La fiscalité minière des exploitations artisanales: cas de la cassitérite et du coltan au nord Kivu et au sud Kivu( Télécharger le fichier original )par Desso KANINGINI WAKUSOMBA Université pédagogique nationale - DEA 0000 |
CHAPITRE IV. COMMERCE, TAXATION ET FRAUDE DES MINERAISD'EXPLOITATION ARTISANALE AU NORD ET AU SUD KIVU.
La fiscalité et la parafiscalité sont essentielles quand il s'agit de considérer le commerce des minerais d'exploitation artisanale de l'Est de la République Démocratique du Congo. Au fait, la fiscalité influe suffisamment sur le niveau des prix en agissant sur les charges ou mieux les coûts de production. La valeur des différentes prestations publiques facturées ou taxées aux opérateurs économiques est directement affectée aux prix à pratiquer dans le commerce des produits concernés. La conséquence peut s'évaluer à deux niveaux : -augmentation de coûts et donc des prix proposés à la clientèle, considérée comme consommateur final, avec comme effet le manque de compétitivité sur le marché ; -comme les prix sont imposés par le marché, l'induction des coûts amenuise les marges bénéficiaires et s'attaque donc à la survie même de l'activité. La fiscalité, en accroissant les coûts et, devant un souci légitime de gain de la part de l'opérateur économique, provoque - en raison de ses mécanismes de perception et de son niveau - l'attrait à la fraude et ou à l'évasion fiscale. La fraude ainsi installée est alors à la base des pertes importantes des recettes de l'Etat, privant ce dernier des moyens de sa politique. C'est, au fait, cette réalité qui se manifeste dans les circuits de production et de commerce des minerais d'exploitation artisanale au Nord-Kivu et au Sud-Kivu tel que nous le reprenons dans les pages qui suivent. IV.1 Le Commerce des minerais d'exploitation artisanale et la fraude.IV.1.1 Le commerce des minerais de coltan et de la cassitérite d'exploitation artisanale. Le commerce des minerais est couvert par les articles 116 à 127 du Code minier de la RDC. Le processus de commercialisation des minerais de coltan et de cassitérite d'exploitation artisanale dans le Nord et le Sud-Kivu correspond aux étapes de l'exploitation telle que décrite dans les pages précédentes. A chaque étape de l'exploitation correspond un type particulier de commerce. Il s'agit donc ici de procéder à une analyse de la chaîne de valeur qui consiste en l'identification précise des parties prenantes de la production et du commerce d'un produit en particulier ou d'un groupe de produits (de même nature), de leurs rapports réciproques et de la manière dont la valeur définitive est redistribuée aux différentes parties prenantes. Ainsi, faut-il comprendre, que la production à des fins d'exportation est souvent organisée sous forme de chaîne de valeur, compte tenu d'un haut niveau de dépendance entre les parties prenantes de la chaîne. Ces étapes sont celles de : -le commerce à la production (extraction), -la commercialisation intérieure, et -l'exportation. 1) La production à la base La production est la phase qui concerne l'extraction des minerais dans différents sites. Elle est l'oeuvre des creuseurs. A cette étape, le commerce se fait entre l'exploitant artisanal (creuseur ou chef de site d'exploitation) et les petits négociants et/ou les négociants. En RDC, les creuseurs artisanaux ne peuvent vendre leurs produits miniers qu'aux commerçants, artistes, maisons de change ... agréés par l'Etat c'est-à-dire, détenant des cartes qui leur donnent le droit d'exercer cette activité. Les négociants sillonnent les sites, attendant et interceptant ceux qui remontent des puits avec qui ils s'entendent pour l'achat de minerais qu'ils recherchent. Ce sont le plus souvent les négociants qui fixent les prix car ils sont plus ou moins informés des prix pratiqués tant par les opérateurs au niveau national que sur les marchés internationaux. Les creuseurs subissent les prix et sont, de toute la filière, les perdants. Ces prix devraient normalement être déterminés par le CEEC et rendus disponibles au niveau de centres de négoces. Les quantités récoltées par les petits négociants et les négociants à ce niveau constituent la quantité réelle à considérer au titre de la production desdits minerais. Car, il faut le reconnaitre, les niveaux de production du coltan et de la cassitérite résultant de l'exploitation artisanale sont difficiles à établir ou mieux à chiffrer. C'est donc à ce niveau que se forment les éléments de base de la structure de prix du commerce des minerais. On dispose qu'à ce niveau, le commerce n'est pas rentable, les prix proposés aux creuseurs ne sont pas rémunérateurs de l'immense travail de risque qui précède la vente de produits extraits. Mais les creuseurs n'ont pas de choix, ils doivent vendre à tout prix. Les marges bénéficiaires récoltées sur les échanges des minerais entre les mineurs et les négociants sont faibles. Les mineurs demeurent ainsi pauvres ; sont incapables de constituer un moindre capital ou une petite économie ; tout ce qu'ils gagnent est directement dépensé pour l'acquisition de biens de première nécessité vendus très chers sur les sites mêmes. C'est difficilement que leurs revenus aident à pourvoir aux besoins quotidiens de leurs familles de telle sorte que la plupart finissent par oublier qu'ils ont laissé femmes et enfants. Nous avons noté dans le chapitre précédent qu'à ce stade, plusieurs droits, taxes et redevances sont payés. Il s'agit des droits coutumiers, des taxes dues au territoire, des redevances exigées par plusieurs services présents sur les sites ; qui viennent s'ajouter à la taxe officielle sur la carte de creuseur. 2) La commercialisation intérieure La commercialisation intérieure est l'étape où les principaux intervenants sont les petits négociants, les négociants, les transporteurs et enfin les comptoirs agréés. Cette phase est dominée par la logique de la marge bénéficiaire ; chaque intervenant cherchant à s'assurer qu'il ne paye pas au delà de ce qu'il va gagner. Et ici intervient la fonction de négociation de chaque acteur, les prix n'étant pas fixes82(*). Ce pouvoir de négociation dépend de même de leurs possibilités financières et de l'accès qu'ils ont à l'information sur les prix des minerais en vigueur sur les marchés internationaux. La phase part du petit négociant qui s'approvisionne auprès des exploitants, fait transporter (à dos d'hommes) les produits jusque dans des centres de négoces et vend aux négociants. Ces derniers, quand ils sont distincts des comptoirs, font transporter les produits pour les revendre auprès des comptoirs autorisés à exporter. Le rôle de négociants est primordial dans la chaîne du commerce des minerais d'exploitation artisanale (autant que celui des courtiers, dans la chaîne du commerce international, que nous n'abordons pas dans cette étude). On devrait même conclure que c'est à leur niveau essentiellement que se trouve le maillon de la chaîne au niveau national. En effet, en comparant les statistiques de production de ces minerais, on remarque que les écarts sont considérables selon que l'on prend en compte les données enregistrées par les services placés près des sites d'exploitation et ceux installés dans les centres urbains où se préparent les exportations. L'exemple donné par Pole Institute dans Regards croisés n° 19 est éloquent pour cela. Pour le Nord-Kivu, en comparant les chiffres du Bureau Minier de Walikale et de la DGM/Kilambo, il en ressort que 50% de la cassitérite produite à Walikale et destinée à Goma disparaissent avant d'atteindre la destination. Les écarts sont importants de même entre la quantité de cassitérite produite à Walikale et transportée à Goma et la quantité officielle exportée et enregistrée par l'OFIDA83(*). Les énormes quantités que l'on déplore donc à l'exportation disparaissent pour la grande part au niveau des négociants (qui peuvent être des comptoirs). Contrairement aux creuseurs, les négociants sont des commerçants à part entière. Comme pour les creuseurs mais à un moindre niveau ils subissent les prix fixés par les comptoirs agréés. Mais étant donné qu'ils sont le plus souvent informés des cours mondiaux des minerais, ils sont capables de manoeuvrer entre les prix d'achat auprès des creuseurs majorés de diverses taxations et des frais connexes comme le coût du transport. Pour ce qui est de la taxation, nous avons noté l'existence de droits et taxes de plusieurs services tant officiellement reconnus que ceux qui s'imposent du fait de leur présence sur le terrain. Ces taxes concernent aussi bien les négociants que les transporteurs et alourdissent le coût des produits à écouler auprès de comptoirs. C'est quand son coût total ne peut lui permettre une marge bénéficiaire raisonnable par rapport au prix fixé par les comptoirs que le négociant trafique en usant des voies de contrebande pour aller vendre sur des marchés où son bénéfice est garanti. Les comptoirs agréés achètent à des maisons autorisées et exportent les minerais d'extraction artisanale. 3) L'exportation L'exportation est le niveau ultime du commerce de minerais à l'intérieur du pays c'est-à-dire la préparation du produit selon les normes et l'acquisition de différents documents officiels requis. Dès que tout est en ordre, les comptoirs agréés confient les produits aux courtiers internationaux qui traitent avec les industries métallurgiques extérieures. Les prix ici sont le fait de la mercuriale sur le marché international et le rendement ou la rentabilité dépend du niveau du coût de revient c'est-à-dire le prix d'achat auprès des négociants majorés de diverses perceptions qui interviennent avant la sortie effective du territoire national. Les prix sont un des facteurs externes les plus importants. Il se fait que `les prix des métaux non ferreux, de l'or et des diamants - les principaux produits miniers de la RDC - sont fixés sur les marchés internationaux ; les cours internationaux des produits de base, échappent largement au contrôle du gouvernement.'84(*) Ainsi, ni la RDC, ni aucun autre pays n'a les moyens de peser sur les prix des produits à l'exportation. Etant donné que les prix de vente ne sont pas fixés par le vendeur sur base de son coût de production ou de revient, ce dernier doit jouer plutôt sur l'amoindrissement des éléments dudit coût pour garantir la rentabilité de son activité. Le vendeur (comptoir agréé) se retrouve entre le marché mondial qui impose son prix et le négociant soucieux de garder sa marge bénéficiaire et est alors obligé de tout mettre en oeuvre pour assurer la survie et la rentabilité de son entreprise. La marge de manoeuvre n'est donc pas toujours assurée. La procédure d'exportation par les comptoirs peut être résumée comme suit : `l'achat des minerais dans un comptoir se fait en présence de deux agents de l'Etat, l'un de la Division provinciale des Mines et géologie et l'autre, du CEEC. Ils ont pour mission de s'assurer de la transparence des opérations d'exportation et de relever les statistiques journalières. La procédure d'exportation commence par l'échantillonnage : un agent de l'OCC prélève un échantillon du minerai à exporter, qu'il fait analyser dans le laboratoire. Il émet alors un bulletin d'analyse dont une copie est remise au comptoir pour la poursuite des opérations. Le minerai est ensuite chargé dans des fûts de 200 litres remplis de cassitérite ou de coltan pesant en moyenne 750 kgs et dont les couvercles sont soudés (c'est l'opération d'enfûtage). Dès qu'un lot est atteint, le CEEC établit un procès-verbal de scellage ou d'enfûtage contresigné par les autres services habilités à assister à l'enfûtage : l'OFIDA, la Division des Mines et l'OCC. Après versement à la banque de toutes les taxes dues, le dossier du comptoir est déposé à la Division des Mines et ensuite amené au gouvernorat de province pour autorisation d'exportation par le gouverneur. Avec les deux autorisations, la facture ainsi que le bulletin d'analyse, l'agence en douane du comptoir agréé concerné s'adresse à l'Office Congolais de Contrôle pour obtenir le certificat de vérification à l'exportation (CVE). Le dossier ainsi complété finit sa course à l'OFIDA pour les dernières formalités douanières ; l'OFIDA va établir une déclaration de sortie définitive autorisant le minerai à quitter le pays.'85(*)Les statistiques concernant les quantités exportées sont disponibles auprès des services publics qui interviennent lors de l'exportation (Division des Mines, OFIDA, CEEC, Commerce extérieur). Mais « une analyse minutieuse des statistiques officielles des exportations montre clairement qu'il s'agit d'un secteur où s'accumulent des fausses informations, des divergences de chiffres qui représentent un véritable défi à n'importe quel analyste ».86(*) Le graphe des filières coltan et cassitérite détaillées ci-dessus se présente comme suit : Phase de commerce de bbbase duction Petits négociants
Négociants
Transporteurs - chefs d'équipes - creuseurs
base (extraction/production) Petits négociants
Phase de Commercialisation Intérieure
Comptoirs agréés
Phase d'exportation
Comptoirs agréés
Courtiers internationaux Pour ce qui est des différentes perceptions au niveau de cette phase du commerce, il faut noter que les taxations interviennent au niveau des interventions de divers services selon la procédure décrite ci-dessus et à l'occasion de l'obtention de différentes autorisations requises. C'est la multitude de services intervenants qui justifie à ce stade la multiplicité des taxations que déplorent les opérateurs économiques du secteur. En dépit des aménagements de certains droits, le nombre de redevances demeure important, comme nous le constatons dans les documents ci-après de besoins en fonds d'un comptoir agréé à l'occasion de l'exportation de lots de cassitérite. Tableau n° 6 : ETAT DE BESOIN relatif au lot 15/2010 Comptoir : a requis l'anonymat. Marchandises : cassitérite Teneur : 55,23 % Quantité : 47.520 kgs Valeur de base : 11,37 USD/KG Total Facture: 540.3O2 USD Date: 18/08/2010
Source: documents fournis par des opérateurs économiques ayant réquis l'anonymat. Tableau n° 7 : Etat de besoin du lot 02/2012 Marchandises : cassitérite Teneur : 56,04% Poids net : 48.000 kgs (70 fûts) Valeur de base : 7,38 USD/KG Montant Facture : 354.240 USD Date : 20/09/2012
Source : opérateurs économiques du sud-kivu Il nous faut comprendre que les perceptions reprises ci-dessus sont celles officiellement payées par le biais de l'agence en douane intervenant dans l'opération. En dehors de cette situation, il y a d'autres payements tels les frais d'enfûtage, les T.E. (=Travaux Exceptionnels) des agents de l'Ofida, etc. L'analyse de la chaîne de valeur de ces produits montre que la fiscalité, officielle ou non officielle, agit comme un obstacle qui influence la répartition finale des recettes générées par la production/l'extraction. Hormis la gouvernance des chaînes de valeur des exportations, les obstructions créées par une fiscalité lourde et le rent-seeking, activité de recherche de rentes pratiquée par les fonctionnaires publics, comptent parmi les caractéristiques plus généralisées du commerce en République Démocratique du Congo. La nature de la fiscalité appliquée à la production, au transport, au processus de préparation à l'exportation et à l'obtention des autorisations diverses ainsi qu'aux opérations douanières en RDC crée des obstructions improductives (càd les négociants embauchent du personnel supplémentaire pour pousser leurs marchandises à travers les frontières) et est, d'autre part, extrêmement nuisible à la gouvernance et à l'expansion des chaînes de valeur. * 82 Effectivement, les prix varient au jour le jour en fonction du cours mondial tel qu'il est fixé par le London Metal Exchange. Toutefois, notons ci-après les prix en vigueur depuis quelques mois (2013-2014), selon les informations recueillies auprès des opérateurs économiques (Comptoir Bakulikira à Bukavu, Présidente de producteurs de minerais du Nord-Kivu à Goma) et des services publics (Chef de bureau de Mines de Walikale, Mr Raphaël Kaponyola) qui se présentaient comme repris ci-dessous. Cassitérite : creuseurs 2,5 à 4 $/kg ; petits négociants 3,2 à 5,2 $/kg, négociants 5,0 à 7,0 $/kg ; entité de traitement (comptoir agréé) 7,1 à 8$/kg. Coltan : creuseurs 18 à 20 $/kg ; petits négociants (fournisseurs ou intermédiaires) 22 à 25 $/kg ; négociants 27 à 31 $/kg ; entité de traitement 1,2 à 2 $ par % de tantale soit 30 à 50 $/kg quand on considère la moyenne de 25% de tantale par kg de coltan. * 83 Pole Institute, Regards croisés n° 19, Goma, juillet 2007, pp 47-49. * 84 Banque Mondiale, `RDC, La bonne gouvernance dans le secteur minier comme facteur de croissance', Rapport, version préliminaire du 16/10/2007, p. 5 * 85 Adamon Ndungu et al, op.cit , p. 224. * 86 HAYES, K et al., Researching Natural Resources and Trade Flows in the Great Lakes Region, DFID/USAID/COMESA, Juin 2007, p. 7 |
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