La notion de « protection sociale » est en
elle-même assez vague et composite. Elle désigne tous les
mécanismes de prévoyance collective qui permettent aux individus
ou aux ménages de faire face financièrement aux
conséquences des risques sociaux, qui provoquent une baisse des
ressources et /ou une hausse des dépenses1 (Joakim, 2001).
La définition plus générale vient de la
Banque Mondiale (2000) que les interventions de protection sociale sont des
« actions visant à aider les individus, les ménages et les
communautés à mieux gérer le risque et à apporter
un soutien à ceux qui sont particulièrement pauvres». Cette
définition plus générale regroupe dans un cadre unique les
instruments de protection sociale traditionnels, notamment la politique du
travail, les régimes sociaux, et les filets de sécurité
sociale. Cette définition recouvre également les mesures prises
pour fournir un appui aux personnes extrêmement pauvres2.
· La protection sociale peut être
considérée comme un filet de sécurité, mais aussi
comme un tremplin pour les personnes pauvres. S'il convient d'offrir un filet
de sécurité à la population toute entière, il faut
aussi que les programmes donnent aux plus démunis les moyens de sortir
de la pauvreté ou à tout le moins, de retrouver un emploi
rémunéré ;
· Elle ne saurait être un coût, mais
plutôt un investissement dans le capital humain. La protection sociale
doit fondamentalement permettre aux pauvres de garder un accès aux
services sociaux de base, de ne pas être exclus de la
société et d'éviter d'adopter des stratégies de
survie ayant des répercutions irréversibles lorsque la situation
se détériore.
Le trait commun à toutes ces interventions publiques
est de fournir des ressources de remplacement en cas de baisse importante ou de
perte totale de revenus, notamment en faveur des salariés les moins
favorisés.
1 Il s'agit des dépenses de vieillesse,
maladie, invalidité, chômage et charges de famille.
2 La catégorie des extrêmement pauvres
regroupe les individus qui ne peuvent subvenir à leurs propres besoins
même lorsqu'il est possible de trouver un emploi.
2
L'étude de la protection sociale est un domaine de
prédilection des théoriciens de l'économie du
bien-être. Constatant le caractère relativement marginal de
l'offre marchande de protection sociale et la prédominance de
dispositifs publics, ces économistes présentent
traditionnellement l'intervention publique comme une réponse aux
carences du marché. La nature quelque peu inductive de cette
démarche transparaît clairement dans l'affirmation de Arrow (1963,
P.945) que « les situations où l'on observe une absence des
marchés sont la marque de leur inaptitude à proposer les biens et
services en question ». Développant le modèle standard
de l'économie publique normative, l'auteur recense les
spécificités de l'assurance maladie inhérentes à
l'asymétrie de l'information. Il les présente comme autant de
défaillances du mécanisme des prix expliquant la mise en oeuvre
d'arrangements institutionnels publics - mais aussi privés - palliant
les carences du marché.
Si les théoriciens de l'économie du
bien-être présentent l'intervention publique comme le moyen de
pallier les défaillances des consommateurs et des producteurs de
protection sociale doublement confrontés à l'asymétrie de
l'information, les partisans de la thèse des défaillances du
marché soulignent quant à eux que les consommateurs,
confrontés à l'incertitude et à l'asymétrie de
l'information n'ont pas nécessairement les connaissances leur permettant
de se doter d'une protection sociale adaptée à leurs
besoins.3
En somme, un fonctionnement libre du marché de
l'assurance pourrait conduire certains individus à des investissements
préventifs sous-optimaux, et en cas d'aléa à s'en remettre
aux filets de protection publics ou communautaires. Ces dispositifs solidaires
d'aide en dernier ressort contribueraient à accroître le nombre
d'imprévoyants volontaires (Hayek (1960) ; Musgrave (1989)).
Outre ses effets sur le consommateur, l'asymétrie de
l'information peut aussi handicaper l'assureur. Les travaux sur
l'asymétrie de l'information montrent que la présence
d'antiselection et d'aléa moral rend cette tâche
difficile, ce qui laisse planer des inquiétudes quant au fonctionnement
d'un marché de protection sociale. En premier, l'antiselection
représente un danger pour les assureurs qui, faute de transparence
informationnelle, des échanges mutuellement profitables pourraient ne
pas se réaliser. Il en est ainsi des assureurs qui, ne connaissant pas
les caractéristiques individuelles de leurs clients, proposent des
3 Ex ante, les consommateurs n'auraient pas
les aptitudes nécessaires pour se prémunir de façon
adéquate contre les aléas. Ils n'auraient ni une bonne
connaissance des différentes modes de prévoyance, ni une
information fiable sur les risques qu'ils encourent personnellement.
N'étant que périodiquement confrontés à la
réalisation d'aléas lourds, les prévoyants accumuleraient
peu de connaissances à partir de leurs propres expériences ou de
celles de leur entourage proche. Ex post, une fois un risque
réalisé, les consommateurs pourraient encore être
handicapés par l'imperfection de l'information. Les économistes
de la santé craignent notamment que les personnes ayant recours au
système médical ne se fassent abuser par des praticiens induisant
une demande superfétatoire.
3
contrats uniformes tarifés au risque moyen (Mougeot,
1999). Dans ces conditions, les « mauvais risques » sont les plus
gros demandeurs d'assurance au sein d'une population
hétérogène. In fine, les producteurs de
sécurité seraient financièrement
déstabilisés faute d'avoir correctement anticipé la
sinistralité globale.
Une seconde inquiétude, quant au fonctionnement d'un
marché de protection sociale, a trait à l'aléa moral.
Cette notion caractérise la situation où un assuré
pourrait influer sur la probabilité des états de la nature contre
lesquels il s'est prémuni4. La personne couverte sera, en
effet, à même de prendre plus de risque ou de diminuer ses efforts
de prévoyance (Arrow (1963) ; Stiglitz (1969)). De plus, il est possible
que certains assurés adoptent - sciemment ou inconsciemment - un
comportement inflationniste. Ils pourraient maximiser leurs dépenses en
se livrant au nomadisme médical ou en optimisant la durée de leur
période de recherche d'emploi (Stigler, 1962).
Une bonne partie du débat sur les systèmes de
protection sociale tourne autour de la relation qui existerait entre l'objectif
d'équité et l'objectif de croissance. Il est souvent fait
allusion à la « faisabilité budgétaire » des
dispositifs sociaux et à leur impact sur la propension des individus
à travailler et à épargner. L'équité, qu'on
appréhende sous l'angle de l'accès aux services sociaux ou de la
distribution finale du revenu, est habituellement perçue comme ayant un
coût en termes de production non réalisée, dont certains
estiment qu'il vaut d'être supporté quand d'autres sont d'avis
contraire.
En fait, il existe des théories plausibles qui
montrent que la distribution du revenu peu avoir une incidence, positive ou
négative, sur la croissance, sans agir par l'entremise de la protection
sociale (Förster (2000) ; Förster et Pearson (2002)). Le
caractère actuel de la question trouve sa preuve, lors du Sommet de
Lisbonne en 2000, où l'Union Européenne s'est fixée comme
objectif d'aboutir, en dix ans, à « une économie
basée sur le savoir, la plus compétitive et la plus dynamique du
monde, capable d'une croissance économique durable ». A
mi-parcours, le constat est décevant. Entre 1992 et 2004, la croissance
du PIB dans la zone euro n'a atteint que 1,7% contre 3,2% aux
Etats-Unis5. Alors que l'Europe s'était engagée dans
le processus de rattrapage jusque dans les années 90, elle stagne, voir
régresse aujourd'hui par rapport aux Etats-Unis. Dans ce contexte, le
discours dominant concernant les
4 Une distinction mise en avant par Gollier (1996),
il y a un aléa moral ex ante dès lors que
l'assuré n'assume plus individuellement toutes les conséquences
financières de ses actes. S'ajoute un aléa ex post
lié aux différents abus à l'assurance. Il est par
exemple de notoriété publique que les fraudes sont
particulièrement importantes dans l'assurance transport ou incendie.
Dans ces branches, qui constituent des applications les plus anciennes de
l'assurance, un certain nombre de sinistres résultent
néanmoins.
5 Voir BNP-PARIBAS. Reformes et
Compétitivité :où est la vieille Europe ? in Conjoncture,
avril 2005.
4
effets négatifs de la protection sociale sur la
croissance, trouve des échos en Europe (Hoareau-Sautieres et Rascle,
2005).
Au niveau des institutions de Breton Woods, les
récents travaux de la Banque mondiale ont montré le rôle
que joue la protection sociale dans l'accélération de la
croissance. Les analyses faites sur la crise financière qui a
frappée les pays de l'Asie de l'Est en 19971998 ont
révélé que la croissance n'était pas suffisante
pour assurer une réduction de la pauvreté. En effet, la relative
organisation familiale qui était supposée assurer les
solidarités pour faire face aux chocs s'avère insuffisante quand
intervient un choc dans un contexte de croissance rapide. La protection sociale
constitue l'un des piliers fondamentaux et prend une dimension
particulière dans ses fonctions transversales6 par rapport
aux autres piliers du « Travail décent » que sont le
dialogue social, le travail et les normes.
L'incidence de la protection sociale sur la croissance divise
l'avis des théoriciens. Globalement, les enseignements que l'on peut
retirés de ces théories ne permettent pas de se faire une opinion
tranchée sur cette question. Une première thèse,
initiée par Mirrles (1971) dans le cadre d'une réflexion sur la
fiscalité optimale, met en évidence un effet négatif de la
protection sociale sur la croissance. Le versement de prestations sociales
pourrait réduire l'offre de travail et donc les ressources en
main-d'oeuvre sur lesquelles s'appuie la croissance, les
bénéficiaires n'étant plus inciter à chercher un
emploi. De plus, ces prestations ont pour contrepartie la mise en place d'un
système de prélèvements susceptibles de ralentir
l'épargne et par la même les investissements, source de croissance
économique. Ceci rejoint les avis d'autres théoriciens (Vanhoudt
(1997) ; Gwartney, Lawson et Holcombe (1998) ; Atkinson (1999) ; Milanovic
(1999) ; Tabellini (2000) ; Cassamatta et al. (2000)).
Différents arguments s'opposent à cette
conception très négative de la protection sociale. D'abord, en
évitant la marginalisation des plus pauvres et leur sortie durable du
système productif, la protection sociale permet de renforcer les
potentiels de croissance (Parent, 2001). Ensuite, en limitant les tensions
sociales, elle instaure un climat favorable à la prise de
décisions politiques et économiques, même difficiles, ce
qui peut améliorer les perspectives de développement durable
(Sala-i-Martin, 1996). Enfin, les mécanismes de marché sont
défaillants à certains égards, notamment en matière
d'assurance contre la perte d'emploi, de revenu et la protection sociale joue
un rôle important à ce niveau. En couvrant un certain nombre de
risques, elle peut encourager l'esprit d'entreprise et le développement
de certains investissements, comme par exemple l'investissement dans de
nouvelles technologies
6 Ces fonctions sont : (1) la fonction de
sécurité sociale et (2) la fonction de maintien du revenu.
5
(Ahmad et al. (1991) ; Alesina et Rodrik (1994) ;
Imrohoroglu et al. (1995) ; Easterly et Levine (1997) ; Hubbard et
Judd (1998)).
Forbes (2000) fait valoir que les techniques d'estimations
qui ont été utilisées pour ces tentatives d'examen des
liens entre protection sociale et croissance étaient erronées. La
redistribution du revenu est largement ouvert dans les pays pauvres, elle l'est
moins dans les pays riches. En fait, il ressortait de ces études, qui
avaient souvent recours à la technique des MCO sur données
transversales, qu'un resserrement de la distribution du revenu est de nature
à permettre à un pays de se rapprocher du groupe des pays riches.
Or, en examinant l'évolution des pays dans le temps (sur la base des
données de panels), ceci permet d'identifier les effets de la protection
sociale indépendamment des effets-pays.
Une étude empirique récente de l'impact sur la
croissance de la protection sociale est celle d'Arjona, Ladaique et Pearson
(2002), qui estiment une équation de la croissance7 sur la
base des données annuelles portant sur 21 pays de l'OCDE et couvrant la
période 1970 à 1998, la démarche théorique
étant empruntée à Bassanini et al. (2001). Les
élasticités partielles montrent que si les dépenses
sociales passaient d'environ 18,5% du PIB à 19,5%, le PIB se trouverait
réduit à long terme de 0,7%. Les estimations semblent indiquer
que le fait de porter les dépenses actives de 0,63% du PIB à
0,73% du PIB entraînerait une augmentation à long terme du PIB de
près de 1%. L'estimation de la composante « passive » laisse
supposer que si cet élément passait de 20,7% à 20,8% du
PIB, il en résulterait une réduction à long terme du PIB
de 0,2%. On peut alors remarquer que : selon que les dépenses sociales
sont « actives8 » ou « passives 9»,
l'effet sur la croissance diverge.
Mais ces conclusions sont liées à un grave
problème de sous-détermination du modèle utilisé.
Les modèles estimés10 excluent un certain nombre de
facteurs potentiellement importants pour la croissance tels que les indicateurs
d'environnement entrepreneurial, d'innovation, de qualité de
l'éducation, de RáD, de stabilité macroéconomique,
d'ouverture aux échanges, de situation géographique, de religion,
etc. De plus, la représentation sur les moyennes et les groupes de pays
cache derrière elle une très grande
hétérogénéité entre les pays. Plusieurs pays
ont connu des changements très limités dans leurs niveaux de
protection sociale malgré leurs performances relativement satisfaisantes
en matière de croissance (Banque mondiale, 2001).
7 Dérivant du modèle de Mankiw,
Romer et Weil (1992) ayant amandé le modèle pionnier de Solow
(1956) en introduisant le capital humain comme troisième facteur de
production.
8 La définition étroite est de les
rattacher exclusivement aux politiques actives du marché du travail.
9 Liées aux transferts monétaires et de
services.
10 Il s'agit du modèle à effets fixes,
Pool Mean Group et M-G-M avec variables instrumentales.
6
En Afrique, seulement 5% à 10% de la population active
bénéficie d'une couverture sociale, ce qui dénote d'une
dégradation de la situation au cours des vingt dernières
années. Pourtant l'article 22 de la Déclaration des Droits de
l'Homme de 1948, qui consacre « le droit de tout être humain
à la sécurité sociale », indique que les
obligations des Etats en matière sociale requièrent l'effort
national mais aussi la coopération internationale. Dans la
majorité des pays africains, l'économie repose sur un secteur
informel hypertrophié, incluant combines et travail au noir, qui entrave
la mise en place d'un système général de protection
sociale. Seulement, les salariés et les fonctionnaires - qui
représentent à peine 10% de la population active en moyenne selon
les pays - en bénéficient.
L'échec des Programmes d'Ajustements Structurels a
accru le côté informel de l'économie dans les années
1980 et 1990, une étude du ministère français des affaires
étrangères note : « avec la crise économique,
puis l'ajustement structurel, des problèmes administratifs, financiers
et économiques graves sont apparus et ont fragilisé la situation
de la protection sociale. Son coût a augmenté tandis que le niveau
de revenu et parfois le nombre de travailleurs du secteur public ont
stagné et, globalement, le nombre de salariés a baissé au
profit des secteurs traditionnels et informels » (Boyer et al.,
2000). Les classes urbaines aisées ont recours à l'assurance
privée. Les pauvres, moins en mesure de s'auto-protéger, ne
dépensent que lorsque le besoin se fait pressant. Ils ont alors recours
à la solidarité traditionnelle (assurance dite communautaire) :
épargne, tontine, dons, entraide familiale. Cependant, les
systèmes « traditionnels » de protection sociale offerts au
niveau des communautés sont mis à rude épreuve du fait de
la « modernisation » des économies (urbanisation,
mobilité géographique, montée de l'individualisme), de
croissance démographique et la persistance des crises économique
et politique.
Le Cameroun frappé de plein fouet par la
récession mondiale de 1987 après plus de deux décennies de
croissance soutenue, a dû mettre en oeuvres plusieurs
programmes11, en particulier avec le concours des institutions de
Breton Woods. Ceci a entraîné une modification radicale du
contexte socio-politique et macroéconomique, par exemple, les
dépenses publiques ont été réduites (à peine
3,0% du budget national), les licenciements massifs et la baisse drastique des
salaires ont contribué à la détérioration des
conditions de vie des ménages. La protection sociale au Cameroun se
trouve aujourd'hui confrontée à un dilemme. D'un
côté, on note une incapacité des pouvoirs publics à
étendre cette protection sociale à toute la population,
malgré les efforts accomplis jusque là. D'un autre
côté, les effets
11 Il s'agit des PAS, FSRPC.
7
pervers de la crise économique ont
révélé l'inefficacité des différents
regroupements sociaux à assurer la protection sociale des individus. Par
ailleurs, les disparités entre les différentes institutions
chargées de la politique sociale12 caractérisée
notamment par un manque de cohérence, de coordination et
l'incapacité des entreprises privées à offrir des emplois
stables et durables. En milieu urbain, faute de prestations sociales ou
d'allocations de chômage, une bonne partie de la population,
malgré une solidarité familiale solide, ne peut pas subvenir
à leurs besoins en étant au chômage et doit rejoindre le
secteur informel ou des formes d'emploi informel. Les individus vivant en
milieu rural, pour faire face à la pauvreté sévère
doivent s'engager activement dans les activités précaires comme
l'agriculture de subsistance. Le taux d'informalité est ainsi
passé de 83,8% en 1996 à 90,4% en 2005. Cette hausse de la
précarité des emplois rend aléatoire les perspectives
d'intégration sociale. Les enjeux liés aux objectifs de
réduction de la pauvreté, de croissance et de renforcement d'une
économie basée sur la solidarité et le
développement humain place la stratégie de protection sociale au
coeur des politiques publiques au Cameroun.
De manière générale, les analyses
économiques des effets de la protection sociale sur la croissance se
sont beaucoup développées au cours de ces dernières
années et portaient pour la plupart sur les pays industrialisés
(pays de l'OCDE, par exemple). Elles sont généralement
caractérisées par l'introduction d'un indicateur de protection
sociale comme variable explicative supplémentaire dans les
modèles de croissance (Castles et Dowrick (1990) ; Cashin (1994) ;
Lindert (1996)). Cependant, l'insuffisante disponibilité des
données relatives aux mesures de protection sociale a amené
certains auteurs à privilégier les variables de redistribution
telles que : la part des transferts dans le P11B (Keefer et Knack, 1995), la
part des dépenses publiques d'éducation, de santé et de
logement rapporté au P11B (Devarajan et al. (1993) ; Easterly
et Rebelo (1993) ; Perotti (1996)), droits de propriété
(Gwartney, Lawson et Holcombe, 1998).
Ce foisonnement des travaux empiriques a été
facilité par la disponibilité d'un arsenal de nouvelles
techniques économétriques qui ont permis de venir à bout
des problèmes d'endogénéité et de variables omises
généralement rencontrés dans l'estimation des
modèles de croissance (Caselli et al., 1996). Ces nouvelles techniques
ont également conduit à mettre à la disposition des
chercheurs une batterie de tests destinés à évaluer la
pertinence des spécifications utilisées.
12 11l s'agit de la Caisse Nationale de
Prévoyance Sociale, des ministères : de l'éducation
nationale, santé publique, emploi et formation professionnelle, affaires
sociales et condition féminine, des assurances privées.
8
Malgré ces avancés, les résultats des
estimations restent quelque peu nuancés. La littérature aussi
bien théorique qu'empirique relative aux liens entre protection sociale
et croissance reste marquée par de nombreuses divergences qui
témoignent à la fois de son incomplétude et de la
nécessité de restreindre l'analyse à des cas particuliers.
Au regard de toutes ces insuffisances et compte tenu des
spécificités de l'économie camerounaise, la
présente étude se propose de répondre à la question
suivante : la protection sociale contribue-t-elle à
l'amélioration de la croissance au Cameroun ? Plus
spécifiquement :
> dans le cas où Sevestre (1990) définit la
productivité des facteurs (capital, travail) au sein d'une entreprise,
d'un secteur ou de l'ensemble de l'économie, comme dépendant de
la qualification de la main d'oeuvre employée. La productivité
est ainsi considérée depuis Adam Smith (1776) comme la source
principale de la croissance et de l'augmentation de niveau de vie,
quel est l'impact de la protection sociale sur l'évolution de la
productivité des individus ?
> dans quelles mesures la politique de
protection sociale affecte-t-elle la croissance ?
II : INTERET DE
L'ETUDE
Face à cette problématique, cette étude
revêt un intérêt double : théorique et pratique.
- Sur le plan théorique : au regard
de la montée de la précarité des emplois et de la
vulnérabilité au Cameroun après l'atteinte du point
d'achèvement de l'initiative PPTE le 28 avril 2006, la mise en oeuvre
des systèmes de protection sociale nécessite une croissance forte
en mesure de promouvoir les emplois et d'accroître les cotisations
sociales. De ce fait, ils constituent un élément important dans
la mise en place des stratégies de croissance et de réduction de
la pauvreté (SCRP) qui sont au coeur de la politique économique
et sociale au Cameroun.
- Sur le plan pratique,
l'intérêt sera cerné à partir des preuves empiriques
de l'incidence des systèmes de protection sociale sur la croissance. Et
partant, permettra de réguler les dépenses de protection sociale
en évitant un gaspillage des fonds publics, mais aussi de l'orientation
à apporter aux systèmes de protection sociale pour qu'ils soient
efficaces.
9
III : OBJECTIFS ET
HYPOTHESES
L'objectif de cette étude est de cerner les
effets de la protection sociale sur la croissance au Cameroun. Plus
spécifiquement :
- d'analyser l'impact de la protection
sociale sur la productivité du travail sachant que cette dernière
est une source de la croissance ;
- d'apporter des éclaircissements à partir des
preuves empiriques de ce que peut être la relation entre protection
sociale et croissance au Cameroun.
Pour mesurer les liens existants entre la protection sociale
et la croissance, on peut formuler l'hypothèse suivante : la
protection sociale a un impact positif sur la croissance. Plus
spécifiquement :
H1 : Une hausse de la couverture sociale entraîne
une augmentation de la productivité de la main d'oeuvre,
H2: Une augmentation des dépenses de protection
sociale affecte positivement la croissance.
IV : METHODOLOGIE
La démarche adoptée consiste à avoir une
approche microéconomique et macroéconomique de l'incidence de la
protection sociale sur la croissance. Ici, on présente surtout la
méthodologie empirique. Suivant une approche microéconomique,
cette incidence peut être perçue à travers la relation
théorique et statistique protection sociale - productivité du
travail. Pour cerner l'effet de la protection sociale sur la
productivité du travail, on fera une analyse statistique de la
corrélation entre les prestations sociales reçues et la
productivité par travailleur. Ceci permettra de déterminer le
sens et l'intensité de la liaison existante entre les deux variables et
partant on testera l'hypothèse H1.
Suivant une approche macroéconomique, bien que les
théories qui sous-tendent les tentatives visant à tester
empiriquement les liens entre la protection sociale et la croissance soient
parfois complexes, dans la pratique, pour effectuer une estimation il s'agit
presque toujours de prendre un modèle des causes de la croissance et d'y
ajouter des mesures de protection sociale. La démarche empirique suivie
pour tester la deuxième hypothèse s'inscrit dans la droite ligne
de cette tradition : elle prend le modèle de croissance de Mankiw, Romer
et Weil (1992) et s'efforcera de déterminer si l'évolution des
dépenses publiques de
10
protection sociale13 pourrait expliquer certains
points qui ne trouvent pas de réponses dans le modèle de base.
L'équation de la croissance est estimée sur la base des
données annuelles couvrant la période 1975 à 2006. Le
choix de cette période est le résultat d'un compromis entre les
diverses phases de croissance de l'économie camerounaise et des
séries chronologiques disponibles. En particulier, les données
relatives aux dépenses de sécurité sociale qui ne sont
disponibles qu'après 197314. La méthode d'estimation
appropriée dérivera des résultats des tests de
stationnarité et de cointégration afférents à
l'estimation des séries temporelles.
Les dépenses de sécurité sociale sont
tirées de la base de données sur l'organisation financière
de la CNPS et confirmée par l'annuaire statistique de l'économie
camerounaise de l'Institut National de la Statistique. Par ailleurs, les
données relatives au taux brut de scolarisation du primaire et du
secondaire sont issues du MINEDUC et les autres variables ont été
fournies par les tables statistiques de la Banque mondiale (World Tables).
V : PLAN
Suivant cette méthodologie, la présente
étude sera effectuée en deux parties selon une vision
microéconomique et macroéconomique des effets de la protection
sociale sur la croissance. Etant donné que le niveau de vie moyen dans
un pays est souvent appréhendé par son PIB par habitant. Cet
indicateur peut être comptablement décomposé comme le
produit de la productivité horaire du travail, de la durée
moyenne du travail, du taux d'emploi de la population en âge de
travailler et enfin de la part de la population en âge de travailler dans
la population totale (Cette, 2004). Cette simple relation comptable (qui peut
également s'écrire sur les taux de croissance des mêmes
variables, mais de façon additive et non plus multiplicative) fait
apparaître que le PIB par habitant est, « toutes choses
égales par ailleurs », fonction croissante de chacune de ses
composantes, parmi lesquelles la productivité par heure
travaillée. Pour autant, comme cela sera illustré dans la
suite de l'étude, toute variable qui a un effet sur la
productivité du travail affecterait également la croissance
(Artus et Cette, 2004). On montrera dans la première partie que la
protection sociale affecte la croissance à travers son impact sur la
productivité du travail et dans la deuxième partie on fera une
analyse macroéconomique de la relation protection sociale -
croissance.
13 Les dépenses de protection sociale sont
captées à travers les dépenses de sécurité
sociale.
14Date de l'institution d'une base de données
à la Caisse Nationale de Prévoyance sociale du Cameroun.
PROTECTION SOCIALE ET CROISSANCE :
effets microéconomiques
Première partie
11