Alexander BEE
Alexander.bee77@gmail.com
Dadaab, un refuge.
Année 2013-2014
Résumé : Le but de ce
mémoire est de proposer une analyse des phénomènes
d'endiguement des populations réfugiées somali au Kenya dans
le camp de réfugiés de Dadaab. Nous proposons une approche
à différentes échelles. L'analyse historique des relations
entre les Somali et le Kenya a permis de mettre en lumière les
antagonismes entre les deux entités. Prenant appui sur différents
moyens formels et informels utilisés (le droit d'asile,
l'attractivité du camp, son organisation, la construction de la
catégorie de l'exilé) nous avons taché de mettre en
évidence la manière dont peut s'opérer l'endiguement.
Cette mise en camp s'accompagne de diverses conséquences
(pérennisation et création de villes informelles, l'ennui, la
dépendance au budget) touchant à la sécurité et au
bien être des réfugiés. Enfin, à travers la relation
qu'entretient le Kenya avec le groupe terroriste Al-Shabaab, nous avons
cherché à montrer que le camp de réfugiés peut
être un enjeu géopolitique majeur.
Abstract: This essay aims to give an analysis
of the Somali refugees encampment within the Dadaab refugee camp in Kenya. We
have propounded a different scale study. The historical analysis of Somali and
Kenya's relations allowed to highlight the antagonisms between the
two entities. Having based the study on different formal or informal
ways used (the right of asylum, the camp's attractiveness, it's organization,
the construction of the exiled category) we have tried to bring out how the
encampment proceeds. Finally, through the study of the relation between
Kenya and the terrorist group Al-Shabaab, we have tried to show how the camp
can be a major political issue.
Problématique :
Dans quelle mesure la politique gouvernementale du Kenya et
les institutions internationales s'organisent pour créer un
phénomène d'endiguement des populations
réfugiées ?
Introduction p..4
I/ Les raisons de l'endiguement p.7
1- Le maintien et le contrôle des flux migratoires p.7
2- Traits portant sur l'opposition entre Kenya et
réfugiés p.14
3- Les risques de conflits p.23
II/ Les moyens ``institutionnels'' p.35
A- Des moyens formels p.35
1- La loi : le droit d'asile et le droit des
réfugiés p.35
2- La capacité d'attraction des réfugiés
vers les camps p.40
3- L'organisation du camp p.44
B- Des moyens informels p.44
1- Construction de la catégorie de ``l'exilé''
p.44
2- Appropriation informelle de lieux d'échanges publics
et participation des réfugiés à leur propre endiguement
p.48
III/ Conséquences de l'endiguement p.49
1- pérennisation du camp et création d'une ville
informelle p.49
2- l'ennui dans les camps p.53
3- La dépendance au budget p.55
IV/ Un contexte géopolitique tendu p. 58
1- Présentation d'Al Shabaab p.58
2- Implication du Kenya dans la guerre en Somalie (attaque
terroriste/ représailles p. 60
3- Solution du gouvernement face aux
réfugiés : endiguement des populations, histoire en cours
d'écriture. P.63
Conclusion p.66
Bibliographie p.70
Introduction :
Le camp de réfugiés... quel étrange et
complexe phénomène. Construit dans l'urgence, pour l'urgence, il
est le lieu de toutes les altérités. Le caractère de ce
qui est autre, un ``non lieu'' pour reprendre les mots de Michel Agier.
Le camp de Dadaab a une superficie de 50km2. Les trois
premiers camps furent ouverts au début des années 90. Il abrite
presque un demi million de personnes. La majorité d'entres elles sont
des somaliens ayant fuit la guerre civile dans leur pays. Il se situe dans les
zones arides du Nord du Kenya, le Northern Frontier District (NFD),
région qui accuse les sécheresses à grands coups de
famines. Presque 25 ans qu'il existe, avec une population qui en fait une des
premières villes, par sa taille, du Kenya. Et pourtant aucune
reconnaissance officielle, il n'existe pas sur les cartes.
Un quart de siècle en prison ? Face à un
afflux de réfugiés, l'UNHCR (le Haut Commissariat pour les
Réfugiés des Nations Unies) a plusieurs options. Il peut tenter,
avec l'aval du gouvernement local, de les intégrer dans le pays
d'accueil, de les réinstaller dans un pays tiers ou de les rapatrier
chez eux. Le camp fait figure de quatrième solution. Il est le fruit de
l'urgence et de la volonté des États. Comment traiter au cas par
cas des réfugiés qui arrivent par milliers chaque jour.
C'est une zone de transit, un non lieu pour l'attente, une
prison à ciel ouvert. Une haie d'épineux entoure le camp, il
l'enferme. Les réfugiés y sont admis, ils y existent, ils y ont
un statut. En dehors, ils sont clandestins, ils n'existent pas autrement que
dans l'illégalité.
Situation étrange que celle de ces
réfugiés au Kenya. Nous l'avons dit, la grande majorité
d'entres eux sont des somaliens ayant fuit leur pays. Et à y regarder de
plus près, Dadaab est un des camps les plus grands et les plus vieux du
monde. Comment expliquer que toute une population se retrouve enfermée
dans des camps pendant près de 25 ans ?
Ma problématique s'articule ainsi : nous allons
chercher à comprendre dans quelle mesure la politique gouvernementale du
Kenya et les institutions internationales s'organisent pour créer un
phénomène d'endiguement des populations réfugiées.
Que signifie ici l'endiguement ? C'est la mise dans des
camps de populations. Il englobe les savoirs, les pratiques et les personnes.
C'est un processus politique qui concerne à la fois les
réfugiés et le personnel humanitaire.
On va s'attacher ici au cas des réfugiés
somaliens dans le camp de Dadaab. Pourquoi un tel choix ? D'abord parce
que, nous l'avons dit, Dadaab est un des plus grands et des plus vieux camps au
monde. Ensuite parce que les somaliens, dans leurs rapports avec
l'entité kenyane, présentent une complexité de relations
qui rend extrêmement intéressante son étude.
Tout part d'un constat. La relation entre les somaliens et les
kenyans a toujours comporté une forme d'hostilité due à
une méfiance historique.
Le sujet de notre première partie s'attachera ainsi
à comprendre les raisons historiques de l'endiguement mais aussi les
formes de ''pretextes'' que le gouvernement kenyan va utiliser pour le
justifier. Nous verrons qu'il fait appel à une écologie
menacée, une balance démographique dangereuse et des risques
graves de sécurité pour légitimer sa politique.
Dans un deuxième temps, nous verrons quels sont les
moyens, d'abord formels (la loi, l'organisation du camp), puis informels (la
construction de la catégorie de l'exilé, des
réfugiés qui participent eux-mêmes à leur
endiguement) mis en place pour permettre cet endiguement.
Notre troisième axe s'attachera à décrire
quelles sont les conséquences d'une telle politique d'endiguement. Nous
verrons que le temps de l'urgence s'élargie, qu'il dépasse son
cadre. Le camp change de forme, il évolue et s'apparente doucement
à une ville. Ensuite, nous verrons que, par le manque
d'opportunités concrètes, les réfugiés sont
réduits à une attente passive, un ennui qui n'en finit pas et aux
conséquences parfois désastreuses. Enfin nous verrons que
malgré certains traits qui peuvent l'apparenter à une ville, le
camp de réfugiés de Dadaab reste soumis, pour sa survie
même, au budget que la communauté internationale veut bien lui
accorder.
Finalement, dans une quatrième partie, nous allons
aborder le contexte géopolitique tendu auquel le Kenya fait face
aujourd'hui et qui participe, ou qui participera bientôt, à la
politique d'endiguement déjà en cours depuis toutes ces
années. Nous présenterons d'abord le groupe islamiste Al-Shabaab
pour arriver ensuite à l'intervention kenyane en Somalie en 2011 et les
représailles qui en ont suivies. Enfin, nous verrons quelles sont les
solutions du gouvernement, en ce qui concerne les réfugiés, face
à de telles représailles.
I/ Les raisons de l'endiguement
1- Le maintien et le contrôle des flux migratoires
2- Traits portant sur l'opposition entre Kenya et
réfugiés
3- Les risques de conflits
1. Le maintien et le contrôle des flux
migratoires ; une méfiance historique
Pour bien saisir la manière dont les
réfugiés somaliens sont accueillis au Kenya il est important de
comprendre les relations existantes entre ces deux pays depuis bien avant la
guerre à Mogadiscio en 1991.
Il existe des tensions et des rivalités entre ces deux
pays voisins depuis bien longtemps. Ces tensions ont continué à
perdurer jusqu'à aujourd'hui, bien que leurs formes aient changé
au cours de l'histoire.
Il faut bien comprendre les dynamiques qui rentrent en jeux
dans les rapports entre les deux pays, ou plutôt entre le Kenya et
l'entité Somali (par opposition aux Somaliens qui sont les habitants de
la Somalie, les Somali font référence à l'ethnie
supranationale).
L'afflux de réfugiés, imputé
essentiellement aux somaliens, a été perçu comme une
menace. L'appréhension de la part du Kenya est à replacer dans un
contexte historique qui lui est inquiétant. En effet, les Somali donnent
l'impression d'une forte expansion démographique et territoriale. On
peut noter que sa communauté linguistique est supérieure à
la population de Somalie. Celle-ci comprend des Oromo d'Éthiopie ou du
Kenya ainsi que des Afar et Issa de Djibouti. Cette présence
était perçue comme dangereuse par les pays hôtes, surtout
après les prétentions pan-somalienne de Mogadiscio qui ont
suivies les indépendances dans les années 60.
Le Kenya replace la poussée des Somali dans une
perspective historique. D'ailleurs, au moment de l'intervention
américaine en Somalie, un expert des Nations Unies estimait que la
guerre civile et l'expropriation s'inscrivaient dans la logique d'expansion
territoriale des nomades depuis le 19ème siècle
(p.161).
Les premières heures :
Carte des migrations entre l'Éthiopie, la Somalie et le
Kenya1(*).
À partir du 16ème siècle, les
Oromo d'Éthiopie ont envahi la Corne d'Afrique. Parallèlement, le
Djihad de l'imam Ahmed Ibrahim al-Ghazi a brièvement conquis les hauts
plateaux éthiopiens avec l'aide de troupes somali. Cette avancée
fut arrêtée, notamment grâce aux portugais qui vinrent en
aide au royaume chrétien d'Abyssinie.
Dans le nord du Kenya, la poussée Oromo amena sur la
scène les deux clans qui, plus tard pendant la colonisation britannique,
allaient diviser la région en une ligne Somali-Galla2(*) qui est en partie reprise
aujourd'hui pour démarquer les provinces Est et Nord-Est. Les Oromo
présent dans le Nord du Kenya étaient de la famille des Boran et
de la famille des Orma.
Par la suite, au 18ème siècle, les
Oromo furent chassés de la Corne d'Afrique par les Somali.
Ainsi, l'expansion des Somali est relativement récente
et ce ne serait seulement que vers la fin du 19ème
siècle que les Somali, devenu une puissance militaire en absorbant les
tributs des environs, furent suffisamment puissant démographiquement
pour attaquer militairement les Oromo.
Les Somali présent dans le Nord-Est du Kenya sont des
Degodia de la famille Hawiye et des Ogaden de la famille Darod. Au début
du 20ème siècle, certains d'entre eux furent
repoussés par les britanniques qui avaient peur d'une expansion somali
au détriment de leurs alliés boran.
Le but des anglais était de faire du NFD -région
qui ne représentait que peu d'intérêt économique car
semi-désertique- une zone tampon contre l'Éthiopie. Seulement,
ils voulaient le faire à moindre coût. L'idée était
de privilégier une présence visible plutôt qu'une
occupation de la région qui aurait nécessité un besoin de
développement couteux. Recruter des soldats dans le Somaliland pour
assurer la sécurité de la région n'était pas
possible car ils auraient rechigné à se battre contre leurs
coreligionnaires. Les anglais se tournèrent donc vers les Boran pour
faire régner l'ordre. Ces derniers durent ainsi se plier à
l'autorité et à la réglementation coloniale.
Désarmés, ils n'étaient plus en moyen d'assurer leur
domination militaire. Ils furent mêmes interdits d'aller en pays somali
par les anglais qui craignaient qu'ils ne se fassent massacrer. Les
britanniques amenèrent tout un arsenal législatif pour limiter
les mouvements nomades. En 1902, l'Outlying Distric Ordinance imposa des
passes. En 1934, la Special District Ordinance imposa des aires de
pâturages qui devaient être strictement respectées sous
peine d'amendes ou de bétail confisqué.
Pendant la première guerre mondiale, les troupes
anglaises se sont quasiment retirées de la région. Des lignages
Degodia en profitèrent pour se mêler aux Ajuran (de la même
souche Hawiye). Ils enfoncèrent la ligne Galla-Somali jusqu'au district
de Moyale. En 1916, dans le Jubaland, à Sarenli, il y eu des heurts
entre des Alihan (de clan Ogaden) et les autorités coloniales. Les Boran
durent se replier à Marsabit et le long de la rivière Waso
Nyiro.
Des attaques similaires se perpétrèrent en 1931,
entrainant des modifications de frontières sur la ligne Galla-Somali.
Les Boran de Wajir furent repoussés dans le district d'Isiolo. Des
Ajuran de Moyale s'installèrent dans le district de Wajir à
dominante somali.
Les Ajuran faisaient jusqu'alors parti du camp des Galla dont
ils reconnaissaient avant l'hégémonie Oromo mais, depuis, ils
avaient accueilli des clans somali, en particulier des lignages Degodia.
Les Ajuran reçurent la partie occidentale du nouveau
district de Wajir, le Nord-Est étant peuplé par les Degodia et le
Sud par les Ogaden.
Cette perception de somali colonisateurs a été
reprise par les autorités kenyanes après l'indépendance.
Et c'est la même logique qui alimenta les peurs du gouvernement face
à l'arrivée des réfugiés somali en 1992. Il faut
dire que 64% des réfugiés Somaliens à Dadaab en 1996
étant de souche Darod (regroupant les clans Ogaden et Harti),
ceux-là même que l'on avait au 19ème
siècle (p.165). La différence c'est qu'en 1992, ils n'adoptaient
pas une attitude de colon conquérant mais étaient en position de
faiblesse. Certains avaient soutenu le régime de Siad Barre et avaient
du fuir l'opposition Hawiye après la prise de Mogadiscio.
Lorsqu'en 1960 est créée la république de
Somalie par la réunification de deux ex-colonies, le Somaliland
britannique et la Somalie italienne, ce n'est considéré par les
somaliens que comme un premier pas vers l'unité pan-somalienne. Si le
drapeau de la Somalie possède cinq branches c'est que celles-ci
représentent les cinq provinces somaliennes (au deux déjà
citées s'ajoutent l'Ogaden et le Haud, sous autorité
éthiopienne, le NFD et la Côte française des somali).
Il est important de comprendre que les contestations
territoriales issues de l'idéologie du pan-somalisme ne sont pas des
phénomènes qui sont apparus à la suite de la
création des nouveaux États et qu'on pourrait imputer à
leur agressivité. L'existence d'une nation somalienne, entendu ici comme
l'idée d'une unité somali, est bien antérieure à la
création d'un État. Elle se différencie en ça
d'autres conflits africains où le nationalisme est le fruit de la
création d'un État. « Malgré l'absence d'un
pouvoir politique centralisé, les sentiments unitaires et la conscience
nationale s'étaient incarnés depuis longtemps dans plusieurs
institutions traditionnelles, visant notamment à normaliser les
antagonismes entre clans par le recours à une législation
commune, -comprenant en particulier une tarification des compensations pour
dommages causés ou subis,- elle-même sanctionnée par
l'existence de cours d'arbitrage dont la compétence s'étendait
à la totalité des Somali » 3(*). Ajoutons à cela
l'importance de la communauté linguistique partageant une même
culture, des mêmes moeurs et surtout une appartenance commune à
l'Islam, sentiment d'ailleurs d'autant plus fort que ces populations se
trouvent en contact avec des populations chrétiennes.
Ainsi, nous dit Charlier Tatania, les prétentions d'une
« Grande Somalie » par les leaders Somali remontent
à avant 1935. D'autre part, en 1945, ils ont presque vu leur projet se
réaliser : l'administration britannique a réunie
provisoirement quatre des cinq provinces revendiquées (Ogaden, Haud,
NFD, la Somalia et le Somaliland). Cependant, cela n'a pas tenu à cause
de la conjoncture politique internationale matérialisée par le
veto de l'URSS. Même si la création de la « Grande
Somalie » n'a pas été effective, l'idée est
restée et l'État somalien se l'est approprié.
Dans les années 1948-1954 la rétrocession
de l'Ogaden à l'Éthiopie (sous administration anglaise depuis
1942) éveilla la colère des autochtones somali qui rêvaient
de la « Grande Somalie » et engendra un exode massif. En
1960 (année de l'indépendance de la Somalie) les somali
d'Éthiopie se sentirent laissés pour compte et engagèrent
une guerre de sécession contre le gouvernement de l'empereur Hayla
Selassé. L'OLF (Front de Libération de l'Ogaden) fut soutenu, en
1963-1964 par l'armée somalienne.
Les années de l'indépendance4(*) :
À l'indépendance, la Somalie fut
partitionnée en cinq territoires. Deux seulement fusionnèrent
(Somaliland et Somalie Italienne) en 1960 pour donner la République
somalienne. Cette partition éveilla les sentiments nationalistes de ce
peuple. Dans les années 1940 déjà, le SYL (Ligue de la
Jeunesse Somalie ; groupe militant créé à Mogadiscio)
s'implanta en Ethiopie et au Kenya dans le but de prêcher l'unité
somali par une commune culture, religion et situation géopolitique.
En 1962 était organisé un
référendum dans le NFD pour organiser la partition par les
britanniques. Ces derniers, ignorant les résultats,
cédèrent le NFD au Kenya, malgré l'opposition des
autochtones. En mai 1963, les Somali du Kenya boycottèrent les
premières élections générales pour protester contre
la non reconnaissance de leurs revendications sécessionnistes. Il
découla de ça quatre années de guérilla contre le
gouvernement kenyan de Jomo Kenyatta : la guerre des shifta.
En 1969 le général Siad Barre fait un coup
d'État militaire et s'empare du pouvoir. Celui-ci, pour trouver de la
légitimité, se mit en oeuvre de promouvoir l'unification de la
nation somali en un État indépendant. Cela raviva les
prétentions séparatistes en Éthiopie. En 1976, les partis
politico-militaires WSLF (Western Somali Liberation Front), avec des membres
issus des communautés de l'Ogaden, et le SALF (Front de
libération des Somali-Abo), comprenant des oromos islamisés,
furent créés.
En 1977-1979 les troupes somalies envahissent l'Ogaden pour
venir en aide aux troupes rebelles séparatistes en Éthiopie mais
subissent une nouvelle défaite (guerre de l'Ogaden). Cela entraina un
nouvel exil de milliers de somali en dehors de l'Éthiopie ainsi que la
ruine de l'État somalien qui amènera progressivement sa perte
dans les années 1990.
Ce n'est qu'en avril 1988 que l'idée de
``pan-somalisme'' pris fin avec la signature d'un traité de paix entre
Siad Barre et Mengistu Haile Mariam, mais sans jamais effacer les liens
sociaux, économiques et politiques entre les communautés.
La fin du règne de Siad Barre et les années
1990 :
À partir de la chute de la dictature et de la guerre
civile qui s'en ait suivie, les mouvements somali se sont
considérablement accentués. Cependant, cette fois-ci ce furent
des victimes et non pas des conquérants.
Les différentes luttes claniques pour le pouvoir ont
mis des centaines de millier de personnes sur les chemins de l'exil.
Les interventions éthiopiennes et kenyane dans les
années 2000 et 2010 ont contribué à de nouvelles vagues de
réfugiés.
Si le nombre n'est jamais resté le même, en tout
temps les réfugiés ont cherché refuge sur la terre voisine
du Kenya. Que ce soit les conflits internes incessants ou les
sècheresses à répétition le gouvernement kenyan a
vu son territoire se faire `envahir' par une population de malheureux.
Considérant l'impression que laissait auparavant la forte poussée
migratoire somalie les nouveaux venus furent perçus comme la
continuation d'une politique expansionniste qu'il fallait, coute que coute,
endiguer dans des camps, loin des centres urbains et même, si possible,
les renvoyer chez eux.
2. Traits portant sur l'opposition entre Kenya et
réfugiés
Le prétexte de la crise environnementale.
L'afflux massif de réfugiés en provenance de la
Somalie a été perçu comme une charge supplémentaire
sur un territoire déjà difficile. Le Kenya possède un
nombre limité de terres cultivables à travers le pays.
Marc-Antoine Pérousse de Monclos nous dit dans ``le poids de l'histoire
et le choc des cultures : les réfugiés somaliens du Kenya
confrontés à la raison d'État''5(*) que seules 14% des terres sont
cultivables essentiellement situées dans le Sud-Ouest du pays. Le
Nord-Est est ainsi une zone aride où l'extension écologique est
sujette à bien des difficultés. L'accueil d'une nouvelle
population qui, d'autre part, arrive en masse (on dénombre en 1992,
environ 900 réfugiés qui franchissent la frontière chaque
jour) est donc perçue comme un poids supplémentaire dans une zone
écologiquement difficile.
La construction du camp et l'implantation des
réfugiés ont conduit à des déboisements alentour
ainsi qu'une utilisation accrue des nappes phréatiques pour apporter de
l'eau aux nouveaux arrivants.
Dans les terres arides du Nord, les sociétés
pastorales représentent environ 15% de la population et occupe 67% de la
surface du pays5(*). Ainsi,
l'arrivée massive des Somaliens a été vue comme une charge
supplémentaire sur une région déjà en
difficulté.
Cependant, on peut noter que ces arrivées se sont
accompagnées de larges investissements de la part d'organisations
humanitaires qui ont permis la construction de routes dans la région,
l'implantation de facilités sanitaires et l'élaboration de
travaux de nivellement et d'irrigation. Malgré que ces travaux aient
profités à l'ensemble de la région, les
réfugiés ont été accusés de la
désertification du pays.
Marc-Antoine Pérousse de Monclos met en garde contre
une analyse trop rapide de la situation. Selon lui, il est très
difficile d'imputer aux réfugiés seuls l'impact en termes
écologiques sur la région. Il faut d'abord voir l'influence de la
colonisation. Celle-ci, accompagnée des progrès de la
médecine, aurait permis l'augmentation de la taille des troupeaux en
mettant fin aux ``razzias'' et aux maladies qui permettaient la
régulation de la pression du bétail sur les pâturages.
Luc Cambrézy nous propose une analyse plus
détaillée de l'impact écologique des
réfugiés sur la région6(*). Il met d'abord en relation conscience
écologique et mondialisation, thèmes devenus récurrent
depuis les années 1990. La conférence de Rio en 1992 a, en
quelque sorte, globalisée l'approche environnementale, mettant en avant
l'hypothèse que ce qui touche une région peut avoir des effets
sur l'ensemble de la planète. Ainsi, dans le domaine de l'aide
humanitaire (et donc de l'assistance aux réfugiés), la question
de l'environnement a vu son importance croitre ces dernières
années. En 1994-1995, le HCR établie une section
``environnement'' qui conduira par la suite des études sur l'impact de
l'arrivée des réfugiés sur les terres d'accueils.
Cambrézy nous dit que le HCR établi le postulat suivant :
« toute activité, quelle qu'elle soit et où qu'elle
soit, a des répercussions en matière d'environnement ; toute
modification de l'environnement local a des conséquences au niveau de
l'environnement global. »7(*)
À l'arrivée des réfugiés à
Dadaab en 1991, le premier camp (Ifo) fut ouvert. Pour cela, il fallut
défricher une surface nécessaire pour accueillir, dans un premier
temps, 40 000 réfugiés. Ceci eu bien sûr un impact sur le
territoire.
Outre cet impact, le HCR s'est vite rendu compte qu'un tel
aménagement avait aussi des conséquences sur les conditions de
vie des réfugiés : beaucoup de poussière était
créée et une absence totale d'ombrage dans une région
où la température moyenne atteint 40°. Tirant les
conclusions d'une telle approche, les deux camps suivants (Dagahaley et
Hagadera) purent conserver les grands arbres, dans la mesure où ils
n'entravaient pas les chemins d'accès.
Il est à noter d'autre part que ces
défrichements répondaient aussi à d'autres soucis, tel que
limiter la propagation des incendies et, d'une manière plus
hypothétique, de tenir les bandes armées à distance, sous
couvert des boiseries.
Les camps de Dadaab se situent sur un territoire immense et
dont la densité de population reste très faible. Cette zone est
recouverte d'une brousse relativement dense qui, mise en rapport avec les
camps, permet de relativiser les appréciations alarmistes par le HCR et
le gouvernement dues à l'impact des réfugiés.
Sur la question du déboisement il est important de
comprendre les implications en jeu. Les réfugiés furent
accusés d'être les principaux acteurs de la déforestation
car puisant sans limites dans le bois alentour pour se procurer du bois de
chauffe. Cependant, il faut remettre ceci dans son contexte.
Dans la période 1991-1998, le ravitaillement en bois de
chauffe a connu plusieurs évolutions. Jusqu'à 1998, il reste
l'affaire des familles, s'alimentant de manière individuelle en fonction
des besoins.
L'activité d'approvisionnement est traditionnellement
réservée aux femmes et à leurs filles (s'alimentant tous
les deux ou trois jours). Le périmètre de collecte s'agrandissant
progressivement dans une région de très grande
insécurité (viols, attaques, rackets etc.) l'on vit
apparaître une évolution dans cette activité.
Ce constat des distances toujours plus grandes s'appuyait sur
les observations du HCR concernant la croissance des marchés du bois au
sein des camps. Cette croissance était due à l'implication
grandissante des hommes dans la collecte du bois de chauffe. Cependant, ceux-ci
utilisaient des brouettes ou des charrettes pour ramener plus de bois,
alimentant ainsi de manière plus efficace les marchés.
Les plaintes des autorités kenyanes se trouvaient ainsi
légitimées par ces évolutions : si les hommes
participent à la collecte et permettent l'expansion d'un marché
de plus en plus dynamique, c'est bien la preuve que les distances à
parcourir ne cessent d'augmenter et que, par corolaire, la déforestation
s'aggrave.
En réponse aux plaintes du gouvernement, le HCR engagea
des actions de protection et de réhabilitation de l'environnement. Le
souci principal, nous dit Cambrézy, est que ces actions avaient comme
base scientifique le postulat que nous avons cité
précédemment : « l'hypothèse d'une
dégradation massive du milieu était devenue une certitude au nom
du postulat selon lequel toute présence de réfugiés serait
supposée s'accompagner de graves perturbations. »8(*)
La question du bois de chauffe devint donc prioritaire car
elle était un élément de plus à ajouter à
l'image négative qu'avait le HCR à cause de
l'insécurité et des viols à répétition.
Le programme qui fut mis en place déboucha sur
différentes initiatives (reboisement, prévention, assistance
auprès des victimes de violences etc.) dont le fait de faire naitre dans
la tête des réfugiés une conscience écologique, leur
faire comprendre l'importance de l'environnement et de sa préservation.
Ainsi, le réfugié fut considéré comme
prédateur environnemental plutôt que comme victime. On acceptait
d'avance l'ignorance supposée de pasteurs et d'agriculteurs en
matière d'environnement... Cambrézy y voit ce qu'il appelle
« l'urgente nécessité de montrer que l'assistance
humanitaire sait réagir à l'irritation du
gouvernement »9(*).
À travers différentes études
réalisées par Cambrézy sur la déforestation en
s'appuyant sur la comparaison d'images satellites en 1979, 1990, 1995 et
199810(*) il observe que
les auréoles de déforestation ne cesse de s'agrandir autour du
camp dans le temps, donnant ainsi raison à l'hypothèse qu'il
existerait un besoin constant de bois. La responsabilité de cela fut
très facilement attribuée aux besoins en bois de chauffe et donc
aux réfugiés.
Ce qu'a fait Cambrézy dans son étude c'est de
montrer l'invalidité de cette hypothèse. Il estime que la
consommation d'un réfugié en bois par jour est de 1kg. Rapportons
ce nombre aux 100 000 réfugiés habitant le camp de 1991 à
1998 et il serait possible d'estimer la superficie des auréoles autour
du camp.
La conclusion de cette étude est la suivante :
« la déforestation est très inférieure à
ce qu'elle aurait dû être si les surfaces dégradées
correspondaient effectivement aux besoins des réfugiés en bois de
feu pour la période considérée. (...) Dans tous les cas,
si le problème du bois de chauffe se posait réellement comme il
avait été posé, la superficie qui aurait dû
être défrichée aurait été de deux à 30
fois supérieure aux surfaces effectivement
dégradées. »11(*)
À partir de ce constat, il a fallut reconsidérer
l'idée du bois de chauffe, vu jusqu'alors que comme une
dégradation continue et inéluctable du couvert
végétal. Il y avait, nous dit l'auteur, dans cette
hypothèse une autre hypothèse sous-jacente : l'idée
selon laquelle les femmes coupaient aussi le bois vert dans leurs
récoltes du bois de chauffe. Or, utiliser du bois vert pour le feu
à la place du sec est absurde car bien plus contraignant à faire
bruler (il faut stocker et faire sécher le bois). De plus, les femmes,
mettant, à chaque récolte, le bois sur leurs dos, elles ne
pouvaient transporter qu'une quantité limitée et
privilégiaient ainsi un bois sec dont l'usage serait immédiat.
D'autre part, il n'est pas possible pour les réfugiés de stocker
du bois vert dans l'attente qu'il devienne consommable car cela
nécessiterait de l'espace, dont ils manquent cruellement dans leur
grande promiscuité.
Les conclusions que tirent Cambrézy sont qu'en terme
d'efficacité et de sens pratique, le bois sec sera toujours
privilégié au bois vert dans l'utilisation du bois de chauffe. Et
c'est la disparition progressive de ce bois mort autour du
périmètre du camp qui a conduit à l'élargissement
de la zone de récolte avec, en parallèle, l'imbrication des
hommes dans la collecte. Ainsi, nous dit l'auteur, le ramassage du bois mort
n'est en rien une menace pour l'environnement. En revanche, du fait des
distances toujours croissantes et de l'implication des hommes est né un
marché de plus en plus actif qui, selon Cambrézy, irrite la
population locale et les autorités gouvernementales.
Alors comment expliquer la présence de ces
auréoles autour du camp ? Ce qui est le plus vraisemblable c'est
d'y voir l'effet que produit le camp lui-même sur la déforestation
par l'utilisation qu'il en a, que ce soit dans la construction de
bâtiments, de clôtures, de travaux de maintenance etc.
« En soi fortement consommateur d'espace, la formule du camp de
réfugiés -dès lors que celui-ci tend à se
pérenniser- implique une très forte demande en bois d'oeuvre afin
de répondre aux multiples besoins qu'implique l'ouverture d'un camp puis
sa transformation progressive en structure pérenne (reconstruction ou
amélioration de l'habitat des réfugiés, écoles,
dispensaires, centres de distribution, mosquées, clôtures, locaux
administratifs...)12(*).
Le problème soulevé ici est que ce ne sont pas
les réfugiés qui sont les acteurs de la dégradation
environnementale mais bien plutôt le camp lui-même et donc,
derrière ça, la politique des États hôtes (mettre
les réfugiés dans des camps). « C'est en effet la
volonté d'endiguement et de contrôle des réfugiés
qui aboutit au choix retenu par l'État de maintenir les
réfugiés dans des camps. Ce sont donc moins les
réfugiés que les options choisies pour les assister qui sont
à l'origine des dégradations
environnementales »13(*).
Ainsi, là où le gouvernement prend
prétexte de la dégradation environnementale pour endiguer un peu
plus les réfugiés dans des camps on s'aperçoit que c'est
la politique même qui est menée vis-à-vis des ces
réfugiés qui est la cause des dégradations. La
dénonciation de ces dégradations impose au HCR d'y trouver une
solution et permet au pays hôte de justifier son désir de ne pas
voir de réfugiés habiter ses terres et donc des menaces
d'expulsions. Du fait même que le HCR reconnaisse le problème
écologique et qu'il s'implique par des mesures diverses dans la
protection de l'environnement, le gouvernement kenyan trouve une
légitimité à mettre sous condition l'accueil des
réfugiés sur son territoire.
Rendre les réfugiés responsables de la
dégradation territoriale est une manière facile et rapide
d'expliquer les problèmes dans la région. Seulement, ce
``rejet'', s'explique plus dans l'expression d'une volonté politique que
dans un déséquilibre démographique et écologique.
La balance démographique.
Prenant appui sur le comparatif du ratio
réfugiés/population pendant les années 1980 et 1992 que
nous propose Pérousse de Monclos14(*) (voir tableau ci-dessous), on peut voir que les 3500
réfugiés au Kenya en 1980 représentaient un ratio de 1
réfugié pour 4324 habitants. Ce chiffre passe, en 1992, à
1 réfugiés pour 63 habitants. N'oublions pas que l'année
1992 a été le témoin d'un afflux extrêmement
important de nouveaux arrivants (900/jour).
Ratio réfugiés/populations hôtes en Afrique
de l'Est, 1980 et 199215(*)
Pays Année Population
Réfugiés Nombre d'habitants pour un réfugié
|
|
|
Djibouti 1980 400 000 42 000
1 : 10
|
1992 467 000 28 000
1 : 17
|
|
Burundi 1980 4 500 000 234 500
1 : 18
|
1992 5 823 000 272 000
1 : 21
|
|
Soudan 1980 18 700 000 490 000
1 : 38
|
1992 26 656 000 726 000
1 : 38
|
|
Kenya 1980 15 134 000 3 500
1 : 4 324
|
1992 25 230 000 402 000
1 : 63
|
|
Tanzanie 1980 18 600 000 150 000
1 : 133
|
1992 27 829 000 292 000
1 : 95
|
|
Ouganda 1980 12 600 000 112 500
1 : 112
|
1992 18 674 000 196 000
1 : 95
|
|
Zaïre 1980 29 300 000 400 000
1 : 73
|
1992 39 882 000 391 000
1 : 102
|
|
Éthiopie 1980 30 400 000 11 000
1 : 2 764
|
1992 52 981 000 432 000
1 : 123
|
Ce que nous dit Pérousse de Monclos c'est que ce ratio,
bien qu'important, n'en demeure pas moins tout-à-fait raisonnable
à l'échelle de l'Afrique subsaharienne. Il suffit de regarder les
chiffres des autres pays pour cela, même si l'augmentation la plus
notable s'est effectuée au Kenya. Il donne pour exemple le cas de la
Somalie qui, en 1980, avec 1 540 000 réfugiés pour 3 600 000
habitants avait un ratio de 2,3. La différence ici est que la Somalie
entretenait de fortes affinités ethniques avec ses
réfugiés (notamment ceux issues de la guerre d'Ogaden).
Au regard de ces chiffres, il est évident de constater
les changements qu'ont opérés les afflux massifs dans
l'économie et l'écologie du Kenya. En 1992, la pression des
réfugiés sur les ressources du pays était bien sûr
plus importante qu'en 1980, du moins si on la rapporte seule au PNB par
habitant. Cependant, Pérousse de Monclos nous rappelle que les pertes
engendrées furent compensées par les apports financiers de l'aide
occidentale et par les opérations onusiennes en Somalie. À cause
de la guerre, le commerce du Kenya vers la Somalie a augmenté de 1350%
entre 1988 et 199616(*).
L'impact démographique que le gouvernement kenyan a
utilisé pour légitimer les phénomènes d'endiguement
des réfugiés dans les camps est lui aussi invoqué de
manière un peu rapide. Nous avons vu que l'implantation Somali dans la
région est le fruit d'un long processus et que celle-ci laisse croire
à une forte expansion démographique des réfugiés.
Entre les recensements de 1969 et 1979, les populations des
districts de Garissa et de la Tana River, par exemple, a augmentée de
respectivement 50% et 100%. Cela serait en grande partie due à la
levé de la loi martiale et au retour des Somali qui avaient fuis la
répression gouvernementale pendant la guerre de sécession
à l'indépendance. S'ajoutaient à ceux-là les
réfugiés de la guerre d'Ogaden (1978 ainsi que les victimes de la
grande sécheresse de 1975 en Somalie qui avait fait 13 000 morts.
Cependant, lors des recensements de 1979 et 1989 au Kenya on
peut voir que la province du NFD a connue le plus faible taux de croissance
démographique du pays (0,05% par an)17(*) . La communauté Somali au Kenya n'a
augmenté que de 156% entre 1962 et 1989, contre 256% pour l'ensemble du
pays, ce qui est bien inférieur.
Il est à voir ici la peur qui continue de secouer le
Kenya. La menace d'une expansion démographique trop importante
remettrait en cause jusqu'à l'intégrité de l'État
kenyan. Tatania Charlier18(*) nous explique que les prétentions somaliennes
sur le Northern Frontier District remettraient en cause l'existence même
de l'État.
Si le Kenya avait reconnu des droits aux somaliens sur le NFD
ça aurait créé un effet boule de neige qu'il aurait
été très difficile de contrôler. L'auteur nous dit
que chaque tribut peuplant le Kenya aurait pu prétendre aux mêmes
droits dans sa région respective. La généralisation de ce
principe aurait conduit à l'émiettement de l'État,
jusqu'à sa disparition totale. Le gouvernement a l'obligation de faire
régner l'intégrité territoriale et le respect absolu des
frontières pour sa propre survie. Dans le cas de l'application du
principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes on aurait
assisté à un partage du Kenya et, nous dit l'auteur, sa
généralisation aurait déclenché sur l'ensemble du
continent une chaine de revendications accompagnée d'insolubles conflits
qui verrait l'anéantissement de la quasi-totalité des structures
politiques modernes en Afrique19(*).
Ainsi on peut voir en quoi les bouleversements
démographiques dans la région ont attisées les craintes du
gouvernement kenyan face à une idée recyclée du
pan-somalisme.
Cependant, la poussée Somali au Kenya n'est pas si
claire. On peut y ajouter les problèmes dus aux définitions des
frontières coloniales et d'une identité Somali. On a
rassemblé au Kenya des populations très diverses et les cadres
étatiques ont changé en fonction des conquêtes coloniales
(le pays Turkana, par exemple, au Nord-Ouest était d'abord
géré par le protectorat britannique en Ouganda puis a
été progressivement rattaché au Kenya entre 1902 et 1926).
Une autre cause du coté arbitraire des frontières peut se lire
dans les mouvements des populations nomades. D'autre part, faisant suite
à un accord de 1916 dans le cadre des alliances contre l'Allemagne
pendant la première Guerre Mondiale, le Jubaliland fut
cédé aux Italiens en 1925. Enfin, la répression kenyane
contre les sécessionnistes dans les années 1960 ont conduit
près de 200 000 nomades à fuir en Somalie. Ainsi, il est
très difficile de faire la distinction entre les Somali du Kenya et les
Somali de Somalie. Les estimations de Pérousse de Monclos dans les
camps de Hagadera à Dadaab nous disent qu'entre le tiers et la
moitié des réfugiés y vivant seraient des Kenyans victimes
de la sécheresse.
3. La sécurité, les risques de
conflits : un argument au nom de l'endiguement.
« L'installation des masses importantes de
réfugiés aux frontières des pays en guerre,
socio-économiquement ou politiquement fragilisés, s'accompagne
généralement d'une augmentation de la violence, d'une plus grande
compétition pour les ressources et de conflits avec les populations
locales. Ce sont là autant de ficelles que s'empressent de tirer
différents acteurs, tant du pays d'origine que du pays d'asile, pour qui
cette masse humaine compactée dans des camps représente un
véritable enjeu de pouvoir20(*). »
Il existe une altérité culturelle et politique
entre les kenyans et les Somali kenyan qui expliquerait les discriminations
dont ont été victimes les réfugiés à leurs
arrivés. Pérousse de Montclos nous dit que déjà
à l'époque de la gouvernance britannique, les populations Somali
établies au Kenya étaient régentées par une
administration spéciale21(*). Celle-ci était différente
de celle qui s'appliquait au reste du pays et demeura en place même
après l'indépendance, sous l'état d'urgence. En 1926, le
NFD fut déclaré closed district et special district en 1934.
Ainsi, en son sein, la population bénéficiait d'un statut
spécial avec une justice particulière. Ils échappaient au
code pénal occidental et n'étaient sujet qu'à la seule
justice coutumière.
À l'arrivée des réfugiés, la
première réaction du Kenya fut d'organiser leur rapatriement
forcé. En avril et juin 1989, deux groupes de 5 000 personnes qui
étaient arrivés dans le village de Liboi, près de la
frontière, furent immédiatement réexpédiés
chez eux22(*).
Face à des arrivées toujours croissantes de
réfugiés, il fut décidé, quelques mois plus tard,
de procéder à un recensement. Ainsi, on somma chaque citoyen
Somali du Kenya de venir se présenter aux bureaux de contrôle dans
un délai de trois semaines sous peine d'arrestations.
Prenant appui de cette altérité
particulière, le gouvernement kenyan imposa, après enquête,
aux populations Somali du Kenya le port d'une carte d'identité
spéciale, attestant de leur authentique citoyenneté kenyanne.
Celles-ci, la Somali Verification Card étaient de couleur rose,
surnommées « pink cards ». Cette procédure
suscitât un grand nombre de réactions à l'international
compte tenu de son caractère discriminatoire. Notons que l'avocat ogaden
et défenseur des Droits de l'homme Mohamed Ibrahim qui refusa de s'y
soumettre fut arrêté lors d'une manifestation en 1990. Elle tomba
en désuétude la même année et fut officiellement
abandonnée en 1992.
Nathalie Gomes explique ces mesures répressives par la
volonté du gouvernement kenyan de légitimer sa lutte contre
l'insécurité latente dans le Nord-Est du pays23(*). Selon elle, le gouvernement
soupçonnait des bandes armées somaliennes et
somaliennes-éthiopiennes de fournir un contingent de mercenaires aux
communautés locales prises dans des luttes intestines. On accusait ces
mercenaires de piller les convois dans la région dans le but de
récupérer l'armement des escortes militaires. Le gouvernement les
considérait aussi responsables de l'augmentation du braconnage et de la
contrebande de trophées dans les parcs nationaux. On leur
appliquât le terme de Shifta (bandits sanguinaires), responsables des
pires crimes dans un pays où la ressource essentielle est le tourisme et
donc, fortement dépendant de son image.
Pérousse de Montclos nous dit que la guerre de
sécession qui a suivie l'indépendance peut servir
d'éclairage sur la façon dont est traitée la `'menace''
des réfugiés de 199124(*).
L'implosion de la Somalie a fait perdre toute son importance
aux litiges de frontières sur le NFD. Les réfugiés ne sont
plus maltraités à cause des risques de sécession qu'ils
pourraient amener dans la région mais parce qu'ils ne peuvent plus
influencer les élites au pouvoir du fait de la marginalisation politique
et économique de leurs congénères au Kenya durant les
années précédentes.
Le nord du Kenya est une région
périphérique, un espace sous-développé (le taux de
scolarisation était de 17% et 14% dans le district de Wajir au moment
où Pérousse de Montclos écrit ces lignes à la fin
des années 1990. Ces taux sont parmi les plus faibles du pays). Le nord
est dirigé par le pouvoir central, de la même manière que
sous l'autorité britannique. Lors de la création de la
réserve de Kora, la population locale ne fut pas consultée pour
en délimiter les frontières. Ainsi, les contours de la
réserve empiètent sur les zones de pâturages des Boran et
des Somali. Sur les terres qui ne sont pas immatriculées, appelée
trust land, le gouvernement applique la loi coutumière pour
gérer les problèmes fonciers. Elle attribue donc des droits
d'usage mais pas de propriété. En 1978, le conseil municipal de
Marsabit se référait aux aires de pâturage tribales de la
même manière que sous l'autorité britannique pour interdire
l'accès aux Somali dans le district de Moyale. En 1987 sont
armés, à Isiolo, trois cents miliciens dont le but était
de repousser les incursions nomades somali. Sont mis à contribution des
rangers des parcs nationaux et, sous prétexte de lutte contre le
braconnage, font un raid en 1996 contre les Somali qui fera treize morts.
D'autre part, Marc-Antoine Pérousse de Montclos, parle
des nombreux abus qui ont suivi le maintien de l'état d'urgence dans la
province du Nord-Est. Le personnel de sécurité (non-Somali) se
sent étranger dans un environnement qu'il perçoit comme hostile.
En novembre 1980, furent assassinés six policiers qui avaient
été accusés d'avoir torturé et castré un
braconnier Somali. Cela provoqua la fureur des militaires qui, en
représailles, tuèrent une centaine de personnes en mettant le feu
à un village entier dans les environs de Garissa. D'autres incidents de
ce type eurent lieu en 1981 à Wajir et en 1982 à Madogashe
où plus d'une centaine de Somali furent crucifiés à des
arbres. En 1984, après la découverte d'une cache d'armes, en
réalité posée par la police, les forces de l'ordre firent
plus de 2 000 victimes à Wajir. Dans ce district, sous prétexte
de violences opposant des Degodia et des Ajuran, l'armée interdit aux
habitants le ravitaillement en eau et procède à des
exécutions collectives sur la piste de l'aéroport de Wagala. Il y
aurait eu un peu moins de 300 cadavres (57 officiellement). Sous pression des
occidentaux, l'état d'urgence est levé en 1991 ce qui correspond
paradoxalement au moment où affluent les réfugiés
somaliens25(*).
La proximité culturelle entre les
réfugiés et les habitants a pu favoriser l'intégration des
exilés à Dadaab. Cependant, elle a aussi pu permettre à la
guerre en Somalie de passer la frontière et de se prolonger dans les
camps. Du fait que, comme nous l'avons dit plus haut, les
réfugiés somaliens aient été assimilés aux
Somali du Kenya, eux-mêmes ayant subit de lourdes discriminations et
répressions militaires, les forces de sécurité kenyanes
ont pénétré, en 1992 et 1993 dans les camps de Dadaab pour
y tuer des réfugiés en invoquant leur droit de poursuite des
bandits de la région26(*). Selon Marc-Antoine Pérousse de Montclos, ces
bandits, ou Shifta, ont violé des femmes qui n'étaient
pas de leur clan et le gouvernement kenyan n'a pas assuré la
sécurité des réfugiés. Pire encore, il semblerait
que les forces de l'ordre se seraient joint à certains de ces viols. La
prise d'assaut par l'armé contre les shifta aurait fait une
soixantaine de morts entre août et septembre 1992. Les bandits ont pu
racheter leur liberté en corrompant les forces de sécurité
qui, elles-mêmes, finissaient par remplir leur quota d'arrestation en
utilisant des réfugiés... Au cours de l'année 1993, on a
répertorié plus de quarante victimes parmi les
réfugiés, tuées par la police ou l'armée en prison.
Cinq furent « disparus » alors qu'ils étaient en
détention, deux furent battus à mort, quatre furent abattus quand
les forces de sécurité ont ouvert le feu et on n'a
dénombré qu'une seule personne qui fut assassiné par des
bandits27(*). Il existe
cependant une mesure de taille entre ce qu'ordonne le gouvernement central
à Nairobi et les « excès de zèle » des
forces de sécurité sur place.
Dans les camps mêmes de Dadaab, la
sécurité fait tellement défaut que les organisations
humanitaires se sont installées dans un unique camp de base situé
en bordure du village, protégé par une triple défense de
barbelés et de haies d'épineux. Pour se déplacer d'un camp
à l'autre, le personnel doit utiliser un convoi sécurisé
chaque matin et chaque soir.
« The security situation in and around Dadaab has
been deteriorating... despite additional live fencing being installed, banditry
attacks within the camps (including looting, shooting etc.) have become almost
daily occurrences. One or two bullets being fired is now considered as a minor
incident and some shootings even appear not to have been reported to the
police... A senior UNHCR staff security officer described the Dadaab situation
as probably worse than in Kosovo28(*). »
Bien que selon Jeff Crisp29(*) il soit impossible de quantifier le nombre de
violence qui se passe sur le camp de Dadaab, il est cependant clair que des
violences impliquant la mort ou des blessures graves se passent tous les jours.
Crisp dresse une typologie des violences sous cinq
différentes formes : les violences domestiques et
communautaires ; les abus et violences sexuels ; les braquages
à main armée ; les violences au sein d'un groupe de
réfugiés de même nationalité ; les violences
entre des groupes de différentes nationalités et les violences
entre les réfugiés et la population locale30(*).
La plupart des violences dont sont victimes les
réfugiés sont celles qui leurs sont faites par des membres de
leur propre famille ou communauté. Les femmes sont harcelées et
parfois battues par leur mari et cela est finalement devenu acceptable par les
réfugiés qui, du coup ne rapportent plus ces incidents à
la police ou au HCR, rendant très difficile la connaissance de
l'ampleur du problème.
L'insécurité trouve aussi une expression dans la
hiérarchie sociale et politique au sein même des
communautés de réfugiés. Des hommes et des adolescents
Somali doivent parfois quitter le camp pour retourner se battre dans leur
propre pays, au nom d'un clan ou d'une faction auquel ils appartiennent.
D'autres formes de violences sont bien sûr les viols et
même les mutilations génitales féminines (excisions) qui
sont largement répandues parmi les réfugiés Somali.
Les violences sexuelles sont une menace constante pour les
femmes dans le camp de Dadaab et ce, malgré un nombre important de
mesures préventives. Mais tenter d'établir avec exactitude le
nombre de viols commis est impossible. Certaines femmes, rongées par la
honte de s'être fait violer, ne vont pas se présenter en tant que
femme violée auprès des instances, alors que d'autres femmes, qui
elles n'ont pas subie de viol vont se présenter tout de même pour
pouvoir bénéficier du programme d'assistance spéciale
monté par le HCR31(*).
La majorité de ces viols se passent en plein jour, sur
des femmes de 12 à 50 ans, dans les buissons entourant le camp,
lorsqu'elles sortent pour aller chercher du bois de chauffe.
Ce serait des bandits qui perpétreraient ces crimes.
Selon le personnel sur place, de réfugiés et d'informateurs
locaux, ces bandits seraient formés d'un mélange entre des
kenyans, des réfugiés Somali et, moins fréquemment, des
membres de milices basées en Somalie qui viendrait faire des raids de
l'autre côté de leur frontière. Ils se déplacent
à pieds, par groupe de 5 à 25 et font preuve d'une extrême
violence32(*).
Une des manifestations de violence parmi les plus importante
est celle qui implique des affrontements entre des exilés de même
nationalité (mais de clans différents). Ils sont très
fréquemment déclenchés suite à des incidents
mineurs mais qui peuvent très vite dégénérer en
conflit de vaste ampleur faisant parfois plusieurs dizaines de morts.
Du fait de la proximité culturelle et linguistique
entre les populations locales et les réfugiés, les conflits
opposant ces deux belligérants sont, fort heureusement, rares.
D'autre part, le quotidien des réfugiés se
trouve en permanence pris dans une succession de règlements de compte,
de vengeances et de viols. Une part de cette violence s'explique par le
caractère criminogène des camps de
réfugiés33(*). Les rivalités entre les différents
chefs de guerre qui ont amené les affrontements en Somalie se sont
largement exportées dans les camps kenyans. Ainsi, la violence peut
être associée à du banditisme, comme dans le cas des
coupeurs de route dont le but est seul lucratif, mais elle peut aussi
être d'ordre politique avec l'importation du conflit dans les camps.
Pour les mouvements armés qui veulent
reconquérir le pouvoir dans leur pays d'origine, les
réfugiés représentent un instrument politique dans le
cadre de la sécurité extérieure du pays d'accueil. Ils
permettent en effet un triple avantage car ils servent de base de recrutement,
de sanctuaire et d'atout logistique.
Les réfugiés, entassés dans les camps,
soumis aux rudes conditions de l'exil sont un noyau de combattants dont le
recrutement se fait de manière volontaire ou forcée.
Du fait que les réfugiés
bénéficient d'une relative protection en droit international,
qu'ils aient une importante densité démographique dans une
région particulière avec une composition culturelle proche, les
camps sont, en quelque sorte, une base d'appui idéale pour des
mouvements armés. Les combattants peuvent très facilement se
mêler aux populations des camps, surtout lorsqu'ils partagent la
même langue et les mêmes revendications politiques.
Ajoutons à cela l'aide humanitaire dispensée
dans les camps qui leur donne une importance logistique considérable.
Cette aide est détournée de manière plus ou moins violente
pour soutenir l'effort de guerre. Le problème se pose donc pour les
humanitaires qui se demandent si il faut continuer à dispenser l'aide
aux populations civiles tout en sachant qu'une partie sera
détournée pour continuer la guerre.
Du fait même de la dangerosité latente que
représentent les camps de réfugiés, le regard accueillant
qu'ont pu avoir les populations du pays hôte s'est transformé en
regard de méfiance. Le réfugié en détresse est
devenu un rebelle qui amène avec lui les conflits qui ont lieu dans son
pays d'origine.
Suite à la crise des grands lacs en 1992-199634(*) est apparue une grande
réflexion internationale sur le thème de la dynamique qui
s'opère entre les réfugiés et la sécurité
régionale.
Au terme de cette réflexion, à laquelle
participe activement le HCR, sont apparues différents axes de
priorité.
D'abord, le désarmement des réfugiés
armés qui franchissent la frontière. Aussi évident que
cela puisse paraître, le HCR doit constamment rappeler cette exigence en
amenant les instances politiques nationales à faire face à leurs
responsabilités : faillir sur le désarmement des
exilés ne peut que déboucher sur des problèmes de
sécurité intérieure et extérieure.
Un deuxième axe se trouve dans la séparation des
réfugiés. Du fait de son caractère civil, le camp se doit
de séparer les populations civiles des combattants. Le but ici est
d'empêcher, d'une part que les civils ne deviennent des otages des
combattants et donc leur garantir une certaine liberté et, d'autre part,
d'empêcher de faire du camp une cible militaire potentielle.
Au-delà de la séparation physique, il doit
exercer une séparation légale. Les clauses d'exclusions des
Conventions de Genève et de l'OUA retirent le bénéfice de
la protection internationale à une personne dont on aurait de
sérieux doutes sur le fait qu'elle a commis « un crime contre
la paix, un crime de guerre, un crime contre l'humanité, un crime grave
de droit commun, ou qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux
buts et aux principes des Nations Unies et de l'OUA 35(*) ». C'est ainsi
à la nation d'accueil qu'incombe la responsabilité de
l'application de ces clauses d'exclusion pour maintenir l'asile dans sa vraie
nature civile.
Le HCR n'a ni la capacité opérationnelle ni le
mandat pour effectuer ce travail de séparation. En revanche, il a
constamment réitéré ses mises en garde quant aux dangers
possibles si elle n'avait pas lieu aux autorités d'accueil. Et, sur un
plan plus pratique, il a prêté main forte aux autorités
nationales qui souhaitent effectuer cette séparation. Il pourra assister
au déploiement et à la formation de polices spéciales et
apporter des installations pour séparer les combattants des
réfugiés36(*).
Un autre axe se trouve dans le fait que les camps doivent
être installés loin de la frontière avec le pays d'origine.
Cela offre un double avantage en terme de sécurité. Ça
rend les camps moins vulnérables à de potentielles attaques des
pays d'origines et ça créer une zone tampon avec la
frontière qui permet de mieux contrôler les flux
d'activités qui se passent au départ et en direction des camps
depuis la frontière. D'ailleurs, le comité exécutif du HCR
rappelle que « le lieu de séjour des personnes en quête
d'asile doit être déterminé en fonction de leur
sécurité et de leur bien-être ainsi que des exigences de
sécurité de l'État d'accueil37(*) ». Cependant,
M.Mangala nous dit que pour des raisons d'ordre géopolitique ou
socio-économique la mise en oeuvre de ce postulat ne s'est pas toujours
accompagnée de l'assentiment des autorités nationales
d'accueil.
La sécurisation des camps, qui est un nouvel axe,
comporte une double dimension. D'abord, elle cherche à éviter que
les camps soient la cible d'attaques armées et ensuite, elle fait en
sorte que les camps ne deviennent pas des zones de non-droit, livrées
à la violence et aux intimidations.
C'est avec la crise des grands lacs que l'attention s'est
portée sur la dimension interne du problème de
sécurité, focalisée avant sur son coté externe.
D'autre part, la sécurité dans et autour des camps tient avant
tout de la responsabilité du pays d'accueil. Ce dernier peut, s'il le
souhaite faire appel à la communauté internationale pour
l'assister dans cette tâche.
Le HCR a développé différentes
initiatives innovantes en collaborations avec l'autorité nationale et
ses partenaires opérationnels. Ainsi, à Dadaab, le HCR, qui
voulait diminuer l'insécurité dans les camps, a apporté
son soutien à la police locale en renforçant sa capacité
et son efficacité. Il a aussi introduit des arrangements de
sécurité dans les camps en recrutant, comme coordonnateurs de
sécurité, des anciens officiers de l'armée kenyane et en
créant une force de 120 gardes locaux parmi lesquels figurent des
réfugiés et des personnes issues de la population locale38(*).
Dans un effort de renforcer la capacité et
l'efficacité de la police locale, le HCR a fournit véhicules,
pièces de rechange et essence. Il a installé des relais radio, a
construit des stations de police, disséminées dans le camp,
permettant des patrouilles de nuit, paye ces policiers et offre même des
``bonus'' à ceux qui participent aux tâches de distribution de la
nourriture. D'autre part, des officiers du HCR, chargés de la
protection, ont pris part à la formation des officiers de police, du
personnel militaire et des représentants du gouvernement pour s'assurer
du bon respect de la loi internationale concernant les
réfugiés.
L'UNHCR a établie un programme avec pour axe central le
principe de « community self-management » dont le
but est d'impliquer les réfugiés dans la vie du camp. Ainsi
furent développés différents organismes qui visent
à faciliter l'implication des réfugiés dans le respect de
la loi et de l'ordre. On peut citer ici la création des comités
des femmes, de sécurité, de sécurité et justice,
d'antiviolence et d'anti-viols.
Pour améliorer le site, le HCR et l'agence allemande
GTZ (Gesellschaft für technische zusammenarbeit) ont
assisté les réfugiés pour construire plus de 150km de
barrière autour des camps pour les rendre difficilement
pénétrables.
On peut citer également des mesures préventives
visant à éviter aux femmes de sortir pour aller chercher du bois
de chauffe en débloquant un budget de 1,5 million de dollars pour
acheter et fournir ce bois ou en promouvant l'utilisation de sources
d'énergie alternatives, comme le solaire.
Notons aussi le programme ``Refugee-affected area''
dont le but est de s'assurer que les populations locales tirent des
bénéfices de la présence de réfugiés sous la
forme d'accès à l'éducation, aux soins, à l'emploi
au sein du camp, la distribution d'eau etc.39(*)
La question de la sécurité est
étroitement liée à la politique d'endiguement des
réfugiés. Jeff Crisp s'interroge sur la question de savoir
pourquoi, malgré toutes ces initiatives, les efforts de l'UNHCR en
terme de sécurité ne payent-ils pas ?
Selon Peter Kagwanja, cité ici par Jeff Crisp,
l'appréhension du Kenya vis-à-vis des réfugiés
s'explique par plusieurs facteurs : un taux de terres cultivables toujours
plus faible (3% du territoire), une peur chronique des Somali40(*), une crainte que
l'arrivée des réfugiés s'accompagne d'une propagations
d'armes à feu dans le pays et d'une augmentation du taux de crimes et de
troubles sociaux41(*).
C'est à la lumière de ces facteurs que Kagwanja
explique que l'État kenyan a cherché à limiter le nombre
de réfugiés sur le territoire et a toujours rejeté
l'idée de donner aux exilés des terres et ainsi leur permettre de
s'installer dans le pays.
Au début des années 1990, le nombre de
réfugiés passe à 420 000 sur l'ensemble du
territoire42(*) avec une
majorité de Somali. Le Kenya a été obligé de les
accueillir pour plusieurs raisons. La première c'est parce qu'il avait
signé les conventions sur les réfugiés de l'ONU et de
l'OAU. Ensuite, il n'avait pas de raison valable pour stopper physiquement
l'afflux. Enfin, il devait prouver sa bonne foi et son engagement à
l'égard de la démocratie et des droits de l'homme, s'assurant par
là le bon versement de l'aide internationale qui en été
venue à questionner son engagement.
Après avoir autorisé les réfugiés
sur son territoire, le Kenya a été très clair sur le fait
que leur présence n'était pas la bienvenue. En décembre
1992, le gouvernement a annoncé que les réfugiés devaient
retourner en Somalie et a même pressé l'UNHCR d'initier un
programme d'assistance pour franchir la frontière dont le but
était de promouvoir un retour volontaire et de prévenir de
nouveaux afflux.
Le résultat c'est qu'en 1997 la majorité des
camps éparpillés à travers tout le territoire
étaient fermés et tous les réfugiés envoyés
à Dadaab ou à Kakuma, seuls restés ouvert... la
responsabilité de la gestion des camps fut léguée à
l'UNHCR et ses ONG partenaires.
Malgré la présence sur le long terme des
réfugiés, le Kenya n'a pas de législation sur les
réfugiés. Ces derniers n'ont pas un statut légal clair ou
une carte d'identité. Les représentants et les organisations de
l'État ne semblent pas avoir un intérêt prononcé
pour la situation des réfugiés, les considérant comme le
problème de l'UNHCR. L'opinion publique est largement hostile à
la présence des exilés et se refuse à voir l'impact
positif qu'ils peuvent avoir sur l'économie locale (voir partie 2.2).
Tous ces facteurs réunis expliquent en quoi il est
difficile d'assurer la sécurité sur les camps lorsque
l'environnement général n'est pas propice à une telle
protection.
Le phénomène d'endiguement s'explique ici par la
volonté qu'a le Kenya de chasser les réfugiés Somali de
son territoire, de faire son possible pour en limiter l'intégration et
de prendre prétexte de quelques principes pour en justifier tout cela.
L'insécurité des camps provient de la politique choisie à
l'égard des réfugiés. C'est à cause du camp
même qu'une telle insécurité s'est développée
et c'est par la volonté d'endiguement qu'elle a explosée.
II/ Les moyens ``institutionnels''
C- Des moyens formels
4- La loi : le droit d'asile et le droit des
réfugiés
5- La capacité d'attraction des réfugiés
vers les camps
6- L'UNHCR
D- Des moyens informels
3- Construction de la catégorie de ``l'exilé''
4- Appropriation informelle de lieux d'échanges publics
et participation des réfugiés à leur propre endiguement.
A. Des moyens formels
1. La loi, le droit d'asile et le droit des
réfugiés
La convention de Genève de 1951 définit un
réfugié comme toute personne « qui craignant avec
raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion,
de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social
ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de
nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa
résidence habituelle à la suite de tels évènements,
ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y
retourner. »43(*)
Suite à la chute des deux régimes dictatoriaux
en Éthiopie et en Somalie, le Kenya a vu passer sa population de
réfugiés d'environ 15 000 âmes à un chiffre
estimé entre 370 000 et 700 00044(*).
Ces nouveaux arrivants, majoritairement Somali, se sont vu
attribuer le statut de réfugié prima facie. Le Kenya a
ratifié la convention de Genève de 1951 et son protocole de 1967
puis, en 1992, la convention de l'OUA (Organisation de l'unité
africaine) de 1969 ainsi que la charte de Banjul sur les droits de l'homme et
des peuples (adoptée à Nairobi en 1981, suite à la
conférence d'Arusha en 1979)45(*). Toutes ces conventions se posent contre l'expulsion
en masse des réfugiés et encouragent même la naturalisation
au cas par cas. Cependant, le pays n'avait ni l'administration et le cadre
légal, ni la capacité de gérer une situation qui changeait
à une telle vitesse46(*).
Le principe de non refoulement des réfugiés a
plusieurs fois était `'oublié''. En 1989, 5 000 somaliens furent
arrêtés par le gouvernement kenyan car ils étaient
suspectés de soutenir le SPM (Somali Patriotic Mouvement) et
furent échangés avec le régime de Siad Barre
(opposé à ce mouvement) contre un droit d'inspection des bases
militaires somaliennes dans la ville frontalière de Dobley. En novembre
de la même année furent chassés 3 000 somaliens qui avaient
fui une attaque du pouvoir de Barre contre le SPM dans la même ville. Sur
ces 3 000, 60 furent livrés directement aux autorités de
Mogadiscio par les militaires kenyans et sur ceux-là, 18 furent
directement exécutés. La police a elle aussi refoulé
quelques 1 400 somaliens en juillet 1993. Même la marine s'y est
attelée ! Elle a repoussé des embarcations
surchargées, les boat-peoples somaliens qui tentaient d'accoster sur le
territoire kenyan. Beaucoup de ces bateaux coulèrent. On compta, en mars
1990, 140 morts par noyades près de Malindi. En mai de la même
année, au large de Lamu ce furent 37 autres. En juillet 1992, à
Mombasa, une vingtaine de réfugiés moururent de faim et de soif
parce qu'on refusait de les laisser débarquer. En mai 1993, 54
réfugiés trouvaient la mort en se noyant alors qu'ils
étaient rapatriés sur Mogadiscio47(*).
Avant 1991, le gouvernement utilisait un système
administratif adapté pour le statut de réfugié.
Généralement, les réfugiés étaient
autorisés à s'intégrer localement et à jouir des
droits au travail, à l'éducation et à la liberté de
mouvement48(*).
Face à l'afflux des années 1990, le gouvernement
kenyan, complètement débordé, a cessé de
délivrer des cartes d'identité aux réfugiés
dès octobre 1990 et a fini par léguer son rôle dans la
détermination du statut des réfugiés à l'UNHCR. Les
Somali ont été pris en groupe, comme réfugiés prima
facie, alors que les demandes d'asile faîtes par les Éthiopiens,
les Érythréens, les Ougandais, les Burundais, les Rwandais et les
Congolais étaient traitées de manière individuelle.
Ainsi, au Kenya, les bureaux du HCR ont établis des
distinctions entre les réfugiés sur des critères ethniques
et nationaux. « Les Éthiopiens et les Érythréens
ont été reçus les lundi et mercredi ; les Soudanais
et les Somaliens, les mardi et vendredi ; les Rwandais, les Burundais et
les Congolais, le jeudi. Les réfugiés, il est vrai, ont
eux-mêmes argué de leur différenciations ethniques pour
demander un traitement à part, à l'instar des Oromo du sud de
l'Éthiopie, où un Front de libération revendique un
État d'Oromia »49(*).
Dans les villes, les réfugiés qui demandaient
l'asile étaient généralement opposés à un
tri ethnique. Ils étaient par ailleurs soutenus par les fonctionnaires
kenyans du système humanitaire car ils y voyaient des similitudes avec
leur propre histoire coloniale. Ils revendiquaient que le classement se fasse
sur ordre d'arrivée, avec des exceptions : les cas d'urgence comme
les malades, les handicapés, les femmes enceintes et les mères
seules avec des enfants.
L'idée était d'échapper au camp. Les
décisions du HCR étaient sujettes à appel, ils ont
cherché la protection d'organisations des droits de l'homme,
manifesté dans la rue et même mis en avant la présence
d'ennemis personnels dans les camps50(*).
En théorie, le droit à l'asile, dans la loi
internationale, cherche à augmenter les droits existants qu'un
réfugié possède sous d'autres conventions internationales,
comme la déclaration universelle des droits de l'homme des Nations
Unies. Cependant, en pratique, quand les réfugiés
bénéficient de l'asile, plus spécifiquement dans le cas du
prima facie, où le statut de réfugié est accordé en
masse, des restrictions significatives sont mises sur leurs autres droits et
libertés. L'exilé doit se rendre dans les camps où de
telles restrictions s'opèrent sur sa liberté de mouvement, ce qui
rogne considérablement ses autres droits fondamentaux.
Ces restrictions sont placées sur les
réfugiés par les gouvernements d'accueil dans un effort de lutter
contre l'insécurité, de veiller à la protection de
l'environnement et de garder la bonne balance socio-économique des
populations locales51(*).
Pour ce qui est du prima facie, cela veut dire que les
réfugiés sont considérés comme tel sans avoir
à passer par un entretien ou avoir leur demande de statut de
réfugié évaluée sur une base individuelle52(*). Ce statut est
généralement donné aux personnes fuyant des zones de
guerre en grand nombre car il est communément accepté que ce sont
des réfugiés : ils n'ont pas à apporter la preuve par
des entretiens ou des évaluations.
L'attribution du statut de réfugié prima facie a
été ajouté au dispositif de Genève de 1951 en 1967
pour caractériser de nouvelles situations politiques. À cette
date, le constat se fait que, dans une situation donnée, des populations
passent la frontière pour s'installer de l'autre
côté53(*).
Dès lors, des organisations humanitaires s'occupent des premières
prises en charge. Ensuite, deux possibilités s'offrent aux
réfugiés : soit ils s'installent dans les camps du HCR soit
ils partent d'eux même mais, dans ce cas là, on les
considère comme indépendants, on ne les comptabilise plus comme
réfugiés et ils ne peuvent pas bénéficier des aides
fournies pour faciliter l'installation54(*).
Michel Agier nous dit55(*) que dans des contextes de fortes violences
très identifiées, on ne reconnaît comme
réfugiés que ceux qui sont installés dans un camp. La
carte de PAM (programme alimentaire mondial) par exemple sert de ``carte
d'identité'' en prouvant que la personne bénéficie bien
d'une ration alimentaire dans un camp déterminé.
Le gouvernement kenyan, en accordant un statut prima facie aux
réfugiés somaliens s'est permis de ne pas entrer dans les
trajectoires individuelles de chaque réfugié ce qui aurait pu
leur valoir un asile politique définitif...
Le gouvernement a pris peur face à l'arrivée des
Somali car, ajouté à l'idéologie de la « Grande
Somalie », ils craignaient que la loyauté des Somali kenyans
aille à la Somalie posant de fait un risque quant à la
sécurité de la nation.
Ainsi, pour gérer ces afflux toujours croissant, le
Kenya a opté pour une politique d'endiguement, ou d'encampement, des
réfugiés. En 1993, le gouvernement a désigné Dadaab
et Kakuma comme les seuls camps de réfugiés du pays.
En 1997, tous les autres camps sur la côte et dans le
reste du pays étaient fermés et la majorité des
exilés étaient transférés dans les deux camps
restant. Le gouvernement a renforcé sa politique de ``light security
intervention'' en adoptant des mesures pour lutter contre le banditisme et
autres insurrections.
En 1992, L'USCR (United States Committee for Refugees) a
accusé l'UNHCR et des représentants kenyans d'avoir
délibérément refusé l'assistance à deux
camps dans le Nord-Est pour encourager les 70 000 réfugiés Somali
qui y vivaient à se replier dans les deux camps principaux. En 1993, la
politique de la ``light security intervention'' dans les camps de Mandena et de
El Wok a eu pour résultat la mort de 2 000 personnes. Le massacre d'El
Wok, ainsi nommé, est resté un problème politique grave
dans l'ensemble du Kenya car le gouvernement n'a pas cherché à
enquêter et à dévoiler l'ampleur des abus des droits de
l'homme et des morts qui en ont résulté56(*).
L'endiguement est devenu la politique opérationnelle du
Kenya. Avant les grandes ``arrivées'' des années 1990 et la
délégation à l'UNHCR de la responsabilité de la
détermination du statut de réfugié, les exilés
recevaient une carte d'identité d'étranger de la part du
gouvernement kenyan qui les autorisait à vivre et travailler
légalement en dehors des camps57(*). Depuis, l'approche a changé, elle consiste
à mettre les réfugiés dans des camps.
Dadaab et Kakuma sont situés dans des zones arides du
Kenya et près des frontières somalienne et soudanaise. Avec les
nouveaux afflux, les locaux ont vu chez les réfugiés des
étrangers qui ont envahis leurs terres avec l'aide du gouvernement.
La location proche du pays d'origine toujours en guerre rend
la situation très dangereuse pour les réfugiés et le
climat aride y rend la vie très difficile. Les réfugiés
ont ainsi été forcés d'être complètement
dépendant des aides humanitaires. Cette situation est difficilement
tenable sur le long terme pour les réfugiés.
Certains parmi eux considèrent les camps comme trop
dangereux et préfèrent passer dans l'illégalité
pour pouvoir s'installer dans des zones urbaines58(*). Ils achètent les
policiers à chaque point de contrôle qu'ils passent. Cela les
exposent à encore plus de danger. Pour voyager à travers le pays,
les réfugiés ont besoin de lettres de voyage de l'UNHCR/GOK
(Government of Kenya). Celles-ci ne sont accordées que pour des raisons
médicales, en cas d'entretien pour une relocation ou pour des raisons
humanitaires pressantes. Face à la difficulté d'obtenir ces
lettres, les réfugiés vont sortir du camp en
illégalité, vont descendre du bus avant d'arriver aux chekpoints
et, dans le but de les éviter, vont se faire attaquer par des
bandits59(*).
Une fois hors du camp, accueillis chez des hôtes, les
réfugiés ne sortent pas la nuit, de peur de se faire attraper par
des patrouilles de police. Cependant, même dans le cas d'un
contrôle inattendu, il leur est toujours possible de ``payer'' un
laissez-passer, le « kitu kidogo » (la petite chose) aux
policiers corrompus.
Dans le but de régulariser leurs camarades
réfugiés clandestins, les hôtes ont élaboré
différents stratagèmes. Un de ceux-là est tout simplement
le mariage avec un/une citoyen(ne) kenyan(e). Une autre ``astuce'' qui a
marché avec le recensement de 1995 fut de faire passer les enfants de
réfugiés pour les enfants des hôtes, leur garantissant
ainsi le droit du sang, et les adultes pour des Somali-kenyan,
déplacés interne, fraichement débarqués du fond de
la brousse. Ils justifient leur ignorance de la langue par le manque de
scolarisation en milieu pastoral. Enfin, une autre solution consistait à
acheter de manière illégale des papiers : la carte
d'identité kenyane se négociait entre 3 000 et 5 000 shillings
kenyans60(*).
Ainsi, d'une certaine manière, l'endiguement
forcé participe à l'état d'insécurité dans
lequel les réfugiés sont soumis à chaque niveau de leur
séjour au Kenya ainsi qu'à la corruption des fonctionnaires de
l'État.
2. La capacité d'attraction des
réfugiés vers les camps
Dans cette partie nous allons tâcher d'expliquer en quoi
le camp peut posséder une certaine attraction pour les
réfugiés, participant par là à l'endiguement de ces
derniers.
« Victimes des tactiques de la terre
brûlée, ces derniers (les réfugiés) sont souvent
parqués dans des ``villages de la paix'' pour isoler les
guérillas et vider des régions entières. Quant aux
demandeurs d'asile, la politique des États d'accueil et des
organisations intergouvernementales, au premier rang desquelles le HCR (Haut
commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), participe de
leur enfermement à l'intérieur d'espaces bien
délimités où l'on contient l'étranger avec l'espoir
de le voir bientôt repartir dans son pays d'origine. (...) Au Kenya, les
autorités endiguent à partir de 1991 l'afflux de
réfugiés somaliens, soudanais et éthiopiens dans des camps
placés sous la garde de la police, voire de l'armée, et
situés dans des provinces périphériques, loin des centres
citadins du pouvoir. »61(*)
En passant les frontières, les réfugiés
rencontrent beaucoup d'obstacles à leur intégration et plane sur
eux le risque de devenir apatride. Mais, de part leur statut, ils
bénéficient de la protection juridique de la communauté
internationale et de l'aide des organisations humanitaires qui leur offrent des
conditions de vie qui sont parfois meilleures que celles des autochtones.
Le camp de réfugiés est, en Afrique, souvent
éloigné des centres urbains et s'apparente à une ville
virtuelle. Il n'est pas une cité, dans le sens où certaines
libertés élémentaires ne sont pas de mise, comme celle de
circuler ou même l'établissement de ses habitants. Pérousse
de Montclos le compare à une sorte de ghetto urbain en milieu rural car
il est « sous perfusion humanitaire, d'accès restreint et
surveillé par la police »62(*).
Dans les régions inhospitalières du Kenya qui
ont été choisie pour l'installation des camps de
réfugiés qui restent encore aujourd'hui (Dadaab et Kakuma)
l'émergence de grands centres urbains ne fut pas possible. Le fait de
sécheresses à répétitions ont obligé les
populations locales à transhumer en fonction des pâturages et des
points d'eau. C'est avec l'arrivée des organisations humanitaires que
sont apparues ces « villes-camps » qui ont permis
l'implantation des réfugiés. Ainsi, Dadaab, simple bourgade de 5
000 habitants avant 1991 a connu un essor gigantesque lorsque sont construit
les trois camps originaux de Hagaderah, Dagahaley et Ifo et qui accueillaient,
dans les années 1990, déjà plus de 100 000 occupants.
Ce qui est caractéristique ici c'est que, comme
à Kakuma, ces phénomènes d'urbanisation se
déroulent de manière urgente dans des zones très
difficiles par leur climat et qui possèdent une très faible
densité d'autochtones. La connivence avec les populations locales qui
partagent la même culture a cependant facilité l'implantation des
camps.
Le camp possède un caractère attractif aussi
bien pour le réfugié que pour l'autochtone. À Dadaab, la
population Somali-kenyane, qui vivaient aux alentours des camps est venue se
mélanger aux réfugiés, se faisant elle-même parfois
passer pour tel. Pour ceux qui vivaient dans les environs immédiats, ils
se sont installés en périphérie des camps pour y faire du
commerce.
Dans une zone comme le NFD, où le climat est
extrêmement sec et aride et où la population est très
pauvre, l'arrivée des réfugiés a pu être
perçue comme une bénédiction car elle s'accompagnait de
l'arrivée des organisations humanitaires. Ces dernières ont
permis des forages dans les nappes phréatiques rendant l'accès
à l'eau gratuit, ce qui a bien évidemment attiré les
populations environnantes.
Nous allons dépeindre ici différents apports qui
rendent le camp de réfugiés attractif, non seulement pour les
exilés eux-mêmes, mais aussi pour les habitants alentour.
Marc-Antoine Pérousse de Montclos nous propose une
typologie en différents axes qui s'avèrent extrêmement
pertinente63(*). Elle se
décompose ainsi : le potentiel des infrastructures ; les
avantages économiques ; des marchés en devenir ; une
intégration à géométrie variable et l'acculturation
urbaine.
Dans une zone telle que celle du NFD, il aisé de
comprendre que les infrastructures font cruellement défaut. Avec
l'arrivée des organisations humanitaires, les infrastructures dont
bénéficient les camps expliquent l'urbanisation de la zone qui
attire les populations locales, donnant ainsi un coté ville aux
regroupement de réfugiés.
Se basant sur des chiffres de 1998, l'auteur nous indique
qu'il y avait trois lycées et quinze écoles primaires à
Dadaab pour 17 800 élèves auxquels on ajoute 2 200
élèves en maternelle et 300 handicapés
bénéficiant de cours spéciaux. La situation est ainsi bien
meilleure que dans les localités environnantes.
Sur le plan de la santé, chaque camp de Dadaab
possède trois centres de santé et un hôpital. Les
populations réfugiés et autochtones en bénéficient
et cela leur permet de consulter un docteur quatre fois par an (contre une fois
tous les un ou deux ans en moyenne dans un pays africain en
développement).
Enfin, en ce qui concerne la ville même de Dadaab,
l'arrivée des organisations humanitaires a considérablement
aidé au développement. La bourgade bénéficie
maintenant de l'électricité, de l'accès à l'eau
courante, un abattoir y a été installé, et elle dispose
d'un bon service de santé avec une maternité et un dispensaire en
plus des services auxquels ils ont accès à l'intérieur des
camps. D'autre part, les populations locales remplissent à elles seules
un tiers des clases dans les écoles des camps où ils sont admis
officiellement.
Ainsi, par leurs infrastructures, les camps présentent
certains avantages non-négligeables dans un milieu rural aux conditions
difficiles. L'endiguement par attraction fait donc effet.
En ce qui concerne les avantages économiques, le camp
de réfugiés peut dynamiser l'offre de travail.
En 1997, les ONG fournissaient plus de 2 000 emplois. 24
furent pour des expatriés et 383 pour des kenyans. À elle seule,
l'ONG CARE (Cooperative for Assistance and Relief Everywhere) emplois plus de
mille réfugiés et dégage un pouvoir d'achat d'un demi
million de dollars dans la région.
Ces travailleurs peuvent servir en des taches diverses. Ils
peuvent participer ponctuellement au reboisement des forêts ou bien
travailler dans des hôpitaux ou des écoles comme assistants.
Le camp est aussi un marché en devenir qui va
s'étendre au-delà des fils barbelés qui l'entoure. L'aide
humanitaire participe à l'attraction qu'exerce le camp mais elle ne peut
pas à elle seule fixer des populations dans des villes artificielles.
Par interaction avec les camps, les marchés alentour se
développent et s'étendent jusque dans les pays d'origine des
migrants. Les réfugiés ne sont pas des êtres passifs qui
attendent patiemment les aides que veulent bien leur accorder la
communauté internationale. Ils s'organisent, détournent une
partie des vivres qui leur sont donnés ou le produit des projets de
développement (chaussures, vêtements, viande, lait,
kérosène, allumettes etc.) pour les troquer contre des biens
manquants.
L'idée développée derrière
l'intégration à géométrie variable est que les
conditions d'arrivée et d'accueil des réfugiés va varier
en fonction des similitudes culturelles dans le pays hôte. Dans le cas
des Somaliens à Dadaab, l'intégration fut plus aisée que
pour d'autres nationalités, du fait de la présence Somali sur
place. Les accointances claniques permettent une certaine forme de
solidarité et de coopération qui amène à un
meilleur développement.
Dans les camps de Dadaab, Hagedarah a la réputation
d'être le plus gros marché. Toujours bien fourni et bien
organisé, il attire même des clients venus directement de Somalie
et ce, malgré les difficultés et l'insécurité du
voyage.
Les habitants de Dadaab ont profité de cet essor. Ils
jouent le rôle de grossistes qui fournissent les réfugiés
qui vont eux-mêmes revendre au détail à l'intérieur
des camps. C'est par leur connivence culturelle, religieuse et linguistique
qu'a pu être facilité le développement des échanges
entre réfugiés et locaux.
Cependant, au-delà de tous les avantages que peuvent
présenter les camps de réfugiés, ils sont toujours soumis
à la bonne volonté des autorités du pays d'accueil. Ce
seront elles qui vont permettre une bonne continuité ou non dans le
développement de ces villes virtuelles.
« Fragile, le développement des
activités économiques que génère la concentration
des populations déplacées par la guerre bute fréquemment
sur l'hostilité de gouvernements qui, en interdisant le commerce et
l'agriculture, privent les camps des attributs fondateurs de la
prospérité d'une ville. Faute de reconnaissance officielle et de
statut municipal, le camp sous perfusion humanitaire demeure alors une
cité-dortoir, une agglomération transitoire, susceptible de
disparaître aussi vite qu'elle a été créée.
Du fait de son caractère éphémère, l'aide
internationale ne peut alimenter et perpétuer indéfiniment les
réseaux commerciaux que suscite la présence de
réfugiés. Indispensables à la fixation d'un marché
urbain, les dynamiques économiques endogènes, elles, restent
suspendues aux politiques de containment des services d'immigration,
qui freinent les tentatives d'investissement et d'enracinement des
réfugiés. »64(*)
Ainsi, on a pu voir que les camps de réfugiés
présentent différents avantages qui participent à la
capacité d'attraction vers ces camps. À travers l'implantation
d'infrastructures, les avantages économiques et le développement
des marchés, les camps deviennent de véritables îlots de
fortune au milieu du désert. Par sa capacité d'attraction, du
fait qu'il n'y ait pas d'autre choix viable, les aspects
bénéfiques du camp participent à l'endiguement volontaire
des réfugiés.
3. L'organisation du camp
« Les premières (organisations humanitaires)
sont là au nom de la morale du droit international, les secondes (les
autorité policières ou militaires en charge du contrôle des
déplacements et de la sécurité), nationales, incarnent par
leurs capacités de répression l'ultime expression de la
souveraineté de l'État.65(*) »
Le camp est une machine bien rodée. Tout en haut se
trouve le HCR qui coordonne l'ensemble. C'est lui qui va donner les directives
aux différentes ONG sur place. Il va s'occuper aussi du recrutement de
la police, de sa formation et de lui fournir son équipement.
Les différentes ONG vont s'occuper de la distribution
alimentaire, que ce soit care ou une autre (care va aussi prendre en charge la
scolarisation). La santé des réfugiés est assurée
par l'ONG médecins sans frontière. L'enregistrement et
l'installation des nouveaux venus se fait par l'UNHCR, bien que les
réfugiés finissent par ramasser ce qu'ils peuvent pour consolider
leur abri.
À noter aussi, sur l'organisation des camps, les
tribunaux indigènes. Ceux-ci représentent un avantage certains
pour l'UNHCR qui y voit une opportunité de faire régner l'ordre
à moindre coût.
À Dadaab a été financé ce qui
s'appelle le système maslaha. Il consiste à faire
réparer les torts par une amende qui se règle en chèvres,
moutons, vaches ou chameaux.
Ce système fait effet en parallèle de la loi
kenyane que tente de faire respecter l'UNHCR. Pour l'UNHCR c'était une
aubaine pour maintenir l'ordre sans avoir à se déplacer dans les
tribunaux kenyans les plus proches (à Garissa). Le trajet était
très dangereux et nécessitait une escorte policière
couteuse.
B. Des moyens informels.
1. Le camp et l'exilé. M. Agier
« Gouvernés par des instances qui ne
relèvent pas de l'État, les camps et leurs habitants sont
considérés dans ce mode de gouvernement lui-même comme des
victimes et non comme des citoyens, ce qui ne veut pas dire que les gens
eux-mêmes se considèrent de la même façon. Plus ou
moins tôt ou tard, un conflit de sens et parfois des conflits tout court
se font jour dans et autour des camps opposant leurs habitants
(réfugiés, déplacés, migrants) aux agences
onusiennes, aux organisations humanitaires locales et internationales qui les
« gèrent ». ces conflits sont d'un nouveau type, ils
ont un caractère urbain et politique ; et ils expriment en
même temps cette tension et cette instabilité inhérentes
aux situations de frontière. 66(*)»
L'histoire des camps relève d'un contrôle des
déplacements et d'une mise à l'écart de certaines
populations, qui sont le plus souvent étrangères. Elle
relève donc d'une condition policière du confinement et de la
mise à l'écart. Celle-ci travaille de pair avec les organisations
humanitaires qui se sont fait une spécialité de la gestion de ces
espaces et de ces populations à part.
À quoi sert un camp ? Pour Michel Agier, le camp
sert à consolider une partition entre deux grandes catégories
mondiales : d'une part un monde propre, sain et visible et, d'autre part
les autres, les restes de ce monde propre, ceux qui sont obscurs, malades et
invisibles.
En rentrant dans l'exil, les réfugiés deviennent
apatrides. En fuyant les conditions chaotiques de leur pays d'origine, ils ont
dû renoncer à leur citoyenneté, entendu ici comme la
reconnaissance et la protection d'un État. Le statut de
réfugié est une nouvelle catégorie identitaire. Elle est
le fruit du rejet de l'État-nation. « Créer des
sans-État, c'est reconnaître son incapacité à
intégrer de tels individus ou collectifs, du double point de vue de la
protection (juridique, sécuritaire, sociale) et de la reconnaissance
(droit politique) »67(*).
Ce qui réunit ces foules d'individus c'est une
communauté existentielle qui se fonde sur l'expérience
partagée et la situation vécue. Cette communauté va les
réunir dans une catégorie identitaire administrative
(réfugiés, déplacés, clandestins, demandeurs
d'asile) puis dans un traitement sécuritaire et humanitaire à
part. Endigués dans des espaces hors-lieux, leur existence politique ne
dépend plus seulement de leurs origines mais des contextes locaux
d'identification et des camps où ils vivent.
Comment se passe le maintient dans l'exil ? Le filtrage
aux frontières par les supposées causes du déplacement...
c'est une violence faite aux individus car ils ne parviennent pas à
faire accepter leurs histoires individuelles par la société
d'accueil ; Ils cherchent à convaincre mais l'écoute, bien
que présente, n'est pas empathique.
Le filtrage suppose un socialisation en condensé :
il faut savoir se faire comprendre, comprendre ce que l'autre veut entendre et
savoir la manière dont il faut lui dire. On accepte la violence
symbolique de cette forme de socialisation parce qu'il vaut mieux vivre en
société que tout seul.
Le filtrage aux frontières va permettre la
vérification de cette socialisation sensée avoir
été apprise sur la route de l'exil. La violence passe de
symbolique à policière quand la preuve d'une conformité
à certains critères n'est pas faite. Ce n'est pas seulement la
langue ici. Ça englobe aussi la « rhétorique de la
preuve, la logique de la conviction, l'expression des
émotions... »68(*).
Comment se passe le maintien dans l'exil ? Il se fait
par nature sans frontière. Il ne peut se terminer sans que
l'exilé ne retrouve une patrie. Le camps est un espace entre deux
frontières, « c'est l'espace d'un exil figé entre deux
ailleurs, deux absences »69(*).
Le camp est une symbolique de l'absence. Ses frontières
sont bien délimitées, il est un endroit de non-lieu où se
marque la place perdue du pays d'origine et la place non-trouvée du pays
d'accueil.
Le camp est, à la base, considéré comme
un espace humanitaire qui vise à maintenir les réfugiés en
vie. Cette assistance ils en ont besoin. Seulement, le camp évolue, il
se transforme en centre de détention, en zone d'attente
géré de manière administrative et policière dont le
but est la rétention, le triage et l'expulsion des étrangers
indésirables.
Qu'est ce qui fait le passage de l'un à l'autre ?
C'est l'endiguement des populations, le dispositif de l'encampement
(désigne à la fois le campement et la mise en camp comme
processus et comme politique p.61) qui englobe les savoirs, les pratiques, les
personnes, que ce soit des réfugiés ou du personnel
humanitaire.
« Le terme d'encampement (...)
réfère de manière générique à un
contexte international qui inclut les usages, la diversité et les
transformations de plusieurs figures de camps assignés aux
étrangers de différents statuts, qu'on peut élargir
à tous les indésirables objets d'une altérité
radicale qui se traduit par le rejet »70(*).
Le dispositif humanitaire est mis en place pour gérer
des situations d'exception (urgence, catastrophe, guerre, arrivée
massive de population, le confinement ou la rétention de demandeurs
d'asile etc.).
Le camp, c'est la frontière entre les
États-nations. Cette frontière s'agrandie et devient la forme du
couloir de l'exil. Au-delà de la logistique et de la gestion, plus ou
moins autoritaire, nait de l'urgence on trouve, dans ce dispositif un monde qui
se construit et se reproduit, qui prend une forme vivante et sociale.
« L'exilé vit, survit, fait des rencontres,
organise son existence71(*) ». Le camp se situe dans
une temporalité qui lui est propre, il est un présent qui dure
parce qu'il exclut le passé et l'avenir. « Il les exclut en
s'excluant lui-même de toute histoire, car le passé et l'avenir ne
sont pensés, à la limite, que dans l'ailleurs de la terre perdue
et dans le futur hypothétique du retour ». Futur et
passé sont aussi exclus à cause du caractère urgent de la
situation ou seul le ``ici et maintenant'' prévaut.
À cause du lieu et de sa particularité, aucune
mémoire collective ne peut se former parce que la personne est dans
l'attente de sortir du lieu. Il n'a pas d'histoire propre, il n'en restera
aucune ``ruine''. Les camps sont des habitats d'urgence que l'on fait et
défait tout aussi rapidement.
C'est par l'aménagement de leur propre habitat, par
l'appropriation des lieux, le rapprochement des familles que les
réfugiés, en décorant leurs cases, en prenant parole dans
des conversations critiques à l'égard des personnes
représentant la communauté internationale, arrivent à
s'extraire du caractère urgent, symbolisé par un présent
qui dure.
En s'appuyant sur des mémoires passées, en se
créant un avenir proche, les réfugiés dans les camps,
lorsque leur situation s'allonge dans le temps, peuvent être
ramené dans une pensé historique qui les sort de la
« fonction apparente et immédiate qu'on leur assigne dans le
langage humanitaire de l'urgence ».
La durée même du camp a des répercussions
sociales et culturelles qui fait sortir les réfugiés de
l'état latent de non-temporalité. Cela même si l'habitat,
l'économie, la vie matrimoniale ou la vie politique qui prennent place
dans les camps ne vont se développer que de manière provisoire ou
discrète et clandestine.
« Lorsque le maintien en camp dure bien
au-delà du temps de l'urgnece, les réfugiés voient leur
vie se recréer peu à peu dans un nouvelle peau, celle
d'indésirables, à l'épreuve de leur mise à
l'écart dans le camp. Là, ils sont ``endigués'', comme on
endigue les déplacements de l'ennemi sur un champ de bataille.
L'endiguement, selon Judith Burtler, est la forme territorialisée de
l'expulsion ; cela concerne, note-t-elle, « la façon dont
on trace la frontière entre l'intérieur et l'extérieur de
l'État-nation ». les camps d'aujourd'hui sont essentiellement
les espaces de cette frontière, c'est ainsi qu'ils participent à
la mise en oeuvre d'une fiction extraterritoriale où l'étranger
est niché. La violence des camps aujourd'hui est d'abord celle de
l'endiguement, au sens d'une forme violente de territorialisation de
l'autre »72(*).
2. Appropriation informelle de lieux d'échanges
publics et participation des réfugiés à leur propre
endiguement.
En fonction de l'appartenance clanique ou nationale de
certains blocs, les quartiers vont prendre différentes formes. Le camp
de réfugiés se transforme et les habitants vont s'approprier les
lieux.
Dans ``Gérer les indésirables''73(*), Michel Agier nous parle du
quartier soudanais de Dagahaley. Le cas de cette minorité interne du
camp est un bon exemple d'appropriation du lieu car il est singulier. Ses
habitants sont originaires du sud-Soudan et sont donc chrétiens. On y
voit, nous dit M.Agier, une rue bien droite où viennent s'aligner des
habitations en terre. Au bout de cette rue se trouve une église. Dans ce
quartier ont été érigés une garderie, des coins
toilette-douche et un terrain de volley. Il compare ce quartier à ce qui
semble être un village moderne sud-soudanais ou le quartier d'une ville
miniature. Le bloc est entièrement fermé par une haie
d'épineux qui vise à conserver l'intégrité du tout
contre d'éventuelles menaces des autres réfugiés. Le
portail se ferme à 18h chaque soir et douze hommes se relaient toute la
nuit pour garder le périmètre. Sur le portail d'entré est
inscrit le nom du quartier (Equatoria Gate) en ``hommage'' au nom du
département d'origine des habitants au sud-Soudan.
D'autres espaces comme les échoppes à
thé, les restaurants ou les vidéoclubs font faire socialiser des
groupes de différentes origines.
L'espace devient lieu d'échange, de construction et de
renouvellement identitaire. Ainsi certains lieux, jusque là anonymes,
sont nommés et appartiennent au lexique quotidien des habitants.
L'espace du marché à Hagadera est devenu ``magalo''
(the town), la rue principale la main street et une autre
vaste étendue de sable la highway.
III/ Conséquences de l'endiguement
4- pérennisation du camp et création d'une ville
informelle
5- l'ennui dans les camps
6- la dépendance au budget
1. Pérennisation du camp et création d'une
ville informelle
Les camps de réfugiés sont
généralement créés dans l'urgence pour
répondre à des besoins immédiats. Seulement, il arrive
très souvent que le temps de l'urgence passe mais que le camp reste. Les
mois s'étalent et se changent en années. Depuis plus de deux
décennies que les réfugiés sont installés à
Dadaab on peut constater que le camp s'est transformé en une chose
hybride, quelque part entre le camp et la ville. Il n'est plus
tout-à-fait l'un et ne sera jamais l'autre, il reste le symbole d'une
urgence qui n'en finie pas.
Cela fait plus de 20 ans déjà que le camp a
ouvert ses portes. En 1991, il était sensé accueillir 90 000
réfugiés... Il en compte aujourd'hui pratiquement un demi
million. Plus de 20 ans déjà que l'UNHCR a déployé
des efforts considérables pour l'éducation des enfants, de ceux
qui arrivaient, mais aussi de ceux qui sont nés à
l'intérieur des camps et qui n'ont jamais connu d'''ailleurs'' de leur
vie.
Michel Agier évoque, à la suite d'une
enquête de terrain qu'il a réalisé à Dadaab dans les
années 2000, trois ébauches de ce qu'il appelle ``une forme
probable de vie urbaine74(*)'', c'est à dire l'ébauche d'une
symbolique des espaces, d'une différenciation sociale et d'un changement
identitaire.
Le camp est un espace fermé. Il est entouré des
clôtures du HCR. À l'intérieur l'espace se divise en blocs
de deux à trois hectares. On y regroupe en moyenne 100 à 150
abris où logent 300 à 600 réfugiés. Ils sont
dispatchés en fonction de leurs origines claniques ou nationales. Ils
reçoivent à leur arrivée une toile en plastique bleu du
HCR dont ils vont se servir pour construire un abri à l'aide de bout de
bois qu'ils trouverons autour du camp ou qui leur sera distribué par le
HCR. Au bout d'un certain temps, les maisons traditionnelles somali peuvent
changer de forme en utilisant la brique pour la construction des murs.
En fonction des blocs, un chef de section peut être
désigné pour servir d'intermédiaire entre les
réfugiés et les instances humanitaires. Il est recruté par
l'ensemble du groupe sur sa maitrise de l'anglais. Il pourra fournir de l'aide
aux nouveaux arrivants (par exemple faire une collecte de nourriture parmi ceux
déjà implantés) ou coordonner la distribution de bois
entre les réfugiés et les ONG.
Le camp est parsemé de petits magasins. Ils ont
plusieurs formes, ça peut être des petits restaurants, des
vidéos clubs, des salons de coiffure ou même des hôtels.
Tous ces petits marchés, ces petites boutiques
participent à leur façon à une économie
embryonnaire. Ils existent malgré le fait qu'il n'y a pas de réel
marché de l'emploi et malgré que le travail en-dehors des camps
soit interdit.
Sur les marchés, on peut trouver différentes
denrées, que ce soit des légumes, des parts de rations
délivrées par les ONG, des produits d'artisanat ou encore le
fruit de petits élevages en bordure des camps.
Pour financer et faire marcher ces petits commerces, les
réfugiés vont avoir recours à différends moyens.
Les Somali, qui partagent d'étroits liens avec les populations locales,
vont bénéficier d'une aide qui leur permettra d'ouvrir un
commerce. D'autres vont se servir de contacts qu'ils ont encore avec le pays
dont ils sont originaires. Certains vont faire appel à d'anciens
réfugiés relocalisés dans des pays tiers75(*) (USA, Australie, Canada etc.)
pour leur envoyer de l'argent via les banques parallèles du camp et ce
que Agier appelle les ``relais de confiance dans les lieux d'origine des
fonds''77(*).
Tout cela participe à la construction économique
du camp, ça le fait vivre. Certaines ONG soutiennent grandement ces
initiatives, au risque même d'acheter des stocks invendables de paniers
d'osier fait par des habitantes car ça permet de lutter contre l'ennui
et l'inactivité dans les camps. Nous reviendrons sur ce sujet et ses
implications un peu plus bas.
Omar Digale Abdi78(*), habitant de la première heure de Dadaab, nous
dit que l'on peut catégoriser les habitants du camp en trois classes.
Les plus pauvres, qui dépendent totalement des rations de nourriture
distribuées par les ONG. Vient ensuite la ``middle-class'', qui comprend
les personnes travaillant pour les agences humanitaires ou qui ont un petit
business (type échoppe à thé/restaurant). Ceux-là
arrivent en moyenne à gagner 50$ par mois. Une personne
considérée comme riche sera celle qui possède un petit
véhicule ou qui est propriétaire d'un hôtel. Ils feront
parti de la classe la plus haute. Michel Agier parle, quant à lui de
quatre classes en soutenant l'idée que les habitants travaillants pour
les ONG font parti d'une classe supérieure à ceux qui sont
propriétaires de petits magasins.
À une mesure toute différente, on peut voir que
se reproduisent ici des schémas de construction identitaire similaires
à ceux que l'on retrouve dans les villes.
La construction identitaire dans les camps est quelque chose
de complexe. Elle est en mouvement. Des membres de différentes ethnies
en provenance d'un même pays vont être rassemblées sous une
appellation nationale. Et cela va se faire malgré que les
différentes ethnies aient pu être en guerre les unes contre les
autres dans leur pays et que le terme même de nation auquel on fait
référence en parlant d'eux, peut être perçu comme
quelque chose d'extrêmement dégradant pour certaines
minorités opprimées. C'est ce que Agier appelle le ``bricolage
identitaire''. Ici, on est somalien, éthiopiens, sud-soudanais etc.
La construction identitaire peut prendre d'autres formes mais
elle reste en quelque sorte propre au camp. Agier nous parle des somali bantou.
Ils sont ce que l'on pourrait appeler la basse caste Somali (en opposition aux
somali Darod Ogaden, qui serait la haute). À leur arrivée dans
les camps, ils ont dans un premier temps perpétués ces
différences hiérarchiques. Cependant, vis-à-vis de leur
situation égale de réfugié, ils ont pu accéder
à un statut de minorité au sein du camp (ils sont maintenant
appelés Somali Bantou Refugees (SBF)) ce qui leur
confère une égalité de droit par rapport aux autres
groupes ethniques et ainsi l'accès aux prêts pour l'artisanat ou
à l'emploi dans les ONG. Ainsi, c'est le camp, et la situation
particulière qu'il offre, qui a transformé la position de ces
réfugiés au sein de leur ethnie.
D'autre part, la proximité de toutes ces ethnies, de
toutes ces nationalités, qui se croisent en allant chercher de l'eau ou
en allant prendre le thé dans une échoppe participe à une
construction identitaire nouvelle. Tout se mélange, s'ajoute, s'efface,
se construit, se reconstruit. Les frontières symboliques qui pouvaient
exister avant tombent, ou se renforcent, mais ne restent pas
indifférentes.
Le camp participe à la socialisation et dans un certain
sens on peut ramener cette socialisation à l'emprunte qu'aurait
laissé une ville sur ses habitants.
« L'exemple de Dadaab montre que le processus du
camp est bien celui d'une ville à sa fondation : une
économie en germe puisque des gens sont disposés à
travailler (et, pour beaucoup, à rester où ils sont),
plutôt qu'à se conformer à un statut
d'assistés ; une division sociale qui s'adapte à la
pluralité des contraintes et des ressources (clans somali + ONG du camp
+ diaspora somalienne dans le monde) ; une occupation de l'espace qui,
toute précaire soit-elle, donne sens à un lieu qui était
à l'origine désertique et ne l'est déjà plus.
Parler de ville, dans ce cadre descriptif, n'est pas métaphorique, et
l'impression d'inachèvement provoquée par le mode analogique que
j'emploie -en quelque sorte, par défaut (« tout se passe comme
si... ») - reproduit, me semble-t-il assez fidèlement, la
situation paradoxale vécue dans les camps... Tout se passe comme si...
comme si c'était une ville. (...)Le camp, même stabilisé,
reste une ville amputée, nue par définition. »79(*)
2. l'ennui dans les camps
Un des principaux problèmes que les
réfugiés rencontrent dans les camps est l'ennui,
l'oisiveté. Une image semble circuler d'un réfugié passif,
attendant patiemment sa ration humanitaire et qui se complairait dans un
état semi léthargique.
En réalité, le manque d'opportunité est
facteur de graves problèmes de sécurité et d'abus de
substances psychotropes.
Lorsque l'on parle d'opportunités, c'est principalement
dans le travail et l'éducation que cela se passe. La classe la plus
basse, c'est-à-dire celle qui ne possède rien d'autre que ce que
les ONG veulent bien leur accorder, constitue la majorité de la
population80(*).
Les autres, ceux qui parviennent à une certaine
autonomie financière sont, de fait, une minorité dans les camps.
Ils peuvent occuper leurs journées par le travail qu'ils ont, soit par
les instances humanitaires soit par les petits commerces qu'ils ont pu ouvrir.
Les autres, la majorité, doivent trouver par eux-mêmes les moyens
de remplir des journées qui n'en finissent pas.
D'autre part, les enfants de Dadaab sont, pour la
majorité, scolarisés, l'éducation étant une
priorité du HCR. Seulement, Crisp81(*) nous dit que des coupes budgétaires peuvent
venir, d'une année sur l'autre, affecter l'ouverture même de
certains établissements du secondaire. De plus, pour ceux qui suivent
une scolarisation, qu'elle soit normale, spécialisée ou
technique, les débouchées restent quasi inexistantes. De ce fait,
on peut supposer une part de responsabilité non-négligeable dans
l'école buissonnière.
Cette passivité latente, ce manque d'opportunité
entrainent différentes conséquences qui se répercutent
sur, si ce n'est l'ensemble de la population, au moins sur une partie d'entre
elle.
Une des conséquences est d'abord l'abus de substances
psychotropes. Cet abus serait même, pour Crisp, en lien direct avec des
violences conjugales dans les abris somali et expliquerait le manque de
volonté dans la protection des femmes par les hommes.
« Many refugees in Dadaab cited abuse of the
psychoactive substance, chat or miraa, as the catalyst for much of the domestic
and community violence against women and girls. As in other refugee camps in
the region, refugee men, bored and frustrated by extended periods of inactivity
and confinement, chew the mildly narcotic substance and become aggressive as
the effects wear off. Furthermore, refugee women report that domestic violence
is often sparked off by arguments over the fact that men sell off basic food
rations to finance their substance abuse.»»82(*)
Dans ``Dadaab, the documentary''83(*) on peut voir des jeunes
s'exercer toute la journée au foot. La voix-off nous dit qu'ils passent
leur temps à jouer pour combler un ennui qui risquerait de les entrainer
dans une spirale négative de drogue. Il peut être étonnant
de voir que le football peut devenir quelque chose de salutaire mais c'est
seulement par le manque d'opportunité dans d'autres secteurs que les
jeunes y jouent tellement. Il faut aussi mentionner que le manque
d'opportunité dans la vie de tous les jours peut amener certains
réfugiés à choisir la vie dans la clandestinité...
Un autre véritable problème dont l'ennui dans
les camps serait une des causes est le banditisme. Pérousse de Montclos
nous dit que ``l'oisiveté forcée des réfugiés a
indéniablement contribué à la délinquance des
jeunes''84(*). La
délinquance juvénile s'apparente à du petit banditisme
voire à du gangstérisme qui nous rappelle évidemment les
problèmes soulevés plus haut dans la partie concernant la
sécurité. Luc Cambrézi85(*), qui partage le même avis, nous dit que ces
démonstrations sporadiques de violences (vols, agressions sexuelles,
intolérance religieuse ou raciale etc.) participent à la peur
générale ressentie sur les camps et justifie la présence
des forces de l'ordre à proximité (si ce n'est à
l'intérieur) des camps. Ainsi, il semblerait que c'est parce qu'ils
n'aient rien d'autre à faire et qu'ils n'aient aucune perspective
d'avenir que certains jeunes vont s'enrôler dans des bandes et faire
grimper l'insécurité sur le camp. Crisp86(*) nous rapporte que ce
banditisme est l'affaire de jeunes qui, soit font l'école
buissonnière soit ne trouvent pas d'opportunités de travail
à la fin de l'année, et qui `'simplement'' sombre dans une
spirale et se tourne vers le crime.
Enfin, un autre problème soulevé cette fois par
Michel Agier est le caractère dépressif, voire suicidaire de
certains réfugiés. Dans ``Gérer les indésirables'',
l'auteur met en évidence un problème que je qualifierais
d'identitaire. La plupart des réfugiés ont quitté une vie
qu'ils avaient ailleurs dans leur propre pays. Certains avaient un travail, une
source de revenu et peut être même une certaine importance.
À cela s'ajoute pour d'autres le caractère citadin de leur
existence antérieure qui doit se mélanger aux modes de vie des
autres, pour la plupart nomades et ruraux. L'inactivité professionnelle
a entrainé pour certains de graves souffrances morale, ``voire des
troubles psychologiques''. Les réfugiés sont las de cette
existence sans but, sans espoir, toujours dans l'attente. Certains parle de
suicide mais ce qui ressort, nous dit Agier, ce sont des ``sentiments
d'impuissance et d'inutilité''87(*).
Ainsi, la politique d'endiguement des réfugiés a
des conséquences qui peuvent être bien néfastes. L'ennui
face à des journées identiques, qui se remplacent les unes les
autres peut être cause d'insécurité au sens large, pour les
autres comme pour soi-même.
3. La dépendance au budget
Dans le documentaire ``Dadaab, the documentary''88(*) on peut voir les
problèmes liés au manque d'argent. Un des intervenants nous
raconte comment s'organisent les deux semaines qui séparent chaque
distribution de nourriture.
Les cinq premiers jours sont appelés
``Shapsapta''. C'est le moment de joie où tout le monde
reçoit la ration. Les cinq prochains jours sont nommés les
``Story telling''. La nourriture est encore présente mais en
faible quantité. Les réfugiés sortent ainsi voir leurs
amis pour parler de ce qui ne va pas dans le camp. Durant les cinq derniers
jours, les réfugiés n'ont même pas de quoi cuisiner. Ils
dépendent des amis ou de la famille. Ce sont les jours du silence
où les gens restent chez eux, sans rien, à ``espérer des
jours meilleurs''.
Si on veut compter le nombre de repas par jour, l'intervenant
nous dit que seules les familles `riche' bénéficient de deux
repas par jour...
Un peu plus loin dans le documentaire, une mère de
famille raconte que durant les inondations sa tente fut détruite. Elle a
été obligée de partir avec ses enfants chez des amis. Ils
se sont retrouvés à onze dans un abri où il n'y avait que
trois matelas...
Le problème de surpeuplement est un souci
récurrent à Dadaab. Il est facile de le comprendre lorsque l'on
voit les afflux extrêmement importants de population.
Tessa Valk Mayerick s'inquiétait déjà en
2008 du manque de terre à Dadaab pour loger les nouveaux arrivants.
« Les rangées de tentes d'urgence ont maintenant atteint les
limites du périmètre du camp d'Ifo à Dadaab, ce qui
signifie que l'agence des Nations Unies pour les réfugiés se
retrouve à court de terres où héberger les
réfugiés somaliens nouvellement
arrivés. »89(*)
Quelle(s) solution(s) ? Les nouveaux vont devoir partager
la tente des anciens... Que ce soient des familles ou des amis qui se
réunissent, mais aussi des inconnus.
Pour 2009, le HCR avait fait un appel aux dons d'un montant de
92 millions de dollars. Le but était d'acheter des terrains
supplémentaires et construire de nouveaux camps90(*). Les fonds devaient aussi
être utilisés pour fournir de meilleurs moyens d'assainissements,
une meilleure distribution alimentaire, un meilleur accès à l'eau
etc.
L'arrivée massive de nouveaux réfugiés
est une source de problème permanente. Les bureaux d'enregistrement sont
surchargés et obligent à recruter du nouveau personnel. L'eau est
en quantité limité et est donc génératrice de
conflit parmi les habitants. Le surpeuplement est aussi la cause de nombreux
incendies au sein des camps. Les systèmes d'évacuation des
déchets sont surchargés, poussant les réfugiés
à brûler leurs poubelles à proximité de leurs abris.
Cela entraine des feux difficilement maitrisables du fait du manque d'eau...
La sécurité des réfugiés passe
aussi par une dépendance au budget. Comme nous l'avons vu plus haut, la
collecte du bois en dehors du camp est devenue extrêmement
risquée, surtout pour les femmes. Crisp nous dit qu'il faudrait
débloquer un budget de 8 millions de dollars par an pour subvenir aux
besoins en bois de chauffe de l'ensemble de la population. Ces chiffres sont
bien entendu sujets à variation car ils dépendent du nombre de
réfugiés sur place. D'autre part, il prend exemple de la
barrière d'épineux qui entoure le camp pour mettre en relief les
problèmes liés aux restrictions budgétaires. Cette
barrière, théoriquement impénétrable, n'a pas
l'entretien suffisant à cause des coupes dans le budget. Ainsi, cette
barrière ne protège plus suffisamment les réfugiés
face aux bandits et autres criminels.
La politique d'endiguement des réfugiés qui
consiste à les mettre dans des camps s'accompagne d'une forme
étrange de ville, un endroit entre deux choses qui n'est jamais l'un ni
l'autre. Sans travail l'ennui devient insupportable et pousse certains sur
des voies peu recommandables. Le camp n'est pas une ville. Il ne peut pas
générer ses propres revenus, se développer par
lui-même, il reste toujours dépendant du budget qu'on lui accorde.
C'est à la bonne volonté des acteurs internationaux que vont
être dressés les degrés d'importances, ce qui justifiera
l'urgence et ce qui peut passer à la trappe.
IV/ Un contexte géopolitique tendu
4- Présentation d'Al Shabaab
5- Implication du Kenya dans la guerre en Somalie (attaque
terroriste/ représailles)
6- Solution du gouvernement face aux
réfugiés : endiguement des populations, histoire en cours
d'écriture.
1. Présentation d'Al-Shabaab91(*)
Al-Shabaab est une organisation terroriste reliée
à Al-Qaïda qui s'est développée en Somalie
après la chute du régime de Siad Barre.
L'anarchie qui a suivi, depuis les années 1990, a
entrainé le pays dans un gouffre sans fond. Différents seigneurs
de guerre, ainsi que différents clans majeurs, se sont livrés une
guerre sans merci qui a empêché la constitution d'un État
stable.
La Somalie a connu une pauvreté sans nom, la
destruction de ses infrastructures, des conflits internes sans fin et
l'émergence de différentes régions autonomes92(*).
Depuis la chute la chute du régime il y a eu plus d'une
dizaine de tentatives pour générer un processus de paix.
Malgré les efforts des Nations Unies et d'acteurs locaux, les
résultats sont restés très faibles.
En 2004, fut créé le gouvernement
fédéral de transition (GFT) composé de représentant
des clans majoritaires. Cependant son influence resta très faible.
La capitale était toujours prise entre les feux
croisés des seigneurs de guerre et l'anarchie la plus complète y
régnait.
Depuis la fin des années 1990, des tribunaux,
basé sur la Sharia, ont commencé à émerger à
travers le pays. Le but était d'imposer un certain degré de loi
et d'ordre.
Les Somali ne sont pas particulièrement religieux et,
d'autre part, ils adhèrent à une branche relativement
modérée de l'islam. Cependant, ces tribunaux furent très
bien accueillis car ils remplaçaient le manque laissé par la
disparition de l'État, sa police et son système judiciaire.
Chaque tribunal était dirigé par
l'idéologie de son leader. Ceux-ci profitaient de leur pouvoir grimpant
pour recruter leur propre milice et porter leur idéologie.
Courant 2004, onze de ces tribunaux s'unirent pour former la
Islamic Courts Union (ICU) dirigée par le leader
modéré Sheik Sharif Ahmed. Grace à cette union, l'ICU a
gagné en force et a pu se mesurer aux seigneurs de guerre. En juin 2006,
l'ICU avait pris le pouvoir à Mogadiscio et commençait à
s'étendre à travers le pays.
Dans les zones contrôlées par l'ICU, on a
assisté à un retour à l'ordre inespéré. La
criminalité a chuté et certains magasins ont même rouvert.
Cela a légitimé sa présence qui a gagné en
popularité auprès de la population.
Cependant, des branches plus radicales de l'ICU ont
profité de leur influence pour imposer leur vision bien plus stricte de
l'Islam. Les femmes furent forcées de se vêtir de la tête
aux pieds, regarder le football fut interdit et les non-musulmans furent punis.
Une de ces factions, particulièrement fondamentaliste,
était Al-Shabaab (``les Jeunes''). Elle fut créée au
début des années 2000 comme réminiscence de l'organisation
islamiste Al Ithihaad Al Islamiya (AIAI) qui avait connue ses jours de
``gloire'' dans les années 1980.
Dans les années 2000, seuls les plus jeunes et les plus
radicaux de l'AIAI restaient. Ces membres se réunir pour former
Al-Shabaab. Ils furent incorporés à l'ICU en tant que milice
radicale. Aden Hashi Ayro, second leader originel du groupe93(*) entraina ses 400 combattants
dans la campagne de 2006 contre les seigneurs de guerre à Mogadiscio,
aidant ainsi l'ICU à prendre le contrôle de la capitale.
Le 24 décembre 2006, face à la monté en
puissance de l'ICU, l'Éthiopie chrétienne, qui craignait de voir
le gouvernement fédéral de transition (GFT) qu'elle avait
participé à mettre en place se faire renverser, envoya des
troupes en Somalie pour lutter contre l'ICU.
Les force éthiopiennes détruisirent rapidement
le groupe et reprirent le contrôle de la capitale.
Alors que la plupart des leaders du mouvement s'enfuirent, les
membres d'Al-Shabaab se retranchèrent dans le Sud du pays. De là,
ils ont commencé une guérilla sanglante contre la présence
éthiopienne dans le pays. Au cours des années 2007-2008, le
groupuscule a largement entravé l'avancé des militaires. Ils
semaient la terreur par des attaques éclaires, des assassinats, ou des
bombes.
Ces succès enorgueillir le groupe qui était
maintenant libre du contrôle de l'ICU. Réclamant l'expulsion des
éthiopiens et la mise en place d'un régime islamique, ils
rencontrèrent un fort écho favorable au sein de la population du
Sud du pays.
Ce succès permis au groupe de s'agrandir et de devenir
une puissance militaire majeure dont l'influence s'exerçait sur une
portion significative du territoire incluant la ville portuaire de Kismayo.
Face à l'harcèlement continuel que subissaient
les troupes éthiopiennes, elles décidèrent de se retirer
du pays en janvier 2009. La place fut laissée à la Mission de
l'Union Africaine en Somalie (AMISOM) qui s'est contenté de
sécuriser Mogadiscio, gardant l'aéroport, le port maritime, le
palais présidentiel et autres endroits d'importance dans le but de
soutenir le gouvernement de transition.
Al-Shabaab continua d'opérer librement et garda le
contrôle du Sud du pays. Depuis 2008, on peut noter l'augmentation des
attentats suicides à travers le territoire et, le 11 juillet 2010, le
premier dans un pays étranger94(*).
2. Implication du Kenya dans la guerre en Somalie
Après les élections présidentielles de
2007 au Kenya, le pays a vu, dans l'année suivante, de fortes et
sanglantes répressions. On dénombre 1300 morts et 300 000
personnes95(*) qui se sont
réfugiés au sein de leur clan. Ces violences, notamment dues
à des tensions ethniques qui datent d'avant l'époque de
l'indépendance ont mis à mal le tourisme dans le pays. Il peut
sembler dérisoire de parler de tourisme face à tant de morts et
de déplacés mais le tourisme est la deuxième source de
revenu du pays. Les pertes furent donc très importantes et justifieront
les implications du Kenya dans le conflit en Somalie.
Le 13 octobre 2011, deux employés de MSF
(Médecins sans frontière) ont été enlevés
à Dadaab par un groupe d'hommes armés et directement
emmenés en Somalie. À cela s'ajoutent deux touristes, la
française Marie Dedieu et la britannique Judith Tebbutt, qui furent
enlevés peu avant, le 1er octobre et le 11 septembre.
Le Kenya a choisit d'affirmer que ces enlèvements
étaient le fruit du groupe islamiste Al-Shabaab, considéré
comme organisation terroriste par plusieurs pays dont les Etats-Unis.
Cependant, le Kenya n'était jamais intervenue
militairement en Somalie et les Shabaab jamais au Kenya. Il y a plusieurs
raisons à cela. D'un coté, au Kenya, il y a une grande
communauté Somali auxquels s'ajoutent tous les réfugiés et
ce, notamment, à Nairobi. Donc le risque d'importation du conflit
restait trop élevé. De l'autre coté, les Shabaab n'ont pas
attaqué le Kenya car ils se servaient (et se servent certainement
toujours) du territoire et des camps de réfugiés comme base
arrière de leurs opérations qui leur permet de soigner et de
recruter de nouveaux soldats.
L'enlèvement porte un grave coup à l'attraction
internationale du pays comme lieu touristique privilégié qui
s'ajoute à celui déjà subit en 2008 après les
élections présidentielles.
D'autre part, les Shebaabs ne cessaient de perdre du terrain
en Somalie pendant les 6 mois qui ont précédés les
enlèvements. Ils ont été forcés de fuir Mogadiscio
et, dans le Sud du pays se créer des poches anti-Shabaabs96(*). Étant affaiblis, ils
représentaient une proie plus facile qu'avant qui justifia une
intervention militaire dont le but, en collaboration avec les Etats-Unis et les
pays de la région (dont l'État officiel somalien), était
d'infliger le coup de grâce aux Shabaabs.
Ainsi, prenant prétexte de ces nouveaux
enlèvements de touristes, le 16 octobre 2011 débute
l'opération militaire kenyane Linda Nchi (protéger le
pays). Ses objectifs sont d'éliminer la menace d'Al-Shabaab sur la
sécurité nationale du pays en nettoyant le Sud de la Somalie
jusqu'à la rivière Juba et prendre la ville côtière
de Kismayo (véritable bastion du mouvement terroriste). L'objectif final
est d'établir une zone tampon d'une centaine de kilomètres qui
limiterait les actions des Shabaabs tout en permettant de désengorger
les camps de réfugiés de Dadaab en les réexpédiant
en Somalie97(*).
L'opération Linda Nchi, bien qu'aux pourtours
parfaitement honnêtes (opérations de légitime
défense face à des attaques terroriste qui compromettent la
sécurité nationale) cache des intentions plus
intéressées. Le but de l'opération est de créer une
région autonome, voire sécessionniste au sud de la Somalie pour
en confier la gouvernance à un allié local.
Dans son projet de ``Kenya vision 2030'', le pays cherche
à générer du capital sur l'indépendance du
Sud-Soudan. Dans ce projet, le Kenya souhaite bâtir un réseau
d'infrastructures routières, ferrées et
énergétiques depuis la zone côtière de Lamu et
reliant l'Éthiopie et le Sud-Soudan. Il faut ajouter à cela le
projet de construction d'un terminal d'hydrocarbure dans le port de Lamu qui
servirait à évacuer le pétrole du Sud-Soudan.
Comme nous le savons déjà, la région
Nord-Est du Kenya, où se planifient ces projets, est très
instable avec une forte population Somali dont le risque court toujours qu'elle
collabore avec Al-Shabaab. Il est donc tout naturel que le Kenya cherche
à stabiliser la région et à porter un certain
contrôle sur le Sud de la Somalie98(*).
La ``guerre'', ou plutôt l'intervention militaire du
Kenya en Somalie est, à l'heure actuelle, toujours en cours. Ce qui nous
intéresse ici ce sont les réactions kenyanes face aux
représailles d'Al-Shabaab.
En amenant une intervention militaire sur le sol somalien, les
Kenyans ont été mis en garde que des représailles se
perpétueraient sur leurs terres. Dans un email envoyé à
différends médias, Al-Shabaab démentait formellement son
implication dans l'enlèvement des touristes... Et mettait, d'autre part
en garde le Kenya de ``conséquences graves'' sur la population. Bashir
Rage, porte parole du groupe terroriste, déclarait à
Mogadiscio peu de temps après « nous viendrons au Kenya
si vous (les troupes kenyanes) ne retournez pas en arrière. (...) ne
laissez pas le feu de la guerre venir embraser votre propre
pays »99(*).
Les années qui suivirent et qui continues encore
aujourd'hui ont été le théâtre de maints attentats
sanglants dont le plus ``spectaculaire'' reste encore celui de westgate
shopping mall le 22 septembre 2013 à Nairobi qui fit près de 70
victimes civiles.
3. Solution du gouvernement face aux
réfugiés : endiguement des populations, histoire en cours
d'écriture.
Face à ces attentats terroristes deux choses se passent
alors. D'abord, le président kenyan Uhuru Kenyatta, accusé de
crime contre l'humanité par la cour pénale internationale suite
à sa participation présumée dans les violences qui ont
suivi les élections de 2007 a vu sa situation nettement
s'améliorer. Face aux attentats terribles, il voit son ``statut'' passer
de suspect de crime contre l'humanité à garant de la
légalité internationale et d'agent de lutte contre la menace
terroriste100(*).
Ce point est très important car il va déterminer
la position que va adopter le Kenya vis-à-vis de ses
réfugiés Somaliens.
Le 25 mars 2014, après différends nouveaux
attentats notamment un homme armé qui a ouvert le feu dans une
église le 23 mars faisant six victimes, le gouvernement a ordonné
à tous les réfugiés présent sur le territoire de
rejoindre les deux camps restant ouvert de Dadaab et Kakuma.
Ceux-ci, déjà pleins (Dadaab abrite un demi
million de personnes et Kakuma 140 000), vont devoir accueillir les 1,1 million
de réfugiés supplémentaires disséminés
à travers le territoire.
L'ordre de retour a été donné par le
Ministre de l'intérieur Joseph Ole Lenku dans le but de mettre fin aux
attaques des militants islamistes d'Al-shabaab, invoquant des ``défis
urgents de sécurité''.
Il a déclaré : « all
refugees residing outside the designated refugee camps of Kakuma and Dadaab are
herby directed to return to their respective camps with immediate effect (...)
anyone who flouted the direction would be prosecuted »101(*). Cette directive s'est
accompagnée de la fermeture des centres d'enregistrements des
réfugiés de Nairobi et de Mombassa. Le gouvernement a
appelé tous les kenyans à dénoncer et à rapporter
à la police tout réfugié qui ne se plierait pas à
cet ordre.
Sans rentrer dans les abus au niveau des droits de l'homme
qu'une telle situation risque d'entrainer, on peut noter que beaucoup de ces
réfugiés qui vivent en dehors des camps sont en situation
régulière car ils peuvent nécessiter des écoles
spécialisée ou des soins particuliers qu'on ne trouve pas dans
les camps.
Cette crise évoque bien entendu l'endiguement des
populations Somali dans les camps, même si le gouvernement se
défend de traiter une nationalité à part, disant que cette
directive concerne l'ensemble des réfugiés, toutes
nationalités confondues. Au-delà de la politique d'endiguement
dont sont victimes les Somali depuis leur arrivée sur le territoire
kenyan, on peut noter que prendre prétexte d'attentats terroristes
commis par un petit groupe de personnes pour rassembler tous les
réfugiés sous une même catégorie -un terroriste et
une menace potentiel- témoigne de manière éloquente, si ce
n'est de la politique menée depuis toutes ces années par le
gouvernement vis-à-vis des réfugiés, sinon de leur
incompétence pour régler un problème grave de
sécurité intérieure. Et cela bien qu'il soit
tout-à-fait légitime de blâmer Al-Shabaab pour ces
attaques, étant donné qu'il revendique directement la plupart, et
que, bien sûr, des insurgés, membres de ce groupe terroriste, se
cachent parmi les réfugiés.
Human rights watch s'inquiète déjà de la
protection des droits de l'homme de ces populations
déplacées102(*) et craint d'autre part que de telles mesures
répressives d'endiguements amènent à un effet contraire
à celui souhaité, à savoir des représailles encore
plus grandes en provenance d'Al-Shabaab qui voit ses ``frères'' se
faire ``emprisonner''.
Sur les réseaux sociaux tenus par l'UNHCR à
Dadaab on peut voir tous les jours des portraits de familles
séparées, la femme et les enfants à Dadaab et le
père à Kakuma. Les faires se rejoindre devient très
compliqué...
La situation évolue tous les jours et témoigne
de la complexité du ``problème'' des réfugiés
Somali au Kenya. Prendre excuse d'une potentielle menace terroriste pour
renvoyer tous les réfugiés dans les camps semble apparaître
comme une opportunité de pouvoir garder un contrôle accru sur une
population indésirable plutôt que comme un véritable
remède aux représailles terroristes. On peut se demander si la
manière employée, c'est-à-dire le statut prima facie,
n'est pas en cause dans la politique menée aujourd'hui. Si le
gouvernement avait créé les statuts sur une base individuelle, en
passant par des entretiens, il aurait peut être pu déterminer avec
plus de précision les motivations de certains de ces
réfugiés, trouver ceux d'entre eux qui représentent une
potentielle menace et ne pas faire subir à la grande majorité
restante une pression encore plus forte.
Conclusion :
L'idée principale de ce mémoire était de
comprendre les interactions politiques qui existent lorsqu'une terre, qui se
veut d'accueil, voit arriver, jour après jour, sur son territoire des
milliers de personnes en exil. Quelle attitude adopter face à
l'urgence ?
L'Afrique est le continent qui comprend le plus de camps
réfugiés. Les conflits de toutes sortes à
répétition, les guerres civiles, les sécheresses, les
famines ont fait naître, doucement, la catégorie de
l'exilé.
Mais ces frontières, rempart à l'''invasion'',
ne sont-elles pas la cause même de ces conflits et de ces
migrations ? Un oeil sur la carte de l'Afrique suffit à discerner
des frontières bien droites, dont une règle semble avoir
tracé les contours. Après la décolonisation et les
indépendances, ce sont ces frontières, ces traits, qui sont
sources de conflits. Un jour le nomade emmène son bétail d'un
pâturage à l'autre, le lendemain le garde lui explique que cette
verdure au loin n'est plus la sienne, que sa présence est
illégale, qu'il est un étranger.
Les ``indépendances'' ont mis le pouvoir dans les mains
de clans, de personnes représentant des nations en devenir, des patries
loin d'être encore unifiées.
Une main de fer pour contrôler un État. Le
dictateur Barre a pris les rênes de la Somalie dans les années
1960 par un coup d'État. Il tombe lui-même d'un autre coup
d'État dans les années 1990, laissant la Somalie à feu et
à sang, profondément divisée entre ses clans, faisant
imploser l'unité éphémère du pays.
Presque 25 ans que le dictateur déchut a fuit
Mogadiscio. Presque 25 ans que des populations entières, laissées
à l'abandon, fuient le pays et cherchent refuge au-delà de la
frontière, chez le voisin, l'ennemi d'hier.
Le Kenya, économie montante d'Afrique... Quand on pense
à ce pays, ce sont des images de savanes qui viennent à l'esprit.
De grands espaces, des parcs nationaux superbes, le pays du safari où se
côtoient les animaux parmi les plus dangereux et impressionnants du
monde. Vision idyllique où résonne le ``hakuna matata''103(*).
Et pourtant, on voit apparaître, dans les zones arides
du Nord, une petite ville, qui semble toute petite sur les cartes officielles.
On s'aperçoit que ce petit village de 8 000 habitants nommé
Dadaab est le lieu où est implanté un des plus vieux et des plus
grands camps de réfugiés au monde. Presque un demi-million de
personnes qui n'''existent'' pas, cloîtrées depuis 25 ans dans une
prison à ciel ouvert, fruit d'une urgence qui n'en a jamais fini.
Ces milliers de somaliens qui ont fuit leur pays y ont
trouvé un certain refuge, un endroit où, peut être, tout
peut recommencer.
Peut être seulement... Car ce serait sans regarder
l'Histoire, sans tenter de comprendre les enjeux, tout simplement sans voir
au-delà du fait brut.
Bien avant les grandes colonisations, les somaliens avaient
une politique expansionniste. Colons avant les colons, ils donnaient
l'impression de vouloir s'étendre sur des territoires qui
n'étaient pas les leurs. Le pan-somalisme, idée vague d'une
grande Somalie avait de quoi faire peur à des voisins jaloux de leurs
terres.
Avec le départ des britanniques et le partage des
territoires, la Somalie a vu une nouvelle chance de concrétiser son
rêve. Méfiance, guerre, ``il faut stopper l'expansion
somali !'' Après la chute du régime de Barre, les anciens
conquérant somaliens se sont transformés en victimes, en
réfugiés. Mais même si ils avaient la tête basse,
c'était par milliers qu'ils franchissaient la frontière.
Du fait de son histoire conflictuelle, le Kenya a perçu
cela comme une nouvelle invasion, mais d'une autre forme. Son territoire
était un refuge, pas une convoitise. Mais ils étaient somaliens
et l'histoire est ce qu'elle est, on ne l'oublie pas.
Cette nouvelle ``menace'', le gouvernement n'en voulait pas.
Prenant parti du statut prima facie, qui leur ôterait tout droit d'asile,
le Kenya a mené une politique d'endiguement. Mettre les
réfugiés dans des camps fermés, d'où ils ne
pourraient pas sortir, endiguer ce problème si possible proche de la
frontière d'origine pour que le rapatriement se fasse au plus vite.
Dadaab ouvre ses portes en 1991. Le camp servit à
stopper le parcours des réfugiés en cet endroit précis.
Quelques années plus tard, manquant d'argent et de moyens suffisant, le
gouvernement délégua à l'UNHCR la gestion du camp et la
responsabilité des réfugiés.
Le camp devint l'objet de toutes les polémiques. Il ne
suffisait plus de les enfermer dans des camps, il fallait s'en
débarrasser. Mais vis-à-vis de la communauté
internationale, si on veut briller sur la scène, on ne pouvait
décemment pas expulser sans raison des populations
étrangères mais victimes de la guerre. Le gouvernement monta
alors des prétextes pour légitimer sa position. Ils
accusèrent les réfugiés d'être un poids
supplémentaire dans une région déjà aride et
extrêmement difficile. Qu'ils participaient à la
déforestation et qu'il fallait donc diminuer le nombre de
réfugiés dans ces camps.
Or nous avons vu qu'il est tout-à-fait normal que
l'ouverture et le maintient d'un camp de réfugiés s'accompagne
d'un déboisement des alentours. Seulement, nous avons
démontré que ce ne sont pas les réfugiés en
eux-mêmes, à travers leurs besoins en bois de chauffe, qui sont la
cause de cela mais le camp lui-même, à travers la construction et
la maintenance de ses infrastructures. C'est donc le choix de l'endiguement
dans des camps qui est la cause du déboisement.
Nous avons vu aussi les problèmes liés à
la sécurité. Les somaliens représenteraient une menace et
il faudrait donc les endiguer. Mais on peut se poser la question de savoir si
ce n'est pas le camp qui créer l'insécurité car il laisse
chacun sans opportunité de travail, sans autre chose que la vie du
quotidien, l'attente et l'ennui. Et que faire quand il n'y a rien à
faire, quand on n'a rien ? Les gangs se créer, le banditisme se
développe et l'insécurité s'aggrave.
Au fil des années, le camp, forme singulière de
l'urgence, se transforme. Les contours embryonnaires d'une ville semblent
apparaître. Une organisation se créer, des échoppes
naissent, on va se faire couper les cheveux chez le coiffeur et on peut
même dormir à l'hôtel.
La politique d'endiguement a eu plusieurs conséquences.
Une d'entre elle est cette pérennisation du camp. En gardant les
réfugiés ``prisonniers'' du camp, on a vu apparaître une
forme d'organisation sociale et économique qui laisse penser que le camp
n'est plus tout-à-fait un camp de réfugiés mais une
ébauche de ville. Elle ne restera qu'ébauche car elle ne peut
avoir une dynamique de croissance propre. Elle dépend du budget, du bon
vouloir de la communauté internationale. Et puis cette ville enferme,
elle restreint les libertés. Ce lieu est un lieu autre, un non-lieu, une
zone entre deux États.
25 ans que les camps de Dadaab sont ouverts. Et aujourd'hui
encore on sent son coeur battre.
Le Kenya fait face à une situation géopolitique
très tendue. Le pays doit briller sur la scène internationale
pour attirer les touristes, deuxième économie du pays, alors son
comportement doit être exemplaire. Les réfugiés dans les
camps, on fini par les oublier, la presse n'en parle plus. Mais les
attentas, les explosions, les morts en direct, ça fait monter l'audimat
mondial.
Al-Shabaab exercera des représailles sur le Kenya tant
que celui-ci n'aura pas quitté le territoire somalien.
Les camps sont l'arrière garde du groupe
islamiste ; ils y trouvent toute une logistique et un lieu de recrutement
de jeunes troupes. Al-Shabaab n'est pas une armée
régulière, ses membres se cachent parmi les
réfugiés, qu'ils soient dans les camps ou dans les villes.
Aujourd'hui, pour faire face à cette menace, le
gouvernement appelle tous les réfugiés disséminés
dans le pays à retourner dans les deux derniers camps ouverts de Dadaab
et de Kakuma.
Ceux-ci ont déjà dépassé de loin
leur capacité d'accueil et l'arrivée de plus d'un million de
nouveaux réfugiés risque de poser d'importants problèmes.
On est en droit de se questionner sur les solutions qui seront
apportées, d'une part par la communauté internationale
représentée par l'UNHCR et, d'autre part, quelles seront les
conséquences politiques et humaines de ce nouveau coup de la politique
d'endiguement des réfugiés par le gouvernement kenyan.
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(ed.) Populations réfugiées : de l'exil au
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p.3
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Dadaab, the documentary, Oriol Andrés, Carlos Castro,
Gemma Garcia, édition Maria Romero Garcia, produit par Contrast,
Barcelone 2012. Lien de la vidéo :
http://www.youtube.com/watch?v=BVoaiQfOheY
Entretien avec Michel Agier : Habiter la frontière,
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Gérard Prunier, Terrorisme somalien, malaise kenyan, Le
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Texte de la convention de 1951 relative au statut des
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UNHCR, 7 November 1998
* 1Marc-Antoine
Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des
cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés
à la raison d'État, Communautés déracinées
dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998, p.156
* 2 Le terme Galla
était autrefois utilisé pour désigner les Oromo.
* 3 Charlie Tatania. À
propos des conflits de frontière entre la Somalie l'Éthiopie et
le Kenya. In : Revue française de science politique, 16e
année, n°2, 1966. p. 312.
* 4 Voir Nathalie Gomes,
Solidarité et réseaux dans l'exil, Les réfugiés
somaliens clandestins au Kenya et en Éthiopie in Populations
Réfugiées, de l'exil au retour, IRD Éditions, 2001.
* Marc-Antoine Pérousse de
Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les
réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison
d'État, Communautés déracinées dans les pays du
Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.155-p.171
* 5 Ibid, p.158
* 6 CAMBRÉZY LUC
(ED.), Lassailly-Jacob V. (ed.) Populations
réfugiées : de l'exil au retour
* 7 Ibid, p.213
* 8 Ibid, p.217
* 9 Ibid, p.218
* 10 L'auteur met cependant
en garde contre l'utilisation de cette méthode car
l'interprétation des images tient pour beaucoup de la connaissance du
terrain au moment où ont été prises ces images, chose qui
n'a pas été faite dans ce cas précis.
* 11 Ibid, p.222-223
* 12 Ibid, p.226
* 13 Ibid, p.228
* 14 Marc-Antoine
Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des
cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés
à la raison d'État, Communautés déracinées
dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.160
* 15 Le tableau est
tiré du livre communautés déracinées dans les pays
du Sud que nous avons déjà cité. Les
références pour les chiffres avancés par l'auteur se
trouvent ici : USCR, 1981 ; International Conference on Assistance to
Refugees in Africa, Genève, 1981 ; HCR, 1993 : 154-5
* 16 Ibid, p.160
* 17 Ibid, p.161
* 18 Charlie Tatania.
À propos des conflits de frontière entre la Somalie
l'Éthiopie et le Kenya. In : Revue française de science
politique, 16e année, n°2, 1966. p. 314.
* 19 Rappelons que Tatania
Charlier publiait cet ouvrage en 1966.
* 20 Refuge, Vol 19, No 5 (2001): UNHCR at Fifty,
Jack M.Mangala, Réfugiés et sécurité
régionale en Afrique : un défi pour le HCR, p.46-47
* 21 Marc-Antoine
Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des
cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés
à la raison d'État, Communautés déracinées
dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.167
* 22 Nathalie Gomes,
Solidarité et réseaux dans l'exil, Les réfugiés
somaliens clandestins au Kenya et en Éthiopie in Populations
Réfugiées, de l'exil au retour, IRD Éditions, 2001,
p.311
* 23 Nathalie Gomes,
Solidarité et réseaux dans l'exil, Les réfugiés
somaliens clandestins au Kenya et en Éthiopie in Populations
Réfugiées, de l'exil au retour, IRD Éditions, 2001,
p.312
* 24 Marc-Antoine
Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des
cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés
à la raison d'État, Communautés déracinées
dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.168
* 25 Ibid, p.169
* 26 Kagwanja Peter
Mwangi, Pérouse de Montclos Marc-Antoine, « Le bon
Samaritain à l'épreuve de la « tradition
africaine » dans les camps de réfugiés au
Kenya », Politique africaine 1/ 2002 (N° 85),
p. 45-55
* 27 Marc-Antoine
Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des
cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés
à la raison d'État, Communautés déracinées
dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.157
* 28 UNHCR, 7 November
1998
* 29 Jeff Crisp, A state of
insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas
of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999
* 30 Ibid, p.2
* 31 Cette deuxième
hypothèse a été rapportée par une expatriée
femme, docteur dans un centre médical de Dadaab.
* 32 Pour plus
d'informations voir Jeff Crisp, A state of insecurity : the political
economy of violence in refugee-populated areas of Kenya, UNHCR, working paper
n°16, 1999, p.6-8
* 33 Luc Cambrézy,
Les camps de réfugiés du Kenya : des territoires sous
contrôle, géoconfluence, 2006, p.3
* 34 Durant cette crise, on
s'est rendu compte que les camps de réfugiés servaient de base
arrière aux mouvements en lutte dans leur pays d'origine. Ainsi, au
Rwanda, la Résistance nationale armée (RNA) de Yoweri Museveni
s'est servi, pour une grande part, des réfugiés tutsi rwandais en
Ouganda pour renverser le régime de Kampala. Une fois qu'il eu
accédé au pouvoir, il aida à son tour les
réfugiés tutsi qui s'étaient rejoint autour du Front
patriotique rwandais (FPR) pour renverser définitivement le
régime de Kigali. Fort de cette expérience, le nouveau
régime au pouvoir éradiqua à l'intérieur des
frontières nationales les camps de réfugiés qui, du coup,
auraient pu être utilisés de la même manière mais
contre le nouveau régime. Voir Refuge, Vol 19, No 5 (2001): UNHCR at
Fifty, Jack M.Mangala, Réfugiés et sécurité
régionale en Afrique : un défi pour le HCR, p.47-48.
* 35 Refuge, Vol 19, No 5
(2001): UNHCR at Fifty, Jack M.Mangala, Réfugiés et
sécurité régionale en Afrique : un défi pour
le HCR, p.49.
* 36 Ibid, p.50
* 37 Ibid, p.50
* 38 Ibid, p.51
* 39 Jeff Crisp, A state of
insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas
of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999, p.14-16
* 40 En écho de la
guerre des Shifta et de leur volonté d'une grande Somalie
* 41 Jeff Crisp, A state of
insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas
of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999, p.17
* 42 Contre moins de 15 000
dans les années 1970 et 1980 et majoritairement composés
d'ougandais qui se sont très facilement intégré dans le
territoire.
* 43 Texte de la convention
de 1951 relative au statut des réfugiés, Convention et
protocoles, UNHCR, p.16
* 44 Les estimations sont
très difficiles à réaliser. Si un réfugié
choisit de ne pas rentrer dans le camp, il perd son statut légal de
réfugié, ce qui est assez commun, vu la dangerosité des
camps. D'autre part, des populations locales peuvent se mélanger aux
réfugiés pour pouvoir bénéficier des ``avantages''
auxquels ils n'ont pas le droit en tant que citoyen kenyan.
* 45 Marc-Antoine
Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des
cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés
à la raison d'État, Communautés déracinées
dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.155
* 46 John Burton Wagacha and
John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee
rights, Georgetown University press, 2008, p.91
* 47 Marc-Antoine
Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des
cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés
à la raison d'État, Communautés déracinées
dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.157
* 48 John Burton Wagacha and
John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee
rights, Georgetown University press, 2008, p.91
* 49 Kagwanja Peter
Mwangi, Pérouse de Montclos Marc-Antoine, « Le bon
Samaritain à l'épreuve de la « tradition
africaine » dans les camps de réfugiés au
Kenya », Politique africaine 1/ 2002 (N° 85),
p. 46
* 50 Ibid
* 51 The Prese,ce of the
Burundian Rfugees in Western Tanzania, Ethical Responsibilities as a framework
for Advocacy ; Refugee rights, Georgetown University press, 2008, p.55
* 52 Abbe Feyissa, with
Rebecca Horn, There is More Than One Way of Dying, An Ethiopian Perspective on
the Effects of Long-Term Stays in Refugee Camps, Refugee rights, Georgetown
University press, 2008, p.23
* 53 Au sortir de la Seconde
Guerre mondiale et en pleine guerre froide la convention de Genève est
créée. Elle cible tous ceux qui viennent de l'Est et qui ont
échappé à un système politique oppressif. Tout
persécuté sera ainsi appelé réfugié
politique et cela pour n'importe quelle raison et dans une très large
acception.
* 54 Marie Poinsot et Michel
Agier, « Le `'gouvernement humanitaire'' », Hommes et
migrations, 1279/2009, 2013, p.106
* 55 Ibid
* 56 John Burton Wagacha and
John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee
rights, Georgetown University press, 2008, p.92
* 57 Dans les années
1970, les réfugiés ougandais passèrent relativement
inaperçus. Ils furent plus ou moins facilement assimilés et,
même si certains furent expulsés, ils ne furent jamais
parqués dans des camps. Voir Marc-Antoine Pérousse de Montclos,
Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les
réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison
d'État, Communautés déracinées dans les pays du
Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.169
* 58 John Burton Wagacha and
John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee
rights, Georgetown University press, 2008, p.92
* 59 Jeff Crisp, A state of
insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas
of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999, p.28
* 60 Nathalie Gomes,
Solidarité et réseaux dans l'exil, Les réfugiés
somaliens clandestins au Kenya et en Éthiopie in Populations
Réfugiées, de l'exil au retour, IRD Éditions, 2001,
p.313
* 61 Pérousse de
Montclos Marc-Antoine, « Marges urbaines et migrations
forcées : les réfugiés à l'épreuve des
camps en Afrique de l'Est », Autrepart, 2008/1 n°45, p.192
* 62 Ibid, p.195
* 63 Pérousse de
Montclos Marc-Antoine, « Marges urbaines et migrations
forcées : les réfugiés à l'épreuve des
camps en Afrique de l'Est », Autrepart, 2008/1 n°45
* 64 Pérousse de
Montclos Marc-Antoine, « Marges urbaines et migrations
forcées : les réfugiés à l'épreuve des
camps en Afrique de l'Est », Autrepart, 2008/1 n°45, p.202
* 65 L.Cambrezy, les camps
de réfugiés du Kenya : des territoires sous contrôle,
p.6
* 66 Entretien avec Michel
Agier : Habiter la frontière, revue Sciences humaines, mensuel
n°249, juin 2013
* 67 Michel Agier,
Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire, flammarion, 2008, p.31
* 68 Michel Agier, Le
couloir des exilés, être étranger dans un monde commun,
éditions du croquant, 2011, p.54
* 69 Ibid, p.58
* 70 Ibid, p.68
* 71 Michel Agier,
Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire, flammarion, 2008, p.122
* 72 Michel Agier, Le
couloir des exilés, être étranger dans un monde commun,
éditions du croquant, 2011, p.69
* 73 Michel Agier,
Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008,
* 74 Michel Agier,
Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, p.203
* 75 76 Dadaab,
the documentary, Oriol Andrés, Carlos Castro, Gemma Garcia,
édition Maria Romero Garcia, produit par Contrast, Barcelone 2012. Lien
de la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=BVoaiQfOheY
* 77 Michel Agier,
Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, p.208
* 78 Dadaab, the
documentary, Oriol Andrés, Carlos Castro, Gemma Garcia, édition
Maria Romero Garcia, produit par Contrast, Barcelone 2012. Lien de la
vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=BVoaiQfOheY
* 79 Michel Agier,
Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, p.218-219
* 80 M.Agier parle de 60%
alors que Crisp parle de 85%. Une seule année sépare les deux
analyses mais on peut comprendre la difficulté d'évaluation de
telles statistiques.
* 81 Jeff Crisp, A state of
insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas
of Kenya, UNHCR, working paper n°16, p.28-29
* 82 Ibid
* 83 Dadaab, the
documentary, Oriol Andrés, Carlos Castro, Gemma Garcia, édition
Maria Romero Garcia, produit par Contrast, Barcelone 2012. Lien de la
vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=BVoaiQfOheY
* 84 Pérousse de
Montclos Marc-Antoine, « Marges urbaines et migrations
forcées : les réfugiés à l'épreuve des
camps en Afrique de l'Est », Autrepart, 2008/1 n°45, p.203
* 85 Luc Cambrézy,
les camps de réfugiés du Kenya : des territoires sous
contrôle, Géoconfluences, 2006, p. 5
* 86 Jeff Crisp, A state of
insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas
of Kenya, UNHCR, working paper n°16, p.28-29
* 87 Michel Agier,
Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au
gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, p.207
* 88 Dadaab, the
documentary, Oriol Andrés, Carlos Castro, Gemma Garcia, édition
Maria Romero Garcia, produit par Contrast, Barcelone 2012. Lien de la
vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=BVoaiQfOheY
* 89 Tessa Valk Mayerick,
230 000 réfugiés somaliens souffrent du surpeuplement à
Dadaab, UNHCR, 2008
* 90 À partir de 2011
furent ouvert les camps de Kambios, Ifo 2 et Ifo 3.
* 91 Voir Rob Wise, Al
Shabaab, Center for Strategis and International Studies, Homeland Security and
Counterterrorism Program Transnational Threats Project, juillet 2011.
* 92 À l'exception
peut être de la région autonome du Somaliland qui connaît
une stabilité exemplaire depuis la chute du régime mais qui n'est
pas (encore) reconnu par la communauté internationale. Voire Ali
Mohamed, Somaliland. La réussite d'un pays fantôme, Courrier
international, juin 2014.
* 93 Le premier leader,
Sheikh Hassan Dahir Aweys, laissa sa place pour rentrer dans la direction de
l'ICU.
* 94 Une bombe explosa dans
un restaurant de Kampala en Ouganda, faisant 74 victimes.
* 95 Gérard Prunier,
Terrorisme somalien, malaise kenyan, Le monde diplomatique, novembre 2013
* 96 Jean-Philippe
Rémy, Le Kenya entre dans la guerre en Somalie, Le monde, 18 octobre
2011
* 97 Romain Lalane, le Kenya
en Somalie : les raisons d'une intervention risquée, Le nouvel
observateur, 30 décembre 2011
* 98 L'opération
militaire avait d'ailleurs été préparée bien avant
l'enlèvement des touristes. On peut retracer les débuts du plan
d'intervention à 2010
* 99 Jean-Philippe
Rémy, Le Kenya entre dans la guerre en Somalie, Le monde, 18 octobre
2011
* 100 Gérard
Prunier, Terrorisme somalien, malaise kenyan, Le monde diplomatique, novembre
2013
* 101 James Macharia, Kenya
orders Somali refugees back to camps after attacks, Reuters, 25 mars 2014
* 102 En janvier 2013, HRW
avait condamné une volonté du gouvernement de rapatrier 100 000
réfugiés vivant dans les grandes aires urbaines vers les
camps.
* 103 Littéralement
`il n'y a pas de problème'' en swahili.