CHAPITRE I:
PROBLEMATIQUE
I - ENONCE DU PROBLEME
Depuis la nuit des temps, la folie interroge les esprits. Son
caractère mystérieux et énigmatique a donné
naissance aux explications les plus invraisemblables. Ces explications ont
été déterminantes pour le destin et le devenir de ceux qui
présentaient les signes. (Wissal et al, 2012). En fait, les maladies
mentales représentent un réel problème de santé
publique et de suivi dans le monde lorsqu'on considère son ampleur de
plus en plus croissant et son impact négatif sur la vie des personnes
qui en sont victimes. Mais depuis un certain nombre d'année, la
santé mentale gagne en priorité car le monde a pris conscience
des coûts à la fois économiques et humains pour la
société et de la souffrance des individus concernés
(Gureje et Alem, 2000). C'est dans ce sens que l'OMS, dans son rapport sur la
Santé dans le monde (2001) plaide de façon convaincante pour la
Prise en considération des besoins des populations en matière de
santé mentale. Environ 450 millions de personnes dans le monde ont de
troubles mentaux et neurologiques. En médecine générale,
les maladies mentales constituent la deuxième cause de morbidité
derrière les maladies cardio-vasculaires.ces maladies sont en fait
responsables d'un quart (1/4) d'invalidités.
Les dégâts causes par les problèmes de
santé mentale sont énormes. Le rapport « La
santé mentale dans le monde présenté par la
Faculté de médecine de l'Université Harvard, en 1995
affirme qu'à eux seuls, les problèmes de santé mentale
constituent 8,1 % de la charge de morbidité globale. Selon le
rapport de l'OMS (2008), ce taux est passé de 8.1% en 1995 à
12.3% en 2008. Ces pathologies peuvent engendrer plusieurs conséquences
dont la plus tragique est le suicide. Chaque année, 10 à 20
millions des tentatives de suicide sont liées aux maladies
mentales. Elles sont également à l'origine de la
discrimination, de la stigmatisation, du rejet, de certaines formes
d'inégalités et d'injustices sociales
L'Europe connaît une très forte prévalence
de troubles mentaux. Sur les 880 millions d'habitants que comptait la
Région européenne, on estimait à environ 100 millions le
nombre de personnes atteintes d'anxiété et de dépression ;
à plus de 21 millions les personnes souffrant de troubles liés
à l'abus d'alcool ; à plus de 7 millions les personnes atteintes
de la maladie d'Alzheimer et d'autres démences ; à environ 4
millions les personnes souffrant de schizophrénie ; à 4 millions
les personnes atteintes de troubles affectifs bipolaires ; et à 4
millions les personnes souffrant de troubles paniques (Rapport de
conférence ministérielle européenne de l'OMS, 2008). Pour
pallier à ce problème de prise en charge, un plan d'action pour
la santé mentale a été mis sur pied en 2008 dans le but de
relever les défis auxquels est confrontée la santé mentale
dans ce continent.
En Amérique, l'ampleur du phénomène est
inquiétante. Les grandes enquêtes épidémiologiques
les plus récentes en Amérique du Nord indiquent que l'on peut
diagnostiquer un problème de santé mentale chez 20 % de la
population. Une étude réalisée de 2001 à 2003 par
le US National Institute of Mental Health (NIMH ) a montrer que 20% des adultes
américains souffrent des maladies mentales graves et 50% de la
population affectée par des formes moins graves de maladies mentales.
Selon un Rapport du Department of health des Etats Unies estime qu'en 2011,
45,6 million de personnes de plus de dix huit ans, 19,6% de la population
adulte ont souffert d'une maladie mentale. Ici, le taux de suicide à une
prévalence de 23%. Pour remédier d'ailleurs à ce
problème, le ministre de la santé et les services sociaux ont sur
pied une action québécoise d'action au suicide.
La santé mentale reste un véritable
problème de santé publique dans les pays en développement,
puisqu'à ce jour les maladies mentales ne bénéficient pas,
à l'instar des maladies infectieuses, des maladies infantiles ou
plus récemment, des maladies non transmissibles comme les
maladies cardiaques, de programmes à l'échelle mondiale. Les
questions relatives à la santé mentale se voient
généralement accorder une très faible priorité dans
les politiques des services de santé. Les problèmes de
santé mentale viennent souvent en dernier sur la liste des
priorités des responsables politiques. (Gureje et Alem, 2000).
D' après le rapport de l'OMS (2008), 9 malades mentaux
sur 10 ne sont pas soignés dans cette partie du monde. Ici les maladies
mentales sont totalement déniées, le public en a une perception
négative, ce qui serait dû à un manque d'information et
d'éducation sur ces affections. La maladie mentale est perçue
comme une colonisation de l'esprit par une volonté maligne, laquelle
colonisation peut avoir pour causes l'agression d'un génie, d'un
ancêtre, d'un sorcier....Les malades sont considérés comme
possédés par l'esprit des ancêtres ou agressés a
travers la sorcellerie.
En Afrique, on a un psychiatre pour 5 million d'habitants
(OMS, 2002). Ces chiffres catastrophiques expliquent en partie la place
prépondérante occupée par les pratiques traditionnelles
dans les soins portés aux malades. Ceux-ci commencent d'abord par
consulter un guérisseur ou un tradipraticien et ne sont pris en charge
que très tard dans l'évolution de leur maladie par les services
de soins classiques. Le poids des croyances traditionnelles pèse
également très fort. Ajouter a cela l'insuffisance
d'infrastructures et de personnels spécialisés en santé
mentale, le mythe selon lequel ces maladies ne peuvent être
soignées à des coûts abordables. Parfois la majorité
même des spécialistes de la santé mentale dans les pays en
développement (psychiatres, psychologues cliniques, infirmiers
spécialisés en santé mentale et travailleurs sociaux) ne
semble pas se préoccuper de la réduction du déficit de
traitement. Tout cela va pousser les populations africaines fortement
influencées par la tradition à se retourner vers d'autres
itinéraires de traitement.
Dans la république Malgache par exemple une
étude réalisée en 2001 par le MINI (Mini International
Neuropsychiatric Interview) estimait à 47% la proportion de la
population affectée par les troubles psychiques. Ici les maladies ont
une étiologie attribuée le plus souvent à des actes de
sorcellerie, à des possessions par des esprits mal intentionnés,
au non respect des devoirs dus aux ancêtres, à la transgression
de tabous (fady) par exemple. Les traitements doivent donc être
pratiqués en conséquence. Il s'agit de traitements complexes
impliquant des sacrifices importants et la participation de toute la
communauté villageoise, ce qui sous-entend donc une forte
solidarité de la famille. En cas de maladie mentale, on fait d'abord
appel aux guérisseurs traditionnels, ou bien les recours sont
confessionnels, le médecin ne venant qu'ensuite, car les trois quarts
des malgaches ignorent la possibilité de soins médicaux
pratiqués dans les hôpitaux psychiatriques. Ils connaissent par
contre d'autres lieux de soins : toby, villages thérapeutiques
confessionnels, lieux de rites ancestraux.
A Abidjan en Côte d'Ivoire, une étude
réalisée en 2009 portant sur les itinéraires
thérapeutiques des schizophrènes à Abidjan à permis
de voir que sur 41 schizophrènes ayant consulté au Service
d'Hygiène Mentale (SHM), 14.6% seulement avaient eu le premier recours
à la médecine moderne, 7.3% aux marabouts et aux
féticheurs, 4.9% à d'autres issues de traitement non
précisés. Le choix de ces itinéraires était
fonction de l'origine qu'ils attribuaient à la maladie mentale.
En Ethiopie environ 85 % des malades s'adressent aux
guérisseurs et aux dirigeants religieux, comme les prêtres, qui
sont ainsi amenés, de par l'influence de la tradition et le manque
d'infrastructures adéquates, à traiter les maladies mentales. Au
Sénégal ils sont près de 90 % à consulter ces
gens en cas de maladie mentale.
Au Sénégal pour remédier à
l'absence de traitements adaptés ils envisagent d'intégrer les
pratiques traditionnelles aux soins classiques. Certaines méthodes des
marabouts vont en effet dans le bon sens. Tel est le cas du
« Ndëp », cérémonie à laquelle
les guérisseurs associent non seulement le malade, mais aussi sa famille
et tout le quartier. Etant donné que les maladies mentales affectent la
relation de l'individu avec son environnement, le Ndëp apporte une
réponse positive en permettant de recréer un lien avec la
communauté.
En RDC (République Démocratique du Congo) selon
les données du Programme national de santé mentale (PNSM, 2008),
au moins 15 millions de Congolais avaient des troubles mentaux, la population
de la RDC étant estimée à 60 millions d'habitants. Ici il
est rare que les malades mentaux viennent consulter des
psychothérapeutes ou des psychiatres en première intention. Ils
commencent généralement par les instances informelles que sont
les tradipraticiens et les groupes de prières, parce qu'ils, attribuent
la pathologie mentale à des causes surnaturelles (PNSM, 2008). Devant la
maladie, l'individu a trois attitudes : soit, il va à
l'hôpital, soit il va à l'église, soit il va consulter le
« nganga » (guérisseur). Ces trois
attitudes caractérisent les trois systèmes de soins.
Au Cameroun comme partout en Afrique d'ailleurs, la
santé mentale reste encore un sujet tabou, il n'existe pas vraiment
d'investigation dans ce domaine, les études
épidémiologiques sont encore peu nombreuses et floues, le pays
manque un système d'information fiables en santé mentale. Dans
les rues de toutes ses villes, les malades mentalement atteints
déambulent, on dirait qu'ils font partie du décor. On est parfois
tenté de dire que le gouvernement ne fait rien pour eux ou ne se souci
de leur avenir et de leur devenir, car il revient à leur famille de voir
comment faire pour les empêcher de se balader dans la rue. Le public ici
a une perception très négative de ces maladies et les
réactions montrent un manque d'information sur les maladies mentales et
une méconnaissance de ces maladies. Il n'est pas donc rare d'entendre
ceci face à un malade mental : « il a mis sa main
où il ne fallait pas », « il a
trempé », ou « c'est la conséquence de
l'argent facile » et autant d'autres réactions. Ce qui
revient à dire que si on est « fou » ou
« folle », c'est forcement parce qu'on à fait
quelque chose, ignorant ainsi la possibilité de survenue naturelle d'une
maladie mentale chez un sujet. Un rapport publié en 1995 par les Nations
Unies en collaboration avec le ministère des Affaires sociales
révélait qu'entre 1983 et 1992, le Cameroun comptait 4470 malades
mentaux dont 2775 hommes et 1695 femmes. Les provinces du Centre et de l'Ouest
semblent les plus touchées. Sur deux années de consultation dans
le service de psychiatrie de l'HJY, (2002 et 2003), 1041 patients ont
été reçu parmi lesquels 571 femmes soit 54,85% et 470
hommes soit 45,15%. De 2010 à 2013, l'Hôpital Jamot de
Yaoundé (HJY) a enregistré 2444 patients hospitalisés dans
cette structure hospitalière. Selon le Programme National de
Santé Mentale (2006, p15), 20% des consultations enregistrées
dans les services de psychiatrie au Cameroun sont liées à des cas
de dépression. Ceci laisse voir l'ampleur des problèmes de
santé mentale dans ce pays.
Dans une interview accordée au ministre de la
santé publique à Yaoundé le 27 décembre 2002, ce
dernier confirmait que « désormais on devait s'attendre
à ce qu'il ait de moins en moins de malades mentaux en
divagation ». Pour donc atteindre cet objectif, un programme à
été consacré à la santé mentale dans le
cadre de la stratégie sectorielle de santé horizon 2001-2002.
Mais lors de la célébration de la journée mondiale de la
santé mentale en 2008, sous le thème : « Faire
de la Santé Mentale une Priorité. Améliorer les Services
par l'intermédiaire de la Sensibilisation et de l'Action
Collective », le ministre de la santé publique
s'alarmait encore de l'ampleur des dégâts causés par les
troubles mentaux. Il a précisé notamment que « les
systèmes de santé affrontent des difficultés
énormes pour offrir des prises en charge, des traitements et un suivi
aux personnes atteintes de troubles mentaux ». Compte tenu de ces
difficultés et des souffrances induites par ces maladies aux personnes
qui en souffrent et à leur entourage, les personnes victimes des
maladies mentales à la recherche effrénée de la
guérison se voient obliger de faire recours à d'autres issues de
traitements et surtout à ceux correspondant à leurs
caractéristiques socioéconomique et démographiques. C'est
ici que va intervenir les autres médecines dites parallèles, car
ils semblent être moins chères, plus disponibles et plus
accessibles.
Le Cameroun est constitué d'une diversité
ethnique. Quelque soit la partie du pays ou l'on se trouve il convient de noter
que les maladies mentales posent le même problème de prise en
charge. Le village Bangang n'échappe pas à cette
réalité. Tout autour de nous, nous avons constaté que
quand l'un des membres de cette communauté était gravement
malade, ceux-ci se rendaient au village et revenaient parfois quand la personne
était déjà guérie ou décédé.
Le cas le plus marquant a été celui d'un voisin très
proche et membre de cette communauté qui était devenu
« fou » et dans les deux jours qui suivaient, il
n'était plus dans la ville. A notre grande surprise il revient deux mois
plus tard déjà guéris et ne présentant plus que les
seules traces de chaines sur les pieds et les mains. Quand par curiosité
on lui demande où il était tous ces derniers temps, il nous
répond : « j'étais au village pour me faire
soigner ». Quand, étonnés, nous lui demandons si les
hôpitaux sont finis à Yaoundé pour qu'il parte loin au
village pour se faire soigner, il nous dit : « je n'ai pas
d'argent à dépenser dans les hôpitaux. En plus, toutes les
maladies ne peuvent pas être soignées à
l'hôpital ». C'est fort de ce constat que nous nous sommes
posé la question de recherche ci après :
I -1 QUESTIONS DE RECHERCHE
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