Conclusion
Dans l'optique de mettre en exergue les responsabilités
des divers acteurs de la dynamique des types d'occupation du sol dans le
terroir, leurs caractéristiques ont été mises en
évidence dans ce chapitre. Il ressort que les autorités
traditionnelles qui attribuent les terres, ainsi que le HCR et ses partenaires,
contribuent de manière indirecte à cette dynamique. Les
agriculteurs caractérisés par l'ignorance des techniques de
conservation en eau, sol et végétation ; les éleveurs
devenus pour la plupart sédentaires, les bûcherons, les artisans
et les ménages en sont les acteurs directs. Le constat patent est la
forte représentation des réfugiés centrafricains au sein
des différents groupes d'acteurs directs. La dynamique
accélérée des types d'occupation du sol dans le terroir de
Ndokayo est à l'origine de problèmes socioéconomiques dans
le terroir. Le chapitre suivant est consacré leur analyse.
82
Chapitre 4. Conséquences socioéconomiques
de
la dynamique des types d'occupation du sol.
Introduction
La dynamique des types d'occupation du sol dans le terroir
Ndokayo est caractérisée par une augmentation du bâti et
une extension des superficies cultivées aux dépens de la savane
arbustive dense. Liée à la présence de divers groupes
d'acteurs dans le terroir, celle-ci s'accompagne d'une mauvaise organisation de
l'espace et une dégradation accélérée des
ressources végétales du terroir. De cette situation sont
nés de multiples problèmes. Les conséquences de la
dynamique des types d'occupation du sol dans le terroir sont surtout
socioéconomiques. Il s'agit dans ce chapitre de les analyser. Les
conflits entre les différents groupes d'acteurs et la diminution des
sources de revenu des ménages ainsi que leur moyen d'existence ne
sont-ils pas les retombées de l'accélération du
phénomène?
4.1. Les conflits entre les groupes d'acteurs :
accentuation et apparition de nouvelles formes
Avant la période 2000, les conflits entre les groupes
d'acteurs à l'instar des conflits agropastoraux n'étaient pas
monnaie courante dans le terroir de Ndokayo. Tout semble avoir pris le pas
après cette date. Tout porte à croire qu'il existe un lien entre
ces conflits et la dynamique accélérée des types
d'occupation du sol sous-tendu par une dynamique spatiale. Avant toute chose,
il est nécessaire que l'on cerne la notion d'acteurs.
La notion d'acteurs dans le cadre de cette analyse renvoie
à tous ceux qui, éventuellement, exercent une activité
impliquant au moins une ressource naturelle du terroir. Il s'agit donc : des
éleveurs, des agriculteurs, des bucherons et des artisans.
83
Les conflits naissent très souvent suite à la
pratique d'activités paradoxales dans un même cadre spatial et de
la compétition pour les ressources naturelles devenues insuffisantes.
Sur le plan général, il n'existe pas de données
chiffrées exhaustives relatives à l'évolution des conflits
entre les groupes d'acteurs dans le terroir de Ndokayo, notamment les conflits
agropastoraux. Les données contenues dans les rapports annuels
d'activités du poste agricole de Ndokayo de 2004 de 2006 à 2010
ne permettent pas de faire une appréciation de l'évolution des
conflits. En effet, les conflits évoqués dans ces documentent ne
sont qu'à titre d'exemple et ne reflètent en aucun cas le nombre
de conflits agropastoraux dans le terroir.
Par ailleurs, des plaintes relatives aux conflits entre les
différents groupes d'acteurs ont été enregistrées
à la sous-préfecture et de la brigade de gendarmerie de
Bétaré-Oya. La plupart des conflits sont agropastoraux et ces
conflits se sont accentués à partir de 20089. Selon
les autorités traditionnelles du terroir, le nombre de plaintes
enregistrées au niveau de la sous-préfecture et de la brigade de
gendarmerie est très distant de la réalité dans le
terroir, celle-ci leur étant généralement portée
oralement par les plaignants. Selon eux, les plus anciens conflits opposent les
agriculteurs et les éleveurs. Ces conflits se sont accentués
entre 2000 et 2011. Les nouveaux conflits dans le terroir de Ndokayo opposent
les agriculteurs et les bucherons, les bucherons entre eux. En
arrière-plan de ces conflits se situe un élan politique du fait
de la forte implication des réfugiés centrafricains dans
certaines activités et des Camerounais dans d'autres.
4.1.1. L'accentuation des conflits
agropastoraux
La sédentarisation des éleveurs bovins venus de
la République centrafricaine dans le terroir de Ndokayo a induit une
dynamique pastorale. Parallèlement, l'on assiste à un
développement spatial de l'agriculture. Il se pose donc le sempiternel
problème de la pratique de ces deux activités paradoxales dans un
même cadre spatial.
9 Selon le sous-préfet et le commandant de brigade de
l'arrondissement de
Bétaré-Oya,
84
Ainsi, les conflits agropastoraux dans le terroir de Ndokayo
ont pour cause la compétition pour l'utilisation des ressources
naturelles qui se manifeste par la mauvaise gestion des espaces avec d'un
côté les agriculteurs, qui mettent en valeur des terres et de
l'autre côté des éleveurs qui font paitre leurs troupeaux
sur les mêmes terres.
? Les conflits agropastoraux dus aux incursions du
bétail dans les champs
La pratique agricole dans le terroir de Ndokayo s'est
développée après l'installation des réfugiés
centrafricains. A côté de cette activité, l'élevage
bovin a aussi connu un développement considérable. L'augmentation
du cheptel bovin s'explique tout simplement par sédentarisation des
éleveurs, pour l'essentiel des réfugiés centrafricains.
L'agriculture et l'élevage bovin sont pratiqués dans le
même cadre. La savane arbustive dense qui est progressivement mise en
valeur par les agriculteurs est parallèlement fréquentée
par les éleveurs bovins qui y font paitre leurs troupeaux. La savane
arbustive dense du terroir constitue de vastes pâturages. Elle est riche
en herbes fraiches. Dans un tel contexte, la gestion des espaces n'est en aucun
cas aisée.
En effet, l'extension des champs de culture réduit
considérablement les pâturages. Cette extension des champs se fait
de manière anarchique, si bien qu'éleveurs et agriculteurs, deux
acteurs paradoxaux se retrouvent en train d'exploiter les mêmes domaines.
Il devient alors difficile d'empêcher les incursions des troupeaux dans
les champs (Tchotsoua et Gonné, 2009). Nombre d'agriculteurs au sein du
terroir expliquent par ailleurs les mauvais rendements par ces incursions des
troupeaux qui se soldent généralement par la destruction totale
ou partielle des cultures. Cette situation est à l'origine des relations
conflictuelles et parfois très tendues entre agriculteurs et
éleveurs du terroir. Les aboutissements de telles tensions sont parfois
des affrontements entre les deux parties à l'insu desquels l'on
déplore des pertes en vies humaines. C'est seulement dans des cas rares
que les deux parties optent pour une résolution pacifique de leurs
différends.
85
? Les «champs pièges »
Les conflits agropastoraux dans le terroir de Ndokayo,
occasionnés par l'incursion du bétail dans les champs de culture,
ne relèvent pas toujours de l'ordinaire. Certains conflits sont
liés au manège de certains « agriculteurs » qui mettent
en oeuvre des « champs pièges ». La notion de « champs
pièges » renvoie aux cultures pratiquées sur les parcours
pastoraux. Il s'agit d'une manoeuvre de certains agriculteurs dans la seule
optique de se faire de l'argent. Cette situation est assez fréquente et
doit être prise en compte lorsque l'on veut expliquer l'accentuation des
conflits agropastoraux dans le terroir de Ndokayo.
Toutefois, les incursions des troupeaux liées à
la mauvaise gestion des espaces ne sont pas seulement la seule cause des
conflits agropastoraux. La gestion des pâturages est aussi une des
raisons à l'origine des conflits agropastoraux.
? Les conflits agropastoraux liés à
l'entretien des pâturages par les feux de brousse
La pratique pastorale induit la gestion des pâturages de
la part des éleveurs. Les pâturages sont entretenus par les feux
de brousse. La pratique des feux de brousse dans les savanes à emprise
agricole comme dans le terroir porte parfois préjudice aux cultures.
En effet, Manihot esculata, principale plante
cultivée, a un cycle biologique variant de 8 à 12 mois selon la
variété. Les plants de cette espèce passent la presque
totalité de l'année en terre. Durant la saison sèche, le
passage des flammes au voisinage des champs ou dans les champs, où
l'herbe a déjà séché, décime les plants.
Cette situation est à l'origine de fréquents conflits entre
éleveurs et agriculteurs.
Les conflits liés à la dynamique de l'occupation
du sol dans le terroir de Ndokayo opposent aussi les propriétaires
fonciers et les bucherons au sujet des ressources ligneuses.
86
4.1.2. Les conflits entre les propriétaires
fonciers et les bucherons
Dans le terroir de Ndokayo, de vastes domaines de plusieurs
dizaines d'hectares ont été achetés par des personnes
privées. Ces domaines n'ont jamais fait l'objet d'une mise en valeur.
Pour la plupart, ce sont des terrains délimités et
clôturés à l'aide de fils barbelés. Ces terres qui
attendent d'être mises en valeur par leurs propriétaires font
l'objet des visites de bucherons qui s'attaquent aux ligneux qui y poussent.
Lorsque ces derniers sont surpris en flagrant délit, des affrontements
s'en suivent généralement. Par ailleurs, ce type de conflit
oppose aussi agriculteurs et bucherons.
La pression humaine dans le terroir de Ndokayo, a conduit
à une diminution des ressources ligneuses utilisées comme source
d'énergie dans l'essentiel des ménages du terroir. Il est devenu
difficile de s'approvisionner en bois de chauffe et de service. Les bucherons
et les ménagères s'attaquent désormais aux arbres
fruitiers plantés par les agriculteurs locaux. Cette situation entraine
aussi des conflits.
4.1.3. Les conflits entre les bucherons
Les conflits entre les bucherons sont un fait nouveau dans le
terroir de Ndokayo. Cette situation qui nait de la compétition pour les
ressources ligneuses est surtout liée à leur raréfaction
dans les environs immédiats situés à proximité du
centre du terroir. Depuis quelques années, la coupe du bois de chauffe
et du bois de service de coupes se fait à plusieurs centaines de
mètres de la zone d'habitation. Les plants coupés sont
regroupés et abandonnés sur place en attendant leur
assèchement. Très souvent, les auteurs de la coupe après
avoir attendu durant des mois font face des surprises
désagréables. Dans la plupart des cas, d'autres bûcherons
s'emparent de leur bien.
Dans ce secteur d'activité dominé par les
réfugiés centrafricains, les tords leurs sont attribués
par les populations camerounaises ; lesquelles ont parfois revendiqué
leur rapatriement. Généralement, les tensions montent entre les
deux parties et vont jusqu'aux affrontements, lesquels se soldent parfois par
des morts d'Homme.
Au total, la dynamique accélérée des
types d'occupation du sol entraine des conflits entre les différents
groupes d'acteurs exerçant dans un même cadre spatial.
87
Par ailleurs, la compétition pour les ressources
naturelles est aussi liée à leur diminution. La diminution des
ressources naturelles concourt au sous-développement local.
4.2. La dynamique accélérée des types
d'occupation du sol : une entrave au bien-être des populations
locales
Le problème de la diminution des ressources naturelles
que sous-tend la dynamique accélérée des types
d'occupation du sol, dans le terroir de Ndokayo, a un impact
considérable sur le développement local. La surexploitation des
ressources naturelles, notamment les ressources ligneuses, a conduit à
leur érosion quantitative et spécifique. Cette situation a des
effets considérables sur le bien-être des populations locales.
Pour montrer cet impact négatif, nous analysons tout d'abord les
principaux usages de ces ressources par les populations du terroir. L'impact de
leur diminution en ressort alors de manière conséquente.
4.2.1. Les principaux usages des ressources
végétales dans le terroir
La végétation est la ressource naturelle la plus
utilisée dans le terroir de Ndokayo. Elle fait l'objet d'une
surexploitation de la plupart des acteurs. Les bucherons et les artisans
s'attaquent le plus aux ressources ligneuses. Les ressources ligneuses sont
aussi exploitées par les ménages. Les éleveurs, quant
à eux, à exploitent le plus les pâturages. Les usages des
ressources végétales sont donc multiples.
Les ligneux sont généralement exploités
pour le bois de chauffe. Le bois constitue la première source
d'énergie dans le terroir (Figure 19). Plus de 96,25 % de ménages
utilisent cette source d'énergie.
Les ligneux sont aussi exploités pour les ouvrages et
les services divers, notamment la construction des habitations. Les produits
ligneux sont aussi utilisés dans le domaine de l'artisanat.
88
Source : enquête de terrain 2011
Figure 19. Répartition des sources
d'énergie utilisées dans les ménages.
Un autre usage des végétaux en
général et des ligneux en particulier est la pharmacopée.
Les soins de santé de la médecine moderne n'étant pas
accessibles à tous, le traitement des maladies se fait localement
à base de plantes. Les fruits de la majorité de ces plantes font
partir de l'alimentation des populations.
Par ailleurs, l'exploitation des ligneux est aussi fonction de
l'espèce. Dans les savanes arbustives claires, ce sont Hymenocardia
acida, Vitex doniana, Piliostigma tonningii, Annona Senegalensis, Aubrevillia
Kerstingii, Burkea africana, Crossopteryx februfiga, Ficus capensis et
Terminalia laxiflora qui sont le plus exploité (Figure 20).
L'analyse des relevés floristiques permet de constater que les individus
de ces espèces sont le plus souvent élagués et
dessouchés. La savane arbustive dense est par ailleurs l'espace
pastoral.
Source : relevés floristiques, 2011.
89
Figure 20. Fréquences spécifiques de
l'état des individus dans la savane arbustive dense.
90
Dans la galerie forestière, les ligneux
présentent une faible marge de dégradation. Ce qui sous-entend un
faible seuil d'exploitation par les différents acteurs locaux.
Toutefois, les espèces tel que Uapaca togoensis, Aubrevillea
Kerstingii, Anoyeisus leiocarpus, Clausena anisata, Erythtrolium africanum,
Gacinia ovalifolia, Dyospiros mespiliformis, Syzygium guineensis sont les
plus exploités (Figure 21).
Source : relevés floristiques, 2011.
Figure 21. Fréquences spécifiques de
l'état des individus dans la galerie forestière.
91
Il est donc fort de constat que les populations du terroir
sont tributaires de ces ressources. La diminution des ressources naturelles est
donc synonyme d'une menace à leurs moyens d'existence.
4.2.2. L'impact de la raréfaction des ressources
végétales sur le bien-être des populations
locales
L'impact de la dégradation des ressources
végétales sur le bien-être des populations est une
réalité vécue dans le terroir de Ndokayo.
S'agissant des ressources ligneuses, leur réduction
dans les environs des secteurs habités du terroir rend l'accès
à ces ressources difficiles. Les bucherons et les
ménagères se déplacent sur de longues distances pour avoir
accès au bois de chauffe. Cette difficulté d'accès rend le
coût élevé au moment de la commercialisation.
S'agissant des pâturages, l'extension des superficies
cultivées les a considérablement réduits. Les
éleveurs, pour paitre leurs troupeaux sont contraints de les conduire
aux premières heures de la matinée à une distance de
plusieurs kilomètres, pour revenir le soir. Pour éviter tout
risque de conflit avec les agriculteurs. En saison sèche, il devient
difficile pour les éleveurs de suivre les mêmes
précautions. Les déplacements des bêtes sur de longues
distances durant cette période les prédispose à des
conditions rudes conduisant à leur mort. C'est ainsi que certains
éleveurs du terroir perdent une bonne partie de leur troupeau durant
cette période. Ces pertes sont très significatives. Elles
entrainent une baisse des revenus des ménages dépendant de cette
activité.
En outre, la transformation régressive du couvert
végétal observé dans le terroir s'est accompagnée
de la raréfaction de certaines espèces végétales.
On assiste donc à une forme d'érosion de la biodiversité
végétale. Certaines espèces ligneuses utilisées en
pharmacopée sont devenues rares.
92
Tableau 7. Espèces ligneuses utilisées en
pharmacopée en voie de disparition.
N°
|
Noms scientifiques
|
Nom vernaculaire locale (Gbaya, Foulbé ou
Français)
|
1
|
Anayeisus leiocarpus
|
Kojoli
|
2
|
Aubrevillia kerstingii
|
Soumbou
|
3
|
Clausena anisata
|
Tefoto
|
4
|
Crossopteryx Febrifuga
|
Goup
|
5
|
Dainellia oliveri
|
Keha ou Kela
|
6
|
Dyospiros mespiliformis
|
Koro (Gb.), Ebène de savane (Fr,)
|
7
|
Eriocoelum Kerstingii
|
Nguékéré
|
8
|
Erythrina sigmoidea
|
Borondong
|
9
|
Ficus vallis Choudae
|
Mboro
|
10
|
Gacinia Ovalifolia
|
Onié de savane
|
11
|
Hymenodictyon floribundum
|
Ndia
|
12
|
Maprouena africana
|
Yékélé
|
13
|
Parinari Kerstingii
|
Kanga
|
14
|
Olax subscorpioidea
|
Tessinga
|
15
|
Gardenia ternifolia
|
Kiri
|
Sources: relevés floristiques et enquête de terrain,
2011.
Ce sont celles dont les racines sont utilisées pour la
pharmacopée traditionnelle. Les plants sont détruits de puis la
base pour l'exploitation des racines.
93
|