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La construction et la diffusion de l'identité culinaire en France et aux à‰tats-Unis

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par Olivia ROTONDO
ISIT - Master 2004
  

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I/ Un rapport particulier à l'alimentation, les assiettes des Français et des Américains d'hier et d'aujourd'hui

i) Semence et enracinement des comportements alimentaires en France

et aux États-Unis

Tenter de comprendre les comportements alimentaires actuels dans les deux pays à l'étude nécessite, dans un premier temps, un retour en arrière. En effet, toute nation possède son patrimoine et ses traditions culinaires propres, qui forment l'une des pierres angulaires de son édifice culturel. Comment se sont construites les identités culinaires de ces deux pays ? De quelles manières le passé culinaire est-il révélateur de nos comportements alimentaires actuels ?

En France, la gastronomie, fruit d'un héritage séculaire, est unique de par la synergie entre son passé, la richesse de son terroir et le talent des hommes qui l'ont façonnée et qui continuent à la diffuser avec fierté aujourd'hui. C'est aux Gaulois, un peuple considéré comme pionnier de la gastronomie française, que nous devons notre patrimoine gastronomique, car ils ont su développer le culte du « bien manger » et du « bien boire » qui s'est vivement développé et enrichi au fil des siècles. « En Gaule, la bonne chère est inséparable de la vie politique et sociale. », nous dit le professeur et géographe Jean-Robert Pitte1 dans son ouvrage Gastronomie française : histoire et géographie d'une passion. L'époque du Moyen-Âge reste également très représentative de la genèse de la gastronomie française, lors de laquelle d'innombrables banquets et festins étaient organisés, l'occasion pour la noblesse de réaffirmer son rang et son prestige en proposant de nombreux mets riches et variés.

Mais c'est sous le règne du Roi Soleil que la cuisine française a atteint son apogée pour acquérir une symbolique particulière. Le repas s'est transformé en une véritable représentation théâtrale, pendant lequel le service était particulièrement travaillé et les mets reflétaient très justement la hiérarchie sociale du XVIIème siècle. D'ailleurs, nous tirons le traditionnel « entrée, plat, fromage et dessert » de cette époque. Un grand nom du temps de Louis XIV, François Vatel, instaure la « nouvelle cuisine française » et sera, par la suite, considéré comme le précurseur de la gastronomie française ; une grande école d'hôtellerie parisienne est d'ailleurs aujourd'hui honorée en son nom. À partir du XVIIIème siècle, le dîner bourgeois s'impose dans les assiettes des

1 PITTE Jean-Robert. Gastronomie française : histoire et géographie d'une passion

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plus fortunés ; c'est également à cette époque que naît l'engouement pour les restaurants et que se développe le travail des alchimistes-cuisiniers ainsi que la littérature culinaire qui participe à la transmission d'un savoir-faire gastronomique à un public plus large. Notons que le rayonnement culinaire français est allé de pair avec la diffusion des valeurs culturelles, linguistiques et politiques du pays, lui permettant ainsi d'étendre davantage son influence gastronomique. Puis, c'est au tour des grands chefs Escoffier, Bocuse, Chapel et Ducasse de s'approprier et de retranscrire, chacun à sa façon, notre cuisine à travers le monde et de conférer à notre gastronomie une dimension intemporelle.

La diffusion de la pensée française a donc joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de son art culinaire et a sans doute contribué au développement et à la renommée de sa cuisine aujourd'hui. Ainsi, la notion de cuisine identitaire est essentielle dans la constitution de l'identité française et forme partie intégrante de la représentation de sa civilisation. Cependant, si aujourd'hui le modèle alimentaire traditionnel français continue à réguler nos repas, notamment lors de fêtes ou d'évènements marquants, depuis les années 1970, nous assistons à des changements importants dans nos habitudes de prises de repas, sans pour autant que les fondations soient ébranlées.

Quant au passé culinaire américain il a, lui aussi, connu des bouleversements majeurs qui ont déterminé les habitudes alimentaires de sa population. La compilation de manuscrits rares rassemblés dans un ouvrage intitulé Not by Bread Alone - America's Culinary Heritage2 est particulièrement enrichissant sur ce point puisqu'il retrace l'impact de la colonisation sur les habitudes alimentaires du continent depuis 400 ans. Qu'il s'agisse des méthodes agricoles des Amérindiens, des vagues successives d'esclaves et d'immigrés à partir du XVIIème siècle, ou encore de la révolution agricole et industrielle du XIXème siècle, tous ont contribué au façonnage d'un héritage culinaire complexe aux États-Unis.

À l'arrivée des premiers colons européens au XVIIème siècle, majoritairement d'origine britannique, le peuple autochtone, les Amérindiens, possédaient déjà leurs propres traditions culinaires et un savoir-faire agricole, notamment la culture de maïs, qui est devenue aujourd'hui une industrie clé du pays. Cependant, colonisation rime souvent avec monopole et importation : les colons ont donc apporté avec eux leurs

2 Site de la bibliothèque Carl A. Kroch de l'Université de Cornell. Not By Bread Alone: America's Culinary Heritage

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traditions gastronomiques et se sont efforcés de les implanter sur leur nouveau territoire. En fonction de la nationalité des colons et les produits qu'ils y ont trouvés, des spécialités se sont développées dans les différents États indépendamment les unes des autres. La diffusion d'une culture alimentaire à l'image du pays dans sa globalité a donc été difficile, étant donné non seulement l'ampleur du territoire américain, mais aussi l'absence de régime monarchique qui, traditionnellement, exigeait une certaine richesse culinaire, comme c'était le cas en France par exemple. D'autre part, l'influence des puritains au XVIIème siècle n'ont pas encouragé le développement positif des arts, et encore moins l'art de la cuisine. Benjamin Franklin, élevé dans cet univers, est d'ailleurs connu pour avoir repris le dicton « Eat to live, not live to eat » (« Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger »).

L'art culinaire américain tel qu'on le connaît aujourd'hui ne s'est développé qu'à partir du XVIIIème siècle, lorsque le Nouveau Monde a commencé à étendre ses propres traditions culinaires et politiques, influencées de près ou de loin par la gastronomie française, synonyme d'élégance et de finesse. Puis, l'arrivée massive d'immigrés du monde entier a, à son tour, renforcé la diversité culinaire américaine : irlandais, chinois, mexicains, allemands ou italiens, tous ont apporté leur culture gastronomique, leurs produits typiques, transformant ainsi le pays en un véritable salad bowl culinaire.

À partir des années 1950, de nouveaux modes de consommation ont vu le jour sur le continent, menant à la fois à une abondance de nourriture et à une surconsommation et incitant la population à manger des quantités bien plus élevées que la moyenne préconisée, ce qui expliquerait en partie le taux d'obésité élevé enregistré dans le pays aujourd'hui. Ce sujet préoccupant est abordé dans un ouvrage du psychologue et culinologue Christian Boudan3, dans lequel il s'intéresse à la source des problèmes d'obésité touchant les États-Unis.

Ainsi, il va sans dire que l'histoire culinaire complexe américaine, entre colonisation, puritanisme, esclavage et immigrations, explique la relation singulière qu'entretient la population à son alimentation aujourd'hui. La cuisine américaine d'aujourd'hui se caractérise principalement comme étant l'assemblage de toutes les cuisines du monde, ce qui la rend difficilement définissable. Néanmoins, selon Frédérique Martel, auteur de l'ouvrage De la culture en Amérique4, certaines recettes traditionnelles des Amérindiens, protégées par un patrimoine culturel, persistent aujourd'hui. Il est

3 BOUDAN Christian. Géopolitique du goût. La guerre culinaire

4 MARTEL Frédéric. De la culture en Amérique

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intéressant de noter que, à l'inverse de la France, qui jouit d'une histoire culinaire bien établie à travers les siècles, les États-Unis ne possèdent pas de culture culinaire fixe, et ont, de ce fait, adopté des traditions culinaires d'ailleurs pour en faire les leurs. En témoigne le symbole le plus représentatif de sa cuisine, le hamburger, qui puise son origine dans la communauté des immigrés allemands.

Dans quelle mesure ces deux riches passés culinaires sont-ils à l'origine de nos comportements alimentaires contemporains ?

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci