècle voire au dix septième siècle. Et comment
entendent-ils le satisfaire? Sans doute, en essayant de créer un nouveau
type de romanesque et une nouvelle forme susceptibles d'aiguiser leur
goût de la recherche narrative .
Dès lors, avec ces néo-romanciers, «Le
génie du soupçon est venu au monde »13(*). Car, l'expérience
vécue est devenue une énigme indéchiffrable, leur
écriture est entachée d'incertitudes à tous les niveaux de
la fiction. Le paradoxe du menteur se trouvant au coeur du
« degré zéro » de cette
écriture, tente, tant bien que mal, de mimer la vérité. A
ce titre, Butor dira, de fort belle manière: « Le roman,
fiction mimant la vérité(...) »14(*)
C'est dire que le roman, loin d'être seulement
l'illusion d'une transparence référentielle, se doit d'allier et
la fiction et la réalité. A titre d'exemples, Les Gommes
(1953) et la Modification (1957), romans respectivement d'Alain
Robbe-Grillet et Michel Butor sont très illustratifs à cet
égard.
Parallèlement, les mécanismes bien
huilées du temps et de l'intrigue grâce auxquels le romancier
traditionnel voudrait nous persuader de la cohérence et de la
stabilité du monde, sont volontairement brouillés et ne
permettent plus de distinguer scènes présentes et scènes
passées. Ce procédé est très significatif dans
La Modification (1957) de Michel Butor où le personnage
principal, Léon Delmont est écartelé entre le
présent et le passé, Paris et Rome, Henriette et
Cécile.
Aussi, le langage, il convient de le souligner, bien
articulé à l'époque traditionnelle, trait d'union entre
les mots et les choses, l'homme et le monde, épouse-t-il, à
présent, les contours aussi bien obscurs que tortueux d'un univers en
désagrégation. Dès lors que les mots du langage
n'obéissent plus à la logique de cohérence, de
stabilité, un renversement s'opère, selon Jean Ricardou qui
affirme : « Un roman est(...)moins l'écriture d'une
aventure que l'aventure d'une écriture ».15(*) « Cette
aventure de l'écriture » n'épargnera pas la
structure et la texture du récit. Il ne sera plus « le
récit d'une aventure » mais « l'aventure du
récit ». Il se dégage ainsi «une
déstructuration, une délinéarisation du texte comme espace
de figuration»16(*)
En vérité, la déconstruction du texte
auto-réflexif a pour fonction, aux yeux de Nathalie Sarraute, de
postuler la participation, sans condition aucune, du lecteur modèle. Cet
être immanent se doit de reconstruire du sens, de reconstruire de la
cohérence, du liant, même s'il n'y en a pas car, la signification
des livres est en nous. Ainsi, à l'esthétique de la production et
de l'imitation succède selon Jauss une « esthétique de
l'effet produit et de la réception »17(*).
Bref, en ce qui concerne le récit, terrain
d'élection des théoriciens et romanciers de la
littérature, le plus historique peut-être des formes narratives, a
évolué de façon significative à travers les
âges. Il supposait traditionnellement traduire des chaînes de
croyances: morales, philosophiques, métaphysiques qui constituaient la
conquête sûre et patiente des meilleurs esprits.
Mais, avec l'impact de la « guerre
mécanique », l'homme et ses valeurs se
déstructurent, s'étiolent et s'éboulent malencontreusement
au même titre que les formes romanesques principalement le récit.
Car, selon Todorov: «l'homme n'est qu'un
récit »18(*).
Donc, à la déstructuration des fondements de
l'humaine condition correspond une déstructuration effective du
récit que les néo-romanciers ne manqueront pas de prendre en
charge dans leurs textes très symboliques, à bien des
égards: la Jalousie (1957), La Modification (1957),
L'Herbe (1963), Molloy (1951), Tropismes (1939),
Le Planétarium (1959), etc.
S'agissant des deux derniers textes qui portent la signature
de Nathalie Sarraute, ils s'inscrivent, comme en témoignent les titres,
dans laperspectivesubversive d'une déstructuration du récit qui
constituera du reste l'objet de notre analyse dans cette présente
étude.
Ainsi, dans les deux ouvrages qui nous occupent, Le
Planétarium (1959) et Tropismes (1938), il ne s'agira pas
de voir, dans le récit, un déroulement logique et chronologique
de l'histoire, mais un processus discontinu de celle-ci, et dans laquelle les
nombreux blancs, les chapitres très courts semble faire la loi. En
cautionnant une telle démarche, ces deux textes nous ont incités
à les rapprocher dans cette présente étude.
Dans cette perspective, notre analyse obéira à
une structure binaire. Elle essayera, dans une certaine mesure, de s'inscrire
dans cette prédilection pour une structuration déconstruite.
Dans la première partie, la question du récit
sera engagée suivant une méthode discursive :
c'est-à-dire, il y sera question de faire une mise au point sur la
configuration du récit, par l'entremise de sa structuration et de sa
logique de composition à travers lesquelles nous essayerons de montrer
comment elles débouchent dans la déstructuration due, en grande
partie, aux « tropismes », sans céder
à aucune exhaustivité.
Cette démarche sera en prise directe avec la seconde
partie consacrée à la narration. Il s'agira, à titre
d'illustrations, de prouver comment les caractères de la narration et
les modes narratifs participent de la déstructuration du récit
dans Tropismes et Le Planétarium.
En fait, dans les deux parties, nous recourerons très
souvent à la représentation schématique pour mieux
élucider le mode de fonctionnement complexe du récit et des
« tropismes ».
Tout compte fait, il nous a paru important de rappeler que
notre démarche ne saurait faire ici une étude exhaustive, mais
elle n'est qu'une esquisse d'un faisceau de disfonctionnements narratifs que
les néo-romanciers n'ont manqué de souligner.
PREMIERE PARTIE :
CONFIGURATION GENERALE DU RECIT
Dans Tropismes et Le Planétarium
La configuration du récit, évolue au fil de
l'histoire, témoignant au travers d'une gamme de ruptures, de
réorientations fondamentales du genre romanesque.
La seconde moitié du vingtième siècle,
marquée par l'Ere du soupçon à tous les niveaux
de la fiction ou plutôt du texte, obéit à des principes de
forme qui s'émancipent des canons esthétiques traditionnels.
Ainsi, dans Le Nouveau Roman, plus précisément
dans Tropismes et Le Planétarium, il ne s'agira pas
seulement de suivre une histoire dans sa dimension épisodique mais de
pouvoir saisir ensemble ses événements successifs et sa
configuration sémantique.
Cet état de fait attire l'attention de Jean Michel Adam
qui soutient :
« (...). le récit le plus humble est
toujours plus qu'une série chronologique des événements.
L'activité narrative comme ordre chronologique et ordre configurationnel
: suivre le déroulement d'une histoire (ordre chronologique), c'est
déjà réfléchir sur les événements en
vue de les embrasser en un tout signifiant (ordre
configurationnel) »19(*)
C'est dire, par exemple dans Tropismes, que
l'écrivain loin de nous présenter une séquence d'action
structurée, livre le drame d'une écriture cherchant à
« peindre l'invisible (...), à capter et à
communiquer des sensations, des impressions vagues et fugitives en se
plaçant d'un point de vue aussi objectif et neutre que possible, qui ne
soit celui ni du narrateur, ni du lecteur, encore moins le monologue
intérieur d'un quelconque héros »20(*)
Dans cette veine, Le Planétarium cautionne
cette forme d'écriture qui se présente comme un récit aux
leviers multiples où toute tentative de représenter le monde,
d'exprimer sa cohérence est vouée à l'échec.
Par ailleurs, eu égard à ces
caractéristiques, un certain nombre de points méritent
d'être passés au crible.
D'abord, on sera amené, dans cette première
partie, à décrypter les thèmes qui sous-tendent la
structuration du récit : de Tropismes au
Planétarium, et spécifier les procédés
symptomatiques de la déstructuration du récit.
Ensuite, on verra comment la logique de la composition
est-elle prise en considération dans ces deux romans constitutifs de la
théorie littéraire sarrautienne.
Enfin, vu que le Nouveau Roman est né, si nous osons le
dire, des ruines du roman réaliste, on jugera nécessaire de faire
appel à des exemples tirés d'oeuvres romanesques de type
balzacien et à des schémas histoire de mieux élucider
notre cheminement.
CHAPITRE I : STRUCTURATION DU RECIT
Organisation formelle de la narration, le récit se lie
à une structuration qui désigne la manière dont celui-ci
fonctionne, progresse et acquiert une structure. Laquelle structure est
centrée sur une idée de l'unité d'action organisée,
ternairement selon Aristote en commencement, milieu et fin c'est-à-dire
en prologue-exposition, noeud et dénouement. Tel est le schéma
épique, dramatique qui a, des siècles durant, organisé le
genre romanesque.
Dans cette perspective, qu'on relise, pour s'en convaincre,
Le Père Goriot21(*)d'Honoré de Balzac. Dans ce Chef-d'oeuvre
de la littérature française du dix-neuvième siècle,
la fiction du récit s'amorce avec la description de la
« pension bourgeoise » pour ne connaître,
après une complication dynamique (milieu) son épilogue
qu'à la « mort du père » c'est-à-dire
le 21 février 1820, date de l'inhumation du père Goriot,
héros éponyme du roman.
Aussi, considérons, pour des besoins de clarté
et de concision ce croquis qui souligne le déroulement logique et
chronologique de ce roman réaliste :
Quatrième Partie
Troisième Partie
Deuxième Partie
Première Partie
« La mort du père »
(PP.219-271)
« Trompe-la mort »
(PP.160-218
« L'entrée dans le
monde »(PP.92-159)
« Pension bourgeoise » (PP : 7-91
Dénouement
Prologue-Exposition
Noeud
Si traditionnellement le récit est bâti sur le
socle de la cohérence, de la linéarité, avec le
Nouveau Roman enfanté par la faillite de l'idéal
humaniste et la religion du progrès, le récit sarrautien
singulièrement dans Tropismes et LePlanétarium
cloue au pilori la chronologie pour ne porter au pinacle que la
subjectivité de la narration, l'imitation de la réalité,
la forme structurelle.
Partant du fait qu'« à chaque oeuvre sa
forme »22(*), l'on en infère que l'examen des
Tropismes et du Planétarium laisse ainsi entrevoir une
structuration qui ne fait pas corps avec les idéologèmes du
récit réaliste.
Dans Tropismes, par exemple, le symbolisme du cercle
fonctionne, d'entrée de jeu, comme la colonne vertébrale du
récit marqué par des aller-et retours incessants, le
sérialisme de la description, etc.
L'armature du récit qui n'est pas sans rappeler le
style « à sauts et à gambades » de
Montaigne, laisse pressentir le mouvement giratoire de la planète
terre.
Dans Le Planétarium, cette technique
d'écriture est portée à la perfection. En effet, Sarraute
convoque des éléments de l'univers cosmique tels les astres, les
planètes qui se spécifient par leur circularité pour les
adapter aux lois de la nature humaine comme les tribus, les cercles, etc.
Par ailleurs, cette nouvelle conception du récit n'est
pas sans poser des problèmes complexes. C'est pourquoi nous nous
proposons de voir ce qui justifie la structuration du récit dans
Tropismes et LePlanétarium.
Nous ne ferons pas une analyse de la génèse du
récit, mais nous tenons à montrer quelques-uns de ses aspects
comme par exemple :
- L'histoire qui n'a de sens que celui du récit, de
l'écriture ;
- L'ordre et la structure.
I-1 : HISTOIRE
L'histoire, du moins la conception sarrautienne de l'histoire
du récit romanesque fait voir une démarche qui se
détourne de celle du roman traditionnel. Sans nul doute, ce refus de
l'histoire s'explique par le fait que l'histoire de l'humanité est
devenue plus problématique que jamais. Tropismes et Le
Planétarium exhibent cet univers en désagrégation en
dissipant l'histoire ou en rendant
« invisibles ».
Ainsi, avant d'énoncer la quintessence de l'histoire du
récit dans Tropismes et Le Planétarium, il
importe, de prime abord, d'élucider ce qui fait l'essentiel des
titres.
Ouvrant la presque romanesque de Nathalie Sarraute,
« tropismes », à première vue,
semble se définir scientifiquement comme des « (...)
réactions de locomotion et d'orientation, causées par des agents
physiques ou chimiques, l'organisme se courbant ou se déplaçant
vers la source externe ou en sens opposé »23(*).
Certes, Sarraute s'est inspirée de ce concept pour le
moins Chimique et foncièrement animal et végétal, mais
elle le repense, l'actualise, pour une raison ou une autre, en dépassant
son acceptation première. Ainsi, dans l'Ere du soupçon,
elle soutient, au sujet des « tropismes », que ce
sont :
« Toutes ces contorsions bizarres (...) tous ces
bonds désordonnés et ces grimaces, avec une précision
rigoureuse sans complaisance ni coquetterie, traduisent au dehors, telle
l'aiguille d'un galvanomètre qui retrace en les amplifiant les plus
infimes variations d'un courant, ces mouvements subtils, à peine
perceptible, fugitifs, contradictoires, évanescents, de faibles
tremblements, des ébauches d'appels timides, et de reculs, des ombres
légères qui glissent, etdont le jeu incessant constitue la trame
invisible de tous les rapports humains et la substance même de notre
vie. »24(*)
C'est dire que Sarraute, tout en mettant à
découvert les phénomènes de psychologie collective,
dévoile l'hétéronomie essentielle des existences
individuelles prise dans le mouvement perpétuel du
« Planétarium » social qui, selon Le
Robert, signifie une « représentation, à des
fins pédagogiques, des corps célestes sur la voûte d'un
bâtiment ».
Au-delà de cette signification première,
Georges Raillard, en écho à la vision astrologique sarrautienne
sur fond de relations humaines, voit dans Le Planétarium
l'« intelligence d'un système de rapports mouvant et la
création sans lequel ils n'apparaîtraient
pas »25(*).
A la lumière de cette pensée, l'on est tenté de dire que
Le Planétarium est le lieu d'attraction et de réaction
où chaque être cherche à se définir, s'imposer par
référence aux autres qui sont de faux astres, qui
« ne sont pas les vrais Guimier ». (P.197). De
fait, Sarraute souligne, à ce propos : « (...) Si le livre
s'appelle Le Planétarium, c'est précisément parcequ'ils
[les personnages] ne peuvent être que de faux astres, des apparences, des
copies »26(*)
Ces faux-semblants, qui recouvriraient les
« tropismes » que Sarraute cherche à
montrer au lecteur, s'attirent, se repoussent, s'influencent au sens
astronomique du terme. En outre, un personnage peut parfois au cours du
récit influencer un autre du fait de son statut d'écrivain. Ainsi
les tractations d'Alain pour réussir son examen d'entrée dans le
cercle de Germaine Lemaire en sont mille et une illustrations.
A présent, nous nous bornerons à l'examen de
l'histoire, quoique terne, dans Tropismes et Le
Planétarium à cause peut-être du
phénomène absurde de la guerre.
En fait au vingtième siècle, le choc de la
guerre est telle que le récit et ses virtualités subissent la loi
de l'innovation. Les tentatives de renouvellement du récit sarrautien
s'expliquent, en grande partie, par la volonté de remettre en question
une forme idéologiquement trop marquée comme par exemple
l'histoire du récit qui est, selon Aristote :
« Imitation d'action (...) qui forme un tout; et
les parties que constituent les faits doivent être agencées de
telle sorte que, si l'une d'elles est déplacée ou
supprimée, le tout soit troublé ou bouleversé
[...] »27(*)
Du coup, si, dans le roman de type balzacien, l'histoire
était portée aux nues, dans le nouveau roman
singulièrement dans Tropismes et lePlanétarium
« raconter est devenu proprement
impossible »28(*), car l'univers diégétique
développe des histoires insignifiantes qui ébranlent ou
défient toute solidité, toute chronologie du récit.
Ainsi, dans Tropismes l'histoire est apparemment
inexistante puisqu'on remarque une superposition, une imbrication de
micro-récits. Qu'on se rappelle la phrase-seuil du roman où l'on
semble lire l'histoire des « ils » qui
« semblaient sourdre de partout, éclos dans la
tiédeur un peu moite de l'air » pour regarder
« l'exposition de Blanc »
(T.11-12) ; ou encore dans le
« tropismeII » où il est question d'une
convive qui réunit « à table la
famille » (T.15); plus loin encore on semble lire
l'histoire d'un professeur du collège de France qui disserte sur
« son âge, de son grand âge et de sa
mort » (T.52) etc. De ce fait, l'histoire de ces
récits apparaît comme une version de la vie et non une
représentation de la vie.
Dans Le Planétarium l'histoire du
récit développe une intrigue quasi diverse, car il est illusoire
de narrer une aventure ou de se prétendre le témoin impartial
d'une histoire indépendante des sujets qui l'enregistrent. Qu'on relise
l'incipit du roman où il est question d'une
« poignée de porte » (P.13), d'un
« rideau de velours » (P.7) ou encore
plus loin des « carottes râpées »
(P.98), d'un appartement de Tante Berthe à propos duquel Alain
et Gisèle entendent s'accaparer. En fait, l'entrecroisement de ces
histoires du récit vise essentiellement à dissoudre l'histoire
principale du récit qui n'est qu'un fil tenu qui permet de réunir
les mouvements psychologiques autour de paroles et d'objets.
Dans cette perspective de renouvellement de l'histoire du
récit de type balzacien, « l'intrigue n'est-elle pas en
train de disparaître de l'horizon littéraire? »29(*). On répondra par
l'affirmative en ce sens que, dès Madame Bovary de Flaubert on
remarque « une désagrégation de
l'intrigue » qui brouille les séquences du récit.
Comment cette déconstruction de l'intrigue de l'histoire se
manifeste-t-elle dans le Tropisme et Le Planétarium?
Dans ces deux romans, « peut-on encore parler d'intrigue, quand
l'exploration des abîmes de la conscience paraît
révéler l'impuissance de la gage lui-même à se
ressembler et à prendre forme? »30(*)
Ainsi, dans Tropismes on lira moins une intrigue
événementielle qu'une spirale de micro-récits s'employant
à appréhender une réalité toujours chancelante et
indécise des personnages qui, telles des poupées,
« s'allumaient, s'éteignaient, s'allumaient,
s'éteignaient, toujours à intervalles identiques »
(T.12). C'est dire que dans ce texte l'intrigue du récit est
sans nul doute le langage qui tente, tant bien que mal, de mettre à
découvert l'angoisse de ces « êtres de
papier », de capter ces fourmillements secrets et internes,
cette « sous-conversations » qui creuse de ses
antagonismes et de ses ambiguïtés des dialogues et des
interrogations en apparence banals voire insignifiants. A ce propos, convoquons
le récit XV dans lequel le personnage anonyme (il ) taraude son
interlocuteur dans un interrogatoire sans fin à propos de l'Angleterre :
« L'Angleterre... Ah ! oui, l'Angleterre... Shakespeare?
Hein? Hein? Shakespeare. Dickens- je me souviens, tenez, quand
j'étais jeune, je m'étais amusé à traduire du
Dickens. Thackeray. Vous connaissez Thackeray? Th .... c'est bien comme cela
qu'ils prononcent? Hein Thackeray? C'est bien cela ? C'est bien comme cela
qu'on dit? » ( T. 94).
De fait, cette insignifiance de l'intrigue qui institue des
trous entre les noeuds du récit et reflète un univers de l'ennui,
trouve sa validité dans Le Planétarium. Dans ce roman,
le récit développe une intrigue aux allures ternes et
dévoile moins un univers objectif qu'une représentation
subjective de ce monde où l'angoisse règne en maître.
En quoi, l'angoisse des personnages constitue-t-elle la trame
du récit? Bien évidemment, parce qu'un simple détail
intériorisé peut engendrer, générer une existence
insupportable. Ainsi l'évocation de la
« poignée » dès la séquence
d'ouverture du Planétarium, est convaincante :
« la poignée, l'affreuse poignée en nickel,
l'horrible plaque de propreté en métal blanc... c'est de
là que tout prévient, c'est cela qui démolit tout, qui
donne à tout cet air vulgaire » (P.11).
L'histoire de cette
« poignée », mise en intrigue par le
récit, rehausse le sentiment d'angoisse de Tante Berthe
obsédée par la décoration de son appartement. Du reste,
notons au passage que dans ce récit, Sarraute superpose et mêle
plusieurs intrigues aptes à obscurcir la vision interprétative du
lecteur lamda. En effet, tout lecteur averti semble décrypter, mis
à part l'histoire de la « poignée de
porte » (P.13), l'histoire des
« fauteuils de cuir » (P.43) qui met aux
prises Gisèle, sa mère et Alain Guimier. En clair, Alain et
Gisèle rejettent « les deux superbes
fauteuils » (P.42) que leur offre la mère pour ne choisir
que la « bergère ancienne » (P. 43. De
surcroît, le chapitre suivant est très constitutif de cet
entremêlement, de cette imbrication des micro-récits. Dans ce
macro-récit, prennent place tantôt l'histoire de la
« poignée » (P.62) de porte
évoquée précédemment, tantôt l'histoire de la
« bergère » (P.67) ou encore
l'histoire de l'« appartement » (P. 71)
de Tante Berthe.
Il en est de même dans Tropismes : la
narratrice imbrique et le récit de « elle »
qui « était accroupie sur un coin de
fauteuil »(T.57) et le récit de « il»
qui « sentait à tout prix il fallait la
redresser » (T.57). Ces deux micro-récits
gouvernent le récit principal qui perd du coup, sa
linéarité. Cette déchronologie du récit
procède du parallélisme institué par l'opposition de ces
éléments du texte.
Par ailleurs, si, traditionnellement l'histoire du
récit était structurée, cimentée suivant un
cheminement logique et chronologique, dans le récit
néo-romanesque, en revanche, elle est fondée sur des
duplications intérieures de sorte que par un effet de mise en abyme la
signification générale du récit se trouve agrandie ou
rehaussée. Dans cette veine, Nathalie Sarraute brise nettement les
barrières du conservatisme romanesque dont l'action dramatique semblait
être la sève nourricière du récit. En effet, elle
était naguère fondée sur l'atteinte du but inscrit dans
un projet finalisé, pour la réalisation duquel doit être
suivie une logique d'enchaînement séquentiel, linéaire des
faits.
Dans le récit Sarrautien, l'action est chargée
de fragments d'histoires tendant à gommer les solutions de
continuité du récit. Ainsi, dans Tropismes,
l'évolution thématique de la négativité des
« êtres de papiers » génère
l'effacement du processus même de l'action. Car, qu'ils s'agissent des
«ils» ou des «elles», Sarraute n'accorde
aucun support d'actions précises, d'où l'intérêt des
«tropismes» qui nient toute concrétisation narrative
se manifestant par le foisonnement des questions. Qu'on relise à ce
propos le quinzième « tropisme » :
« Vanity Fair? Vanity Fair? Ah, oui, vous en êtes
sûre? Vanity Fair? C'est de lui? » (T. 95).
En effet, ce pool de questions vise non seulement à
déstructurer le récit en euphémisant et en brouillant ses
marques mais aussi à remettre en question le personnage pris pour un des
piliers de l'illusion réaliste et des routines de lecture.
Il convient de remarquer, dans cette perspective, que Le
Planétarium nous conduit au coeur de cet univers de fiction pris en
charge par l'histoire, les actions et les personnages du récit. Ainsi la
mise en question sur l'identité d'un personnage est symptomatique d'une
crise du réalisme. Car, la narratrice du récit se demande si
« Madame Germaine Lemaire est-elle notre Madame Tussaud?»
(P.155). Dans ce même registre, la notion de fiction tire sa pertinence
de l'usage en apparence disjoint de l'adverbe
« vrai-ment » dans par exemple le récit qui
voit les Guimier taxés d'agresseurs :
« ... Les Guimiers ont osé? Alain a osé
menacer sa tante? Vrai-ment?» ( P.194). Eu égard à la
configuration de l'adverbe « vrai-ment », l'on
déduit que le récit sarrautien est au carrefour de deux
registres: le registre de la réalité et le registre, pourrait-on
dire, de l'irréalité. De ce point de vue, la conception de
Todorov au sujet de l'oeuvre littéraire est pertinente à cet
égard. Il affirme, à ce propos:
« (...) l'oeuvre littéraire à deux
aspects : elle est en même temps histoire et discours. Elle est histoire,
dans ce sens qu'elle évoque une certaine réalité des
événements qui se seraient passés, des personnes qui, de
ce point de vue se confondent avec la vie réelle. Mais l'(oeuvre est en
même temps discours : il existe un narrateur qui relate
l'histoire »31(*)
C'est dire que les narrateurs sarrautiens dans
Tropismes et Le Planétarium en racontant des histoires
du vécu quotidien brouillent « la clarté
narrative », car ils ne font que les reconstituer à coups
de discours, d'images qui sous-tendent le trompe-l'oeil .
Ainsi, dans Tropismes lit-on : « (...)
sur le masque des choses, le soupesaient un seul instant (était-ce joli
ou laid?), puis le laissaient tomber » (T.64). En fait,
le masque semble être un maillon essentiel de cette apparence trompeuse
dans la texture du récit.
De même dans Le Planétarium le narrateur
pour prouver l'inanité de ses discours soutient : « ...
j'ai raconté des histoires, n'importe quoi, ce qui me
préoccupait, j'étais encore tout plein de ces histoires
d'ameublement, d'appartement... » (P.93). En clair, il est
symptomatique de souligner que dans le récit sarrautien il est une
fracture entre le texte signifié et la réalité et qu'entre
les deux s'interpose la médiation du langage qui, devient par voie de
conséquence l'action du récit. Puisque l'univers du texte n'est
jamais que le réel organisé par l'écriture, par les mots
qui «se forment n'importe comment, ils jaillissent, transparents et
légers, bulles scintillantes qui montent dans un ciel pur et
s'évanouissent sans laisser de traces.» (P.121).
Lesquels mots s'insèrent véritablement dans la fiction du
récit qui est selon Yves Reuter « l'histoire et le monde
construits par le texte et n'existant que par les mots, ses phrases, son
organisation»32(*)
Du reste, il convient, avant de conclure sur ce point, de
signaler, de faire le point sur les actions des personnages dans l'histoire du
récit. En effet, ces «forces agissantes» c'est
à dire ces personnages humains jouent essentiellement un «
rôle thématique » qui désigne selon Yves
Reuter la catégorie socio-psycho-culturelle dans laquelle on peut les
lister. Ainsi suivant la catégorie à laquelle appartiennent les
personnages sarrautiens, un constat s'impose: les personnages dans
Tropismes et Le Planétarium sont mus par des actions
et des réactions qui les incitent à cultiver un désir
ardent de contact ou plus exactement de communication. Du coup, le
troisième axe c'est-à-dire la dichotomie
«destinateur/destinataire» du schéma actantiel de
Greimas semble trouver ici toute sa validité. A ce niveau de la
réflexion surgit une question : Comment se manifeste ce désir de
contact des personnages dans Tropismes et
LePlanétarium? En fait, de Tropismes au
Planétarium qu'ils s'agissent des «elles»,
des «ils» cheminant de concert, de multiples groupes
à l'image de celui de Germaine Lemaire et sa camarilla de jeunes
écrivains, d'Alain et de Gisèle, on semble lire une connivence
caressant les personnages sarrautiens et débouchant dans la
bouffonnerie.
Ainsi dans Tropismes les actions des personnages du
récit sont enlisées dans «une matière anonyme
comme le sang, dans un magma sans nom, sans contours»33(*). Ce qui explique l'emploi
répété des pronoms indifférenciés pluriels
comme «elles» qui émaillent la texture du
récit. La phrase-seuil du texte est constitutive de cette orchestration
narrative où les «(...) ils formaient des noyaux plus
compacts» (T.11).
En effet, par l'usage du morphème «
-pacts » dans « compacts », on semble lire
un pacte, du moins un contact qui scelle les différents personnages du
récit à toute action visant à les individualiser.
Si, dans Tropismes, l'action des personnages est
sinon passive du moins nulle et non avenue, dans Le Planétarium
elle se manifeste, à des degrès divers, par la quête de
l'autre et de son approbation. Ainsi, le cercle de Germaine Lemaire est sans
nul doute le lieu privilégié de connivence et de convergence qui
se traduit par un sentiment de solidarité, d'entente obligeant ces deux
protagonistes du récit à savoir Alain et Germaine Lemaire
à « (...) se comprendre par delà les
mots » ( P.83). Pour ce qui concerne Alain, son
désir de contact est manifeste lorsqu'il entend raconter son auditoire
des manies de sa Tante Berthe ou bien lorsqu'il multiplie les actions
susceptibles de séduire l'autre comme Germaine Lemaire à qui
« il étale (...) ses présents, ses offrandes, tout
ce qu'il possède » ( P.84 ).
En fait, le désir de contact qui trouve bien des
échos dans Tropismes et Le Planétarium vise non
seulement à cimenter les liens mais aussi à canaliser certains
personnages hypersensibles à l'image de
« elles » et de Tante Berthe, la
« maniaque ».
Aussi, il est tentant de souligner que ce désir de
contact des personnages sarrautiens génère dans l'économie
du récit un contraste entre le rôle thématique et les
actions que les personnages qui le figurent sont amenés à
exécuter en assumant, du coup un rôle thématique
opposé. De l'avis de Reuter, le lieu, dans un même personnage,
« de deux rôles thématiques opposés peut
provoquer un effet de scandale ou d'humour »34(*), on dira de bouffonnerie.
Ainsi, dans Tropismes, « le
maître de ballet » a maillé à partir avec
les « elles » qui franchissent « le
plan interdit » « T.28 » en
mêlant deux rôles thématiques : danseuses-bouffonnes.
Ce qui suscite « l'histoire d'un scandale »
( T.ibid.) soulignée par le narrateur du
récit :
« Mais non ! Ah ! C'était fou,
cela ne l'intéresse pas ou cela lui a deplu : il se renfrogne tout
à coup, comme il fait peur, il va les rabrouer d'un air furieux grognon,
il va leur dire quelque chose d'avilissant, les rendre ( elles ne savent
comment) conscientes de leur bassesse » (Ibid).
Cette séquence du récit prouve que, dans
Tropismes tout comme dans LePlanétarium,
« les rôles ne sont jamais figés dans l'univers de
Nathalie Sarraute »35(*). Considérons l'exemple qui essaye de s'arroger
deux rôles thématiques : d'abord le rôle d'intellectuel
et ensuite le rôle de bouffon. En effet, si le bouffon est, par essence,
l'être qui réussit à purifier les passions et à
désamorcer le tragique, provoquant un rire libérateur, ses
bouffonneries n'enclenchent pas toujours le rien. Illustrative est la
scène dans laquelle Alain Guimier qui promet aux hôtes de sa
belle-mère de les faire tordre de rire en pastichant les maniaqueries de
son « numéro » de tante, voit son action
vouée à l'échec, à
l' « inachèvement » pour parler comme
Yves Reuter.
Il suffit de relire ce fragment de texte pour souligner le
fiasco d'Alain : « tout le monde a un peu mal maintenant,
la descente sur lesmontagnes russes a mal tourné, ils se sont
cognés. Ils sentent un peu ridicules, un peu
gênés ». (P.33).
Eu égard à la psychologie des invités,
une question demeure de savoir pourquoi les bouffonneries provoquent ce malaise
au lieu du rire escompté. Parce que tout simplement Alain s'est
aventuré sur un terrain qui n'est guère le sien
c'est-à-dire qu'il a émigré les régions obscures
des « tropismes » pour un espace
théâtral régi par d'autres règles et
particulièrement celles de la visibilité et de l'ostentation. Du
coup, la théâtralisation d'un personnage clownesque brouille
vraisemblablement les repères, les canons-esthétiques du roman
traditionnel.
Dans cette logique subversive, il importe de noter qu'à
l'image de Dostoïevski, Nathalie Sarraute considère le bouffon
comme un rôle théâtral mais à l'opposé du
romancier russe qui distribue ce rôle à certains personnages dont
la figure archétypale du père Karamazov, elle ne le réduit
pas à un emploi fixe : chacun dans Tropismes et le
Planétarium, à tout moment, peut se livrer à des
bouffonneries puisque chaque « nous » comporte un
élément clownesque auquel les autres éléments de
la personnalité laissent une liberté plus ou moins grande.
Rappelons, dans cette perspective, le récit du narrateur des
Tropismes qui montre, en énonçant l'état d'esprit
de leur grand-père et grand-mère, qu' « ils
n'étaient pas comme nous », car sa grand-mère
« avait conservé toutes ses dents à son
âge » (T.122). Dans ce même ordre
d'idées, le personnage de Germaine Lemaire, dans Le
Planétarium, évoque à la clausule du roman,
l'idée selon laquelle : « (...) nous sommes bien tous un
peu comme ça » (P.251). Autrement dit tous les
personnages qui occupent les récits du roman sont des clowns tels par
exemple Tante Berthe, Gisèle qui se conforment au masque que les autres
leur ont appliqué. La première exagère devant les ouvriers
la caricature de la femme sénile et capricieuse jusqu'à la
bouffonnerie : « et puis elle sent qu'il est
préférable au contraire de forcer grotesquement les traits de
cette caricature d'elle -même qu'elle voit en eux, de se moquer un peu
d'elle-même avec eux pour les amadouer, les désarmer, elle prend
un ton infantile, pleurnicheur.... » (P.13).
Quant à la seconde, véritable
caméléon, elle se mue alternativement en rapace sous les yeux de
son beau-père, Pierre et en renardeau sous le regard d'Alain :
« (...) Elle sait ce qu'il voit : elle
sent son propre visage se figer sous ce regard. Une expression usée,
vorace apparaît, elle le sent sur ses propres traits, dans ses yeux, elle
a l'oeil fine d'un oiseau de proie (...) » (P.115).
Après cette analyse de l'histoire du récit, il
serait intéressant de voir aussi la façon dont l'ordre et la
structure sont déconstruits.
I-2 : ORDRE ET STRUCTURE
Dans la conception littéraire du roman, le
récit traditionnel pouvait se construire sous des auspices balzaciens et
parvenait parfaitement à peindre les différentes étapes
d'une société dans laquelle « tout visait à
imposer l'image d'un univers stable, cohérent, continu, univoque,
entièrement déchiffrable»36(*).
Mais, il est très vite apparu que cet
itinéraire ne pouvait plus être décrit de façon
aussi linéaire, ordonné et logique, puisque la
réalité est submergée par une crise morale sans
précédent affectant les croyances, les idéologies, et les
formes mêmes de la représentation esthétique ou
littéraire.
Cette crise de conscience génère
l'expérimentation de certains thèmes tels par exemple l'ordre et
la structure du récit.
S'agissant de l'ordre, il désigne selon Yves Reuter
«le rapport entre la succession des événements dans la
fiction et l'ordre dans lequel l'histoire est racontée dans la
narration»37(*).
Autrement dit, il est traditionnellement une correspondance entre l'ordre de la
narration et l'ordre chronologique de la fiction.
Cet état de fait s'explique par le fait que l'ordre
naturel du monde de l'époque était lié«à
tout un système, rationaliste et organisateur, dont
l'épanouissement correspond à la prise du pouvoir par classe
bourgeoise»38(*)
En fait, ces repères chronologiques foisonnent dans la
littérature traditionnelle. L'exemple le plus habile peut être
fourni par le début du Père Goriot de Balzac : le
lecteur y apprend incidemment la date à laquelle se déroule
l'histoire alors que le narrateur évoque l'année 1792 comme
étant l'aube du récit.
Mais, avec le Nouveau Roman, le récit ne se
conforme plus à l'ordre chronologique de facture traditionnel.
L'entreprise de Nathalie Sarraute s'insère ici tout naturellement.
Tropismes et Le Planétarium scellent de la
manière la plus exemplaire le crépuscule de cette tradition
où « le discours narratif n'y intervertit jamais l'ordre des
évènements sans le dire (...). » 39(*)
En fait, ces deux textes semblent, à la fois, se
développer suivant un ordre et un désordre dans l'armature du
récit. Puisqu'on semble lire une distorsion entre « la
série du racontant, l'ordre du texte tel qu'il est, avec tous les
bouleversements possibles de la linéarité temporaire et la
série du raconté ou chronologie des
événements»40(*) . C'est-à-dire le conflit
entre la série racontée nous permet d'appréhender la
façon dont s'ordonne le récit sarrautien.
Aussi, ne sera-t-on pas étonné de voir que
Nathalie Sarraute pose essentiellement la nécessité de s'arracher
aux illusions du roman traditionnel en usant fréquemment des ouvertures
in media res dans Tropismes et LePlanétarium. Ces
textes signalent la vacuité inaugurale des récits. Convoquons,
par exemple, la phrase-seuil des Tropismes :
«Ils semblaient sourdre de partout, éclos
dans la tiédeur un peu moite de l'air, ils s'écoulaient doucement
comme s'ils suintaient des murs, des arbres grillagées , des bancs , des
trottoirs sales des squares.» (T.11).
En fait, l'usage fréquent des verbes d'actions
«s'écoulaient», «suintaient»
soulignent que nous sommes effectivement au milieu de l'action. II en
est de même de l'incipit du Planétarium/
«Non vraiment , on aurait beau chercher , on ne
pourrait rien trouver à redire , c'est parfait...une harmonie exquise,
ce rideau de velours, un velours très épais, du velours de laine
de première qualité (...)» (P.7).
En effet, cet incipit laisse pressentir une dimension orale
qui brouille l'ordre d'apparition des récits et s'insère dans le
vide, l'indicible. Ces ouvertures constitutives du récit sarrautien
n'ont pas échappé à Falilou Ndiaye qui soutient en ces
termes :
«Dans ses romans, Nathalie Sarraute, dès la
première page, laisse échapper la coulée d'une parole dans
les méandres indicibles : murmures, vides, silences, et tropisme
(...)»41(*).
C'est dire que Sarraute le langage discontinu est au premier
rang de sa conception littéraire. Cette vision littéraire se
soucie moins de l'ordre temporel que « L'espace scriptural
où les mots sont figés, réifiés dans leur rigueur
et solitude. »42(*). C'est la raison pour laquelle, on
n'entrevoit pas, dès l'ouverture des récits, aucun indice
temporel : années, jours, heures. Ces données temporelles
avaient droit de cité dans les romans traditionnels.
De ce fait, c'est le lieu de préciser que ces
ouvertures in média res mettent en exergue leur fonction phatique en ce
sens qu'elles postulent, d'entrée de jeu, la conscience
interprétative du lecteur, seul habité à mettre en branle
« la machine paresseuse », pour parler comme
Umberto Eco, qu'est le texte.
Cette nouvelle vision du lecteur consistera,
véritablement, à restreindre l'écart esthétique
entre l'horizon d'attente et l'oeuvre proposée.
Par ailleurs, au-delà de ce début in media res,
force est de souligner que le récit néo-romanesque ou
plutôt le récit sarrautien présente, de part en part,
«des anachronies narratives : Différentes formes de
discordance entre l'ordre de l'histoire et celui du récit»43(*) . Celles-ci consistent
dans deux types : les anachronies par anticipation et les anachronies par
rétrospection. Ainsi, il nous a paru nécessaire de les
déceler dans l'épaisseur des Tropismes et du
Planétarium.
Commençons par l'anachronie par anticipation encore
appelée prolepse ou cataphore qui consiste selon Yves Reuter
«à raconter ou à évoquer un
événement avant le moment où il se situe
« normalement » dans la fiction»44(*) .
Dans cette optique, les rêves promontoires ou les
prophéties constituent les indices majeurs qui sous-tendent la prolepse.
Ainsi, dans Tropismes, le huitième texte trouve ici toute sa
validité. Le professeur du collège de France explique à
son enfant sur le devenir de son grand-père :
«Que diras-tu quand tu n'auras plus de
grand-père, il ne sera plus là ton grand-père, car il est
vieux, il sera bientôt temps pour lui de mourir»(T.52).
Dans ce fragment de texte, l'usage du futur simple de
l'indicatif cautionne l'anachronie par anticipation tirant, de ce fait, sa
pertinence dans LePlanétarium. Ce texte offre aussi un ou des
exemples de procédés par anticipation. Ceux-ci relèvent
généralement de la prophétie, du voeu etc,.
L'exemple le plus patent semble être les desiderata d'un
père à l'égard de son fils putatif, Alain. Pierre,
entendant mesurer les capacités intellectuelles d'Alain avec celles
d'une sommité de la critique littéraire, soutient :
«Mais j'en suis fier. Alors il parait que ce sera
notre grand critique ? Un future Sainte- Beuve...» (p.126)
En fait, cette comparaison caresse une pointe ironique dans la
mesure où Nathalie Sarraute est viscéralement hostile à
l'égard des critiques. La vision de Anne Jefferson est, de ce point de
vue, très significative :
« Nathalie Sarraute s'est toujours
méfiée des critiques d'une part parce que, selon elle, le
discours critique est toujours voué à l'échec, et d'autre
part, parce que la personne critique s'interpose fatalement entre le lecteur et
l'écri-vain. »45(*)
Par ailleurs, mis à part les voeux d'un
père hautain, il est cependant tentant de noter que les rêves
insomniaques de tante berthe qui voit en rêve les mises en garde
d' Alain et sa bande au sujet de l'appartement :
« Hé on dit çà, mais un
jour vous y reviendrez, vous n'aurez pas le courage de garder tout
çà pour vous ... çà demande trop
d'entretien, il vous vaudrait quelque chose de plus petit...Vous le
céderez à votre neveu... ils ont besoin d'espace, eux, les
jeunes gens, et vous serez si contente de faire quelque chose pour eux, de
regarder pousser autour de vous des petits enfants ».
(P.183).
Au plus prés de cette séquence narrative, il
ressort que la marque des guillemets («... ») Soulignant le
caractère prémonitoire des propos de Tante Berthe perturbe
l'ordre du quinzième texte. De plus, le relais des pronoms personnels
(le, ils) cautionne le désordre au sein même du récit.
Toujours, dans cette perspective aux relents anarchiques du
récit, convenons qu'à ces segments proleptiques succèdent
tout au long du récit sarrautien des prolepses répétitives
qui, de l'aveu de Gérard
Genette, « réfèrent d'avance à un
événement qui sera en son temps raconté tout au
long »46(*).
Cette entité de la prolepse a valeur de loi dans
Tropismes et LePlanétarium.
Dans Tropismes, l'histoire des
« ils » évoquée dés l'incipit
est, de place en place, annoncéeau fur et àmesureque le
récit se déploie .Nous en voulonspour exemple ces
trois extraits de texte titrés respectivement des
tropismes : deux, trois, seize ...
« Ils s'arrachaient à leurs armoires
à glace (...) » (T .15).
« Ils étaient venus se' loger dans des
petites rues tranquilles (...) » (T. 21).
« (...) ils étaient vieux, ils étaient
très usés (...) » (T.99).
Dans Le Planétarium, dès
l'ouverture du récit, aussi bien l'histoire ou l'événement
de la « poignée de porte » que celui de
« l'appartement » on remarque une reprisede l'un
ou de l'autre dans l'architecture du texte.
Eneffet, le récit de « la
porte », évoqué dès le premier chapitre
non numéroté, est souligné au dernier chapitre en ces
propos :
« Mais non ne regarde pas cette porte...-Ah,
c'est celle- là, la fameuse, dont vous m'aviez parlé, vous
étiez si drôle ...c'est celle qui a tant fait souffrir
votre tante ? »(p.242).
Dans ce même
registre, « ces histoires de décorations,
d'appartement... » (P.25) évoquées de
façon implicite dans les premiers chapitres feront l'objet d'un
commentaire dans les pages qui suivent. Symptomatique est, à cet
égard, le chapitre neuf dans lequel Pierre s'évertue à
faire le procès d'Alain:
« C'est vrai. Vous avez l'appartement
...Non, ma petite Gisèle, ni vousni moi n'y changerons rien .Les gens
sont comme ils sont... » (P.117).
Tout compte fait, il est urgent de souligner que cette
anachronie narrative vise, dans une certaine mesure, à brouiller
d'avance ce qui va produire au niveau du cheminement du récit.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la prolepse et
l'analepse sont deux entités inséparables. Elles sont à
l'image du recto verso. Donc on ne saurait parler de l'un sans
énoncer l'autre, d'où l'impératif de disserter sur la
seconde anachronie narrative qui est considérée, par Yves Reuter,
comme une « anaphore par rétrospection [qui]
consiste à raconter ou évoquer un événement
après le moment où il se situe
« normalement » dans la fiction »47(*) .Quant à
Gérard Genette, il parle d' « une évocation
après coup d'un événement antérieur au point de
l'histoire où l'on se trouve »48(*).
Autrement dit, l'ordre de progression des
événements du récit s'insère, de toute
évidence ,dans la dimension rétrospective .Celle-ci
éclaire, pour parler comme Yves Reuter, une valeur explicative en ce
sens qu'elle met à nu le passé des personnages du
récit.
En effet, Tropismes et Le Planétarium
sont constitutifs de cette anachronie qui a acquis ses lettres de
noblesse depuis L'Iliade d'Homère. Cette épopée
homérienne autorise Paul Ricoeur à soutenir :
« En ce qui concerne l'ordre, ces
discordances peuvent être placées sous le titre
général de l'anachronie. Le récit épique, depuis
l'Iliade, est réputé à cet égard pour sa
manière de commencer in media res puis de procéder à un
retour en arrière, à des fins
explicatives »49(*).
De cette manière, le mode de fonctionnement des
événements dans l'Iliade peut trouver sa justification
dans Tropismes et Le Planétarium.
Dans Tropismes, par exemple, l'usage des
éléments analeptiques se justifie par l'emploi itératif de
l'adverbe de temps : « maintenant ». En
d'autres termes, la narratrice évoque ou rappelle un récit
écoulé avant de narrer le vécu quotidien des personnages.
Qu'on relise, pour s'en convaincre, ces fragments de
récits :
« Maintenant que la jeunesse était
passée, maintenant que les passions étaient finies, ils allaient
se promener tranquillement (...) »(T.99).
« Rien d'autre, rien de plus, ici ou
là, ils le savaient maintenant » (T.100).
En fait, la narratrice fait un retour en arrière
tacite de la jeunesse vécue naguère par les vieux personnages du
récit. Ce flash-back des événements semble dresser les
différentes étapes passées et vécues par ces
« entrailles de papiers ».Convoquons ces
exemples :
« Quand il était petit, la nuit il se
dresser sus son lit (...) » (T.116). « Maintenant quand il
était grand, il les faisait encore venir pour regarder partout
(...) » (T. ibid.)
Dans Le Planétarium par ailleurs, il semble
que les indices analeptiques tirent ici toute leur pertinence. Avec le
personnage de Tante Berthe, les autres personnages à l'image d'Alain
s'attèle, pour une raison ou une autre, à raconter ses histoires
vécues dans le passé lointain ou immédiat. Rappelons la
phrase-seuil du chapitre deux :
« Oh, il faut qu'il vous raconte
çà c'est trop drôle...Elles sont impayables, les histoires
de sa tante... la dernière vaut son poids d'or... »
(P.20).
Dans cette veine, l'évocation de quelques
années en arrière corrobore la portée de l'analepse au
onzième chapitre. La narratrice dit à ce
propos : « vingt-cinq années d'efforts, de
luttes n' y ont rien fait, il n'y a rien à faire, les gens ne changent
pas : c'est la même rage impuissante qui le secouait autrefois
quand, comme une bête avide, malfaisante, elles s'introduisait dans son
nid( ...) »(P.137) .
En fait, l'emploi de
l'adverbe « autrefois » valide l'existence de
l'analepse à valeur explicative. Cette anachronie narrative est
sous-entendue par l'usage du verbe « secouer»
conjugué à l'imparfait de l'indicatif.
Mis à part le personnage de tante Berthe, Alain
Guimier voire pierre feront l'objet d'études analeptiques. S'agissant
d'Alain, « ses insomnies ? ses compositions ? sa
paresse ? ses mensonges ? ses végétations ? Et
sesongles ? » (P.137) occupent entièrement les
pensées de Pierre. Ainsi, en revisitant le passé d'Alain au moyen
d'interrogations sempiternelles, il cautionne, à des degrés
divers, la notion de rétrospection du récit.
En réalité, le récit, dans cette
séquence : « Est-ce que tu songes pas à
lui faire mettre des gants ? Qu'a dit le médecin ? Comment
supporte-t-il l'appareil sur ses dents ?...Et sa petite amie ...ah, mon
pauvre vieux...Et ce mariage en es tu content ? » (Ibid.),
s'interrompt pour faire place à l'évocation du passé
sans faste du personnage d'Alain. De ce point de vue, l'ordre du récit
semble se lire comme suit : on a, de prime abord, le récit premier
celui qui réfère au temps de l'énonciation du
récit, ensuite la référence au passé et le retour
au récit premier.
En outre, il importe de noter que « ces
anachronies de détail »50(*), pour parler comme Genette,
c'est-à-dire l'analepse et la prolepse fonctionnent d'une autre
manière dans la chronologie du récit. Elles apparaissent sous la
forme répétitive ou complétive.
Comment se définit la prolepse
répétitive ? Par prolepse répétitive nous
entendons un procédé qui fait figure d'annonce et qui est
explicité, introduit par l'emploi du futur simple de l'indicatif.
Nathalie Sarraute, dans sa théorie littéraire du Nouveau Roman,
expérimente ce procédé, de main de maître, dans sa
fresque romanesque. Ainsi, dans Tropismes, la cuisinière au
cours d'un repas de famille, met à découvert la cupidité
et l'avarice des vieux personnages. La narratrice souligne :
« Ah non, disait la cuisinière, non, ils
ne l'emporteront pas avec eux » ( T.16 ).
Dans cette lancée, la prolepse
répétitive semble moins fréquente dans Tropismes
que dans Le Planétarium. Ce constat s'explique par le fait que
LePlanétarium n'est que l'aboutissement des
procédés esquissés dans Tropismes.
Par voie de conséquence, Le
Planétarium cultive à foison des exemples constitutifs de
la prolepse répétitive :
« (...) Tu verras, je serai quelqu'un
(...) » ( P.66 ).
« Nous parlerons de notre avenir, de mon
avancement » ( P.70).
« Vous verrez, quand vous aurez des enfants
(...) » ( P.118).
Du reste, au-delà de ces prolepses
répétitives qui brouillent les normes du récit, force est
de mettre, justement, en exergue les analepses répétitives se
spécifiant par leur fonction de rappels. Ces rappels multiplient les
interprétations et révélations à propos d'un
même événement.
Dans Tropismes, la présence de
« ils », au cours d'un déjeuner en famille,
a donné lieu à de multiples interprétations
débouchant sur des critiques acerbes :
« Maisqu'ont-ils pour avoir l'air toujours
vannés ? disait-elle quand elle parlait à la
cuisinière » (T.16).
Sur ce même registre, la cuisinière
ajoute :
« Mademoiselle a de beaux
cheveux » « T. ibid ».
En fait, l'omniprésence des incises
(« disait-elle » ou disait la
cuisinière ») valide, de par leur caractère
théâtral, la portée de l'analepse répétitive
dans Tropismes. En plus, il faut noter que l'emploi de l'imparfait
déréalise les motifs, qui sont perçus comme illusoires par
la narratrice.
Ce procédé narratif peut, dans une certaine
mesure, trouver sa validité dans LePlanétarium. Ainsi
les comportements d'Alain en sont des exemples parmi tant d'autres. En fait, sa
psychologie d'antan constitue une matière à discussion pour
Pierre et Tante Berthe. Berthe dira alors :
« Tusais qu'il a encore peur de toi.... C'est
comme dans le temps, tu te rappelles... » ( P.144)
C'est dire que ces retours en arrières
répétitifs ne sont pas sans perdre et le lecteur et le personnage
comme Pierre qui « n'en sais rien.... »
( ibid ) de ce que l'affirme Berthe à propos d'Alain
Guimier.
Tout bien considéré, parallèlement
à la grande loi de cohérence traditionnelle du récit,
l'écriture sarrautienne impose un ordre à travers des
schèmes auxquels il nous est difficile a priori d'échapper. Ce
sont véritablement les anachronies narratives qui instituent des
perturbations maximales dans l'ordre temporel du récit. C'est dire que
les analepses et les prolepses peuvent, dans l'armature même du
récit, non seulement se lier mais aussi et surtout s'imbriquer en
souvenirs d'anticipation et en rappels anticipés voire en inversions
anarchiques dans la temporalité du récit.
A l'évocation des analepses et prolepses
succède une nouvelle figure narrative appelée syllepse. Celle-ci
consiste à prendre ensemble plusieurs temps sans souci d'ordre, de
l'aveu de Gérard Genette. Il s'agit plus précisément du
temps passé, du temps présent et du temps futur.
Tropismes et Le Planétarium confortent cette
idée.
Ainsi, on peut même dire de Tropismes et du
Planétarium ce qu'affirme Alain Robbe-Grillet de la
Jalousie51(*)
c'est-à-dire :
« Il était absurde de croire que dans
leromanla jalousie [...] existait un ordre des événements clair
et équivoque [...]. Le récit était au contraire fait de
telle sorte que tout essai de reconstitution d'une chronologie
extérieure aboutissait tôt ou tard à une série de
contradictions, donc à une impasse. Et cela non pas dans le but stupide
de dérouter l'Académie, mais parce que précisément
il n' existait pas [...] aucun ordre possible en dehors de celui du livre
[...] de déroulement même d'une histoire qui n'avait d'autre
réalité que celle du récit, déroulement qui ne
s'opérait nulle part ailleurs que dans la tête du narrateur
invisible, c'est-à-dire de l'écrivain et du
lecteur. »52(*)
Partant de cette remarque de Robbe-Grillet, l'on en
déduit que dans Tropismes et Le Planétarium,
tous les récits élisent domicile dans la conscience ou la
mémoire détraquée de la narratrice, déesse
cachée. Donc, il est illusoire de concevoir le récit sarrautien
suivant un ordre cartésien dans la mesure où la structure
même des «tropismes» n'est pas en elle-même une
« vertige fixe » mais évanescent. Ce qui
fait dire à Jean Paul Sartre, dans une préface consacrée
au Portrait d'un Inconnu de Nathalie Sarraute que « son
style [est] trébuchant, tâtonnant, si honnête de
repentir » 53(*)
Cependant, nous tenterons de voir en seconde analyse :
Comment se structure lerécit dans Tropismes et Le
Planétarium.
Longtemps, la structure du texte avait eu valeur de loi dans
le paysage littéraire. Elle était réductible à la
chronologie et à la logique des événements du
récit. Pour définir ce concept, Jean Rousset dira dans Forme
et signification :
« J'appellerai
« structures » ces constantes formelles, ces liaisons qui
trahissent un univers mental et que chaque artiste réinvente selon ses
besoins »54(*)
En fait, cette définition s'insère dans une
manie traditionnelle consistant à déterminer la forme du
récit comme une correspondance des parties à tout.
Cependant, avec l'avènement du Nouveau Roman «
n'est-il sage de penser à notre mémoire qui n'est jamais
chronologique ? »55(*). Aussi, laquelle mémoire n'est-elle pas
susceptible de faire des aller et retours incessants ou plutôt des
projections et des réminiscences épousant les contours du
cercle ? Bien évidemment. Puisque la mémoire n'est jamais
linéaire mais fluctuante, évanescente à l'image des
«tropismes» qui dessinent un univers circulaire.
Ainsi, Tropismes et Le Planétarium de
Nathalie Sarraute offrent l'exemple d'une structure circulaire significative.
Comment se manifeste la structure giratoire du récit ? Pierre
Astier répond, à ce propos :
« La structure circulaire du roman se
reconnaît le plus manifestement au fait que le récit tend à
se refermer sur lui-même, son point d'arrivée nous ramène
à son point de départ ».56(*)
C'est affirmer que dans le récit sarrautien,
lecercleoccupe une place de choix. A la structure linéaire du
récit traditionnel succède une structure circulaire visible au
niveau du prologue et de l'épilogue.
Ainsi, Tropismes, le récit semble se
construire en boucle puisque Sarraute noue la fin du récit à son
commencement au moyen du pronom personnel « ils »
après moult changements de perspective. La narratrice dit :
« Ils semblaient sourdre de partout
(....) » (T.11).
« (...) Ils le fixaient de leur regard vide et
obstiné (...) » ( T.140 ).
Cette structure circulaire du récit est valable dans
Le Planétarium. Dans ce roman, l'histoire de Tante Berthe
semble tourner en rond. L'on est même tenté de dire que
« le récit lui-même est rempli d'allusions à
l'idée d'un cercle, d'une répétition cyclique
(....) »57(*). Car l'histoire de « cette petite porte
dans l'épaisseur du mur au fond du cloître... »
(P.9) est convoquée à la Clausule du récit sous
cette forme : « .... Des histoires sur les poignées
de porte... » ( P. 247).
Cette structure du récit conforte l'idée selon
laquelle la forme qui structure ces romans, sur tous les plans, est le cercle.
Il se referme presque à tous les niveaux de la construction du
récit romanesque d'obédience moderne. Cette analyse du
récit circulaire n'a pas échappé à Binta
Diédhiou qui soutient : « (...) la chronologie
générale décrit une circularité parce qu'à
la première page répond la dernière»58(*).
En effet, la forme du cercle ne suggère -t-elle pas que
la société bourgeoise, mise en scène dans
Tropismes et Le Planétarium, constitue un engrenage
infernal dont on ne pourrait jamais sortir ? Bien entendu. En ce sens que
nous demeurons enfermer «dans ce labyrinthe sombre et clos, tournant
en rond... » ( P.30 ).
De ce fait, les rapports conflictuels entre l'individu et la
société dont il subit la loi demeurent légitimes. Puisque
les récits sarrautiens nous montrent que la société
bourgeoise est le lieu d'intégration ou d'exclusion qui décide
sur le devenir des personnages en quête de tribu, de cercle tel celui
désigné par des pronoms personnels anonymes
« ils », « elles »
dans Tropismes et LePlanétarium.Rappelons, en effet,
que l'insertion d'éléments ou d'expressions circulaires est
constitutive de la vision romanesque des néo-romanciers qui ont
opéré une révision déchirante dans la sacro-sainte
économie du récit.
Dans cet esprit, la figuration du cercle dans le récit
romanesque semble être un moyen adéquat qui exprime le mieux la
vie chancelante de la seconde moitié du vingtième siècle
marqué par une cruauté sans précédent.
Dans Tropismes tout comme dans Le
Planétarium, bien des personnages font masse, ou plus exactement
font cercle autour d'un autre personnage tantôt pour l'entourer,
tantôt pour l'insérer dans une ronde originelle où se lit
en filigrane une structuration aux relents circulaires.
L'incipit des Tropismes peut, dès lors,
paraître emblématique de cette structuration circulaire du
récit sarrautien :
« Ils s'étiraient en longues grappes
sombres entre les façades mortes des maisons.De loin en loin, devant
les devantures, ils formaient des noyaux plus compacts (...) »
(T.11 ).
De fait, dans cette séquence d'ouverture, l'emploi de
la troisième personne du pluriel « ils »
vise à éclipser toute tentative d'individualisation qui est la
négation de la tribu sous-tendue par l'expression « ils
formaient des noyaux plus compacts ». Dans cette veine, l'usage
du « on » neutre du quotidien dans par exemple
« on le leur avait toujours dit »
(T.64-65) semble, dans une certaine mesure, rejoindre ce que Nathalie
Sarraute nomme « le fond commun » constituant une
« arche » ( P.162 ), un lieu de
protection contre les agressions extérieures, la peur ,etc.
Cetteconception du récit sarrautien n'a pas
laissé indifférent Arnaud Rykner qui soutient :
« le " on" neutre du quotidien, les " gens" retrouvent
comme des postures primitives par lesquels le groupe assure sa
cohérence, en focalisant ses peurs et ses haines sur tel ou tel de ses
membres qu'il a rejeté " victime émissaire" unanimement
désignée pour cette fonction
épuratoire. »59(*)
Ainsi, le récit au lieu de se dérouler s'enroule
autour des mêmes thèmes tels : le clanisme et
l'ostracisme.
En fait, l'ostracisme que subit ce personnage anonyme
vis-à-vis du groupe laisse pressentir un duel entre le singulier et le
pluriel, le particulier et l'universel où le second
élément tend à faire éclipser le premier par une
identification réductrice.Dans cet esprit, deux factions concentriques
se font nettement jour et l'on peut présenter de façon
schématique comme suit :
Ils (Auteurs)
(1) Vs je (narrateur)
Vous (lecteur)
(2)
Pluriel Vs Singulier
(Actants) (Acteur)
Ils Il
(4)
Individu Vs Communauté
(le monde imaginaire) (le monde réel)
(3)
Tropismes (Fiction)
Vs
Mots (récit)
Ce croquis met en place les lignes de force du conflit
inhérent à l'histoire du récit sarrautien.
Dans le premier point (1), le récit met en scène
une lutte concentrique entre les auteurs désignés par
« ils » et le lecteur baptisé
« vous ». En outre, le narrateur
désigné par « je » fait figure de
médiateur entre les deux protagonistes. Le douzième récit
est illustratif à cet égard :
« Ils ne doivent pas vous démontrer. Tenez
ils sont entre mes mains comme des petits enfants tremblants et nus, et je les
tiens dans le creuse de ma main devant vous comme si j'étais leur
créateur (...) » (T. 76).
Ensuite le second point (2)présente
uncontentieuxopposant le pluriel représenté par les actants
(Ils, Elles) au singulier symbolisé par l'acteur (il)
ou l'actrice (Elle). En effet, l'acteur
« Il », dans un duel sans merci, se hasarde
à martyriser les « Ils » : Il
« les tordait, les déchirait, les détruisait
complètement » (T.18). Mais cette
prétendue fanfare prométhéenne du
« il » est « probablement une fausse
impression » « ibid, » car, le
pluriel prend, dans ce récit, le dessus sur le singulier.
Dans cette logique conflictuelle, le troisième (3)
élément et en parallèle les «tropismes»
mis en valeur par la fiction et les mots pris en charge par le récit.
Univers mis en scène par le texte la fiction se singularise au moyen du
procédé de l'effacement (quelque chose). Ce procédé
rive à l'innommable, puisque les mots, sèves nourricières
du récit, sont incapables d'exprimer la réalité
quotidienne, d'où la prolifération de la locution
indéfinie « quelque chose ».
Enfin,quant au quatrième point (4), il met en
exergue une lutte sournoise entre le professeur (individu) et la
communauté (sa femme et ses filles). Qu'on relise encore le
douzième récit :
« Vous ne pouvez pas plus vous émouvoir
que mes filles quand elles reçoivent leurs amies dans le salon de leur
mère et bavardent gentiment et rient sans se soucier de ce que je dis
à mes malades dans la pièce voisine ».
En d'autres termes, ses filles, représentant du monde
réel, font comme si leur père vit dans une autre planète,
celle de l'imaginaire.
Dans cette logique, il est au demeurant piquant de remarquer
que cette ouverture qu'offre la forme du cercle dans Tropismes peut
avoir droit de cité dans Le Planétarium.
Ainsi, autant dans Tropismes on semble lire une
organisation bipartite et circulaire, autant dans Le
Planétarium on décrypte une confrontation entre espaces
concentriques aux allures circulaires. Rappelons que dans ce conflit, le plus
fort comprime, accule le plus faible dans
« dédale » ( P.129 ) sans issue.
Qu'on relise cette séquence narrative qui voit Alain souffrir le martyr
devant le « ils » pluriel à qui il raconte
les manies de sa Tante Berthe :
« Ilssont sur lui. Ils l'encerclent. Aucune
issue. Il est pris, enfermé ». ( P.72)
D'ailleurs, en conformité avec le
schémacirculaire des Tropismes, on peut apporter un
surcroît d'éclaircissements sur la façon dont fonctionnent
des différentes luttes dans Le Planétarium.
De prime abord, notons au passage que contrairement aux
personnages des Tropismes, dans LePlanétarium ces
« faux astres » sont clairement nommés. Ce
qui, à bien des égards, sous-tend la lisibilité du
texte.
En fait, depuis le roman épique, la conception du
personnage a évolué d'une figure emblématique,
supposée représenter le corps social, jusqu'à une
individualité plus marquée, dotée au XIXe siècle,
par le roman réaliste, de tousles attributsd'une personne
réelle.
Mais avec Nathalie Sarraute, l'intérêt que
présente le personnage du récit change foncièrement de
perspective. Ainsi dans Le Planétarium, la métaphore du
« centre de gravité » avec ses connotations
de poids et d'équilibre, suggère d'ailleurs l'importance des
personnages dans l'économie du récit.
Dans cette veine, on observe donc des différences au
niveau du centre de gravité entre les personnages dont l'action est
tournée vers l'extérieur- collectivité à
défendre, univers à conquérir ou moyens de substance
s'approprier- et ceux dont le souci premier est la réalisation de leur
désir ou de leurs idéaux, l'épanouissement de soi et la
préservation de leur équilibre psychique. De ce point de vue, la
perspective du récit devient un lieu d'équilibre et de
déséquilibre c'est-à-dire, le récit rive à
l'instabilité car, des duels incessants se font jours presque dans tout
le récit.
Ainsi, la structuration de ce récit nécessite
une analyse judicieuse de sa validité.
A première vue, nous remarquons dans le premier point
(1) une dichotomie « ils/Vous-je » qui
représente respectivement les auteurs et le critique. Qu'on se rappelle
que le critique a mis en garde les auteurs dans le seizième récit
non numéroté :
« (...) Je vous préviens, vous n'avez pas
le droit. Il y a des lois, heureusement... » ( P.187).
Le secondélément (2) exhibe un bras de fer
opposant le pluriel ou plutôt le couple formé par
Alain-Gisèle au singulier représenté par le personnage de
Tante Berthe. En fait, Alain et Gisèle entendent défenestrer
Tante Berthe de son appartement jugé trop grand. Ainsi, ils avaient
« l'airde deux malfaiteurs en train d'inspecter les
lieux » ( P.109).
De plus, le troisième point (3) laisse entrevoir une
lutte sans merci entre les « tropismes » ou
sensations, émotions et les mots qui les immobilisent en l'arrachant
à la durée.
Ainsi, l'on est tenté d'affirmer que le mot mate la
sensation en se posant sur elle comme un enduit. Ce fait dire à
Bergson :
« Le mot aux contours bien
arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu'il y a de stable, de
commun et par conséquent d'impersonnel dans les impressions
délicates et fugitives de notre conscience individuelle. Pour lutter
à armes égales, celle-ci devrait s'exprimer par des mots
précis. »60(*)
C'est dire que la fixité des
«tropismes», des sensations n'est rien d'autre qu'un
trompe-l'oeil. Car, les «tropismes»,
théâtralisés dans ce récit, échappent
à la saisie du langage révolu, des expressions toutes faites
comme « maniaque » (P.27).
Le quatrième point (4) est caractéristique de
la lutte engagée par l'individu symbolisé par Alain Guimier et la
communauté désignée au moyen de l'arche de Germaine. En
effet, dans ce cercle littéraire Germaine, la femme-écrivain et
sa kyrielle de jeunes écrivains ou apprentis écrivains, se
singularisent par les mêmes goûts : une culture du snobisme.
Ainsi, Alain se voit-il temporairement exclu du cercle de Germaine Lemaire du
fait des écarts de conduite (« cesera notre grand
critique ? Un futur Sainte-beuve ?... »
( P.126 ) de Pierre, son père :
« Elle ne peut pas permettre ces ricanements.
Bas les pattes. Elle doit défendre sa carte, son rang mais lui, elle
l'abandonne. Petit chiot sans race. »
« P.127 ».
Dans cette logique, il est, au demeurant, important de
constater que cette ouverture qu'offre le symbolisme du cercle dans Le
Planétarium n'est qu'une des facettes parmi tant d'autres
possibilités qu'exposent à la vue la structuration du
récit. Dans Le Planétarium, le récit
apparaît sous un jour astral.
En effet, ce roman nous transporte, dans l'imaginaire du
macrocosme où l'on semble percevoir un soleil autour duquel gravitent
d'autres planètes. Le choix du tableau de la page de couverture reste
suggestif de la configuration des astres, partant du récit.
Ce tableau, de toute évidence, met en exergue un noyau
dur qui peut, sans nul doute, symboliser le personnage de Germaine Lemaire,
l'écrivain à qui bien des personnages du récit entendent
attribuer le rôle de mentor inspirant la révérence, qui
constituant la référence.
Ainsi, Alain, dès sa première visite à
Germaine Lemaire, voit-il « l'univers apaisé, soumis,
séduit, s'étire voluptueusement et se couche sur ses
pieds ». ( P.74 ).
Par ailleurs, on observe que Germaine Lemaire ou Madame
Tussaud est « sa dernière idée fixe... L'opinion
des gens ...Se jetant à tout moment dans ses jambes pour chercher
protection. » ( P.177). En effet, elle est la
métaphorisation du soleil, centre du système cosmique. Autant le
soleil est considéré comme l'icône des
éléments célestes, autant Lemaire (édile d'une
ville) est prise pour la première personne morale du cercle
littéraire, de l' « arche ».
En réalité, à lire de plus près
Le Planétarium, l'on déduit que le récit
fonctionne comme une galaxie où chaque personnage fait figure d'astre
indépendant mais qui subit la loi d'autres astres qui gravitent et
laissant parfois choir d'implacables météorites qui viennent
s'écraser contre lui avec fracas. Ce qui occasionne peut-être des
vestiges chez certains personnages comme Alain. La narratrice souligne,
à ce propos :
« (...) Le ciel tourne au-dessus de lui, les
astres bougent, il voit se déplacer les planètes, un vestige, une
angoisse, un sentiment de panique le prend, tout bascule d'un coup, se renverse
.... » ( P.249 ).
Ce renversement des planètes semblable à la
roue, influe sur la configuration même du récit. Sous-tendu par
les lois de l'univers cosmique, iln'est pasétonnantque le récit
soit circulaire.
En outre, notons que les normes de l'univers cosmique sont la
symétrie des règles qui régit par la communauté du
récit sarrautien. En effet, autant aucun déraillement n'est
toléré dans l'univers spatial, autant aucune dérive n'est
admise au sein du cercle communautaire. Cette analogie n'a pas
échappé à Arnaud Rykner qui énonce :
« Quitter son orbite comme sortir du cercle
communautaire, c'est chanceler la création tout entière et
risquer d'y provoquer d'irrémédiables
cataclysmes ».61(*)
C'est dire que, les personnages du Planétarium
« sont là tous en cercle » (P.21)
pour faire l'économie d'éventuels comportements susceptibles de
nuire, de saper l'esprit de groupe.
Ainsi, en est-il pour Gisèle qui épouse
aveuglement et avec zèle les goûts esthétiques d'Alain
Guimier comme par exemple les fauteuils de cuir de Louis XV pour contrecarrer
une certaine rupture qui ne manquera pas d'ailleurs de se reproduire
ultérieurement lorsque Gisèle lui parle de sa carrière.
Qu'on relise ce fragment du récit :
« ... j'en ai assez ... il martèle les
mots : Assez tu m'entends ... J'en ai par-dessus la tête, detout
ça ... Tiens, je m'en vais .... Je sors... je ne sais pas quand je
rentrerai bonsoir, ne m'attends pas » (P.71)
Endernière analyse, le récit des
Tropismes et du Planétarium mettent à nu une
autre structuration représentative du symbolisme du cercle : la
narratrice s'emploie à nier, à la fin du récit, la
véracité des phrases soulignées dès le
préambule des textes.
Ainsi dans Tropismes, elle nous montre dès
l'aborddu texte : « ils semblaient sourdre de partout,
éclos dans la tiédeur un peu morte de l'air
(...) » ( T.11). A la clausule du récit,
elle se ravise en soutenant mordicus : « Ils se montraient
rarement, ils se tenaient tapis dans leurs appartements, au fond de leurs
pièces sombres et ils guettaient » (T.139).
Dans Le Planétarium, la narratrice affirme,
dès l'incipit, qu' « on aurait beau cherche, on ne
pourrait rien trouver à dire, c'est parfait ... » ( P.7).
Et à la fin du récit, Germaine Lemaire en tenant des propos qui
frisent le regret : « oh, ça, vraiment ... Tout en lui,
tout autour de lui se défait... Vous êtes sévère je
crois que nous sommes bien tous un peu comme ça » (P.251.)
Tout bien considéré, le symbolisme du cercle
sous-tendu par la dialectique de l'universel et du particulier dans
Tropismes et Le Planétarium montre que, dans la vision
sarrautienne du récit, le privilège doit être
accordé aux figures géométriques et sémantiques
sans lesquelles on risque de basculer vers la sacro-sainte
linéarité du récit. Car « le tente de
Sarraute constitue [...] une création artistique au lieu d'une
« limitation de la réalité ; une
élaboration poétique au lieu d'un texte fonctionnel ; une
force d'écriture, au lieu d'une forme structurelle »62(*)
Du reste, avec Nathalie Sarraute la fore d'écriture
poursuit son entreprise s'inscrivant dans une représentation du
récit qui expérimente d'autres chants différents de
l'ordre et de la structure. C'est la raison pour laquelle Tropismes et
Le Planétarium n'entendent pas s'arrêter là. Le
récit dans son processus ouvre une brèche sur une logique de la
composition et il nous a paru important de voir comment ces deux textes mettent
en lumière cette notion de récit.
CHAPITRE II : LOGIQUE DE LA COMPOSITION
Si, traditionnellement, lerécit classique se
construisait suivant une logique compositionnelle que ne souffre d'aucune
cohésion ni cohérence, le récit moderne, ou plus
exactement le récit sarrautien s'élabore selon un dessein qui lui
est propre.
En effet, la conception de Sarraute à propos de la
logiquedu texte répond à une urgence consistant à
opérer révision déchirante du code romanesque
traditionnelle.
Cette révision porte essentiellement sur le romanesque
en question, devenu problématique pour des motifs moraux, scientifiques
et esthétiques. Autrement dit, il ne saurait être question
d'imitation servile et plate du réel, mais une création originale
qui s'appuie sur un double travail de recherche et d'imagination. Ainsi, Frank
Wagner fait remarquer :
« Le moment où les artistes " ont
cessé de prétendre représenter le monde visible mais
seulement les impressions qu'ils recevaient dans l'histoire de
l'art" »63(*)
En fait, cette rupture s'inscrit dans un certain mode de
représentation du monde, historiquement déterminé, qui se
voulait « imposer l'image d'un univers stable, cohérent,
continu, univoque, entièrement déchiffrable ».64(*)
Dans cette optique, Nathalie Sarraute, tout comme d'autres
écrivains du Nouveau Roman, va instituer au niveau du récit une
modification de l'attitude romanesque où la logique de la composition
cède le pas à la composition de la logique. En d'autres termes,
un renversement s'opère dans l'armature même du texte qui
sollicite une lecture tabulaire du récit en lieu et place d'une lecture
linéaire.
Conséquences d'une nouvelle vision du monde, chaotique,
fragmentaire, éclatée, contradictoire, les deux textes
foncièrement identiques c'est-à-dire Tropismes et Le
Planétarium intègrent ces données qui perturbent,
déchronologise, bien évidemment, le récit...
Dès lors, il importe de se demander comment les textes
sont-ils construits à l'heure des mutations historiques. Cependant, il
faut convenir, dans cette perspective, que l'architecture des deux
récits varie, dans une moindre mesure, d'un texte à un autre.
Ainsi il importe de montrer dans ce sous chapitre la construction
spécifique de chaque récit.
Sur ce même registre, nous entamerons ce qui motive
notre champ d'investigation c'est-à-dire la déstructuration du
récit.
Cette déconstruction du récit visera, en fait,
à faire un bilan de tous les procédés constitutifs du
brouillage : le refus du diktat causaliste, l'absence de connecteurs
logiques et d'embrayeurs.
II-1 : ARCHITECTURE DU TEXTE
Certes, à l'heure de l'idéal bourgeois, le
récit s'arrogeait la primeur de bâtir son univers sous le socle de
la linéarité. Aussi, présentait-il des textes consistant
en des chapitres manifestement titrés.
Qu'on relise, à ce propos le Père
Goriot. Ce texte consiste, en fait, dans quatre macro-chapitres. Ces
chapitres sont très nettement numérotés. Ces
données, fondements de tout récit traditionnel,
légitiment, d'une façon ou de l'autre, l'architecture
cohérente et logique de ce texte balzacien.
Mais, au lendemain de la guerre, le processus des
événements indicibles suscite les circonstances de remise en
cause du tissu littéraire. Ainsi, il est singulier que
Tropismes et Le Planétarium aient ouvert la voie
à l'émergence de nouvelles formes de sensibilité.
Ces nouvelles façons d'écrire reposent, en
vérité, sur de multiples techniques qui brisent le moule de la
narratologie académique en général du récit en
particulier.
Dans ce climat littéraire déconstruit, c'est le
récit et ses dérivés qui subissent le joug de
l'innovation. Ainsi, dans Tropismes, l'architecture se lit dans le
contenant et le contenu des récits.
En fait, Tropismes est constitué de
vingt-quatre micro-récits numérotés et non titrés.
De ce point de vue, on semble décrypter un premier indice symptomatique
de la vision romanesque sarrautienne. Cette conception du récit vise
véritablement, à solliciter la compétence du lecteur dont
la fonction est de « boucher les trous » du
récit.
De même, on remarque entre les vingt-quatre
récits qui composent Tropismes, des blancs typographiques
s'instituant d'un texte à un autre. Toutes ces caractéristiques
expriment l'idée que ces courts récits échappent au
carcan traditionnel. Dans cette perspective, René Micha fait
remarquer en faisant référence à l'édition de
1939 :
« (...) il y a aura bientôt trente ans,
avec un petit livre de soixante pages, Tropismes, qui échappe aux
classifications courantes : qui est fait de poèmes en prose, ou de
projets de romanesque, ou d'approximations visant à la fois l'existence
et le langage aptes à saisir ou à ressaisir la
réalité humaine dans ce qu'elle a d'insaisissable»65(*).
C'est dire que cet exemple est révélateur de
l'armature compositionnelle des récits tropismiques. Eu égard
à l'architecture des Tropismes, l'on est tenté de dire
qu'il fonctionne suivant une perspective ouverte.
En d'autres termes, les récits des
«Tropismes» développent, à des degrés
divers, une dose d'intertextualité qui, de l'aveu d'Yves Reuter,
s'actualise suivant trois grandes formes : la citation, le plagiat ou
l'allusion. Ainsi il affirme sur ce même ton :
« Cette relation est omniprésente,
quelles que soient ses formes et ses enjeux : révérence
à de grands prédécesseurs, ironie
... »66(*)
Cette citation trouve, de toute évidence, sa plus
grande légitime dans cette séquence narrative du vingt
troisième «tropisme» :
« (...) Les clichés, les copies, Balzac,
Flaubert, Madame Bovary, oh ! ils savaient très bien, ils
connaissaient tout cela, mais ils n'avaient pas peur (...) »
(T.134).
Dans la même lancée la narratrice souligne en
parlant d' « Elle ».
« (...) des clichés (...) qu'elle avait
vus déjà tant de fois décrits partout, dans Balzac,
Maupassant, dans Madame Bovary, des clichés, des copies, la copie d'une
copie » ( T.133).
En fait, la présence du texte de Gustave Flaubert
à savoir Madame Bovary dans Tropismes
valide, en quelque sorte, la notion d'intertextualité qui obscurcit la
lecture du récit.
Dans ce même registre subversif du récit
traditionnel, force est de noter que l'architecture du
Planétarium semble s'inscrire dans cette dynamique. En effet,
ce roman consiste en vingt un chapitres non numérotés et non
titrés. Ces éléments, à présent
indispensables à la construction du récit moderne, participent de
la déstructuration du texte.
Aussi, observe t-on que la teneur des chapitres du
Planétarium est autrement consistante que celle des
Tropismes et beaucoup moins ample que celle des romans de type
balzacien. Ce qui corrobore l'idée de démarcation de
Nathalie Sarraute à l'égard du récit traditionnel.
Au-delà de cette configuration extérieure du
texte, une autre donnée s'institue entre les interstices du
récit : il s'agit de l'intertextualité. Cet aspect de la
littéralité cautionne, à bien des égards, le
caractère composite du Planétarium. Considérons
cet exemple :
« (...) Le Père Goriot sa tendresse
timide. Sa pudeur. Seul, vieux,abandonné, inconnu, exclu, rejeté
par elle, sa fille chérie, son unique enfant ...mais elle l'aiment, il
le sait bien ... elle n'aimerai jamais rien au monde autant que de pincer entre
ses doigts la fine peau chaude sur le dos de sa main, le tirer doucement et la
regarder qui se détaché de sa chair (...) »
(P,104).
Cetexemple semble confirmer la conception de Reuter
selonlaquelle : « Tout récit s'inscritdans une
culture. A ce titre, il ne renvoie pas seulement aux réalités
extralingustiques du monde mais aussi autres textes écrits ou oraux qui
le précédent ou qu'il accompagne et qu'il reprend, imite,
modifie...Ce phénomène est généralement
appelé intertextualité (...)»67(*).
A dire vrai, en quoi ce récit est-il
représentatif de la modification partant de
l'intertextualité ? Bien évidemment en modifiant la
quintessence de l'histoire du texte de balzac. Car dans ce texte, Le
Père Goriot, le personnage éponyme, père Goriot est
rejeté par deux de ses filles et nom d'une seule. Il s'agit plus
précisément de Madame de Beauseant et de madame de Restaud.
Cette erreur ou plutôt cette omission de Nathalie Sarraute vise, en
partie, à brouiller le récit et à perdre le lecteur.
Ainsi, l'on en infère que le récit sarrautien
apparaît comme un déroulement illogique qui rive à la
fiction. Laquelle fiction fait de « l'anti-roman sarrautien
[...] un envers du roman, envers de la conscience, une opération
probablement réussie pour faire revivre le lecteur, et pour faire
revivre une forme romanesque labyrinthique (...) »68(*).
Ce désordre dans l'architecture du récit est
visiblement entretenu dans Tropismes et Le Planétarium
par la charpente syntaxique qui ébranle toute connexité entre les
phrases.
En effet, si traditionnellement, la motivation réaliste
est sous-tendue par des articulations ou connecteurs logiques, avec le Nouveau
Roman ces « béquilles » sont mises au
rancart.
Dans tropismes, par exemple, en lieu et place des
conjonctions de coordination (et, ou, car...), Sarraute use des points finals
ou des points de suspension entre les phrases. Ces phrases sont pour la plupart
privées de verbes. Ainsi, lit-on : « les choses. Les
choses. Les coups de sonnette. » (T.41).
Dans Le Planétarium, un seul mot peut faire
figure de « phrases qui affleurent à tout
moment » (P.83). Qu'on se rappelle ce fragment de récit
qui rend compte de la perte de crédibilité de Germaine Lemaire
puisque ces capacités intellectuelles sont remises en question par son
entourage :
« Pas un frémissement. Nulle part. Pas un
soupçon de vie. Rien. Tout est Figé. Figé. Figé.
Figé. Figé. Complètement figé. Glace »
( P.157).
Cette architecture des phrases constitutive de la
déconstruction du récit tient, pour l'essentiel, à
l'absence même de verbes, noyaux des récits traditionnels. De ce
point de vue, on arrive à la conclusion selon laquelle chaque mot
évoque bénéficie d'une autonomie sémantique et
syntaxique.
Un tel parti pris littéraire, désorganisant la
représentation du référent discursif, ne saurait rendre
compte de relations temporelles (d'abord, ensuite, alors, après /
avant) ou d'énumération. (en outre, en plus...) ou
de reformulation (bref, en d'autres termes, au total, au juste...).
En fait, la continuité textuelle du récit, au
lieu d'être encadré par des
« béquilles » dont parle Sarraute et qui
assure la progression structurée, met en exergue des
procédés diaphoriques c'est-à-dire l'anaphore et la
cataphore.
Ces procédés anaphoriques, de l'avis de Jean
François Jeandillou « préservent sa
continuité grâce à la reprise d'éléments
préalablement introduits »69(*) mais, il est à noter
qu'avec Nathalie Sarraute l'usage de ces aspects anaphoriques prête
à confusion. En effet, les formes du redoublement par
répétition applique aux personnages sont celles consistant dans
l'attribution à deux ou plusieurs d'entre eux, soit d'un prénom
semblable ou analogue, soit d'une même apparence.
Cettetechnique faulknérienne du prénom
redoublé qu'affectionnent lesnéo-romanciers, Nathalie Sarraute en
particulier, ne garantit guère la continuité et la
cohésion du texte mais au contraire elle désagrège sa
compréhension à la limite le déroulement chronologique du
récit.
Ainsi, dans Tropismes et Le
Planétarium les récits se résignent à
progresser et rivent sur la répétition au moyen de l'anaphore qui
renvoie à ce qui précède. Dans Tropismes, citons
un exemple représentatif de la déconstruction du
récit :
« (...) Utrillo était ivre, il venait de
sortir de Saint-Anne, et Van Gogh ...Ah ! elle le lui donnait en mille, il
ne devinerait jamais ce que van Gogh pouvait tenir dans ce papier. Il tenait
dans ce papier... son oreille coupée ! « l'homme à
l'oreille coupée », bien sûr , il connaissait
cela ? » (T. 47).
En clair, dans ce récit fragmentaire, nous notons un
pronom coréférentiel c'est-à-dire le troisième
pronom anaphorique (il) qui renvoie à deux unités
référentielles (Utrillo et Van Gogh).
Il en est de même dans Le Planétarium
où l'anaphore à valeur de loi et rend malaisé
l'identification des personnages. Cette séquence narrative est
illustrative à cet égard en ce sens que la narratrice
souligne : « (...) Gisèle, ce ne serait plus Gigi,
bien sûr, mais Gisèle (...). Elle-même avait
été séduite, elle-même, elle le sait bien, les avait
encouragés ».
Par ailleurs, la cataphore, procédé qui renvoie
(P,49) à ce qui suit, semble être une trouvaille pour Sarraute qui
l'expérimente dans les deux textes.
En effet, dans Tropismes, la cataphore n'est
perceptible qu'entre le premier et le seizième
«tropisme». Autrement dit, l'on ne saura ce àquoi
renvoie « ils » qu'au récit XVI.
Citons ces exemples :
« Ils semblaient sourdre e partout
(...) » ( T.11)
« maintenant ils étaient
vieux » « T. 99 »
« Ah ! ces vieux os (...) »
(T.100 )
Dans Le Planétarium, il est question d'un
" elle " évoqué dès l'incipit et dont nous
ignorons ce à quoi il réfère au début. On le saura
cinquante pages après. Ainsi la narratrice énonce :
« ... Cette illumination qu'elle avait
eue... » ( P.7 )
« ... Tu sais bien comment ils sont dans cette
famille ... la vielle
Tante Berthe ... » (P.51).
A la lumière de ces observations
précédentes, force est de noter que cette absence de progression
du récit lance un défi à la lisibilité en gommant
tout repère syntaxique et énonciatif.
Dans cette logique subversive du récit, si, dans le
roman traditionnel « nom propre constitue le premier maillon
d'une longue chaîne de liage référentielle formée de
termesanaphoriques »70(*), dans le roman sarrautien son emploi semble ne
plus être d'actualité.
Dans Tropismes, cette technique est portée
à sa perfection. Le nom propre est quasiment inexistant dans la mesure
où tout au long des récits, la narratrice nous présente
des personnages orphelins d'état civil. Elle ne les estampille
qu'à coups de référence pronominale telle :
« ils (s), « elle (s) », etc.
Dans Le Planétarium, le récit semble,
dans une certaine mesure, s'inscrire dans cette logique même si la
quasi-totalité des personnages sont régulièrement
nommés. Ainsi on remarque que la mère de Gisèle et le fou
de la reine, entendons par-là Germaine Lemaire, sont sevrés de
noms propres. Ce qui sous-tend, de toute évidence, la thèse de la
déconstruction du récit illustrée dans ces deux
exemples :
« ... elle rend le ravier à sa
mère. Sa mère, fière d'elle, repose le ravier, sa
mère lui caresse le visage de son regard tendre,
reconnaissant... » ( P.100 ).
« Le fou de la reine, le bouffon agitant ces
clochettes faisant des galipettes sur les marches du trône (...)
(P.80 ).
Ainsi, il n'en demeure pas moins que les récits perdent
toute leur raison d'être lorsqu'on a affaire à des textes dans
lesquels les noms de certains « supports de
conscience » s'estompent. Par voie de conséquence, les
principes de composition comme le rôle des modalisateurs logiques perdent
toute leur crédibilité au sein du récit sarrautien. Il est
alors singulier que le récit « forme ce qu'on pourrait
nommer un assemblage problématique. Des fragments divers appartenant
à des séquences différentes s'y proposent
consécutivement selon un ordre dispersé qui suscite chez le
lecteur un désir irrépressible »71(*).
Une telle conception du récit nous donne à lire
que le texte sarrautienfonctionne comme un puzzle épars dans lequel le
lecteur doit jouer pleinement sa partition. Car, nous savons depuis Umberto Eco
que le texte est une « machine paresseuse » qui
sollicite la main du lecteur pour se mettre en branle.
Par le fait, l'architecture des Tropismes et du
Planétarium corrobore la vision de Reuter selon
laquelle : « le texte du récit est
hétérogène, divers et composite, tel un habit
d'Arlequin »72(*). Ce point de vue nie, d'une façon et de
l'autre, la notion de continuité du récit.
Ainsi, dans Tropismes à chaque texte
correspond, à l'évidence, une structure poétique bien
marquée. C'est ainsi que dans les trois premiers textes on semble lire
un traitement dissemblable pour un même
« ils » :
« Ils semblaient sourdre de
partout(....) » ( T.11 )
« ils s'arrachaient à leurs armoires
à glace (...) » ( T. 15 )
« Ils étaient venus se loger ans
des petites rues tranquilles (...) » (T. 21)
Sur cette même lancée, les récits quatre
et cinq se singularisent du fait de leur traitement romanesque
particulier :
« Elles baragouinaient des choses à demi
exprimées (...) » ( T.28 )
« (...) elle restait sans bouger sur le bord de
son lit (...) » (T.33 ).
Dans Le Planétarium, cette architecture aux
allures composites est perceptible à travers tout le texte. En
vérité, si, dans le premier texte, il est question
d' « une maniaque, une vieille enfant (...) »
(P.13), il n'est pas étonnant qu'on lise, à ce titre,
l'histoire des « carottes râpées »
(P.98 ) consacrée au texte sept.
Une telle fragmentation des textes défie le
déroulement linéaire du récit. Puisque ces deux textes
sont tributaires de l'ordre d'apparition des sensations ou
«tropismes». Cet état de fait n'a pas
échappé à Arnaud Rykner qui soutien à propos du
texte sarrautien :
« L'ensemble du texte sarrautien fonctionne
ainsi par juxtaposition de sensations plus ou moins confuses (la crampe,
l'exaspération face au poids creux, l'agacement des mouvements de
gymnastique, l'élancement de l'hydropique), comme si le
tropisme se refusait à la concaténation parfaite du
récit, comme si la parataxe ou ses avatars permettaient d'éviter
à la fois la sélection des signifiants »73(*).
Donc, c'est dire que l'écart entre les sensations est
symétrique de l'opposition entre certains textes dans Tropismes
et dans Le Planétarium. Ainsi, remarque-t-on une certaine
distance de Nathalie Sarraute à l'égard de toute
considération consistant à placer le récit sous le signe
de la progression de la concaténation. Elle s'évertue, dans la
perspective du Nouveau Roman, à construire des récits
fondés sur l'effacement des préfaces.
De ce fait, nous savons pertinemment que, dans la conception
du roman traditionnel, les récits étaient
généralement précédés de
« béquilles » c'est-à-dire de
préfaces qui garantissaient la charpente de ces derniers.
Cette représentation est constitutive de la
volonté d'assister le lecteur naïf.Qu'on se rappelle
respectivement ces fameuses préfaces de Pantagruel et de
Gargantua :
« Buveurs trèsillustres, et vous,
véroles très précieux non à autres, sont
désirés mes écrits. Alcibiade, au dialogue de Platon
intitulé le Banquet, louant son précepteur Socrate, sans
controverse prince des philosophes (...) »74(*)
« Très illustres et très
chaleureux champions ... Voulant donc, je, votre humble esclave,
accroître vos passe temps davantage, vous offre de présent un
autre livre de même billon (monnaie), sinon qu'il est un plus
équitable et digne (...)75(*).
A lire de plus près ces deux préfaces de
Rabelais, l'on comprend le rôle effectif qu'elles avaient naguère
joué dans la compréhension et l'appréhension du lecteur
ancien. Il reste que ces préfaces ou ces prologues entendent, pour une
raison ou une, orienter la lecture du texte en livrant le maximum
d'informations susceptibles de satisfaire la curiosité du lecteur.
Mais avec le Nouveau Roman, les écrivains en
général, Nathalie Sarraute en particulier rame à
contre-courant d'une telle conception littéraire. Elle rejette en bloc
aussi bien le préface intégrée, présente dans
l'Iliade et l'Odyssée d'Homère que la
préface allusive mise en valeur dans Le tiers Livre et Le
Quart Livre de Rabelais.
Dans cette mouvance, « s'inscrivant dans la
perspective d'une littératuredésaliénant, ouverte et
rendant sa liberté au lecteur »76(*)Tropismes et
LePlanétarium se lisent sans préfaces.
Un tel parti pris n'est pas sans perturber l'armature du
récit en ce sens qu'il vise, à la fois, à coïncider
deux destins : celui des personnages avec celui du lecteur. Autrement
dit, en mettant le lecteur à l'épreuve du texte le lecteur a
comme l'impression d'être le substitut du héros ou des
héros du récit. Exemplaire est à cet égard l'emploi
du vouvoiement pluriel dans Tropismes qui rappelle parfaitement le
« vous » inaugural de la Modification de
Michel Butor. Citons cet exemple tiré des Tropismes :
« Vous connaissez Thackeray ? Th.... Th
... » ( T.94 )
« Vanity fair ? Vanity ? Ah, oui, vous
êtes en sûre ? » (T.95 )
Une telle illustration trouve sa validité dans Le
Planétarium :
« oh, il faut qu'il vous raconte ça
c'est trop drôle (...) ( P.20 )
« Pour Maine, voyez-vous les gens c'est des
miroirs » ( P.158 ).
En clair le rejet ou plutôt la mise en rancart des
préfaces visibles à travers l'évocation du
« vous » cultive une certaine méfiance
à l'égard du caractère trop directif. Ce qui rend compte
du transfert progressif de ses fonctions vers l'incipit.
Du reste, toutes ces données analysées ci-dessus
participentde ce qu'il est convenu de nommer la déstructuration du
récit. Une déconstruction qui est consécutive à la
grande crise qui avait secoué le fond humaniste. Donc à
l'éboulement des valeursmorales de l'homme succède l'effondrement
ou le bégaiement, le désordre du texte. Françise dit,
à ce propos :
« [...] Le texte tend à transcrire le
désordre juste des mouvements intérieurs, sans stylisation ni
classification apparente, le désordre écrit fut-il soigneusement
construit ».77(*)
C'est dire que le fait de prétendre dérouler son
récit suivant un axe diachronique est voué aux gémonies.
Etant entendu que nous remarquons dans l'architecture du récit,
tantôt une mise en scène des souvenirs autonomes dans lesquels le
lecteur pénètre in media res, tantôt la privation
délibérée des
« béquilles » préfacielles qui
placent le lecteur en état d'inconfort. Aussi, remarque-t-on l'absence
de connecteurs logiques au ras des phrases qui cautionne, à vrai dire,
l'idée de déstructuration du récit.
Ainsi, le récit, maillon indispensable des
procédés narratifs du roman traditionnel, fonctionne à
présent comme une « gigantesque opération de
replâtrage »78(*). Du fait peut-être de son excès de
construction trop savante, de la prolifération des enlisements
descriptifs ou de la scissiparité des mises en abyme. De ce point de
vue, Tropismes et Le Planétarium constituent un
assemblage de textes qui illustrent du «tropisme».
D'ailleurs, en ce qui concerne Tropismes, la nature très
variable des «tropismes» explique le pluriel du titre.
Cependant, il nous a paru essentiel de voir comment Nathalie
Sarraute s'évertue-t-elle à prendre en charge la notion de
déstructuration du récit dans Tropismes et Le
Planétarium.
II-2 : DESTRUCTURATION DU RECIT
Tributaire de profondes crises axiologiques, le roman du
vingtième siècle est sans nul doute celui qui est allé le
plus loin dans l'expression de l'inadéquation de l'homme au monde qui
l'environne.
Cette rupture, s'instituant entre ces deux entités, est
particulièrement représentative de la cassure notée au
sein du récit. En effet, des formes de récit aussi
variées, dont les origines sont liées à des conjonctures
très diverses et dont les fonctions techniques semblent très
différentes, font-elles toute place à la rupture dans
l'architecture des textes ?
Telle est la question qu'il importe de se poser si l'on veut
examiner la pertinence des distinctions opérées par Nathalie
Sarraute, dans la perspective du Nouveau Roman, un décentrement par
référence aux techniques narratives traditionnelles.
Du coup, si, dans le récit traditionnel les
écrivains étaient animés d'un désir consistant
à créer un univers qui soit « l'exacte
métaphore, dans sa consistance et son expansion, de la
réalité sociale et historique »79(*), les néo-romanciers
quant eux s'attachent à mettre à nu les brèches de cette
construction.
Autrement dit à la construction d'une totalité
dans l'économie du récit succède la subjectivité
d'un univers en profonde désagrégation. Cette
déconstruction du monde prend place dans la conscience
détraquée des personnages du récit.
Dèslors, il semble singulier de noter que l'approche du
récit a invariablement suscité d'énormes champs de
réflexions chez beaucoup d'écrivainset de chercheurs
consacrés. Diderot dans Jacques Le fataliste80(*) en est un exemple patent. Dans
ce roman du « siècle des lumières »
le récit est profondément désagrégé en ce
sens que l'intrigue s'arrête au gré d'anecdotes
enchâssées,d'où l'interrogation fort pertinente de Paul
Vernière : « Diderot serait-il le fondateur de
l'antiroman ? »81(*)
C'est dire que, ces investigations constitutives de la faille
sur la chronologie et la logique du récit, ont déjà fait
parler d'elles depuis belle lurette. Pourquoi nous y revenons ?
La raison est toute simple. En effet, avec les temps qui courent nous avons
émis l'idée selon laquelle, quelles que soient l'ampleur et la
portée des recherches, « la fontaine narrative »
,pour parler comme René Char, demeure inépuisable. En d'autres
termes, on décryptera un certain nombre d'indices qui fracture la
consistance des éléments qui cimentent le moule des récits
traditionnels: le personnage, le temps verbal, la logique, etc.
Ainsi, Tropismes et Le Planétarium,
deux textes similaires, à bien des égards, vont briser le moule
des procédés narratifs traditionnels. Ce choix littéraire
est justifié par ce qu'il est convenu d'appeler la
déstructuration du récit. Comment peut-on lire cette
déstructuration du récit dans Tropismes et Le
Planétarium ?
En fait, dans ces textes iconoclastes par excellence
« démentaient et démantelaient la logique et la
chronologique » du récit. De même, autant le
montage linéaire du récit est viscéralement
brouillé du fait de l'absence de temporalité, autant le lien de
causalité (cause-effet) entre les séquences narratives
est remis en question. Car chaque séquence fonctionne de façon
autonome. Les premières pages des Tropismes
annoncent :
« Ils s'étiraient en longues grappes
sombres entre les façades mortes des maisons.// De loin en loin, devant
les devantures des magasins, ils formaient des noyaux plus compacts
(...) » (T. 11).
Dans Le Planétarium, on remarque que les
« bribes de phrases affleurent à tout moment
(....) » (P.83) sans se soucier des connecteurs logiques,
d'où une prolifération des points de suspension qui s'imposent au
préjudice des embrayeurs logiques. Qu'on relise ce fragment de
récit qui met à nu le zèle et la suprématie de
Germaine Lemaire au sein de son cercle littéraire :
« Elle est autoritaire ... possessive... Elle
donne pour dominer... Pour nous garder éternellement en tutelle
... » (P. 44).
En clair, ces points de suspension sont sinon constitutifs de
l'inachèvement des phrases du moins représentatifs des failles
soulignées au niveau de l'armature du récit.
Cet état de fait n'a pas échappé
à Jacques Popin qui soutient à propos des points de
suspension :
« Ils sont une marque de l'inachèvement,
aussi bien de celui du mot qui pourrait être donné in extenso et
qui ne l'est pas, que celui d'une réplique dans le dialogue, ou que
celui d'une ellipse e la narration »82(*).
Ce signe par évocation qui, génère selon
Jacques Popin une rupture dans le dialogue et une ellipse dans la narration,
fera l'objet d'une étude approfondie dans la seconde partie.
Dans cette logique subversive il convient de convoquer ce qui
constituait l'icône du récit, le noeud de forces : le
personnage.
En effet, dans le roman traditionnel, le personnage du
récit était tributaire de caractéristiques externes,
qu'elles soient sociales ou purement descriptives. Aussi, était-il
surdéterminé par son métier, son milieu, ses moeurs et ses
habits. Ainsi, le pauvre père Goriot est décrit dans la pauvre
pension de Madame de Vauquer, assis sur un grabat solitaire, et il n'est pas
jusqu'à son physique qui ne confirme son statut d'homme
misérable.
Mais, les romans modernes ou plutôt Tropismes
et Le Planétarium présentent plus des recherches
diverses qu'une évolution linéaire du personnage. Cela s'explique
par le fait que le personnage y ait affecté par des bouleversements qui
ont d'abord atteint la personne réelle.
De fait, on sait que l'essor des sciences humaines a mis en
crise un certain nombre de certitudes avec lesquelles nous vivons. La critique
de la rationalité par Nietzsche, les déterminismes mis à
jour par Marx, la découverte de l'inconscient par Freud ont
provoqué une véritable révolution des esprits. Il n'est
dès lors plus possible à Nathalie Sarraute de se
représenter des personnages de la même façon
qu'autrefois.
Aussi, ces personnages qu'elle théâtralise
sont-ils le reflet de l'égarement des consciences qui transforment les
éléments du récit en particulier, du roman en
général. Michel Zéraffa affirme :
« Tout roman exprime une conception de la
personne qui dicte à l'écrivain de choisir certaines formes et
confère à l'oeuvre son sens le plus large et le plus profond, si
cette conception se modifie, l'art du roman se transforme. La conception du
personnage est donc liée aux appréhensions et aux valeurs du
monde qui le rendaient possible »83(*)
C'est dire alors que le récit et le personnage ou le
narrateur sont partie liés. Si le personnage divague, devient
amnésique, le récit devient par voie de conséquence,
" avarié ", déconstruit. Dès lors,
« le récit tend à se produire comme une suite de
combinaisons affectant les éléments de la fiction et leurs
agencements »84(*). Il faut ajouter dans cette lancée que le
récit est de l'aveu de Jean Ricardou « la
résultante d'exigences incompatibles : le maintien d'une
vraisemblance événementielle, une logique
combinatoire »85(*).
Cet état de fait est justifié par l'usage des
parenthèses dans Tropismes. Un parfait exemple nous est
offert au IXe récit :
« Il se mettait à parler, à parler
sans arrêt, de n'importe qui, de n'importe quoi, à se
démener (comme le serpent devant la musique ? Comme les oiseaux
devant le boa ? Il ne savait plus) vite, vite, sans arrêter
(...) » (T.58).
Cette parenthèse mise en valeur par la conjonction de
comparaison (« comme ») constitue un commentaire
en marge du récit puisqu'elle permet et la romancière et le
lecteur à se regarder mutuellement dans le processus en diagonale du
récit.
Ainsi, Léo Spitzer, en analysant le sens des
parenthèses, fait remarquer qu'elles « sont les judas par
lesquels le romancier regarde son action et ses lecteurs peuvent le regarder
à leur tour »86(*) et qu'elles tendent, en plus, à disperser,
à dessein, l'attention du lecteur.
Du coup, c'est dire que le récit sarrautien est
semé, en réalité, de morceaux épars, de bribes de
paroles appelées par les réflexions du personnage, lequel comme
Alain, Tante Berthe dans Le Planétarium n'existent
respectivement que par leur regard sur
« l'appartement », sur « la
poignée de porte ». Autrement dit, ces deux textes sont,
à des degrés divers, des textes éclairés de
l'intérieur d'une conscience.
De ce point de vue, les textes sarrautiens offrent à la
perturbation, à l'anarchie la parure du récit. En d'autres
termes, le récit n'est rien d'autre qu'un
« tâtonnement dans l'obscurité, parturition,
désordre. »87(*)
Ce désordre ou plutôt cette fragmentation du
récit est signe que l'ordre chronologique des événements
n'a pas, dans Tropismes et Le Planétarium, sa raison
d'être. Etant entendu que l'ordre qui, aux yeux des romanciers
traditionnels, prévaut dans la genèse du texte une frange des
néo-romanciers peuvent dès lors opposer des processus anarchiques
perceptibles au niveau de la structure des phrases.
De fait, dans Tropismes et dans Le
Planétarium la déstructuration du récit tient de la
nature de la juxtaposition des phrases.
Laquelle structure des phrases affecte la syntaxe et
crée un effet de discontinuité. Pour élucider ce point de
vue, penchons sur cet exemple tiré des Tropismes :
« le petit tailleur bleu... Le petit tailleur
gris...Leurs yeux tendus furetaient à sa recherche... »
(T.82)
Cet exemple est la métaphorisation de deux tableaux
antithétiques mieux la négation du récit classique
savamment construit et placé sous le signe chronologie. En effet, il se
caractérise par l'absence de coordination neutre
« et » entre les deux thèmes.
Cette absence se veut l'évocation de chaque
circonstance pour elle-même. Et chaque proposition est coupée de
l'élément principal par les points de suspension (...).
Dans Le Planétarium, la narratrice entend
« mettre du
modernepartout » (P.14) et créer
un « ordre nouveau » (ibid,) dans lequel
le récit et la phrase sont pris dans un phénomène de
dislocation.
Ainsi, si, dans le récit traditionnel l'ordre des mots
dans l'énoncé était garanti et encadré par des
modalisateurs constitutifs de la solidité du texte, dans Le
Planétarium cette conception du récit disparaît. Dans
la mesure où l'énoncé se trouve quelque fois brouiller et
la narratrice jette son dévolu sur l'élément
considéré comme essentiel à coups d'un présentatif
comme dans : « c'est cet appartement » (P.
177).
Cette déconstruction du récit repose
également sur le retard d'un élément logiquement
attendu. De plus, il peut arriver que l'énoncé soit
stoppé, que l'élément attendu, trop chargé
d'affectivité, soit repoussé. Ainsi dans
LePlanétarium qui cautionne le plus cette poétique du
récit, le dialogue entre Alain et Gisèle est très
illustratif :
« Gisèle, mon chéri, qu'est - ce
qu'il y a ?
Qu'est-ce que tu as, Gisèle,
dis-moi? » Elle sent que ses yeux aussitôt se
remplissent de larmes, elle lève la tête, elle plisse les
lèvres comme une petite fille : « je ne sais pas, j'ai le
cafard c'est idiot. C'est pour les siens... » (P.67).
Cette nouvelle structure du récit pose, de toute
évidence, la problématiquement du système des dialogues
qui, pour s'en former une idée juste, fera l'objet d'une étude
approfondie dans la seconde partie.
Par ailleurs, il est singulier de souligner, dans cette veine
subversive du récit, que le « temps ne sera plus le
maître »88(*)puisqu'il « se tient presque
immobile » (P.67) et se meut, pour une raison ou une autre, dans
un espace labyrinthique « où toute orientation semble
impossible car la ligne continue du temps est brisée»89(*).
Cette nouvelle construction motivée et
représentative du Nouveau Roman génère vraisemblablement
un temps qui tournoie et un récit qui semble se mordre la queue. Ce qui
cautionne le foisonnement des récits aux relents complexes et
circulaires.
Tropismes et le Planétarium, des
textes foncièrement représentatifs du Nouveau Roman brouillent,
à dessein, les codes temporels du récit traditionnel. Dans ces
deux romans sarrautiens, les récits souffrent d'énormes indices
temporels se déroulant de façon logique et chronologique.
Dans Tropismes, le temps aristotélicien
est nul et non avenu. En ce sens que le soleil ne suit plus son cours normal,
ce qui explique peut-être les récriminations de la concierge selon
lesquelles :
« C'est traître le soleil d'aujourd'hui,
(...) c'est traître et on risque et on risque d'attraper du mal
(...) » (T. 17).
Aussi, lit-on dans cette séquence :
« l'après-midi, elles sortaient ensemble »
( T.63).Alors le lecteur, naguère assisté dans sa
quête du sens, se trouve ici privé d'un confort temporel
précis.
Dans Le Planétarium, bon nombre de personnages
à l'image de Germaine Lemaire perd la notion de temps. Ainsi,
soutient-elle : « oh mon dieu, vous voyez, vous m'avez fait
oublier le temps... » (T.133). C'est dire que dans ce texte, mis
à part l'absence d'indices temporels précis ayant trait à
la date, on remarque que les « instants, fermés sur
eux-mêmes, lisses, lourds, pleins à craquer avancent très
lentement (...) » ( P.75). Ce qui affecte
effectivement la texture du récit. Alors, il ne saurait être
question pour Nathalie Sarraute de construire son récit sur le socle de
la linéarité mais au contraire son récit sur la base de
données constitutives de la simultanéité.
Du coup, cette diaprure temporelle du récit est une
constante dans Tropismes et Le Planétarium. Elle est
consécutive à la transcription de l'instant mieux de la
simultanéité. Ainsi, dans Tropismes, la narratrice
présente de façon concomitante les pensées et les
réminiscences de" elle " :
« La crise ... et ce chômage qui va en
augmentant. Bien sur, cela lui paraissait clair, à lui qui connaissait
si bien les choses... mais elle ne savait pas ... On lui avait raconté
pourtant... mais il avait raison, quand on réfléchissait, tout
devenait si évident, si simple... c'était curieux, navrant de
voir la naïveté de tant de braves gens. » (T.45).
La même structure du récit trouve sa
justification dans Le Planétarium où l'on lit
« un vrai bouleversement, un terrible chambardement de son
univers » ( P.172) du fait de la transcription
d'un instant dans sa prolifération. La remarque de Pierre à ses
enfants à propos de Tante Berthe est de toute pertinence :
« Ah, mes enfants, rien à faire.
Elle n'a pas marché, je vous avais prévenus. Elle était
certaine. Je la connais, moi, allez. Maniaque. Egoïste. Ses affaires, vous
savez ... son confort. Que le monde périsse ...» ( P.
178).
En fait, ce fragment de récit clive spatialement des
événements se déroulant à des moments divers, des
réflexions intérieures de Pierre qui fait concomitamment
l'anatomie du caractère de Tante Berthe.
Dans cette logique subversive instituée par la notion
d'instant dans la structure même du récit, il convient d'analyser
un autre procédé qui participe de la déstructuration du
récit : il s'agit bien évidemment du présent de
l'indicatif.
A propos de ce temps verbal, Francise souligne :
« L'usage de ce temps est certes parfaitement conforme à
l'effet psychologique produit par la remémoration, ou par l'inventaire
des sensations et pensées d'un moment de vie ; Mais il efface toute
perspective et tout point de repère, en mettant sur le même plan
des éléments disparates »90(*).
Dès lors, il n'est pas étonnant de lire un
emploi courant du présent de l'indicatif dans Tropismes et
Le Planétarium. Ce présent immédiat ou
scénique est, selon Bernard Valette, une des caractéristiques du
Nouveau Roman même si parfois on voit un brassage des temps
(imparfait - conditionnel) s'opérant sans transition. Dans cet
exemple : « on vous appelle. Vous n'entendez donc
pas ? Le Téléphone. La porte, la porte
d'entrée ! » (T.41), on ne remarque que le
récit n'est plus un résumé d'événements
réels, mais un processus déréglé qui élit
domicile dans la conscience détraquée du personnage anonyme,
"elle". Elle imagine ce que pourrait négliger
" on ".
Par ailleurs, si, dans le roman traditionnel le passé
simple fait la loi, dans le Nouveau Roman il n'est plus
d'actualité. Le renouvellement du temps dans le récit n'a pas
échappé à Roland Barthes qui affirme :
« Retiré du français parlé,
le passé simple, pierre d'angle du récit, signale toujours un
art, il fait partie d'un rituel des belles-lettres. Il n'est plus chargé
d'exprimer un temps. Son rôle est de ramener la réalité
un point, et d'abstraire de la multiplicité des temps vécus et
superposés un acte verbal pur, débarrassé des racines
existentielles de l'expérience, d'autres procès, un mouvement
général du monde »91(*).
Cette remarque fort pertinente de Roland Barthes est
applicable dans LePlanétarium où la narratrice met en
place en scène deux personnages en train de discuter sur l'emploi du
temps juste :
« (...) Au milieu de la page qu'elle n'a pas
achevé, une phrase, un mot où quelque chose... mais qu'est-ce que
c'est ? Le temps du verbe n'est pas juste, mais ce n'est pas cela... ce
n'est pas ce verbe qui conviendrait... lequel ? » (P.
158 ).
Certainement le présent de l'indicatif qui occupe
presque l'ensemble des textes que constitue Le Planétarium.
Qu'on se rappelle, dans cette perspective, ces récits
fragmentés :
« L'appartement est silencieux. Il n'y a
personne. Ils sont partis. Leurs vestes et leurs casquettes ne sont plus sur la
banquette de l'entrée » (P.11).
Ou encore dès l'ouverture du second texte on lit :
« Oh, il faut qu'il vous raconte ça c'est
trop drôle...Ellessont impitoyables les histoires de sa tante... la
dernière veut son poids d'or... » (P.20).
En fait, à la lumière de ces exemples
précités, il est fort à parier que Nathalie Sarraute en
substituant ce passé simple, temps du récit historique par
excellence, au présent de l'indicatif, fait le procès de la
notion traditionnelle du récit.
Du coup, elle institue une atemporalité qui justifie
l'emploi systématique du présent de l'indicatif dans
Tropismes et Le Planétarium. En effet, cedit
présent est très difficile à cataloguer en ce sens que
l'on ignore s'il est narratif ou descriptif, objectif ou intérieur
d'où son balancement entre deux adverbes temporels : le maintenant
et le toujours. Ce point de vue n'a pas laissé de marbre
Françoise Calin qui énonce en ces termes :
« Que devient alors dans ces pages la relation
entre le temps de l'aventure et celui de l'écriture ? L'usage du
présent de l'indicatif ne nous permet certes pas de conclure qu'il n'y a
pas de décalage entre les deux puisque ce présent s'étire
et oscille entre le maintenant et le toujours »92(*)ou le toujours et le
maintenant.
Cette conception du temps dans le récit sarrautien
trouve sa justification dans cet exemple tiré des
Tropismes :
« Bien qu'elle se tût toujours et se
tînt à l'écart, modestement penchée,
comptant tout bas un nouveau point, deux mailles à l'endroit, maintenant
trois à l'envers (...) » ( T.87).
Il en est de même dans Le Planétarium
où la narratrice en parlant de Tante Berthe souligne :
« Elle se sent bien maintenant. L'édifice
ébranlé, vacillant, s'est remis petit à petit d'aplomb...
c'est ce qui lui manque, à elle cette passion, cette liberté,
cette audace, elle a toujours peur (...) » (P. 61).
A ce niveau de la réflexion, il est à noter que
la fonction perturbatrice du présent de l'indicatif dans l'histoire du
récit n'est pas sans occulter la présence de l'aspect
imperfectif, le participe présent. Cet aspect vise, de l'aveu de Saint
Simon, à transcrire la discontinuité du récit, l'aspect
morcelé des émotions telles les tropismes que l'on éprouve
et qui souffrent de mots de liaisons les uns des autres.
Aussi, est-il urgent de notifier que ce participe
présent met à découvert les réminiscences des
personnages dans lesquels il ne saurait y avoir ni préambule ni fin. Le
récit semble donc différer, contourner, dévoyer la limite
qu'elle soit liminaire ou finale. On ne saurait mieux justifier les effets
produits par ce temps que dans Tropismes et Le
Planétarium.
Dans Tropismes, par exemple,
" elle ", en « s'agissant autour de la table,
s'agissant toujours, préparant des potions (...) critiquant les gens
venaient à la maison, les amis (...) » ( T.15),
conforte l'idée de rebondissement du texte qu'exprime le participe
présent. Car, il « semble faire rebondir le texte, de
segment en segment, dans l'attente d'un événement qui
s'inscrirait dans le cadre donné »93(*).
Dans LePlanétarium, l'emploi du participe
présent revient comme un leitmotiv. Notons ces exemples très
illustratifs :
«(...) Le rideau vert s'ouvrant et se refermant sur
la grande baie carrée donnant sur le vestibule (...) »
(P.9).
« (...) rondeurs dorées des meules
luisant au soleil (...) » (P.14)
« (...) s'insinuant d'aborddoucement, puis
s'enflant petit à petit (...)» (P.24).
En un mot, c'est dire que le participe présent tout
comme le présent de narration sont, d'une façon ou de l'autre, la
négation des récits doctement construits. De même, compte
tenu des effets de simultanéité, à ne plus finir, des
coupures effectuées dans des durées non définies qui
sous-tendent essentiellement ces deux temps (participe présent,
présent de l'indicatif), le récit se doit de river, de toute
évidence, au morcellement, à l'ambiguïté. Cet acte
nous l'avons nommé la déstructuration du récit qui
affecte, du tout au tout, l'histoire.
En fait de l'histoire du récit, convenus qu'à
rebours de la conception
« dix-neuviémiste » d'un déroulement
logique et chronologique, elle « n'est plusqu'un fantôme,
une trace » de l'avis de Saint Simon.
Cet état de fait trouve sa justification dans la
problématique de l'Histoire devenue problématique. Puisque le
monde du vingtième siècle et son histoire, n'apparaissent plus
comme une certitude, et sont posés dans « une
cassure». Aussi, l'homme, socle sur lequel se définissaient
toutes les valeurs occidentales porteur de l'intrigue, devient à
présent un « être de papier »,
« un être d'écriture».
Ainsi, Nathalie Sarraute, dans Tropismes et Le
Planétarium va procéder à une remise en question
radicale de l'attitude narratologique : intrigue de l'histoire. Cette
intrigue ne saurait se construire sur un commencent ni une
échéance. En effet, la clôture sarrautienne se
caractérise par une cessation qui ne signifie en rien
l'achèvement. L'ace terminal n'est qu'une invitation au commencement. La
reprise de l'incipit à la fin du texte corrobore son influence dans son
enjeu formel et structurel. En un mot, l'histoire dans Tropismes et Le
Planétarium est giratoire.
Toutefois, si, le récit est déstructuré,
il va s'en direque cette déconstruction suscite une lecture toute
nouvelle de la narration. Si cela demeure une évidence, quelle serait
alors la nouveauté que présenteraient Tropismes et le
Planétarium ?
DEUXIEME PARTIE :
LA NARRATION
Dans Tropismes et Le Planétarium
L'angle d'approche de la narration, amorcée
naguère par une frange des professionnels de la littérature
traditionnelle, a fait couler beaucoup d'encre. En fait, les problèmes
qu'elle suscite, ceux de l'énonciation littéraire, sont les plus
complexes et les plus passionnants en ce sens qu'ils sont non seulement au
coeur de l'armature du récit mais aussi s'inscrivent dans un contexte de
guerre. Lequel contexte exprime l'idée que l'intelligibilité du
monde ne va plus de soi : ce qui produit dans la vie n'est guère aussi
apparente, aussi édifié et aussi déchiffrable que le
laisser entendre la belle disposition des romans traditionnels sous la coupole
d'un narrateur omniscient, conducteur de la narration.
En conséquence, si les différents types de
narration se rencontrent dès l'origine du récit romanesque on
peut cependant dégager des tendances majeures.
En effet, dans le récit traditionnel la narration,
faisant partie de la tripartition de Gérard Genette (récit,
histoire et narration elle-même) se présente comme une action
ordonnée dans laquelle un narrateur prend en charge la fiction en
manifestant sa présence de façon plus ou moins sensible.
Ce parti pris littéraire a pour objectif de donner
l'illusion de la réalité qui est, en vérité, la
fabula. Cette fabula est selon les termes de Umberto Eco :
« (...) le schéma fondamental de la
narration, la logique des actions et la syntaxe des personnages, le cours des
événements ordonné
temporellement »94(*).
Ce mode de représentation de la narration est
consécutif au modèle de vie de l'époque fondé sur
une stabilité sociale, une réflexion aux relents
cartésiens. Le temps de la narration utilise pour décrire la
sphère sociale est, sans nul doute, la narration ultérieure se
caractérisant par une histoire racontée après coup et
d'une coulée, par un passé simple ou prétérit,
temps par excellence du récit et un ordre irréversible.
Mais au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les
néo-romanciers, en l'occurrence Nathalie Sarraute au lieu de proposer
une théâtralisation construite d'un monde désormais
perçu comme fondamentalement complexe et indécis, s'attache
à restituer la fragilisation du récit dans lequel la narration
épouse les contours d'une dent de scie. C'est dire qu'une nouvelle
appréhension de l'existence exige une nouvelle façon de la
verbaliser, de la raconter par le biais de la narration.
Comment se présente le temps de la narration dans le
roman contemporain, plus précisément dans Tropismes et
Le Planétarium ?
D'abord, il faut reconnaître que l'étude du
moment de la narration revient à se demander quand est racontée
l'histoire par rapport au moment où il est supposé avoir eu lieu.
Ainsi, pour donner l'illusion que le narrateur rédige son récit
au même moment de l'action, Nathalie Sarraute use dans
Tropismes et Le Planétarium d'une narration
simultanée.
Cette narration, constitutive des oeuvres du Nouveau Roman,
contemporaine de l'histoire qu'elle énonce, entraîne le
récit, devenu instable, à basculer tantôt vers l'histoire,
tantôt vers la narration où narrer devient illusoire.
Eu égard à ce que nous venons d'élaborer,
il convient, à présent, de voir les différents
caractères de la narration.
CHAPITRE III : CARACTERES DE LA NARRATION
La réflexion sur la représentation romanesque a
longtemps mis au premier rang des préoccupations une
problématique de la narration en particulier du récit en
général. Car, « tout récit comporte en
effet, quoique intimement mêlées et en proportions très
variables, d'une part des représentations d'actions et
d'événements, qui constituent la narration proprement dit
(...) »95(*)
En fait, si la mise en scène traditionnelle de la
narration se veut matérialisation des indications spatio-temporelles du
récit, en les figurant et en les illustrant de façon
ordonnée et cohérente, la mise en scène moderne se veut un
dispositif narratif complexe qui joue de toutes les ressources de la technique
romanesque pour susciter une interprétation du texte.
Ainsi, dans Tropismes et Le
Planétarium, la remise en question des codes narratifs
traditionnels se manifeste dans la volonté de créer un nouveau
type de lecteur et d'innover quelque peu la narration. Cette innovation de
Nathalie Sarraute réside, à première vue, dans le
protocole énonciatif ou plutôt dans la phase inaugurale du
récit.
En fait, si, dans le roman traditionnel le récit
déroule une narration parfaitement linéaire qui suit un
personnage servant de jonction aux différents épisodes qui
fonctionnent comme des prédicats logiques autour d'un même
thème, dans Tropismes et Le Planétarium la
linéarité et la chronologie de la narration se fragilise puisque
la concaténation logique des événements s'éclipse.
Ce qui cautionne l'emploi des ouvertures in média res perturbant
foncièrement l'ordre mieux le mode fonctionnement de l'histoire du
récit. Ce dysfonctionnement du récit n'est pas sans rappeler le
titre fort symbolique de Francise Dugast-Portes : LeNouveau
Roman : une césure dans l'histoire du récit96(*)
Ainsi, à l'enchaînement chronologique de la
narration succède un faisceau de possibilités
simultanées.
Dans cette logique subversive de la narration du récit,
le langage n'est plus le garant de la transparence mais plutôt de
l'opacité. En fait, le langage se joue sous un double registre
fonctionnel et référentiel où « les jeux de
défection et d'affirmation de la réalité fonctionnent
(...) comme un topique qui donne vie à la
narration »97(*). Ainsi, il n'est pas étonnant de voir une
narration qui transforme la réalité vécue en un univers
d'une altérité radicale, obligeant, dans
LePlanétarium, Pierre à remettre en cause les propos
d'Alain faisant allusion à la beauté de Germaine Lemaire.
On assiste alors progressivement à la dissolution du
syntagme narratif qui se caractérise, à présent, par des
associations mentales ayant des affinités avec l'écriture
automatique des surréalistes.
Ainsi, à la question de Bernard Valette :
« peut-on parler de récit ? »98(*) Nous répondrons par la
négative. En ce sens que les démarcations entre histoire,
intrigue et narration s'estompent au profit de la fascination exercée
par les mots, leur sonorité voire les poncifs et aux dépens des
données chronologiques et linéaires.
De ce point de vue, les maillons essentiels du récit
traditionnel, c'est-à-dire la disposition chronologique et les
connections logiques qu'introduit l'élocution perdent leur
crédibilité dans le récit néo-romanesque.
Cette évacuation de la narration traduit en fait le
soupçon que fait peser la modernité sur une conception
rhétorique du récit que des contre-exemples connus obligent
nécessairement à remettre en cause.
Dans ce même ordre d'idées subversif, il est
à noter que la notion de répétition dans le récit
n'est pas en reste. En fait, si, dans le récit traditionnel la
répétition est quasiment inexistante, dans le récit
néo-romanesque, en revanche, elle s'érige en valeur de loi.
Aussi, n'est-il pas surprenant de voir, dans la diégèse
traditionnelle, que la narration ou l'itératif soit la subordination de
la narration. Alors que dans Tropisme et le Planétarium, elle
est complètement détachée de la narration du fait de
l'itératif ou plutôt du récit singulatif comme dirait
Gérard Genette. Cette donnée narrative se spécifie par la
répétition en « n » fois de ce qui
s'est passé une seule fois avec parfois quelques variantes stylistiques.
Ainsi, dans Tropismes l'emploi fréquent de
« toujours » ( T.16) est constitutif de ce
procédé narratif. Il en est de même de l'usage
répété du mot « mur » (T.
11,22,33,35,36... ). Dans Le Planétarium,
« le psittacisme du récit constitue l'univers
diégétique en objet sémantique et le décalage des
ensembles signifiants les uns, par rapport aux autres ainsi que la dislocation
du référent imposent la récurrence à la fois comme
le mode et le matériau même du fonctionnement
narratif »99(*). L'exemple de la
« porte » (P. 9,10,11,12,13,14...)
répétée vingt sept fois dans le premier chapitre non
noté est illustratif à cet égard.
Tout compte fait, il reste qu'au-delà de ces attributs
constitutifs de la narration, force est de souligner d'autres
particularités narratives : le refus du psychologique et les
pouvoirs de la description qui délimitent, à bien égards,
notre champ d'investigation.
II-1 : REFUS DU PSYCHOLOGIQUE
Naguère maillon essentiel du récit traditionnel, la
psychologie des personnages a dans Tropismes et Le
Planétarium le profil bas du fait de la crise sociale
consécutive à la Seconde Guerre Mondiale. Cette crise qui,
ébranle toutes les caractéristiques de la psychologie
traditionnelle, perturbe, dans cette perspective, le récit
sarrautien.
En fait, dans le récit traditionnel « la
psychologie la plus couramment admise, avec ses stéréotypes, la
répartition traditionnelle des rôles sociaux et des
comportements, qui sert de cadre à la plupart des romans
réalistes et en assure la cohérence. Les prérogatives
bourgeoises, la hiérarchie des sexes, les rapports de dominance assurent
la vraisemblance de l'intrigue (...) »100(*).
Dans Tropismes et LePlanétarium,
Nathalie Sarraute renonce à la synthèse destructrice de la
psychologie traditionnelle en rejetant la notion de
« traîtres » (T. 17),
d' « égoïste » ( T.27),
de « maniaque » ( P.27), d'
« écorchés vifs » ( P. 23 )
etc., dans leurs tiroirs respectifs.
A ce titre, la romancière du Portrait d'un
Inconnu, nous propose, à sa manière, d'en finir avec les
chefs d'oeuvre traditionnels rejoignant ainsi Artaud qui affirme dans le texte
du même titre :
« La psychologie qui s'acharne à
réduire l'inconnu au connu, c'est-à-dire au quotidien et
à l'ordinaire, est la cause de cet abaissement et de cette effrayante
déperdition d'énergie qui me paraît bien arriver à
son dernier terme »101(*).
On trouve d'ailleurs dans une autre oeuvre de Sarraute,
disent les imbéciles, une savoureuse diatribe de cet art
psychologisant qui risque si facilement de n'être plus dans le Nouveau
Roman qu'une très artificielle conception littéraire. De la
sorte, le récit n'en demeure pas moins une réflexion technique
sur le statut moral des personnages du dix-neuvième siècle et
peut se lire comme l'illustration d'un problème éthique u comme
la parabole d'un cas psychologique.
Ce cas psychologique, source de tant de convoitises et
d'usages fréquents, n'est plus d'actualité dans
Tropismes et Le Planétarium en ce sens que qu'il
« né (...) de la condition de l'homme moderne,
écrasé par une civilisation mécanique,
« réduit, selon le mot de madame CL. Edm. Magny, au triple
déterminisme de la faim, de la sexualité, de la classe
sociale »102(*).
Si l'on considère cette assertion à la
lumière de l'oeuvre balzacienne en général, en suivant
encore les indications psychologiques que fournit l'auteur lorsqu'il
caractérise, définit et juge les personnages du Père
Goriot, l'on en infère que le récit sarrautien se joue
matériellement de la psychologie. Car, le personnage, privé des
oripeaux dérisoires dont il cherchait à se couvrir, laisse
entrevoir les failles, par lesquelles le peut enfin accéder à ce
qu'il sait être, intimement autrement dit son ultime
vérité.
Ainsi, faut-il comprendre le principe qui préside
à l'élaboration de l'oeuvre sarrautienne suivant un
système duel opposant dessus et dessous, extérieur et
intérieur, apparence et authenticité,
« conversation et sous-conversation », surface et
profondeur. De cette façon, Arnaud Rykner soutien :
« Nathalie Sarraute substitue à une
littérature horizontale, fondée sur un parcours linéaire
d'un début à une fin (le récit classique, qui vise
à agencer le réel pour lui faire rendre sens) une
littérature verticale, qui cherche à élucider les
origines de ce réel. A l'historien succède l'archéologue,
au géographe le spéléologue »103(*).
C'est dire que dans Tropismes et Le
Planétarium, l'auteur de Martereau remet en question
l'extériorité de la perception traditionnelle du personnage pour
la recentrer dans la perspective d'un sujet qui l'investit de
l'intérieur. En fait, le rejet de cette extériorité qui
caractérisait les personnages traditionnels valide effectivement l'acte
qu'on a appelé : refus du psychologique. Il se manifeste de
diverses manières. Cette nouvelle technique d'écriture
étiole la teneur aussi bien de la narration que du récit
néo-romanesque.
De toute évidence, l'esthétique des
Tropismes et du Planétarium s'inscrit, à
première vue, dans une perspective qui rame à contre-courant de
la psychologie traditionnelle axée sur l'identification avec exactitude
des personnages en rapport avec leurs géniteurs ou aïeux. En
d'autres termes, le comportement et les caractères de Rastignac ou
d'Etienne Lantier respectivement dans Le Père Goriot et dans
Germina104(*)
de Zola sont ceux de leurs parents. Ce qui explique peut-être leur
volonté manifeste de changer la condition des travailleurs ou
d'instaurer la justice dans une société qui n'a yeux que pour
l'iniquité.
Dans Tropismes, par exemple, Nathalie Sarraute fait
table rase de l'éternelle tentation de la désignation des
personnages à coups de désignateurs neutres, vides
« Elles, Ils, Elle, Il ».
En fait, l'on remarque, en parcourant des yeux les
micro-récits, ces « êtres de papier »
indéfinissables qui apparaissent et disparaissent à la fois. Ils
sont à l'image de cette poupée dont les dents et les yeux qui
« à intervalles réguliers, s'allumaient,
s'éteignaient, s'allumaient, s'éteignaient » (T.12).
Dès lors, il en résulte une désagrégation ou
une « dépersonnalisation de l'individu »
comme dirait Michel Zéraffa.
Cette destruction du personnage traditionnel est
consécutive à la situation absurde de la société
moderne. Ce qui autorise les néo-romanciers ou plutôt Sarraute
à atrophier le prisme du récit.
Dans cette logique de non-désignation des personnages,
il est à noter que dans Le Planétarium le récit
nomme ses « entrailles de papier » autrement. En
effet, la narratrice amorce le récit par les pronoms anaphoriques
(« elle », « il »)
fonctionnant comme des automates. Elle ne les nomme qu'au terme du
troisième récit. Il s'agit respectivement de Tante Berthe et
d'Aalin Guimier.
Ce pari pris littéraire est signe que l'écriture
sarrautienne se soucie moins de la fiche signalitique de l'état civil de
ses personnages que de « l'éraflure
psychologique » qui rompe les affinités parentales dont
le récit traditionnel les dotait.
Ainsi, c'est à dessein de mettre à nu la
déconstruction du récit que Jean Philippe Miraux insiste sur
l'éraflure psychologique en affirmant :
« (...) La destabilisation du personnage
romanesque provient de sa perte de crédibilité : Le
personnage, porteur de l'intrigue, élément structural essentiel e
l'espace romanesque, perd de sa puissance parce qu'il n'est plus
représenté, au sens mimétique du terme (il a perdu
progressivement tout ce qui le caractérisait : son portrait
physique ou moral, son état civil, ses possessions et ses valeurs) et
qu'il ne devient de plus en plus insaisissable,
indéfinissable ».105(*)
De cette manière, c'est dire que dans
Tropismes et Le Planétarium la traditionnelle
entreprise du portrait visant, par un jeu étonnant d'arbitraire et de
motivation péremptoires, à rendre compte de la totalité
d'un individu et de l'intégrité de son action, est vouée
à l'échec. Ce constat d'échec s'explique par le fait que
« l'absurdité désagrégativiste de la
conception psychologique du personnage, reste la seule vérité qui
auréole la pensée des auteurs de cette période
post-guerre ».106(*)
Au reste, on comprend mieux le titre Portrait d'un
Inconnu si l'on se souvient que ce roman de données on ne peut plus
communes : la description des causes et des effets de caprice. Nathalie
Sarraute avoue même volontiers avoir voulu trouver une façon
possible d'envisager à l'aube du second après-guerre, une version
crédible d'un Grandet moderne.
Pour tenir une telle gageure, pour réussir, en
définitive, à sortir de l'ornière d'une littérature
qui, sevrée du souffle balzacien, épuisait l'héritage d'un
vingtième siècle longtemps révolu, il fallait se
débarrasser de son arme absolue mais si souvent nulle et non
avenue : le personnage et sa psychologie bien entendu.
Ainsi, dans Tropismes et Le
Planétarium, la psychologie se joue sur le plan du récit le
rôle désaxé que joue le mot sur le plan de la parole et des
relations interpersonnelles. L'un et l'autre fixent et tuent ce qu'ils
prétendent définir et expliquer. Ce qui fait dire à
l'essayiste de l'Ere du soupçon :
« [...] Les personnages, tels que le concevait
le vieux roman (et tout le vieil appareil qui servait à le mettre en
valeur), ne parviennent plus à contenir la réalité
psychologique actuelle [...] ce qu'ils gagnent en vitalité facile et en
vraisemblance, les états psychologiques auxquels ils servent de support
le perdent en vérité profonde »107(*).
Autrement dit, le récit dans Tropismes et
Le Planétarium ne saurait être narré de la
même manière que le conçoivent les écrivains
traditionnels. Que ce soit les personnages
(« elles », « ils »)
et les personnages d'Alain, de Germaine Lemaire, la forme extérieure
dans laquelle ils s'inscrivent, ont perdu leur crédibilité une
fois qu'on a touché du doigt la complexité psychologique qui les
animent et les minent.
C'est affirmer que Sarraute le moi que l'on prétend
emprisonner dans un tel cadre n'existe pas comme tel. Le
"je" n'est qu'artifice, vue de l'esprit, construction du
récit. En effet, le roman, disent les imbéciles,
nous offre un bel exemple :
« Oh je vous en prie, je vous assure, vous vous
trompe... Moi je suis ... mais justement je ne suis pas ... Je vous l'ai
toujours dit, il n'y a pas moyen de coïncider avec ça, avec ce vous
que vous avez construit ... » (di. 68).
Ce "je" là, mis très souvent entre
guillemets, n'est guère qu'une image simplificatrice, et donc
mensongère, de la pluralité de "je" qui s'agite
toujours en chacun des personnages du récit.. De l'aveu d'Arnaud
Rykner :
« Il n'est que le lieu abstrait où
grouille cette foule de voir auxquelles Sarraute donne la parole dans cet
échange tragi-comique [...] il n'est plus qu'un trompe-l'oeil que chacun
pousse devant « soi » pour affronter la
société (...), un fallacieux assemblage d'éléments
disparates qui finit par constituer un signe sans réfèrent
possible »108(*).
En fait, à lire la façon dont la narratrice
présente ses personnages tels par exemple ce "je"
menaçant du récit douze des Tropismes ou le personnage
de Tante Berthe à propos de la porte, l'on en déduit qu'au
psychologique traditionnel, à « l'inconscient
freudien » Nathalie Sarraute préfère ce qu'elle
nomme le « pré-conscient » : un moi
pur encore informe, enfouis, à l'abri de toute logique du
récit.
Par ailleurs, dans cette logique de destruction de
l'extériorité psychologique des personnages des récits
traditionnels, l'auteur du Portrait d'un Inconnu nous présente
souvent des personnages aux contours bestiaires. En d'autres termes, l'univers
imaginaire sarrautien est peuplé d'une multitude de figures animales
qui achèvent d'arracher son écriture à une supposée
cohérence du récit. De cette manière, dans
Tropismes et Le Planétarium, l'être change de
règne et se découvre un correspondant animal.
Dans Tropismes, par exemple, dès l'ouverture
du texte, la narratrice met en scène ce groupe de personnages qui, sous
la pression tropismique, se transforment en reptiles car « ils
semblaient sourdre de partout (...) s'écoulaient doucement comme s'ils
suintaient des murs, des arbres grillagés, des bancs, des trottoirs, des
squares » (T.11). En outre, le texte sarrautien,
tel un fourmillant zoo, où chaque espèce serait
représenté, nous offre au récit dix à travers
cette expression « une volière
pépiante » une métaphore filante qui renvoie aux
« elles ». En effet, le verbiage inutile des
femmes qui allaient dans les « thés »
(T .63) fait penser au gazouillement des oiseaux.
Dans Le Planétarium, le refus du psychologique
réside aussi dans la façon dont la narratrice apparente ses
personnages à des animaux. Ainsi, derrière l'homme social,
civilisé, bourgeois, poli par les us et coutumes, paraît la
bête, sournoise et dangereuse qui fait entorse à la psychologie
traditionnelle. Exemplaire est, à cet égard, le passage qui voit
Alain tenir ces propos en se confiant à Gisèle :
« Je me sens comme le renard poursuivi par les
chasseurs ... tu sais, dans ce roman anglais ... on disait toujours que
c'était toi mon renardeau, mais cette fois c'est moi qui suis
traqué, je viens me réfugier, prends-moi dans tes
bras... » (P.91).
Parfois même, cette brusque métamorphose est
prise en charge non plus par le corps d'Alain Guimier mais, de façon
plus étrange encore, par le langage du récit qui s'en
détache. Sous la plume de Sarraute, une simple forme grammaticale peut
faire surgir une des parties d'un oiseau c'est- à -dire son aile. La
narratrice souligne propos de Germaine Lemaire :
« ... Son style toujours docile peut, quand il
le faut, porté à l'incandescence, forer lentement une
matière dire qui résiste, et, par moments, il peut glisser- un
souffle, un frémissement, un coup d'aile qui effleure les choses sans
courber leur duvet léger... »( P .156).
Cette nouvelle psychologie des personnages du récit
sarrautien n'est pas sans rappeler une autre forme grammaticale qui fait
sourdre un scorpion dans Les Fruits d'or :
« Dans cet imparfait du subjonctif, appendice
caudal un peu ridicule et encombrant, les plus fines ramifications de notre
esprit viennent aboutir, comme les filets nerveux au bout d la queue redoutable
du scorpion : sa pointe sensible s'étire, se détend, et
pique vivement quelque chose, d'extrêmement tenu, de presque
impalpable » (FO.31).
C'est affirmer que, si ,le mécanisme de la
métaphore, est ici assez évident : C'est- à- dire la
désinence verbale appelle l'appendice caudal, il n'en demeure pas moins
que la violence générée par une telle image permet
d'échapper aux détours de l'extériorité
psychologique du récit, en rendant à l'instant même la
fulgurance de l'émotion.
De même, la notion de masque qui déforme avec
complaisance la psychologie habituelle acquiert, par une semblable transition
de l'univers humain à un autre univers maquillé, un poids de
réalité particulièrement remarquable .Nathalie
Sarraute souligne dans un passage du Portrait d'un Inconnu :
« Le masque c'est le mot que j'emploie
toujours, bien qu'il ne convienne pas très exactement
[...] » (PI.31).
Ainsi, lit-on dans Tropismes des yeux
« indifférents glissant sur l'aspect,
« sur le masque des choses »
(T .64 ). De fait, aux êtres déguisés
correspond un monde masqué, aussi légèrement qu'Emma
Bovary valsant sur les paquets du marquis d'Andervillers.
Cette recherche d'osmose avec l'univers humain tire sa
validité dans le récit qui rend compte de la volonté du
père d'Alain visant à convaincre sa soeur, Tante berthe, de
l'octroi d'un appartement, jugé très spacieux pour elle, à
Alain et Gisèle. Avant de s'y rendre, l'on remarque que Pierre a pris
judicieusement le soin de se pommader mieux de se masquer :
« [...] Il se sent poussé, tout
pommadé, le long des rues propres et vides, ouvrant des portes bien
graissées, avançant sans effort sur des tapis moelleux enveloppe
d'une émolliente chaleur, porté par l'ascenseur qui glisse sur
ses cylindres bien huilés »( P .13) .
De toute apparence, sa bru ou plutôt Gisèle lui
attribue les qualités d'un beau-père généreux
prompt à subvenir aux besoins de ses enfants à quelque prix que
ce soit.
Toujours dans Le Planétarium, il est des
personnages qui disposent d'une multitude de masques prêts à
servir. Alain Guimier se plait à affirmer qu'il n'en a pas besoin quand
il va chez son libraire préféré. En effet, il y entre avec
« n'importe quel visage, dans n'importe quel état,
n'importe quelle tenue, accompagné de n'importe qui »
(P.13 ). Cette imprudence n'ira pas sans conséquence. La
seule présence de son père, Pierre, déclenche le
désastre. La Tante Berthe, elle, ne manque guère de prendre ses
devants, son neveu reconnaît « son visage
d'après-midi » quand elle vient lui rendre visite
à la clinique. Même comportement des
« ils », dans Tropismes, qui avaient
« la liberté de faire ce qu'il voulait, de marcher comme
ils voulaient, dans n'importe quel accoutrement, avec n'importe quel
visage » (T.21).
En outre, pour rester dans cette dynamique de
déconstruction du récit spécifique au Nouveau Roman, il
convient de souligner que la psychologie des personnages sarrautiens se joue au
niveau des masques qui inspirent la peur.
Ainsi, dans Tropismes, le personnage de
« il » devient l'imminence du danger suscite un
sentiment d'épouvante lorsqu'il observe cet
« elle » masquée,
« effrayante, douce et plate, toute lisse, et seuls ses yeux
étaient protubérants » (T.57). Il en est
de même du récit quinze dans lequel la narratrice met en
lumière ce caractère carnavalesque d'une confrérie faisant
fuir les personnages de « ils » :
«Leur humble confrérie aux visages à
demi effacés et ternis se tenait autour de lui en cercle. Et quand ils
le voyaient qui rampait honteusement pour essayer de se glisser entre eux, ils
abaissaient vivement leurs mains entrelacées (...) »
(T.140).
Dans et même ordre d'idées, cette forme de menace
consécutive à la nouvelle psychologie sarrautienne est valable
dans Le Planétarium. Dans ce texte,
l'« éraflure psychologique », du
récit relève du regard de l'autre. En effet, quand Alain Guimier
surgit dans l'encoignure d'une porte, Tante Berthe entrevoit sur sa poitrine un
carquois de « flèches bariolées »
(P.176). Dès lors, Alain apparaît aux yeux de sa tante
comme un indien menaçant, dangereux. Aussi, convient-il d'ajouter dans
cette perspective inquiétante de la psychologie des personnages, la
figure de l'ogre que hantentTropismes et Le
Planétarium. Cette figure qui, « n'est plus une
combinaison de sèmes fixés sur un Nom civil, et [que] la
psychologie, le temps ne peuvent plus s'en emparer »109(*), apparaît par le
truchement de l'adjectif « avide » qualifiant
presque les personnages sarrautiens. Avide comme
« elle » qui engloutit
« gloutonne » tous les livres paraissant des
« annales » à « l'union pour
la vérité » (T.70). En effet, ce verbe
« engloutir » trouve son importance dans un
récit du Planétarium où la narratrice soutient
à propos de Germaine Lemaire : « Tout est bon pour
son immense appétit d'ogre » (P.158) qui fait si
peur aux membres de son cercle littéraire qui « doivent se
priver de tout ce qui est sain, fortifiant » (P. ibid).
Ce qui fait dire à Françoise Calin :
« Germaine Lemaire est un dieu
dévorateur. Les troupes fidèles de ce Cronos féminin ont
pour mission de lui rapporter des proies « tièdes et
palpitantes » qu'elle savoure à son
aise »110(*).
Ce « montre hideux »
(P.158) est craint par la quasi-totalité des personnages du
Planétarium en l'occurrence Alain et Adrien Lebat qui
préfère prendre ses distances. Car, « la
psychologie » de Germaine Lemaire, « ... son
dernier dada » (P.248) est de l'aveu de ces derniers,
tombé en décrépitude.
En plus, à la lumière du traitement des
personnages psychologiquement désagrégés, force est de
noter que le thème du petit poucet et de ses êtres
convoités par l'ogre trouve dans Tropismes bien des
échos :
« Quand il était avec des êtres
frais et jeunes, des êtres innocents, il éprouvait le besoin
douloureux, irrésistible de les manipuler de ses doigtsinquiets, de les
parler, de les rapprocher de soi le plus près possible, de se les
approprier » ( T.51).
C'est dire que l'enfant est, dans le récit sarrautien,
la cible privilégiée des ogres. Ce qui du reste interpelle la
vigilance des parents qui, pour les protéger, font des enfants une copie
d'eux-mêmes, un alter ego dont la seule présence serait
l'assurance la plus sûre contre la frayeur.
En fait, la théâtralisation du thème de
l'enfance qui, n'est pas sans évoquer le récit
autobiographique : Enfance de Nathalie Sarraute, met en
lumière une dénégation de la plénitude
psychologique du récit. En effet, on sait pertinemment que l'enfant a
une perception immédiate, fusionnelle de la réalité.
Laquelle réalité est représentative du déficit
psychologique. L'on est donc tenté de dire que la psychologie des
enfants emprunte les contours d'un puzzle voire d'un kaléidoscope.
Dans cette veine subversive de la psychologie traditionnelle
des personnages, convenons que les personnages spécifiques aux oeuvres
romanesques de Sarraute créent leur masque à partir des
clichés littéraires.
Ainsi, dans Tropismes, une des «
elles » ne voit la « cathédrale de
chartres » qu'à travers les vers de Péguy. Il en
est de même pour ces « ils » qui se prennent pour des
bohémiens à l'image de « Rimbaud ou Proust,
arrachés de la vie, rejetés hors de la vie et privés de
soutien, devaient créer sans but le long des rues » (T.
77).
Aussi, remarque-t-on Alain dans Le Planétarium
qui, regardant sa famille comme un écueil, un obstacle à ses
ambitions littéraires, semble allier son destin à celui de
Baudelaire ou de Rimbaud. Qui plus est, Alain se plait tantôt à
déguiser sa Tante berthe en « impératrice
Elisabeth » (P.200), tantôt en
« masque grotesque et démodé de belle-mère
de vaudeville » (P. 44).
Dès lors, le moins que l'on puisse dire est que la
psychologie sarrautienne, en mettant en scène des personnages
complètement désagrégés,
métamorphosés, rompt et perturbe effectivement le
découlement du récit. De ce fait, le récit ne saurait
être « un traité de psychologie »
mais un antiroman. Cet état de fait n'a pas échappé
à Jean Rousset qui affirme :
« (...) Il y a antiroman quand le roman se sent
mauvaise conscience, qu'il se fait critique et autocritique, qu'il se met en
état de rupture avec le roman existant ; le roman entre en
crise : crise aujourd'hui du personnage, crise de « la
psychologie », crise enfin du sujet, qui tend de plus en plus
à se distinguer de l'oeuvre elle-même »111(*).
En d'autres termes, l'art du roman est invariablement
subordonné à « une conception de la personne qui
dicte à l'écrivain de choisir certaines formes et confère
à l'oeuvre son sens le plus large et le plus profond, si cette
conception se modifie, l'art du roman se transforme ».112(*)
Ainsi dans Tropismes et Le
Planétarium, la complexité psychologique des personnages due
à l'absurdité de la vie moderne génère des
récits discontinus mieux déstructurés. Cela se justifie
par le fait que ceux qui les narrent c'est-à-dire les narrateurs sont
pour la plupart des aliénés, des innocents à la limite des
fous. Ce qui n'autorisent pas bien entendu ces derniers à analyser ni
à juger.
En réaction contre la psychologie traditionnelle, la
nouvelle technique psychologique de Sarraute née, de prime abord, de la
notion de « tropisme », marque donc un net refus
du psychologique au profit d'une nette préférence pour le
physiologique.
En prenant du recul, il est fréquent que les romanciers
traditionnels s'emploient à reconstituer ce qui motivent les faits et
gestes de leurs personnages conséquents et lucides, ou qu'ils traquent
ce qui a pu les amener à avoir ensuite telle ou telle attitude.
Mais, « l'Ere nouvelle »
(P.149) insiste Sarraute, dans son approche de la psychologie,
adopte une attitude radicalement opposée. Aussi, s'emploie-t-elle
à bouleverser les conditions de création du récit mieux de
la réception. En fait, la romancière en inventant ses personnages
loufoques, fonde la constitution de ces derniers sur un déficit
informatif qui nous fait rencontrer une décourageante
désinvolture de l'auteur à l'égard de l'individu dont les
données biographiques et psychologiques importent peu.
De ce point de vue la psychologie n'est plus tournée
vers l'objet de l'observation, mais vers le sujet de la perception. Ainsi, dans
Tropismes, qu'il s'agisse des « ils »,
« elles », c'est le portrait en creux qui se
dessine à l'horizon. Autrement dit, on n'entrevoir que le comportement
des personnages aliénés, innocents, errants, apte à faire
un immense pouvoir de gommage mental.
Le personnage de "elle" en est un cas évident.
Car « le matin elle sautait de son lit très
tôt, courait dans l'appartement, âcre, serrée, toute
chargée de cris, de gestes, de halètements, de colère, de
«scènes». Elle allait de chambre en chambre»
(T.39).
De fait, la narratrice en mettant en scène ces
« curieux et amusants loufoques » (T.76),
leur interdit toute possibilité d'analyse. En effet, analyser suppose
une forme de recul c'est-à-dire, prendre le passé comme objet, et
le décomposer minutieusement. On s'attend alors à ce que les
circonstances de chaque action soient soigneusement reconstituées :
temps, lieu, personnage, action, récit. Or nous savons pertinemment que
les déments tels par exemple ceux représentés dans Le
Planétarium se singularisent par leur incapacité d'analyser
distinctement les faits et gestes d'autres personnages.
La remarque faite par ce personnage anonyme,
"il», à Germaine Lemaire à propos des errements
d'Alain est illustrative :
« Tss ... Tss ... tu perds la tête, je
t'assure c'est une simple coïncidence, je t'en réponds... Alain ne
peut pas faire ça. C'est de la folie, il n'en est pas question, tu sais
bien qu'il dit n'importe quoi quand il est furieux » (P.207).
D'ailleurs, Germaine Lemaire n'est pas la seule a perd la
raison. Puisqu'un personnage souligne avec véhémence :
« nous sommes tous fous » (P. 128).
Aussi, faut-il renchérir que cette incapacité d'analyse des faits
se lit à travers l'usage répétitif des termes
négatifs comme ces « non , je ne sais pas,
etc », essaimant les récits. Convoquons ce fragment de
récit :
« Lestyle renaissance, très couru ?
Ah ... eh bien, je ne le savais pas, vous êtes mieux renseigné que
moi... mais, non... mais je n'y pensais même pas. Je regardais si je
trouverais des membres ... une table, des chaises, voilà ce que je
cherche. De n'importe quel style. Je ne suis pas très
fixé » (P. 231-232).
De même, les histoires du récit sarrautien sont
narrées du point de vue des « amorphes
psychologiques ». C'est la raison pour laquelle, les souvenirs
évoqués ne sont qu'une suite d'actions courtes, construites sur
des verbes de mouvement : « Quand il était petit, la
nuit il se dressait sur son lit, il appelait. Elles couraient, allumaient la
lumière, elles prenaient dans leurs mains les linges blancs
(...) » (T.116). En vérité, ce récit est
significatif de l'écriture sarrautienne en ce sens qu'on ne
perçoit aucun élément désignant
l'intériorité des personnages sinon des éléments
concrets « lit »,
« lingesblancs » et un sentiment de protection
pris en charge par les « elles ». Ces objets
évoquent la protection maternelle, l'abstrait, et le récit
restitue remarquablement les impressions de l'enfant : une sensation
diffuse de chaleur physique, qu'il ne sait à quoi attribuer, et dont les
« elles » font partie. En résumé,
l'on se rend bien compte qu'il n'y a pas d'analyse, ni capacité
personnelle pour l'enfant à discerner d'où, de qui vient cette
sensation de protection maternelle d'autant que plusieurs
« elles » volent à son secours.
Cette attitude de l'enfant fait écho à la
conception sarrautienne du récit selon laquelle la psychologie tout
comme la psychanalyse ne sont plus d'actualité. Un personnage dans un
passage du Planétarium semble le réaffirmer :
« Oh non... de toutes parts s'élèvent des voix
gémissantes... Non je vous en supplie, assez de psychanalyse, de
psychologie, ce n'est pas intéressant » (P.194).
En dernière analyse, tout porte à croire que mis
à part l'incapacité des personnages à analyser les faits
et gestes, une autre entité constitutive du refus psychologique semble
être en vue dans l'armature du récit : le refus de juger.
On peut croire que cette attitude béate est la
conséquence d'un moment de bonheur qu'éprouvent certains
personnages à l'égard de leurs parents. Ce sentiment de bonheur
les empêche parfois de saisir la situation, de juger ces derniers. C'est
dire qu'aux jugements négatifs se substituent des points de vue
élogieux. L'attitude de « elle » dans
Tropismes est révélatrice :
« Elle aimait tant les vieux messieurs comme
lui, avec qui on pouvait parler, ils comprenaient tant de choses, ils
connaissaient la vie, ils avaient fréquenté des gens
intéressants. (elle savait qu'il avait été l'ami de Felix
Faure et qu'il avait baisé la main de l'Impératrice
Eugénie) » (T. 93).
En d'autres termes, ces personnages généralement
des enfants innocents perçoivent leurs parents de façon plus
physique que morale et s'en remettent aux données de la perception
immédiate. Alain dans Le Planétarium semble s'inscrire
dans cette dynamique. En effet, au milieu de la page blanche, il imprime sur la
place réservée aux dédicaces de sa
« thèse de lettres » cette
expression : « Amon père, en caractères
fins » (P.121-122). Cette marque de sympathie témoigne
d'un refus de juger son père quoiqu'il soit antérieurement
hostile à ses ambitions. En outre, dans bien des cas, son père se
rechigne aussi à juger son fils. D'où ces multiples questions
qu'il se pose au cours d'un entretien avec Tante Berthe :
« Alors, et Alain ? Ses insomnies ?
Ses compositions ? Sa paresse ? Ses mensonges ? Ses
végétations ? Et ses ongles ? (...) »
(P.145).
Du reste, il semble illusoire de vouloir juger ces
personnages indéfinissables, insaisissables dans la mesure où
tout bouge à chaque instant, tout chancèle au détriment du
lecteur non averti. Par conséquent, il est pratiquement
« impossible de s'y reconnaître, de rien nommer, de rien
classer. Impossible de juger » (P.58). C'est ainsi que la
narratrice souligne l'attitude de Germaine Lemaire à l'encontre de la
justice et d'Alain Guimier :
« Elle se moque de la justice. Elle ne porte
aucun jugement. Il n'a été pour elle, il le sait bien, qu'un
caprice, un amusement : une pierre qu'elle a ramassée et
jetée dans l'eau pour la voir ricocher. Quelques rides, un léger
clapotis. Il a disparu. Elle va prendre un autre caillou »
(P.135-136).
C'est affirmer qu'avec l'auteur d'Entre la vie et la
mort toute psychologie et toute capacité de juger et d'analyser
sont rejetées au nom du respect de la tonalité des loques
humaines, au profit d'éléments plus primaires, plus
essentiels : c'est la sensation, et non la réflexion ou
plutôt le jugement, qui prime chez les personnages
désagrégés.
En définitive, si toute analyse et tout jugement sont
voués à l'échec dans l'architecture du récit,
quelle serait alors la teneur des descriptions dans Tropismes et
le Planétarium ?
III-2 : POUVOIRS DE LA DESCRIPTION
On sait depuis l'Ere du soupçon de Nathalie
Sarraute que le moteur de la production littéraire est à la fois
la création et la recherche de la nouveauté dans le paysage
littéraire. Ce qui oriente les écrivains appartenant à
cette sphère de la production vers une remise en cause constante des
normes d'écriture antérieurement composées. Ainsi dans cet
élan de déconstruction du récit traditionnel, la
description n'est pas en reste.
Procédure représentative et cardinale, tout
comme la narration, la description consiste à théâtraliser
ce qui se situe dans l'espace : les objets, les personnages, etc,. Tel est
le constat de Gérard genette dans Figures II qui
énonce :
« Tout récit comporte en effet, quoique
intimement mêlées et en proportions très variables, d'une
part des représentations d'actions, et d'événements, qui
constituent la narration proprement dite, et d'autre part des
représentations d'objets ou de personnages qui sont le fait de ce que
l'on nomme aujourd'hui la description »113(*).
En fait, dans le récit traditionnel, la description se
veut une représentation réaliste c'est-à-dire que le
narrateur s'emploie non seulement à montrer le monde tel qu'il est mais
aussi et surtout à faire valoir la fonction didactique de tout passage
descriptif.
Inversement, dans le récit moderne plus
particulièrement dans Tropismes et Le
Planétarium la description réaliste est profondément
subvertie. Cette remise en question de ce procédé narratif
exprime de l'aveu de Sarraute et les autres néo-romanciers,
l'idée que la description objective est moins crédible que celle
communément appelée subjective.
Cette nouvelle trouvaille néo-romanesque
débouche bien entendu dans la pratique récurrente de la
description focalisée gouvernée par le regard d'un ou des
personnages. Dans Tropismes par exemple, le récit et la
description du texte liminaire passant par les regards des
« ils » qui autorisent le lecteur à
partager leurs perceptions, leurs émotions et leurs
pensées :
« Ils regardaient longtemps, sans bouger, ils
restaient là, offerts, devant les vitrines, ils reportaient toujours
à l'intervalle suivant le moment de s'éloigner. Et les petits
enfants tranquilles qui leur donnaient la main, fatigués de regarder,
distraits, patiemment auprès d'eux, attendaient »
( T.12).
C'est dire que l'auteur du Portrait d'un Inconnu
décrit les drames intérieurs plus que des situations ou des
actes. Tel semble être le credo sarrautien.
Dans le Planétarium, le regard ou plutôt
la perception semble être le lieu privilégié de la
description. On remarque qu'à chaque fois qu'un personnage regarde
l'autre, il essaye de décrire intérieurement son état
d'esprit. Cette intériorité des personnages est signalée
par la marque des guillemets (« ... »). Convoquons,
à titre d'exemples, ces passages constitutifs de la description
focalisée :
« ... La femme aux grosses
joues coupe-rosées la regarde de ses yeux très brillants, un peu
exorbités... « Ah, ma petite enfant, mon mari préparait
son internat quand nous nous sommes mariés, et maintenant, vous
voyez... » » (P.57).
Le récit réitère dans cette veine :
« Il s'était
écarté d'elle pour mieux la regarder, sa lèvre
s'était incurvée en cette moue méprisante qu'il a
... « a quoi rêvent les jeunes filles ? c'est
à que tu penses ... Quelle perspective réjouissante de me voir
un jour, chauve et vent ripostent (... ) » »
(P.65 ).
Cette conception d'Alain à l'égard de
Gisèle laisse pressentir des caractéristiques
représentatives de la description corporelle
(« lèvre... incurée »,
« chauve et ventripotents »).
Aussi, dans la volonté manifeste de consumer l'intrigue
traditionnelle, l'écriture sarrautienne se voit-elle contrainte de
mettre en pratique l'hypertrophie descriptive. Cette prolifération des
descriptions ouvre un nouveau champ de recherche dans le récit
néo-romanesque. Ce qui explique peut-être l'autonomie du
récit à l'encontre de la narration.
En fait, si, dans le roman traditionnel, la description est
« le simple auxiliaire du récit », dans
Tropismes et Le Planétarium elle s'émancipe de
telle sorte que la distinction entre description / narration tend à
s'éclipser. Ce pouvoir de la description n'a pas échappé
à Gérard Genette qui soutient :
« Certaines formes du roman contemporain (...)
sont apparues tout d'abord comme des tentatives pour libérer le mode
descriptif de la Tyrannie du récit (...) »114(*)
Autrement dit, les descriptions sarrautiennes apparaissent
comme arbitraires, longues, prenant la place du récit et de personnages
sans attache extérieure avec eux lorsqu'ils voient le jour. Ainsi les
trois premiers textes de Tropismes inscrivent le récit dans une
dynamique descriptive qui déploie telle une pieuvre des
éléments constitutifs de la description moderne. Ceux-ci se
manifestent par le foisonnement des objets essaimant tout le champ narratif.
C'est le cas par exemple du « mur » (T.
11,18,33,35,47... )», des « thés »
(T.63,64,...) de la « porte » (T.
23,34,39... ).
Dans Le Planétarium, Sarraute amorce le
récit sur une description devenue fameuse d'une poignée de porte
« dans l'épaisseur du mur au fond du
cloître » (P.9). Cette longue description qui rend compte
de la bêtise de Tante Berthe, occupe presque les trente premières
pages. Car la narratrice souligne : « Elle est là, le
nez sur les objets ... pourquoi ne pas changer les poignées, boucler les
trous ? » (P. 31-32 ).
Ainsi le récit n'est plus armature autour de laquelle
se dresse une histoire ou des personnages mais un univers chosiste s'imbriquant
dans des passages descriptifs. En d'autres termes Sarraute opère un
lieu essentiel de rupture avec les procédures descriptives
traditionnelles en rendant compte de
l' « être-là » des choses sans
feindre qu'elles nouent avec les personnages une quelconque relation. Ce qui
homologue l'absence des effets de métaphores et de l'hypallage en
particulier qui tissent une relation anthropomorphique, anthropocentrique avec
les objets et les lieux.
De ce point de vue, l'humanisme ne saurait se confondre avec
l'anthropocentrisme en ce sens que les choses sont décrites telles
quelles.
Alain Robbe-Grillet, toujours prompt à démonter
les mécanismes de la production textuelle, souligne fréquemment
les failles du procédé descriptif traditionnel. Tel est le
passage de Pour un nouveau roman :
« La description servait à situer les
grandes lignes d'un décor, puis à en éclairer quelques
éléments particulièrement révélateurs, elle
ne parle plus que d'objets insignifiants, où qu'elle s'attache à
rendre tels ... »115(*).
En vérité, dans le récit traditionnel
plus particulièrement chez Balzac, on semble lire l'existence d'un lieu
étroit entre le cadre de l'histoire et les personnages. Cela se
justifie, dans ses incipit romanesques, par l'usage de descriptions du milieu
ambiant, totalité censée expliquer indiciellement le statut ou le
comportement des personnages représentés comme la synecdoque de
l'ensemble. Ainsi dans Le Père Goriot la description de la
pension Vauquer est l'isotopie de la dégénérescence qui
glisse de l'espace, à ses pensionnaires. Qu'on relise cette
séquence consacrée à Mme Vauquer :
« Mme Vauquer respire l'air chaudement
fétide sans être écoeurée. Sa figure fraîche
comme une première gelée d'automne, ses yeux ridés, dont
l'expression passe du sourire prescrit aux danseuses à l'amer
renfrognement de l'escompteur, enfin toute sa personne explique la pension,
comme la pension implique sa personne. Le pagne ne va pas sans l'argousin, vous
n'imaginez pas l'un sans l'autre »116(*)
En revanche dans Tropismes et Le
Planétarium entre la diégèse du récit et les
personnages s'institue un grand fossé qui foisonne en descriptions
minutieuses.
Dans Tropismes, les multitudes de détails
comme la description des « murs, des arbres grillagés, des
bancs, des toilettes sales, des squares » ( T. 11)
s'imbriquant pour éclaircir une disposition des lieux dans laquelle le
lecteur peine à tirer son épingle du jeu. En effet, ces objets ne
sont nullement l'émanation des comportements de ces personnages
errants.
Dans Le Planétarium, la prolifération
d'objets désignés à l'aide d'un lexique invariablement
lié à l'évocation d'un instant précis conforte
l'invasion de la description dans l'architecture du récit. Tel est le
cas de l'incipit du roman :
« (...Ce rideau de velours, un velours
très épais, du velours, de laine de première
qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... et d'un ton chaud, en
même temps lumineux... une merveille contre ce mur beige aux reflets
dorés... Et ce mur... Quelle réussite. On dirait une peau ... Il
a la douceur d'une peau de chamois... Il fut toujours exiger ce pochage
extrêmement fin, les grains minuscules font comme un duvet... »
(P.7).
Dans cet extrait descriptif, ni le
« rideau » ni le
« mur » ne présente aucun lien direct avec
les « manies » de la Tante Berthe. De cette
façon, c'est dire que ces descriptions qui, s'attardent sur ces objets
pris dans leur simultanéité, surprennent « le cours
du temps et contribuent à éclater le récit dans
l'espace »117(*). La description de ces objets de façon
simultanée est rendue possible grâce à la marque du
présent de narration voilant, par voie de conséquence, la ligne
de démarcation classique récit / description « qui
reposait en partie sur une opposition temporelle »118(*) . En plus, l'on est
même tenté de dire que l'emploi systématique du
présent de narration dans le Nouveau Roman ou plutôt dans
Tropismes et Le Planétarium conduit le récit
à vaciller entre la diégèse et la narration. Voici, en
toute clarté, l'avis de Gérard Genette :
« Tout se passe comme si l'emploi du
présent d l'indicatif en rapprochant les instances, avait pour but de
rompre leur équilibre et de permettre à l'ensemble, de basculer
soit du côté de l'histoire, soit du côté de la
narration, c'est-à-dire du discours »119(*).
De même, si, dans le récit traditionnel, la
description des objets se caractérise par la notion de certitude qui
enrobe aussi bien l'action et les personnages, dans Tropismes et
Le Planétarium, en revanche, elle apparaît sous un jour
incertain. Autrement dit, à cette extrême description
méticuleuse des objets se dressent des extraits descriptifs
marqués par l'incertitude.
Dans Tropismes le doute mine le descripteur en proie
à la fatigue mieux aux déformations dues à la
mémoire ou à l'imagination. Convoquons ce récit
représentatif de la description de l' «
Exposition » :
« Oui, Oui évidemment, elle était
allé voir l'Exposition (ce n'était rien, il ne devait pas faire
attention, ce n'était rien, elle écarterait tout cela d'un revers
de la main), elle y était allée un de ces dimanches
après-midi, où l'on ne sait jamais que faire »
(T.46).
Dans cet exemple l'usage des termes négatifs
encadrés par les parenthèses cautionne l'idée selon
laquelle le récit sarrautien confine toujours à la
contradiction. Laquelle contradiction se lit à travers ce
« Non vraiment » (P.7) qui engage
LePlanétarium et jalonne les descriptions. D'ailleurs, rien
qu'avec l'adverbe « vrai/ment » on semble
décrypter une double lecture de la vérité et du mensonge.
De ce point de vue « le récit ne peut plus avancer qu'en
interrompant lui-même l'alternance est ainsi une machine à
fabriquer des mises en suspen »120(*)qui obligent le lecteur à se maintenir
constamment dans l'indécision. Ainsi dans la volonté de
détruire le postulat de réalité qui commande les
descriptions traditionnelles, Francise Dugast-Portes soutient en ces
termes :
« La description n'est plus destinée
à cautionner les autres aspects du récit par
l'établissement de circonstants vérifiables ou vraisemblables.
Mais paradoxalement, elle devient autonome dans sa capacité
génératrice et l'appel qui est fait au
préreprésenté »121(*).
De ce fait, le récit qui n'impose plus sa loi la
description, est fait, de l'aveu de Robbe-Grillet, de telle manière que
toute tentative de reconstitution d'une chronologie extérieure
mène tôt ou tard à série de contradictions ou
à une impasse.
Par ailleurs, il urge de signaler que l'appel au
préreprésenté dérive des textes, des lieux et des
objets rappelant d'autres oeuvres, loin des descriptions destinées
à créer l'illusion référentielle. Ainsi Nathalie
Sarraute, pour ce faire, convoque la notion d'intertextualité qui fait
date dans Tropismes et Le Planétarium.
Dans Tropismes, par exemple, l'assemblage tire sa
validité lorsque la narratrice, inscrit dans ledit texte les
« clochettes » auxquelles elle emprunte au
« conte d'Hoffmann » :
« (...) des clochettes, comme dans un contre
d'Hoffmann, des milliers de clochettes à la note claire comme sa voix
virginale se mettraient en branle » (T.88).
Dans Le Planétarium le contentieux qui oppose
Alain à Gisèle à propos des commodités de
conversation (« les bergères Louis XV »
(P.64) ; « Les fauteuils de cuir »
(P.70)) est l'occasion pour la narratrice d'insérer un objet
descriptif issu du dix-huitième siècle et estampillé
« Voltaire ». Ce passage est significatif à
cet égard :
« Là, grosse bête, non pas
celle-ci, voyons, c'est un fauteuil Voltaire, non là, tendue de soie
rose pâle, la bergère... » (P.61).
En outre, on aura repère au passage, entre autres,
l'allusion à « ce poème de Rimbaud »
(P.65) ou celui de Baudelaire : « L'invitation au
voyage ». En effet, le récit intègre au plan
intertextuel quelque peu l'attirail des objets et des lieux du recueil
intitulé Les Fleurs du mal. Les éléments sont
réparables au fil de cette citation : « Elle,
répondant à toutes invitations au voyage : et le
bureau ? » (P.65-66).
Dès lors, il ressort de ces exemples constitutifs de
l'intertextualité une description qui, dépouillée de sa
fonction habituelle par référence au réel, convoque
l'interprétation du lecteur qui se doit de créer son propre
univers. Cependant la création d'un tel univers imaginaire
confère à la description tantôt des échos
fantastiques, tantôt des résonances poétiques.
Rappelons-nous dans Tropismes la manière dont
on découvre les évocations minutieuses de
« thés » (salons de thés) à
l'intérieur desquels on semble lire « des scènes
lamentables, des disputes à propos de rien »
(T.64). Ces descriptions suscitent autant qu'elles accompagnent
l'oisiveté des femmes tout en constituant des motifs récurrents
(« Elles allaient dans les thés ») sources
de poésie. Le Planétarium est sur ce point un bon
exemple des virtualités de l'écriture poétique due en
grande partie par la description des « carottes
râpées » qui reviennent comme un leitmotiv :
« Mon gendre aime les carottes
râpées. Monsieur Alain adore ça. Surtout n'oubliez pas de
faire des carottes râpées pour Monsieur Alain. Bien tendres... des
carottes nouvelles ... Les carottes sont-elles assez tendres pour Monsieur
Alain ? » (P, 98).
La répétition, dans cet extrait descriptif, du
substantif « carottes » doit amener à le
réduire à la seule apologie d'un Nouveau Roman opposé au
roman traditionnel. C'est dire que le récit sarrautien est une recherche
complexe où l'attention portée sur la forme du message comme
disait Jakobson, s'impose à son destinataire.
Du reste, si, dans le roman traditionnel, le traitement
de l'espace équivaut à examiner les techniques et les enjeux de
la description réaliste, dans Tropismes et Le
Planétarium Nathalie Sarraute nie cette démarche, que ce
soit sous sa forme romantique ou sous sa forme positiviste. En fait, ce serait
un truisme de dire que la description consiste, au sens propre du terme, en son
insertion, son fonctionnement et sa fonction.
Commençons par le premier point relatif à
l'insertion de la description. De l'avis de Vincent Jouve l'approche de
l'insertion de la description consiste dans trois
problématiques : « Comment est
désigné le sujet décrit ? La description
est-elle motivée ? Son apparition dans le récit
correspond-elle à une nécessité interne à
l'histoire ?»122(*).
En fait, dans le roman traditionnel, la désignation du
thème-titre s'opère par ancrage consistant à mettre en
lumière le sujet de la description tout au début du passage
descriptif. De cette évidence, témoignent les oeuvres
réalistes comme celles de Balzac bien évidemment. Convoquons cet
exemple tiré de La Cousine Bette :
« Le milord arrêta dans la partie de la
rue comprise de Bellechasse et la rue de Bourgogne, à la porte d'une
grande maison nouvellement bâtie sur une portion de la cour d'un vieil
hôtel à jardin »123(*).
En effet, dans ce passage descriptif le thème-titre est
sans nul doute « le milord » relevant d'une
désignation par ancrage qui aide à la compréhension
immédiate. En d'autres termes, la description balzacienne, privée
de tout effet d'ambiguïté ou de « suspens est
donnée comme intelligible ».
Mais Sarraute semble, dans la perspective
néo-romanesque, privilégier la désignation par affection
qui consiste à différer l'indication du thème-titre.
Celui-ci ne verra le jour une fois la description terminée. Ainsi, dans
LePlanétarium l'on remarque l'ensemble des personnages sont
désignés par affectation. Songeons par exemple à cet
« elle [qui] erre misérablement au milieu des
décombres, recherche de vieux débris » (P.14-15)
et à qui la narratrice nommera cinquante pages après sous le nom
de « la vieille Tante Berthe... »
( P.51 ). La même description est valable pour le
personnage de « il » qui sera aussi
identifié à la quarante troisième page sous le nom
d'Alain. Aussi, n'est-il pas étonnant de lire dans cette technique
descriptive du récit un effet de suspens qui maintient l'attention du
lecteur en éveil. Une telle disposition de la description est
particulièrement efficace pour créer la surprise ou
l'opacité dont Tropismes illustre parfaitement. Car, les
« ils » décrits dès l'incipit
mettent le lecteur dans le doute : il ne sait nullement s'il s'agit des
enfants, des adultes, des vieux. Il le saura lorsqu'il parcourt des yeux les
quatre-vingt-treize pages du récit :
« « Ah ! Ces vieux os, on se fait
vieux. Ah ! Ah !. Et ils faisaient entendre leur
craquement » (T.100 ).
Néanmoins il faut comprendre que la description
sarrautrienne en réaction contre celle de facture balzacienne, ne
s'interrompt guère une fois mise en branle. En clair, la description
dans Tropismes et Le Planétarium se veut
pérenne. Autrement dit, elle situe aussi bien au début
qu'à la Clausule du récit. D'où son autonomie qui suscite
un certain dynamisme consistant à accroître des séquences
descriptives qui s'imbriquent en créant une relation de
simultanéité des actions. Falou Bane dira :
« (...) Loin de cantonner la description dans
l'immobilité du récit, le Nouveau Roman en fait un
élément dynamique, un moyen d'invention de la matière
romanesque »124(*).
De ce fait, le récit néo-romanesque ne saurait
être construit sur le socle de la motivation des passages descriptifs qui
est une constante pour les romans réalistes. On sait, de toute
évidence, que les romanciers réalistes s'emploient à
mettre la description sur le compte d'un personnage. Tandis que dans le Nouveau
Roman la description est centrée sur les objets du récit. De
l'avis de Jean Ricardou « ces objets décrits se trouvent
investis d'une importance particulière (...) »125(*).
Ainsi, la description au lieu de consister, comme l'estime
Philippe Hamon dans Introduction à l'analyse du descriptif, en
une séquence type de cinq phases (personnage qualifié +
Notation d'une suspension dans le récit + verbe de perception, de
communication ou d'action + Mention d'un lieu propice + objet à
décrire) dont le rôle est de motiver l'insertion d'un passage
descriptif dans le récit, elle enfreint dans Tropismes et
Le Planétarium « les hiérarchies
convenues »126(*). Autrement dit, Nathalie Sarraute se démarque
de cette tendance en ce sens qu'on ne rencontre pas dans ses récits des
personnages qualifiés capables d'être attentifs à un
endroit qu'ils découvrent. Ce qui les pousse à cultiver
l'ignorance, l'hésitation :
« L'Angleterre ... Ah ! oui !
L'Angleterre... Shakespeare ?
Hein ? Hein? Shakespeare. Dickens. Je me souviens,
tenez, quand j'étais jeune, je m'étais amusé à
traduire du Dickens. Thackeray. Vous connaissez Thackeray ? Th...Th...
c'est bien comme cela qu'ils prononcent ?Hein ? Thackeray ?C'est
bien cela ? C'est bien cela qu'on dit ? ( T . 94)
De même, dans ce passage descriptif du
Planétarium :
« Unemaniaque voilà tout ... la
forêt luxuriante où il les conduisait, la forêt vierge
où ils avançaient, étonnés, vers il ne sait quelles
étranges contrées, quelles faunes inconnues, quels rites secrets
(...) »(P.57), l'on remarque que l'auteur de
Martereau ne respecte pas la thèse de Philippe Hamon. D'abord
nous savons pertinemment qu'une personne maniaque est la négation d'un
personnage qualifié. Ensuite que la motivation d'une suspension dans le
récit est sans valeur. La narratrice ne met qu'à découvert
la motivation d'Alain c'est-à-dire sa curiosité, son
réflexe professionnel.
Partant de cette remarque, force est de noter que la remise en
question de cette technique représentative de la description
traditionnelle, se substitue une nouvelle description axée sur l'objet.
La description de cet objet consiste, de l'aveu de Jean Ricardou, en trois
catégories : la situation (l'espace-temps), les qualités et
les éléments. Ces données narratives expriment le
fonctionnement de la description dans Tropismes et Le
Planétarium. En effet, dans ces deux textes, on décrypte un
goût exacerbé du descripteur pour des minuties. C'est ce que Jean
Ricardou appelle « le vertige de
l'exhaustif »127(*). Qu'on se rappelle ce passage descriptif extrait des
Tropismes :
« Ainsi il professait au collège de
France. Et partout alentour, dans les facultés avoisinantes, aux cours
de littérature, de droit, d'histoire ou de philosophie, à
l'institut et au palis, dans les autobus, les métros, dans toutes les
administrations, l'homme sensé, l'homme normal, l'homme actif, l'homme
digne et sain, l'homme fort triomphait (T.76-77). Cette minute descriptive
relève, non pas d'une façon de voir, mais d'une manière
décrire. Elle met en exergue ouplutôt détermine la
situation du récit à travers l'évocation de
l'espace-temps (« collège de France... dans les autobus,
les métros »).
En fait, il faut convenir que, les autobus, les métros
tout comme le train dans La Modification de Michel Butor jouent le
rôle de médiateur, de jonction entre les deux catégories du
récit : l'espace-temps.
De la même manière, il ressort de ce passage
descriptif des qualités ou plutôt de « nouvelles
parenthèses qualitatives » telles
« sensé, normal, actif, digne et sain » qui
qualifient ce professeur. Cet exemple n'est pas sans rappeler celui tiré
en ce début de Vous les entendez ?
« Des rires argentins. Des rires cristallins. Un
peu trop ? Un peu comme des rires de théâtre ? Non,
peut-être pas... si tout de même, on dirait qu'il est possible de
déceler ... Mais non, voilà une légère explosion,
de celles qu'on ne peut pas empêcher ... »
(VE.12).
Dans cette perspective, Le Planétarium semble
créditer cette procédure descriptive qui est effectivement
systématique dans le Nouveau Roman. Dans le récit liminaire
consacré, en grande partie, à la
« porte », on note une rafale d'adjectifs
qualificatifs : « petite, vitrée, avale, arrondie,
belle, vraie... » (P.7-19 ). En outre, dans ce
même récit nous remarquons une mise en pratique de la description
qui s'attèle à inscrire jusqu'aux couleurs superposées des
rideaux qui, tels des caméléons épousent tantôt les
propriétés d'un « velours
très épais, du velours de laine de première
qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... »
(P.7), tantôt deviennent simples : « c'est ce
rideau vert sur ce beige... » (P.8 )
En réalité, ce métissage des couleurs
apparaît aux yeux de la narratrice comme « bizarres,
déconcertantes, même franchement laides, choquantes »
( P.8 ). Par l'invasion de ces
« parenthèses intégrées »
(épithètes, attributs...) la description se présente
dès lors comme « une machine à enliser le
récit »128(*). En termes plus clairs, si dans le récit
traditionnel, les écrivains de l' « euphorie
diégétique » s'emploient à pulluler les
actions à l'intérieur des descriptions, les nouveaux romanciers,
en l'occurrence Nathalie Sarraute se plaisent à foisonner les
descriptions dans les actions apparemment inexistantes. C'est dire que la
prolifération des descriptions sur un objet principal n'occultera pas,
dans une certaine mesure, les éléments, j'allais dire, les
« objets secondaires intérieurs »129(*)
Dans Tropismes essayons d'analyser ce passage :
« « On
vous appelle. Vous n'entendez donc pas ? Le téléphone. La
porte. Il y a un courant d'air. Vous n'avez pas fermé la porte, la porte
d'entrée ! » une porte avait
claqué » ( T.41).
Cet exemple constitutif de la description
néo-romanesque, renferme en son sein un objet principal à savoir
la « porte » répétée quatre
fois. Certes il est le plus manifeste, mais il n'en demeure pas moins que les
autres objets(« téléphone »,
courant d'air ») signalant leur présence et jouent de
facto le rôle de premier plan. En un mot, dans Tropismes,
« au niveau de la ligne descriptive, il n'y a jamais d'objets
secondaires : la description porte tout au premier
plan »130(*). Ce qui autorise la narratrice à alterner une
kyrielle d'objets autonomes dans l'épaisseur d'un quelconque passage
descriptif.
Ainsi dans Le Planétarium, le récit
consacré à la description de Madame Tussaud est très
illustratif à cet égard :
« Mais alors, tout ce qu'elle a aimé,
tous ces trésors qui lui ontété confiés depuis
toujours, à elle, l'enfant prédestinée, et qu'elle a
recueillis, préservés en elle avec une si grande
piété, avec une telle ferveur ... Les visages, les gestes, les
paroles, les nuances des sentiments, les nuages, la couleur du ciel,les arbres
et leurs failles, leurs cimes mouvantes, les fleurs, les oiseau, les troupeaux,
le sable des plages la poussière des chemins, les champs de blé,
les meules de foin au soleil, les pierres, le lit des ruisseaux, la crête
des collines dans le lointain, la ligne ondulante des vieux toits, les maisons,
les clochers, les rues, les villes, les fleuves, les mers, tous les sons,
toutes les formes, toutes les couleurs contenaient ce venin, dégageaient
ce parfum mortel : Madame Tussaud »
(P.156).
Ce tableau descriptif qui s'apparente à un puzzle
provoque un enlisement du récit. Cet enlisement est, selon Jean
Ricardou, la conséquence de l'échelonnement du simultané
au successif. De ce fait, il souligne : « le récit
s'enlise, de rupture en rupture, dans l'épaisseur labyrinthique du
contemporain »131(*). Donc il n'est pas étonnant que la
description néo-romanesque soit présentée comme une
rupture avec la description réaliste mieux la description à
fonction représentative.
En dernière analyse, s'il est des tenants de la
description représentative, d'autres au contraire comme
« les écrivains de la contestation
diégétique » jugent nécessaire de rompre
avec les techniques descriptives héritées du roman traditionnel.
Ainsi, Nathalie Sarraute et la quasi-totalité des néo-romanciers
mettent en pratique dans leurs romans une nouvelle technique de description
baptisée : Description productrice ou créatrice.
En fait, dans le roman traditionnel, les théoriciens
réalistes s'attèlent à assigner à la description
représentative trois fonctions essentielles : une fonction
mathésique (diffusion du savoir), une fonction mimésique
(construction d'une représentation) et une fonction sémiosique (
régulation du sens).
Mais les néo-romanciers au premier rang desquels
l'auteur du Portrait d'un Inconnu cherchent, de façon radicale,
à se démarquer de cette esthétique qui n'est plus de mise.
De cette façon, dans Tropismes et
LePlanétarium, Sarraute au nom de préoccupations
esthétiques et en fonction de l'affirmation de la subjectivité de
toute activité perceptive, remet en question principalement les
fonctions mathésiques et mimésiques des descriptions. Celles-ci
consistent respectivement, selon Jean Michel Adam dans Le Texte
descriptif, à disposer à l'intérieur du récit
les savoirs de l'auteur qu'ils proviennent de ses enquêtes ou de ses
lectures et à verbaliser des données référentielles
de l'énoncé s'opérant textuellement par le biais de
description qui, dans un récit, encadrent ou alternent avec les
séquences narratives.
C'est dans cet esprit qu'Alain Robbe-Grillet, dans Pour un
nouveau roman, cloue au pilori l'écriture réaliste pour
avoir constitué la cohérence de ses fictions sur des conceptions
explicatives du monde qu'elles illustrent, et de donner l'illusion, d'une
prétendue association de l'univers réel avec le monde réel
de référence :
« Reconnaissons d'abord que la description n'est
pas une invention moderne. Le grand roman, français du XIXe
siècle en particulier, Balzac en tête en regorge [...]. Il est
certain que ces descriptions-là ont pour but de faire voir et qu'elles y
réussissent. Il s'agissait alors, le plus souvent, de planter un
décor, de définir le cadre de l'action, de présenter
l'apparence physique des protagonistes. Le poids des choses ainsi posées
de façon précise constituait un univers stable et sûr,
auquel on pouvait ensuite se référer, et qui garantissait par sa
ressemblance avec le monde réel l'authenticité des
événements [...] le foisonnement de ces détails justes
auquel il semblait que l'on puisse indéfiniment puiser, tout cela ne
pouvait que convaincre de l'existence objective - hors de la littérature
- d'un monde que le romancier paraissait seulement reproduire, copier,
transmettre à un quelconque document »132(*).
En revanche, l'effet antiréaliste de la description
consiste, à première vue, pour Nathalie Sarraute, à
dévoiler l'artifice langagier. Tel est le rôle des inventaires de
prédicats qui s'achèvent par des points de suspension. Ce
fragment de récit tiré des Tropismes est
convaicant :
« Et rien que l'héritage de tante
Joséphine ... Non... Comment voulez-vous ? Il ne l'épousera
pas. C'est une femme d'intérieur qu'il lui faut, il ne s'en rend pas
compte lui-même. Mais non, je vous le dis. C'est une femme
d'intérieur qu'il faut ... d'intérieur ... D'intérieur
... » (T. 64).
Dans Le Planétarium les points de suspension
essaiment le texte en se fondant tantôt sur des corrections, tantôt
sur des hésitations ou des ajouts. Qu'on se rappelle cet extrait
dialogique :
« - Un lapsus ! hi, hi, vous avez fait un
lapsus.
- Quel lapsus, chère Madame ?
- Eh bien vous avez dit " elle" en parlant
d'Alain.... Petite voix pointue comme cri de souris ... Si, si... petite rire
... j'ai entendu, vous l'avez dit ...
- Non, j'ai dit "il"
- Vous avez dit " elle" ... sans vous rendre compte
... » (P.192 ».
Ces ajouts se manifestent fréquemment à travers
l'emploi des parenthèses ou des conjonctions de coordination :
« ou » par exemple. Lisons ce récit des
Tropismes :
« Leurs visages étaient comme raidis par
une sorte de tension intérieure, leurs yeux indifférents
glissaient sur l'aspect, sur le masque des choses, le soupesaient un seul
instant (était ce joli ou laid ?) » (T.64).
En vérité, de tels choix littéraires
visent, en grande partie, à attirer l'attention du lecteur sur la
subjectivité descriptive au moment où l'écriture
réaliste travaille à éclipser la présence du
descripteur à coups de détails justes ou crédibles. Ainsi
on note dans ce processus de mise à nu de l'artifice langagier
« Des interventions métalinguistes qui interrompent une
description pour signaler l'opération sémiotique qui
l'élabore, brisant ainsi toute illusion
référentielle»133(*).
Un tel point de vue vise à mettre en exergue le
procédé des métaphores qui, très en vue dans l'acte
descriptif, est arborée par l'accumulation des comparaisons ou des
conjonctions de comparaisons (dans Tropismes, P.16,17,23,27, etc. dans
Le Planétarium P.7,8,14,15,16,17, etc,.). Claude Simon de
souligner dans Leçon des choses :
« La description ( la composition) peut se
continuer (ou être complétée) à peu près
indéfiniment selon la minutie apportée à son
exécution, l'entraînement des métaphores proposées,
l'addition d'autres objets visibles dans leur entier ou fragmentées par
l'usure, le temps »134(*).
Ensuite, il est temps de remarquer que Nathalie Sarraute dans
sa volonté de se mettre en déphasage des procédés
descriptifs du récit réaliste, enraye l'illusion
référentielle qui se cristallise à l'usage des assertions
référentielles contradictoires.
Dans Tropismes c'est le cas de ce personnage anonyme
« elle » qui dénigre le
« soleil » en le traitant de
« traître » avant de se rétracter
pour magnifier ses vertus à l'égard de son mari qui «
pourtant (...) aimait se soigner ... » (T.17).
Dans Le Planétarium ces types d'assertions
sont visibles principalement dans la façon dont les personnages sont
caractérisés. En fait, qu'il s'agisse de Germaine Lemaire ou de
Tante Berthe la narratrice ou les personnages nous les décrivent au
moyen de plusieurs facettes. S'agissant de Germaine Lemaire, Pierre la
décrit tantôt comme « une jolie femme
... »( P.101 ), tantôt il estime
qu' « elle est laide comme un pou »
(P.102).
De plus, en ce qui concerne Tante Berthe, Alain nous la
présente au début du récit comme « ... une
maniaque, une vieille enfant gâtée, insupportable ... »
(P.13)et à la clausule du récit il nous la montre sous un
aspect favorable : « Elle a rajeuni de vingt ans »
(P.242).
Par ailleurs, dans ce mécanisme de blocage de
l'illusion référentielle du récit, force est d'accorder
une importance particulière aux mouvements de focalisations variables.
En d'autres termes, Sarraute, dans la mouvance des néo-romanciers, nous
offre tantôt un passage correspondant à ce que voit le
personnage, comme le prouve la présence des possessifs dans ce passage
descriptif des Tropismes :
« Quand il était avec des êtres
frais et jeunes, des êtres innocents, il éprouvait le besoin
douloureux, irrésistible, de les manipuler de ses doigts inquiets, de
les palper ... » (T.51).
Dans ce récit du Planétarium, Alain
soutient : « Voyez mes domaines, mes châteaux, les
signes de ma puissance, mes quartiers de noblesse, les actes valeureux
accomplis par mes ancêtres qui ont fondé la gloire de ma
lignée ... » (P.242).
Tantôt le passage descriptif est perçu par une
autre instance narrative. Comme en témoignent les locutions
prépositionnelles « en arrière, en
avant... », tantôt il est possible de spécifier
à quel focalisateur renvoie la perspective c'est-à-dire en avant
de qui, en arrière de qui :
« Allez donc ! En avant ! Ah, non, ce
n'est pas cela ! En arrière ! En arrière ! Mais
oui, le ton en joué, oui, encore, doucement, sur la pointe des pieds, la
plaisanterie et l'ironie. » (T.28).
A la lumière de cette analyse représentative des
failles notées dans la construction de la description réaliste,
on en arrive avec Jean Ricardou à l'idée selon laquelle
« l'effort antiréaliste de la description est
double : d'une part, elle altère la disposition
référentielle de l'objet (étalant une
simultanéité en successivité) et, d'autre part, elle
empêche, par ses interruptions intempestives, le déroulement
référentiel du récit »135(*)
En revanche, si, les néo-romanciers s'insurgent contre
la double description mathésique mimésique, quelle est alors la
méthode descriptive qui s'accommode à leur nouvelle conception de
la littérature. C'est sans nul doute la fonction productrice ou
créatrice que nous avons évoqué antérieurement.
Dans cette perspective disons que cette nouvelle donnée
descriptive à droit de cité dans Tropismes et Le
Planétarium. Dans ces deux récits, bien que les descriptions
prolifèrent, l'auteur des Fruits d'or s'attache, à des
degrés divers, à les attribuer une directivité
fonctionnelle et antireprésentative. Ainsi, jeux d'analogies, recours
à des signes polysémiques tels sont les procédés
qu'elle analyse en attribuant aux descriptions une fonction
génératrice ou productrice de fiction. Cet état de fait
n'a pas échappé à Jean Ricardou qui soutient :
« La description est créatrice. Elle
invente en toute cohérence un univers et tend à susciter un sens
avec lequel elle entre en lutte. C'est comme une course contre le sens que
peuvent se lire maintes oeuvres contemporaines ».136(*)
Cette conception inhérente au récit sarrautien
n'est pas sans pertinence, si l'on continue d'examiner la question du point de
vue de des signes polysémiques. Quel est dès lors
l'intérêt de cette démarche dans Tropismes et
LePlanétarium ? Il n'est guère contestable, pour
commencer, que l'oeuvre traditionnelle répond à une intention de
sens, au profit d'un « quelque chose à dire »,
de sorte que la question de ce que l'écrivain a voulu dire
n'est pas ambigu. Pour Balzac, dans un Avant-propos de 1842 consacré
à La Comédie humaine, il s'agit de
« surprendre le sens caché dans cet immense
assemblage »137(*).
En revanche, dans Tropismes et le
Planétarium, Nathalie Sarraute laisse au récit une part
d'imprévisible, en abandonnant au destinataire le soin de retotaliser un
ensemble disparate qui suscite bien entendu plusieurs sens.
Ainsi il n'est pas étonnant que Tropismes
commence par l'animation descriptive de l'image des bêtes sauvages :
« Ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la
tiédeur un peu moite de l'air, ils s'écoulaient doucement comme
s'ils suintaient des murs, des arbres grillagés, des bancs, des
trottoirs sales, des squares » (T.11).
En effet, ce récit participe des jeux d'analogie entre
l'univers humain et l'univers animal. Ces « ils »
sont tantôt décrits comme des bêtes maritimes qui semblent
« sourdre » de l'eau, tantôt comme des
insectes volants « dans la tiédeur un peu moite de
l'air » comme des loques humains habitant dans des
« squares ». C'est dire que le comparant
« ils » une fois posé, s'hypertrophie en
produisant et créant d'autres scènes obtenues, non par l'artifice
d'un système chronologique, mais par des transitions purement
descriptives fondées, de l'avis de Jean Ricardou, sur des analogies.
Dans Le Planétarium on peut s'approprier les
propos de Jean Michel Adam selon lesquels les descriptions productrices ont un
rôle transitaire mettant en exergue certains signifiants qui les
composent par un processus de comparaison étendu. C'est ainsi qu'un
récit, représentatif de la visite faite par Germaine à
Alain, est influencé par un passage spatial qui se trouve, par voie de
conséquence, anthropomorphisé :
« Toutauteur de lui se rétrécit,
rapetisse, devient inconsistant, léger- une maison de poupée, des
jouets d'enfants avec lesquels elle s'est amusée à jouer un peu
pour se mettre à sa portée, et maintenant elle repousse tout
cela, allons, assez de puérilité ... le ciel tourne au-dessus de
lui, les astres bougent, il voit se déplacer les planètes, un
vestige, une angoisse, un sentiment de panique le prend, tout bascule d'un
coup, se renverse... elle-même s'éloigne, elle disparaît de
l'autre côté. Mais il ne veut pas la lâcher, il peut la
suivre, les suivre là-bas (...) » (P.249).
De cette façon, se construit un récit dont la
dissémination des histoires qui le composent émane moins d'une
description représentative que d'une description
génératrice de signes polysémiques dans leur double
composante formelle et signifiante. Cette nouvelle armature de la description
« piétine, se contredit, tourne en rond. L'instant nie la
continuité »138(*) du fait de la force créatrice de
l'écriture en mouvement : celle des
« tropismes ». En un mot, c'est qu'affirmer que
les pouvoirs de la description dans Tropismes et Le
Planétarium relèvent non seulement de son autonomie à
l'égard d'un récit balkanisé, mais aussi et surtout de la
prolifération des objets, des lieux dont elle commande. Du coup, si la
description s'affranchit du diktat narratif incarné par le récit,
quelle serait alors la texture des modes narratifs dans Tropismes et
Le Planétarium ? L'analyse des points qui suivent
permettront d'y voir plus clairement.
CHAPITRE IV : MODES NARRATIFS
Tropismes et Le Planétarium
participent d'une nouvelle esthétique narrative romanesque. La
théorie des modes narratifs a en effet des implications
littéraires que mettent bien en évidence les attaques de Sarraute
contre la technique traditionnelle du roman.
En fait, on sait depuis Platon, dans son III livre de
La République, que le récit consistait dans deux modes
narratifs : Le récit pur et la mimesis ou l'imitation. A sa suite,
Yves Reuter y fera une étude pertinente dans l'Analyse du
récit en soulignant que le premier mode est celui du
« raconter (appelé diegesis) » et le
second du « montrer (appelé mimesis) »139(*).
Dans le roman traditionnel, les romanciers réalistes
semblent privilégier la notion de mimesis ou de représentation du
réel qui consiste, par exemple pour Balzac, à donner à ses
chimères toute l'apparence et le relief du réel le plus tangible.
De plus, il cherche à persuader de la vérité du monde en
trompe-l'oeil qu'il propose au lecteur consommateur et naïf.
Dans le contexte d'après-guerre, en revanche, la notion
de diegesis semble avoir valeur de loi dans les textes des écrivains
consacrés comme Sartre, Sarraute, entre autres. Qu'on relise, par
exemple, La Nausée de Sartre, où Roquentin, qui
« se méfie de la littérature »,
réfléchit sur l'aventure. Sa fameuse formule :
« il faut choisir : vivre ou
raconter »140(*) dit bien toute sa distance qui sépare du
réel de la mise en texte de celui-ci.
Dans Tropisme et Le Planétarium
l'acte de raconter semble être la raison d'être des personnages qui
narrent de longues histoires pour distraire leurs ennemis et préserver
leur vie.
De fait, il se dégage d'abord, ce qu'il est convenu
d'appeler la question des voix narratives qui dérivent des relations
entre le narrateur et l'histoire qu'il raconte. De plus, si, dans les
récits mimétiques d'obédience traditionnelle les
romanciers ont muselé sciemment la voix narrative de façon
à donner l'illusion de la réalité, Nathalie Sarraute, dans
la perspective du Nouveau Roman, récuse un tel choix littéraire.
Ainsi, s'attèle-t-elle à inscrire cette voix suivant une double
distance maximale et minimale.
Ensuite, il est symptomatique de comprendre que cette distance
des personnages - narrateurs n'est pas sans évoquer le mode de
fonctionnement des dialogues qui, loin d'intégrer des signes
typographiques traditionnels (tirets, incises...), usent des
énoncés ponctués c'est-à-dire escortés de
guillemets et de tirets à l'intérieur des guillemets, et des
énoncés non ponctués (propres muets, pensées
floués, etc).
De même, l'on remarquera que l'évocation des
énoncés non ponctués préfigure l'expression
intérieure, j'allais dire le monologue intérieur des personnages
qui visent, de l'aveu de Marc Alpozzo, à « abolir la
frontière entre le monde extérieur et le monde
intérieur »141(*). En clair, derrière Joyce et Virginia Woolf,
ou encore Henry James, Nathalie Sarraute travaille à inscrire
l'intériorité au coeur même du récit.
Enfin, une telle intrusion, bien sûr, n'est pas sans
risque en ce sens que l'individualité des personnages sarrautiens va
être dévastée, dévoré par le silence.
Voilà donc, autant d'indices qui mettent en
lumière du moins le mécanisme de fonctionnement des modes
narratifs sinon du récit que nous nous proposerons d'analyser dans les
pages qui suivent.
IV - 1 :VOIX NARRATIVES ET VOIX
DIALOGIQUES
L'approche des voix narratives et des voix dialogiques occupe
une place importante dans Tropismes et Le Planétarium.
En fait, la mise en pratique de ces deux procédés narratifs
vise essentiellement à mettre à nu les défaillances de la
construction traditionnelle du récit.
S'agissant des voix narratives, il faut dire qu'elles
revêtent un cachet particulier dans le Nouveau Roman. Si, dans le roman
traditionnel, l'écrivain est très souvent un narrateur omniscient
de droit divin, dans Tropismes et Le Planétarium tout
semble se focaliser sur le point de vue des personnages.. Le choix d'une telle
technique s'explique par le fait que « la représentation
de l'homme et du monde y est toujours subjective [et] que cette
réalité vécue y est toujours décrite comme un
ensemble ouvrant et complexe plein de contradictions, d'impondérables et
de lacunes que cherche à capter une conscience humaine qui est
elle-même insaisissable, emportée elle-même dans le
mouvement de sa complexe existence »142(*).
C'est dire que chez Sarraute, à la vision
rétrospective imposée par le romancier traditionnel sur ses
personnages et qui propose, après coup, le récit explicatif des
événements, succède un réalisme subjectif qui
inscrit la narration dans la conscience personnelle des narrateurs et nous fait
coïncider avec leurs consciences. De ce point de vue, l'auteur de
Martereau s'inscrit dans la résistance contre l'idée de
« focalisation zéro »,
« Vision par derrière »
« narrateur > personnage », termes appartenant
respectivement à Gérard Genette dans Figures III,
Todorov dans Poétique de la Prose et Pouillon dans Temps et
roman.
Ainsi, que ce site dans Tropismes ou dans Le
Planétarium, l'on se rend bien compte que le
« narrateur dieu » qui avait la complète
maîtrise d'un univers textuel auquel il imprimait ordre et
cohérence est rejeté par la génération de
« l'Ere du soupçon » au profit d'un
personnage narrateur.
Qu'on considère, par exemple, cette séquence
narrative du premier texte de Sarraute dans laquelle ce personnage narrateur
cherche à appliquer son récit au point de vue du personnage de
« il » :
« Mais à part, très rarement, ce
petit geste timide, il ne se permettait vraiment rien. Il avait réussi
peu à peu à maîtriser toutes ses manies stupides, il en
avait même moins maintenant qu'il n'était normalement
toléré, qu'il ne collectionnait même pas - ce que, au vu de
tous, les gens normaux faisaient- les timbres-poste. Il ne s'arrêtait
jamais au milieu de la rue pour regarder- comme autrefois, à la
promenade, quand sa bonne, mais allons donc ! Allons le tirait,
(...) » (T.123).
Dans Le Planétarium, la narratrice nous
installe, d'emblée, dans la conscience du personnage de Tante Berthe qui
ne se révèle à nous qu'à travers ses propres
efforts pour se saisir lui-même, et comprendre les autres (ouvriers).
Tout ce qui nous est donné, c'est ce qu'elle se rappelle, imagine, sait,
croit ou veut croire. Entraînés avec elle dans le flux de son
existence, dans l'incessant mouvement simultané, « d'un
présent qui se refait toujours et d'un passé qui se défait
de plus en plus »143(*) , nous ne pouvons normalement savoir, voir que
ce que sait, voit le personnage focalisateur (Tante Berthe). Qu'on relise ce
récit :
« Elle sait qu'il vaudrait peut-être mieux
être prudente ... une maniaque, une vieille enfant gâtée,
insupportable, elle sait bien que c'est ce qu'elle est pour eux, mais elle n'a
pas la force de se dominer, et puis elle sent qu'il est
préférable au contraire de forcer encore grotesquement les traits
de cette caricature d'elle-même qu'elle voit en eux (...) »
( P.13).
C'est qu'affirmer que dans cet exemple constitutif de la
« vision avec », la narratrice en sait autant que
Berthe qui constitue le fil d'Ariane pour le narrataire dans cet espace
labyrinthique des « tropismes ». Du coup, il se
dégage « une restriction de
champ »144(*) et une sélection de l'information que
s'impose le récit sarrautien en focalisant l'histoire sur un point de
vue particulier.
Ajoutons, dans cet esprit, que la narratrice et le personnage
focalisé sont virtuellement égaux du point de vue de la
diffusion du savoir. Autrement dit, si le personnage de
« elle » ignore qu'il y a « la crise
... et ce chômage qui va en augmentant » ( T.45), le
lecteur, bien entendu, ne le saura pas non plus.
Par conséquent, le savoir libéré par la
narratrice est strictement limité au savoir de
« elle ». L'usage de cette focalisation interne
tire sa validité dans la prolifération des termes
négatifs : « on ne sait pas pourquoi
... », « je ne sais plus rien, je ne vois plus
que ça... » ( P.26) qui occupent presque
chaque récit du Planétarium.
Aussi, faut-il comprendre que la notion de focalisation
interne relève, de l'avis de Gérard Genette, du caractère
traduisible d'une phrase à la troisième personne du singulier en
première personne du singulier. Convoquons ces deux exemples
tirés respectivement des Tropismes et du
Planétarium :
« Elle avait compris le secret.
Elle avait flairé où se cachait ce qui devait être pour
tout le trésor véritable. Elle connaissait «l'échelle
des valeurs » » (T.69).
« Alain est un orphelin, il a été
privé de mère depuis qu'il était tout petit ...
(...) » (P.194).
A la lecture de ces fragments de récit, force est de
constater que leur segment narratif considéré peut se
réécrire à la première personne sans que cette
opération entraîne « aucune autre altération
du discours que le changement même des pronoms
grammaticaux »145(*). Ainsi, de telles phrases peuvent se
réécrire comme suit :
« J'avais compris le secret, j'avais
flairé (...) » (T.69).
« Je suis un orphelin, j'ai été
privé de mère (...) » (P.194).
Au contraire, si une phrase comme : « La
sonnerie résonne dans le vide. Chaque coup régulier, prolonge,
tient sa vie en suspens ... » (P.73) est intraduisible en
première personne sans ambiguïté sémantique
évidente, nous sommes ici, de l'aveu de Genette, en focalisant externe
du fait de l'ignorance marquée du narrateur à l'égard des
véritables pensées d'Alain Guimier.
Dans cette focalisation externe, encore appelée
« vision du dehors » par Pouillon, l'histoire est
racontée d'une manière neutre comme si le récit se
mêlait avec l'oeil de la caméra. Autrement dit le narrateur, en
termes d'informations, en sait moins que le personnage et ne saisit que
l'aspect extérieur des personnages et des choses qui se
présentent dans l'univers spatio-temporel du récit.
Cette focalisant s'inscrit dans Tropismes et Le
Planétarium où l'on semble lire un univers filtré par
aucune conscience narrative : la vision, les pensées et les
sentiments des personnages nous sont inconnus. Examinons cet exemple des
Tropismes :
« Et elles parlaient, parlaient toujours,
répétant les mêmes choses, les retournant, puis les
retournant encore, d'un côté puis de l'autre, les
pétrissant, roulant sans cesse entre leurs doigts cette matière
ingrate et pauvre qu'elles avaient extraite de leur vie (...) »
(T.65).
Dans ce récit, nous remarquerons une série de
constats objectifs qui se contentent seulement de décrire une
scène vue de l'extérieur. En vérité, bien qu'
« elles » se mettent à parler, nous
ignorons ce qu' « elles » se disent. On
semble lire ici ce que Genette appelle la paralipse ou
« l'omission latérale »146(*) qui consiste à passer
sous silence un certain nombre d'informations visant à éclairer
la lanterne du lecteur. C'est dire que le savoir délivré par la
narratrice ne se cantonne que dans l'aspect extérieur des êtres
(elles) et des choses (matière) sur lesquelles le
lecteur n'a aucun idée fiable.
Dans Le Planétarium, l'énoncé
narratif ne livre pas autant d'informations que le ferait une caméra
placée en un point de l'espace. La description du personnage anonyme
« on » qui « a frappé
à la porte : trois coups légers et la porte s'entrouvre
lentement » (P.159) est représentative et de la
focalisation externe et de la paralipse. Car, « la longue
tête familière, un peu simiesque, les petits yeux noirs
très enfoncés, les lèvres épaisses
(...) » (P.ibid ) ne renseignent rien sur la
psychologie interne de ce « on » dont Sarraute se
plait à taire ou à omettre un certain nombre d'informations.
C'est donc dire que le point de vue des personnages
sarrautiens est la perspective, l'optique suivant laquelle le récit est
présenté c'est-à-dire leur aspect apparent. Cette optique
exige une certaine distance qui met en évidence le degré
d'implication des narrateurs dans l'histoire qu'ils racontent. Notons au
passage que la distance, modalité essentielle permet de l'avis de
Genette, de réguler « l'information narrative qu'est le
mode »147(*).
En fait, si, dans le récit traditionnel la
proximité semble être l'instrument privilégié du
narrateur-omniscient, dans Tropismes et Le
Planétarium, les narrateurs prennent leur distance par
référence à l'histoire, à la réalité
des faits tels des spectateurs se tenant à l'écart du tableau
qu'ils observent.
Un tel état de fait, n'épargnera pas le
récit qui devient, de toute évidence, nébuleux par
conséquent subjectif. Disons que la distinction entre proximité
et distance est symétrique de la différenciation entre
objectivité et subjectivité. C'est ce qui ressort de cette
affirmation de Vincent Jouve :
« L'opposition entre
« proximité » et
« distance » renvoie donc à l'opposition entre
« objectivité et subjectivité ». Elle
s'inspire de l'ancienne distinction entre le monde mimétique (qui
s'emploie à « montrer ») et le mode
diégétique (qui préfère « raconter
») »148(*)
Ainsi, dans Tropismes, la distance en apparence
minimale de la narratrice du récit six se caractérise par la
pratique du résumé et une inclinaison à substituer aux
faits de « elle » le commentaire sur ses
faits :
« « Lematin elle
sautait de son lit très tôt, courait dans l'appartement,
âcre, serrée, toute chargée de cris, de gestes, de
halètements de colère, de scènes ».
Elle allait de chambre en chambre, furetait dans la cuisine, heurtait avec
fureur la porte - de la salle de bains (...) »
(T.39).
Le récit d'évènements consacré au
personnage d' « elle » peut, à bien
des égards, s'appliquer dans Le Planétarium, au
récit de ce narrateur anonyme qui s'efforce tant bien que mal de saisir
des termes comme : « Henri est très mauvais mari. La
pauvre berthe n'a pas eu de chance. Elle est mal tombée. Elle est mal
lotie, mal mariée » (P.202).
En outre, il convient de préciser que l'auteur
d'Entre La vie et la mort adopte tout au long du récit dix-huit
du Planétarium, le point de vue unique et entièrement
subjective d'un narrateur se racontant en quelque sorte à
lui-même, au fur et à mesure qu'ils arrivent ou qu'il se rappelle
des événements auxquels il est ou a été
mêlé.
En effet, il le clame haut et fort en parlant d'Alain :
« les gens qui ne le connaissent pas s'y
trompent » (P.199). A vrai dire il entend
désigner Alain à la vindicte publique en le qualifiant
d'« enfant gâté, insupportable,
coléreux » (P.ibid). Donc ce narrateur
apparaît ici comme un témoin oculaire des propos qu'il avance.
Une telle technique de Sarraute dans Tropismes et
Le Planétarium vise à mettre en lumière la
fonction phatique du récit consistant à placer le lecteur en
contact direct avec une conscience en train d'épier les
« sous-conversations », ou les paroles
prononcées par les personnages.
Il ressort de ce point de vue ce que Gérard Genette
appelle « le récit de paroles » où
le narrateur « dispose d'une série de techniques que l'on
peut (...) classer sur une échelle allant du maximum de distance au
minimum de distance »149(*)
En fait, la distance, nous venons de le voir, rive au flou et
à l'imprécision. Ce qui bien entendu brouille le
déroulement du récit en usant effectivement plusieurs discours.
De cette façon, l'on remarque que dans Tropismes, le
récit narrativisé semble être le plus usité.
Qu'on relise ce récit relatif à une mise en
garde d'un père à son fils : « Et il lui
apprenait, en traversant, à attendre longtemps, à faire bien
attention, attention, attention surtout très attention en traversant les
rues sur le passage clouté (...) » (T.52).
A la lecture de ce passage narratif, l'on déduit
qu'entre le récit et les mots effectivement prononcés s'institue
un grand écart. Le récit se contente alors d'un rapport
très ambigu au contenu des mots.
Dans Le Planétarium, on note certes des
expressions (« ce ricanement quand elle lui
avait dit en passant devant le collège de France... »
(P.65)) représentatives du discours
narrativisé.
Mais le discours transposé semble gagner en autonomie
dans la quasi-totalité des récits. Principalement ce récit
dans lequel Tante Berthe « a dit aux de la rue que son neveu la
menaçait, de la faire expulser ... » (P.191). En fait,
les mots articulés par Tante Berthe demeurent cependant filtrés
par la voix narrative.
Au-delà de ce discours transposé, force est
d'ajouter l'omniprésence du discours rapporté qui se
caractérise par une citation exacte (souvent mise entre guillemets) des
paroles du personnage. Convoquons cet exemple qui évoque le
désespoir de Jean Luc à l'idée de se séparer de ce
personnage anonyme, « il » :
« « Ilm'a dit :
Si je cessais de la voir, je crois que je me tuerais. C'est devenu une
idée fixe chez moi » » (P.128). Ce
« il » de rapporter à ces amis en soulignant :
« « Vous savez que c'est
vraiment devenu, chez Jean Luc, une obsession. Il m'a dit : je ne vis plus
que de cela, de ces brefs moments, dans l'attente, puis dans le
souvenir » »
(P.129).
En effet, la mise en pratique d'un tel discours
littéraire vise, selon Vincent Jouve, à aboutir toute distance
ou à réduire, de l'aveu de Pierre Astier, autant qu'il se peut
l'écart entre les auteurs et leurs personnages, et entre ceux-ci et le
lecteur. En d'autres termes, « il ne faut pas que le
« héros » nous apparaisse comme donné par
l'auteur, mais que ce soit lui-même qui se donne un peu à peu dans
le mouvement de son existence, au fur et à mesure qu'il se
réalise lui-même »150(*).
Du reste, la remise en question d'un narrateur
hétérodiégétique où la perspective passe par
ce même narrateur devient évidente dès qu'on accroît
les points de vue sur un objet, un être ou un passage. La multiplication
des perspectives narratives dans le Nouveau Roman procède, de toute
évidence, de la volonté manifeste d'excéder la restriction
d'un seul point de vue du récit.
Ainsi, dans Tropismes et Le
planétarium, à la théâtralisation d'un
narrateur omniscient qui, tel un Dieu par rapport à sa création
« sait les comportements mais aussi ce que pensent et ressentent
les différents acteurs »151(*), succède une
multiplicité de points de vue. Dans Tropismes, par exemple,
l'alternance rapide des points de vue naît de la représentation
fragmentée des chapitres.
Presqu'à chaque nouveau chapitre ou récit
répond une unité de perspective (récits I, II, III :
« Ils » ; récit IV :
« Elles » ; récits V, VI :
« elle »; récit VII, VIII :
«il » ; récit IX :
« elle »). C'est dire que ces personnages vivent
l'histoire, voient le monde alternativement, et chacun de façon
parcellaire et partielle. Anonyme et flottante, la perspective de la
première oeuvre de Nathalie Sarraute, peut aussi être collective,
le discours devient alors celui d'un « Nous » ou
d'un « on » qui occupent un certain nombre de
récits (« on ») (T.
16,21,22,23,28) ; « Nous » (T.
132,135... ».
De plus, l'on remarque à la lecture du texte des pages
intercalées qui, à vrai dire, cautionnent l'idée de
glissement d'une perspective narrative à une autre. Françoise
Calin soutient en ces termes :
« Les pages blanches intercalées entre
les courts récits soulignent les changements des perspectives, faisant
silencieusement glisser le lecteur d'univers en univers lui découvrant
une myriade de mondes isolés, séparés les uns des autres
par des murs d'incompréhension. »152(*)
Dans Le Planétarium, les pages intercalaires
se sont éclipsés. Mais la fragmentation en chapitres relativement
courts marque sa présence. La disposition de ces chapitres
génère effectivement la multiplicité des points de vue.
Ainsi, remarque-t-on que le récit est fait par une narratrice qui, dans
le premier récit du roman, décrit les choses du point de vue d'un
« il » (Alain) dont elle assume l'identité,
et enfin dans le cinquième en se substituant en
« ils » qui encerclent Alain,
« fourrent leur nez partout, attaquent ouvertement ».
(P.72).
C'est donc affirmer que dans ce texte il est plusieurs voix
narratives qui, suivant le flux et le reflux de leurs états, peuvent
s'opérer soudainement au sein d'un même fragment de récit,
à propos d'un même souvenir ou d'une même histoire.
Examinons ce récit :
« ...Je lisais, je m'apprêtais à
aller me coucher, j'entends sonner le téléphone ... je regarde ma
montre : onze heures ... Gisèle dormait. J'ai cruqu'il était
arrivé un malheur c'était ma tante ... Elle avait une toute
petite voix : Allô... je t'ai réveillé ? Excuse
-moi, je suis désolée... vous pensez si elle s'en moque, je la
connais ... ce n'est pas la première fois... elle remue ciel et terre
quand ça la prend ... Elle vous passerait sur le corps ...
écoute, voilà ... j'ai un ennui... je peux te parler ? Tu
n'es pas trop endormi ? Tu te rappelles, je t'avais dit que je voulais
faire une porte arrondie entre l'office et la salle à manger ? Tu
avais désapprouvé ... » (P.25)
A la lecture de ce fragment de texte, deux questions
s'imposent : qui parle ? est-il seul ? A première vue,
nous savons pertinemment que c'est le « je »
(Alain) qui énonce. Mais on constate qu'il est relayé
par un autre « je » (Tante Berthe). Par
voie de conséquence, nous avons deux « je »
narrateurs à la fois témoins et acteurs.
En fait, la perspective des
« je » est donc plus exclusive puisque toute
distance est ici supprimée entre les personnages, l'auteur et le
lecteur : l'histoire de la « porte » nous est
décrite par des narrateurs qui ne sont plus de simples observateurs,
mais qui sont à la fois partis et témoins.
Ce choix énonciatif qui s'appuie sur la première
personne du singulier accorde à l'oeuvre sarrautienne « le
droit de tuer, d'être meurtrière de son
auteur »153(*). Cette sorte d'assassinat autorisé par les
romanciers du Nouveau Roman, n'a pas échappé à Jean
Rousset qui souligne :
« L'une des conséquences de l'emploi dans
le roman de la forme autobiographique, c'est l'évanouissement de
l'auteur dans son texte (...) Quand on diminue l'auteur, on fait grandir en
proportion celui qui est censé prendre sa place, le personnage
chargé de la narration (...). Le narrateur passa à
l'intérieur du récit, il en occupe le centre, il rend visible
l'origine du livre, dans lequel il ne cesse de se montrer parlant et
écrivant. »154(*)
Toujours dans ce roman à multiples point de vue
(« elle », « il »,
« on », « vous »
...), on observe que la perspective adoptée est invariablement celle de
« je », car la narratrice n'étant qu'un
« appareil de prises de vues » installé aux
confins de chaque conscience observée. En d'autres termes, les
« il », « elle » ne
sont, dans chaque cas, que des « je »
photographiés de l'intérieur.
En dernière analyse, comment la mise en scène
des « je » narrateurs et d'autres instances
narratives rend-il compte du mécanisme des dialogues dans
Tropismes et Le Planétarium ?.
Au reste, il urge de porter la réflexion sur les voix
dialogiques dans Tropismes et Le Planétarium. De toute
évidence, on a tout lieu de croire qu'elles ne s'inscrivent pas dans le
sillage de celles théorisées et systématisées par
les romanciers traditionnels entre autres, Balzac, Stendhal, etc.
Si, dans le récit traditionnel, les personnages tels
ceux de Balzac éprouvent moins le désir de contact, dans le
récit sarrautien, au contraire, qu'il s'agisse de
« il », de « elle »,
d'« Alain », de Germaine Lemaire, on semble lire
« le désir passionné et anxieux d'établir le
contact »155(*)qui débouche, bien entendu, sur le dialogue
avec l'auteur. Si bien que l'on peut dire que l'oeuvre sarrautienne s'articule
tout entière autour d'une série de scènes dialogiques.
En fait, l'envie de dialoguer avec l'autre, l'interlocuteur
est consubstantiel à la connaissance du moi, locuteur. Autrement dit,
Autre qui, comme le souligne déjà l'écrivain dans
un article de 1956, est à première vue un comparse
nécessaire. Puisque « ces drames intérieurs, faits
d'attaques, de triomphes, de reculs, de défaites, de caresses, de
morsures, de viols, de meurtres, d'abandons généreux ou
d'humbles soumissions, ont tous ceci de commun qu'ils ne peuvent se passer de
partenaire [...] c'est lui le catalyseur par excellence, l'excitant
grâce auquel ces mouvements se déclenchent, l'obstacle qui
leurdonne de lacohésion, qui les empêche de s'amollir dans la
facilité et la gratuité ou de tourner en rond dans la
pauvreté monotone de la manie »156(*).
Aussi, le langage du récit se nourrit-il d'un
va-et-vient continuel qui se met en place entre deux actants qui tantôt
« se téléphonaient les uns des autres, furetaient,
se rappelaient, happaient le moindre indice ... » (T.139),
tantôt « sont incapables de distinguer le beau du laid ...
mieux que ça, ils aiment la laideur ... » (P.12).
Dès lors, se pose la lancinante question du goût
et de la conversation comme expérience sociale, intégrantes,
dissolvantes. En vérité, ces deux entités
inhérentes à l'humaine condition sont ici intimement liées
dans Tropismes et Le Planétarium et ouvrent deux
questions. Si seule peut s'énoncer une parole déjà tenue,
donc tenable, le génie et le goût propres sont-ils
simultanément bannis ? La compétence conversationnelle
sociale, peut-elle s'accommoder de l'expérience sensible du goût
individuel ?
D'abord, il reste évident que le
« goût » au sens perceptif du terme n'a sa
raison d'être que dans le présent.. Tandis que « le
bon goût » est le revers de l'inclinaison initiale :
car, lui ne vit que dans la répétition de clichés et de
représentations qui supprime le présent. Ainsi, afficher un
goût singulier, converser et discuter du beau et du goût est, de
l'avis de Marie-Hélène Boblet- Viart, « un luxe
égotiste qui confronte l'individu à latribu
sociale »157(*) dans le cadre restreint du dialogue.
Dans Tropismes, ce personnage anonyme,
« elle » qui fait preuve de goût
exacerbé de la littérature se distingue des
« ils » qui « en reprouvaient une
répulsion indicible » (T.70). En d'autres termes, cette
différence dans le goût s'exprime par le fait que
« pour elle, pas de conversations sur la forme des chapeaux et
les tissus de chez Rémond ».
Dans Le Planétarium le récit commence
par une forme de dialogue particulière sous laquelle se manifeste la
différence dans le goût entre Tante Berthe et les ouvriers
« qui saccagent les oeuvres d'art, abattent les tendres vieilles
demeures et dressent à leur place ces blocs en ciment, ces cubes hideux,
sans vie, où dans le désespoir glacé, sépulcral,
qui filtre des éclairages indirects, des tubes de néon, flottent
de sinistres objets de cabinets de dentistes, de salles d'opération
... » (P.16). En fait, Tante Berthe, en allant dans des
pavillons de banlieue, dans des villas, dans des hôtels, tombe sur le
charme d'une « petite porte dans l'épaisseur du mur au
fond d'un cloître » (P.9) qu'elle entend
reproduire dans son appartement en remplacement de la « petite
porte de la salle à manger qui donne sur l'office
... »( P.ibid). Alors en faisant appel à l'expertise
des ouvriers, elle s'est rendu compte à la fin de leurs travaux, qu'ils
n 'ont « pas un atome d'initiative, d'intérêt
pour ce qu'ils font, pas la moindre trace du goût ... »
(P.12).
De ce point de vue surgit un dialogue qui non seulement met
à découvert une divergence de goût mais aussi un
dysfonctionnement du récit :
« « Tout est
gâché maintenant, ça ne valait pas la peine de changer,,
c'était encore mieux, avant, c'est affreux ... » Ils restent
là, les bras ballants, l'oeil vide ... « c'est bien la
première fois qu'on a des réclamations ... on pose ces
poignées-là partout, personne ne nous a fait de réflexions
... c'est le modèle courant, les clients ne se plaignent jamais
... » » (P.14).
C'est donc comprendre que celui ou celle qui possède du
goût sait lui-même distinguer, car le goût permet de faire
des distinctions parmi les qualités esthétiques d'un objet..
Comme le souligne Bourdieu :
« Le goût classe, et classe celui qui
classe : les sujets sociaux se distinguent par des distinctions qu'ils
opèrent, entre le beau et le laid, le distingué et le vulgaire,
et où s'exprime ou se traduit leur position dans des classements
objectifs »158(*).
De même, il est nécessaire de comprendre que
prendre part à une conversation avec le talent prescrit exige une
compétence méritoire : il faut avoir fait la preuve qu'on
est convenable avec le monde, j'allais dire, avec autrui. En termes plus
clairs, converser, discuter, c'est être en harmonie avec les autres, au
moins les présupposés sur lesquels se construit le postulat du
dialogue dans l'engrenage du récit. Y assumer un goût singulier
est synonyme de se mettre en position de déclarer la guerre, armé
de sa parole contre les mots des autres. De ce point de vue,
« l'échange alors est plus une confrontation qu'un
dialogue ».159(*) C'est ce qui semble se dégager dans ce
récit extrait des Tropismes :
« Il lui semblait qu'alors, dans un
déferlement subit d'action, de puissance, avec une force immense, il
les secouerait comme de vieux chiffons sales, les tordait, les
déchirait, les détruirait complètement »
(T.18).
Même isotopie dans Le Planétarium
où le récit met en scène ce
« Ils » collectif prêt en découdre
avec le « il » (Alain) par le seul fait qu'il se
particularise au moyen d'un « talisman » dont
« lapermission de s'en servir est conférée comme la
plus haute distinction » (P.73) :
« ... Il se sent comme un homme
traqué sur un sol étranger, qui sonne à la porte de
l'ambassade d'un pays civilisé, puissant, de son pays, pour demander
asile ... la sonnerie résonne dans le vide [...]. C'est surprenant
d'entendre sa propre voix, comme détachée de lui qui n'est plus
que désordre, désarroi, lambeaux palpitants répondre de
son propre gré, très calme : « Est-ce que Mme
Germaine Lemaire est là ? C'est de la part d'Alain Guimiez
... » ce nom, Germaine Lemaire, que sa voix clame prononce,
est un scandale. C'est une explosion. Ce nom les ferait
reculer. » (PP.73-74).
En principe le goût devrait être garant
d'adhésion à une communauté quelconque mais ici on
remarque au lieu d'être accueilli, à coeur joie, dans la
communauté des « Ils », Alain se voit
sauvagement rejeté. De cette façon, l'on est même
tenté d'affirmer que les personnages ne discutent, ne dialoguent que par
le ministère de la violence faite de harcèlements, de poursuites,
etc.
En outre, chez Nathalie Sarraute, même dans les rares
situations où les goûts se partagent, le dialogue avec autrui
n'est pas des meilleurs si l'un cherche à entrer en contact avec
l'oeuvre d'art. A la différence du goût tel qu'il est
présenté par Hannah Arendt, pour qui le goût est
« l'un des éléments les plus délicats et en
même temps les plus indispensables des relations
humaines »160(*), la règle d'or chez l'auteur du Portrait
d'un Inconnu est celle du « de deux choses
l'une ». Plus précisément, le dialogue, dans
l'armature du récit, avec l'un ne s'obtient naturellement qu'au prix
d'une brouille avec l'autre.
Ainsi, dans Le Planétarium le contact direct
entre Alain et Germaine Lemaire annihile toute relation communicationnelle
entre Alain et Pierre. En effet, bien que Pierre trouve Germaine
« laide comme un pou », Alain reste campé
sur sa position en affirmant : « ily a un autre
idéal de beauté, figure-toi. Et cet idéal - là,
Germaine Lemaire, que tu le veuilles ou non » (P.102). Ils se
réconcilieront lorsqu'Alain rompt le pact d'amitié qui le lie
à Germaine Lemaire (P.126-127) ; ou pire, comme c'est le
cas de Tante Berthe, quand elle constate que les relations triangulaires entre
elle-même, Alain et l'objet d'art (porte) finissent par rompre tout
contact entre les trois instances :
« Mais tu ne peux t'imaginer ce qu'ils
(ouvriers) ont été mettre sur cette porte en chêne massif
une plaque de propreté et une poignée de porte en
chromé... c'est ton Rouvrier (un type très bien que j'avais eu le
malheur de luirecommander) ... c'est un crétin, un propre à rien
qui ne sait pas faire son métier ... j'ai arraché tout ça
... » (P.25).
Tout bien considéré, c'est dire que la notion du
goût dans Tropismes et LePlanétarium est
foncièrement subjectif car comme l'affirme la narratrice de Vous les
entendez ? : « Chacun est seul ... on meurt seul.
C'est le lot commun » (PP.68-69).
En dernière analyse, on remarque dans l'approche des
voix dialogiques que Nathalie Sarraute s'emploie, le plus souvent, à
briser le fil de la conversation du récit, mieux la phrase convenue du
récit traditionnel. En fait, dans le Nouveau Roman, « les
alinéas, les tirets, les deux points et les guillemets, sont les
monotones et gauches : dit Jeanne, dit Paul, qui parsèment
habituellement le dialogue, ils deviennent de plus en plus pour le romancier
actuels ce qu'étaient pour les peintres juste avant le cubisme, les
règles de la perspective : non plus une nécessité,
mais une encombrante conception »161(*)
De fait, il urge pour l'essayiste de l'Ere du
soupçon de proposer une nouvelle technique dialogique axée
sur une mise à distance entre les propos du locuteur et ceux de son
interlocuteur. En termes plus clairs, au cours d'un dialogue, lorsqu'un
personnage vient d'énoncer des propos qui ouvrent une conversation avec
son destinataire, avant de recevoir la réponse de celui-ci, on voit
surgir des propos muets, des pensées floues et des sentiments
subliminaux. Considérons cet extrait des Tropismes :
« « Dover, Dover,
Dover ? Hein ? hein? Hein? Thackeray? Hein? Thackeray? L'Angleterre?
Dickens ? Shakespeare ? Dover? » tandis qu'elle cherchait
à se dégager doucement sans oser faire des mouvements brusques
qui pourraient lui plaire, et répondrait respectueusement d'une petite
voix tout juste un peu voilée : « Oui, Dover, c'est bien
cela. Vous avez dû souvent faire ce voyage ?... Je crois
que c'est plus commode par Douvres. Oui, c'est cela ...
Dover ? » ».
Cet énoncé guillemeté rapporte aussi bien
des paroles prononcent par cet « il »
hypersensible que celles d' «elle » et entre
lesquelles s'interpose une médiation immédiate qui filtre
jusqu'au narrataire les remous affectifs de l'échange et leur
propagation. En un mot, il nous invite à partager les risques les enjeux
du tropisme humain.
Une telle structure brise le mode de fonctionnement du
récit traditionnel qui reposait sur une absence de guillemets et de
médiateurs dans le déroulement du dialogue. L'apparition,
à présent, de ces guillemets dans l'armature du récit
signalent jusque-là, de l'avis de Geneviève Henrot,
« la frontière entre l'extériorité du
personnage et le tropisme»162(*). Ce signe typographique semble être
réservé aux répliques isolées qu'enrobent des
contextes narratifs ou discursifs intérieurs.
Aussi, est-il nécessaire de remarquer que ces
énoncés ponctuels (les guillemets et les tirets :
(T.15-16 ) se différencient nettement des autres en ce
qu'ils rapportent des fragments du discours oral : les paroles que le
personnage d' « elle » adresse à la
« cuisinière » sortent de sa bouche, en
même temps que logent dans sa mémoire, celles d'un homme
« étendu sur son lit » dont la
fatuité l'avait offensé. Ainsi, sous la prétendue bonne
tenue de l'échange verbal entre ces deux personnages « une
autre réalité surgit, terrible, implacable, celle d'unesituation
de guerre »163(*) sans merci. Cet état de fait n'a pas
échappé à Lucette Finas qui écrit :
« Tous les dialogues ont leur victime et leur
bourreau qui échangent leur rôle d'une page à l'autre,
quelquefois d'une réplique à l'autre »164(*)
Dans Le Planétarium, la fréquente
localisation en début de séquence du deuxième récit
de tel énoncé guillemeté à « charge
explosive » rend parfaitement compte de l'entreprise romanesque
de Sarraute dans son développement syntagmatique :
« « Oh, il faut qu'il
vous raconte ça, c'est trop drôle ... elles sont impayables, les
histoires de sa tante ... la dernière vaut son poids d'or ... Si,
racontez leur, c'est la meilleure, celle des poignées de porte, quand
elle a fait pleurer son décorateur ... vous racontez si bien ... vous
m'avez tant fait rire, l'autre jour ... si ...
racontez » » (P.20).
En fait, cet énoncé dialogique entendu et
rapporté par une oreille avertie, mis « entre guillemets
comme entre deux pincettes »165(*), est suivi des phénomènes
supra-segmentaux et physionomiques (« poses
ridicules », « détails
honteux », « rire »,
« regard »...) qu'Alain à lui-même
déclenché avant de donner sa réplique (P.21). Cette
dernière, il convient de le rappeler, ne s'exprime dans le récit
que par la médiation d'une voix narrative qui lui prête sa
compétence analogique. Autrement dit, elle se laisse amadouer par
l'esprit et « accède à l'étage de la
pensée, d'abord confuse puis de plus en plus claire, laquelle fait
ensuite un chemin jusqu'à l'énonciation
orale»166(*).
Telle pourrait être la séquence type sarrautienne
élaborée par Geneviève Henriot, et à laquelle nous
ajoutons des parenthèses pour une meilleure compréhension :
(locuteur) (interlocuteur)
Conversation « réplique » Tropisme
Sous-conversation conversation « duplique »
(P.20) (Pensée confuse) (projet muet)
(P.21)
C'est dire que chez Sarraute le processus d'apparition d'une
énonciation orale n'est pas sans rappeler le mécanisme
d'accouchement qui obéit, au préalable, à des
modifications évidentes brisant, de facto, le moule du
récit.
De plus, si une mise à distance des paroles se laisse
aisément comprendre, surtout dans cet univers imaginaire où
« l'action est parole et la parole est combat
vital »167(*), que dire de la médiation temporelle dont la
distance mémorielle (souvenir lointain et souvenir proche) occupe une
place prépondérante ? Pas plus que dans
l'énoncé précédent, dans celui-ci qui
suit :
« ... Elle prête à
s'humilier, comme autrefois, quand courait, pendant tout contrôle
d'elle-même, sortait en chemise de nuit sur le palier, descendait
quelques marches, s'accrochait, suppliait ...« je t'en prie, Henri
reste avec moi ... juste ce soir... ne sais pas, ne me laisse pas
... » Aussitôt, la porte refermée, elle se rendait copte
que ce n'était le besoin de l'avoir auprès d'elle et il ne s'y
trompait pas, il le savait qui la poussait à s'avilir ainsi, à se
défigurer (...) » (P.201).
A la lecture de ce récit constitutif du dialogue
néo-romanesque ou plutôt sarrautien, on semble déduire un
décalage temporel subi par la mémoire, qu'on pourra octroyer
cette aptitude dont témoigne le locuteur de rapporter à distance
aussi bien ses paroles que celles d'autrui. Cet écart temporel dans la
diégèse du récit se décrypte suivant un
critère morphologique (présent VS imparfait) opposant
l'actualité de la séquence précédente
(« elle est prête », « jet'en
prie »), et l'antériorité des scènes
revécues en pensée (« comme autrefois, quand elle
courait », « descendait, s'accrochait,
suppliait »...). Ce même exemple, participant du souvenir
lointain, rend compte du critère thématique opposant une
conversation qui tourne autour d'un problème de ménage entre
Tante Berthe et Henri.
Toujours dans cette perspective représentative de la
distance mémorielle, la présence d'un souvenir proche constitue
une évidence dans le processus dialogique des personnages. Aussi bien la
« logique micro-textuelle que les tiroirs verbaux convenables
autour d'un noyau au présent » mettant en lumière
un net rapport dialogique entre l'énonciation de telle réplique
et la conversation en cours.
Dans Tropismes, les guillemets et le passé
composé s'aident mutuellement parfois pour faire glisser en aval de la
scène narrée le point de départ de la narration. En
d'autres termes, entre le temps raconté et le temps racontant du
récit s'intercale ce délai minime que permet le cheminement de
l'émotion vers la pensée mieux vers la parole.
Ce simple obstacle entre scène extérieure et
scène intérieure suffit à instaurer la brève
instance temporelle susceptible de médiatise certains propos :
« « Il n'y avait pas
moyen de s'échapper. Pas moyen de l'arrêter. Elle qui avait tant
lu ... qui avait réfléchi à tant de choses [...]. IL
allait continuer sans pitié, sans répit :
« Dover, Dover, Dover ? Hein ? hein? Hein?
Thackeray? Hein? Thackeray? L'Angleterre? Dickens ? Shakespeare ?
Dover? » » (T.95).
Ces paroles prononcées par ce vieux monsieur sont
révélatrices d'une fonction phatique en ce sens qu'elles
postulent grâce au foisonnement des questions, la réaction de son
destinataire, « elle qui entend se rendre Angleterre ».
L'emploi de ces guillemets se passe, selon de Geneviève Henriot,
comme s'il écartait prématurément dans le passé.
Cette conversation à peine finie, précipitait le nouveau point de
simultanéité récit / histoire vers cet instant
cristallisé par d'adverbe « maintenant ».
C'est le cas, par exemple, de ce récit huit (VIII) qui met en
lumière une longue discussion, au sujet de la mort d'une
grand-mère, opposant un père et son fils :
« (...) Ah ! où elle est maintenant ?
Ah !Ah ! où elle est maintenant, mon chéri, elle est
partie, il n'a plus de maman, elle est morte depuis longtemps (...) »
(T.52).
En fait, l'emploi de ce déictique temporel par
excellence semble, à l'évidence, inscrire une moindre
césure entre le présent de la médiation critique et ce
passé tout récent où le fils s'est vu contraint
d'agréer l'évidence d'une mort inévitable.
Dans Le Planétarium, entre
l'ébranlement de l' « édifice »
et l'instant que focalise le personnage de Gisèle s'institue un certain
intervalle que permet de mesurer le résumé de l'échange
oral entre Gisèle et Alain :
« L'édifice
ébranlé, vacillant, s'est remis petit à petit d'aplomb ...
c'est ce qui lui manque à elle, cette passion, cette liberté,
cette audace, elle a toujours peur, elle ne sait pas ...
[...]« Là, grosse bête, non pas celle-ci, voyons, c'est
un fauteuil de Voltaire, non, là, tendue de soie rose pâle, la
bergère... » elle s'était sentie d'un coup
incité, elle avait participé aussitôt, cela avait
touché un de ses points sensibles » [...], elle
était un peu effrayée. « ça doit coûter
une fortune... Pas ça chez nous Alain ! Cette
bergère ? » elle aurait plutôt, comme sa
mère, recherché avant tout le confort, chez nous... »
le mariage seul donne des moments comme celui-ci »
(PP.61-62).
Dans ce récit, l'émanation du laps de temps
repose sur un contraste de temps verbaux entre le passé composé
« s'était sentie », « avait
participé », « avait
touché »...) et le conditionnel « Elle
aurait plutôt, ça changerait tout ») relayé
par le présent (« lemariage seule donne des moments comme
celui-ci).
De même ajoutons que la divergence entre guillemets et
tirets (« Il avait la place, tu en es sûr ? - Mais
oui, entre la fenêtre et la cheminée ... » (P.ibid)
semble souligner ici un décalage temporel à moindre degré
entre la question la réponse.
En dernière analyse, convenons que Tropismes
et Le Planétarium présentent plusieurs types de
perturbations conversationnelles qui brouillent aussi bien la syntaxe que la
rhétorique du récit.
D'abord, du point de vue syntaxique, on constate dans Le
Planétarium que la règle est violée dans la mesure
où Gisèle commence son récit par dire
« je » pour assumer son énoncé et
l'enchaîner ensuite sur le « on » :
« Ecoute, Alain, je vais te dire. J'ai
l'impression par moments, mais tu ne seras pas fâché ? Tu
sais que je ne peux rien te cacher ... je te parle comme àmoi-même
[...] à ces choses-là, à ces bergères, à ces
beaux objets... on y attache trop d'importance ... on dirait que c'est une
question de vie ou de mort (...) » (P.68).
De cette façon, elle avoue se dissoudre dans une
impersonnalité de mauvais aloi, dans une irresponsabilité qui
doit être amendée. Comme l'affirme marie Hélène,
« la parole n'est plus un intermédiaire
entre l'un et l'autre, celui-ci est livré à un travail de
devinettes de d'interférences fatigantes
« je » / « on » manque
d'égards »168(*).
Dans Tropismes, du point de vue de la
rhétorique, le « coq à l'âne »
du dialogue des personnages dans la diégèse du récit est
une dérogation à la règle de pertinence et d'à
propos ; il bouscule le confort de l'interlocuteur (cf
T.15,16,17,94,95). L'on est même tenté d'affirmer comme
Sarraute, dans Ici, que « tous ces hors de propos qui ne
cessent de se promener dans ce déambulatoire autour de la conversation,
attendant prudemment le moment propice, sont devenus plus audacieux, ils se
permettent, quand bon leur semble, de bondir sur elle, armés de mots, de
la couper n'importe où (...) »169(*)
En un mot, si, les personnages qui acceptent la conversation
subis le diktat du déambulatoire ou de l'exclusion, quelle sera alors
leur position, et comment se présentera le récit ? Ne
sombreront-ils pas en refusant le dialogue, dans le monologue
intérieur ou le silence ?
Autant de question que nous tenterons d'élucider dans
ce dernier sous chapitre suivant.
IV- 2 : MONOLOGUE INTERIEUR ET SILENCE DES
PERSONNAGES
A l'aube du second après-guerre, l'entreprise
néo-romanesque de Nathalie Sarraute répond à des ambitions
très différentes de celles que s'étaient fixées,
entre autres, Balzac, Stendhal, etc,. Tropismes et Le
Planétarium sont pénétrés d'un autre esprit.
En effet, ces deux textes s'inscrivent dans un vaste mouvement de
réaction contre le récit traditionnel.
Ainsi, l'auteur des Fruits d'or se plait-elle
à mettre sur orbite de nouvelles techniques romanesque dont la
pertinence est à chercher dans la conscience et le non-dit des
personnages aliénés. Ces nouveaux procédés sont,
sans doute, le monologue intérieur et le silence des personnages.
S'agissant du monologue intérieur, il tire sa
validité, selon le point de vue de Dujardin Edouard, lorsqu'
« un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus
proche de l'inconscient, antérieurement à toute organisation
logique ; c'est- à- dire en son état naissant, par le moyen
de phrases directes réduites, au minimum syntaxial de façon
à donner l'impression de tout venant »170(*) de plus, ce
« discours sans auditeur et non prononcé »
est baptisé par Gérard Genette comme étant un
« discours immédiat » du moment qu'il
s'est, d'entrée de jeu, libéré de tout parrainage narratif
et qu'il occupe le devant de la scène. De ce point de vue, le narrateur
s'efface au profit d'un personnage qui assume le déroulement du
récit.
Ainsi, il n'est pas étonnant que l'ouverture du
Planétarium soit révélatrice de cette nouvelle
technique romanesque. En effet, suite à une altercation avec les
ouvriers au sujet d'une « porte ovale » qu'il
fallait parfaire, Tante Berthe sombre dans un long monologue
intérieur :
« « Elle se redresse,
elle ramasse ses forces, seule survivante d'un monde écroulé,
seule au milieu d'étrangers, d'ennuis, elle croise les bras, elle les
regarde : « non, eh bien décidément ça ne
va pas ... je n'en veux à aucun prix. Il faut enlever ça. Dites
à votre patron qu'il aurait dû y penser. On ne met pas sur une
porte en chêne des horreurs comme celle-là... Il faut, quelque
chose d'ancien ... en vieux cuivre ... D'ailleurs je lui
téléphonerai... » » (P116.)
En fait, dans ce récit, la pensée de Tante
Berthe se déroule, de phrase en phrase, suivant les méandres
d'une obligation non extériorisée, mieux d'une médiation
qui ne ménage aucunement le travail en dilettante des
« cinglés, des drôles de
pantins »( P.30 . ) comme elle les nomme.
Dans Tropismes, le monologue intérieur,
« premier principe du procédé de
« sous-conversation » »171(*), autorise aussi à
avoir accès à l'intimité des consciences de quelques
personnages. De cette façon, le récit ne saurait obéir
à un mécanisme logique et chronologique en ce sens que le lecteur
semble lire dans l'intimité de ce personnage monologuant
« étendu sur son lit » (T.17) le flot
d'images, la libre allure de leur développement, la fusion du souvenir
et de la sensation présente ayant trait à « la
pensée humble et crasseuse, piétinante » (T.16)
des « ils » avares. Autrement dit, ce personnage
anonyme voit cet univers solidement attaché au conformisme sous un jour
pensif. Cette expression : « c'était ce qu'il pensait
(...) » (T.17) est illustrative à cet égard.
Par ailleurs il semble évident, à
présent, de croire que l'on a, à l'époque, très
mal compris les voeux du Nouveau Roman, et principalement les objectifs de
Sarraute. Il ne s'agit plus de ramener dans le récit la
réalité ni de la singer comme c'est le cas chez les
réalistes ou les naturalistes. Les nouveaux romanciers, au contraire,
souhaitent créer un univers original qui n'aurait de cohérence
que dans son propre système. Or, le discours des nouveaux romanciers, et
bien entendu le discours de Sarraute ne se place plus au niveau de l'objet.
L'écriture, les mots de l'écrivain renvoient
singulièrement au discours interne du récit : les jeux de
langage intérieurs. C'est donc dire, comme Marc Alpozzo, que
« la force de Sarraute, c'est de nous avoir bousculés aux
portes de notre conscience »172(*)
Ainsi, au récit de paroles se substitue un récit
de pensées qui permet aux personnages de mettre à nu leur vie
psychique à coups d'une médiation ou encore d'une
délibération intérieure à un moment décisif.
Qu'on relise ce récit consacré à Tante Berthe :
« Elle se sourit à
elle-même, à une image à elle-même qu'elle remue les
lèvres d'un air gourmand comme devant un plat appétissant ... Les
petits bourges ... ils étaient tout excités... Ils aiment bien
ça, le luxe, le confort ; les belles choses, les meubles ... Alain
surtout, il tient de moi ... » »
(P.143.144).
Ces expressions (« se sourit à
elle-même », « à elle-même »,
« elle contemple... ») représentatives du
monologue intérieur mettent en exergue une pointe ironique et satirique
qui n'est sans évoquer le monologue final du roman où Germaine
exprime son point de vue sur le genre humain :
« Elle ne bouge pas. Elle
plonge un regard dur au fond de ses yeux : « oh ça ,
vraiment ... tout en lui, tout autour de lui se défait ... Vous
êtes sévère.
Je crois que nous sommes bien tous un peu comme
ça »». ( P.251)
De plus, on sait que dans le roman traditionnel le
psycho-récit acquiert, de toute évidence, du crédit. Il se
manifeste au moyen d'une mise à nu par un narrateur omniscient et
omnipotent de la vie intérieure d'un personnage quelconque. Aussi, se
présente-t-il tantôt suivant une dissonance marquée (quand
le narrateur, privilégiant la distance, abandonne le personnage dont il
décrit l'intériorité) tantôt selon une consonance
marquée (quand il opte pour la neutralité).
Dans le Nouveau Roman, au contraire, plus
particulièrement dans Tropismes et Le
Planétarium au monologue narrativisé renvoyant au style
indirect libre, succède un monologue autonome ou plutôt
intérieur qui gomme l'intervention d'une instance omnisciente. C'est la
raison pour laquelle on remarque, qu'il s'agisse du personnage
d' « il » ou
d' « elle » ou d'Alain, de Germaine Lemaire,
que leur pensée, leur méditation, leur rêve sont
énoncés non pas par une voix médiatrice mais par les
personnages eux-mêmes. Bref, « ce sont
précisément des groupes composés de sensations, d'images,
de sentiments, de souvenirs qui, traversant ou côtoyant le mince rideau
du monologue intérieur, se révèlent brusquement au dehors
dans une parole, en apparence insignifiante, dans une simple intonation ou
regard (...) »173(*).
Tel est bien souvent la psychologie des personnages de
Tropismes. Il suffit, pour s'en convaincre, de rappeler la
scène dans laquelle un personnage anonyme, ayant une dent contre le
maître de ballet, exprime son intériorité en ces
termes :
« Quel épuisement, mon Dieu ! Quel
épuisement que cette dépense, ce sautillement perpétuel
devant lui : en arrière, en avant, en avant, en avant, et en
arrière encore, maintenant mouvement tournant autour de lui, et puis
encore sur la pointe des pieds, sans le quitter des yeux, et de
côté et en avant et en arrière, pour lui procurer cette
jouissance » (T.29).
Dans Le Planétarium, il suffit d'une de ces
scènes furtives pour transformer un état d'esprit, pour que se
déploie tout un débat de conscience qui se traduit en monologue
intérieur dans la trame du récit déconstruit. Nous en
voulons pour exemple quand Gisèle annonce qu'ils (elle et Alain) ont
commandé une bergère Louis XV au lieu des fauteuils de cuir noir
que les parents leur avaient suggéré d'acheter, sa mère
est surexcitée et décide de refuser de la leur offrir. Elle se
terre dans son coin, et des images surgissent ressuscitant leur passé
vécu ensemble « sur le petit divan bas de la salle
à manger ... » (P.48) où elle raconte à
Gisèle « son histoire préférée
depuis qu'elle avait onze ou douze ans », et que cette
dernière entend qu'elle réitère non pas cette fois le
passé, mais l'avenir en affirmant en ces termes :
« Oh, raconte-moi encore, maman, comment ce
sera, le grand jour ... la robe de mariée, les robes des demoiselles
d'honneur, les invités arrivent à Auville à la mode
d'autrefois - ça l'amusait beaucoup - en vieilles calèches, dans
d'énormes chars à bancs ... les cloches de la vielle
église sonnant à toute volée, et elle, montant lentement
les marches au bras de son père (...) » (P.49).
Il en est de même pour le personnage d'Alain. En effet,
lorsque Germaine Lemaire et sa cour de jeunes admirateurs ont fait irruption
chez lui, dès l'instant où il s'apprête à leur
servir quelques rafraîchissements, l'ascenseur de son immeuble s'est mis
en branle. Il se persuade que cet ascenseur ramène sa femme
(Gisèle), prévoit la surprise de celle-ci devant ses
invités inattendus. Il tente alors de deviner ce que Germaine Lemaire et
ses amis penseront de Gisèle, de sa timidité, de son
accoutrement et de ses petites manies, et submergé par l'abondance de
ces visions intérieures le jeune homme, trop imaginatif, perd le
contrôle de conversation. Qu'on relise ce récit :
« .. C'est l'ascenseur qui
monte, il franchit le premier étage ...dansquelques instants on entendra
le cliquetis de la parole grillagée, le glissement de la clef dans la
serrure ... la porte va s'ouvrir et elle va entre, s'arrêter près
duseuil, stupéfaite, figée... S'il pouvait courir au-devant
d'elle, la prévenir, lapréparer ... mais attention, ils
l'observent, ils se demandent ce qu'il a tout à coup ... Mais rien,
absolument rien, il tourne la tête comme quelqu'un qui dresse l'oreille,
il lève un doigt : « l'entends l'ascenseur,
ça doit être ma femmequi rentre ... elle va avoir une surprise,
elle sera contente ... » Elle va les regarder, les yeux
écarquillés, bouche bée ... »
(P.73).
En fait, ce monologue intérieur enferme Alain Guimier
dans « la subjectivité d'un vécu sans
transcendance ni communication »174(*). C'est ce qui
caractérise, de façon générale, les personnages
sarrautiens dont le silence semble être leur profession de foi.
Si l'on considère la question du point de vue de
l'oeuvre théâtrale : le Silence175(*), il est clair que la
psychologie des personnages de Tropismes et
LePlanétarium est légitime. En effet, c'est
peut-être la plus grande gloire de l'écrivain aux yeux de la
postérité que d'avoir osé expérimenter cette
thématique dans la texture du récit. La notion de silence semble
en vérité, occuper la quasi-totalité des pages. Elle est
consécutive à plusieurs facteurs inhérents au contexte de
l'après-guerre.
De prime abord, on sait que les grands romans étrangers
qui ont influencé la littérature de la seconde moitié du
vingtième siècle témoignent des incertitudes et des
angoisses nées de la guerre. De Dostoïevski à Kafka, de
Musil à Faulkner, ce sont les mêmes errances qui sont
représentées dans l'armature du récit. La geste de la
conquête industrielle et bourgeoise du XIXe siècle a
désormais laissé place à des interrogations nouvelles. De
fait, plus que l'évolution naturelle du roman, c'est l'histoire des
mentalités qui pousse le récit à se métamorphoser.
Et l'on ne doit pas s'étonner que la plupart des néo-romanciers,
en l'occurrence, Sarraute, Butor soient des essayistes décidés
à penser sur les complexités d'un siècle, de
surcroît, du récit. Si, en réalité, ces
difficultés n'ont aucunement ménagé la condition humaine,
il est singulier que « lenouveau roman réduise le
personnage au degré zéro : ni nom, ni famille, ni
passé »176(*).
De ce point de vue, les pensées du soupçon, pour
reprendre le terme de l'auteur, ayant invalidé l'idée que l'homme
puisse être sociable, normal, la romancière est conduite, suivant
l'influence épistémologique qu'elle subit, à adopter tel
ou tel mode d'appréhension du personnage : sa
désagrégation qui confine au drame de l'incommunication mieux au
silence assourdissant. En effet, dans Tropismes et Le
Planétarium, les masques d'animaux foisonnent, et de
« l'oiseau de proie » aux animaux marins
triomphent souvent de l'apparence humaine, néantisant du coup toute
possibilité de communication entre les personnages qui se font face
puisqu'elles n'appartiennent pas à la même espèce.
Ainsi, dans Tropismes, le personnage
indifférencié, « il » en sifflant,
il se met dans la peau d'un serpent, car « il faisait entendre
parfois, plissant la joue, pressant la langue contre ses dents de
côté pour en chasser un reste de nourriture, un bruit particulier,
une sorte de sifflement, qui avait toujours chez lui un petit ton satisfaisait,
insouciant » (T.46).
C'est donc dire que ce personnage anonyme,
« il » est la statue du mutisme dans la mesure
où « il se produit sait parfois, malgré tous les
efforts vers elle, un silence » (T. Ibid).
Dans Le Planétarium, nous retrouvons la
même isotopie. Rappelons le dialogue qui oppose Pierre à son fils,
Alain au sujet de la beauté de Germaine Lemaire. En effet, à la
question ironique d'Alain « (...) Elle n'est pas belle,
peut-être ? Ce n'est pas beau ça non plus ?»
Pierre répond par des « si » à
telle enseigne que la narratrice souligne que « son si est long
sifflement, si .... C'est beau, ... bien sûr .. il siffle comme un
serpent ... » (P.102) ou encore « la plus ignoble
réaction, la barbarie, l'obscurantisme, la bêtise, la plus atroce
hérésie ... il incarne tout cela » (P.103).
Pour renchérir, disons que le Père d'Alain
ressemble à un « petit vautour, toutes ses serres tendues
... » (P.115) lors de sa conversation avec sa bru,
Gisèle qui soutient antérieurement : « c'est
une sorte de rayonnement qu'il dégage comme une fluide, cela coule vers
vous de ses yeux étroits, de son sourire de Boudha de son silence
... » (P.112).
Ce silence du père a des résonances
héréditaires, puisque, Gisèle, dans un autre récit,
fustige le comportement taciturne d'Alain Guimier au cours d'un repas familial,
symbole du drame :
« Mais Alain, tu restes à te taire, tu
pourrais dire quelque chose, c'est lâche, ce que tu fais là,
Alain, tu sais bien que tu es de mon avis, mais exprime - toi, explique toi ...
(...) » (P.103).
En outre, Tante Berthe, notons au passage que le silence
semble ensevelir parfois autant l'espace diégétique du
récit que les personnages qui s'entichent de solitude. Les
premières pages du Planétarium s'ingénient de la
sorte à décrire minutieusement l'harmonie qui règne dans
l'espace contemplé, avant de déchirait brutalement la trame du
récit. L'entrée se fait dans un silence religieux,
épaisse, bien heureux.
« Non vraiment, on saurait beau chercher, on ne
saurait rien trouver à redire, c'est parfait ... une vraie surprise,
une chance ... une harmonie exquise, ce rideau de velours, un velours
très épais, du velours de laine de première
qualité, d'un vert profond, sobre et discret ... et d'un ton chaud, en
même temps lumineux ... une merveille contre ce mur beige au reflets
dorés... et ce mur ... Quelle réussite. On dirait un peau
... » (P.7).
Alors que la « couleur de chair »
imaginée idéalement par bien des peintres semble atteinte
d'emblée, par la seule maîtrise du langage, aussitôt la
référence du récit bascule et la représentation de
s'effondre. Le silence n'est qu'un silence de mort entre Tante Berthe et les
ouvriers.
« L'appartement est silencieux. Il n'y a
personne. Ils sont partis. [...] Mais tout a un drôle d'air,
étriqué inanimé... [...] mais c'est tout trouvé,
c'est ça crève les yeux : la poignée, l'affreuse
poignée en nickel, l'horrible plaque de propreté en métal
blanc ... c'est de là que tout provient, c'est cela qui démolit
tout, qui donne à tout cet air vulgaire - une vraie porte de
lavabos... » (P.11).
Dansce récit du Planétarium, par le
seul maléfice du silence, le sanctuaire se mue en latrines, l'objet
(« belle porte ») se défait en abject
affectant, de surcroît, la trame du récit. En fait, ces deux
dernières phrases suffiraient peut-être à elles seules
à résumer tout le projet romanesque de Nathalie Sarraute :
« il s'agit à la fois de se défaire du langage et
de crever la toile bien tendue entre le monde et le moi, en un geste qui
précisément conjoint le langage »177(*) et la porte ouvragée
que les ouvriers opposent aux désirs de Tante Berthe.
Le silence qui caresse Berthe lorsqu'elle est devant cette
« poignée de porte et cette plaque de
propreté » (P.13) est symétrique du calme que
cultive le lecteur moderne devant une oeuvre quelconque. En d'autres termes,
une oeuvre d'art exige une lecture solitaire, silencieuse pour que jaillissent
plusieurs significations qui homologuent sa valeur c'est-à-dire entre le
narrataire et l'oeuvre littéraire il ne saurait y avoir un
médiateur (critique littéraire) mais un contact que seul le
silence a droit de cité.
C'est la raison pour laquelle le personnage anonyme,
« elle », dans Tropismes,
« avait rampé insidieusement vers eux et
découvert malicieusement « le vrai de
vrai » comme une chatte qui se pourlèche et ferme les
yeux devant le pot de crème
déniché » (T.69). Aussi,
pour « elle »
« rien ne devait lui échapper de ce qui
leur appartenait : les galeries de tableaux, tous les livres qui
paraissent ...elle connaissait tout cela. Elle avait commencé par
« les Annales », l'oeil intense et cupide à
« l'Union pour la
vérité » »
(T.70).
Ce point de vue qui innove le mode de lecture du
récit traditionnel rencontre l'approbation de Anne Jefferson qui
énonce : « On sait que Chez Nathalie
Sarraute la parole est toujours dangereuse - c'est « l'arme
quotidienne, insidieuse et très efficace, d'innombrables petits crimes,
comme elle le dit dans l'Ere du soupçon (...) il n'y a pas de parole
plus dangereuse pour l'écrivain que celle de la critique. S'il veut
éviter ce danger, le critique doit chercher avant tout au moyen de son
statut de porte-parole - à créer une écoute pour l'oeuvre
elle-même. Puis, une fois qu'il- ou elle l'a créée, il ou
elle - n'a qu'à se taire pour céder la place
au silence « qu'elle sait rendre si
éloquent » »178(*)
De cette façon, Nathalie Sarraute ébranle
l'étroite tradition du commentaire qui faisait de la visée de
l'écrivain la seule lecture légitime du texte. Elle prolonge les
réflexions de Valery sur le sujet et préfigure le thème de
« l'oeuvre ouverte » cher à Umberto Eco
pour ne pas incommoder le cheminement intermittent du texte, puisque l'oeuvre
d'art est objet ouvert à une infinité de dégustations.
En réalité, la lecture personnelle ou
plutôt silencieuse, nous dit Paul Ricoeur après Hans Robert Jauss,
est « une expérience vive »,
« fusion » entre l'intentionnalité et
l'horizon d'attente du lecteur dans le processus discontinues du récit
.
De plus, pour rester dans la perspective du silence des
personnages, convenons que ces derniers sont foncièrement avares de
paroles et ne font que se plier au cliché selon lequel
« le silence est d'or ». Du coup, la plupart des
personnages sarrautiens sont hostiles au bavardage mieux au tapage.
Qu'on se rappelle la jeune fille, agacée par le
verbiage d'amis en qui elle croit reconnaître des personnages de Balzac
(T.33.34) et celle - est-ce la même ? condamnées
à écouter les récits familiaux, elles n'ont pas le courage
de se sauver en vociférant, de surcroît n'osent pas
suggérer d'autres représentations du monde :
« (...) Quand ils les voyaient qui se tenait
silencieusement sous la lampe, semblable à une fragile et douce plante
sous-marine toute tapissée de ventouses mouvantes, ils se sentaient
glisser, tomber de tout leur poids écrasant tout sous eux : cela
sortait d'eux, des plaisanteries stupides, des ricanements, d'atroceshistoires
d'anthropophages, cela sortait et éclatait sans qu'ils pussent le
retenir. Et elle se repliait doucement » (T.88).
Que dire des personnages du Planétarium ?
On sait, en fait, que, mis à part « le
fou », et les membres du cercle littéraire de Germaine
Lemaire, Alain, Pierre, Berthe, Gisèle, Germaine Lemaire elle-même
cultivent un « silence anxieux » (P.174).
Pour s'en persuader, il n'est qu'à souligner, de prime abord, qu'Alain
et Germaine Lemaire « se comprennent par delà les
mots » (P.83) puisqu'Alain est « un
grand timide (...) » (P.117) ; il a « une
voix sourde (...) » (P.118) - tandis que Germaine Lemaire est
une « mince forme silencieuse qui s'affaire, penchée sur
la table à thé (...) » (P.244). Ce qui
naturellement enlise le récit qui devient amorphe du fait qu'il n'a pas
de voix cardinale pour le dynamiter.
En un mot, le moins que l'on puisse est que la notion de
silence peuple l'univers spatio-temporel du récit sarrautien. Les
personnages (« elle », « il »,
Alain, Pierre...) sont la négation du personnage de Panurge
qui se caractérise, dans le Tiers Livre, par
« l'inflation verbale » 179(*).
C'est dans ce sens que l'écriture sarrautienne
s'oriente dans la négation des principes fondamentaux des personnages
tels que conçus dans le récit traditionnel :
C'est-à-dire des personnages qui, de par leur langage transparent et
cohérent, donnent vie et dynamisme au récit.
CONCLUSION GENERALE
L'apanage des modalités du récit est, à
l'évidence, de remettre en question les généralisations.
Dans cette perspective, chaque chercheur est libre d'explorer son propre champ
d'investigation qui s'insère essentiellement dans les
procédés narratifs modernes.
Ainsi au terme de ce travail, destiné à
préparer-non à remplacer-la découverte de l'oeuvre
sarrautienne, on renverra donc aux deux textes qui, analysés et
commentés, ne font aucunement l'objet d'un choix fortuit.
L'objectif de cette étude exclusive est de
démontrer que plusieurs rapports thématiques ont de l'importance
entre eux principalement dans leur façon d'aborder la notion de
récit.
De ce fait, la tâche à laquelle nous nous sommes
attelés est d'entreprendre la manière dont le récit est
déstructuré dans Tropismes et Le
Planétarium. En guise de conclusion, est-il possible d'entrevoir le
devenir du récit néo-romanesque ? Dans cette étude,
un certain nombre d'ouvertures nouvelles ont été
signalées : Elles sont susceptibles de développements et
retournements qu'il serait vain d'essayer de prédire, d'autant que les
textes les plus déterminants sont souvent les plus inattendus. Mais les
problèmes que soulèvent la lecture et l'interprétation du
récit moderne sont peut-être plus visibles.
Revenons d'abord à notre constatation de
départ : le récit reste une forme littéraire
prestigieuse, mais avec le Nouveau Roman il subit la loi de la destruction. De
fait, l'on a analysé Tropismes et Le
Planétarium comme des textes représentatifs de la
déstructuration du récit, comme fracture d'avec les
procédés narratifs traditionnels.
Cette modification des éléments constitutifs du
récit balzacien n'a pas toujours fait l'objet d'étude fragrante
dans le cadre des travaux consacrés aux deux textes sarrautiens.
Aussi, faisait-il défaut dans bien des travaux de
recherches. C'est effectivement ce qui a fourni le motif de cette étude
qui se présente non pas comme un essai sur le récit mais comme un
travail destiné à produire sens et signification, mieux à
présenter le récit comme un socle sur lequel
s'expérimentent de nouveaux procédés esthétiques
d'une génération de romanciers rompus à l'art de mettre
à nu divers dysfonctionnements narratifs d'obédience
balzacienne.
En effet, cette nouvelle génération
d'écrivains dans laquelle Nathalie Sarraute occupe une place
prépondérante, et proches de Flaubert, de Joyce ou encore de
Proust, s'est attachée à trimer selon le principe d'une recherche
renouvelée.
A présent, il convient de remarquer que le commentaire
des données représentatives du récit postule une nouvelle
forme de lecture applicable aux Tropismes et au
Planétarium mieux à toute la fresque
néo-romanesque. Cette trouvaille aura pour ambition de mettre en exergue
les nouvelles techniques narratives que le Nouveau Roman s'attèle
à systématiser.
Au courant des années cinquante, apparaît selon
le titre d'un essai célèbre de Nathalie Sarraute,
« l'Ere du soupçon ». Cette
suspicion dans la littérature a touché certaines formes
traditionnelles attaquées en règle par les contestations qui
dessinent les contours de ce qu'on peut considérer comme une crise, mais
qui est avant tout un profond renouvellement. Ce changement est en
réaction contre l'imagination arbitraire et contre l'illusion
réaliste. Il réside dans une dynamique de déstructuration
des canons esthétiques du roman traditionnel. Lequel roman s'arrogeait
la primeur de mettre à découvert la transparence et la
représentation du monde considéré comme une
propriété à conquérir.
Dès lors, la problématique de la destruction du
récit trouve, dans la vaste tendance de déconstruction du roman,
toute sa pertinence. De l'aveu de Sarraute, comme bon nombre de
néo-romanciers, la texture et l'organisation du récit sont des
facteurs déterminants principalement dans la façon dont elles
construisent la société de surcroît le tissu
littéraire. Son absence de l'univers romanesque est synonyme de la
grande faucheuse. Tzvetan Todorov le réaffirme en ces termes :
« la page blanche est emprisonnée. Le livre qui ne raconte
aucun récit tue. L'absence de récit signifie la
mort »180(*).
Pour ce comité d'auteurs attachés à un
même dogme unique et qui se singularisent sous le sceau de Nouveau Roman
(Il n'est pas une école, ni un mouvement) le récit ne saurait
être le miroir d'un univers cohérent, logique et transparent.
Mais une recherche complexe qui est quasiment symétrique à la
complexité et à l'incohérence du monde sans lendemain.
La déstructuration du récit s'inscrit, en grande
partie, dans un désastre central tirant sa validité au coeur
même de l'histoire du vingtième siècle qui se confond avec
une recherche sans cesse des « tropismes ».
L'exemple de Hamon est très caractéristique du milieu ambiant de
l'époque :
« L'oeuvre de Nathalie Sarraute, d'un bout
à l'autre du XXe siècle, se confond avec cette quête
inlassable des « tropismes », qui l'amena à
refuser les formes romanesques et théâtres traditionnelles et
à révéler les pouvoirs virtuels de la parole la plus
banale en apparence »181(*).
Sous cet éclairage littéraire, l'oeuvre de
Sarraute inauguré une période de rupture dans la tradition
réaliste en faisant du renouvellement perpétuel le fer de lance
de la littérature néo-romanesque. De fait, l'auteur du
Portrait d'un Inconnu se trouve dans l'obligation de se pencher sur la
problématique du récit qui est en prise directe avec un monde
vidé de toute nécessité.
C'est dans cette perspective que l'écrivain s'emploie
à exprimer une nouvelle technique axée sur un brouillage
chronologique du récit avec superposition du présent et du
passé, dans une construction en rosace.
En effet, dans cette période caractérisée
par « l'Ere du soupçon », qui est
tributaire de crises sans précédent, qu'elles soient sociales ou
purement morales, s'exprimera un désir inlassable de recentrer les
maillons essentiels du roman traditionnel dans leur rapport avec la colonne
vertébrale du roman : le récit.
L'entreprise romanesque de Nathalie Sarraute, réside
essentiellement dans la recherche d'un principe d'écriture qui
évoque la méfiance du lecteur contemporain envers les
« alouettes magnifiques » et les
« très efficaces
épouvantails »182(*) que constituent les personnages ou les situations
trop bien typés.
Nous avons démontré dans le cadre de ce travail
que Tropismes et LePlanétarium de Sarraute baignent
dans une ambiance traversée par deux dimensions essentielles du
récit. La fuite du sens qui affecte le déroulement du
récit et la rupture entre les mots et les choses qui ébranle la
syntaxe des actions de ce dernier.
Nathalie Sarraute, dans la perspective néo-romanesque,
semble considérer le récit tel un espace clos dans lequel on a
expérimenté diverses formes nouvelles. Le récit des
Tropismes et du Planétarium semble ne plus
répondre à l'idée de cohésion et de
cohérence qui caractérisait le roman traditionnel. Par voie de
conséquence, la notion de déstructuration du récit trouve
ici toute sa raison d'être. Elle est la conséquence de plusieurs
facteurs : le phénomène des
« tropismes », la crise des personnages, etc.
Utilisant comme matériau le
« tropisme » le fil du récit sera
désormais chez Sarraute le mouvement même de l'écriture.
Plusieurs thèmes se constituent autour du récit, ils se croisent,
s'entrecroisent et évoluent au gré des
« tropismes » de façon simultanée.
L'expansion de ces thèses qui s'inscrit, en effet, dans une dynamique
du décloisonnement ne provoque-t-il pas l'éclatement du
récit ? Nous répondrons par l'affirmative en ce sens que le
« tropisme » est avant tout une poussée,
en d'autres termes, un assemblage de particules qui par leur nombre et
l'énergie qu'elles parviennent à fixer, tentent de forcer les
membranes extérieures qui les contiennent. C'est peut-être la
raison pour laquelle la structuration du récit dans Tropisme et
Le Planétarium demeure foncièrement déconstruite.
De cette modernité romanesque, remarquons par ailleurs
qu'elle se fait précisément une tradition de la crise :
crise du personnage. Le roman traverse ainsi une crise profonde à
l'image de son siècle. En fait, nous savons pertinemment que c'est dans
son oeuvre que l'on constate, pour la première fois, la crise du
personnage romanesque. Bien sûr, Joyce avant elle, avait
désigné son héros protéiforme de Finnegans
Wake : H.C.E, initiations aux interprétations
multiples. Kafka nommait étrangement son anti-héros d'une
initiale qui marqua la littérature d'un sceau
indélébile.
Quant à Sarraute, elle explique avec clairvoyance le
manque de crédibilité du personnage de roman qui selon ses
propres dires, « est privé du double soutien, la foi en
lui du romancier, et du lecteur qui le faisait tenir debout, solidement
d'aplomb, portant sur ses épaules tout le poids de l'histoire, vaciller
et se défaire »183(*). Comment dès lors justifier la
présente du récit ? Douloureux problèmes auquel
répond Sarraute : seul le langage désarticulé peut,
à présent, expliquer son assiduité. Par ailleurs,
même si le récit est omniprésent dans Tropismes et
Le Planétarium, il apparaît fréquemment sous un
jour fragmentaire.
De cette façon, le Nouveau Roman opte pour de nouvelles
formes narratives de manière à estomper la part de la fable au
profit de la vie intérieure d'un personnage qui n'est que l'ombre de
lui-même.
En réalité, la place qu'occupe Nathalie Sarraute
dans l'échiquier néo-romanesque n'est plus à
démontrer. Sa notoriété tient désormais à la
seule originalité de son écriture et, en quelque sorte, au
territoire nouveau qu'elle a découvert. Son oeuvre
théorisée dans l'Ere du soupçon est une
perpétuelle remise en question des procédés narratifs
traditionnels dont le récit chronologique semble être la
première cible.
Cette remise en cause des clauses du récit traditionnel
suscite une nouvelle vision du récit qui, loin d'être dans
Tropismes et Le Planétarium une mise en scène
logique et linéaire, devient un engrenage dans lequel le lecteur peine
à tirer son épingle du jeu mieux à visualiser le
commencement et la fin.
En fait, dans le roman traditionnel plus
particulièrement dans la Cousine Bette on remarque que le
récit commence par un ordre chronologique visible dès
l'incipit : « vers le milieu du mois de juillet de
l'année 1838 (...) »184(*)suivi d'une intrigue se déroulant selon
un schéma logique aboutissant systématiquement à une
crise, dont la finalité intervient dans l'ultime chapitre.
Nathalie Sarraute à l'image de ces
prédécesseurs (Proust, Dostoïevski, Virginia Woolf, etc.,)
s'insurge contre ce schéma jugé obsolète en mettant sur
les fonts baptismaux une technique dont la clausule du récit rejoint son
commencement. Autrement dit le récit dans Tropismes et Le
Planétarium rechigne à progresser, piétine, à
la limite se love.
Ce renouvellement dans le paysage littéraire s'explique
par le fait qu'il est plusieurs narrateurs qui se relaient suivant le processus
intermittent du récit. Donc à la pluralité des narrateurs
correspond une multiplicité de récits qui se contredisent sans
relâche. De ce point de vue, l'ambiguïté est
érigée en règle dans Tropismes et Le
Planétarium postulant du coup l'interprétation plurielle du
lecteur.
Ainsi l'univers sarrautien se veut un perpétuel
renouvellement de la forme narrative, et par sa volonté manifeste de
plaider pour l'inauthenticité qui fait face contre l'authenticité
prétendument explorée dans les romans traditionnels, elle
présente la vision néo-romanesque du récit en
privilégiant l'intériorité des personnages. Cette
intériorité a, au sens que l'entend Chateaubriand, les allures
d'un « Panorama » c'est-à-dire une
succession ininterrompue d'images se présentant à la
pensée, et qui gagne le récit laissant voir quelques
procédés représentatifs de la rupture : les
anachronies narratives, la profilération des descriptions, l'emploi
systématique du présent de narration, etc.
En apportant sa pierre à l'édification de la
littérature moderne, Nathalie Sarraute invite le lecteur avisé
à partager avec ses « anti-héros »
les inquiétudes et les angoisses nées du début de la
seconde moitié du vingtième siècle par le truchement du
récit. On sait, en effet, que tout le travail de cet écrivain
consiste à promouvoir les « tropismes » de
la « sous-conversation », ces mouvements
psychiques fugitifs qui se déploient dans l'intériorité
d'un personnage placé dans une situation donnée notamment dans
un rapport de communication avec le lecteur. L'auteur esquisse ici une
évolution du récit romanesque, laquelle progression s'accentue
avec ce roman moderne dont ses propres textes peuvent apparaître,
à certains égards, comme un aboutissent.
En réaction contre le réalisme objectif
d'obédience balzacienne, Sarraute préfère le
réalisme subjectif qui rend compte, à l'évidence, de la
fiabilité du récit. Ainsi elle cautionne l'idée selon
laquelle la littérature moderne ou plutôt le récit ne
saurait répondre aux desiderata d'une littérature traditionnelle
habituée à présenter le roman comme « un
miroir que l'on promène le long d'un chemin ». Dans cette
perspective, Sarraute, en remettant en cause cette assertion d'Henry Beyle
(Stendhal), entre directement dans « l'Ere du
soupçon ».
Dès lors, le récit sarrautien se place sous le
signe de l'interrogation mieux il adopte une démarche interrogatrice
devant la complexité de l'histoire qui autorise aussi bien le personnage
que son créateur à cultiver le silence,
« l'innommable ».
De ce fait, la tâche du narrataire consistera à
décrypter dans le mécanisme d'un récit
déconnecté, défait, déstructuré, le sens qui
se cache entre les micro-récits (Tropismes : page
intercalaire et vide entre deux récits), entre la multiplicité
des points de vue dans un même récit (Le
Planétarium : « je »,
« tu », « vous »,
« on », etc,.).
En clair, si tout grand roman brise les
stéréotypes par sa façon d'organiser les informations
qu'il véhicule, il n'est pas étonnant que Tropismes et
LePlanétarium s'inscrivent dans cette dynamique en ayant un
rapport direct avec le sujet dont nous avons partiellement analysé. Par
conséquent, un constat s'impose : Tropismes et Le
Planétarium, deux textes foncièrement modernes fonctionnent
comme des romans de la déstructuration du récit dans la mesure
où ils sont la métaphorisation du phénomène des
« tropismes ».
Tout bien considéré, disons avec Gaëtan
Picon au sujet de l'art moderne :
« Il y a une conscience moderne de l'art qui,
confrontée à la conscience qui le précède, nous
suggère qu'un art de création vient d'être substitué
à un art d'expression d'une expérience antérieure...
l'oeuvre dit ce qui a été conçu ou vu, si bien que
l'expérience à l'oeuvre, il n'y a que le passage à une
technique d'exécution. Pour l'art moderne l'oeuvre n'est pas
expression, mais création ; elle donne à voir ce qui n'a pas
été vu avant elle, elle forme au lieu de
refléter»1(*)85.
En définitive, vu la teneur et l'intérêt
des procédés narratifs qui suscitent la quintessence du
récit, notre démarche ne pouvait pas s'empêcher
d'être sélective. Ce qui cautionne la relativité de cette
présente étude qui, s'inscrivant en partie dans la perspective
de la déstructuration du récit, nécessiterait d'être
peaufiner par d'autres recherches et analyses.
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* 24 N. Sarraute,
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* 25 Citation de G. Raillard
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* 26 N. Sarraute, Entretiens
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* 27 J-M. Adam Aristote
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* 28 A.Robbe-Grillet, Pour
un nouveau roman, Paris, seuil, 1961, p.25.
* 29 Paul .Ricoeur, temps
et Recit, Tome II, Paris, seuil, 1984, p.18
* 30 Paul .Ricoeur, temps
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* 31 Todorov (T.),
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* 32 Reuter, L'Analyse du
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* 33 N. Sarraute,
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* 37 Y.Reuter, L'Analyse
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* 38 A.Robbe-Grillet,
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* 39 G.Genette, Figures
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* 40J.M.Adam, Le Texte
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* 41 A.F.Ndiaye
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* 42 Y.Reuter, L'Analyse
du récit, op.cit., pp.63-64
* 43 Ibid.,
* 44Y.Reuter, L'Analyse
du récit, op.cit.,
* 45Ann
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*
46G.Genette,FiguresIII ,Paris,seuil,1972,p.110
* 47 Y.Reuter, L'Analyse
du récit, op.cit.,
* 48G.Genette, Figures
III, op. cit., p .79 .
* 49 P.Ricoeur, Temps du
récit, Paris, seuil, 1984, p.156.
* 50G.Genette, Figures
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* 51 Robbe-Grillet (A), La
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* 52 A. Robbe Grillet, Pour
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* 54 Jean Rousset, Forme et
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* 55 Pierre Astier, la
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Nouvelles Editions debresse, 1968, p 258.
* 56 Ibid, p.260.
* 57 Ibid.
* 58 Binta Diédhiou :
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* 59 A- Rykner, Nathalie
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* 60 Arnaud Rykner,
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* 61 A. Rykner, Nathalie
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* 62 Kelin Wei, «La
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* 64 A.Robbe-Grillet, Pour
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* 65 R. Micha, Nathalie
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* 66 Yves Reuter,
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* 67 Y. Reuter, l'Analyse
du récit, op.cit., p.109
* 68 Marc Alpozo, «Y-a
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* 69 J. F. Jeandillou,
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* 70 J.F. Jeandillou,
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* 71 J- Ricardou,
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* 72 A. Rykner, Nathalie
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* 73 M. Patillon,
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* 74 Henri BAUDIN,
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* 84 M. Zeraffa, Personne
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* 85 J. Ricardou, Le
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* 86 Ibid,
* 87 Gaëten Picon,
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Figures II, op. Cit. , p 59.
* 118 Bernard Valette, Le
roman, op. Cit., p.35.
* 119 Gérard Genette,
Figures III, op. Cit. , p.231.
* 120 Jean Ricardou,
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* 121 Francise Dugast-Portes,
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* 122 Vincent Jouve, La
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* 123 Honoré De Balzac,
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* 124 Falou Bane,
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* 125 Jean Ricardou,
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* 126 Jean Ricardou, le
nouveau roman, op.cit., p.137.
* 127 Jean Ricardou, Le
Nouveau roman, op.cit., p.136.
* 128 Jean Ricardou, ibid.
p.139.
* 129 Ibid, p.135-136.
* 130 Jean Ricardou, Ibid,
p.137.
* 131 Ibid. p.145.
* 132 Alain Robbe- Grillet,
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* 133 Jean Michel Adam et
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* 134 Claude Siomon,
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* 136 Jean Ricardou,
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* 137 Honoré de Balzac,
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* 138 Jean Ricvardou,
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* 145 Gérard Genette,
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* 146 Ibid. p.211.
* 147 Ibid, pp.183-184.
* 148 Vincent Jouve,
Poétique du roman, op. Cit., p.29.
* 149 Ibid. p.30.
* 150 PierreA- G- Astier,
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* 151 Vincent Jouve,
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* 153 Compagnon (A), «
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* 154 Jean Rousset,
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* 155 Nathalie Sarraute,
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* 156 Ibid., pp.117-118.
* 157 Marie
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* 158 Pierre Bourdieu, La
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* 159 Marie
Hélène Boblet - Viart, «Le leurre et le deuil de la
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* 166 Genevieve Henriot,
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* 167 Ibid, p.49.
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* 182 Nathalie Sarraute,
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* 183 Nathalie Sarraute,
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* 184 Honoré de Balzac,
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* 185 Gaëtan Picon,
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