INTRODUCTION
Ce mémoire est le résultat d'un travail
commencé en 2007 lors de ma dernière année de licence
à l'Université Ouverte, Campus de Goma (RDC). Pendant cette
année de licence, j'ai été amené, de manière
un peu fortuite, à étudier la problématique des fermes
laitières de la ville de Kigali en perspectives de la vision
20201. Je voulais étudier si, au regard de ce plan prospectif
du Rwanda à l'horizon 2020, les fermes laitières de la ville de
Kigali jouissaient de certains atouts pour être davantage
modernisées et intensifiées. En master 1 à
l'Université du Maine (France), mes investigations ont porté sur
l'agriculture urbaine dans une démarche également
diagnostique.
Le mémoire de licence avait conclu qu'en
définitive, la simple reconduction des arbitrages qui structuraient la
situation des fermes laitières de la ville de Kigali conduirait à
leur suppression totale en ville. Les contraintes environnementale et
démographique obligeaient à faire ce choix.
Le mémoire de master 1 a montré que, bien que
l'agriculture urbaine et périurbaine fût bel et bien prise en
compte par le nouveau master plan de la ville de Kigali, la question
sur la façon dont elle redéfinissait sa place et son rôle
restait toujours posée. Les enjeux (territoriaux, productifs, sociaux,
environnementaux et paysagers,...) et les contraintes (techniques et
matérielles, institutionnelles, socio-économiques, physiques et
naturelles) étaient vraiment nombreux.
Dès lors, les questions qui se posaient à moi
étaient les suivantes : Comment l'agriculture et ses espaces sont-ils
pris en compte et protégés ?
Quelle réelle capacité ont les acteurs
concernés pour piloter le devenir de cette agriculture et
élaborer et mettre en oeuvre, à cet effet, des actions de
développement durable ?
Cette problématique générale sur le
devenir de l'agriculture urbaine dans la ville de Kigali devait donc être
envisagée lors de mon mémoire de master 2. Pour les besoins de ce
mémoire, j'ai choisi le thème intitulé `'Une
Agriculture urbaine durable à Kigali''. Parmi les nombreuses
définitions qui sont données à l'agriculture urbaine, ce
mémoire a retenu celle de Moustier et M'Baye (1998, cités par
Dabat, Aubry et Ramamonjisoa, 2006) qui définissent l'agriculture
urbaine par une localisation géographique dans la ville et sa proche
périphérie,
1 La vision 2020 est le plan prospectif du Rwanda
à l'horizon 2O20
1
la destination au moins partielle vers la
ville de ses produits, et l'existence d'une alternative entre usage agricole et
urbain non agricole des ressources. L'alternative ouvre sur des concurrences
voire sur des complémentarités (Moustier et al., 2004,
cités par BOUCHER , 2009): foncier bâti et foncier agricole, eau
destinée aux besoins des villes et eau d'irrigation ; travail non
agricole et travail agricole, déchets ménagers et industriels et
intrants agricoles ; coexistence en ville d'une multiplicité de
savoir-faire dus à des migrations, cohabitation d'activités
agricoles et urbaines génératrices d'externalités
négatives (vols, nuisances) et positives (espaces verts).
L'agriculture est ainsi en compétition et en
interaction avec d'autres usagers des espaces et d'autres secteurs
économiques urbains. La nature et l'importance des interactions qu'elle
entretient avec ces autres usagers de l'espace ainsi qu'avec les nombreuses
activités relevant d'autres secteurs économiques et sociaux vont
déterminer son statut.
Dans un contexte marqué par le changement, le
qualificatif `'durable'' accolé à agriculture urbaine à
Kigali, en référence au développement durable, voudrait
interroger l'avenir de cette activité. En effet, la rénovation
des schémas et plans d`urbanisme pose la question du devenir des espaces
agricoles confrontés d'une part à l'affectation des terres pour
la production agricole en complément de l'approvisionnement en
provenance du milieu rural ou des importations et, d'autre part, à la
revendication spatiale de la croissance urbaine qui consomme de façon
rapide et mal contrôlée les espaces et fragilise le secteur
agricole.
Ce mémoire postule que l'urbanisation et la rapide
croissance démographique à Kigali vont grignoter les espaces et
les terres agricoles de la ville. L'agriculture disparaîtra petit
à petit.
Jusqu'à récemment, les différents
schémas directeurs d'aménagement urbains de Kigali ont
relégué l'agriculture urbaine dans les réserves
foncières. Le premier plan directeur de la ville de Kigali,
établi en 1964, avait délimité une vaste réserve
foncière en prévision de l'extension de Kigali. Cette
réserve foncière servait pour l'agriculture urbaine en attendant
son urbanisation. Le schéma directeur d'aménagement urbain de
1981 avait prévu que les activités agricoles devaient se faire
dans les zones maraîchères et le milieu rural résiduel.
Depuis 2007, le territoire urbain fait objet d'une
planification concertée qui s'inspire des stratégies inclues dans
la vision 2020 du pays. C'est dans ce cadre qu'un master plan de la
ville de Kigali a été élaboré. L'agriculture
constitue une composante importante de ce
2
« nouveau territoire urbain
matérialisé par le master plan».
Elle est placée parmi les 5 premiers secteurs des finances
publiques de la ville de Kigali à savoir :
1. Le transport, infrastructure et ICT ;
2. Urbanisme et habitat ;
3. Agriculture, forêt et environnement ;
4. Eau et assainissement ;
5. Enseignement
Le présent mémoire va tenter de rendre compte de
ses travaux en suivant un plan organisé en trois parties:
- une première partie donne le cadre conceptuel et
méthodologique de la recherche. A ce niveau sont définis la
problématique, les objectifs, l'hypothèse et la
méthodologie de la recherche ainsi qu'un cadre théorique et
conceptuel destiné à mieux appréhender le thème
considéré ;
- la deuxième partie est consacrée au cadre de
l'étude pour mieux appréhender le terrain de la recherche ;
- la troisième partie s'attachera à
présenter, analyser et discuter les résultats.
3
Ière partie : CADRE
CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE DE LA
RECHERCHE
I. LA PROBLEMATIQUE
En analysant les données sur la population de la ville
de Kigali et sa projection, la ville aurait une capacité d'accueil
maximale d'un peu plus de trois millions d'habitants. Cette capacité
maximale serait atteinte, selon les projections, aux environs de 2030
(hypothèse standard) ou en 2020 selon les projections hautes (2 993 100
habitants).
Les contraintes physiques limitent en théorie les
superficies constructibles pour le futur ; en retenant seulement les
superficies situées sur des pentes fortes (supérieures à
20 %) ou recouvrant des marais, 50 % du territoire de la ville n'est pas
constructible2. Ces espaces pourraient donc abriter l'agriculture
urbaine sous toutes ses formes.
Cependant, au vu de l'augmentation de la population durant les
prochaines années, il semble inévitable qu'il y aura un
empiètement de l'urbanisation sur des terres utilisées pour
l'agriculture. Sans orientation et sans volonté de la part de la ville
pour préserver une agriculture urbaine et périurbaine,
l'agriculture disparaîtra petit à petit. Le grignotage des terres
par l'installation de nouvelles parcelles d'habitation réduira
fortement, dans un futur proche, la possibilité de cultiver.
Ce qui est en jeu ici, ce sont les espaces et les terres
agricoles qui sont des supports des activités agricoles et de
l'agriculture urbaine en général. En effet, alors qu'à la
campagne on évolue vers la microparcellisation3, la ville
grignote les espaces et les terres agricoles qui l'entourent. Les espaces
agricoles ne devant pas être considérés uniquement comme de
possibles espaces à urbaniser, la société, dans son
ensemble, a donc intérêt à rechercher un équilibre
entre l'agriculture et l'urbain. Aussi est-il que selon Serge Bonnefoy
cité par Grumbach & Associés, 2008, p.23) « Il est
difficile de protéger les espaces agricoles pour eux-mêmes sans
trouver un sens social à l'agriculture et sans la rapprocher de la ville
et des
2 Les pentes supérieures à 20%
occupent 35% du territoire urbain soit 25 785 hectares tandis que les zones
humides n'occupent que 14% soit 10109 ha. Il ne reste alors que 37 000 ha qui
peuvent être développés (Kigali conceptual master plan,
2007, p.34).
3 La terre est, à chaque
génération, divisée entre tous les fils et filles d'un
même père. Ainsi, selon le National Institute of Statistics of
Rwanda, la terre cultivable disponible par exploitation familiale agricole est
passée de 1 ha en 1983 à 0,72 ha en 2006. Cependant, la nouvelle
loi foncière de 2005 interdit de diviser des propriétés
d'une superficie égale ou inférieure à 1 ha .
L'exploitation regroupée (consolidation des terres) est plutôt
encouragée.
4
citadins!» car « aucun outil ne
se suffit à lui seul, il faut à la fois du réglementaire,
du projet et du développement économique et des outils fiscaux
».
Si à Kigali, les premiers pas ont été
posés en reconnaissant l'agriculture urbaine et ses espaces dans le
nouveau master plan de la ville et en élaborant un projet d'agriculture
urbaine et périurbaine ainsi qu'un plan stratégique d'appui
à cette agriculture, force est de constater que ces initiatives
représentent certes un encadrement important mais pas suffisant pour
maintenir durablement une agriculture urbaine et périurbaine.
Le cheminement d'un territoire est le produit de forces
internes et externes, y compris les politiques qui articulent son
évolution (Calthorpe, 2006, Claval, 2006, cités par Ghalia et
al.) et le type d'agriculture retrouvé sur un territoire est la
réponse du milieu agricole aux besoins et aux attentes de la
société d'une part et à leurs propres besoins et choix
d'orientation d'autre part (Bryant, 1984 cité par Ghalia et al.).
Dès lors, la prise en compte des enjeux et des
différentes fonctions de l'agriculture ainsi que l'importance à
lui accorder vont dépendre des jeux d'acteurs locaux qui vont porter ces
enjeux dans le débat selon différents registres (Jarrige et al.
2006).
Nous nous interrogeons alors sur les dispositifs mis en oeuvre
pour lever un certain nombre de contraintes liées au devenir de
l'agriculture urbaine à Kigali. Les questions se déclinent ainsi
:
1. Quelle place l'agriculture est-elle appelée à
jouer et qui justifierait les choix d'aménagement ?
2. Comment les espaces et les activités agricoles
sont-ils pris en compte et protégés dans la mise en oeuvre du
master plan de la ville de Kigali?
3. Cette prise en compte de l'agriculture dans les dispositifs
d'aménagement favorise ou préserve-t-elle des espaces où
l'agriculture de grands espaces peut permettre aux fonctions de production de
l'agriculture de contribuer à l'expression de facteurs identitaires
lisibles ? Permet-elle l'émergence d'agricultures : de reliance
dans les espaces dits intermédiaires où se jouent une
mixité entre urbain et rural et celles des espaces confinés dans
les espaces urbains denses ?
4. Comment se dessinent et s'organisent les jeux d'acteurs
gravitant autour de l'agriculture urbaine et ses espaces ?
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