Conclusion
Tout au long de ma démarche compréhensive, j'ai
effectué de nombreux liens avec les constats mis en exergue par Isabelle
Coutant. Il apparaît que les « troubles du comportement » des
jeunes accueillis en psychiatrie ne soient pas diamétralement
opposés à ceux des jeunes accueillis en ITEP. Bien que les
profils de ces mineurs soient hétérogènes, de nombreuses
caractéristiques semblent se faire écho, notamment celle du
« déshéritage ». Les difficultés cumulées
auxquelles sont confrontés les parents et qui ponctuent le quotidien de
ces jeunes ne peuvent être éludées dans la prise en compte
des facteurs influençant la manifestation dudit trouble du comportement.
D'ailleurs, « pour comprendre la différence, ce n'est pas le
différent qu'il convient de regarder, mais bien l'ordinaire
»76.
Nous pouvons nous interroger à savoir quels enjeux ont
motivé la création des ITEP ? Servent-ils à «
désenclaver » le secteur de la psychiatrie ? Sont-ils des «
établissements ressources » venant combler le désengagement
de certaines institutions ? Au regard des constats effectués, nous
pourrions définir les ITEP comme la « terre d'accueil des
incasables ». Les conduites adoptées par ces jeunes,
majoritairement de sexe masculin, semblent osciller entre écart et
transgression à la norme. Les interventions parentales genrées
que nous avons mentionnées et qui reviennent à enseigner
davantage l'incorporation et le respect des normes aux filles semblent
constituer un élément de réponse à cette dominante
masculine. Il apparaît qu'un lien entre mission de prévention
ainsi que mission de contrôle et de répression des comportements
déviants est notable. Comme nous avons pu remarquer, la violence semble
être la « bête noire » de ces établissements. En
ce sens, nous pouvons envisager les ITEP comme des institutions au service
d'une « politique de réduction des risques » visant à
prévenir les comportements délictueux.
Notamment, être accueilli en ITEP suppose une
acceptation de ses difficultés. Rappelons que l'acceptation de la
difficulté constitue une forme de modélisation du regard de
l'Autre sur sa condition, soit s'apparente à un interventionnisme
coercitif venant renforcer l'appropriation du stigmate chez l'individu. Dans le
champ de l'action sociale, qu'il s'agisse du pôle thérapeutique,
éducatif ou pédagogique, les professionnels semblent
missionnés pour corriger la non-conformité des comportements des
adolescents accueillis
76 Erving Goffman, Stigmate : les usages sociaux
des handicaps, op. cit., p.150.
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par rapport à une demande des institutions et tout
particulièrement de l'école et de la justice.
« J'ai l'impression que l'on demande au public de
s'adapter au fonctionnement de nos institutions. Peut être que je me
trompe mais les institutions ont été mises en place pour
s'adapter aux problématiques de ces personnes », Georgio (moniteur
éducateur).
Selon Alain Ehrenberg, « il faut donc arrêter
de penser la souffrance psychique et la santé mentale comme une
expérience intérieure, car ce sont les règles de conduite
qui ont changé et les attentes qui se sont transformées
»77. A ce titre, nous pouvons mentionner
l'émergence de la psychologie comme ayant servi de support à ces
transformations. Robert Castel évoque l'idée une psychologisation
des rapports sociaux qui participerait à la fabrication de nos
représentations du monde social. En lien avec ce
phénomène, il déplore l'existence d'un jugement sur les
résultats et la personnalité de l'individu qui viendrait
renforcer le moralisme. Cette logique est connexe à celle de la
méritocratie que nous avons évoquée au sein de notre
analyse. Selon lui, « la psychologie n'est jamais qu'une
prothèse greffée sur un corps institutionnel malade. Dans le
meilleur des cas, elle récupère les déchets du
système éducatif et parvient à les recycler sur place.
Dans le pire, elle les élimine en leur ménageant une existence de
seconde zone dans ces espaces de ségrégation que sont les
institutions spéciales. Faudra-t-il donc que la majorité devienne
déviante pour que l'on consente à réévaluer les
critères qui définissent l'anormalité ?
»78. Il préconise une psychologie au service de la
promotion des différences pour réduire les stigmatisations, soit
combattre l'émergence de catégories d'anormaux.
Par ailleurs, au regard du manque de dispositifs
pédagogiques alternatifs, nous pouvons nous questionner quant aux
trajectoires professionnelles qui seront empruntées par les jeunes au
sortir de l'ITEP. Les représentations sociales qui se sont construites
autour du « trouble du comportement » laissent peu de place à
l'élaboration d'un maillage partenarial. De fait, nous pouvons parler
d'un entre-soi subi aux conséquences notables. Les missions des «
professionnels de terrain » se voient revisitées en lien avec ce
manque de relai qui contribue à l'apparition de difficultés
parallèles qu'ils ne peuvent éluder dans leurs interventions
quotidiennes. Cette limite dans l'accompagnement suppose un réajustement
permanent de leurs axes de travail ce qui rallonge les durées de prise
en charge. En somme, la multiplicité des difficultés auxquelles
ils doivent répondre peut facilement être une entrave à la
qualité de leurs pratiques en raison d'une « polyvalence
77 Alain Ehrenberg, « les changements de la
relation normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de
la santé mentale », Esprits, 2004, p.156.
78 Robert Castel et Jean-François Le Cerf,
« Le phénomène « psy » et la société
française. Vers une nouvelle culture psychologique », Le
Débat, 1980/1 n°1, p.43.
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extrême » qui s'apparente à une injonction
dissimulée des autorités publiques. Notamment, nous pouvons
repérer le début d'une médiatisation79 autour
du fonctionnement des ITEP qui semble signer les prémices d'une
dévalorisation et d'une stigmatisation de ces institutions.
Parallèlement, l'institutionnalisation croissante dans
le champ de l'action sociale et l'émergence de la logique
managériale portent à débat dans le discours public. Cette
dynamique actuelle réduit la marge de manoeuvre accordée aux
travailleurs sociaux et participe au délitement de leur culture
professionnelle. « Acteurs de première ligne » ayant une
compréhension fine des problématiques sociales de part la
quotidienneté de leurs interventions, ces derniers semblent de moins en
moins sollicités pour témoigner de leur lecture analytique des
situations auxquelles ils sont exposés. « Les travaux qui ont
porté sur la mise en oeuvre des plans départementaux et leur
évaluation ont souvent fait ressortir le fait que les associations
étaient peu mises à contribution dans la phase de conception des
plans départementaux [...] Bien que les associations soient, dans la
plupart des départements, représentées dans les instances
de pilotage du plan, elles ne peuvent empêcher des négociations
conduites entre les services de l'Etat et du Conseil Général en
dehors de ces instances »80. Il apparaît que le
travail social est balisé par des logiques politiques venant restreindre
les possibilités d'interventions de ses acteurs. Ce constat de Loïc
Aubrée illustre l'idée selon laquelle l'action sociale est
à la croisée de la sphère économique et
politique.
En définitive, la classification de certains individus
labélisés « trouble du comportement » et la
façon dont les politiques sociales prennent en charge ce dit
problème permettent de mettre en exergue une volonté sous-jacente
d'ordre social. Bien que le fonctionnement de nos institutions ne soit plus
régi par une tradition asilaire, les possibilités de notre «
usager de droits » semblent contrôlées. A l'heure actuelle,
la question sociale semble encore traitée sous une approche
orthopédique.
79 Se référer à l'article du
figaro joint en document annexe (n°6).
80 Loïc Aubrée, « L'inscription des
associations dans les politiques sociales du logement : un risque
d'instrumentalisation », Pensée plurielle, n°7, p.80.
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