1.2.3. Les limites ou les risques de la coopération
transfrontalière
De prime abord, les questions de coopération
transfrontalière et d'intégration régionale semblent
être de nos jours des concepts d'actualité au point de devenir des
questions politiquement correctes. Dans ces conditions, des avis contraires
peuvent apparaître comme un « crime de
lèse-majesté ». Pourtant, faut-il à tout prix
« positiver », pour reprendre l'injonction de John O.
Igué & al. (2010) et voir forcément dans les
frontières des espaces de développement partagés ?
La coopération transfrontalière comporte aussi
des limites, ou plus exactement des risques. Ces dommages que les Etats pris
individuellement ou collectivement peuvent subir du fait de leur engagement
dans cette entreprise coopérative se déclinent en manque de
volonté politique, en incertitudes sur les risques liées à
la coopération transfrontalière (ce qu'on peut y perdre) et
en la faiblesse de l'intégration nationale.
Pour Michel Cahen (1999), l'Etat ne crée pas la nation.
Ce n'est pas parce que des Etats sont en crise, que la solution consiste
à revenir en arrière vers les clans, vers le temps des tribus.
Par ailleurs, le problème de développement ne se réduit
pas au débat sur les frontières. Pour Gilles Sautter cité
par Bruno Stary (1996), ce ne sont pas tant celles-ci qui posent
problème que les systèmes étatiques eux-mêmes. C'est
donc l'Etat qui est indexé de mal conduire les politiques publiques,
dont celles portant sur les coopérations transfrontalières.
De plus, l'option d'une intégration régionale ne
veut pas dire que les Etats et surtout les populations soient prêts
à renoncer à leurs spécificités et convictions.
C'est pourquoi, il faut s'interroger avec Lassané Savadogo (1993) si
certains projets d'envergure continentale ne participent pas d'un
véritable travail de Sisyphe auquel se livreraient sans réelle
conviction les Etats africains. « Le rapprochement dans ces
conditions ne pouvait signifier autre chose que la recherche et la codification
du plus petit dénominateur commun existant entre ces
Etats. », L. Savadogo (1993 : 81). Et ce
dénominateur commun, c'est la communauté géographique, qui
elle aussi, par sa nature est assez précaire, si elle n'est pas mise en
association avec d'autres communautés. De façon plus explicite,
à qui profite la coopération transfrontalière si l'on part
du principe qu'il y a des « gagnants » et des
« perdants ». Est-ce que l'on oublie trop souvent de parler
de ces perdants ? Telle est l'équation qu'il faut résoudre
afin que dans la redistribution des bienfaits, certains ne s'en sortent pas
avec la part du lion et d'autres, la portion congrue.
Par ailleurs, la coopération transfrontalière en
Afrique a connu beaucoup de balbutiements dans sa mise en oeuvre.
L'intégration reste surtout un discours théorique et il est
permis de douter de la bonne volonté de certains dirigeants à
s'acheminer résolument vers une coopération plus
opérationnelle. La preuve, en Afrique de l'Ouest, l'intégration a
été poursuivie parallèlement à des
stratégies économiques d'introversion reposant sur des industries
de substitution aux importations. « Or, l'expérience
montre que les stratégies de développement axées sur les
politiques commerciales introverties se prêtent très mal à
l'accroissement durable des échanges par le biais des formules de
préférences commerciales réciproques ou d'autres
mécanismes institutionnels. », Badiane (1996 : 183).
Une dernière limite et non des moindres, c'est que
l'intégration nationale, dans les pays qui s'acheminent vers
l'intégration régionale, est souvent fragile. Or, celle-ci semble
être un préalable à l'intégration régionale.
Malheureusement, la charité à ce niveau n'est pas toujours bien
ordonnée, de sorte que certains Etats vont à l'intégration
régionale, sans avoir consolidé l'intégration nationale.
Certes, l'intégration nationale ne prédétermine pas
forcément l'intégration régionale, mais elle lui est
nécessaire, si l'on veut une durabilité des résultats
obtenus. Ram Christophe Sawadogo (2008), après avoir relevé
l'absence formelle de la thématique de l'intégration nationale
des activités actuellement déployées au Burkina Faso pour
réussir l'intégration régionale, envisage une approche
directe et ouverte de cette intégration régionale. La question,
selon l'auteur semble superflue, tardive, sinon dangereuse, car le concept de
l'intégration nationale se doit d'être manié avec la plus
grande précaution pour éviter les dérives de
micro-nationalisme. « Présentée comme une option de
vie et de cadre de vie que les populations doivent s'approprier de
manière approfondie, cette intégration nationale apparaît
comme incontournable et indispensable pour mieux réussir et
accélérer l'intégration régionale »,
R.C. Sawadogo (2008 : 69). Il poursuit que la pédagogie qui aura
réussi les bases de l'appropriation de l'intégration nationale
produira très vraisemblablement les mêmes effets en faveur de
l'intégration régionale, car elle jouera alors un rôle
d'accélérateur. Des inquiétudes déjà
soulevées par Michel Cahen (1999 : 157) pour qui, le
problème essentiel de l'intégration régionale en Afrique
subsaharienne, c'est qu'il n'y a pas eu d'intégration nationale et la
difficulté actuelle est en réalité de réussir une
simple «intégration interne» des Etats.
Si l'on distingue intégration nationale et
intégration régionale, il faut aussi identifier les formes de
coopération transfrontalière.
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