UNIVERSITE LILLE 1
Mémoire de recherche
Intitulé :
Le trouble du comportement :
une insensibilité aux codes
conventionnels de la conduite ?
ITEP et action sociale, les prémices d'un
entre-soi.
Etudiée par Marion Denis
Master 1 en Sciences Humaines et Sociales Mention :
Sociologie-Ethnologie
Directeur de mémoire : Grégory
Salle Chargé de recherche au CNRS
2013 - 2014
2
3
Table des matières
Introduction
I Modalités de fonctionnement et d'intervention en
Institut Thérapeutique Educatif et
Pédagogique
|
05/99
07/99
|
1 Généalogie générale de
l'institution
|
07/99
|
2 Un public cible
|
10/99
|
3 Le projet institutionnel : une intervention globale
|
13/99
|
4 Diagnostic territorial
|
16/99
|
II Catégories et stratification sociale
|
19/99
|
1 Déviance scolaire : une « désaffiliation
sociale » ?
|
19/99
|
2 Identités : règles de conformité et champ
de la psychiatrie
|
25/99
|
3 Santé mentale/santé publique : existence de
corrélations avec l'action sociale
|
33/99
|
III Légitimité d'action : retour sur la
notion d'autorité morale
|
39/99
|
1 Emergence de l'ingénierie sociale : naissance d'un
« procès de production »
|
39/99
|
A Apogée du travail social dans une perspective
socio-historique
|
39/99
|
B Evaluation, démarche qualité et guides de bonnes
pratiques professionnelles .
|
41/99
|
2 Culture professionnelle et champ disciplinaire d'appartenance
|
43/99
|
3 Pluridisciplinarité et « tricotage » d'une
adhésion familiale
|
49/99
|
IV Précarité familiale et fonctionnements
versus dysfonctionnements institutionnels
|
55/99
|
1 L'ITEP : malaise social ou pathologie ?
|
55/99
|
2 Le « trouble du comportement » : une
défaillance parentale ?
|
62/99
|
3 Le « trouble du comportement » : une
défaillance institutionnelle ?
|
68/99
|
Conclusion ....
|
79/99
|
Bibliographie
|
82/99
|
Sources
|
85/99
|
Annexes
|
89/99
|
1 Guide d'entretien
|
89/99
|
2 Récapitulatif des entretiens menés
|
91/99
|
3 Document MDPH ..
|
93/99
|
4 Gazette de l'ITEP
|
95/99
|
5 Nomenclature du ministère de la justice
|
97/99
|
6 Article du Figaro.fr
99/99
|
|
4
5
Introduction
De prime abord, déconstruire la nature de mon
positionnement face à l'objet traité m'est apparu comme un
pré-requis incontournable. Educatrice spécialisée de
formation, mes expériences professionnelles m'ont permis
d'accéder à une vision plus claire de ce que pouvait être
« l'action sociale de terrain ». Toutefois, l'acquisition de savoirs
académiques, soit d'une expertise sociologique m'a semblé
nécessaire pour comprendre certains rouages des faits et
phénomènes sociaux auxquels j'étais confrontée. Le
point de départ de mon questionnement est naît d'une
différence notable entre mes propres représentations sociales, le
discours public et ce qui m'est apparu comme la réalité.
L'étonnement dont il est question a suscité mon envie de choisir
comme objet d'étude, les « troubles du comportement » des
mineurs accueillis en Institut Thérapeutique Educatif et
Pédagogique. Selon la législation en vigueur, « les
instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques
accueillent les enfants, adolescents ou jeunes adultes qui présentent
des difficultés psychologiques dont l'expression, notamment
l'intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la
socialisation et l'accès aux apprentissages. Ces enfants, adolescents et
jeunes adultes se trouvent, malgré des potentialités
intellectuelles et cognitives préservées, engagés dans un
processus handicapant qui nécessite le recours à des actions
conjuguées et à un accompagnement personnalisé
»1. Pour alimenter cette description, précisons
qu'en centre de formation de travail social, l'agressivité, la violence
verbale comme physique et à l'inverse l'inhibition, les
difficultés de communication, d'intégration et de socialisation
m'ont été présentées comme des
caractéristiques propres de ce dit trouble. Suite à ces
enseignements, j'ai pris conscience qu'il fallait que je m'extirpe de certaines
de mes représentations fantasques pour qu'elles ne fassent pas corps
avec mon identité professionnelle. Dès lors, j'ai mené un
accompagnement socio-éducatif de six mois auprès de ce public
afin de découvrir « la vraie nature » du « trouble du
comportement ». Plusieurs constats m'ont interpellé et de ces
derniers ont germé de nombreuses interrogations. Au regard des parcours
de vie des jeunes accueillis, rapidement l'évocation d'une pathologie,
soit d'un « handicap psychique » s'est présentée
à moi comme ne pouvant être la seule caractéristique
étiologique envisageable pour comprendre ces comportements dits
déviants. Tenter de proposer une démystification du «
trouble du comportement » m'est apparue nécessaire. Les contours de
cette nouvelle catégorie semblent poreux, laissant place à des
« diagnostics sauvages ». Pour définir un
1 Article D. 312-59-1 issu du décret n°
2005-11 du 6 janvier 2005 fixant les conditions techniques d'organisation et de
fonctionnement des instituts thérapeutiques, éducatifs et
pédagogiques
comportement comme déviant, la comparaison avec une
population de référence, soit à une norme paraît
inévitable. Soulignons que « les normes sont le produit de
l'initiative de certains individus, et nous pouvons considérer ceux qui
prennent de telles initiatives comme des entrepreneurs de morale. Deux types
d'entrepreneurs retiendront notre attention : ceux qui créent les normes
et ceux qui les font appliquer »2. Dans ce travail, nous
nous intéresserons aux mineurs étiquetés comme ayant des
troubles du comportement et aux professionnels exerçant en ITEP,
personnes missionnées pour « corriger » ces comportements
reconnus notamment comme transgressifs. Toutefois, analyser l'ensemble des
parties concernées par l'objet étudié semble requis pour
tendre vers une certaine objectivité, raison pour laquelle j'ai
souhaité articuler mon travail de recherche sur deux années. De
fait, sur ma seconde année de master je mènerai une étude
axée sur « ceux qui créent les normes », soit sur les
politiques sociales et leurs acteurs.
Concernant cette première étude, le biais de
l'enquête ethnographie m'a paru incontournable. Durant quatre mois, j'ai
participé aux réunions d'équipe pluridisciplinaire,
mené des entretiens individuels auprès des professionnels tout en
essayant d'être présente sur des temps de communication moins
formels. Les données recueillies m'ont permis d'étayer mes pistes
de réflexion. Ainsi, dans un premier temps, mon étude sera
axée sur les modalités de fonctionnement et d'intervention en
ITEP. Dans un second, j'aborderai les catégories existantes et la
stratification sociale faisant suite à celles-ci. Dans un
troisième, j'évoquerai la légitimité d'action des
professionnels à laquelle sous-tend une notion d'autorité morale.
Puis, dans un dernier j'analyserai les caractéristiques
étiologiques dudit trouble du comportement et le positionnement des
parents et des institutions à l'égard de ce dernier.
Dans l'ensemble, je tenterai de comprendre, comment
pouvons-nous déterminer qu'un individu est enclin à des troubles
du comportement ? Quel cadre de référence et quelle
légitimité permettent de déterminer le comportement d'un
individu comme déviant ?
6
2 Howard Becker, Outsiders, Etudes de
sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985,
p.171.
7
I] Présentation de l'Institut
Thérapeutique Educatif et Pédagogique
1) Généalogie générale de
l'institution
L'Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique
où j'effectue mon enquête ouvra ses portes au début des
années soixante. Toutefois, une précision sur son identité
semble requise. A l'origine, l'association bénéficie d'un
agrément pour l'accueil de 60 enfants dits inadaptés de 4 ans
à 14 ans en semi-internat pris en charge sur deux établissements
de la métropole Lilloise ; soit un site accueillant les plus jeunes et
le second les adolescents. En 1967, l'effectif est augmenté de cinq
places et le profil des enfants accueillis est redéfini. Dès
lors, l'intervention des professionnels concernent deux catégories
distinctes, 45 enfants dits débiles légers et caractériels
ainsi que 20 enfants malentendants. Une dizaine d'années plus tard,
l'âge des jeunes pouvant intégrer l'institution est allongé
jusqu'à 16 ans. Dans la continuité du décret du 27 octobre
19893 en faveur des personnes handicapées et des annexes XXIV
prévues par celui ci, l'agrément est modifié et les deux
établissements deviennent des Instituts Médico-Educatif en 1993.
De nouveau, ces profils, les « catégories de rattachement »
des enfants accueillis sont changées. La prise en charge concerne des
jeunes dits déficients intellectuels légers présentant des
troubles du caractère et du comportement. Notons que de manière
officieuse, les structures sont appelées Centre
Médico-Pédagogique par de nombreux professionnels. Ne comprenant
pas l'origine d'une telle dénomination, je me suis rapprochée de
Madame Romel (directrice du dispositif ITEP, 60 ans, 8 ans
d'ancienneté). Cette dernière m'explique que le social est
naît des congrégations religieuses qui ont vu peu à peu
leur légitimité se réduire avec l'assise des
associations.
« Ca s'appelait CMP parce que c'était les premiers
noms qui ont été donné aux premiers
établissements médico-sociaux, il est important
de remettre ces appellations dans le contexte de
l'époque. L'appellation IME renvoyait davantage
à la déficience... A l'époque on n'était pas
très regardant, c'était moins catégorisé que
maintenant ».
A l'heure actuelle, les CMP sont des lieux d'accueil de jour
de secteur où des interventions multiples sont proposées (suivi
psychologique, éducatif, social, orthophonique, etc.) visant à
garantir aux personnes reconnues comme vulnérables un accès aux
soins et à des actions
3 Décret n°89-798 fixant les conditions techniques
d'agrément des établissements privés de cure et de
prévention pour les soins aux assurés sociaux.
8
transversales à proximité de leur domicile.
Toutefois, cette appellation informelle pour caractériser les deux
établissements ne paraît pas anodine. En effet, en 1999 lors d'une
visite de la Direction Départementale de l'Action Sanitaire et
Sociale4, une discordance entre l'agrément existant et la
population accueillie est soulignée. De fait, une étude des
dossiers CDES5 des enfants est menée. Brièvement,
cette dernière est chargée d'effectuer un diagnostic de la
situation de la personne, soit de repérer ses potentialités,
limites et « degré d'handicap » puis de prévoir son
orientation en lien avec les besoins identifiés. Ainsi, le constat se
voit confirmé, la DDASS demande au Comité Régional de
l'Organisation Sanitaire et Sociale qui est un organisme tutélaire
à ce que les établissements soient renommés en Institut de
Rééducation Psychologique au regard des dits troubles de la
personnalité et du comportement associés à la
déficience légère du public. Lors d'une visite de
conformité, il est demandé aux membres de l'équipe
pluridisciplinaire des deux IME de mener des groupes de travail dans le but de
réécrire leur projet d'établissement en tenant compte des
évolutions repérées chez les mineurs accueillis.
Malgré cela, le changement en IRP est refusé. Notons qu'un tel
changement suppose qu'il y ait « une enveloppe budgétaire » de
disponible au niveau de l'Agence Régionale de Santé, que les
missions de l'établissement fasse partie du schéma
départemental, soit que le projet soumis soit en accord avec les lignes
prioritaires du médico-social. A titre d'exemple, sur ces
dernières années la priorité a été
accordée à « la problématique des enfants autistes
». En ce sens, l'autisme a été « labélisé
» grande cause nationale en 2012.
Enfin, en 2006 après arrêté
préfectoral les établissements sont transformés en ITEP
dans la continuité du décret n°2005-11 du 6 janvier 2005
relatif à l'organisation et au fonctionnement des ITEP. Ce nouveau cadre
légal et réglementaire instaure une dynamique autre au sein des
deux structures mêlant thérapeutique, éducatif et
pédagogique. Au moment de ce changement d'agrément, l'accueil qui
concernait un public au 3/4 déficient intellectuel léger avec
quelques enfants reconnus comme difficiles devient un établissement qui
accueille en lien avec toutes les nouvelles notifications, des jeunes «
aux problématiques ITEP ». Madame Romel ayant commencé sa
fonction de directrice cette année là me fait état de la
situation à l'époque.
« Les professionnels n'avaient qu'une
représentation de ce que pouvais être un public ITEP... Pendant
1an et demi au moins, je sentais des équipes un peu en désarroi,
en souffrance de ce que ce public qui arrivait donné à voir dans
sa violence verbale, physique. Très vite j'ai lancé des plans
de
4 Terme désuet. Il s'agit de l'actuelle
Direction Départementale de la Cohésion Sociale.
5 Commissions Départementales de l'Education
Spéciale. Terme désuet. Depuis la loi n°2005-102 du
11/02/2005, il s'agit des Commissions des Droits et de l'Autonomie des
Personnes Handicapées.
9
formations pour que les professionnels puissent voir ce
qu'était les ITEP au niveau déontologique, de manière
à pouvoir s'imprégner et bouger les lignes de travail ».
L'établissement était composé de
professionnels exerçant depuis plusieurs années avec des
modalités de fonctionnement spécifiques au public qu'ils
accueillaient. Selon la directrice il a fallut innover, procéder
à de nombreux changements ce qui n'a pas été sans
difficultés.
Malgré une certaine mouvance législative, une
mission centrale anime l'association. Au regard des financements
alloués, elle veille à répondre aux besoins sociaux par le
biais de propositions multiples en termes de création, d'animation et de
gestion d'établissements ainsi que de services sociaux et
médico-sociaux sur son territoire d'implantation. Répondre
à des besoins identifiés engage l'association à
considérer des demandes ayant une origine tripartite, soit celles des
personnes accueillies, des pouvoirs publics et des oeuvres privées. Dans
la continuité de ces « problèmes sociaux », une prise
en compte de l'historicité du décret de 2005 venant
réguler le fonctionnement général des ITEP paraît
nécessaire. Force est de constater que la création de ces
institutions et l'émergence de l'appellation « trouble du
comportement » sont récentes. Un réseau, AIRe6, a
été créé visant à enrichir la
réflexion autour de ces dits troubles. Les temps de rencontre
organisés consistent à fédérer les professionnels
concernés par les interventions auprès de ce public. En lien avec
un cadre juridique spécifique venant baliser les modalités de
prise en charge, la finalité escomptée résulte à se
mobiliser en croisant les différents savoirs propres aux sciences
humaines et sociales pour inverser le processus handicapant dans lequel ces
jeunes sont considérés comme engagés. Il paraît
intéressant de souligner que ce réseau a été
créé en 1995. L'antériorité du réseau Aire
par rapport au décret de 2005 semble signer les prémices d'une
volonté politique visant à reconnaître les comportements de
ces jeunes comme un problème social porteur d'un intérêt
public.
De manière générale, les ITEP sont
régies par la loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant
l'action sociale et médico-sociale. Différents outils y sont
énumérés devant être mis en place dans un
délai de 10 ans dans les institutions de ce secteur. L'idée phare
de celle-ci vise à placer « l'usager au coeur de son projet »,
soit la démarche consiste à solliciter sa participation et son
consentement au regard des décisions prises le concernant. Cette
nouvelle dynamique semble favoriser l'émancipation des
bénéficiaires de l'action sociale et médico-sociale. Nous
reviendrons sur ces modalités d'interventions afin de questionner le
principe d'autonomie (cf. chapitre II-3) puis l'idée de bientraitance et
d'évaluation (cf. chapitre III-1) sous-tendus au sein ces dispositions
législatives.
6 Association nationale des ITEP et de leurs
réseaux.
10
2) Un public cible
Pour introduire ce travail, nous avons évoqué un
extrait du décret datant du 6 janvier 2005 relatif aux ITEP. Dans ce
dernier sont stipulées les personnes concernées par une prise en
charge dans ces institutions, il s'agit de mineurs et des jeunes majeurs ayant
« des difficultés psychologiques ». Nous pouvons nous
interroger à savoir : par quels moyens pouvons-nous déceler et
affirmer l'existence de telles difficultés chez un individu ?
Différentes techniques employés par les professionnels du champ
de la psychiatrie et de la psychologie prédominent dans ce type
d'évaluation. Les outils privilégiés pour mesurer ces
dites difficultés psychologiques sont les bilans psychométriques,
c'est-à-dire les tests de quotient intellectuel qui diffèrent
selon l'âge de la personne examinée (cf. WPPSI-III, WISC-IV et
WAÏS-III). Ces derniers sont utilisés comme des supports permettant
de distinguer quelles sont les fonctions intellectuelles qui seraient
préservées et celles qui seraient altérées. Bien
que le but poursuivi résulte d'une dissociation entre troubles
psychologiques et neurologiques, ces bilans sont soumis à une
interprétation clinique, soit l'attribution du sens accordé aux
comportements évalués appartient au psychologue. Les
significations qui émanent d'un dessin, d'une tâche d'encre ou
autre sont multiples et les comportements d'un individu à un instant t.
sont sujets à de nombreuses variations. Nous pouvons avancer qu'au
regard des parcours de vie complexes des jeunes accueillis à l'ITEP, les
changements d'humeurs en lien avec certains événements familiaux
aux difficultés pouvant être aléatoires peuvent facilement
biaiser la véracité du test. Parallèlement, pour mettre en
évidence des caractéristiques singulières qui se
dégagerait d'une personne il semble incontournable de prendre appui sur
une population de référence, sur une norme. Force est de
constater que les bilans psychométriques sont standardisés.
Pourtant ces derniers sont utilisés pour évaluer la situation des
jeunes et servent de supports pour préconiser une orientation en ITEP ou
non. D'autres pièces sont requises (cf. annexe n°3) comme les
bilans médicaux, paramédicaux, éducatifs ou sociaux ; eux
aussi sont soumis à une part de libre arbitre en raison de grilles de
lecture et de cadres de référence évasifs concernant
« le trouble du comportement » qui ne permettent pas une exactitude
dans le diagnostic. Pour confirmer ce propos, nous reviendrons plus loin dans
la rédaction sur la catégorisation existante dans le champ de la
psychiatrie (cf. chapitre II-1) et sur la multiplicité des
définitions évoquées par les professionnels lors des
entretiens menés (cf. chapitre IV-1). Par ce biais, nous tenterons de
comprendre en quoi la socialisation et l'accès aux apprentissages de ces
jeunes sont perçus comme perturbés.
11
En somme, dans le projet d'établissement de l'ITEP il
est écrit que l'accueil concerne « 25 pré-adolescents
âgés de 12 ans à 16 ans présentant des troubles du
comportement et de la personnalité, des troubles du développement
et des fonctions instrumentales sans déficience intellectuelle ».
Au premier abord, cette classification peut paraître relativement
étendue. Celle-ci s'inspire d'un ouvrage de référence
basé sur les données recueillies par les hôpitaux
psychiatriques dans lequel sont classés ces comportements
identifiés comme des troubles mentaux. Ce manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux, communément appelé
DSM7 a été élaboré dans les
années cinquante par la société américaine de
psychiatrie afin de proposer un système de codage permettant de
faciliter l'analyse et le diagnostic. Les plus récents sont le DSM IV
publié en 1994 et le DSM V publié en 2013. Au sein du DSM IV, le
« trouble du comportement » était répertorié
dans la catégorie des « comportements perturbateurs et
déficit de l'attention ». L'hyperactivité, le trouble des
conduites et le trouble oppositionnel avec provocation étant
considérés comme les manifestations permettant le repérage
de ce dit trouble. Avec la publication du DSM V un autre regard est
porté sur le « trouble du comportement ». Dorénavant,
il s'agit d'un « trouble de la personnalité » pouvant
s'exprimer sous différentes formes, soit « schizotypique,
borderline, antisociale, narcissique, obsessionnelle-compulsive ou autre
». Nous pouvons remarquer l'émergence de portraits prototypiques
variés rendant la nature du « trouble » floue et complexe
à identifier. Bien que le DSM soit en accord avec la Classification
Internationale des Maladies instauré par l'Organisation Mondiale de la
Santé, les appellations et définitions divergent entre
institutions spécialisées et entre professionnels. Malgré
cette reconnaissance encore imprécise à l'égard du «
trouble du comportement », précisons que ces jeunes sont reconnus
comme des personnes handicapées psychiques, ils sont orientés en
ITEP par la Maison Départementale des Personnes Handicapées et
leurs parents bénéficient en guise de « compensation »
d'une Allocation d'Education de l'Enfant Handicapé. A titre d'exemple,
dans le rapport d'activité de 2011 qui reprend les diagnostics
effectués par la MDPH, il est noté que l'ITEP a accueilli 83% de
jeunes ayant une pathologie limite et/ou un trouble de la personnalité
et 17% étant autiste ou ayant des troubles psychotiques.
A la suite de l'utilisation de ces termes qui peuvent
paraître « barbares » pour certains, un schéma afin de
reprendre les caractéristiques qui prévalent tout de même
autour du trouble du comportement et des ITEP semble pertinent.
7 Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorders.
Autonomie
Responsabilisation
Adaptation
Institut Thérapeutique Educatif
et Pédagogique
Intégration sociale
Intégration scolaire
Du comportement et de la personnalité
Trouble
Absence de psychose et
de déficience intellectuelle
Du développement et des fonctions instrumentales
12
D'un point de vue institutionnel, au cours des entretiens
menés, les professionnels évoquent une « recherche
d'attention constante », une « estime de soi
dépréciée », « une fragilité narcissique
», une « recherche de conflit et une victimisation totale »,
etc. comme des éléments constitutifs du « trouble » qui
rendent difficile leur socialisation et leur accès aux apprentissages.
Selon eux, ce trouble se traduit par des conduites socialement
inadaptées, agressives et/ou d'oppositions actives voire passives. En
raison de cette grande diversité dans le langage, Madame Romel me dit
:
« Le décret précise les enfants que nous
n'accueillons pas et non ceux que l'on accompagne ».
Notamment, la législation en vigueur préconise
la durée de prise en charge requise au sein des ITEP, soit entre 3 et 4
ans. En revanche, celle-ci est rarement tenue. Pour preuve, dans le dispositif
ITEP de l'association qui est composé de deux établissements, un
site accueillant les mineurs âgés de 6 ans à 11 ans et
l'autre de 12 ans à 16 ans ; il est fréquent
13
que le parcours institutionnel de certains se voient
prolongé allant du premier site au second. Elise (institutrice, 25 ans,
1 an d'ancienneté) m'explique quelles sont les principales admissions
effectuées.
« Ici on a deux modes d'entrée, ceux qui arrivent
du site des petits et qui généralement on eu une rupture avec la
scolarité ordinaire entre le CP et le CE1 et ceux qui nous arrivent
directement du collège ».
En termes de processus de réorientation, dans la grande
majorité des cas le signalement dudit trouble émane de
l'Education Nationale qui sollicite ensuite la MDPH pour une intégration
en institution spécialisée. Ayant fait ce constat à
maintes reprises en tant qu'éducatrice spécialisée, le
témoignage de l'institutrice ne semble pas anecdotique ; il
apparaît que l'orientation proposée par le législateur par
rapport à la durée de prise en charge est peu souvent
respectée. Nous pourrions formuler l'hypothèse selon laquelle la
multiplicité des difficultés sociales vécues par les
jeunes nécessite une polyvalence des professionnels relativement
ambitieuse qui vient retarder les interventions initialement prévues par
ces derniers. Toutefois, à ce stade de la rédaction il serait
précipité d'analyser ce phénomène, nous reviendrons
davantage sur celui-ci à la fin de notre démarche
compréhensive (cf. chapitre IV-3).
Selon Howard Becker, « une des conséquences
majeures d'une croisade victorieuse, c'est bien sûr l'instauration d'une
nouvelle loi ou d'un nouvel ensemble législatif et réglementaire,
généralement accompagnés d'un appareil adéquat pour
faire appliquer ces mesures »8. En effet, un réel
arsenal législatif greffé à un plateau technique
composé de professionnels aux formations variées a vu le jour.
Comme nous l'avons vu, bien que définir le trouble du comportement ne
soit pas une mince affaire, la pluridisciplinarité des actions
menées au sein des ITEP constitue un socle des savoirs devant permettre
une meilleure lecture analytique au service des besoins de la personne
accompagnée.
3) Le projet institutionnel : une intervention globale
Au regard des dispositions prévues par le décret
de 2005 et la circulaire9 de 2007, les missions menées par
les membres de l'équipe pluridisciplinaire s'articulent autour de trois
pôles : le thérapeutique, l'éducatif et le
pédagogique. Chacun de ces pôles est composé de
professionnels diplômés de différents domaines en sciences
humaines et sociales, en médical et para-médical.
8 Howard Becker, Outsiders, Etudes de
sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985,
p.176.
9 Circulaire interministérielle du 14 mai 2007
relative aux ITEP et à la prise en charge des enfants accueillis.
14
- Le pôle thérapeutique :
* Le médecin psychiatre est le garant de tous actes
médicaux, il s'occupe d'effectuer un lien avec les spécialistes
intervenant auprès du jeune. Il rencontre ces derniers et leurs familles
dans le cadre d'un « soutien » à la parentalité. Il
assure la dynamique réflexive auprès de l'équipe autour de
leurs pratiques professionnelles. De concert avec l'équipe de direction
il décide des admissions. De manière informelle, notons qu'en
l'absence du chef de service il bénéficie d'un pouvoir
décisionnel.
* L'infirmière travaille sur la prévention
sanitaire par le biais d'ateliers. Les mutations à l'adolescence, la
sexualité, l'hygiène, etc. sont des thématiques qu'elle
aborde avec les jeunes, ceux-ci sont notamment évoqués dans le
cadre de suivis individuels.
* Un psychologue extérieur intervient pour des temps de
supervision à raison d'une fois par mois. Sa présence est requise
pour un soutien, une régulation et une analyse des pratiques. Ces
séances de 2h30 fonctionnent sur un principe de libre adhésion,
soit sur les 14 salariés concernés, 8 y participent. Cette
instance de communication représente pour beaucoup une « soupape de
décompression », un moyen d'évoquer les difficultés
rencontrées, un espace de parole leur permettant de se remettre en
question.
* Les psychologues, au nombre de deux exercent une fonction
d'observation, d'évaluation et de coordination. Ils participent aux
concertations menées avec les partenaires. En réunion
d'équipe ils interviennent sur les faits évoqués par leurs
collègues pour apporter des « vignettes cliniques ».
* La psychomotricienne est chargée de «
rééduquer » le jeune par le biais de la gestuelle sur des
difficultés psychologiques qui s'expriment corporellement.
* L'orthophoniste intervient autour d'une «
rééducation langagière ». Notons que la
majorité des jeunes accueillis ne savent pas lire.
Dans l'ensemble, les membres de ce pôle reçoivent
les jeunes en entretiens individuels. « La fonction
thérapeutique a pour but d'identifier l'origine des troubles, de
rechercher dans le désordre de chaque comportement la
réalité psychique qui le sous-tend »10.
Parallèlement, bien qu'ils ne soient pas attendus sur des missions
éducatives, ils se disent indirectement sollicités en raison du
comportement de certains jeunes.
- Le pôle éducatif :
* Les éducateurs spécialisés sont les
interlocuteurs privilégiés du jeune. Ils sont les premiers
témoins de son parcours puisqu'ils l'accompagnent dans différents
lieux d'intégration sociale et scolaire (école, entretiens,
terrain de stage, association culturelle
10 Issu du projet thérapeutique inscrit dans le
projet d'établissement de l'ITEP.
15
16
et/ou sportive, etc.) De part la quotidienneté de leur
aide personnalisée, les éducateurs sont considérés
comme des « adultes de référence » pour le jeune. Ils
sont chargés d'instaurer une relation de confiance avec lui afin que le
soutien proposé soit accepté, devant lui permettre
d'accèder à une certaine autonomie, une responsabilisation, une
intégration scolaire et sociale puis à une adaptation avec les
exigences extérieures. Soulignons le fait que ce groupe de
professionnels est composé de 5 moniteurs éducateurs et d'une
éducatrice spécialisée. D'un point de vue
législatif leurs statuts diffèrent mais leurs fonctions et leurs
rôles au sein de l'institution sont identiques.
* L'assistante sociale effectue la liaison des informations
entre l'ITEP, les autres institutions et la famille. Elle assure la gestion des
démarches administratives nécessaires en termes de reconnaissance
du handicap et de renouvellement de la notification MDPH11. Notons
qu'elle intervient au domicile familial dans le cadre d'un soutien, d'une
évaluation et d'un contrôle parental visant la protection du
mineur.
Globalement, le projet éducatif consiste à
« apporter aux enfants les éléments d'une consolidation
de la personnalité et d'une autonomie qui leur permettent d'aborder leur
adolescence dans les conditions psychiques, physiques, affectives et
culturelles les meilleures possibles »12. Les pôles
éducatif et pédagogique travaillent en étroite
collaboration dans le but de conjuguer socialisation et connaissances.
- Le pôle pédagogique :
* L'institutrice est chargée d'aménager la
scolarité de chacun de manière individualisée en fonction
de ses capacités et limites. Au regard du cadre légal en vigueur,
pour tout Projet Personnalisé de Scolarisation en établissement
médico-social le mineur doit bénéficier d'une
scolarité dispensée par un enseignant spécialisé et
doit être suivi par un enseignant référent de secteur. Au
sein de l'ITEP, ces orientations ne sont pas respectées et
l'enseignement est dispensé par une institutrice, soit une
professionnelle non diplômée du second degré alors qu'il
s'agit d'élèves âgés de 12 ans à 16 ans (cf.
chapitre II-1). Dans le rapport d'activité de l'établissement ce
constat est mentionné, ce manque d'expérience des enseignants
existe depuis 2009, ce qui minimise la cohérence du projet
pédagogique mis en place. En revanche, l'ITEP ne peut palier à
cette insuffisance puisqu'il est tributaire de l'Education Nationale et n'a
aucune prise sur l'affectation des enseignants. Malgré cela, l'objectif
général du projet pédagogique est de « susciter
une motivation et générer le goût
11 Il s'agit d'un document sur lequel figure les
orientations préconisées par l'équipe pluridisciplinaire
d'évaluation de la MDPH concernant la scolarité, les
différentes compensations et suivis considérés comme
requis pour la personne accompagnée.
12 Issu du projet éducatif inscrit dans le
projet d'établissement de l'ITEP.
d'apprendre, de développer les acquis scolaires en
adaptant les méthodes d'apprentissages et de favoriser un retour des
adolescents accueillis vers les structures de l'Education Nationale
»13.
Parallèlement, des services généraux et
administratifs participent à cette dynamique institutionnelle mais ces
derniers sont moins présents auprès des jeunes accueillis.
De manière générale, ces trois
pôles sont dirigés par le chef de service qui est le garant de la
cohérence des interventions menées, détenteur d'un pouvoir
décisionnel quant à l'articulation et la coordination des actions
proposées par les membres de l'équipe pluridisciplinaire. En
dernier lieu, intervient la directrice sur « un rôle de validation
finale ».
4) Diagnostic territorial
Dans un communiqué du 6 avril 2014, l'AIRe estime
à 20 000 le nombre de jeunes de moins de 21 ans étant
accompagnés en ITEP sur le territoire national. Depuis la
création de ces derniers en 2005, le nombre de jeunes accueillis ne
cesse d'augmenter et les listes d'attentes s'allongent. Les signalements qui
émanent de l'Education Nationale foisonnent et la MDPH oriente de plus
en plus de mineurs vers ces institutions spécialisées. Comment
comprendre cette progression fulgurante du nombre de mineurs accueillis en ITEP
? Devons nous envisager l'émergence d'une nouvelle catégorie
ayant favorisé la reconnaissance dudit trouble du comportement ? Devons
nous prendre en considération des mutations structurelles, sociales ou
autres ? Dans le but d'entrevoir les caractéristiques
étiologiques d'un tel phénomène, donner la parole aux
professionnels de terrain confrontés à ces demandes d'admissions
croissantes semble incontournable.
Selon Samantha (assistante sociale, 44 ans, 5 ans
d'ancienneté) la simplification des procédures favorise
l'augmentation du nombre de jeunes accueillis.
« J'ai l'impression qu'il se passe beaucoup moins de
temps entre lorsque l'enfant pose des problèmes, souvent c'est à
l'école que ça se voit le plus, et le moment du montage du
dossier. Moi j'ai le souvenir il y a encore quelques années de
situations ou c'était vraiment le parcours du combattant avec des gamins
qui avait des troubles du comportement et où s'est passé 4 ou 5
ans avant qu'ils arrivent en ITEP. Les écoles n'étaient pas
forcément bien informées, l'ITEP ce n'est pas un dispositif que
l'on connaît bien donc on n'y pense pas tout le temps. En plus avant la
MDPH, ne serait ce que le formulaire il était avec du carbone il y avait
au moins quatre feuillets différents,
13 Issu du projet pédagogique inscrit dans le
projet d'établissement de l'ITEP.
17
aujourd'hui c'est un formulaire qui tient en 8 pages,
administrativement ça me paraît simplifié. Après
c'est plus simple pour moi quand il y a un référent social
».
Le dernier propos tenu par Samantha met en avant le fait que
la procédure est plus rapide dès lors que le jeune et/ou sa
famille sont déjà connus des services sociaux. L'accompagnement
semble plus accessible à certains. Elle m'explique aussi que les enfants
qui relèvent d'ITEP sont mieux repérés qu'auparavant.
Toutefois, la majorité des parents dont les mineurs sont accueillis
à l'ITEP sont employés, ouvriers ou inactifs, soit le «
trouble du comportement » paraît mieux repérés chez
les jeunes issus des classes populaires. En 2012, aucun enfant fils de cadre ou
de profession intermédiaire n'était accueilli. Suite à la
lecture des rapports d'activités, notons que cette tendance se confirme
sur les années précédentes. Force est de constater que le
diagnostic semble biaisé puisque certaines populations sont
identifiées plus facilement que d'autres.
Quand j'aborde ce phénomène avec Anthony
(moniteur éducateur, 22 ans, 2 ans d'ancienneté) un autre
positionnement est mis en exergue.
« J'aurai envie de remettre en cause l'Education
Nationale, comment elle fonctionne. Après moi j'ai arrêté
l'école, où je ne sais pas c'est peut être l'école
qui m'a arrêté donc forcément j'ai déjà un
peu mon jugement par rapport à ça. Pour moi, pour résumer
l'Education Nationale est un moule dans lequel il faut rentrer et si on n'y
rentre pas on est éjecté. A l'heure d'aujourd'hui la
société évolue à différents niveaux peut
être que l'Education Nationale reste trop basée sur ce qu'elle
était avant. L'éducation Nationale ne semble pas capable
d'encadrer ces jeunes et de proposer d'autres alternatives qui fait qu'ils sont
rabattus vers du spécialisé. Est-ce qu'il n'y aurait pas un juste
milieu à trouver dans tout ça ? ».
Comme nous pouvons le remarquer, Anthony considère que
les pratiques de l'Education Nationale seraient traditionnelles et ne
correspondraient plus aux besoins des élèves d'aujourd'hui. Nous
reviendrons plus tard sur cette supposée normalisation des programmes
pédagogiques (cf. chapitre II-1). D'un professionnel à l'autre,
les causes ne sont pas perçues à l'identique. Au moment ou
j'évoque ce « phénomène liste d'attente » en
ITEP avec Irène (psychologue, 42 ans, 11 ans d'ancienneté), une
autre piste s'entrouvre.
« A mon sens il y a plusieurs choses, en terme de
définition des populations ITEP. Voilà, est ce que cette demande
croissante correspond à la question de la définition et ce qu'on
dit du trouble du comportement. Est-ce qu'avant il n'y en avait pas autant mais
qu'ils n'étaient pas qualifiés. A partir du moment où ils
sont qualifiés ça créée la demande de
rééducation. S'il y a besoin d'une rééducation
ça nécessite la création de lieux spécifiques
à cela. Donc la sur un aspect plus sociétal, aussi de
normalisation. Après il y a autre chose. Moi ma représentation
c'est que ce qui passe par le comportement des jeunes est de l'ordre du
symptôme. Au fur et à mesure du temps, je vois que ce qui se
passait du temps de Freud et ce qui se passe aujourd'hui, les symptômes
ne sont pas tout à fait de la même nature. Les symptômes
aujourd'hui sont plus de l'ordre du comportement et en lien avec les grands
discours qui dominent autour de la défaillance de l'autorité, de
la défaillance de la
18
fonction paternelle dont le trouble, le symptôme par le
comportement serait le témoin. Avant on était sur des expressions
de souffrance qui étaient moins bruyantes que par exemple la
délinquance aujourd'hui [...] J'ai l'impression que ça n'impacte
pas la société de la même manière, la manifestation
du symptôme va plus impacter le groupe social ».
En termes de lecture, l'idée d'une continuité
entre la reconnaissance du trouble qui génère des besoins et des
demandes de rééducation et de fait l'instauration de nouveaux
lieux d'accueil me paraît juste. Cette caractéristique semble
être l'impulsion première donnée à la multiplication
du nombre de demandes d'admissions en ITEP sur le territoire national. D'un
point de vue global, il apparaît que les autres causes
évoquées par les professionnels ont une incidence sur ce
phénomène.
19
II] Catégories et stratification
sociale
1) Déviance scolaire : une « désaffiliation
sociale »14 ?
Nous pouvons nous interroger à savoir en quoi le
système éducatif prépare au système social.
Pouvons-nous repérer un ajustement des méthodes
pédagogiques aux différents modes de vie en société
?
Force est de constater que le public accueilli en ITEP semble
éloigné des attentes émises par l'Ecole. De fait, nous
pouvons douter d'un tel ajustement au sein de ces institutions et une certaine
distance culturelle paraît envisageable. La scolarité est
dispensée à l'interne, soit en établissement
médico-social spécialisé, au regard de cette
réorientation des adolescents nous pouvons émettre l'idée
d'une déviance scolaire pesant sur eux.
Depuis l'antiquité, le système éducatif
est sujet à de nombreux bouleversements plus ou moins structurels. Nous
procèderons à un court rappel historique afin de comprendre la
démocratisation opérante dans ce champ. Ayant le souci de ne pas
tomber dans les travers d'un « balayage » trop fastidieux, nous
débuterons ce dernier en nous attardant sur les prémices de
l'éducation laïque faisant suite à la Révolution
française jusqu'à l'après explosion scolaire
s'étant déroulée entre 1950 et 1970.
Certains spécialistes de l'éducation parlent
d'une « guerre scolaire » s'étant articulée autour de
multiples consensus et dissensus entre le religieux, le culturel, le social et
le politique. Ces différences de valeurs, de principes et de jugements
ont donné lieu à un ensemble de réformes qui ont vivement
transformé le système éducatif actuellement en place.
Pendant l'ancien régime, l'enseignement était sous la tutelle de
l'Eglise, à l'exception des universités autonomes depuis le
XIIIème siècle. A l'issue de la Révolution
française, l'instruction devient publique. Les maîtres et les
curés se « défient » dans les communes dans le but de
poursuivre leurs enseignements en école primaire. Des lycées
d'Etat sont créés ainsi que les universités
impériales sous l'impulsion de Napoléon Ier qui instaure les
académies et les institutionnalisent par territoires. D'autres
initiatives seront prises, notamment en termes de financement et de
mixité des sexes.
En somme, le XIXème siècle est
caractérisé par une lutte contre le cléricalisme et une
assise de l'Etat républicain. Les années 1880 ont
été un premier tournant majeur dans le système
éducatif français actuel. Le régime politique de
l'époque prône un esprit
14 Concept développé par Robert
Castel.
20
républicain visant l'émancipation des
consciences de l'emprise religieuse. Dans un premier temps, à l'issu de
la loi du 9 août 1879 sont instituées des écoles normales
par département ainsi qu'une formation d'instituteurs laïcs
veillant à remplacer le personnel d'inspiration religieuse. Cette
logique sera réaffirmée avec la loi du 27 février 1880
venant exclure ces membres de l'Eglise du conseil supérieur de
l'instruction publique. Dans un second temps, la gratuité est
instaurée dans l'enseignement primaire au sein des écoles
publiques par le biais de la loi du 16 juin 1881. S'ensuit une obligation
scolaire mixte pour les enfants de 6 à 13 ans avec la loi du 28 mars
1882. Ainsi, la IIIème République (1870-1940) fut porteuse
d'un projet d'éducation populaire ponctué de lois
fondamentales dans le développement et la généralisation
de la scolarisation.
L'assise de l'Etat républicain sera formellement admise
avec la publication officielle de la loi de 1905 séparant l'Eglise de
l'Etat. Cette époque sera définie comme la « guerre des
manuels » en raison d'idéaux politiques véhiculés par
le biais des livres scolaires. Certains seront censurés puisque
déterminés comme trop engagés, soit cette censure semble
être une illustration des enjeux sous-jacents qui impactent le champ de
l'éducation.
Dans les années 1960, suite à la seconde guerre
mondiale la démographie est bondissante, une forte demande
économique et sociale provoquera une massification de l'enseignement. En
deçà de cette « explosion scolaire », un dessein
implicite est notable ; celui du système éducatif comme
étant un support privilégié pour redynamiser la croissance
économique du pays et faire face à la concurrence internationale.
Toutefois, le discours public prétextera cette ouverture de
l'enseignement secondaire à tous comme un moyen d'ascension sociale pour
les jeunes issus de classes populaires. Globalement, le XXème
siècle signe le deuxième tournant majeur dans le système
éducatif français. De ces changements structurels, une certaine
neutralité scolaire semble atteinte articulée autour de la
laïcité et l'instruction civique et morale.
Marquer un point d'arrêt sur la loi Haby du 11 juillet
1975 relative à l'éducation me semble être un
incontournable. Celle-ci « favorise l'épanouissement de
l'enfant, lui permet d'acquérir une culture, le prépare à
la vie professionnelle et à l'exercice de ses responsabilités
d'homme et de citoyen. Elle constitue la base de l'éducation permanente
»15. Malgré une ambition aux apparences humanistes,
cette loi est venue « sceller » un parcours unique pour tous
au sein des collèges, indifférencié en fonction des
capacités propres à chacun. La seule alternative existante pour
les élèves en difficulté
15 Extrait de la loi n°75-620 du 11 juillet
1975 relative à l'éducation, « Loi Haby »,
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000334174
21
devient le redoublement. De fait, nous pouvons souligner que
la loi Haby, nommée familièrement la loi du collège
unique, a favorisé la normalisation des programmes
pédagogiques et a participé à la construction puis
à la croissance de l'échec scolaire.
Ce bref retour historique me paraît important. D'une
part, il permet de mettre en exergue une notion d'école pour tous qui
transgresserait les rapports de classe et de sexe. Il est vrai qu'une
entrée massive des classes populaires dans l'école publique est
observée. D'autre part, selon René La Borderie, professeur,
pédagogue et écrivain français, trois obligations
scolaires émanent de cette « passion » de la réforme.
Il dénonce une obligation d'offre d'éducation, une obligation de
fréquenter l'école puis une obligation de moyens et de
résultats. Malgré les initiatives prises, trois types
d'inégalités subsistent. Premièrement,
l'inégalité scolaire impulsée par les politiques de carte
scolaire et de décentralisation. Deuxièmement, les
inégalités de sexes et sociales en raison de parcours scolaires
indifférenciés et d'une éducation prioritaire reconnue par
certains spécialistes comme discriminante ; celle-ci laisse place
à une « pédagogie de la compensation qui correspond
à la recherche d'une démocratisation de la réussite,
née de l'échec de la sélection
»16.
Nous pouvons constater que les jeunes accueillis en ITEP se
trouvent sur les « bans de l'école », en marge des
compétences et comportements requis. La quasi-totalité des
adolescents sont issus de classes populaires, certains étant
placés à l'aide sociale à l'enfance. A la
précarité rencontrée par leurs parents vient se cumuler
souvent une inactivité professionnelle, entraînant des
difficultés budgétaires. Les addictions, les situations
conflictuelles générant des violences conjugales voire
intrafamiliales, le handicap physique voire intellectuel et d'autres
difficultés sociales ponctuent le parcours de vie de nombreux parents
ainsi que celui de leurs enfants. De fait, il paraît impossible de
contester que ces adolescents s'avèrent moins bien dotés en
capital social et culturel en comparaison de ceux issus des classes sociales
supérieures et que les situations auxquelles ils sont confrontés
est un véritable frein à leur réussite scolaire. La
réorientation préconisée par les enseignants les
reléguant au statut d'élève relevant d'institution
spécialisée est un marqueur fort en termes d'exclusion scolaire.
Ces adolescents sont investis dans une nouvelle trajectoire de vie qui semble
signer les prémices d'une « désaffiliation sociale
». L'idée de désaffiliation sociale, empruntée
à Robert Castel consiste à reconnaître l'inactivité
professionnelle comme un processus conduisant à un certain
déclassement social. Cette désaffiliation se caractérise
par un sentiment d'inutilité sociale en raison
16 Cours « l'école et la formation en
France », licence sciences et métiers de l'éducation et de
la formation, université Lille3, 2013.
22
d'une non-contribution à la collectivité
générant une absence de repères et d'appartenance à
un groupe socialement reconnu. En ce sens, la sortie du « milieu scolaire
ordinaire », à l'échelle de ces adolescents
considérés comme des « citoyens en devenir » peut
être entendue comme une première étape d'un processus de
désaffiliation sociale en cours.
N'oublions pas un élément crucial venant appuyer
notre idée d'exclusion scolaire. Les adolescents accueillis à
l'ITEP sont âgés de 12 ans à 16 ans. Toutefois,
l'enseignement à l'interne est dispensé par des institutrices
diplômées du concours de professeur des écoles. Rappelons
que tout élève accueilli en « milieu scolaire ordinaire
» bénéficie d'un enseignement adapté à son
âge en raison de spécificités et modalités
pédagogiques qui lui sont propres. Comment pouvons-nous expliquer que
l'enseignement dispensé en institution spécialisée pour
adolescents soit à la charge des instituteurs ?
Après plusieurs échanges, l'institutrice de
l'établissement aborde avec moi les capacités et les limites de
ses élèves. Elle m'explique qu'aucun d'entre eux n'atteint un
niveau supérieur à celui du CM2, soit l'idéal visé
est celui d'une intégration en SEGPA, classe spécialisée
mais intégrée au sein des collèges, soit d'apparence moins
stigmatisant, dans le but qu'ils obtiennent le Certificat de Formation
Générale. Il serait hâtif de définir cette
orientation comme la panacée, tout de même les vecteurs
d'intégration scolaire qu'elle suppose au regard de l'existant semblent
davantage prononcés.
Enfin, entre niveau de compétences et âge de
l'élève, que choisir ?
Force est de constater qu'en ITEP la primauté
pédagogique est accordée au niveau scolaire acquis et non
à l'âge du jeune. Cette pratique semble aller de paire avec la
notion de réussite scolaire abordée précédemment ;
peu importe l'âge le mot d'ordre est résultat.
Parallèlement, bien qu'il existe des formations
spécialisées pour enseigner auprès des publics reconnus
par l'Education Nationale comme difficiles (cf. le CAPA-SH17 et le
2CA-SH18), les diplômés de celles-ci ne semblent pas
« inspirés » par les ITEP. Selon Monsieur Blichot (chef de
service, 48 ans, 2 ans d'ancienneté) il est de coutume au sein de
l'établissement que les institutrices embauchées soient du
secteur privé, rattachées au « Diocèse de
proximité », parfois non titulaires de leur poste ou même non
diplômées. Nous pouvons nous interroger à savoir si
l'appartenance religieuse des institutrices du secteur privé,
caractérisée par un ensemble de principes et valeurs
spécifiques favorise leur
17 Il s'agit du certificat
d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les
enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en
situation de handicap pour le premier degré.
18 Il s'agit du certificat
d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les
enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en
situation de handicap pour le second degré.
23
volonté à travailler en ITEP. J'ai
évoqué la question avec l'une d'entre elles qui a
réfuté cette idée, prétextant une affectation
simplifiée pour exercer en institution spécialisée.
Au travers d'observations et d'éléments
recueillis lors d'échanges formels comme informels, j'ai remarqué
une cohérence d'ensemble dans les actions menées et une
réelle volonté de l'équipe pluridisciplinaire à
intégrer de nouveau les adolescents accueillis en « collège
traditionnel ». Malgré cela, nous pouvons questionner la
volonté des acteurs de l'Education Nationale. Soulignons que leurs
enseignants ont un groupe à prendre en charge, ce qui leur laisse une
faible marge de manoeuvre pour mener des accompagnements individuels. Cette
caractéristique est essentielle dans le cadre des réorientations
des jeunes en difficulté au sein des groupes classes. Au fur et à
mesure, le quotidien devient un « moteur privilégié »
favorisant l'accumulation de difficultés scolaires qui conduisent
à des situations d'échecs se caractérisant par un
passage de relai vers le champ de l'éducation
spécialisée. Durant une discussion avec le docteur Leloy
(médecin psychiatre, 48 ans, 4 ans d'ancienneté) il m'explique
que :
« l'exclusion scolaire est le motif principal des
demandes. Effectivement ils n'arrivent plus à suivre une
scolarité classique, on demande une scolarité
spécialisée. Ils ont des troubles du comportement
qui font qu'ils n'arrivent pas à tenir en groupe,
à tenir dans les apprentissages par rapport à une dynamique de
groupe ».
Les enseignants de l'Education Nationale disposent de peu de
moyens, en l'absence de dispositifs pédagogiques alternatifs pour
ces élèves, une seule perspective est envisageable, celle de
l'orientation en institution spécialisée. Attention, une
incohérence entre législation et pratique professionnelle est
notable. Au sein du décret de 2005 sur les ITEP, comme nous l'avons vu
il est écrit que les jeunes accueillis ont des capacités
intellectuelles et cognitives préservées. En revanche, la
quasi-totalité des adolescents accueillis arrivant en fin de prise en
charge à 16 ans (cf. agrément) sont orientés vers des
Instituts Médico-Professionnels. Ces derniers ont pour mission
d'accompagner des jeunes déficients intellectuels âgés de
16 à 21 ans dans le cadre de leur projet professionnel. Ce fait est un
paradoxe criant entre les textes officiels et la pratique réelle. A
l'aube de leur seizième anniversaire une mutation biologique
s'opère-t-elle ? Nous pouvons en douter. Cette incohérence semble
appuyer notre idée concernant un manque de dispositifs
pédagogiques alternatifs.
De plus, au regard des représentations négatives
véhiculées sur les formations professionnelles en France, nous
pouvons imaginer celles existantes sur les enseignements dispensés en
institution spécialisée. Durant un cours de licence, mon
enseignant a abordé la
24
relation entre l'école et le travail qu'il a
défini comme « un salariat symbolique
»19. L'idée revient à dire que la
scolarité est un processus faisant passer l'élève du
statut d'apprenant au statut de travailleur. En ce sens, il paraît
intéressant de souligner que les usages diffèrent entre les
institutions scolaires « classiques » et les institutions
spécialisées. A titre d'exemple, au sein de l'ITEP les jeunes
accueillis viennent sans matériel scolaire, ils n'ont pas de cartable.
Lorsque j'aborde ce fonctionnement avec Elise (institutrice), elle m'explique
que les jeunes oubliaient constamment leurs affaires et qu'il a
été décidé de garder ces dernières dans
l'enceinte de l'établissement. Notamment, les adolescents
bénéficient d'une récréation de 30 minutes alors
que celle-ci n'excède jamais les 15 minutes en institution scolaire
« classique ». Les éducateurs spécialisés
m'expliquent que les jeunes ont besoin de plus de temps pour « se
défouler » afin d'éviter « une éventuelle crise
ou un passage à l'acte violent ». A mon sens, l'une des plus
grosses difficultés de l'action sociale se situe ici. Allier prise en
charge individuelle et adaptation en lien avec les exigences extérieures
est complexe puisque cette démarche consiste à jongler entre
individualité et contraintes sociales.
Parallèlement, au regard de ce que nous avons
évoqué, dans une logique probabiliste nous pouvons entrevoir les
perspectives professionnelles qui « s'offriront » à ces
jeunes. Dans le cadre d'un emploi saisonnier, j'ai travaillé comme
animatrice socio-culturelle en IMPro, ce qui m'a permis de découvrir les
modalités de fonctionnement de ce type d'institution. Les travailleurs
sociaux et enseignants mènent des accompagnements autour de
l'apprentissage et des pré-requis sociaux en vue d'une
employabilité. Pour ce faire, il est indispensable que leurs
interventions s'inscrivent fortement dans une dynamique partenariale et de
réseau. Toutefois, les entreprises adaptées et les
ESAT20 employant des travailleurs déficients intellectuels
demeurent leurs principaux partenaires. En somme, nous pouvons nous questionner
quant à la trajectoire professionnelle qui sera empruntée
par les adolescents accueillis en ITEP.
De manière générale, dorénavant
les enseignants doivent prendre en compte les difficultés scolaires mais
aussi sociales de leurs élèves. En raison du manque de relai
possible en l'absence de dispositifs alternatifs au sein des écoles et
collèges ainsi qu'en lien avec la prise en charge groupale, engager une
telle démarche pour les enseignants ne semble pas être une mince
affaire. Face à la complexité des situations auxquelles ils sont
confrontés, à l'hétérogénéité
des élèves qu'ils accueillent et aux résultats attendus,
les enseignants se
19 Sylvain Starck, cours « la relation entre
travail et formation dans le système éducatif »,
université Lille 3, 2013.
20 Etablissements et Services d'Aide par le
Travail.
25
voient contraints de réorienter ceux en
difficulté, parfois trop « bruyants » reconnus comme manquant
de concentration, soit les élèves que nous pourrions nommer en
lien avec le rejet qu'ils subissent, des « déviants scolaires
».
En lien avec cette idée Nacer (moniteur
éducateur, 40 ans, 7 ans d'ancienneté) me fait part de ses
constats :
« De plus en plus on est contacté par les
écoles quand un jeune est déscolarisé. Mais je me demande,
ceux qu'on appelait avant les mauvais élèves ou les cancres,
maintenant on les appelle trouble du comportement ? Avant chaque année
dans les collèges et les lycées il y en avait toujours un qui
était plus turbulent que les autres, qui faisait peur à tous les
profs, qui n'arrivait pas à tenir en place. Mais voilà, on disait
c'est un cancre, il est chiant, il est casse couille, il ne sait pas ce qu'il
veut faire, on
ne disait pas qu'il est trouble du comportement. Que
maintenant c'est bien ciblé ».
Pour comprendre la psychologisation opérante dans le
système éducatif français et pourquoi les écoles
spéciales sont devenues le lieu d'accueil des élèves
devant être traités à part il semble intéressant
de revenir sur le contexte historique évoqué
précédemment, celui du début du XXème
siècle. Avant il existait des écoles répondant à
des traditions asilaires qui étaient prises en charge par les
professionnels de la psychiatrie. Aujourd'hui nous parlons d'écoles
spéciales dont l'Education Nationale détient l'autorité.
Avec cette transformation liée à celle de la scolarité
obligatoire, « l'école ouvre ainsi une sorte de grand tribunal
démocratique devant lequel chacun est somme de faire la preuve de sa
capacité d'acquérir un savoir donné dans un temps
donné. Elle devient le lieu privilégié de repérage
d'une anormalité »21. En effet, quelques enfants
semblent en difficulté scolaire, rapidement ces derniers seront
considérés comme anormaux, dès lors émerge une
certaine psychiatrisation des comportements et attitudes. La psychiatrie
s'emparera de cette « problématique sociale » entamant un
travail auprès de ces enfants aux comportements dits déviants. La
période d'entre-deux guerres marquera le début d'une
théorisation visant à interroger les pratiques punitives et
d'enfermement. En ce sens, le fonctionnement des asiles sera vivement
discuté. Cette dynamique laissera place à certaines pratiques qui
seront controversées puis revisitées dans les années 1970.
(cf. chapitre II-2 et 3).
2) Identités : règles de conformité et
champ de la psychiatrie
Avant d'amorcer une réflexion autour de la notion de
conformité, nous présenterons brièvement les travaux
d'Isabelle Coutant, auteure que nous mobiliserons à plusieurs reprises
dans le cadre de cette présente recherche. Sociologue française,
elle est chargée de
21 Robert Castel et Jean-François Le Cerf,
« Le phénomène « psy » et la société
française. Vers une nouvelle culture psychologique », Le
Débat, 1980/1 n°1, p39.
26
recherche à l'IRIS22, institut
rattaché au CNRS ainsi que membre de l'équipe pédagogique
et élue au conseil d'administration de l'EHESS. A l'aide d'ethnographies
urbaines réalisées pour la plupart sur Paris et en région
parisienne, elle s'intéresse aux processus de précarisation des
classes populaires et à leurs effets. Principalement, elle mène
ses travaux sur les relations existantes entre jeunesse populaire et
institutions, soit dans le champ de la justice, du travail social et de la
psychiatrie. Ces derniers veillent à interroger la notion de
psychologisation du social en repérant les liens entre acteurs du
psychisme et de la question sociale. Cette thématique est en
corrélation étroite avec notre objet, ainsi nous porterons une
attention particulière à son ouvrage, troubles en
psychiatrie. Celui-ci retranscrit une enquête ethnographique qu'elle
a menée en unité psychiatrique pour adolescents localisée
dans un secteur défavorisé de banlieue parisienne. Elle sera
présente en qualité de sociologue au sein de cette institution
à raison de trois jours par semaine. Par le biais d'entretiens avec
l'ensemble des membres de l'équipe pluridisciplinaire, de participations
aux réunions professionnelles et d'observations lors des accompagnements
quotidiens, elle s'intéressera à étudier et dissocier la
souffrance psychique des difficultés sociales rencontrées par les
jeunes accueillis. A l'issue de son enquête, elle postule l'existence de
trajectoires de vie différentes, de fait d'adolescents aux profils
hétérogènes pourtant réunit en une seule
catégorie, celle du trouble psychique. Son postulat est connexe
au nôtre quant au « trouble du comportement » puisque comme
nous l'avons évoqué ce dernier est reconnu comme un handicap
psychique. Notamment, tout au long de sa réflexion elle accorde une
importance aux positionnements professionnels de chacun en fonction de leur
niveau hiérarchique. Cette démarche lui permet de croiser les
points de vue ce qui enrichit l'objectivité de ses hypothèses de
compréhension face à l'objet traité, soit la
psychologisation du social. Notre démarche s'inscrit dans une logique
ressemblant à la sienne ; le discours des professionnels et les
modalités du fonctionnement institutionnel étant des outils
privilégiés, gages d'une certaine neutralité dans notre
enquête.
Selon Isabelle Coutant, dans notre société
l'écart aux règles de conformité est perçu
comme le symptôme d'une maladie. Nous pouvons constater au sein du
discours public, l'émergence d'une appellation qui semble à
interroger. L'apparition du terme « trouble du comportement »
paraît en lien avec cette idée d'écart aux règles de
conformité. Nous pouvons émettre l'hypothèse d'une
construction de nouvelles catégories sociales venant
22 Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les
enjeux Sociaux.
27
redéfinir l'identité de l'individu, soit
« de nouveaux noms sont prononcés et aussitôt de
nouvelles créatures surgissent qui leur correspondent
»23.
Isabelle Coutant nous retranscrit les craintes
évoquées par certains médecins psychiatres (d'inspiration
psychanalytique) ayant peur « que le diagnostic fonctionne comme une
prédiction auto-réalisatrice alors que la structure psychique est
supposée encore mouvante à l'adolescence
»24. A mon sens cette possibilité n'est pas
négligeable, d'ailleurs elle est en lien direct avec celle
développée par Robert Rosenthal et Lenore Jacobson autour de
l'effet Pygmalion, notion souvent abordée dans le champ de la
psychiatrie et de l'action sociale. Cette dernière consiste à se
persuader que notre nature est à l'image de celle que les autres nous
renvoient. Dans le langage sociologique, cette idée se traduit par
l'alignement sur le groupe évoqué par Erving Goffman dans
stigmate : les usages sociaux des handicaps. Selon lui, chaque groupe
social s'approprie un idiome culturel propre à sa communauté.
Soit, les personnes considérées comme en marge des normes
sociales dominantes s'affilient tout autant à un groupe, ce qu'il
définit comme une « catégorie stigmatique ». De
manière métaphorique il parle de « masque
d'adaptation complaisante 25» qui désigne le
mode de réaction arboré par les individus stigmatisés
utilisant leur stigmate comme un socle d'organisation de leur vie lors de
« contacts mixtes »26, soit entre « eux
» et « nous », entre les « stigmatisés » et les
« normaux ». Ce mode de fonctionnement semble concerner les jeunes
reconnus comme ayant des « troubles du comportement ». Nous
reviendrons sur cette hypothèse en fin de rédaction (cf. chapitre
IV-3) et mettrons l'accent sur la force coercitive de l'institution quant aux
comportements adoptés par les adolescents. Il apparaît qu'en
s'affiliant à une catégorie stigmatique spécifique,
l'individu fait corps avec le stigmate qu'il porte. Selon Erving Goffman,
« nous avons là, à n'en pas douter, l'illustration
évidente d'un thème sociologique fondamental : la nature d'un
individu, que nous lui imputons et qu'il s'attribue, est engendrée par
la nature de ses affiliations »27
Isabelle Coutant, développe aussi l'idée d'un
« travail de soi ». Les professionnels de l'institution cherchent
à modifier la personne, soit à la transformer pour lui permettre
de se réinsérer. Elle explique que l'équipe cherche
à renforcer les compétences relationnelles des « sujets
». Elle emploie l'idée de l'acquisition d'un « capital
communicationnel » comme
23 Douglas Mary, Comment pensent les
institutions?, Paris, La découverte/M.A.U.S.S, 1994, p.116.
24 Coutant Isabelle, Troubles en psychiatrie,
Paris, La Dispute, 2012, p.149
25 H. Freeman et G. Kasenbaum, «The illiterate
in America », Social forces, XXXIV, p.374, cités par Goffman Erving
dans Stigmate.
26 Terme emprunté à Erving Goffman (cf.
Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, les
éditions de minuit, 1975). Les contacts mixtes font
référence aux interactions entre groupes sociaux aux
identités sociales catégorisées par l'opinion publique
comme différentes.
27 Goffman Erving, Stigmate : les usages sociaux
des handicaps, Paris, les éditions de minuit, 1975, p.135.
28
étant une finalité escomptée. Nous
pouvons remarquer une similitude quant au « leitmotiv » des ITEP.
Au sein de l'institution, le projet éducatif mentionne
que l'organisation quotidienne doit permettre à l'enfant de se
construire « un mode relationnel, un accès à une place
sociale ». Dans les accompagnements menés « l'importance
est donnée à la responsabilisation, à l'autonomie,
à l'intégration scolaire et sociale, à l'adaptation en
lien avec les exigences extérieures »28. Au regard
des termes employés, il apparaît que les jeunes accueillis sont
perçus comme en marge des normes sociales dominantes. Tentons de
comprendre comment les membres de l'équipe définissent et
s'approprient ces objectifs dans leur travail au quotidien.
Tout d'abord, la définition même d'autonomie
diverge d'un professionnel à l'autre. Le docteur Leloy (médecin
psychiatre), souligne l'importance d'une définition commune.
« La question c'est qu'est ce que l'on met
derrière la définition d'autonomie. Ma définition c'est
être capable de faire ce que l'autre attend que tu fasses sans qu'il soit
présent ». Je lui demande : ça serait une attente de l'autre
? Il me répond : « oui biensur, c'est une attente de l'autre, c'est
toujours par rapport à un regard ». Alors j'interviens : ça
peut être une volonté de répondre à ses besoins sans
être dans la satisfaction des demandes d'un tiers, non ?! A cela il
ajoute : « Les besoins propres c'est indépendants.
Indépendant je fais ce que je veux, je n'ai pas besoin du regard de
l'autre. C'est la différence entre autonomie et indépendance
».
A la suite de cette réflexion abordée par le
docteur Leloy nous pourrions dire qu'il perçoit l'autonomie des jeunes
accueillis à l'ITEP comme en cours d'acquisition et que leur «
trouble du comportement » pourrait être une manifestation de leur
indépendance qui ne serait pas tolérée par la
société. Cependant, pour d'autres, principalement les membres de
l'équipe thérapeutique et notamment Irène (psychologue)
l'accès à l'autonomie nécessite de « se
libérer de ses symptômes ».
« Finalement le travail avec les jeunes c'est de
réussir à dénouer ce qui s'est fixé au niveau
inconscient qui fait conflit et qui vient entraver des possibilités de
penser. Il y a certaines inhibitions intellectuelles qui sont liées
à des conflits psychiques ».
Parallèlement, bien que les jeunes soient nombreux
à revendiquer qu'ils ne sont pas handicapés, les attitudes qu'ils
adoptent sont quotidiennement confrontées au « principe de
réalité », un précepte phare dans le champ de
l'action sociale. Pour éclaircir ce propos, prenons en
considération l'explication que m'a apportée monsieur Blichot
(chef de service) quant aux interventions menées.
« Je crois qu'il faut qu'on s'autorise à permettre
au jeune d'expérimenter des pistes, des actions tout en instaurant un
filet de sécurité. Je pense qu'il faut permettre au jeune de
vérifier ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. C'est comment au
bout du compte on les confronte au principe de réalité ou
à
28 Issu du projet
d'établissement de l'ITEP.
29
la vraie vie et comment on leur permet de prendre connaissance
de ce qui existe dans un réseau relationnel, dans un réseau de
quartier. Comment on peut utiliser les dispositifs de droit commun et à
quoi ils seront confrontés au sortir de l'établissement pour
qu'ils puissent être indépendants. C'est aussi les situer dans une
forme de citoyenneté. De dire qu'ils ont la possibilité
d'intervenir sur leur
vie et leur rappeler que l'on intervient à un moment
donné pour une période donnée ».
Il apparaît que les professionnels tentent de ne pas
faire à la place de l'Autre. Cela dit, une telle démarche
nécessite une remise en question perpétuelle qui n'est pas
évidente et qu'Anthony (moniteur éducateur) a
évoqué lors d'un entretien.
« Nous on les protège de certaines choses mais
faut qu'on fasse attention, il faut que ce qu'il se
passe à l'ITEP reste quand même cohérent
avec ce qu'il se passe à l'extérieur de l'établissement
». De plus, les professionnels de l'ITEP comme ceux de nombreuses
institutions de l'action sociale doivent jongler entre la relation d'aide
qu'ils proposent et la stigmatisation qu'elle suppose. N'oublions pas que
les bénéficiaires eux aussi tentent de masquer le suivi dont ils
disposent. A titre d'exemple, Manuel (orthophoniste, 40 ans, 6 ans
d'ancienneté) met l'accent sur la volonté de certains jeunes
à dissimuler le caractère spécialisé de
l'établissement dans lequel ils sont accueillis.
« Ils ont des représentations scolaires, ils en
ont une certaine forme. Dans la réalité quand tu les regardes
c'est des formes presque caricaturales. Etre normal c'est aller au
collège, ils ont ces représentations là. C'est marrant
d'ailleurs, le matin ils attendent certains devant l'entrée de l'ITEP et
d'autres devant l'entrée du collège. C'est comme ci pour eux,
enfin c'est moi qui interprète, à ce moment là ils restent
avec les jeunes de leur âge, devant l'entrée du collège et
après ils arrivent chez nous. C'est comme ci ils avaient besoin de faire
comme les autres ».
Ce constat effectué par Manuel est en accord avec mes
observations et celles faites par d'autres professionnels qui m'expliquent que
les jeunes verbalisent très souvent : « je suis dans une
école de gogoles ». Nous pouvons affirmer que les jeunes ont besoin
de considérer l'ITEP comme une école. A cela, Manuel ajoute :
« L'idée qu'à un moment donné on
converge, que les outils proposés par l'un soient repris par l'autre,
qu'il y ait plusieurs moments dans la semaine où il y a une dimension de
redondance ça c'est plutôt positif. Et au niveau éducatif
c'est pareil. Les gamins ils identifient l'établissement comme une
école, dans leurs propos c'est plus simple certainement de dire que
c'est une école. Ils savent qu'ils sont ici pour des problèmes de
comportement, qu'ils ont fait des bêtises mais c'est quand même une
école pour eux. On a beau dire que c'est un établissement
médico-pédagogique mais il n'empêche que pour eux ils vont
à l'école comme les autres. Ils ont besoin de savoir qu'il y a
une forme de normalité quelque part au sens d'ordinaire ».
Bien que les adolescents se disent dans « une
école de gogoles », certains sont « en quête de
normalité ». A mon sens, ils sont tiraillés entre le
refus et l'acceptation de leur situation. N'omettons pas que d'autres semblent
s'accommoder de cette orientation et paraissent résignés.
30
Dans l'ensemble, au-delà des définitions
imprécises autour du « trouble du comportement », nous pouvons
constater que les professionnels perçoivent différemment leurs
missions communes auprès du jeune.
Au cours des trente dernières années dans les
sociétés libérales une apparition de nouvelles
catégories impulsées par le champ de la psychiatrie est
notable comme le stress post-traumatique, les addictions aux motivations
diverses (drogues licites comme illicites mais aussi jeu, sexe, nourriture,
etc.), la pathologie du lien, etc. Le périmètre d'action de la
psychiatrie devient vague et les professionnels semblent devenir les «
gestionnaires de maux sociaux ». Les pathologies sont
présentées dans le discours public comme en pleine expansion. La
sortie d'un nouveau DSM venant ajouter de nouvelles pathologies, soit de
nouvelles catégories sociales au sein de sa nomenclature permet de
confirmer cette idée. Ce manuel que nous avons évoqué en
début de rédaction illustre avec précision la
catégorisation opérante dans les sociétés
libérales. En lien avec la multiplicité des regards existants,
que pensent les professionnels de l'ITEP de ces modifications nosographiques
?
« Je dirais que c'est une autre façon d'approcher
les choses avec le comportement en tant qu'entité, dans une vision plus
cognitive. Le comportement avec le DSMV c'est on va avoir un certain nombre de
points ou si ça ne fonctionne pas il y a trouble. C'est une vision
symptomatique, non au sens psychologique mais je liste un certain nombre de
choses une fois que j'en ai qui vont ensemble, que je les ai
repérés je regarde dans quelle catégorie je les fais
rentrer, bam boum c'est trouble du comportement je diagnostique. Pour moi c'est
aussi une modification de ce que l'on appelle la nosographie et de la
façon de concevoir les difficultés des jeunes aujourd'hui.
Après ce que l'on peut dire aussi c'est que la nature même des
difficultés évolue. Dans la difficulté proprement dite il
y a quelque chose de l'ordre de ce que la société en
évoluant fait émerger et rend possible. Il y a quand même
une autre façon de voir les apprentissages scolaires, une autre
façon de gérer la relation de l'enfant à l'adulte. Il y a
tout un tas de choses qui ont bougé. Je pense qu'avant il n'y en avait
pas moins, on les détectait différemment ou pas ».
L'idée de catégorisation liée aux propos
tenus par Maryse (infirmière, 39 ans, 8 ans d'ancienneté) met en
perspective la manière dont la reconnaissance du « trouble du
comportement » est nette et précise lorsqu'on utilise une telle
grille de lecture. Les catégories préétablies sont
rattachées à des sous catégories puis à un
système de codage. Il s'agit d'une classification cloisonnée, ce
type de cadre de référence laisse peu de place aux
spécificités propres à chacun. Par rapport au
précédent discours, nous ne nous attarderons pas sur les
apprentissages scolaires que nous avons déjà abordés mais
nous insisterons sur les dernières caractéristiques
mentionnées, celles de nature sociétale et celles relevant de la
relation adulte-enfant.
31
Principalement, une caractéristique prévaut,
celle du sexe. Dans l'effectif global de l'ITEP, seul deux filles sont
accueillies sur vingt-cinq présents. Après un examen des rapports
d'activités, nous pouvons constater que cette tendance se confirme sur
plusieurs années. En moyenne l'accompagnement concerne 80% de
garçons et 20% de filles. Dans l'autre ITEP de l'association, celui
qui accueille les enfants âgés de 6 ans à 11 ans, ce
phénomène est encore plus prononcé, soit 90% de
garçons et 10% de filles. Précisons que cette tendance se
vérifie à l'échelle nationale. D'ailleurs, pendant un
échange informel avec Samantha (l'assistante sociale), me sont
racontées quelques-unes de ses expériences antérieures et
surtout celle dans un ITEP internat qui accueillait uniquement des filles
âgées de 12 ans à 20 ans. Elle m'explique qu'elle avait des
demandes de toute la France. Elle appuie son propos en ajoutant qu'actuellement
sur les huit demandes qui sont en attente, seule une concerne une adolescentes.
Il apparaît que peu de filles soient diagnostiquées comme ayant
des « troubles du comportement ».
Quelle lecture engager pour analyser cette tendance ? Au
regard de mes constats, tant lors de ma formation d'éducatrice
spécialisée que pendant cette présente enquête une
hypothèse me semble intéressante. Notons que les interventions
parentales apparaissent comme genrées, différentes en fonction du
sexe de l'enfant. Une action similaire peut être traitée
différemment par l'adulte en fonction qu'il s'agisse d'un garçon
ou d'une fille. Force est de constater que les injonctions, les encouragements,
etc., ne sont pas identiques à situation égale. Cette distinction
me paraît être une hypothèse cohérente pour expliquer
cette différence considérable entre nombre de filles et de
garçons accueillis en ITEP. Sylvie Cromer définit
l'éducation des garçons comme une « affirmation de soi
sous-tendue par la valorisation de la force, du risque et de la
compétition entre pairs encourageant l'émancipation par
rapport à l'autorité, ainsi qu'une plus forte implication du
ludique et de la technique »29. Parallèlement, elle
définit celle des filles comme « l'expression de soi
basée sur la culture de l'entretien du corps, de l'apparence, de
l'échange relationnel (notamment familial), favorisant
l'incorporation et le respect des normes »30. Selon
notre auteure, l'incorporation et le respect des normes s'avèrent
majoritairement enseignés aux filles. Au regard des « actes
transgressifs », soit non conventionnels voire délictueux
adoptés par les garçons et qui sont à l'origine de leur
admission, ce raisonnement apparaît comme valable pour expliquer cette
dominante masculine en ITEP.
29 Cromer Sylvie, Vie privée des filles et
garçons : des socialisations toujours différentielles ?, in
Maruani Margaret (dir.), Femmes, genre et sociétés,
Paris, La Découverte, 2005, p.196.
30 Ibid.
32
Pour conclure cette partie, prenons appui sur un article
d'Alain Ehrenberg, « les changements dans la relation normal-pathologique.
À propos de la souffrance psychique et de la santé mentale
». Sociologue français, directeur de recherche au CNRS31
et directeur du centre de recherche CESAMES32 ; ses travaux portent
principalement sur la souffrance psychique, l'émergence de nouvelles
pathologies dans le champ de la psychiatrie et sur le principe d'autonomie dans
les relations sociales au sein des sociétés démocratiques.
Selon lui, un manque est identifiable dans le champ de la psychiatrie, il
évoque l'absence d'une analyse d'ensemble et d'un état des lieux
des dits problèmes. Il dénonce l'émergence d'un nouvel
« état d'esprit » donnant lieu à une nouvelle
forme sociale régie par trois critères. En premier lieu, il
explique que l'atteinte psychique semble mise au même rang que l'atteinte
physique ; une variable qui se vérifie avec l'apparition de ce nouvel
handicap, le « handicap psychique » qui est reconnu comme
requérant au même titre que le handicap physique et intellectuel
une compensation. Toute « souffrance » mérite une attention
particulière. Nous pourrions dire que la notion de degré semble
éludée. En second lieu, il dénonce l'idée d'une
injonction informelle récente qui consiste à présenter la
« souffrance psychique » comme un problème
généralisé dont la prise en charge incombe à tous ;
à l'institution scolaire, familiale, au monde du travail, à la
justice, etc. En effet, les enseignants bien qu'ils ne soient pas formés
à la psychologie reconnue comme compétente en matière de
diagnostic, ils demeurent les premiers à déceler l'existence
dudit trouble et à le signaler. En dernier lieu, il parle d'une
description et d'une justification de l'action émise par les
différents acteurs internes ou externes à la psychiatrie. Selon
lui, cet ensemble permet la construction d'un nouveau vocabulaire
intériorisé par l'opinion publique. Il dénonce à
l'heure actuelle l'adoption d'un « langage de la
vulnérabilité individuelle de masse »33
Enfin, rappelons que les politiques publiques sont
tributaires des « problèmes sociaux ». Il est important
que ces derniers soient nommés afin qu'ils soient traités et que
puissent se mettre en oeuvre des plans d'actions. Les prémices de ce
processus supposent l'émergence d'un problème social reconnu
comme d'intérêt public qui fera l'objet d'analyses et de
conceptualisations. Une fois ce « problème » défini,
alors seront pensés les objectifs et stratégies à acter
auprès d'un « public cible ». Les autorités publiques
seront désignées
31 Centre National de la Recherche Scientifique.
32 Centre de recherche : Psychotropes, Santé
mental, Société ; rattaché au département sciences
humaines et sociales du CNRS.
33 Ehrenberg Alain, « les changements de la
relation normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de
la santé mentale », Esprits, 2004, p.135.
33
comme les « chef de file », soit les garants
légitimes de la mise en place de ces interventions. Il apparaît
que les programmes d'action publique produisent également de nouvelles
normes. De fait, nous pouvons considérer les politiques publiques en
faveur du handicap psychique comme le fruit d'une intervention collective
minutieusement programmée, soit le trouble de comportement comme un
construit social.
3) Santé mentale/santé publique : existence de
corrélations avec l'action sociale
De nos jours, la santé mentale et la souffrance
psychique sont étroitement liées. Toutefois, ce tandem n'a pas
toujours existé, il a vu le jour au cours des années
soixante-dix, moment où le champ de la psychiatrie est confronté
à certaines mutations. Les causes à l'origine de ces changements
sont multiples.
D'une part, les modalités d'interventions et de prise
en charge se voient questionnées. La tradition asilaire est sujette
à de vives critiques, la psychanalyse revisitée et le secteur
psychiatrique « fait dans le social ». Selon Rabeharisoa Vololona et
Nicolas Dodier, dans le champ de la psychiatrie « un discours de la
précarité-mobilité » est présent. Celui-ci
consiste à prend en compte « le sujet » en considérant
le pan de l'exclusion en raison d'une conjoncture reconnue comme en crise
économique. D'après eux, ce discours est rattaché à
« une clinique psycho-sociale » visant un accompagnement des
personnes précaires dites en souffrance permise par ce qu'ils nomment
« les politiques de réhabilitation sociale ». Au fur
est à mesure, le maître mot devient l'autonomie, « afin
de favoriser une réinsertion dans la société jugée
elle-même plus efficace sur le plan thérapeutique que
l'enfermement dans un asile protégé des turpitudes du social
»34. De cette logique s'opère une multiplication
des missions allouées à ce secteur. Selon Alain Ehrenberg, les
« problèmes » traités sont mêlés à
l'émergence d'une visée plus générale d'ordre
économique, sociale, politique et culturelle.
D'autre part, après cette brève
contextualisation, marquons un point d'arrêt sur les politiques publiques
de santé mentale. Pour amorcer ce questionnement, de nouveau nous
prendrons appui sur l'article précédemment cité d'Alain
Ehrenberg. La réflexion engagée par ce dernier quant à
« l'individualisme des temps modernes » paraît être un
élément fondamental de sa thèse. Nous pourrions dire qu'il
réfute le concept d'anomie développé
34 Dodier Nicolas et Rabeharisoa Vololona, « les
transformations croisées du monde psy et les discours du social »,
Politix, 2006, n°73, p.13.
34
par Emile Durkheim qui consiste à percevoir la
société comme en perte de solidarité classificatoire
générant des crises d'identités individuelles, du
désordre. En effet, E.Durkheim dénonce un manque de
représentations collectives partagées et
intériorisées par les individus alors que celles-ci seraient
constitutives de l'ordre social dans les sociétés dites modernes.
Soit, il désigne ces dernières comme fondées sur un
principe de « solidarité organique » basé sur
l'échange et l'économie dont découle une disparition du
sacré, soit de « solidarité mécanique ».
À l'inverse, Alain Ehrenberg déplore la mise en
perspective d'un affaiblissement des liens sociaux et nous propose une autre
définition. Selon lui, ce style de pensée en faveur d'une
montée de l'individualisme peut s'expliquer par deux raisons.
Premièrement, si la société est
perçue comme plus individualiste ce serait parce que les règles
changent et que le nouveau « mot d'ordre » est mérite. La
réussite sociale semble envahir l'espace publique faisant de
l'échec une responsabilité personnelle. Il me semble qu'une
volonté d'ascension sociale ponctuée d'une assiduité
individuelle semble requise et paraît décisive dans notre
inclusion ou exclusion sociale. Cette « course à la réussite
», cette méritocratie, dénote d'une opposition binaire entre
« eux » et « nous », entre les « exclus » et les
« inclus ». Aujourd'hui, il semble que certains comportements soient
considérés comme des contre-performances sociales. Ainsi,
détachée de tout jugement moral, au regard des
représentations collectives actuelles nous pouvons nous interroger sur
la place accordée aux jeunes accueillis en ITEP. Sortis du
système scolaire classique et « intégrés » en
établissement spécialisé, un certain discrédit
semble peser sur eux.
Deuxièmement, selon Alain Ehrenberg, les
sociétés démocratiques seraient fondées sur un
idéal biaisé en raison d'un antagonisme structurel. Il met
en relief l'opposition entre l'autonomie, soit la croyance que les individus
ont d'eux-mêmes quant à leur liberté d'action, de penser et
la société comme un ensemble normatif inscrit dans un
système d'interdépendances. De fait, « de cette
contradiction découle une représentation de l'individu sans
limites, le nouvel individualisme, cause de tous les maux de l'homme
contemporain, et notamment d'une fragilité psychique qui ne faisait
guère l'objet de préoccupations il y a encore une
génération »35. Un élément
semble essentiel pour comprendre les transformations opérantes dans nos
sociétés démocratiques, soit la prise en compte des
subjectivités individuelles comme relevant d'une question collective.
Selon lui,
35 Ehrenberg Alain, « les changements de la
relation normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de
la santé mentale », op.cit., p.156.
35
le malaise de notre civilisation est lié à
notre recherche de caractéristiques étiologiques à
l'intérieur des individus alors que les transformations
étudiées sont de nature sociale.
En lien avec cette idée, Mary Douglas nous expose qu'en
situation de renouveau intellectuel, les institutions visent à
élaborer de nouvelles références qui changent les
perceptions individuelles, soit « elles nous entraînent dans
leurs auto-contemplation narcissique »36. Malgré
l'antériorité des idées développées par Mary
Douglas celles-ci ne sont pas désuètes puisque de nos jours les
professionnels de la psychiatrie parle de « pathologie du lien », de
« pathologie narcissique ». Une fois de plus une certaine novlangue
semble témoigner de l'émergence de nouveaux cadres de
référence laissant place à d'autres règles et
attentes sociales.
Quels autres types de cadre de référence
existent dans le champ de la santé mentale ? Prenons quelques exemples
complémentaires au DSM.
Au sein de son article, Alain Ehrenberg dénonce
l'existence d'une scission dans le champ de la psychiatrie ce qui atteste
l'idée d'un caractère arbitraire dans l'élaboration du
diagnostic. Il évoque une « crise intellectuelle »
opposant deux corps, « la psychiatrie du cadre » à « la
psychiatrie hospitalo-universitaire ». Il définit la psychiatrie du
cadre comme composée d'acteurs de première ligne
dénonçant un manque de moyens au regard d'une demande croissante
d'admission, soit comme enlisée dans un quotidien qui nécessite
une réorganisation. Soulignons que cette psychiatrie dite du cadre
concerne celle employée en ITEP. A l'inverse, il définit la
psychiatrie hospitalo-universitaire comme plutôt optimiste en raison des
progrès de la médecine. Cet exemple témoigne d'un
dissensus entre deux corps au sein d'un même champ. Cependant bien
d'autres ne s'accordent pas comme les professionnels d'obédience
psychanalytique, comportementale ou encore systémique. Ces dissensus
donnent lieu à des pratiques diverses entre les psychanalyses, les
thérapies comportementalo-cognitivistes et les psychothérapies
alternatives. Nous pourrions définir la psychiatrie comme un ensemble
morcelé initiateur de concurrence.
Ainsi, en lien avec la multiplicité des positionnements
au sein d'une même discipline, comment pouvons-nous réfuter
l'existence d'une part de libre-arbitre dans l'élaboration d'un
diagnostic psychiatrique ?
Mettons l'accent sur l'une de ces approches. De nos jours les
techniques comportementales semblent réactualiser le système de
récompenses et punitions. En guise d'illustration, les méthodes
TEACCH37 employées dans l'accompagnement des personnes
autistes paraît
36 Douglas Mary, Comment pensent les institutions,
Paris, La découverte/M.A.U.S.S, 1994, p.108.
37 Treatment and Education of Autistic and related
Communication Handicapped Children.
36
étayer ce propos. Celles-ci fonctionnent sur
différents principes éducationnels qui visent principalement
l'autonomie de la personne. De façon synthétique, ces derniers
tendent à renforcer les « bons comportements » en punissant
ceux considérés comme inadaptés.
Cette idée me paraît connexe avec celle
abordée par Alain Ehrenberg à l'égard du principe
d'autonomie régulée par le rapport entre contrainte et
consentement dans le champ de la psychiatrie. Il désigne
l'hospitalisation libre38 actuelle comme un principe essentiel en
cas de prise en charge. Selon lui, le consentement est la
caractéristique première de l'autonomie du patient contemporain.
Il apparaît que le patient comme mis au coeur du dispositif de soin soit
devenu le « leitmotiv » en santé publique. Il explique que
« l'idéal de l'alliance thérapeutique consiste à
transférer les compétences médicales du médecin
vers le patient »39. Nous pouvons relever que cette
dynamique est présente dans le champ de l'action sociale aussi bien sur
un versant législatif que pratique. La loi n°2002-2 du 2 janvier
2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale semble
être le premier témoin de « l'usager autonome aux droits
inaliénables ». Elle mentionne « replacer » l'usager
au coeur du dispositif de prise en charge, au coeur de son projet
individualisé. Elle stipule que celui-ci doit être pris en compte
dans sa globalité, que doivent être considérées ses
potentialités et limites, ainsi qu'il soit acteur dans la
démarche d'aide qui le concerne. En son sein, deux grandes
catégories sont représentées - d'une part les sept droits
fondamentaux - d'autre part les sept nouveaux outils pour l'exercice de ces
derniers. Ces grands principes sont des lignes de conduite bien
spécifiques que les établissements sont tenus d'acter dans leur
fonctionnement à l'interne. Ici, nous évoquerons davantage les
droits fondamentaux et reviendrons plus tard sur les outils « prescrits
» (cf. chapitre III-1B). En termes de droits sont
énumérés :
- « Le respect de la dignité,
intégrité, vie privée, intimité,
sécurité - Le libre choix entre les prestations
domicile/établissement - La prise en charge ou accompagnement
individualisé et de qualité, respectant un consentement
éclairé - La confidentialité des données concernant
l'usager - L'accès à l'information - L'information sur les droits
fondamentaux et les voies de recours - La participation directe au projet
d'accueil et d'accompagnement »40.
Nous retrouvons aussi cette notion d'autonomie au sein de la
loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
38 Instituée par la loi n°90-527 du
27/06/1990 relative aux droits et à la protection des personnes
hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions
d'hospitalisation.
39 Ehrenberg Alain, « les changements de la
relation normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de
la santé mentale », op.cit., p.146.
40 « Les droits des usagers dans les établissements
et services sociaux et médico-sociaux »,
www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/d
usagers-2.pdf
37
personnes handicapées. Le principe fondateur de cette
loi est l'accessibilité, que ce soit en termes de bâtiments et de
logement mais aussi de loisirs, d'emploi, de droit de vote. Les institutions
qui accueillent des personnes handicapées dans une visée
professionnelle modifient leur organisation. Les CAT41 se voient
transformés en ESAT42, ce qui induit une dynamique de
production devant être plus efficiente dans le travail fourni par les
personnes handicapées. Parallèlement, les MDPH définies
comme un guichet unique ayant pour vocation de faire valoir les droits des
personnes handicapées sont créées. Ainsi, comme dans un
rapport « donnant-donnant », des droits sont reconnus mais des
devoirs envers la société sont aussi stipulés. Dans cette
logique d'autonomisation de la personne aidée, la loi de 2005
apparaît comme un deuxième témoin, celui de «
l'usager citoyen ».
Pour résumer, de nombreux droits sont «
portés » par le cadre légal comme devant être les fils
conducteurs quotidiens des interventions menées. Selon moi, les
principes de « participation directe » et de « consentement
éclairé » sont en corrélation directe avec la notion
d'autonomie abordée par Alain Ehrenberg. La participation directe vise
à positionner le bénéficiaire de l'action sociale comme un
acteur de son projet d'accompagnement, s'inscrivant dans une logique de
contractualisation. Cela revient à dire que le professionnel ne doit
pas décider et faire à la place de ce dernier. Comme nous l'avons
évoqué précédemment, cette dérive constitue
l'une des craintes des travailleurs sociaux, certains gardant à l'esprit
que « ce que je fais sans toi, pour toi, je le fais contre toi
»43. Quant à lui, le consentement
éclairé vise à solliciter l'usager lors de
décisions concernant sa prise en charge. Cependant, notons que ce
consentement est réclamé par le professionnel quand il estime que
celui-ci est en capacité de faire des choix « valables »
à l'égard de sa situation. Globalement, l'objectif est de
« passer de la protection de la personne fragile à la
reconnaissance de l'usager citoyen »44. Pour confirmer
cette volonté de nos institutions à prendre en compte la
citoyenneté dans la relation d'aide, nous pouvons nous appuyer sur les
grands axes des lois de 2002 et 2005 évoquées ci-dessus ainsi que
sur un outil concret développé dans celles-ci ; l'exemple du
conseil de vie sociale qui semble être une illustration « parlante
». Au sein de l'ITEP ce conseil est mis en place, les nouvelles
élections ayant eu lieu durant mon enquête. Dans le but de
sensibiliser les adolescents accueillis aux démarches citoyennes, une
gazette a été réalisée par certains d'entre eux
avec le soutien des éducateurs spécialisés afin
d'expliquer quel est l'intérêt de ce conseil et quelles sont les
modalités pour candidater (cf. annexe n°4).
41 Centre d'Aide par le Travail.
42 Etablissement et Service d'Aide par le Travail.
43 Mohandas Karamchand Gandhi.
44
http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/d
usagers-2.pdf
38
Enfin, à mon sens, ces textes de loi tendent à
réduire la toute-puissance de certains travailleurs sociaux et à
promouvoir ce néologisme qu'est la bientraitance. En somme, le but
poursuivit semble nourri de convictions humanistes, toutefois nous pouvons nous
interroger à savoir si une volonté de contrôle social n'est
pas sous-jacente. Questionner la « bonne volonté » des
travailleurs sociaux ne revient-il pas à interroger la
légitimité d'action et de moyens accordés à ce
secteur ?
39
III] Légitimité d'action : retour sur la
notion d'autorité morale
1) Emergence de l'ingénierie sociale : naissance
d'un « procès de production »45
Après avoir abordé certaines mutations
intrinsèques à la psychiatrie, une contextualisation de
l'apogée du travail social dans une perspective socio-historique semble
nécessaire afin d'entrevoir les changements parallèles qui se
sont opérés dans ce champ. Cette démarche paraît
importante pour comprendre les injonctions émises par les politiques
publiques, favorisées par l'intervention de l'ingénierie sociale,
en termes d'efficacité ainsi que de qualité des services
proposés ayant généré certains bouleversements au
sein de notre groupe professionnel cible.
A) Apogée du travail social dans une perspective
socio-historique
Tout d'abord, quatre périodes majeures
caractérisent la genèse de l'action sociale. La première
se situe à l'interstice entre l'avant et l'après
Révolution française. A partir du XVIIème siècle,
l'Etat met en place une police à destination des pauvres. Ces derniers
sont perçus comme pouvant être dangereux, il est alors
nécessaire de limiter les « contacts mixtes ». Des
hôpitaux seront créés afin d'enfermer ces pauvres
conduisant à l'émergence d'une tradition asilaire. La philosophie
des Lumières portée pendant la Révolution française
constituera le premier socle idéologique ayant inspiré le travail
social par le biais des principes d'éducabilité et de
solidarité envers les plus démunis. Entre 1815 et 1848 avec le
retour au système monarchique, la domination sociale de la bourgeoise
s'accroît dans un contexte de révolution industrielle. Dès
lors, on assiste à une concentration des populations dans les
régions industrielles (Nord, Lorraine, etc.) conduisant à une
grande pauvreté du monde ouvrier. Cette misère favorise les
rassemblements, des mouvements de lutte se développent
accompagnés de grèves qui contribueront à
l'émergence d'une conscience de classe. Ainsi, au XIXème
siècle l'industrialisation, l'urbanisme, la paupérisation, etc.
favorisent la montée de la question sociale entre ordre public et
charité. La deuxième période est marquée par
l'affirmation de la IIIème République (1870-1946), régime
laïque et social. Toutefois, un désengagement de l'intervention
publique est notable
45 Terme emprunté à Didier
Demazière pour définir l'intervention des experts
sollicités pour mesurer la performance et l'efficacité des
actions menées par les travailleurs (cf. article cité en
bibliographie).
40
ce qui participe à l'élaboration de
stratégies d'initiatives privées. En raison de la
paupérisation, le paternalisme se développe ayant comme «
objectif voilé » la domination de la bourgeoisie sur les classes
ouvrières. Parallèlement à cette logique philanthropique,
le « catholicisme social » s'étend, notamment dans le secteur
associatif (cf. Jeunesse Ouvrière Chrétienne, Jeunesse Agricole
Chrétienne, etc.) afin d'améliorer la condition des populations
vulnérables.
La troisième période se situe au lendemain de la
seconde guerre mondiale jusqu'au début des années 1980. Les
ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945 instaurent la sécurité
sociale, tournant majeur ayant impulsé la professionnalisation de
l'action sociale. Ce modèle bismarckien46 signe la
naissance de l'Etat Providence et les prémices d'une
institutionnalisation au sein de ce secteur. Dans ce contexte des Trente
Glorieuses (19451975), nouvelles réglementations, nouvelles techniques
et ouvertures d'établissements sont à l'ordre du jour pour
contribuer à l'intégration sociale des personnes
positionnées sur les bans de cette société à
l'économie florissante. Au fur et à mesure, un nouveau
vocabulaire apparaît et les politiques publiques des années 1950
instaurent la notion d'aide sociale en remplacement de celle d'assistance. Tout
un arsenal juridique est conçu afin de baliser les missions de ce
secteur en pleine expansion et les compétences se voient
délimitées puis partagées entre Etat, départements
et communes. Cette mobilisation de l'appareil d'Etat nous amène à
la dernière période, celle de la décentralisation à
nos jours.
Entre 1960 et 1970, de nombreux courants ont alimenté
la réflexion autour de la question sociale. Les pédagogues
influencés par « une psychanalyse réinventée »
prônent un interventionnisme au sein de la cellule familiale, tendance
qui sera confirmée avec les thérapies familiales portées
par l'analyse systémique. Dans les années 1980 le travail social
est confronté à certains bouleversements qui viendront
redéfinir son périmètre d'action. De plus, au regard de la
massification du chômage et du processus d'exclusion qui en
découle, il ne s'agit plus de prendre en charge uniquement les invalides
mais les « valides invalidés par la conjoncture du
marché de l'emploi »47. A l'heure actuelle, les
maîtres mots de l'action sociale sont précarité,
insertion et territorialisation. Face à ces nouveaux enjeux,
celle-ci est « plongée » dans un prisme
social-libéral qui s'articule entre économie et politique.
Cette récente dynamique impulsée depuis trois décennies
est en corrélation directe avec la montée de l'ingénierie
sociale. A présent, mettons l'accent sur les modalités de
fonctionnement dans ce domaine.
46 Ce modèle fait référence au
système d'assurances sociales mis en place entre 1881 et 1889 par le
Chancelier Bismarck en Allemagne.
47 Jean Pierre Galasse, cours « approche
socio-historique de l'éducation spécialisée », IRTS
site d'Artois, 2010.
41
B) Evaluation, démarche qualité et guides de
bonnes pratiques professionnelles
Ayant abordé les transformations inhérentes au
travail social, maintenant intéressons nous à certaines
caractéristiques à visée plus générale,
celles de l'implication de l'Etat. Pour alimenter ce propos nous prendrons
appui sur les années 1980, époque de l'émergence de l'Etat
planificateur, tournant majeur dans l'ingénierie sociale. Suite à
l'adoption des lois Defferre votées en 1982, une nouvelle dynamique
apparaît celle du contrôle, de l'homogénéisation des
actions ainsi que de la normalisation. Le découpage du territoire,
l'élaboration des statuts des agents de la fonction publique (cf. loi du
26/01/1984 relative aux dispositions statutaires dans la fonction publique
ayant créée les 3 fonctions publique : d'Etat, territoriale et
hospitalière), la formalisation des principes de formation, les
nouvelles catégories d'emplois et l'encadrement des recrutements, etc.
est un ensemble de pratiques qui permettent de valider l'existence de nouvelles
logiques normatives et de contrôle.
En ce sens, dans les années 1980 les valeurs du
privé imprègnent la fonction publique. Nous avons
évoqué en cours que celles-ci laissent place aux dynamiques de
projet, conduisant à une perte d'influence des syndicats, favorisant
ainsi la naissance du management. Force est de constater que cette conjoncture
générale a impacté un grand nombre de secteurs
professionnels, voire l'ensemble du salariat. Selon Didier Demazière,
« tous sont confrontés à des enjeux de
délimitation de leurs attributions, à des recompositions de leurs
savoirs, à des modulations de leurs faisceaux de tâches, à
des réorientations de leurs stratégies collectives, autant de
processus qui interrogent leur identité, leur pérennité,
leur devenir »48.
A maints égards, durant cette période
l'action sociale se voit taxée d'amateurisme. Les acteurs
concernés se doivent de justifier de leurs interventions, la
légitimité de celles-ci doivent être mesurées au
regard des budgets alloués. Dans ce contexte apparaîtra les
prémices de l'ingénierie sociale en corrélation directe
avec l'émergence d'un nouveau management public.
Pour comprendre les effets de l'ingénierie sociale sur
les modalités d'interventions des professionnels de terrain, il semble
important de définir ce qu'est le nouveau management public. En somme,
il s'agit de « l'ensemble des processus de finalisation,
d'organisation, d'animation et de contrôle des organisations publiques
visant à développer leurs
48 Demazière Didier, « Postface :
professionnalisations problématiques et problématiques de la
professionnalisation », formation emploi, n°108, 2009, p.87.
42
performances générales et à piloter
leur évolution dans le respect de leur vocation
»49. Impulsé par Ronald Wilson Reagan dans les
années 1980, ce nouveau management public vise à augmenter la
productivité des travailleurs en leur fixant des objectifs
quantifiés. Durant cette période, une logique concurrentielle se
développe, les outils d'évaluation et de pilotage se multiplient,
ouvrant ainsi le marché de la performance. La rentabilité
économique devient le maître mot dans les entreprises de services,
mesurer l'efficacité des actions un impératif et les exigences
éthiques s'intensifient. Ces nouvelles attentes concernent tous les
secteurs d'activités, au fur et à mesure ces méthodes
managériales s'imposent aux travailleurs, mutations qui s'opèrent
en priorité dans les univers professionnels dont la finalité
première est la productivité. Ainsi, plusieurs tentatives
implicites seront mises en place mais cette nouvelle dynamique sera
réellement officialisée que le 2 janvier 2002 avec l'adoption de
la loi n°2002-2 rénovant l'action sociale et médico-sociale.
A compter de cette date, comme nous l'avons déjà stipulé,
les institutions sociales et médico-sociales bénéficient
de dix années pour mettre en place différents outils comme une
démarche qualité à l'interne (avec le soutien ou non de
cabinets privés), rédiger un projet d'établissement
déclinant les missions, les principes et les objectifs des interventions
menées, procéder à une évaluation interne et
externe, etc. La démarche qualité, instrument d'évaluation
issu du secteur industriel, consiste à élaborer des objectifs
à court, moyen et long terme pour améliorer la qualité et
l'efficacité des actions menées. En toile de fond de cette
méthode, l'économie des coûts et la rationalisation des
pratiques sont visés. L'élaboration d'objectifs
opérationnels composés d'injonctions en termes d'actions laisse
peu de marge de manoeuvre aux professionnels. Parallèlement, la
publication des guides de bonnes pratiques professionnelles viennent
définir les « bons » des « mauvais » savoir-faire et
savoir-être. Créée par les pouvoirs publics,
l'ANESM50 qui publie ces derniers est reconnue à
l'échelon national, ainsi l'ensemble des établissements sociaux
et médico-sociaux semblent visés par ces « suggestions
professionnelles ». Cette agence51 est chargée de
garantir la diffusion de la « culture de la bientraitance ».
Annuellement cette dernière publie des recommandations de bonnes
pratiques professionnelles en s'appuyant sur des situations concrètes
visant à faire valoir auprès des acteurs de l'action sociale et
médico-sociale des procédures et références pour
éradiquer la maltraitance. Les travaux menés consistent
« en amont par une veille sur les problématiques et enjeux, en
aval par un suivi et un soutien de la diffusion et de
49 Bartoli Annie, Le management des organisations
publiques, Dunod, Paris, 1997.
50 Agence Nationale de l'Evaluation et de la
qualité des établissements et Services sociaux et
Médico-sociaux.
51 Instituée par loi n° 2006-1640 du 21
décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour
2007.
43
l'appropriation des recommandations
»52. Nous pouvons relever que l'élaboration de
référentiels constitue une commande sociale à destination
des professionnels visant à rationnaliser voire codifier leurs
pratiques.
Dans l'ensemble, le nouveau management public et les
méthodes qui en découlent impulsées par
l'ingénierie sociale diminuent l'autonomie des travailleurs sociaux en
venant standardiser les pratiques. Cette ingénierie sociale et ses
instruments de contrôle et d'évaluation servent à
vérifier si à l'échelle locale les axes de travail
recommandés par les politiques publiques sont mis en oeuvre par les
groupes professionnels cibles. Cette nouvelle logique mercantile dans le champ
de l'action sociale favorise l'individualisation de chaque professionnel, soit
participe à l'émiettement des collectifs de travail. A mon sens,
ce contexte ne contribue pas à la pérennité de certaines
valeurs humanistes jusqu'alors portées par de nombreux acteurs, soit ces
récentes modalités de fonctionnement génèrent un
délitement de la culture professionnelle. Pour confirmer la
véracité de cette hypothèse, intéressons nous
maintenant aux notions de vocation, d'identité professionnelle et aux
approches plurielles qui structurent celles-ci.
2) Culture professionnelle et champ disciplinaire
d'appartenance
L'idée de la vocation pour exercer dans le champ
de l'action sociale est l'une des convictions partagées par de nombreux
professionnels. Bien que le sens premier de cette notion ait trait à la
religion, nous l'entendrons ici au sens d'une « inclination, d'un
penchant marqué pour une profession exigeant dévouement et
désintéressement »53. A la suite de
multiples échanges avec des professionnels à ce sujet, un
déterminant commun se dévoile, celui du proche exerçant
dans « le milieu ». L'exemple de Manuel, l'orthophoniste
apparaît comme significatif ; son père est psychiatre, sa
mère éducatrice spécialisée, son beau père
intervenant en formation de travail social et psychanalyste, sa soeur
éducatrice spécialisée et pour « parfaire le tout
», son frère est psychologue en ITEP. Certes, cet exemple est
plutôt criant mais à un moindre degré il concerne beaucoup
de professionnels que j'ai rencontrés. Ils sont nombreux à
mentionner la nécessité d'un certain militantisme et de
certaines croyances en l'Homme. Cependant, avec les nouvelles logiques
instituées, notamment par le biais de l'ingénierie sociale, ces
croyances semblent s'amoindrir. Pour
52 Site officiel de l'ANESM,
http://www.anesm.sante.gouv.fr/spip.php?page=article&id
article=336
53 Définition issue du Centre National de
Ressources Textuelles et Lexicales,
http://www.cnrtl.fr/definition/vocation
44
appuyer notre propos, retranscrivons les données issues
des entretiens menés suite à la demande : selon vous est-il
question de vocation pour exercer dans le travail social ?
« Pour moi, oui bien sur, c'est un sacerdoce. C'est comme
être infirmière. Pour moi tu ne peux pas passer le concours
d'éducateur comme tu passes le concours d'employé de la poste ou
des impôts. Tu travailles sur de l'humain, ce n'est pas la même
chose », Roger (moniteur éducateur, 27 ans, 2 ans
d'ancienneté).
« Oui, je pense que ça nécessite
effectivement un engagement, une responsabilité, une foi, des croyances.
Selon mes références théoriques des croyances en
l'inconscient notamment. Ca répond à une sensibilité, une
curiosité, un désir de recherche sur tout ce qui fait l'humain,
l'humain l'autre
mais ça renvoi aussi à soi-même »,
Irène (psychologue).
« Je ne sais pas. Mais on ne peut pas travailler dans le
social sans croire en l'autre et aux progrès que l'autre peut faire. Il
faut être prêt à donner de soi pour accompagner l'autre dans
son évolution », Madame Romel (directrice).
D'autres croyances dans le champ de l'action sociale
prédominent. La question des « savoirs-être »
requis pour exercer en est une seconde. Dans le « jargon professionnel
», l'empathie, la distanciation affective, la neutralité,
l'écoute active, etc. sont fréquemment employés.
« En terme de savoir-être pour moi c'est tout ce
qui a trait avec la posture de soignant, d'aidant. Après on peut parler
de rééducation, d'accompagnement, on peut parler d'aide, de
soutien, on peut parler de tout un tas de termes mais ça tourne toujours
autour de la même chose qui est, comment à partir d'un constat que
l'on fait ensemble sur les difficultés qu'un jeune rencontre qui le
gêne, le handicap, le fait souffrir je peux l'accompagner pour avancer
dans ces difficultés là pour en résoudre une partie,
accepter de vivre avec une autre. Je pense que certaines difficultés se
soignent, d'autres s'acceptent puis certaines se compensent [...] Quand il
s'agit d'un apprentissage, c'est la façon dont tu tiens compte de ce que
l'enfant sait déjà faire, ses limites, ses motivations, comment
tu le soutiens, comment tu valorises son travail, les efforts qu'il fait,
comment tu t'appuies sur ce qu'il est, ce qu'il aime faire, ce qu'il te raconte
de lui pour pouvoir l'emmener vers une autre direction. C'est un peu cette
idée là », Véronique (monitrice éducatrice, 30
ans, 7 ans d'ancienneté).
« L'écoute. L'idée c'est quand même
d'accéder à ce que l'autre vit, sa manière de penser.
C'est savoir aussi prendre de la distance avec tout un corpus social,
institutionnel, une volonté de reconnaissance. Ce qui doit orienter
l'écoute c'est la question du sujet, l'autre, ce qu'il se passe pour lui
», Noah (psychologue, 36 ans, 8 ans d'ancienneté).
« Le 1er outil pour un éducateur c'est
sa personnalité. [...]On voit les jeunes mais c'est aussi eux qui nous
perçoivent, par rapport à ce qu'on dit, ce qu'on dégage,
ce qu'on est. Voilà tu n'es pas sans savoir que le langage non verbal y
est pour beaucoup », Georgio (moniteur éducateur, 36 ans, 1 an
d'ancienneté).
Il me semble important de réagir suite au dernier
propos de Georgio puisqu'il me permet de mettre en évidence la place
particulière qui m'a été attribuée lors de
cette enquête. A mon sens, celle-ci n'a pas été sans
incidence car elle a facilité l'instauration d'une relation
45
46
de confiance avec l'ensemble des membres de l'équipe
pluridisciplinaire, ce pour deux raisons. D'une part, le fait d'être
diplômée du social a favorisé mon intégration et m'a
permis d'accéder à une certaine légitimité
auprès des professionnels interviewés. Partageant une «
culture professionnelle commune », je présume avoir
été perçue comme une « consoeur », soit comme
comprenant les objectifs de travail et la finalité des interventions
menées au quotidien. Pour preuve, ce type de discours « tu n'es pas
sans savoir... tu vois ce que je veux dire... » m'a été tenu
a maintes reprises. A formation identique, un langage commun que nous pourrions
qualifier de « naturel » est notable qui contribue de fait, à
l'acquisition d'une « place naturelle ». Toutefois, un tel «
atout » requiert une vigilance, un travail de déconstruction afin
de ne pas banaliser certains faits et pratiques. D'autre part, au-delà
de la culture professionnelle, ma place de stagiaire aussi a impacté
l'attribution de cette place particulière. Etant extérieure
à l'institution, mon positionnement a été perçu
comme neutre.
Dans un travail d'enquête, il est important que le
chercheur instaure une relation de confiance pour que sa place soit
perçue comme le plus naturel possible par les enquêtés.
Cette caractéristique s'avère aidante, elle permet de collecter
des informations au plus proche de la réalité de chaque individu.
Globalement, pour cette enquête je pense avoir été
exemptée des certaines explications et négociations
intrinsèques à la relation interviewer/interviewé.
Maintenant, abordons la manière dont les professionnels
« tissent » leur légitimité d'action. A mon sens,
celle-ci se négocie dans trois types de réseaux relationnels
distincts : la relation professionnels/autorités publiques, la
relation interprofessionnelle et la relation professionnels/« usagers
» et sa famille (nous analyserons cette dernière relation dans la
partie suivante). Pour cette démonstration, nous prendrons appui sur
certains éléments développés par Isabelle Coutant.
Elle évoque un Etat fragile qui exercerait moins bien son rôle
auprès de ses agents. En ce sens, elle met en perspective une
hypothèse qui a particulièrement retenu notre attention. Selon
elle, cette conjoncture amène les professionnels à devoir
justifier régulièrement de leurs actions comme « en
quête permanente de légitimité ». Premièrement,
la quête de légitimité d'action dans la relation
professionnels/autorités publiques semble négociée par
le biais d'une assise du secteur psychiatrique et de l'ingénierie
sociale. Ayant mené une analyse sur ceux-ci en début de
rédaction, nous ferons preuve de synthèse sur ce point. Les
classifications élaborées en psychiatrie sont des supports venant
justifier méthodiquement l'intervention des agents du social.
Parallèlement, l'ingénierie sociale favorise la reconnaissance
d'une technicité
propre à ce champ. Témoigner de son organisation
via les dynamiques de projets, l'existence de démarches qualités
et d'objectifs opérationnels concrets atteste de son
efficacité.
Deuxièmement, la quête de
légitimité d'action dans la relation interprofessionnelle.
Dans le champ de l'action sociale, les équipes pluridisciplinaires sont
composées d'acteurs diplômés de formations multiples. Au
sein de celles-ci, nous pouvons repérer différentes
représentations autour des professions de chacun. Une scission
prononcée entre équipe thérapeutique et équipe
éducative est apparente. Il est fréquent que le corps
thérapeutique soit reconnu officieusement par les équipes de
direction comme ayant une capacité d'analyse supérieure. Ce
« privilège » non conventionnel semble toléré
par certains et rejeté par d'autres. Au regard de mes constats, ce
manque de reconnaissance est davantage blâmé qu'accepté.
Précisons que dans certains établissements sociaux et
médico-sociaux, les temps de réunion sont les instances
communicationnelles les plus appropriées pour observer ce
phénomène. A titre d'exemple, à l'ITEP lors des
réunions pluridisciplinaires les tables sont disposées en
rectangle. Les professionnels de chaque discipline sont regroupés entre
eux, chaque corps ayant un coin de table spécifique qui ne change pas.
Nous pourrions mentionner un processus intériorisé donnant lieu
à une identité professionnelle qui se traduit par une
proximité spatiale.
De plus, en lien avec les croyances et les identités
professionnelles plurielles, il paraît pertinent de souligner que les
approches et les positionnements qui structurent l'accompagnement sont divers.
Pour comprendre une telle articulation, interrogeons nous à savoir de
quelle façon la posture du professionnel se croise avec sa fonction.
« J'ai une façon de faire plutôt maternante.
Moi je n'ai pas l'aptitude à détecter aussi rapidement qu'un
éduc la source du problème. Je pense que l'éduc il va plus
aller au frontal, mais c'est son boulot de le faire et c'est peut être
pour faire craquer un jeune et aller plus loin avec lui. Moi je fonctionne plus
avec une douceur de maman. Mais je pense qu'il n'y pas une bonne façon
de faire mais des façons de faire. Après un éduc fille ou
garçon n'agira pas non plus pareil », Erine (agent de service, 64
ans, 10 ans d'ancienneté).
Comme nous l'avons évoqué
précédemment, certaines convictions sont portées par les
acteurs du social et notamment celle de la distanciation affective. La
capacité du professionnel à se détacher de ses affects
fait partie intégrante des conseils dispensés en formation, tant
par les enseignants que par les référents de stage. Au sein de
notre groupe cible, ce savoir-être est incontournable pour être
considérer par ses paires. Notons que l'approche maternante
évoquée par Erine serait dépréciée par
exemple s'il s'agissait d'un éducateur. En effet, en cas de manquement
à cette règle informelle, le professionnel peut se
47
voir rapidement taxé de « copinage » rendant
la relation à l'usager partiale. C'est pourquoi, « le cadre
» est une autre croyance forte de l'action sociale puisque ce dernier doit
permettre d'instaurer certaines limites dans la relation et représente
un outil pour accéder à « la bonne distance ».
« Par rapport à l'ITEP, en caractère je
pense qu'il faut être rigide, très carré et rien
lâcher. Il ne faut pas être dans le copinage parce que ça
ils en profitent fortement. Voilà c'est ça, être
carré, droit dans ses bottes et droit dans ce qu'on fait. Etre un roc,
un repère, quelque chose de solide parce que souvent autour d'eux, chez
eux il n'y a pas ça justement [...] La distanciation ça n'est pas
simple. Une fois y'a un éducateur qui venait de MECS, il est
arrivé il a fait une journée. Moi ça va, ça
commence à faire un moment donc ils ne me cassent pas trop les pieds.
Mais quand tu entends ta gueule fils de pute il faut être prêt
à ça », Aurélia (éducatrice
spécialisée, 30 ans, 2 ans d'ancienneté).
De nouveau, les représentations divergent en fonction
des professionnels et de leur champ disciplinaire d'appartenance :
« Le cadre, moi je vois ça comme une route. Ca
aide le gamin à rester sur sa route et au moment où il prend un
chemin détourné lui rappeler que l'on ne fait pas toujours ce que
l'on veut dans la vie. Pour moi ce n'est pas les interdits, c'est justement
éviter qu'il aille vers les interdits. Après ses erreurs vont
aussi lui apporter des choses, mais qu'elles n'aillent pas trop loin. Il y aura
des fausses routes forcément mais faire en sorte qu'il n'aille pas vers
un point de non retour. Ne pas aller trop loin consiste à leur faire
comprendre que ça ne dépend pas que de nous, qu'il y a aussi
l'extérieur, qu'il y a des lois et que l'on doit s'y plier. Selon moi le
cadre posé doit les aider à comprendre tout ça, le but
pour eux c'est l'insertion. Je ne vois pas l'insertion sociale comme quelque
chose auquel ils sont obligés de se plier, mais quelque chose
d'important pour qu'ils soient bien », Anne-Lise (secrétaire, 38
ans, 7 ans d'ancienneté).
Comme nous pouvons le remarquer, la définition du cadre
expliquée par Aurélia, n'est pas la même que celle
d'Anne-Lise. La première concerne le cadre institutionnel dont les
professionnels seraient les garants et la seconde le cadre sociétal
régie par les lois. Force est de constater que ces « acteurs de
terrain » sont animés par des représentations qui leurs sont
propres. Lors d'un échange informel avec Anthony (moniteur
éducateur), ce dernier résume cette grande diversité en me
disant « on vient travailler avec ce que l'on est ». En somme, la
personnalité est revendiquée comme un outil de travail. La
pluralité des identités professionnelles et ses croyances
intrinsèques dénotent d'une part de libre arbitre dans les
interventions menées ; de fait l'autorité morale de chacun semble
à « gagner ». Tout de même, la base de celle-ci est
instaurée par le cadre institutionnel et la reconnaissance du
législateur quant à la nécessité de mettre en place
des actions conjuguées auprès de ce public.
48
Suite à une mise en perspective des positionnements et
des croyances propres à chacun, abordons la question des approches. A ce
stade, notre attention se portera sur la psychologie, initiatrice de nombreuses
méthodes et courants de pensée ayant alimenté le
débat autour des modalités de prise en charge. De manière
non conventionnelle, l'ITEP est clairement « d'obédience
psychanalytique ». Les techniques comportementales y sont
particulièrement dépréciées dans le discours et les
psychologues intervenants utilisent comme support de travail la psychanalyse.
Selon Irène (psychologue), les événements intrafamiliaux
viennent conditionner les conduites éducatives et le psychisme du jeune.
Ces événements seraient inscrits au niveau inconscient et c'est
pourquoi elle préconise l'approche psychanalytique. Pour elle, il faut
considérer le comportement comme « un symptôme, une
manifestation qu'au niveau inconscient des choses se sont cristallisées
». D'après elle, « dans les méthodes comportementales
la dimension subjective du sujet n'est pas suffisamment prise en compte ».
Dans l'ensemble de l'équipe, « un goût prononcé »
pour la psychanalyse est identifiable. Pour certains d'entre eux, les approches
se doivent d'être multiples et il est important de jongler entre
celles-ci pour répondre aux besoins de la personne.
« Ce dont je me méfie dans le comportementalisme
c'est le conditionnement au sens négatif du mot et non au sens de la
réalité des apprentissages et de la réalité de la
vie qui fait qu'on se conditionne. Ce qui me dérange c'est la notion
d'imposer sa volonté à autrui. De la même manière
que des fois dans la psychanalyse j'ai cette sensation de quelque chose qui
tourne en rond, quelque chose qui désarme la volonté d'agir
», Manuel (orthophoniste).
Il est important de souligner que ces approches sont en
étroite corrélation avec les caractéristiques
étiologiques mentionnées par les professionnels. Les
hypothèses majeures évoquées à l'égard du
« trouble du comportement » sont génétiques,
environnementales, virales et toxiques, en lien avec l'attachement et les
interactions précoces voire plurifactorielles. A la suite d'un
échange avec le médecin psychiatre de l'ITEP, ce dernier me fait
un état des lieux des pistes actuellement controversées.
« Ce qu'on sait c'est qu'on ne sait pas. Chacun y va avec
ses hypothèses et ses manières de penser. De manière
générale soit on parle de problèmes
génétiques, héréditaires, au niveau corporel nous
serions plus ou moins réceptifs et capables de pouvoir tenir à
des attaques extérieures. Il s'agit de la théorie biologique,
tout ce qui est neurosciences. Après il y a l'environnement social,
c'est-à-dire que celui-ci est complètement inadapté pour
des enfants, ça peut être l'environnement familial, social qui est
inadapté. Ce qui fait que l'enfant est pris dans quelque chose qui n'est
pas en adéquation avec ses besoins, d'où le conflit. Après
c'est simplement l'interface entre les deux, l'enfant et son environnement qui
fait qu'il y a inadaptation et adaptation de l'un par rapport à l'autre.
Il y a aussi des hypothèses virales ou toxiques. Ce qui est le plus
connu c'est la prise d'alcool pendant la grossesse. On sait que les enfants
dont la mère a eu des intoxications alcooliques à des temps
donnés peuvent avoir des interactions par rapport au
développement qui fait que l'enfant
49
rencontre des difficultés neurologiques. Ou
l'hypothèse actuellement, c'est un mélange des trois. Tout est
question d'où l'on met le curseur. Je prends les caricatures. Les
tenants de la théorie des neurosciences, de biologie disent : tout est
héréditaire, il y a des fragilités
héréditaires par rapport au développement du gène,
ce que l'on appelle le tueur né. Je ne sais pas si tu connais,
c'est-à-dire on naît violent. Ca revient à dire que nous
avons un déterminisme génétique qui fait que l'on est
violent, qu'on est instable émotionnellement par rapport à notre
programme génétique». Après avoir
écouté ses explications, je lui demande ce qu'il en pense. «
Selon moi il s'agit de trouble des interactions précoces. Je pense que
la période de 0 à 3 ans est primordiale parce que c'est là
que se construit le cerveau et tout ce qui est développement premier,
tout ce que l'on appelle théories de l'attachement, liens sécures
et insécures. Ca veut dire que des enfants qui ont eu des attachements
insécures dans les premiers âges de la vie font qu'ils se
développent de manière insécure et tout au long de leur
vie c'est compliqué. D'où l'importance de ces premiers
âges. Tout n'est pas joué mais il y a des fragilités
émotionnelles et ça devient extrêmement compliqué
dans l'idée d'être en difficulté
pour pouvoir gérer ses émotions, pouvoir être
dans la relation et l'adaptation avec l'autre ».
A l'heure actuelle, les théories et les
hypothèses se contredisent encore. Pourtant, malgré cette «
avancée à l'aveugle » des actions sont mises en oeuvre pour
encadrer le « trouble du comportement ».
3) Pluridisciplinarité et « tricotage » d'une
adhésion familiale
Isabelle Coutant se questionne quant aux « troubles du
comportement » à savoir, « s'agit-il de simple
délinquance, d'une déviance liée à des «
carences » ou des « incohérences » éducatives, ou
du symptôme d'une souffrance à traiter, voire d'une pathologie
psychiatrique classique plus grave (psychose, schizophrénie) ? Dans
quelle mesure les professionnels ont-ils le devoir d'intervenir ?
»54. Ce questionnement nous renvoie à certains
points abordés précédemment quant au
périmètre d'action accordé par les autorités
publiques aux professionnels du social et de la psychiatrie.
Intéressons nous à savoir comment la
quête de la légitimité d'action dans la relation
professionnels/« usagers » et sa famille se manifeste. En
unité psychiatrique pour adolescents, Isabelle Coutant évoque
l'idée d'un « travail de l'alliance ». Cette pratique est
valable pour l'ensemble de l'action sociale, celle-ci vise une «
participation directe »55 des adolescents et de leurs
familles dans la co-construction de l'accompagnement mené. Rappelons que
le législateur a défini cette participation, principalement elle
se caractérise par un libre choix des prestations proposées, un
accès aux informations qui le concernent,
54 Isabelle Coutant, Troubles en psychiatrie,
Paris, La Dispute, 2012, p.83.
55 Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 et article
L311-3 du Code de l'Action Sociale et de la Famille.
50
un droit de renoncer à son projet, etc. Ces droits
fondamentaux sont mentionnés dans la charte des droits et
libertés de la personne accueillie qui est remise aux familles lors de
la visite de pré-admission de l'établissement. Cette
première rencontre est perçue par les professionnels comme
déterminante, ayant une incidence sur la poursuite de la relation.
Ainsi, préciser aux jeunes et à leurs familles quels sont leurs
droits et se définir comme les garants de ces derniers favorisent
l'instauration d'une relation de confiance. Dans cette même logique,
chaque personne accueillie bénéficie d'un « interlocuteur
privilégié », l'éducateur
référent. Celui-ci se doit de connaître parfaitement
les informations qui concernent « l'usager » qu'il accompagne, pour
toutes démarches importantes il sera le premier sollicité.
Notamment, il est tenu de contacter les parents du mineur et de prendre en
considération leurs attentes pour toutes décisions à
l'égard de leur enfant. De façon régulière sont
organisés des « temps de concertation » où
l'ensemble des professionnels de l'ITEP intervenants auprès de
l'adolescent et les parents sont présents. Les deux objectifs principaux
de ces rencontres sont l'information et l'évaluation de la situation du
jeune ainsi que le maintien de l'alliance parentale. Dans l'ensemble, nous
pouvons constater que les professionnels disposent de plusieurs outils et
méthodes pour « tricoter » l'adhésion familiale.
Maintenant, de manière plus pratico-pratique, comment se
positionnent-ils dans la relation ?
« J'essaie dans la mesure du possible de dire ce que je
vais faire. D'être claire, oui ça je vais le faire et ça
non je ne vais pas le faire, je ne suis pas dans la menace. Après quand
je vois que c'est compliqué je leur dit oui je viens chez vous ça
n'est pas simple. Dans les écoles ordinaires il n'y a pas une assistante
sociale qui vient chez toi. Ils n'ont peut être pas envie que je vois
leur canapé, j'en sais rien peut être que ça les fait
chier. Ils ont le droit je suis d'accord avec eux, n'empêche qu'on
accueille son gamin ici ». Elle m'explique qu'elle utilise souvent une
métaphore avec une barque : « il y a l'ITEP, le jeune et sa famille
et que si l'on ne travaille pas tous ensemble on va ramer dans des sens
différents, que l'on va tourner en rond et que la situation ne va pas
s'améliorer », Samantha (assistante sociale).
Certains professionnels reconnaissent le côté
intrusif de leurs interventions, notamment lorsqu'il s'agit de visites à
domicile. Bien qu'ils s'introduisent dans la sphère privée de ces
familles, évoquer ce point de manière explicite permet de
démocratiser leur venue en masquant les logiques de contrôle et
d'évaluation qui sous-tendent leur présence.
« Après ce n'est pas parce que l'enfant a
été en échec que les parents sont de mauvais parents. Dans
tous les cas moi je leur permets de me montrer autre chose. Je leur dit que
j'ai besoin qu'on collabore ensemble pour votre enfant et que j'attends de vous
que vous ne restiez pas avec des questions, sachez que vous pouvez rencontrer
tous les professionnels et que des rendez-vous sont possibles. Leur dire on va
donner le maximum mais prenez la balle au bon moment aussi. C'est comme
ça que je perçois les négociations avec la famille pour
pouvoir engager un travail », Madame Romel (directrice).
51
A titre d'exemple, il est intéressant de souligner la
différence d'autorité morale existante entre le corps
médical et le corps social et surtout la façon dont celle-ci est
utilisée. A contrario, le vocabulaire employé par les
travailleurs sociaux est bien plus accessible que celui des médecins. A
mon sens, le rapport social au public est un outil de communication
essentiel dans le « travail de l'alliance ». Eviter dans le
discours l'emploi de mots inintelligibles pour des personnes extérieures
à la discipline concernée, facilite l'affirmation de soi. A
l'ITEP, les travailleurs sociaux sont confrontés à des familles
issues de classes populaires ; empêcher au maximum la distance sociale
est primordiale pour éviter une impression de condescendance qui
pourrait affecter l'intérêt, soit l'adhésion de la
personne.
Dans cette logique de « tricotage », s'ensuit la
question de la reconnaissance et de l'acceptation de la
difficulté.
« Par rapport au trouble du comportement il y a la
question de comment je leur parle de leurs difficultés. Je dis ça
par rapport à quelque chose que j'ai ressenti ici. Quand tu leur dis :
ça c'est difficile pour toi c'est comme ci tu les attaquais sur ce
qu'ils sont ou comment ils se perçoivent, comme ci ça venait
ajouter un élément supplémentaire à une image d'eux
qui n'est pas positive. Je me rends compte qu'avec certains jeunes par exemple
dès que je disais tu veux que je t'aide au cours d'un exercice, certains
le vivaient de façon très persécutive. C'est-à-dire
que la proposition d'aide est perçue comme je viens pointer que tu ne
sais pas, tu ne sais pas faire. Au départ ça me surprenais, on ne
s'y attend pas spontanément. Avec les autres publics auprès
desquels je travaillais avant ça n'étais pas vécu de cette
façon là », Manuel (orthophoniste).
Nous pourrions évoquer une certaine forme de
modélisation du regard de l'Autre sur sa condition, comme un
interventionnisme coercitif venant renforcer l'appropriation du stigmate.
« Il s'agit de la question du contrat et de l'alliance.
Au départ c'est une rencontre entre une famille et une institution par
rapport à une pathologie. Donc c'est d'abord une reconnaissance par la
famille et l'enfant parce que l'on ne peut pas travailler s'il n'y a pas de
reconnaissance d'une difficulté. Ce que nous avons
régulièrement : le travailleur social dit que vous avez un
problème, vous vous ne trouvez pas que vous en avez donc vous avez un
problème dans la relation avec le travailleur social donc on va
travailler autour de ça [...] Aider signifie qu'il faut accepter l'aide.
Pour quelqu'un qui ne comprend pas l'aide pour qui ça n'a pas de sens,
quel est le sens de l'aide ? On est sur quelque chose de persécutif.
Alors que la non-adhésion signifie je n'adhère pas au
système que vous me présentez. Par rapport à cela, lorsque
je construit un contrat de soin nous sommes bien d'accord sur les objectifs, ce
sur quoi nous allons avancer », Docteur Leloy (médecin
psychiatre).
En somme, l'élaboration d'une relation de confiance
puis d'une adhésion des jeunes et de leurs familles sont
nécessaires pour que l'accompagnement soit pérenne et puisse par
la suite favoriser une transformation de certaines dispositions sociales
intériorisées par le jeune. Parallèlement, n'omettons pas
un détail crucial, les parents sont détenteurs de
52
53
l'autorité parentale, ils peuvent rompre quand ils
veulent la prise en charge de leur enfant. En revanche, bien que la libre
adhésion soit l'un des principes fondateurs des ITEP, celle-ci
semble limitée. En cas de non-adhésion, les professionnels
peuvent rédiger un signalement au juge pour enfants en évoquant
des carences éducatives et/ou affectives, etc. De fait, le contrat de
séjour apparaît être un outil venant sceller la
légitimité d'action des professionnels permettant d'éviter
« si possible » ce type de recours.
« Quand les jeunes arrivent en ITEP il leur est
expliqué à eux et leur famille d'emblée qu'en acceptant
cette orientation ils acceptent qu'il va y avoir des propositions faites
à leur enfant en termes d'accompagnements. Déjà ils ne
peuvent pas s'y opposer en tant que tel. Je veux dire par là que
lorsqu'ils signent le contrat de séjour, ils signent le fait qu'ils
acceptent tout un plateau technique et que si l'on estime que leur enfant peut
avoir besoin d'un suivi particulier ils ne peuvent pas dire non
d'emblée, dans ce cas là ça remet en cause le projet et
auquel cas qu'ils ne sont pas en accord avec l'orientation en ITEP [...]
ça ne veut pas dire que les parents ne peuvent pas venir questionner, ne
peuvent pas dire s'ils ne sont pas d'accord pour mais simplement ce n'est pas
à la carte. Ils ne peuvent pas dire je veux bien l'accompagnement
éducatif, qu'il aille à l'école mais je ne veux pas le
suivi thérapeutique », Manuel (orthophoniste).
Le contrat de séjour engage le «
signataire/bénéficiaire » à consentir à un
ensemble d'actions. Il arrive que celles-ci soient peu précisées,
les objectifs généraux sont déclinés dans le
contrat initial, toutefois les ajustements éventuels ne peuvent pas
toujours être anticipés soit notifiés. En s'engageant pour
les grands axes du projet il s'engage aussi indirectement pour les
interventions intermédiaires qui pourront être mises en place.
Globalement, il apparaît que les négociations en cours de suivi
sont tributaires des consciences professionnelles de chacun. Pour
compléter la notion de libre adhésion, précisons que les
parents disposent d'une Allocation d'Education de l'Enfant Handicapé,
non négligeable au regard de leurs difficultés
financières, mais que celle-ci peut leur être retiré en cas
d'absentéisme scolaire à l'ITEP. Notamment, une obligation
scolaire non respectée peu constituer un motif de placement de
l'enfant.
De plus, Isabelle Coutant marque un point d'arrêt sur
l'idée d'une authenticité des échanges entre
professionnels, patients et leurs familles. Cette notion est transposable
à l'action sociale. Notons qu'elle concerne aussi tout autant les
professionnels entre eux. A l'ITEP une certaine réflexivité est
notable. Un psychologue extérieur est financé par l'association
pour superviser des groupes d'analyse de pratiques professionnelles. Ceux-ci
fonctionnent sur un principe de libre adhésion du salarié visant
à le soutenir, lui permettre de maintenir cette dite bonne distance avec
le jeune, de réguler le fonctionnement et la cohésion de
l'équipe. La supervision est une pratique de plus en plus
courante dans l'usage, elle permet aux professionnels d'aborder avec un tiers
extérieur à l'institution,
porteur d'un rôle neutre, les situations avec lesquelles
ils se trouvent en difficulté. Comme nous l'avons déjà
évoqué, il s'agit d'un espace de parole, d'une « soupape de
décompression » visant à prévenir
d'éventuelles maltraitances en raison d'une usure professionnelle.
Toutefois, certains établissements sociaux et médico-sociaux sont
lésés car les financements manquent pour mettre en place à
l'interne ce type de pratique.
L'authenticité des échanges, selon Isabelle
Coutant est caractérisée par le régime d'une croyance
articulée en deux modalités essentielles.
D'une part, la croyance des professionnels dans le
bien-fondé de leurs missions, celle-ci apparaît comme primordiale
dans le processus de reconnaissance de leur autorité morale. Comme nous
l'avons expliqué avec la notion de vocation et de convictions dans le
champ de l'action sociale, bien qu'il existe des schèmes de perceptions
divergeant d'une profession à l'autre, il est important que les accords
et désaccords soient discutés ensemble. Pourquoi ? Force est de
constater qu'en psychiatrie comme dans le social la cohésion entre
les membres de l'équipe pluridisciplinaire « signe » le
fondement de leur autorité morale. Isabelle Coutant désigne
cette croyance comme « la première condition d'une
possibilité ultérieure de conversion d'un certain nombre de
dispositions chez les adolescents pris en charge »56. En
effet, si une certaine division se créée au sein du groupe
professionnel la collaboration s'avère délicate, ce qui ne
favorise pas une cohérence d'ensemble dans les actions menées et
réduit les possibilités de changements chez l'individu. En toile
de fond, celle-ci est précieuse pour aider les professionnels à
faire valoir la légitimité et l'utilité de leurs
interventions. A présent, entrevoyons la manière dont les
professionnels perçoivent la pluridisciplinarité.
« On ne peut pas être tous dans les mêmes
représentations puisqu'on n'a pas les mêmes fonctions. On ne peut
pas avoir les mêmes objectifs, les mêmes buts, parce que
forcément on tend vers l'uniformisation, on a des fonctions
différentes qui impliquent un travail différent, des
manières d'être différentes. A un moment donné ce
qui est important c'est qu'il y ait un maillage, un tricotage qui puisse se
faire entre ces différentes représentations », Irène
(psychologue).
« L'interdisciplinarité je la trouve beaucoup plus
sensible par rapport à d'autres établissement parce qu'on est
beaucoup plus mis en difficulté et que les difficultés du jeune
ne se limitent pas à : il n'a pas un comportement adapté. Sa
forme la plus forte se traduit bien dans le on se sert les coudes [...] j'aime
bien cette sensation d'équipe, je la trouve palpable malgré les
difficultés, malgré les changements, malgré les moments
où l'on peut être en plainte vis-à-vis de comment ça
se passe, ça s'organise. J'apprécie ces liens »,
Véronique (monitrice éducatrice).
Malgré des fonctions et des statuts divers, on remarque
un sentiment d'appartenance au sein de l'équipe pluridisciplinaire,
nature de l'esprit de groupe. La solidarité existante entre eux semble
être un indicateur fort de ce sentiment d'appartenance. Les règles
et contraintes
56 Isabelle Coutant, Troubles en psychiatrie, op.cit.,
p.79.
54
institutionnelles ne semblent pas à l'origine de cette
solidarité. Nous pouvons remarquer que le témoignage de
Véronique atteste le partage d'un intérêt commun duquel
découle un système de valeurs et d'affinités entre
collègues venant favoriser la coopération. Cet
intérêt commun axé sur un « mieux-être » du
jeune est repérable tant au niveau du projet d'établissement que
dans le discours des professionnels. Au regard de la façon dont ils
évoquent la cohésion de groupe, il semble confirmé que
celle-ci représente l'un des fondements des interventions qu'ils
mènent au quotidien à l'interne.
D'autre part, dans cette logique de « tricotage » de
leur légitimité, la deuxième croyance réside en
l'Autre, soit l'adolescent accueilli. Croire en ses potentialités, ses
ressources est indispensable, d'autant plus à l'égard des jeunes
suivis par l'aide sociale à l'enfance aux parcours de vie bien souvent
ponctués de ruptures et de rejets. Cette démarche valorisante est
alimentée par les savoir-être évoqués
précédemment dont les agents du social se doivent d'être
détenteurs. Parallèlement, à ce niveau de l'accompagnement
l'importance est aussi accordée à l'autorégulation des
comportements adoptés par l'adolescent. En unité
psychiatrique pour adolescents comme c'est le cas en ITEP, le « climat de
confiance » instauré par les professionnels consiste à aider
le jeune à verbaliser ses émotions. Ces dernières sont
perçues comme l'origine des actes ; accroître les dispositions
réflexives du « sujet » est la finalité
escomptée afin qu'il soit en mesure d'appréhender puis de
gérer seul ses comportements dits problématiques. D'ailleurs,
dans le projet d'établissement de l'institution il est mentionné
que l'organisation quotidienne doit « permettre à l'enfant de se
construire un mode relationnel, un accès à une place sociale
».
Globalement, Isabelle Coutant désigne avec justesse
cette méthode qu'elle qualifie de « pédagogie de la
réflexivité ».
55
IV] Précarité familiale et
fonctionnements versus dysfonctionnements institutionnels
1) L'ITEP : malaise social ou pathologie ?
Un mercredi après-midi, après que les jeunes
soient rentrés à leur domicile, une éducatrice
spécialisée évoque avec moi la situation sociale de chacun
d'entre eux. Elle désignera ces adolescents comme «
démarrant dans la vie avec une balle dans le pied ».
« David : 15 ans. Placé à
l'âge de deux mois parce qu'il était battu. La mère a
tellement d'enfants que David ne sait pas combien il a de frères et
soeurs. Il en connaît quatre vraiment mais peut être qu'il y en a
eu plus. Elle dit qu'elle a abandonné des enfants qu'elle n'a pas
déclarés. Je crois qu'on ne saura jamais la vérité.
Elle est suivie pour des problèmes psychologiques. Il n'y a aucun enfant
qui vit au domicile, tous sont placés...
James : 15 ans. Le papa a toujours été
dans les magouilles dans le quartier, trafic de stupéfiants, d'objets
tombés du camion, vols de scooter. La maman, ne s'occupent pas de ses
enfants. Donc c'est les grands-parents qui assument l'éducation des
trois garçons, les trois sont suivis par l'institution...
Tatiana : 16 ans. Ses parents sont toxicomanes, ils ont
eu Tatiana plus deux garçons, des jumeaux. Quand les services sociaux
ont commencé à tourner autour d'eux et à
s'inquiéter pour les enfants ils sont partis en Irlande. En Irlande ils
ont été retrouvés, la mère a failli mourir d'une
overdose. Quand ils sont revenus en France les enfants ont été
placés et la mère s'est suicidée. Le père a
coupé tous contacts avec les enfants. Il est revenu il n'y a pas
longtemps quand il a su que Tatiana allait faire un contrat professionnel et
gagner de l'argent...
Samir : 15 ans. Sur sa carte d'identité il est
français mais dans sa tête il est algérien. Le papa n'a pas
de papiers donc quand il vient en France c'est de façon illégale.
Son père vit la plupart du temps en Algérie. Le papa est
très violent avec les enfants et la maman. La mère multiplie les
concubins, se marie, divorce. Elle parle très mal le français,
elle est dépassée, les enfants ont pris le dessus, les
rôles sont inversés. Beaucoup de maltraitance psychologique du
père envers les enfants mais pas de maltraitance physique envers madame
devant eux...
56
Laurie : 14 ans. Ses parents ont vécu en
CHRS57. Depuis qu'elle est accueillie on soupçonne qu'elle
ait été abusée sexuellement par le père, par les
oncles et les copains de maman. Laurie a une soeur jumelle que la mère a
mis en couple avec son ex compagnon, donc sa soeur se retrouve à dormir
dans un lit avec un homme de 35 ans. A la maison tout le monde dort avec tout
le monde. Laurie dort parfois avec sa mère, un tonton ou un copain de
passage de sa mère. Elle est dans un rapport aux hommes un peu
spécial, elle montre sa culotte, se frotte aux garçons, ça
depuis qu'elle est toute petite. Tu te demandes ce qu'elle a vécu parce
qu'elle simule des choses bien tordues, tout est très sexualisé.
Le père nous a déjà dit que des fois il s'endort devant la
télévision alors qu'il est en train de regarder des films
pornographiques. On pense qu'elle a peut être vu voire même subi
d'autres choses... Maheddine : 16 ans. Les parents ont des gros
problèmes de toxicomanie. La maman est prostituée, elle alterne
entre le trottoir et la prison. Un de ses fils est dans le trafic de
stupéfiants. Le père a eu un accident de moto, il est
handicapé. C'est le cerveau qui a été touché, dans
sa tête il a douze ans...
Hugues : 15 ans. Il avait un frère jumeau qui
est décédé. La maman n'a pas accepté le
décès de son fils. Elle n'arrive pas à faire son deuil, du
coup elle en parle tout le temps donc Hugues ne comprend plus. Les parents ont
divorcé suite au décès du petit frère...
Yann : 12 ans. Une maman complètement
paumée qui n'a pas confiance en elle-même, qui a subi beaucoup de
violences conjugales auxquelles Yann a été exposées. Les
visites avec le père sont médiatisées en présence
d'un travailleur social parce qu'on le soupçonne d'avoir violé sa
fille...
Manuelle : 16 ans. Elle ne sait pas qui est son
père. Elle sait qu'elle a des origines maghrébines mais elle ne
sait pas lesquelles, algériennes, marocaines ou autre elle ne sait pas.
La maman est très immature, elle a beaucoup d'hommes dans sa vie. Les
enfants ont tous été placés. A chaque enfant placé
elle débute une grossesse puis l'enfant est de nouveau placé. Le
seul enfant qui n'a jamais été placé c'est la petite soeur
trisomique, on n'a jamais compris pourquoi tous les enfants de la fratrie mais
pas elle. Donc Manuelle a été placée parce qu'elle a
été battue étant bébé et que sa maman ne la
nourrissait pas, n'assurait pas le quotidien... »
L'ensemble des faits sociaux ponctuant le quotidien de ces
adolescents est-il sans incidence sur la manifestation de leur dit trouble du
comportement ? L'impact de ces derniers sur leur trajectoire de vie est
à questionner. Dans le but d'accéder à une vision
57 Centre d'Hébergement et de
Réinsertion Sociale. Il s'agit d'une institution missionnée pour
accueillir des personnes sans solution d'hébergement.
57
globale des difficultés sociales auxquelles ils sont
confrontés, un tableau récapitulatif concernant celles-ci est
joint en annexe (n°5).
Au sein de l'ITEP, plusieurs comportements concrets dans
l'usage sont repérés par les professionnels comme interpellant.
Les changements brutaux d'émotions pendant une conversation,
l'incapacité à faire semblant, la difficulté à
comprendre le second degré dans le langage font partie des
particularités mentionnées. Toutefois, comme nous l'avons vu, le
caractère étiologique de ces « troubles » est complexe
à évaluer ; soit une déviance liée à des
carences ou à des contradictions éducatives est
évoquée, soit une délinquance, soit une souffrance
psychique devant être traitée voire une pathologie psychiatrique
plus sévère de type psychose. Il n'existe pas de
frontières distinctes entre ces différents profils types. Nous
pourrions émettre l'hypothèse que certaines difficultés
s'entremêlent comme un système d'interdépendance rendant
celles-ci étroitement liées les unes aux autres. Nous avons
expliqué que cette manifestation de comportements classés comme
non conformes à la norme dominante peuvent être
stigmatisées comme pathologiques. Isabelle Coutant dénonce
l'existence d'une confusion entre malaise social et souffrance psychique.
Dissocier ces deux dimensions est essentielle.
Premièrement, la lecture du rapport d'activité
général des deux semi-internats ITEP de l'association
apparaît comme éclairant. Ce dernier révèle que 30%
des mineurs accueillis sont issus de familles monoparentales, soit 25% dont le
père est inconnu ou décédé et 5% dont la
mère est inconnue ou décédée. Parallèlement,
38% des adolescents relèvent d'une mesure d'assistance éducative
prononcée par un juge pour enfants. Ces constats émis par les
professionnels furent à l'origine d'une demande d'agrément pour
l'ouverture d'un internat visant une « réconciliation relationnelle
entre l'enfant et sa famille ». Toutefois, notons que selon certains,
l'environnement familial de ces jeunes n'influe pas sur l'origine des «
troubles du comportement ».
Notamment, sur le total des jeunes accueillis la situation
socioprofessionnelle des parents semble à interroger. Les
mères de familles sont à 32% ouvrières, 56% sont sans
emploi, retraité ou au chômage puis 7% sont reconnues
travailleuses handicapés. Quant à eux, les pères de
famille sont à 22% ouvriers, 27% sont employés et 27% sont sans
emploi, retraités ou au chômage. De nouveau, nous pouvons nous
questionner à savoir si certains de ces facteurs
socio-économiques ne sont pas des embûches à la
socialisation de ces jeunes pouvant conduire à l'émergence de
« troubles du comportement ». A mon sens, certaines variables
sociales intrinsèques à l'histoire de vie des adolescents ont
une influence sur leurs « troubles ».
58
Deuxièmement, selon Isabelle Coutant un enjeu
diffère dans les interventions menées auprès des classes
populaires et des classes supérieures. Elle souligne l'idée d'un
« enseignement du langage des émotions » visant comme objectif
de développer les dispositions réflexives des jeunes de classe
populaire accompagnés. Soulignons qu'à l'ITEP cet objectif est de
taille puisque la majorité des adolescents accueillis ne savent pas
lire, ce qui ne peut que justifier « le frein dans les apprentissages
» stipulé par le décret de 2005. Sur ce point, donner la
parole à Manuel (orthophoniste), semble pertinent. Lors d'un entretien,
ce dernier m'a expliqué quelles sont les grilles de lecture dont il
dispose pour repérer les difficultés de langage des adolescents
et quels sont ses constats.
« On a des grilles de lecture différentes aussi en
fonction des approches théoriques. Aujourd'hui ce qui a tendance
à dominer au niveau de l'orthophonie c'est une approche dite
neuropsychologique. Ca va être des grilles plutôt cognitives avec
une analyse un peu modulaire du développement, des compétences
avec une idée qu'il y a une entrée, un traitement, une sortie
[...] On segmente l'aptitude qui dysfonctionne et on va voir à quel
endroit se situe les obstacles avec un fonctionnement un peu plus correct [...]
J'ai une dominante de jeunes qui sont en difficulté avec l'outil
langagier, langage écrit surtout mais langage oral également. Je
sens que ce sont des jeunes avec des carences langagières importantes,
avec des difficultés à affiner les choses, que ce soit affiner
leurs perceptions, leur niveau de compréhension, leur niveau de
précision dans le vocabulaire [...] Je vois parfois un pan du langage
qui n'est pas commun. Je sens pour certains qu'ils n'ont pas les mêmes
codes dans la façon d'utiliser le langage. Dans les intonations et le
sens que l'on met derrière les mots il y a beaucoup de choses ».
J'interviens en lui demandant un exemple. « Un truc tout bête, c'est
un exemple qui est fréquent ici, si on parle d'agresser, souvent les
jeunes pour eux il n'y a que la dimension physique. Du coup l'agression verbale
n'est pas une agression : je ne l'ai pas touché ! Ce n'est pas juste une
question de c'est eux avec leurs difficultés de comportement, je sens
bien que là on est dans la question du sens que l'on met derrière
le mot et que ça c'est commun avec le milieu dans lequel ils
l'utilisent. Aussi des fois ils ont des structures, des façons de parler
qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Le langage semble
utilisé de façon très factuelle : j'ai fait ci, j'ai fait
ça, point. Pour eux, papa et maman quand ils me parlent c'est juste pour
me dire fait pas ci fait pas ça, c'est des choses qui sont très
impératives. Ca créée une autre façon de vivre le
langage et donc du coup des fois à travers des situations
proposées j'essaie de mettre plus de subjectivités la dedans. Tu
sens que parler de soi, donner son avis, son opinion ce ne sont pas des choses
si faciles que ça et auxquelles ils ne sont pas si souvent
exposés ».
Au regard des propos tenus par Manuel, rapidement nous pouvons
repérer qu'il mentionne le « poids » du culturel sur le
langage. Selon lui, le « trouble du comportement » se
caractérise par un outillage langagière autre, mettant en
difficulté les adolescents pour s'exprimer. En ce sens, il ajoute que
les milieux familiaux des jeunes « vont au-delà du populaire mais
plutôt sont des milieux défavorisés » ce qui ne
favoriserait pas leur accès à la subjectivité. Sur ce
point, Pierre Bourdieu a soulevé certaines caractéristiques
divergentes en fonction de la classe sociale. Selon lui, l'appropriation
symbolique de la
59
culture n'est pas la même d'un milieu social à
l'autre, que ce soit en termes de discours ou de savoirs.
Troisièmement, face à cette grande
variété de termes, interroger les constats des professionnels qui
partagent le quotidien de ces jeunes nous permettrait d'y voir plus clair. Tout
d'abord, qu'entendons-nous réellement par handicap psychique ?
« C'est un handicap par rapport à
l'intégration dans la société. C'est quelqu'un qui n'est
pas comme les autres, qui est en difficulté par rapport à une
norme. Par rapport à cela il est en difficulté dans son
intégration, dans le lien avec les autres effectivement ce qui peut
être un élément d'handicap. C'est des personnes qui ont
beaucoup de mal avec l'empathie. Lorsqu'on se parle on ajuste notre posture
l'une par rapport à l'autre. Il y a plein de signes qui font que l'on va
s'adapter et que vous allez être vigilent par rapport à moi, je
vais l'être aussi mais on va s'adapter. On va adapter nos positions par
exemple avec notre parole. Eux ont beaucoup de mal, il pense que par rapport
à eux même et ils ont du mal à entendre ce que l'autre
pense. Typiquement, par rapport aux délinquants quant on les
écoute ils ne comprennent pas qu'ils ont fait du mal à l'autre.
Ils ont beaucoup de mal à comprendre la souffrance de l'autre.
Effectivement je pense que c'est un handicap par rapport à l'adaptation
à l'autre et donc à l'autre », Docteur Leloy (médecin
psychiatre).
Nous pouvons remarquer que la notion d'handicap n'est pas
envisagée au sens d'une incapacité physique ou intellectuelle.
« Le trouble du comportement » s'apparente davantage à la
notion de santé mentale. En 2006, à la suite d'une commission
européenne58, les états membres se sont
accordés pour dissocier la « santé mentale positive »
de la « santé mentale négative ». La santé
mentale dite positive résulte d' « un état de
bien-être permettant à chacun de reconnaitre ses propres
capacités, de se réaliser, de surmonter les tensions normales de
la vie, d'accomplir un travail productif et fructueux et de contribuer à
la vie de sa communauté »59. Il
apparaît que le « trouble du comportement », soit le «
handicap psychique » se caractérise par une « santé
mentale négative ». De nouveau, d'autres pistes de réflexion
peuvent être recensées. Selon Noah (psychologue), les jeunes
accueillis à l'ITEP seraient en situation de clivage.
« Chez les jeunes ici on peut repérer au niveau
psychopathologique des choses qui sont de l'ordre du clivage. D'ailleurs ce
clivage peut se repérer au niveau institutionnel. Par clivage j'entends
ne pas avoir la même manière d'être avec l'un ou l'autre. Je
vais te donner un exemple. C'est déjà arrivé un jeune ici
où au collège ça se passe très bien, il est
investi, il respecte les règles de vie et dans l'institution c'est une
horreur. Ca veut dire en gros qu'il y a une représentation avec le bon
d'un côté et le mauvais de l'autre, c'est-à-dire une
difficulté d'accès à ce que l'on appelle l'ambivalence,
ça veut dire pouvoir être nuancé ».
Quatrièmement, je pense qu'il est intéressant de
confronter cette idée de « clivage » à celle de la
violence. A l'ITEP, les professionnels sont nombreux à penser que les
atteintes
58 Il s'agit de la commission européenne de
l'Union européenne et de la conférence ministérielle
européenne de l'OMS, 2006.
59 Définition de la « santé mentale
» selon l'Organisation Mondiale de la Santé.
60
physiques commises par les adolescents sont utilisées
pour attaquer leur fonction, soit la « figure d'autorité
» qu'ils incarnent.
« Avec le temps tu as moins recours aux contentions
physiques. On sait que c'est une manière pour eux de décharger,
de garder la face. Après les insultes on s'en détache, on sait
que ça n'est pas lié à
nous mais à la fonction en tant que personne garante du
cadre » Nacer (moniteur éducateur).
Précisons que cette « motivation » ne
concerne pas tous les salariés. Anne-Lise (secrétaire) me raconte
qu'elle s'est fait peur à plusieurs reprises. En cas de situation
conflictuelle où elle sent la violence arriver à « grand pas
», elle m'explique qu'elle prétexte sa place comme si qu'elle la
protégeait.
« Je dis : attention là c'est moi ! Je ne sais pas
ce que je peux représenter... En situation de désaccord je n'ai
jamais eu à faire figure d'autorité. Dans certaines situations,
je pense que si j'étais perçue comme quelqu'un qui fait figure
d'autorité je m'en serais pris une »
Anne-Lise m'explique qu'elle n'a jamais été
frappée ; est-ce parce que justement sa place au secrétariat
n'incarne pas dans l'esprit des jeunes l'autorité ? Notons que tous les
professionnels de l'ITEP, équipe thérapeutique, éducative
et pédagogique mentionnent s'être au moins déjà fait
insulté et ce à plusieurs reprises. A contrario, Anne-Lise
m'affirme que ça ne lui est jamais arrivé.
Le statut d'agent du social suscite la violence de certains
jeunes ? Cette situation interpelle ! Les adolescents sont en mesure de se
contenir ? Pour éviter le passage à l'acte est-il question de
« bonne volonté » ? En tout cas nous pouvons constater qu'en
fonction des situations, ils parviennent à « gommer » leur
« trouble du comportement ». Cette donnée semble remettre en
cause l'idée du « trouble » comme quelque chose
d'incontrôlable voire de pathologique.
Enfin, après avoir mis en lumière le
caractère incertain existant dans les définitions
proposées quant au « trouble du comportement », exposer les
divergences et les convergences de lecture entre les membres de l'équipe
pluridisciplinaire de l'ITEP est une étape essentielle à notre
réflexion. Les schèmes de perceptions des professionnels sur ce
dit trouble sont multiples, toutefois chaque définition est porteuse de
significations. Selon Howard Becker définir une activité comme
déviante alimente son apprentissage et sa poursuite. De fait,
l'émergence de cette nouvelle catégorie ne semble pas
dénuée d'incidences sur le long terme.
Marquons un point d'arrêt sur les définitions des
professionnels !
« Moi quand j'entends ITEP je me dis c'est marrant parce
qu'il n'y en a pas forcément au Cameroun, au Sénégal, etc.
C'est dans les pays riches qu'il y a des troubles du comportement », Nacer
(moniteur éducateur).
61
Ce propos est intéressant, il interroge le
caractère culturel intrinsèque aux catégories sociales. Au
regard des classifications qui diffèrent d'un pays à l'autre,
nous pouvons nous interroger quant l'existence d'un tel trouble puisqu'il est
joint à une dimension culturellement instituée.
« Pour moi tout tourne autour de l'adaptation sociale,
s'il n'y avait pas ce gros noeud là ça serait beaucoup plus
simple pour le jeune. Rien que ce qui est vestimentaire par exemple. Un jeune
qui arrive dans un collège, même si son niveau social est plus
défavorisé qu'un autre, on met un costume ça ne se voit
pas. Tout ça on peut résoudre. Que le trouble du comportement
ça concerne le vivre en société », Elise
(institutrice).
De nouveau la question du regard de l'autre, de l'adaptation
sociale est mentionnée. La définition de Samantha (assistante
sociale) semble rejoindre celle d'Elise.
« Pour moi c'est quelque chose qui les empêchent de
s'insérer socialement. Je le relis bien au H de MDPH, ce handicap qu'ils
ont c'est cette chose qui se manifeste de façon différente mais
qui les empêchent ne serait ce que d'avoir une scolarité
ordinaire, de rentrer dans les cases par rapport à la population. C'est
un handicap social, ils ne sont pas déficients [...] Il y a plein de
parents qui me demandent ce que veut dire MDPH et qui me disent : mon enfant
n'est pas handicapé ! »
Toujours dans cette même logique, une
compatibilité est notable avec la définition du médecin
psychiatre.
« Il y a deux manières de le définir. Ca
veut dire souffrance d'un enfant par rapport à une difficulté
interne qui lui appartient ou souffrance de la société, du regard
de l'autre. J'ai des familles qui viennent me voir parce que la
société dit : tu n'es pas bien, tu es en dehors de la
société donc effectivement tu as un trouble du comportement parce
que tu ne t'intègres pas dans les normes sociales. Donc l'idée
c'est tu as un trouble du comportement il faut te réintégrer, que
tu rentres dans le rang des normes sociales et légales. C'est souvent
le trouble du comportement par la société pour lequel nous sommes
missionnés. On est vraiment dans le regard, une difficulté
d'adaptation par rapport à l'autre », Docteur Leloy.
Pour certains, « trouble du comportement » et
symptôme seraient indissociables.
« Pour moi c'est un symptôme, le symptôme de
quelque chose, une manifestation qui se joue par le corps et par l'agir pour
venir dire quelque chose du psychisme du sujet », Irène
(psychologue).
Pour d'autres, envisager une définition s'apparente au
registre de la supposition.
« Donner une définition c'est dur. Ce n'est pas la
question des cases, ce n'est pas clair pour moi dans ma tête. Donc le
paradoxe c'est plutôt ça, je travaille ici mais ce n'est pas
clair. Un trouble du comportement il va s'envisager pour la personne
elle-même et pour l'environnement autour, c'est-à-dire qu'à
la fois le jeune est troublé et il est troublant. Il y a cette double
lecture là. Il est troublé c'est-à-dire qu'il a une
souffrance, une difficulté d'adaptation au monde qui l'entoure, aux
contraintes, aux règles, aux autres personnes qu'il côtoie. Il va
donc être en difficulté pour vivre ses émotions, adapter
son comportement aussi aux situations telles que la société
l'exige et ça va créer des ruptures, des situations dites de
crise. Il ne va pas avoir les comportements qui vont lui permettre d'entrer
dans les acquisitions, sa socialisation, les apprentissages scolaires. Et donc
on va se retrouver avec un décalage progressif qui va apparaître
et du coup qui va troubler l'environnement
62
autour de lui, avec des phénomènes de rejet,
d'agressivité dans les deux sens. Pour moi ce sont des enfants, parce
que ça s'exprime relativement tôt, qui ont du mal à
intégrer les cadres et les limites que la société leur
pose, qui peuvent vivre avec un grand sentiment d'effraction à
l'intérieur d'eux même, la façon dont les autres vont leur
renvoyer des contraintes à leur volonté de faire ou d'être.
Ils vont se sentir contre carré dans un sentiment de puissance. Et donc
ils vont souvent passer, à défaut de pouvoir le verbaliser ou
l'internaliser psychiquement, ils vont passer par des actes comportementaux
parfois violents ou provocants ou d'opposition ou d'agressivité verbale
et/ou physique, ou qui vont passer des fois par l'inverse, des inhibitions
très fortes, des replis sur eux-mêmes. Voilà, des choses je
dirais qui sont un mode de réaction et d'adaptation à la
situation mais qui ne leur permettent pas de vivre en société et
en groupe ».
En termes de définition nous remarquons que deux
idéaux-types prévalent, l'un modelé par des
déterminants sociaux, l'autre modelé par des déterminants
psychopathologiques. Dans l'ensemble, nous pouvons nous questionner à
savoir si cette confusion entre malaise social et pathologie n'est pas
volontaire. « Le contrôle basé sur la manipulation de
définitions et d'étiquettes agit avec plus de douceur et à
moindre coût, et c'est celui que préfèrent les groupes de
statut supérieur »60.
2) Le « trouble du comportement » : une
défaillance parentale ?
De prime abord, rappelons que sur l'ensemble des adolescents
accueillis un grand nombre d'entre eux sont concernés par les
caractéristiques sociales évoquées dans la nomenclature du
ministère de la justice. Isabelle Coutant aborde quelques constats qui
me paraissent en lien avec certaines caractéristiques des ITEP. Elle
expose à son lecteur les propos qui lui ont été tenus par
des éducatrices spécialisées de l'unité. Celles-ci
disent ne pas voir de différence entre les jeunes accueillis en
psychiatrie et ceux accueillis en MECS61 qu'elles ont
accompagnées lors d'expériences professionnelles
antérieures. J'ai effectué ce même constat entre les jeunes
accueillis en MECS et ceux accueillis en SESSAD ITEP auprès desquels
j'ai travaillé. Il apparaît qu'une spécificité
commune « troublante » rassemble ces mineurs. L'accueil concernait
des adolescentes âgées de 12 ans à 18 ans pour lesquelles
un placement avait été ordonné par le juge des enfants en
raison de maltraitances et/ou de carences affectives et/ou éducatives
avérées. Au regard du « caractère traumatique »
des événements vécus par ces jeunes filles (inceste,
prostitution, violences physiques et/ou verbales, etc.) la maîtrise de
soi est parfois compliquée. A l'époque, travaillant dans une
structure d'hébergement, devant prendre en charge un groupe dans un
contexte de restriction budgétaire ou l'équipe professionnelle
est en sous effectif, les temps vacants
60 Howard Becker, Outsiders, Etudes de
sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985,
p.229.
61 Maison d'Enfant à Caractère
Social.
63
pour des entretiens individuels sont restreints.
Détaché de tout jugement ou plainte, il me semble
intéressant de souligner que certaines caractéristiques ne sont
pas favorables pour mener un accompagnement socio-éducatif au plus
proche des besoins de la personne accueillie. Ainsi, cet ensemble de facteurs
peut amener certains travailleurs sociaux à solliciter les
professionnels de la psychiatrie. A mon sens, cette orientation n'est pas
« la panacée », toutefois notons que les structures
intermédiaires manquent. Malheureusement, cette situation
génère un système cyclique provoquant un changement
régulier d'institutions pour certains jeunes. Soulignons que dans le
jargon professionnel courant du secteur social et médico-social, ces
enfants sont qualifiés comme des « incasables », ce
passage de relai dans la prise en charge est désigné comme «
le fonctionnement de la patate chaude ».
De plus, selon Isabelle Coutant, « l'écart par
rapport à des règles de conformité devient le
symptôme d'une maladie possible : tout ce qui est désordre,
indiscipline, agitation, caractère rétif peut désormais
être psychiatrisé »62 . En ce sens, elle
évoque la responsabilité implicite qui pèse sur les
parents des jeunes accueillis en psychiatrie. Certains de ces parents, comme
ceux des adolescents accueillis à l'ITEP se sont vus retirer leur enfant
au nom de l'article 375 du code civil. En effet, « si la santé,
la sécurité ou la moralité d'un mineur non
émancipé sont en danger, ou si les conditions de son
éducation ou de son développement physique, affectif,
intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance
éducative peuvent être ordonnées par justice...
»63. Pour ces derniers, la non-conformité aux
normes sociales dominantes peut être considérée comme
indéniable. D'après Isabelle Coutant, une «
stigmatisation intrafamiliale » précède le comportement
déviant. Cette réflexion met en évidence l'idée
d'un contrôle social exercé par le champ médical et d'une
« psychiatrisation de la déviance »64. De fait, il
apparaît qu'un doute pèse entre l'hypothèse d'une «
défaillance » parentale et celle d'un handicap « réel
». Malgré, la « nébuleuse » existante autour du
« trouble du comportement », certains professionnels supposent une
responsabilité parentale.
« C'est un fourre-tout le trouble du comportement. Pour
moi quand on dit trouble du comportement c'est aussi une manière de se
décharger, se dédouaner d'un travail peut être qu'on n'a
pas su faire en tant que parent. Certains parents disent ce n'est pas moi,
c'est neurologique c'est le trouble du comportement je ne peux rien y faire
», Roger (moniteur éducateur).
62 Isabelle Coutant, Troubles en psychiatrie, op.cit.,
p.11.
63 Article 375 du code civil.
64 Pour cette notion de psychiatrisation de la
déviance, I.Coutant s'appuie sur les travaux de Michel Foucault, Erving
Goffman et Robert Castel.
64
Dans cette recherche de responsable, de nouveau une
multitude de représentations est alimentée, laissant place aux
jugements. L'insertion sociale étant l'un des axes de travail majeur en
ITEP, j'ai choisi de questionner les professionnels à ce sujet afin de
savoir s'ils considèrent les adolescents accueillis comme
désinsérés.
« Une désinsertion sociale ? Oui. Ici on a
beaucoup de familles qui viennent de milieux défavorisés. C'est
des familles où il y a des problèmes de séparation, de
travail, avec des accompagnements judiciaires ou des enfants qui sont
placés parce qu'il y a des problèmes de violences, de carences
majeures, toutes les conséquences des familles qui sont un peu à
la marge de la société. Ici il y a beaucoup de choses qui sont
liées à des contextes sociaux et familiaux peu sécures
», Noah (psychologue).
Nous pouvons remarquer que les difficultés sociales
cumulées auxquelles sont confrontés les parents sont
perçues comme des freins à leurs compétences
éducatives portant atteinte notamment à la dimension
affective.
« Le trouble du comportement se greffe beaucoup à
des milieux socioculturels carencés mais ça ne veut pas dire
qu'il y a une relation de cause à effet. Peut être pour ces
enfants là, la question de l'orientation en ITEP est en lien avec le
milieu familial et que d'autres enfants peuvent rencontrer des
difficultés analogues mais avec un milieu familial différent. La
réponse d'établissement médico-social est peut être
une réponse liée aussi aux possibilités des familles.
D'ailleurs elles n'ont pas toujours demandé en tant que tel. Elles ont
plutôt subi le moment où les écoles on dit ce n'est plus
possible, il faut faire quelque chose cet enfant ne peut pas rester en classe
ordinaire il faut l'orienter ailleurs », Roger (moniteur
éducateur).
Comme nous avons pu le constater, un manque de structures
intermédiaires est présent. Le fait d'avoir recours à des
solutions alternatives n'est pas accessible à tous. A titre d'exemple,
les cours de soutien, une autre implantation territoriale du collège,
les activités extrascolaires, etc. représentent un coût
financier. Cette caractéristique représente une limite
considérable pour de nombreux parents. D'ailleurs, un certain
discrédit semble peser sur eux notamment en termes d'inactivité
professionnelle.
« Il y a beaucoup d'enfants qui ont des parents qui ne
travaillent pas et qui sont issus de parents qui n'ont jamais travaillé.
Comment on s'accroche à des valeurs et qu'est ce que ça renvoi
à ces enfants que nous accueillons. Qu'est ce que symbolise pour un
enfant aller à l'école, devoir faire des efforts si papa et maman
restent devant la télé toute la journée et que le RSA va
tomber. Pour ces parents ça doit être difficile de poser des
règles à ses enfants... Après à un moment
donné quant on créée des ghettos et qu'on regroupe
ensemble des gens qui sont sans revenu, sans finance, sans activité on
va favoriser ce type de comportement », Madame Romel (directrice).
A plusieurs occasions, j'ai remarqué que la
transmission de valeurs était remise en cause. Les parents semblent
perçus comme « le modèle à ne pas suivre ». De
manière sous-jacente, une certaine oisiveté abusive paraît
soupçonnée. En ce sens, un manque de stimulations de leur part
concernant leur enfant est parfois mentionné.
65
« Pour moi ils sont tous un peu en vase clos, ils se
connaissent tous. Quand tu étais au lycée tu connaissais rarement
les 300 élèves. Ils se connaissent tous depuis des années.
Et ils font toujours la même chose, quand ils sortent d'ici ils rentrent
chez eux, point. Il n'y a pas d'intégration dans un club de sport, un
centre social ou bien c'est très compliqué. Moi je trouve qu'il
n'y a pas trop d'intégration en dehors de l'ITEP », Aurélia
(éducatrice spécialisée).
Il apparaît qu'Aurélia considère que les
parents ne favorisent pas l'intégration sociale de leurs enfants en
raison de l'absence d'une inscription à une activité
extra-scolaire. Cette hypothèse semble partagée par
d'autres.
« Des fois il y a un obstacle dès le départ
alors qu'ils ne se sont pas renseignés. Des fois ils présentent
cela comme ci que c'était trop compliqué : c'est trop loin, c'est
trop cher. Et quand je leur demande, ça coûte combien ils me
répondent qu'ils ne savent pas. Des fois c'est très difficile
pour que l'enfant ait une activité juste pour lui et à
l'extérieur. Pour certains ce n'est pas envisageable que leur enfant
pratique une activité en dehors de leur regard », Samantha
(assistante sociale).
A mon sens, cette hypothèse est influencée par
le « discours psy » qui consiste à reconnaître ces
activités comme des lieux émancipateurs, d'affirmation de soi,
bénéfiques au « bon développement » du mineur.
Ce type de propos apparaît comme culpabilisant puisque cela revient
à dire que les parents ne prennent pas en considération les
besoins de leur enfant.
« Désinséré me paraît fort,
mal inséré me paraîtrait plus juste. C'est vachement
compliqué, il y en a qui sont dans leurs milieux familiaux, d'autres
dans un milieu de placement donc ils ont des modes d'insertion sociale qui sont
déjà particuliers. Etre en famille d'accueil, être en
foyer, ils ont tous plus ou moins des histoires avec des parcours chaotiques. A
part 1 ou 2, mais même quand ils ont leur famille ce n'est jamais si
simple que ça. Il y en a certains qui n'ont jamais de vacances, ils ne
font rien le week end, ils ne reçoivent personne à la maison, ils
n'ont pas d'activités culturelles, peu d'activités
extérieures, même sportives, ils sont généralement
dans des zones de la ville pas évidente, voilà il y a tout un tas
de choses aussi qui va avec. Donc ils ont une forme d'insertion sociale qui va
aussi avec leur milieu à ce moment là. Une fois sortie de l'ITEP
c'est pauvre, je parlerai d'une pauvreté des liens sociaux, une
pauvreté des liens familiaux », Manuel (orthophoniste).
Bien que le discours de Manuel insiste notamment sur un manque
de relations sociales et une absence de pratiques sportives et culturelles,
nous pouvons repérer une mise en perspective de causes
plurifactorielles. Il aborde certains déterminants familiaux mais
aussi sociaux et structurels qui permettent d'éviter l'invocation d'une
« défaillance parentale ». De plus, une autre croyance forte
au sein l'action sociale abonde dans le sens de la culpabilisation parentale,
celle du refus d'adhésion. Parfois, il arrive que des parents
n'adhèrent au suivi, rapidement ils peuvent se voir taxés de
nihilisme, perçus alors comme désintéressés du
« bien-être » de leur enfant. Comment pouvons-nous expliquer ce
« rejet » ? Quelles comparaisons peuvent être envisagées
avec les parents qui adhèrent ?
66
« Ceux qui n'adhèrent pas c'est la fuite ou la non
réponse. Tu poses un rendez-vous, t'essaies d'appeler on ne te
répond pas. Il y a toujours quelque chose qui fait qu'ils ne pourront
pas venir, soit une impossibilité ou une excuse. Parfois il y en a qui
sont grosses, tu te dis : ils osent me dire ça quand même ! Ils
savent qu'on sait qu'ils nous mentent mais non ils le font quand même et
au final c'est toi qui es plus gêné qu'eux. Après parfois
c'est tout ou rien. Les gens qui ne répondent pas à tes messages,
ne décrochent et ne viennent jamais et tu as ceux qui appellent de trop,
qui sont trop présents. On a des familles qui appellent tous les jours,
tous les jours et c'est ceux avec qui on a du mal à travailler quand
même. Avec eux c'est toujours oui mais on dirait qu'ils disent oui pour
faire plaisir mais que ça leur passe à des kilomètres.
Dans ceux qui n'adhèrent pas je dirai qu'il y a deux sortes de
personnes. Il y a ceux qui font semblant par une présence
très très régulière et ceux qui sont totalement
absents de ce qu'on peut proposer.
Ceux qui adhèrent c'est ceux qui sont toujours ouverts
quand on propose un rendez-vous, une visite à domicile. On le sent dans
notre approche avec eux quand on leur propose quelque chose. Tu vois quand
c'est du cinéma et qu'ils adhèrent par plaisir pour te faire
plaisir et puis non pas pour le bien être de leur gamin. Des parents qui
adhèrent ils viennent aux rendez-vous, ils vont revenir vers toi pour
redemander un rendez-vous parce qu'aucune date n'a été
reposée, qui te disent : non je ne peux pas là mais
n'hésiter pas à me reproposer une date. Ils sont plus ouverts au
dialogue. La plus grosse partie des gens qui n'adhèrent pas ce n'est pas
ceux qui sont trop présents. En général ça
dépend, parfois on travaille avec des parents qui adhèrent et des
fois non. Après ils ont peut être des bonnes raisons, la peur que
quelqu'un s'immisce dans leur famille, peut être aussi des familles qui
ont eu beaucoup d'antécédents avec les services sociaux, c'est
peut être des parents dont les enfants ont été
placés à un moment donné et qui ont peur, qui se sentent
avoir une épée d'Amoclès au dessus de la tête. Peut
être que ça n'est pas qu'ils ne veulent pas mais que ces
antécédents sont tellement un poids que ça les
empêchent. C'est compliqué pour ces familles là de refaire
confiance et de se laisser aller à dire des choses parce qu'ils ont
toujours en tête : si je suis sincère et que je dis les choses
qu'est ce qu'il va arriver après ? Donc on préfère fuir.
Des fois tu as des discours qui vont dans le sens de ce que les services
sociaux peuvent attendre. Certains sont habitués à ces contacts
là et ils savent comment tourner les choses et dans quel sens aller
».
Dans l'ensemble, il semble que les professionnels sont dans
l'attente que les parents soient fort investis dans le suivi mis en place.
Plusieurs membres de l'équipe remettent en cause l'intérêt
qu'ils portent aux interventions menées auprès de leur enfant. En
raison de l'enseignement spécialisé qui est dispensé, de
manière informelle il paraît requis que les parents soient
davantage vigilants aux aléas de la scolarité de leurs
adolescents. A mon sens, ce code non conventionnel influence le processus de
culpabilisation qui s'opère auprès de certaines familles ; soit
votre enfant est en difficulté mais êtes vous attentifs vous
parents ? En ce sens, des carences dites éducatives peuvent être
mentionnées par les professionnels qui accompagnent le jeune.
Dans cette logique suspicieuse d'une « défaillance
parentale », de nouveau le « discours psy » et notamment
psychanalytique paraissent à questionner. Les travaux de
Françoise Dolto, faisant suite à ceux des «
théoriciens de l'attachement » menés entre 1945-1980,
67
comme René Spitz, John Bowlby, etc. semble culpabiliser
la mère comme unique garante de l'état psychologique de son
enfant. Reconnue par ses homologues psychanalystes comme experte de la petite
enfance, elle promut « une nouvelle théorie étiologique
de la santé mentale, qui pose que l'établissement des liens
affectifs entre le nourrisson et la mère détermine la
santé mentale »65. Ensuite, nous arriverons aux
concepts vivement portés par cette dernière autour d'une
éducation non-directive qui plus tard controversés
participeront au mythe de « l'enfant roi ». A l'heure actuelle, nous
pouvons repérer dans le discours des thérapeutes la
présence des vestiges de cette réflexion présentant «
le refus de la satisfaction immédiate » et les « interdits
» comme des principes fondateurs de l'éducation.
« Il y a beaucoup de parents qui ne posent plus les
interdits, enfin pas de manière assez stricte. Je veux dire que c'est un
peu l'enfant roi, tout est possible. En tant qu'enfant nos désirs sont
facilement réalisables mais quand on grandit nos désirs sont plus
importants. Simplement pendant des années on n'a pas mis le non, donc
plus tu attends plus c'est compliqué parce qu'ils ont toujours
vécu dans le désir de la satisfaction immédiate, je
désire, je veux, donc j'ai », Docteur Leloy (médecin
psychiatre).
Selon Sandrine Garcia, ce type de discours correspond au
schème de l'absence de limites éducatives et de
l'insécurité affective souvent employés en psychanalyse,
« une telle formulation victimise l'enfant en recherche de
toute-puissance, tout en réaffirmant le caractère
pathogène des parents »66.
Notamment, les carences en « capital communicationnel
» font partie intégrante des difficultés
évoquées qui incomberaient aux parents.
« On va retrouver des enfants issus de milieux sociaux
peu porteurs ou en grande difficulté ; avec des familles un peu plus
carencées sur le plan social avec peu de vocabulaire où
très vite quand on ne sait pas mettre de mots ça explose ou
ça part en violences », Madame Romel (directrice).
Mentionnons une approche plus globale.
« Je sens que parler n'est pas vécu de la
même façon. Souvent ce sont des jeunes qui vont trouver que
ça parle trop, ils vont dire que je parle trop par exemple, que les
adultes ici parlent trop. Dès qu'on parle de quelque chose de l'ordre de
l'intime ça les met mal à l'aise, on sent que ça n'est pas
habituel de parler de soi de cette façon là ». J'interviens
en abordant l'adolescence comme une période de la vie pouvant favoriser
cette difficulté à parler de soi. A cela il me répond :
« C'est vrai mais ça n'est pas que ça. Les adolescents tu
vas avoir cette difficulté là en milieux familiaux, en groupe,
devant leurs pairs mais dans les situations duelles tu vas pouvoir retrouver
des complicités possibles quand tu commences à connaître le
jeune [...] Avant même de parler de ce que eux peuvent ressentir, la
première chose que ça fait c'est que ça vient
complètement contre carrer nos modes de relations habituels. Ce n'est
pas juste une question de codes sociaux au sens il vient dire
65 Sandrine Garcia, Mères sous influence :
de la cause des femmes à la cause des enfants, Paris, La
Découverte, 2011, p.214.
66 Ibid., p.286.
68
bonjour et merci, ce n'est pas juste une question des usages
je veux dire. C'est simplement une question des habitudes relationnelles dont
tu es imprégné dès ton plus jeune âge et qui font
que tu relationnes facilement avec l'un ou avec l'autre sans même te
poser de questions sur la façon dont tu t'adaptes, dont tu t'ajustes, ou
tu ne prends pas de façon persécutives un certain nombre de
remarques qui te sont faites. Ce sont des acquisitions éducatives,
scolaires mais pas seulement, c'est aussi social », Véronique
(monitrice éducatrice).
Dans les propos tenus par Véronique, nous pouvons
déceler un avis plus général prenant en
considération plusieurs composantes. Toutefois, certains mentionnent une
incapacité à verbaliser ses émotions voire une violence en
lien avec un mimétisme parental tant langagier que comportemental. En
toile de fond, ce type de discours nous renvoie au débat autour de la
reproduction sociale.
« Je dirais que d'un point de vue familial les parents
sont d'un milieu très populaire. Souvent ils sont
bénéficiaires de minimas sociaux, la famille est suivie par des
éducateurs d'AEMO67. Il y a un nombre de professionnels qui
est assez impressionnant dans l'accompagnement de ces familles, c'est parfois
aberrant. Des fois sur des familles il y a nous, l'AEMO, l'école, la
mairie, la PMI68 voire d'autres. Parfois t'as aussi le
référent social de la famille, du père ou de la
mère. Du coup il arrive qu'ils soient dans cette habitude... enfin
routine... souvent les parents nous disent : ah ben il est comme moi quand
j'étais plus jeune. Des fois on a l'impression qu'on fait tout le temps
la même chose et que le jeune qu'on a aujourd'hui ça sera son fils
qu'on aura dans quelques années », Aurélia
(éducatrice spécialisée).
En effet, a maintes reprises des professionnels proches de la
retraite m'ont raconté avoir connu les parents et les enfants, soit
certaines familles ayant été bénéficiaires de
l'action sociale sur plusieurs générations. Ce
phénomène interpelle ! Les agents du social doivent-ils
intervenir dans la sphère privée de ces familles ? Doit-on
considérer autrement certains déterminants structurels et les
perspectives d'actions adéquates ?
En définitive, à l'heure actuelle un type de
discours semble prédominer et qui revient à dire que «
même lorsque la demande de soin est d'origine familiale, elle est
très souvent induite ou dramatisée par les accidents de la
scolarité : pathologie scolaire et pathologie familiale sont le plus
souvent indissociables et s'entretiennent l'une et l'autre
»69.
67 Action Educative en Milieu Ouvert.
68 Protection Maternelle Infantile.
69 Robert Castel et Jean-François Le Cerf,
« Le phénomène « psy » et la société
française. Vers une nouvelle culture psychologique », Le
Débat, 1980/ n°1, p.42.
69
3) Le « trouble du comportement » : une
défaillance institutionnelle ?
Pour commencer, précisons qu'entre la sortie du
système scolaire ordinaire et l'intégration en ITEP il arrive que
l'adolescent ait fréquenté plusieurs établissements.
L'éventualité d'une « défaillance » des
institutions ayant accueilli le jeune semble à tester. Pendant son
enquête, Isabelle Coutant découvre que « le
caractère gérable ou ingérable » peut être
déterminant lors d'une hospitalisation, soit remet en cause
l'idée d'une admission en lien avec l'intensité des «
troubles ». Il apparaît qu'en ITEP la question se pose. Tout au long
de ma formation en travail social, j'ai pu entendre « ce jeune est un
incasable, il n'existe aucune institution spécialisée capable de
prendre en charge ses difficultés ». Nous pouvons constater que
grâce à sa nature polysémique, le « trouble du
comportement » est parfois mentionné en raison d'un manque de
réponses institutionnelles et sa prise en charge
déléguée à d'autres établissements. Au
regard de la législation en vigueur, en l'absence de déficience
intellectuelle les Instituts Médico-Educatifs ne peuvent être
sollicités tout comme les unités psychiatriques en l'absence de
psychose. Cependant, en lien avec le manque de structures intermédiaires
évoqué précédemment qui rejoint les constats
effectués par Isabelle Coutant, cette orientation peut difficilement
être appliquée. Nous pourrions dire qu'il s'agit d'un «
idéal » et que les « réalités de terrain
» sont en marge des préconisations faites par le
législateur. De fait, certains mineurs intègrent des
institutions spécialisées certes, mais non
spécialisées aux difficultés qu'ils rencontrent. Ayant un
profil qui ne correspond à aucune « institution de rattachement
» existante, quelle orientation envisager ? Force est de constater que les
unités psychiatriques et les ITEP sont les premiers
établissements sollicités pour pallier à ce manque. En ce
sens, un extrait du projet d'établissement retiendra notre attention.
« Là où différents suivis juxtaposés
s'avèrent insuffisants, les ITEP tirent leurs spécificité
d'une conjugaison au sein de la même équipe institutionnelle, des
interventions thérapeutiques, éducatives, pédagogiques
dans une perspective soignante d'ensemble ». En toile de fond, la
mobilisation d'un tel « plateau technique » constitue le dernier
recours70 existant pour ces jeunes dits incasables.
De plus, malgré cette conjugaison de savoirs issus de
disciplines variées, une cohérence d'ensemble parfois floue
induit une difficulté de compréhension dans les interventions
menées tant pour les familles que pour les professionnels. Bien que les
familles connaissent le « projet personnalisé d'accompagnement
» de leur enfant et les
70 Notons que d'autres institutions pour adolescents
existent mais celles-ci relèvent de la Protection Judiciaire de la
Jeunesse.
70
71
professionnels intervenants, il arrive qu'il soit difficile
pour eux de comprendre les liens entre les actions menées par l'un et
celles menées par l'autre. Du côté des professionnels, la
pluridisciplinarité n'est pas toujours évidente à mettre
en place. Selon eux « on en est encore aux balbutiements de savoir comment
travailler avec des jeunes qui nous mettent autant en difficulté »
(Lucile, psychomotricienne). Certains évoquent un manque de
référence et d'outils pour travailler, soit de connaissances pour
prendre en charge le « trouble du comportement » par rapport à
d'autres pathologies. Lors de conversations informelles avec les professionnels
en salle du personnel, souvent la mise en pensée en réunion, la
sollicitation de la réflexion de chacun, la mobilisation des ressources
mutuelles sont définis comme des points forts du travail d'équipe
à l'interne. Toutefois, certains me disent regretter que ceux-ci ne
donnent pas toujours suite à une mise en place d'actions
concrètes, de construction de projets. Cette collaboration n'est parfois
pas évidente, les professionnels mentionnent un manque de temps. A titre
d'exemple, bien que l'orthophoniste travaille sur l'acquisition du langage
écrit il travaille peu avec l'enseignante alors que beaucoup des jeunes
accueillis ne savent ni lire ni écrire. Il apparaît que la
multiplicité des problématiques auxquelles ils sont
confrontés, amène les professionnels à travailler parfois
dans l'urgence. D'un point de vue pratique, l'inadaptation des locaux est aussi
évoquée. L'ITEP est intégré dans une ancienne
maison de ville construite sur plusieurs étages, séparée
en deux bâtiments ; l'équipe thérapeutique se situe d'un
côté et l'équipe éducative et pédagogique de
l'autre. Pour éclairer ce propos, précisons que les salles de
classes et de groupes éducatifs sont des pièces d'environ 15m2,
soit des chambres. A ce titre, « la moindre explosion de comportement
produit un effet de contamination vers les autres jeunes dans les autres
pièces »71. Les locaux semblent perçus comme
influençant et renforçant les difficultés de comportement.
Notamment, les professionnels considèrent que cette
caractéristique ne favorise pas la pluridisciplinarité et que la
distance spatiale est un frein à la mise en place d'activités
communes. Nous pouvons constater que la pluridisciplinarité
représente la spécificité des ITEP. En revanche, l'arsenal
des professions qui est déployé dans ces institutions est-il le
témoin de la volonté des politiques publiques à
résorber le dit problème social pour lequel des actions ont
été programmées ? Bien que les travailleurs sociaux
mènent un travail de proximité auprès de ces jeunes et
qu'ils disposent des informations nécessaires pour identifier les
besoins de ces derniers, Loïc Aubrée déplore une faible
participation des associations au sein des organes décisionnels.
71 Issu du projet d'établissement.
Maintenant, revenons à la mention «
caractère ingérable » qui est à l'origine d'une
certaine usure professionnelle. Nombreux sont les enfants accueillis
à l'ITEP qui ont été exclus d'autres institutions. Lors de
ces renvois, la raison disciplinaire et la notion de danger s'avèrent
souvent évoquées. Force est de constater que «
déborder du cadre » semble être une caractéristique du
« trouble du comportement ». Monsieur Blichot (chef de service), m'a
confié interpréter l'agressivité et la violence
employées par certains adolescents comme une manifestation du
symptôme, vision partagée par la majorité des membres de
l'équipe pluridisciplinaire.
« Le symptôme c'est par rapport à la
frustration, les limites et les contenances. C'est des gamins qui n'ont pas de
limites... Il y a des choses qui doivent être interrogées,
lorsqu'il y a des agressions physiques ou verbales il y a quelque chose
à comprendre par rapport à une histoire, par rapport à un
passé. S'ils viennent ici, c'est parce qu'ils ont ces passages à
l'acte. On met une limite par rapport à une contenance, on met la loi...
Ce n'est pas parce qu'ils souffrent que tout doit être permis [...]
L'école est un lieu de frustrations, il y a des règles à
respecter », Noah (psychologue).
Nous pouvons remarquer que certaines attitudes non
conventionnelles des adolescents accueillis questionnent les professionnels
comme « en quête de sens ».
« Etre en ITEP je pense que ça fait beaucoup
bouger le curseur. Ca ne veut pas dire que mes valeurs je ne les ai plus, mais
c'est terrible en même temps ce n'est pas une banalisation mais on est
tellement habitués à voir des choses, ce n'est pas hors normes
mais on a une concentration de gamins qui ne sont pas simples », Samantha
(assistante sociale).
L'idée d'un « curseur mobile » est souvent
reprise par les professionnels travaillant en ITEP. Cette expression revient
à dire qu'il faut être préparé aux aléas
éventuels pouvant survenir dans l'accompagnement. La violence physique
et/ou verbale demeure l'élément le plus invoqué comme
difficile à supporter. Pour preuve, dans le projet
d'établissement il est noté que « la violence, ou ce qui
peut se vivre comme tel est un facteur incontournable des ITEP. Cette
particularité est inhérente au public accueilli ». En ce
sens, après plusieurs incidents en 2012, à la demande des
professionnels une formation a été dispensée à
l'interne sur la violence visant une réflexion collective autour des
réponses et des moyens à mettre en oeuvre. A mon sens, nous ne
pouvons considérer ces « passages à l'acte » violents
sans prendre en considération la réaction qu'ils suscitent
puisqu'ils impactent directement la relation et le travail fournit.
« C'est une règle qu'on a posé ensemble.
Agression physique égale exclusion temporaire. A partir de la ça
implique forcément une réflexion, que l'institution
réfléchisse à qu'est ce qui a amené cette violence,
qu'il y ait une réflexion des deux côtés, ça
implique le jeune et sa famille à réfléchir ainsi que
l'équipe quitte à modifier la dynamique institutionnelle parce
qu'on a des mauvaises attitudes qui entrainent le passage à l'acte
», Docteur Leloy (médecin psychiatre).
A la formation évoquée ci-dessus ont
été associés des groupes de travail, soit des
procédures en réponse à cette violence se construisent.
Cet ensemble de mobilisations
72
dénote d'une volonté des professionnels à
comprendre cette violence, n'hésitant pas à revisiter leurs
pratiques. La dynamique institutionnelle est mouvante, les modalités de
fonctionnement ne sont pas figées ; face à un « trouble du
comportement » encore délicat à définir les
professionnels expérimentent la cohérence et la justesse de leurs
interventions.
« Il y a vraiment quelque chose en lien avec la question
du corps, la question du défi. Ils viennent te défier quand ils
se sentent ou menacé ou mis en cause. Tu sens qu'à un moment
donné c'est une situation ou j'ai besoin de réaffirmer que je
suis quelqu'un de fort, que je ne suis pas faible, que je ne perds pas la face,
etc. Au niveau du rapport physique il y en a certain c'est un contact où
ils sont plus dans une recherche tactile qu'une atteinte physique. On est dans
le domaine du jeu physique donc il va t'attraper par les épaules, il va
te sauter dessus par l'arrière, il va t'attraper la tête.
Après il y en a beaucoup ou l'on est dans la question du défi, de
la réaction de prestance pour pouvoir montrer qu'ils ne se laissent pas
faire, qu'il a une certaine présence vis-à-vis de toi »,
Georgio (moniteur éducateur).
Le discours tenu par Georgio semble en lien avec notre
hypothèse évoquée précédemment autour des
différences entre filles et garçons intrinsèques à
l'éducation. La question du défi qu'il mentionne est en
corrélation avec l'idée d'une affirmation de soi passant par la
valorisation de la force développée par Sylvie Cromer.
Précisons que les dits troubles du comportement des jeunes filles
accueillies ne se manifestent pas de cette façon.
« Et tu as quelque chose d'un peu étrange, un
côté de restauration de soi à chaque fois comme ci
c'était une façon pour lui de se réassurer dans une
dynamique de rapport de force que toi tu n'as pas l'impression de
générer. Ils interprètent tout de façon un peu
abrupte, un regard, un mot, une attitude, ils sont souvent dans
l'interprétation erronée. Souvent ils disent : ça m'a pas
plu, j'ai pas aimé. Il y a quand même un côté
très défensif. Parfois tu n'as rien dis, tu es juste
passé, ils te voient de loin et aussitôt ils t'envoient une
insulte. Qu'est ce que tu as généré, provoqué en
eux j'en ai aucune idée, en rapport avec quoi, ce que tu es, ce que tu
as fait ou pas fait. Bref il y a des choses comme ça, des fois pas du
tout, c'est très variable. Il y a beaucoup de choses qui se jouent que
tu n'arrives pas toujours à décrypter. C'est comme ci que pour
eux ça n'est pas violent, la dimension des mots ça n'est pas
agressant : je ne l'ai pas agressé, je ne l'ai pas tapé. Tu as
l'impression que c'est un mode de relation usuel et habituel pour eux ».
Aurélia, (monitrice éducatrice).
Au regard des événements intrafamiliaux
complexes vécus par un grand nombre d'entre eux, l'idée d'une
certaine méfiance à l'égard de l'autre, soit d'un rapport
défensif voire défiant dans les relations sociales ne semble pas
curieux. Selon certains professionnels, attaquer l'autre est une technique pour
tester ses limites, motivée par une volonté implicite de tester
les limites de la relation. En aparté, soulignons que cette
hypothèse est influencée par le discours psychanalytique en lien
avec la théorie du « syndrome abandonnique ». Celle-ci est une
description des comportements qui seraient usités par les enfants vivant
une rupture familiale et notamment une mesure de placement. De nouveau, nous
pouvons constater que la psychologisation des comportements semble standardiser
ces derniers.
73
Dans l'ensemble, les difficultés occasionnées
par la violence sont connues des professionnels ; « la
répétition incessante de ces modes d'expression peut
générer un état d'usure chez les équipes, notamment
celles qui travaillent en collectif. L'institution elle-même pourrait y
perdre les repères de son cadre d'intervention
»72.
Une autre difficulté rencontrée par les
professionnels semble être une entrave aux interventions menées,
celle d'une combinaison de difficultés sociales qui s'enchevêtrent
à laquelle ils peuvent difficilement faire face. Le « focus »
est mis sur les enfants mais parallèlement les parents sont en grande
précarité. En ce sens, notons que les partenariats entre les
professionnels des ITEP et ceux des services accompagnant les parents
manquent.
« Je pense qu'il y a de plus en plus de personnes ayant
des difficultés sociales mais globales...familiales, on est beaucoup
dans ces problématiques là. Je pense qu'il y a beaucoup de
précarité, qu'on peut parler de nouveaux pauvres, il y a
plusieurs précarités. Par exemple, forcément si tu
rencontres une précarité financière elle a des
répercussions sur ta vie familiale. Je pense que c'est une combinaison
de problèmes sociaux, un engrenage. Par exemple, un jeune qui a toujours
vécu dans cette précarité, qui connaît que ça
dont les frères et soeurs connaissent déjà ce souci
là où les parents ont déjà été dans
ces difficultés eh bien là on a la génération des
enfants. Du coup le souci devient de plus en plus complexe et difficile
à résoudre. Je pense qu'il y a une certaine reproduction sociale.
C'est dommage mais peut être que dans 10 ans ces familles là leurs
enfants seront aussi des enfants d'ITEP, si c'est le cas c'est malheureux. Sur
un nombre déterminé d'enfants qu'on accueille il y en a peu qui
s'en sortent. Pour moi parfois c'est de génération en
génération. Peut être qu'à une époque quand
ça a commencé il n'y avait pas les structures adéquates
qui pouvaient aider ces gamins là qui sont devenus adultes et qui ont eu
des enfants. On s'améliore tous les jours forcément, mais peut
être qu'x années en arrière il n'y avait pas ces structures
là et que voilà c'est devenu une normalité au sein de
leur famille », Anne-Lise (secrétaire).
En parallèle à la notion de reproduction
sociale, nous pouvons repérer une idée d'usages et d'habitudes
propres, soit de dispositions sociales qui seraient
intériorisées. Au sein de l'ITEP, certains professionnels se
questionnent sur les différences entre les attentes de la famille et
celles de l'institution. Selon Isabelle Coutant, le trouble est comme
« un décalage entre la socialisation proprement
juvénile, les valeurs portées par l'école et les valeurs
familiales »73. Cette idée me semble pertinente
puisqu'elle met en évidence une notion de discordance entre les
différents cercles d'appartenance du jeune. Lors d'un entretien, Anthony
(moniteur éducateur) me fait part de son raisonnement à ce
sujet.
« Ils sont ballotés dans un endroit où l'on
demande beaucoup de cadre et quand ils rentrent ils se retrouvent dans un
endroit où il n'y en a quasiment pas. Je pense que pour eux ça ne
doit pas être évident ».
72 Issu du projet d'établissement.
73 Isabelle Coutant, op.cit, p.145.
74
Il apparaît que les jeunes accueillis soient
tiraillés par des attentes de l'adulte qui parfois divergent. Prendre en
compte cette caractéristique dans l'accompagnement nécessite une
lecture fine des usages familiaux qui semble utopiste puisque seule
l'assistante sociale intervient au domicile.
Dans l'ensemble des difficultés évoquées,
la non-application du cadre légal dans certaines situations contribue
à cette « usure professionnelle ». Le manque de partenariat
avec l'Education Nationale en est une première manifestation. Chaque
année les jeunes devraient avoir un Projet Personnalisé de
Scolarisation (cf. annexe n°3) ce qui n'est pas le cas. Certains
professionnels m'ont dit être à l'ITEP depuis plusieurs
années et n'en avoir jamais vu. Notamment, les professionnels
mentionnent que lorsqu'il y a des « inclusions en collège ordinaire
», le plus souvent elles ont lieu dans le secteur de l'ITEP. Ce
fonctionnement n'est pas conforme aux politiques de cartes scolaires puisque
l'orientation doit se faire dans un collège du secteur de domiciliation
de l'enfant. Nous pouvons constater que le retour en établissement
scolaire classique n'est pas facilité lorsque l'enfant est
scolarisé en spécialisé. En somme, sortir
d'institution spécialisée relève du « parcours du
combattant ». De surcroît les jeunes accueillis en ITEP doivent
bénéficier d'une référente scolaire au regard des
difficultés qu'ils rencontrent. D'après les professionnels,
celles-ci ne viennent jamais.
« On ne mène pas de travail avec le
référent scolaire. Normalement on doit en avoir un pour chaque
jeune. C'est ça qui est dommage ! L'idéal pour moi ça
serait qu'un éducateur puisse accompagner le jeune dans son milieu
scolaire d'origine pour travailler son retour. A chaque fois que ça a
pu se faire ça a fonctionné. Ca on devrait le faire ça
serait vraiment bien ! Mais question de temps et de moyens...Dans leur esprit
c'est l'école qui ne veut plus de lui, du coup il a moins confiance en
lui, on entend souvent : de toute façon je suis nul, j'ai
arrêté l'école, je suis dans une école de mongole,
je ne vais rien faire de ma vie ! Après c'est comme ça qu'on
commence l'engrenage, la spirale des échecs ». J'interviens en lui
demandant : tu penses qu'après ils se persuadent qu'ils sont comme
ça ? A cela il me répond : « Ah mais tout à fait !
C'est clair et net. Je vais te donner un exemple. Tous les jeunes quand ils
arrivent au début, qu'ils viennent en pré-admission ils nous
disent : mais quand même tu as vu ce qu'il a fait... il a insulté
il a été loin... il passe par le toit c'est bizarre. Pis quelques
mois après ils font exactement la même chose. Moi je suis
persuadé qu'ils sont très perméables à ce qui les
entoure. Si autour d'eux c'est la violence et les insultes c'est clair et net
qu'ils font la même chose. Après ils peuvent même aller plus
loin, il y a l'effet de groupe, la position des jeunes, le comportement, il y a
plein de trucs qui jouent », Véronique (monitrice
éducatrice).
Le changement du jeune après la pré-admission
nous renvoie à l'idée d'adaptation à une sous-culture
déviante développée par Howard Becker, soit « le
vocabulaire dans lequel la personne exprime ses motivations déviantes
révèle qu'elle les a acquises au cours des interactions avec
d'autres déviants. En bref, les individus apprennent à participer
à une
75
sous-culture organisée autour d'une activité
déviante particulière »74. Pouvons-nous
envisager la manifestation des dits troubles du comportement comme les
prémices d'une sous-culture déviante ? Entre violence,
désengagement scolaire, etc. le doute semble peser. Toutefois, en lien
avec le constat effectué par Véronique et d'autres abordés
précédemment, une force coercitive indéniable semble
s'exercer sur les jeunes accueillis influençant leurs comportements.
Enfin, malgré l'existence d'une certaine «
désinsertion scolaire », une volonté des professionnels est
notable à ne pas sortir totalement le jeune des institutions classiques,
le maintien voire l'accès progressif à une école ordinaire
en constitue le nerf de la guerre. Notamment, soulignons que les professionnels
ne peuvent échapper aux significations symboliques négatives que
renvoie à ces jeunes le désengagement de l'Education
Nationale.
« Il y a un bon nombre de jeunes qui nous disent : de
toute façon vous ne pouvez rien faire, je ne peux rien faire, je suis
foncièrement mauvais, on me l'a tout le temps dit. Et le jeune fini par
intégrer qu'il est quelqu'un qui n'a pas de capacités, quelqu'un
qui n'a pas de compétences », Monsieur Blichot (chef de
service).
« L'école n'est pas prête. Un enfant qui ne
rentre pas dans les clous au niveau du comportement c'est un enfant qui ne veut
pas, donc, dont on ne veut pas. Sur tous les comptes rendus des écoles
je lis la phrase : se met en danger et met en danger les autres. Je crois que
je n'ai jamais lu un dossier d'une école qui ne note pas ça ! On
a l'impression que la messe est dite, tout est dit. On n'en veut plus donc
faites quelque chose donc il faut du spécialisé », Madame
Romel (directrice).
Une deuxième manifestation de ce manquement à la
législation en vigueur est la durée de prise en charge qui n'est
pas respectée.
« On a fait une formation à l'AIRE et ils disent
que la prise en charge en ITEP c'est 3, 4 ans maximum pas plus pas moins...
Nous dans beaucoup de cas c'est des jeunes qui sont arrivés à 6
ans et qui partent à 16 ans. C'est quasiment 10 ans donc
déjà il y a un problème », Nacer (moniteur
éducateur).
Dans les textes officiels, la durée de prise en charge
est opposée à la « réalité de terrain ».
D'ailleurs, lors des rencontres professionnelles organisées par l'AIRE,
ce constat est soulevé par de nombreux établissements qui eux
aussi prolongent leurs accompagnements. Ces derniers semblent contraints de
procéder ainsi puisque de nouveau le manque de structures
intermédiaires conditionne leurs possibilités d'action.
Au regard des constats évoqués, nous pourrions
parler d'un « lâcher-prise » de certaines institutions et
notamment du système éducatif « ordinaire ». Selon
Monsieur Blanchot
74 Howard Becker, Outsiders,
Etudes de sociologie de la déviance, Métailié, Paris,
1985, p.53-54.
76
(chef de service) l'ITEP est pris dans une forme d'entre soi.
Il m'explique qu'il tente au maximum de faire connaître
l'établissement aux partenaires. Il me dit remarquer que l'Education
Nationale oriente les jeunes vers les ITEP mais que les équipes
pédagogiques connaissent mal leurs missions. Pour pallier à cette
mauvaise connaissance des ITEP par les professionnels extérieurs,
l'enseignante à raison de deux heures par semaine intervient au
collège d'un des enfants accueillis. Sa venue concerne du soutien
scolaire mais elle rencontre aussi les enseignants et leur explique certaines
modalités de fonctionnement. Notamment, il estime qu'il serait
intéressant que les professionnels d'ITEP interviennent en centre de
formation pour travailleurs sociaux afin de sensibiliser les futurs
professionnels aux problématiques de ces institutions.
En complément des spécificités
abordées qui contribuent à l'entre-soi mentionné par
Monsieur Blichot, l'usure professionnelle ressentie par certains
salariés est alimentée de manière plus prononcée
par « le côté troublant » des jeunes accueillis. Pendant
un entretien, de façon rétrospective Manuel (orthophoniste)
évoque avec moi les limites qu'il rencontre au quotidien.
« Ca provoque aussi en moi des choses, je vois bien les
moments où tu te sens toi-même agressé, tu te sens
toi-même mis en difficulté ou renvoyé à un sentiment
d'impuissance. Avec ces jeunes là, ça c'est fort. Et quand t'es
là à titre professionnel et que tu vis de l'impuissance à
gogo, pour moi ça enclenche un sentiment d'incompétence. Qu'est
ce que ça veut dire faire ton travail avec des jeunes qui te donnent
l'impression en permanence que tu n'arrives à pas grand-chose
finalement. Donc du coup, au moment où tu les rencontres et que tu te
rends compte que c'est compliqué, c'est difficile. Ils provoquent en toi
des réactions pas toujours positives, c'est vachement dur. Ce que je
veux dire par là, c'est que ce que je sens dans l'usure des
professionnels que ça soit moi ou d'autres, je sens quand même que
ça vient se nourrir de ce sentiment d'impuissance et de
répétition qui vient du coup à un moment donné
nourrir la sensation d'inutilité. Comme dans un moulin, tu tournes en
rond et au final ce que tu fais ne produit pas grand-chose et c'est ça
que j'entends par sentiment d'incompétence. Il y a difficilement cette
possibilité d'un retour, d'une reconnaissance dans ton travail, on ne la
recherche pas tous, on n'a pas tous les mêmes besoins mais je sens que
c'est présent chez beaucoup et qu'à un moment donné tu te
dis j'en ai marre, il y a tout le temps des interruptions, des ruptures, des
cassures où tu as l'impression que tu recommences à zéro,
cette sensation que rien n'est acquis, tu fais un pas en avant puis deux en
arrière ».
Nous pourrions nous demander tout bêtement,
au-delà de l'aspect économique, pourquoi malgré des
conditions de travail complexes comme celles en ITEP les professionnels
s'obstinent ? Dans un souci de continuité de réflexion, je
questionne Manuel à ce sujet.
« Ca me fait toujours rire, une fois on m'a dit : faite
appel à votre bon sens ! Mais mon bon sens il me dit de me tirer ! Il me
dit : ne reste pas ici, ici je passe mon temps à me faire insulter. Une
fois il y a un jeune qui a tout envoyé valser dans mon bureau et j'ai
fini par lui courir après. Et là je vois la directrice qui me dit
: ah c'est dur d'être confronté à ses limites ! Je lui ai
dit, mais je ne suis pas
77
confronté à mes limites, je suis hors limites
parce que dans la vie ordinaire un jeune qui me parle comme ça ce n'est
pas quelque chose que j'aurai accepté ». Quand je lui demande
pourquoi il reste malgré cela, il me répond : « C'est une
dimension personnelle, à savoir ce qui vient prendre sens en travaillant
ici. J'aime bien comment ça vient m'ébranler à certains
moments. Non parce que j'aime être ébranlé en tant que tel
mais parce que ça m'amène à bouger, à
évoluer, à changer des habitudes. Ca me fait quitter des postures
en fait. Je pense que cet ensemble vient compenser la difficulté dans
laquelle ils me mettent parfois ».
L'impossibilité à pouvoir anticiper certaines
situations semble renvoyer aux professionnels un sentiment d'impuissance et
d'incompétence. Il apparaît que les membres de l'équipe
pluridisciplinaire sont fréquemment poussés dans leurs «
derniers retranchements ». A titre d'exemple, la majorité des
professionnels du champ thérapeutique estiment aller au-delà de
leurs missions par rapport à une dimension éducative. Par rapport
à un poste qu'ils pourraient avoir dans une autre institution, ils
semblent ne pas être dans la même posture vis-à-vis du
public. A l'ITEP, les professionnels du soin peuvent difficilement se cantonner
au cadre des entretiens individuels qu'ils mènent avec les jeunes.
Globalement, la notion de posture en perpétuellement mouvement
mentionnée par Manuel apparaît être un élément
de réponse à la question ci-dessus. Rappelons que les ITEP sont
des institutions récentes où à l'interne les
professionnels bénéficient d'une certaine marge de manoeuvre
puisque les modalités de fonctionnement sont encore en cours de
construction.
Pour terminer notre propos, mettons en lumière une
notion « d'orthopédie sociale »75 sous-jacente au
travail mené en ITEP.
Premièrement, nous prendrons en exemple le
référentiel de compétences de la formation
d'éducateur spécialisé comme illustration. Dans le domaine
de compétence n°1 intitulé « accompagnement social et
éducatif spécialisé » qui doit être
validé pour l'obtention du diplôme, figure différents items
comme : « savoir se positionner auprès de la personne aidée
comme adulte de référence », « savoir favoriser
l'apprentissage des règles de vie collective », « savoir
expliciter les normes et les usages sociaux », etc. Les compétences
à développer semblent mises au service d'une transformation de
l'individu. Les maîtres mots sont règles, normes et usages. Dans
le langage professionnel, les éducateurs spécialisés
appelés parfois « tuteurs de référence »,
semblent guider vers la conduite socialement requise.
« Tu es salarié par rapport à des missions
sociales et politiques. De base l'éducateur est là pour que la
personne soit rééduquée, qu'elle rentre dans les normes
sociales. Clairement la mission de l'éducateur telle que moi je la
perçois et de faire en sorte que l'ordre social soit
préservé. Et c'est les missions ici, les enfants sont
déviants, faite qu'ils rentrent dans la normalité. C'est
l'idée des
75 Terme emprunté à Emile Durkheim.
78
sauvageons qu'il faut rééduquer, on est dans ce
cadre là et c'est pourquoi nous sommes payés ». J'interviens
en lui demandant s'il pense que l'argent investi dans ce secteur n'a pas comme
unique but le maintien d'une paix sociale ? A cela il me répond : «
Mais bien sur que c'est pour maintenir une paix sociale et ça a toujours
été. C'est le principe du pain et des jeux. Dans la civilisation
romaine on distribuait du pain tous les jours et on leur fournissait des jeux
pour qu'ils puissent s'occuper. On paie du pain et on donne des jeux pour que
les gens ne bougent pas, éviter la révolte, on rentre dans une
cohésion sociale », Docteur Leloy (médecin psychiatre).
79
Conclusion
Tout au long de ma démarche compréhensive, j'ai
effectué de nombreux liens avec les constats mis en exergue par Isabelle
Coutant. Il apparaît que les « troubles du comportement » des
jeunes accueillis en psychiatrie ne soient pas diamétralement
opposés à ceux des jeunes accueillis en ITEP. Bien que les
profils de ces mineurs soient hétérogènes, de nombreuses
caractéristiques semblent se faire écho, notamment celle du
« déshéritage ». Les difficultés cumulées
auxquelles sont confrontés les parents et qui ponctuent le quotidien de
ces jeunes ne peuvent être éludées dans la prise en compte
des facteurs influençant la manifestation dudit trouble du comportement.
D'ailleurs, « pour comprendre la différence, ce n'est pas le
différent qu'il convient de regarder, mais bien l'ordinaire
»76.
Nous pouvons nous interroger à savoir quels enjeux ont
motivé la création des ITEP ? Servent-ils à «
désenclaver » le secteur de la psychiatrie ? Sont-ils des «
établissements ressources » venant combler le désengagement
de certaines institutions ? Au regard des constats effectués, nous
pourrions définir les ITEP comme la « terre d'accueil des
incasables ». Les conduites adoptées par ces jeunes,
majoritairement de sexe masculin, semblent osciller entre écart et
transgression à la norme. Les interventions parentales genrées
que nous avons mentionnées et qui reviennent à enseigner
davantage l'incorporation et le respect des normes aux filles semblent
constituer un élément de réponse à cette dominante
masculine. Il apparaît qu'un lien entre mission de prévention
ainsi que mission de contrôle et de répression des comportements
déviants est notable. Comme nous avons pu remarquer, la violence semble
être la « bête noire » de ces établissements. En
ce sens, nous pouvons envisager les ITEP comme des institutions au service
d'une « politique de réduction des risques » visant à
prévenir les comportements délictueux.
Notamment, être accueilli en ITEP suppose une
acceptation de ses difficultés. Rappelons que l'acceptation de la
difficulté constitue une forme de modélisation du regard de
l'Autre sur sa condition, soit s'apparente à un interventionnisme
coercitif venant renforcer l'appropriation du stigmate chez l'individu. Dans le
champ de l'action sociale, qu'il s'agisse du pôle thérapeutique,
éducatif ou pédagogique, les professionnels semblent
missionnés pour corriger la non-conformité des comportements des
adolescents accueillis
76 Erving Goffman, Stigmate : les usages sociaux
des handicaps, op. cit., p.150.
80
par rapport à une demande des institutions et tout
particulièrement de l'école et de la justice.
« J'ai l'impression que l'on demande au public de
s'adapter au fonctionnement de nos institutions. Peut être que je me
trompe mais les institutions ont été mises en place pour
s'adapter aux problématiques de ces personnes », Georgio (moniteur
éducateur).
Selon Alain Ehrenberg, « il faut donc arrêter
de penser la souffrance psychique et la santé mentale comme une
expérience intérieure, car ce sont les règles de conduite
qui ont changé et les attentes qui se sont transformées
»77. A ce titre, nous pouvons mentionner
l'émergence de la psychologie comme ayant servi de support à ces
transformations. Robert Castel évoque l'idée une psychologisation
des rapports sociaux qui participerait à la fabrication de nos
représentations du monde social. En lien avec ce
phénomène, il déplore l'existence d'un jugement sur les
résultats et la personnalité de l'individu qui viendrait
renforcer le moralisme. Cette logique est connexe à celle de la
méritocratie que nous avons évoquée au sein de notre
analyse. Selon lui, « la psychologie n'est jamais qu'une
prothèse greffée sur un corps institutionnel malade. Dans le
meilleur des cas, elle récupère les déchets du
système éducatif et parvient à les recycler sur place.
Dans le pire, elle les élimine en leur ménageant une existence de
seconde zone dans ces espaces de ségrégation que sont les
institutions spéciales. Faudra-t-il donc que la majorité devienne
déviante pour que l'on consente à réévaluer les
critères qui définissent l'anormalité ?
»78. Il préconise une psychologie au service de la
promotion des différences pour réduire les stigmatisations, soit
combattre l'émergence de catégories d'anormaux.
Par ailleurs, au regard du manque de dispositifs
pédagogiques alternatifs, nous pouvons nous questionner quant aux
trajectoires professionnelles qui seront empruntées par les jeunes au
sortir de l'ITEP. Les représentations sociales qui se sont construites
autour du « trouble du comportement » laissent peu de place à
l'élaboration d'un maillage partenarial. De fait, nous pouvons parler
d'un entre-soi subi aux conséquences notables. Les missions des «
professionnels de terrain » se voient revisitées en lien avec ce
manque de relai qui contribue à l'apparition de difficultés
parallèles qu'ils ne peuvent éluder dans leurs interventions
quotidiennes. Cette limite dans l'accompagnement suppose un réajustement
permanent de leurs axes de travail ce qui rallonge les durées de prise
en charge. En somme, la multiplicité des difficultés auxquelles
ils doivent répondre peut facilement être une entrave à la
qualité de leurs pratiques en raison d'une « polyvalence
77 Alain Ehrenberg, « les changements de la
relation normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de
la santé mentale », Esprits, 2004, p.156.
78 Robert Castel et Jean-François Le Cerf,
« Le phénomène « psy » et la société
française. Vers une nouvelle culture psychologique », Le
Débat, 1980/1 n°1, p.43.
81
extrême » qui s'apparente à une injonction
dissimulée des autorités publiques. Notamment, nous pouvons
repérer le début d'une médiatisation79 autour
du fonctionnement des ITEP qui semble signer les prémices d'une
dévalorisation et d'une stigmatisation de ces institutions.
Parallèlement, l'institutionnalisation croissante dans
le champ de l'action sociale et l'émergence de la logique
managériale portent à débat dans le discours public. Cette
dynamique actuelle réduit la marge de manoeuvre accordée aux
travailleurs sociaux et participe au délitement de leur culture
professionnelle. « Acteurs de première ligne » ayant une
compréhension fine des problématiques sociales de part la
quotidienneté de leurs interventions, ces derniers semblent de moins en
moins sollicités pour témoigner de leur lecture analytique des
situations auxquelles ils sont exposés. « Les travaux qui ont
porté sur la mise en oeuvre des plans départementaux et leur
évaluation ont souvent fait ressortir le fait que les associations
étaient peu mises à contribution dans la phase de conception des
plans départementaux [...] Bien que les associations soient, dans la
plupart des départements, représentées dans les instances
de pilotage du plan, elles ne peuvent empêcher des négociations
conduites entre les services de l'Etat et du Conseil Général en
dehors de ces instances »80. Il apparaît que le
travail social est balisé par des logiques politiques venant restreindre
les possibilités d'interventions de ses acteurs. Ce constat de Loïc
Aubrée illustre l'idée selon laquelle l'action sociale est
à la croisée de la sphère économique et
politique.
En définitive, la classification de certains individus
labélisés « trouble du comportement » et la
façon dont les politiques sociales prennent en charge ce dit
problème permettent de mettre en exergue une volonté sous-jacente
d'ordre social. Bien que le fonctionnement de nos institutions ne soit plus
régi par une tradition asilaire, les possibilités de notre «
usager de droits » semblent contrôlées. A l'heure actuelle,
la question sociale semble encore traitée sous une approche
orthopédique.
79 Se référer à l'article du
figaro joint en document annexe (n°6).
80 Loïc Aubrée, « L'inscription des
associations dans les politiques sociales du logement : un risque
d'instrumentalisation », Pensée plurielle, n°7, p.80.
82
Bibliographie
83
- Robert Castel, La discrimination négative,
Seuil, 2007.
- Alain Ehrenberg, « les changements de la relation
normal-pathologique. À propos de la souffrance psychique et de la
santé mentale », Esprits, 2004.
- Michel Chauvière, Trop de gestion tue le
social, La découverte, 2007.
- Erving Goffman, Stigmate : les usages sociaux des
handicaps, Paris, les éditions de minuit, 1975.
- Howard Becker, Outsiders, Etudes de sociologie de la
déviance, Métailié, Paris, 1985.
- Muriel Darmon, La socialisation : domaines et
approches, 2ème édition, Armand Colin, Paris,
2010.
- Julie Landour, « Le chercheur funambule. Quand une
salariée se fait la sociologue de son univers professionnel »,
Genèse 90, mars 2013, p.25-41.
- Nicolas Sallée « Une clinique de l'ordre. Examen
des controverses autour de l'ordonnance du 2 février 1945 »,
Vacarme, 49, p.9-14.
- « ITEP- Institut Thérapeutiques Educatif et
Pédagogique », article de l'association des ITEP et de leurs
réseaux (AIRe), 26 mai 2009.
- « L'accompagnement des jeunes en situation de handicap par
les services d'éducation spéciale et de soins à domicile
», guide de recommandations de bonnes pratiques professionnelles de
l'ANESM (agence nationale de l'évaluation et de la qualité des
établissements et services sociaux et médico-sociaux).
- « Dossier d'histoire : les lois scolaires de Jules Ferry
», site officiel du Sénat,
http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/
- Castel Robert, « d'où vient la psychologisation des
rapports sociaux ? », Sociologies pratiques, 2008/2 n°17, p.15-27.
- Douglas Mary, Comment pensent les institutions?,
Paris, La découverte/M.A.U.S.S, 1994.
- Albert Ogien, Sociologie de la déviance, Paris,
PUF, 2012.
- Dodier Nicolas et Rabeharisoa Vololona, « les
transformations croisées du monde psy et les discours du social »,
Politix, 2006, n°73.
- Demazière Didier, « Postface :
professionnalisations problématiques et
problématiques de la professionnalisation »,
formation emploi, n°108, p.83-90. - Sandrine Garcia, Mères sous
influence : de la cause des femmes à la cause des
enfants, Paris, La Découverte, 2011.
84
- Robert Castel et Jean-François Le Cerf, « Le
phénomène « psy » et la société
française. Vers une nouvelle culture psychologique », Le
Débat, 1980/1 n°1, p3245.
- Robert Castel et Jean-François Le Cerf, « Le
phénomène « psy » et la société
française », Le Débat, 1980/2-n°2, p.39-47.
- Annie Bartoli, Le management des organisations
publiques, Dunod, Paris, 1997.
- Article « Meurtre de Lodève : la violence au
quotidien dans les instituts thérapeutiques », Judith Duportail, le
figaro.fr, le 7 avril 2014,
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/04/07/01016-20140407ARTFIG00249-meurtre-de-lodeve-la-violence-au-quotidien-dans-les-instituts-therapeutiques.php
- Loïc Aubrée, « L'inscription des associations
dans les politiques sociales du logement : un risque d'instrumentalisation
», Pensée plurielle, n°7, 2004, p.75-88. - Isabelle Coutant,
Troubles en psychiatrie, Paris, La Dispute, 2012.
85
Sources
- Entretiens individuels avec des professionnels
(équipe de direction [directrice, chef de service], équipe
médicale et thérapeutique [médecin psychiatre,
psychologues, psychomotricienne, orthophoniste, infirmière],
équipe pédagogique [institutrice], équipe éducative
[éducatrice spécialisée, moniteurs éducateurs,
assistante sociale], équipe administrative [secrétaire],
équipe d'entretien [cuisinière de collectivité]), Institut
Thérapeutique Educatif et Pédagogique enquêté,
métropole lilloise.
- Réunions d'équipe pluridisciplinaire, ITEP
enquêté, métropole lilloise.
- Site internet officiel de l'association nationale des ITEP et
de leurs réseaux,
http://www.aire-asso.fr/index.php
- Site internet officiel de l'Agence Nationale de l'Evaluation et
de la qualité des établissements et Services sociaux et
Médico-sociaux, http://www.anesm.sante.gouv.fr/
- « Mineurs délinquants », chronique de
Caroline Eliacheff, 22 juin 2011, radio France culture.
- Projet de service 2009-2013 d'un Service d'Education
Spécialisée et de Soins A Domicile en ITEP du
Nord-Pas-de-Calais.
- Rapports d'activités 2010, 2011 et 2012 de l'ITEP
enquêté, métropole lilloise. - Projet
d'établissement de l'ITEP enquêté, métropole
lilloise.
- Livret d'accueil à destination des usagers de l'ITEP
enquêté, métropole lilloise. - Gazette de l'ITEP
enquêté, métropole lilloise.
- Fiche de poste de l'éducateur
spécialisé d'un SESSAD ITEP du Nord-Pas-de-Calais.
- « Troubles du comportement, violences, conduites
agressives. Compréhension, prévention et gestion »,
formation professionnelle dispensée dans un SESSAD ITEP du
Nord-Pas-de-Calais, 20 février 2012.
- « Troubles du comportement, comportements défis :
approche
comportementaliste », formation professionnelle
dispensée dans un SESSAD ITEP du Nord-Pas-de-Calais, 13 février
2012.
- Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des
personnes handicapées et leurs textes d'application : Décret
n°89-798 du 27 octobre 1989 annexes XXIV fixant les conditions techniques
d'agrément des établissements privés de cure et de
prévention pour les soins aux assurés sociaux.
- Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action
sociale et médico-sociale.
86
- Présentation des 7 droits fondamentaux des usagers et
des 7 outils pour l'exercice
de ces droits issue de la loi n°2002-2,
http://www.social-
sante.gouv.fr/IMG/pdf/d
usagers-2.pdf
- Site officiel du Ministère des affaires sociales et
de la santé,
http://www.sante.gouv.fr
- article L311-3 du Code de l'Action Sociale et de la
Famille.
- Décret n° 2005-11 du 6 janvier 2005 qui fixe les
conditions techniques
d'organisation et de fonctionnement des Instituts
Thérapeutiques Educatifs et
Pédagogiques.
- Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour
l'égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes
handicapées.
- Loi n°75-620 du 11 juillet 1975 relative à
l'éducation, « Loi Haby ».
- Loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et
à la protection des personnes
hospitalisées en raison de troubles mentaux et à
leurs conditions d'hospitalisation.
- Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de
financement de la sécurité sociale pour
2007.
- Article 375 du code civil.
- Site officiel du Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales,
http://www.cnrtl.fr/
- Cours « l'école et la formation en France
», licence « sciences et métiers de
l'éducation et de la formation »,
université Lille 3, 2013.
- Starck Sylvain, cours « la relation entre travail et
formation dans le système
éducatif », licence « sciences et
métiers de l'éducation et de la formation »,
université Lille 3, 2013.
- Naomie Dozier, cours de politiques sociales en «
politiques du handicap » et
« politiques de santé publique »,
2ème année d'éducateur
spécialisé, IRTS d'Artois,
2012.
- Frédéric Poulard, cours « états et
politiques territoriales », master 1 « sociologie-
ethnologie », université Lille 1, 2014.
- Sébastien Delarre, cours « sociologie de la
déviance et du processus pénal », séance
10 : enquête en cours sur la justice des mineurs au TGI
de Nanterre, université Lille
1, 2014.
- DSM V (Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorders).
87
- Conférence « Le système éducatif
peut-il passer de l'évaluation normative à une évaluation
constructive ? », Charles Hadji et Jean Clénet, le 5 novembre 2013
à l'université Lille 1.
- Séminaire « Classes préparatoires, la
fabrique d'une jeunesse dominante » du Centre d'Etudes et de Recherches
Administratives, Politiques et Sociales, Muriel Darmon, le 19 décembre
2013 à l'université Lille 2.
- Conférence « La construction sociale du corps
», Christine Détrez et Alain Cambier, le 14 janvier 2014 à
l'université Lille 1.
- Conférence « La violence des riches », Michel
Pinçon et Monique Pinçon Charlot, le 31 mars 2014 à la
Maison Européenne des Sciences de l'Homme et de la
Société, Lille.
- 2ème journée régionale d'étude,
sous le haut patronage Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et
de la Cohésion Sociale, « Ingénierie sociale et
recherche-développement : quels enjeux pour le travail social ? »,
le 12 juin 2014 à l'Institut Régional du Travail Social, Loos.
- « A ciel ouvert », film documentaire franco-belge,
Mariana Otero, 8 janvier 2014. - « Jimmy P. Psychothérapie d'un
indien des plaines », film biographique franco-américain, Arnaud
Desplechin, 11 septembre 2013.
88
89
ANNEXE N°1
GUIDE D'ENTRETIEN
Personnes interviewées : ensemble du personnel de
l'ITEP.
Présentation/ Parcours
professionnel
1) Quel âge avez-vous ?
2) Avez-vous toujours travaillé dans le domaine des
sciences humaines et sociales ? - Si non, quelles ont été vos
expériences professionnelles antérieures, voire quels
diplômes avez-vous obtenu ?
3) Votre orientation professionnelle est-elle un lien avec celle
d'un de vos proches ?
4) Quels types de savoirs (savoir-être et savoir-faire)
vous semblent nécessaires pour exercer votre métier ?
5) Selon vous, pour exercer dans ce domaine est-il question de
vocation ?
Accompagnement
6) Comment expliqueriez-vous la demande croissante
d'admission en ITEP ?
7) Au sein de l'ITEP, lors des accompagnements «
l'importance est donnée à la responsabilisation, à
l'autonomie, à l'intégration scolaire et sociale, à
l'adaptation en lien avec les exigences extérieures
»81. Comment percevez-vous votre mission par rapport
à ces axes de travail ?
8) Considérez-vous les jeunes accueillis comme
désinsérés scolairement et socialement ?
9) Comment définiriez-vous le « trouble du
comportement » ?
10) Quels comportements concrets actés par les jeunes
vous interpellent ?
11) Avez-vous déjà subi des atteintes physiques
et/ou verbales lors du passage à l'acte d'un jeune ?
- Si oui, lesquelles ?
12) Qu'est-ce que représente le cadre pour vous ?
13) Vous arrive-t-il d'avoir l'impression que le travail
à mener avec certains jeunes va au-delà de vos missions voire de
vos compétences ?
14) Selon vous, il est préférable que le suivi
thérapeutique s'inscrive dans une approche psychanalytique,
systémique ou comportementale ?
81 Issu du « projet d'établissement
».
90
Equipe pluridisciplinaire
15) Avez-vous une vision identique de celle de vos
collègues à l'égard de la discipline, des traitements
médicamenteux et du choix des activités ?
16) Comment percevez-vous la complémentarité
entre le thérapeutique/médical, le pédagogique et le
socio-éducatif ?
17) Pensez-vous que les rôles respectifs de chaque
profession sont clairs et bien identifiés par les jeunes ?
18) Comment évaluez-vous l'autonomie d'un jeune ?
19) Lors d'incidents, comment évaluez-vous le
degré de violence ou de non-conformité de l'acte commis par le
jeune ?
20) Comment négociez-vous votre
légitimité d'action avec les familles (parents+jeunes) ?
21) Dans le cadre de l'adhésion de la famille, comment
se manifestent les comportements des parents qui adhèrent et de ceux qui
n'adhèrent pas au suivi de leur enfant ?
91
ANNEXE N°2
GRILLE RECAPITULATIVE DES ENTRETIENS MENES
Nom
|
Âge
|
Statut
|
Ancienneté
|
Date/heure
|
Anne-Lise
|
38 ans
|
Secrétaire
|
7 ans
|
24/02/2014
|
Aurélia
|
30 ans
|
Educatrice spécialisée
|
2 ans
|
17/03/2014
|
Elise
|
25 ans
|
Institutrice
|
1 an
|
10/03/2014
|
Erine
|
64 ans
|
Agent de service
|
10 ans
|
24/02/2014
|
Georgio
|
36 ans
|
Moniteur éducateur
|
1 an
|
31/03/2014
|
Lucile
|
25 ans
|
Psychomotricienne
|
1 an
|
27/02/2014
|
Manuel
|
40 ans
|
Orthophoniste
|
6 ans
|
12/03/2014
|
Nacer
|
40 ans
|
Moniteur éducateur
|
7 ans
|
19/02/2014
|
Véronique
|
30 ans
|
Monitrice éducatrice
|
7 ans
|
19/03/2014
|
Mme Romel
|
60 ans
|
Directrice
|
8 ans
|
04/04/2014
|
Dr Leloy
|
48 ans
|
Médecin psychiatre
|
4 ans
|
09/04/2014
|
Maryse
|
39 ans
|
Infirmière
|
8 ans
|
10/04/2014
|
Anthony
|
22 ans
|
Moniteur éducateur
|
2 ans
|
09/04/2014
|
Irène
|
42 ans
|
Psychologue
|
11 ans
|
22/04/2014
|
Samantha
|
44 ans
|
Assistante sociale
|
5 ans
|
10/04/2014
|
Mr Blichot
|
48 ans
|
Chef de service
|
2 ans
|
16/05/2014
|
Roger
|
27 ans
|
Moniteur éducateur
|
2 ans
|
12/03/2014
|
Noah
|
36 ans
|
Psychologue
|
8 ans
|
24/02/2014
|
92
ANNEXE N°3
93
94
95
ANNEXE N°4
Gazette de l'ITEP, élection des membres du Conseil de Vie
Sociale
96
97
ANNEXE N°5
Nomenclature82 du ministère de la justice
:
Ensemble des faits pouvant entraîner la saisie d'un juge
des enfants pour une mesure d'assistance éducative
Légende :
: Fait ne concernant pas les jeunes accueillis à
l'ITEP.
: Fait concernant les jeunes accueillis à l'ITEP.
Codes Libellés
|
00266 Abandon du mineur / disparition parent
|
00267 Absentéisme scolaire / déscolarisation /
exclusion du mineur
|
00268 Abus sexuels par une autre personne
|
00269 Abus sexuel par un parent
|
00270 Abus sexuel mineur auteur
|
00271 Agressivité du mineur
|
00272 Alcoolisme / toxicomanie parentale
|
00273 Alcoolisme / toxicomanie du mineur
|
00274 Attentat pudeur / exhibitionnisme
|
00275 Autre difficulté liée à / aux
parents
|
00276 Autre difficulté liée au mineur
|
00277 Autre motif de saisine
|
00278 Carences affectives du / des parents
|
00279 Carences alimentaires
|
00280 Carences de soins /hygiène
|
00281 Carences éducatives des parents
|
00282 Changement de domicile du / des parents
|
00283 Clandestinité / séjour irrégulier /
errance / mendicité du / des parents
|
00284 Commission rogatoire, délégation de
compétence
|
00285 Conflits parentaux / divorces et séparations
|
00286 Conflits parents / mineurs
|
00288 Retrait autorité parentale
|
00289 Délinquance / pré-délinquance du
mineur
|
00290 Délinquance du / des parents
|
00291 Demande d'ouverture jeune majeur
|
00292 Demande d'ouverture AE (sans précision)
|
00293 Désintérêt du / des parents
|
00294 Détention / incarcération du / des parents
|
00295 Difficultés financières / endettement du /
des parents
|
00296 Décès du / des parents
|
00297 Fugues du mineur
|
82 Sébastien Delarre, cours « sociologie
de la déviance et du processus pénal », séance 10 :
enquête en cours sur la justice des mineurs au TGI de Nanterre,
université Lille 1, 2014.
98
00298 Grossesse / maternité / IVG du mineur
|
00299 Immaturité parentale
|
00300 Mineur isolé / errance / mendicité
|
00301 Non-adhésion de la famille à l'aide
proposée par le Conseil Général
|
00302 Problème de moralité/ prostitution
parentale
|
00303 Problèmes de logement / expulsion du / des
parents
|
00342 Problèmes de santé / hospitalisation /
handicap des parents
|
00343 Problèmes de santé du mineur / anorexie du
mineur
|
00344 Problèmes psychologiques, relationnels,
dépression du mineur
|
00345 Problèmes psychologiques /dépression du / des
parents
|
00346 Difficultés scolaires du mineur
|
00347 Prostitution du mineur
|
00348 Relation fusionnelle du / des parents
|
00349 Rigidité parentale
|
00350 Problèmes religieux ou sectaire
|
00352 Tentative de suicide / automutilations du mineur
|
00353 Tentative de suicide du / des parents
|
00354 Trouble du comportement du mineur
|
00355 Troubles mentaux du / des parents
|
00356 Violences physiques sur mineur sans indication
|
00357 Violences physiques par parents (victime)
|
00358 Violences physiques par autre personne sur mineur
|
00359 Violences psychologiques par parents
|
00360 Violences psychologiques par autre personne
|
00361 Mesure d'investigation
|
00362 Demande d'audition du mineur (388-1 et suivants CC)
|
99
ANNEXE N°6
SOCIÉTÉ
Meurtre de Lodève : la violence au quotidien dans
les instituts thérapeutiques
La jeune Siham, 12 ans, aurait été tuée
et violée par un de ses camarades du centre thérapeutique de
Campestre. Ce dernier a été mis en examen dimanche soir. Dans ces
établissements, la violence est habituelle, mais elle vient ici de
monter d'un cran.
Sous le choc. Les membres de l'équipe encadrante de
l'Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique
(ITEP) de Campestre sont habitués à la violence
inhérente à la prise en charge d'adolescents difficiles. Mais pas
à un tel degré. «Nous traversons des moments dramatiques et
douloureux», indique ainsi la présidente de l'Association pour
les personnes en situation de handicap (APSH 34), en charge de la gestion
de l'établissement en question. Les ITEP sont tous administrés
par des associations sous le contrôle des agences régionales de
santé, qui les financent. À Campestre, au coeur d'un parc de 22
hectares, une cinquantaine de jeunes à problèmes sont pris en
charge par autant d'encadrants. Il ne s'agit pas d'un centre pour
délinquants: sont envoyés en ITEP des jeunes
considérés comme handicapés en raison de troubles
psychologiques. Ils sont environ 15.000 en France. Les jeunes y poursuivent
leur scolarité en petits groupes, tout en étant suivis par des
psychologues et encadrés par des éducateurs. Ateliers VTT, tag,
cuisine, arts plastiques... Leur emploi du temps est minuté pour ne pas
les laisser livrés à eux-mêmes. La violence y est toutefois
omniprésente.
Une enquête pour agression sexuelle est déjà
en cours dans un autre ITEP
«Les éducateurs se font insulter quasiment tous
les jours», indique François Delacourt, vice-président de
l'Association nationale des ITEP, qui regroupe les professionnels du secteur.
«Ces jeunes ne savent pas exprimer ce qu'ils ressentent et leurs
réactions sont impressionnantes pour ceux qui ne connaissent pas le
milieu», poursuit le responsable associatif. Avant Sammy, le jeune
soupçonné d'avoir tué et violé Siham, d'autres
jeunes ont commis des agressions dans les ITEP. Un adolescent a ainsi
été condamné en 2009 par le tribunal pour enfants de
Saint-Nazaire pour deux agressions sexuelles commises au sein de l'institut
thérapeutique de Nantes. En 2012, un professeur a été
tabassé par un jeune de l'ITEP de Péronne, en Picardie. La
même année, les membres du personnel de l'ITEP de Langon, en
Gironde, ont dénoncé une dizaine d'agressions en quelques
mois. En janvier, une jeune fille a fugué d'un établissement
de Haute-Vienne, assurant avoir été victime d'agression sexuelle.
Une autre avait pris la fuite quelques mois avant elle, pour les mêmes
raisons. Une enquête a été ouverte par la gendarmerie de
Bellac.
Autant d'agressions sexuelles qui font se poser la question de
la mixité au sein de tels établissements. «Les internats
doivent être séparés, bien sûr. Mais le but des
instituts est d'apprendre aux jeunes à vivre ensemble. Si à la
sortie ils ne sont pas capables d'évoluer dans un monde composé
d'hommes et de femmes, notre mission n'a servi à rien», explique
François Delacourt. Du côté de l'ITEP de Campestre, pas
question pour le moment de supprimer la mixité. «Nous gérons
pour l'instant le traumatisme auprès du personnel et des enfants.
L'après viendra... après», confie un responsable. Une
cellule d'accompagnement psychologique a été mise en place, et le
centre retrouvera sa difficile routine lundi prochain.
|