Dadaab, un refuge( Télécharger le fichier original )par Alexander BEE Université Paris 8 - Master I 2013 |
3. La sécurité, les risques de conflits : un argument au nom de l'endiguement.« L'installation des masses importantes de réfugiés aux frontières des pays en guerre, socio-économiquement ou politiquement fragilisés, s'accompagne généralement d'une augmentation de la violence, d'une plus grande compétition pour les ressources et de conflits avec les populations locales. Ce sont là autant de ficelles que s'empressent de tirer différents acteurs, tant du pays d'origine que du pays d'asile, pour qui cette masse humaine compactée dans des camps représente un véritable enjeu de pouvoir20(*). » Il existe une altérité culturelle et politique entre les kenyans et les Somali kenyan qui expliquerait les discriminations dont ont été victimes les réfugiés à leurs arrivés. Pérousse de Montclos nous dit que déjà à l'époque de la gouvernance britannique, les populations Somali établies au Kenya étaient régentées par une administration spéciale21(*). Celle-ci était différente de celle qui s'appliquait au reste du pays et demeura en place même après l'indépendance, sous l'état d'urgence. En 1926, le NFD fut déclaré closed district et special district en 1934. Ainsi, en son sein, la population bénéficiait d'un statut spécial avec une justice particulière. Ils échappaient au code pénal occidental et n'étaient sujet qu'à la seule justice coutumière. À l'arrivée des réfugiés, la première réaction du Kenya fut d'organiser leur rapatriement forcé. En avril et juin 1989, deux groupes de 5 000 personnes qui étaient arrivés dans le village de Liboi, près de la frontière, furent immédiatement réexpédiés chez eux22(*). Face à des arrivées toujours croissantes de réfugiés, il fut décidé, quelques mois plus tard, de procéder à un recensement. Ainsi, on somma chaque citoyen Somali du Kenya de venir se présenter aux bureaux de contrôle dans un délai de trois semaines sous peine d'arrestations. Prenant appui de cette altérité particulière, le gouvernement kenyan imposa, après enquête, aux populations Somali du Kenya le port d'une carte d'identité spéciale, attestant de leur authentique citoyenneté kenyanne. Celles-ci, la Somali Verification Card étaient de couleur rose, surnommées « pink cards ». Cette procédure suscitât un grand nombre de réactions à l'international compte tenu de son caractère discriminatoire. Notons que l'avocat ogaden et défenseur des Droits de l'homme Mohamed Ibrahim qui refusa de s'y soumettre fut arrêté lors d'une manifestation en 1990. Elle tomba en désuétude la même année et fut officiellement abandonnée en 1992. Nathalie Gomes explique ces mesures répressives par la volonté du gouvernement kenyan de légitimer sa lutte contre l'insécurité latente dans le Nord-Est du pays23(*). Selon elle, le gouvernement soupçonnait des bandes armées somaliennes et somaliennes-éthiopiennes de fournir un contingent de mercenaires aux communautés locales prises dans des luttes intestines. On accusait ces mercenaires de piller les convois dans la région dans le but de récupérer l'armement des escortes militaires. Le gouvernement les considérait aussi responsables de l'augmentation du braconnage et de la contrebande de trophées dans les parcs nationaux. On leur appliquât le terme de Shifta (bandits sanguinaires), responsables des pires crimes dans un pays où la ressource essentielle est le tourisme et donc, fortement dépendant de son image. Pérousse de Montclos nous dit que la guerre de sécession qui a suivie l'indépendance peut servir d'éclairage sur la façon dont est traitée la `'menace'' des réfugiés de 199124(*). L'implosion de la Somalie a fait perdre toute son importance aux litiges de frontières sur le NFD. Les réfugiés ne sont plus maltraités à cause des risques de sécession qu'ils pourraient amener dans la région mais parce qu'ils ne peuvent plus influencer les élites au pouvoir du fait de la marginalisation politique et économique de leurs congénères au Kenya durant les années précédentes. Le nord du Kenya est une région périphérique, un espace sous-développé (le taux de scolarisation était de 17% et 14% dans le district de Wajir au moment où Pérousse de Montclos écrit ces lignes à la fin des années 1990. Ces taux sont parmi les plus faibles du pays). Le nord est dirigé par le pouvoir central, de la même manière que sous l'autorité britannique. Lors de la création de la réserve de Kora, la population locale ne fut pas consultée pour en délimiter les frontières. Ainsi, les contours de la réserve empiètent sur les zones de pâturages des Boran et des Somali. Sur les terres qui ne sont pas immatriculées, appelée trust land, le gouvernement applique la loi coutumière pour gérer les problèmes fonciers. Elle attribue donc des droits d'usage mais pas de propriété. En 1978, le conseil municipal de Marsabit se référait aux aires de pâturage tribales de la même manière que sous l'autorité britannique pour interdire l'accès aux Somali dans le district de Moyale. En 1987 sont armés, à Isiolo, trois cents miliciens dont le but était de repousser les incursions nomades somali. Sont mis à contribution des rangers des parcs nationaux et, sous prétexte de lutte contre le braconnage, font un raid en 1996 contre les Somali qui fera treize morts. D'autre part, Marc-Antoine Pérousse de Montclos, parle des nombreux abus qui ont suivi le maintien de l'état d'urgence dans la province du Nord-Est. Le personnel de sécurité (non-Somali) se sent étranger dans un environnement qu'il perçoit comme hostile. En novembre 1980, furent assassinés six policiers qui avaient été accusés d'avoir torturé et castré un braconnier Somali. Cela provoqua la fureur des militaires qui, en représailles, tuèrent une centaine de personnes en mettant le feu à un village entier dans les environs de Garissa. D'autres incidents de ce type eurent lieu en 1981 à Wajir et en 1982 à Madogashe où plus d'une centaine de Somali furent crucifiés à des arbres. En 1984, après la découverte d'une cache d'armes, en réalité posée par la police, les forces de l'ordre firent plus de 2 000 victimes à Wajir. Dans ce district, sous prétexte de violences opposant des Degodia et des Ajuran, l'armée interdit aux habitants le ravitaillement en eau et procède à des exécutions collectives sur la piste de l'aéroport de Wagala. Il y aurait eu un peu moins de 300 cadavres (57 officiellement). Sous pression des occidentaux, l'état d'urgence est levé en 1991 ce qui correspond paradoxalement au moment où affluent les réfugiés somaliens25(*). La proximité culturelle entre les réfugiés et les habitants a pu favoriser l'intégration des exilés à Dadaab. Cependant, elle a aussi pu permettre à la guerre en Somalie de passer la frontière et de se prolonger dans les camps. Du fait que, comme nous l'avons dit plus haut, les réfugiés somaliens aient été assimilés aux Somali du Kenya, eux-mêmes ayant subit de lourdes discriminations et répressions militaires, les forces de sécurité kenyanes ont pénétré, en 1992 et 1993 dans les camps de Dadaab pour y tuer des réfugiés en invoquant leur droit de poursuite des bandits de la région26(*). Selon Marc-Antoine Pérousse de Montclos, ces bandits, ou Shifta, ont violé des femmes qui n'étaient pas de leur clan et le gouvernement kenyan n'a pas assuré la sécurité des réfugiés. Pire encore, il semblerait que les forces de l'ordre se seraient joint à certains de ces viols. La prise d'assaut par l'armé contre les shifta aurait fait une soixantaine de morts entre août et septembre 1992. Les bandits ont pu racheter leur liberté en corrompant les forces de sécurité qui, elles-mêmes, finissaient par remplir leur quota d'arrestation en utilisant des réfugiés... Au cours de l'année 1993, on a répertorié plus de quarante victimes parmi les réfugiés, tuées par la police ou l'armée en prison. Cinq furent « disparus » alors qu'ils étaient en détention, deux furent battus à mort, quatre furent abattus quand les forces de sécurité ont ouvert le feu et on n'a dénombré qu'une seule personne qui fut assassiné par des bandits27(*). Il existe cependant une mesure de taille entre ce qu'ordonne le gouvernement central à Nairobi et les « excès de zèle » des forces de sécurité sur place. Dans les camps mêmes de Dadaab, la sécurité fait tellement défaut que les organisations humanitaires se sont installées dans un unique camp de base situé en bordure du village, protégé par une triple défense de barbelés et de haies d'épineux. Pour se déplacer d'un camp à l'autre, le personnel doit utiliser un convoi sécurisé chaque matin et chaque soir. « The security situation in and around Dadaab has been deteriorating... despite additional live fencing being installed, banditry attacks within the camps (including looting, shooting etc.) have become almost daily occurrences. One or two bullets being fired is now considered as a minor incident and some shootings even appear not to have been reported to the police... A senior UNHCR staff security officer described the Dadaab situation as probably worse than in Kosovo28(*). » Bien que selon Jeff Crisp29(*) il soit impossible de quantifier le nombre de violence qui se passe sur le camp de Dadaab, il est cependant clair que des violences impliquant la mort ou des blessures graves se passent tous les jours. Crisp dresse une typologie des violences sous cinq différentes formes : les violences domestiques et communautaires ; les abus et violences sexuels ; les braquages à main armée ; les violences au sein d'un groupe de réfugiés de même nationalité ; les violences entre des groupes de différentes nationalités et les violences entre les réfugiés et la population locale30(*). La plupart des violences dont sont victimes les réfugiés sont celles qui leurs sont faites par des membres de leur propre famille ou communauté. Les femmes sont harcelées et parfois battues par leur mari et cela est finalement devenu acceptable par les réfugiés qui, du coup ne rapportent plus ces incidents à la police ou au HCR, rendant très difficile la connaissance de l'ampleur du problème. L'insécurité trouve aussi une expression dans la hiérarchie sociale et politique au sein même des communautés de réfugiés. Des hommes et des adolescents Somali doivent parfois quitter le camp pour retourner se battre dans leur propre pays, au nom d'un clan ou d'une faction auquel ils appartiennent. D'autres formes de violences sont bien sûr les viols et même les mutilations génitales féminines (excisions) qui sont largement répandues parmi les réfugiés Somali. Les violences sexuelles sont une menace constante pour les femmes dans le camp de Dadaab et ce, malgré un nombre important de mesures préventives. Mais tenter d'établir avec exactitude le nombre de viols commis est impossible. Certaines femmes, rongées par la honte de s'être fait violer, ne vont pas se présenter en tant que femme violée auprès des instances, alors que d'autres femmes, qui elles n'ont pas subie de viol vont se présenter tout de même pour pouvoir bénéficier du programme d'assistance spéciale monté par le HCR31(*). La majorité de ces viols se passent en plein jour, sur des femmes de 12 à 50 ans, dans les buissons entourant le camp, lorsqu'elles sortent pour aller chercher du bois de chauffe. Ce serait des bandits qui perpétreraient ces crimes. Selon le personnel sur place, de réfugiés et d'informateurs locaux, ces bandits seraient formés d'un mélange entre des kenyans, des réfugiés Somali et, moins fréquemment, des membres de milices basées en Somalie qui viendrait faire des raids de l'autre côté de leur frontière. Ils se déplacent à pieds, par groupe de 5 à 25 et font preuve d'une extrême violence32(*). Une des manifestations de violence parmi les plus importante est celle qui implique des affrontements entre des exilés de même nationalité (mais de clans différents). Ils sont très fréquemment déclenchés suite à des incidents mineurs mais qui peuvent très vite dégénérer en conflit de vaste ampleur faisant parfois plusieurs dizaines de morts. Du fait de la proximité culturelle et linguistique entre les populations locales et les réfugiés, les conflits opposant ces deux belligérants sont, fort heureusement, rares. D'autre part, le quotidien des réfugiés se trouve en permanence pris dans une succession de règlements de compte, de vengeances et de viols. Une part de cette violence s'explique par le caractère criminogène des camps de réfugiés33(*). Les rivalités entre les différents chefs de guerre qui ont amené les affrontements en Somalie se sont largement exportées dans les camps kenyans. Ainsi, la violence peut être associée à du banditisme, comme dans le cas des coupeurs de route dont le but est seul lucratif, mais elle peut aussi être d'ordre politique avec l'importation du conflit dans les camps. Pour les mouvements armés qui veulent reconquérir le pouvoir dans leur pays d'origine, les réfugiés représentent un instrument politique dans le cadre de la sécurité extérieure du pays d'accueil. Ils permettent en effet un triple avantage car ils servent de base de recrutement, de sanctuaire et d'atout logistique. Les réfugiés, entassés dans les camps, soumis aux rudes conditions de l'exil sont un noyau de combattants dont le recrutement se fait de manière volontaire ou forcée. Du fait que les réfugiés bénéficient d'une relative protection en droit international, qu'ils aient une importante densité démographique dans une région particulière avec une composition culturelle proche, les camps sont, en quelque sorte, une base d'appui idéale pour des mouvements armés. Les combattants peuvent très facilement se mêler aux populations des camps, surtout lorsqu'ils partagent la même langue et les mêmes revendications politiques. Ajoutons à cela l'aide humanitaire dispensée dans les camps qui leur donne une importance logistique considérable. Cette aide est détournée de manière plus ou moins violente pour soutenir l'effort de guerre. Le problème se pose donc pour les humanitaires qui se demandent si il faut continuer à dispenser l'aide aux populations civiles tout en sachant qu'une partie sera détournée pour continuer la guerre. Du fait même de la dangerosité latente que représentent les camps de réfugiés, le regard accueillant qu'ont pu avoir les populations du pays hôte s'est transformé en regard de méfiance. Le réfugié en détresse est devenu un rebelle qui amène avec lui les conflits qui ont lieu dans son pays d'origine. Suite à la crise des grands lacs en 1992-199634(*) est apparue une grande réflexion internationale sur le thème de la dynamique qui s'opère entre les réfugiés et la sécurité régionale. Au terme de cette réflexion, à laquelle participe activement le HCR, sont apparues différents axes de priorité. D'abord, le désarmement des réfugiés armés qui franchissent la frontière. Aussi évident que cela puisse paraître, le HCR doit constamment rappeler cette exigence en amenant les instances politiques nationales à faire face à leurs responsabilités : faillir sur le désarmement des exilés ne peut que déboucher sur des problèmes de sécurité intérieure et extérieure. Un deuxième axe se trouve dans la séparation des réfugiés. Du fait de son caractère civil, le camp se doit de séparer les populations civiles des combattants. Le but ici est d'empêcher, d'une part que les civils ne deviennent des otages des combattants et donc leur garantir une certaine liberté et, d'autre part, d'empêcher de faire du camp une cible militaire potentielle. Au-delà de la séparation physique, il doit exercer une séparation légale. Les clauses d'exclusions des Conventions de Genève et de l'OUA retirent le bénéfice de la protection internationale à une personne dont on aurait de sérieux doutes sur le fait qu'elle a commis « un crime contre la paix, un crime de guerre, un crime contre l'humanité, un crime grave de droit commun, ou qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies et de l'OUA 35(*) ». C'est ainsi à la nation d'accueil qu'incombe la responsabilité de l'application de ces clauses d'exclusion pour maintenir l'asile dans sa vraie nature civile. Le HCR n'a ni la capacité opérationnelle ni le mandat pour effectuer ce travail de séparation. En revanche, il a constamment réitéré ses mises en garde quant aux dangers possibles si elle n'avait pas lieu aux autorités d'accueil. Et, sur un plan plus pratique, il a prêté main forte aux autorités nationales qui souhaitent effectuer cette séparation. Il pourra assister au déploiement et à la formation de polices spéciales et apporter des installations pour séparer les combattants des réfugiés36(*). Un autre axe se trouve dans le fait que les camps doivent être installés loin de la frontière avec le pays d'origine. Cela offre un double avantage en terme de sécurité. Ça rend les camps moins vulnérables à de potentielles attaques des pays d'origines et ça créer une zone tampon avec la frontière qui permet de mieux contrôler les flux d'activités qui se passent au départ et en direction des camps depuis la frontière. D'ailleurs, le comité exécutif du HCR rappelle que « le lieu de séjour des personnes en quête d'asile doit être déterminé en fonction de leur sécurité et de leur bien-être ainsi que des exigences de sécurité de l'État d'accueil37(*) ». Cependant, M.Mangala nous dit que pour des raisons d'ordre géopolitique ou socio-économique la mise en oeuvre de ce postulat ne s'est pas toujours accompagnée de l'assentiment des autorités nationales d'accueil. La sécurisation des camps, qui est un nouvel axe, comporte une double dimension. D'abord, elle cherche à éviter que les camps soient la cible d'attaques armées et ensuite, elle fait en sorte que les camps ne deviennent pas des zones de non-droit, livrées à la violence et aux intimidations. C'est avec la crise des grands lacs que l'attention s'est portée sur la dimension interne du problème de sécurité, focalisée avant sur son coté externe. D'autre part, la sécurité dans et autour des camps tient avant tout de la responsabilité du pays d'accueil. Ce dernier peut, s'il le souhaite faire appel à la communauté internationale pour l'assister dans cette tâche. Le HCR a développé différentes initiatives innovantes en collaborations avec l'autorité nationale et ses partenaires opérationnels. Ainsi, à Dadaab, le HCR, qui voulait diminuer l'insécurité dans les camps, a apporté son soutien à la police locale en renforçant sa capacité et son efficacité. Il a aussi introduit des arrangements de sécurité dans les camps en recrutant, comme coordonnateurs de sécurité, des anciens officiers de l'armée kenyane et en créant une force de 120 gardes locaux parmi lesquels figurent des réfugiés et des personnes issues de la population locale38(*). Dans un effort de renforcer la capacité et l'efficacité de la police locale, le HCR a fournit véhicules, pièces de rechange et essence. Il a installé des relais radio, a construit des stations de police, disséminées dans le camp, permettant des patrouilles de nuit, paye ces policiers et offre même des ``bonus'' à ceux qui participent aux tâches de distribution de la nourriture. D'autre part, des officiers du HCR, chargés de la protection, ont pris part à la formation des officiers de police, du personnel militaire et des représentants du gouvernement pour s'assurer du bon respect de la loi internationale concernant les réfugiés. L'UNHCR a établie un programme avec pour axe central le principe de « community self-management » dont le but est d'impliquer les réfugiés dans la vie du camp. Ainsi furent développés différents organismes qui visent à faciliter l'implication des réfugiés dans le respect de la loi et de l'ordre. On peut citer ici la création des comités des femmes, de sécurité, de sécurité et justice, d'antiviolence et d'anti-viols. Pour améliorer le site, le HCR et l'agence allemande GTZ (Gesellschaft für technische zusammenarbeit) ont assisté les réfugiés pour construire plus de 150km de barrière autour des camps pour les rendre difficilement pénétrables. On peut citer également des mesures préventives visant à éviter aux femmes de sortir pour aller chercher du bois de chauffe en débloquant un budget de 1,5 million de dollars pour acheter et fournir ce bois ou en promouvant l'utilisation de sources d'énergie alternatives, comme le solaire. Notons aussi le programme ``Refugee-affected area'' dont le but est de s'assurer que les populations locales tirent des bénéfices de la présence de réfugiés sous la forme d'accès à l'éducation, aux soins, à l'emploi au sein du camp, la distribution d'eau etc.39(*) La question de la sécurité est étroitement liée à la politique d'endiguement des réfugiés. Jeff Crisp s'interroge sur la question de savoir pourquoi, malgré toutes ces initiatives, les efforts de l'UNHCR en terme de sécurité ne payent-ils pas ? Selon Peter Kagwanja, cité ici par Jeff Crisp, l'appréhension du Kenya vis-à-vis des réfugiés s'explique par plusieurs facteurs : un taux de terres cultivables toujours plus faible (3% du territoire), une peur chronique des Somali40(*), une crainte que l'arrivée des réfugiés s'accompagne d'une propagations d'armes à feu dans le pays et d'une augmentation du taux de crimes et de troubles sociaux41(*). C'est à la lumière de ces facteurs que Kagwanja explique que l'État kenyan a cherché à limiter le nombre de réfugiés sur le territoire et a toujours rejeté l'idée de donner aux exilés des terres et ainsi leur permettre de s'installer dans le pays. Au début des années 1990, le nombre de réfugiés passe à 420 000 sur l'ensemble du territoire42(*) avec une majorité de Somali. Le Kenya a été obligé de les accueillir pour plusieurs raisons. La première c'est parce qu'il avait signé les conventions sur les réfugiés de l'ONU et de l'OAU. Ensuite, il n'avait pas de raison valable pour stopper physiquement l'afflux. Enfin, il devait prouver sa bonne foi et son engagement à l'égard de la démocratie et des droits de l'homme, s'assurant par là le bon versement de l'aide internationale qui en été venue à questionner son engagement. Après avoir autorisé les réfugiés sur son territoire, le Kenya a été très clair sur le fait que leur présence n'était pas la bienvenue. En décembre 1992, le gouvernement a annoncé que les réfugiés devaient retourner en Somalie et a même pressé l'UNHCR d'initier un programme d'assistance pour franchir la frontière dont le but était de promouvoir un retour volontaire et de prévenir de nouveaux afflux. Le résultat c'est qu'en 1997 la majorité des camps éparpillés à travers tout le territoire étaient fermés et tous les réfugiés envoyés à Dadaab ou à Kakuma, seuls restés ouvert... la responsabilité de la gestion des camps fut léguée à l'UNHCR et ses ONG partenaires. Malgré la présence sur le long terme des réfugiés, le Kenya n'a pas de législation sur les réfugiés. Ces derniers n'ont pas un statut légal clair ou une carte d'identité. Les représentants et les organisations de l'État ne semblent pas avoir un intérêt prononcé pour la situation des réfugiés, les considérant comme le problème de l'UNHCR. L'opinion publique est largement hostile à la présence des exilés et se refuse à voir l'impact positif qu'ils peuvent avoir sur l'économie locale (voir partie 2.2). Tous ces facteurs réunis expliquent en quoi il est difficile d'assurer la sécurité sur les camps lorsque l'environnement général n'est pas propice à une telle protection. Le phénomène d'endiguement s'explique ici par la volonté qu'a le Kenya de chasser les réfugiés Somali de son territoire, de faire son possible pour en limiter l'intégration et de prendre prétexte de quelques principes pour en justifier tout cela. L'insécurité des camps provient de la politique choisie à l'égard des réfugiés. C'est à cause du camp même qu'une telle insécurité s'est développée et c'est par la volonté d'endiguement qu'elle a explosée. * 20 Refuge, Vol 19, No 5 (2001): UNHCR at Fifty, Jack M.Mangala, Réfugiés et sécurité régionale en Afrique : un défi pour le HCR, p.46-47* 21 Marc-Antoine Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison d'État, Communautés déracinées dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.167 * 22 Nathalie Gomes, Solidarité et réseaux dans l'exil, Les réfugiés somaliens clandestins au Kenya et en Éthiopie in Populations Réfugiées, de l'exil au retour, IRD Éditions, 2001, p.311 * 23 Nathalie Gomes, Solidarité et réseaux dans l'exil, Les réfugiés somaliens clandestins au Kenya et en Éthiopie in Populations Réfugiées, de l'exil au retour, IRD Éditions, 2001, p.312 * 24 Marc-Antoine Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison d'État, Communautés déracinées dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.168 * 25 Ibid, p.169 * 26 Kagwanja Peter Mwangi, Pérouse de Montclos Marc-Antoine, « Le bon Samaritain à l'épreuve de la « tradition africaine » dans les camps de réfugiés au Kenya », Politique africaine 1/ 2002 (N° 85), p. 45-55 * 27 Marc-Antoine Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison d'État, Communautés déracinées dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.157 * 28 UNHCR, 7 November 1998 * 29 Jeff Crisp, A state of insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999 * 30 Ibid, p.2 * 31 Cette deuxième hypothèse a été rapportée par une expatriée femme, docteur dans un centre médical de Dadaab. * 32 Pour plus d'informations voir Jeff Crisp, A state of insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999, p.6-8 * 33 Luc Cambrézy, Les camps de réfugiés du Kenya : des territoires sous contrôle, géoconfluence, 2006, p.3 * 34 Durant cette crise, on s'est rendu compte que les camps de réfugiés servaient de base arrière aux mouvements en lutte dans leur pays d'origine. Ainsi, au Rwanda, la Résistance nationale armée (RNA) de Yoweri Museveni s'est servi, pour une grande part, des réfugiés tutsi rwandais en Ouganda pour renverser le régime de Kampala. Une fois qu'il eu accédé au pouvoir, il aida à son tour les réfugiés tutsi qui s'étaient rejoint autour du Front patriotique rwandais (FPR) pour renverser définitivement le régime de Kigali. Fort de cette expérience, le nouveau régime au pouvoir éradiqua à l'intérieur des frontières nationales les camps de réfugiés qui, du coup, auraient pu être utilisés de la même manière mais contre le nouveau régime. Voir Refuge, Vol 19, No 5 (2001): UNHCR at Fifty, Jack M.Mangala, Réfugiés et sécurité régionale en Afrique : un défi pour le HCR, p.47-48. * 35 Refuge, Vol 19, No 5 (2001): UNHCR at Fifty, Jack M.Mangala, Réfugiés et sécurité régionale en Afrique : un défi pour le HCR, p.49. * 36 Ibid, p.50 * 37 Ibid, p.50 * 38 Ibid, p.51 * 39 Jeff Crisp, A state of insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999, p.14-16 * 40 En écho de la guerre des Shifta et de leur volonté d'une grande Somalie * 41 Jeff Crisp, A state of insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999, p.17 * 42 Contre moins de 15 000 dans les années 1970 et 1980 et majoritairement composés d'ougandais qui se sont très facilement intégré dans le territoire. |
|