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L'entente de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles entre la France et le Québec à  travers le prisme des barrières institutionnelles et de la théorie de l'offre individuelle de travail l'exemple des avocats et des infirmières

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par Paul Levesque
Université Laval (Québec - Canada)  - Maitrise en Science-Politique 2013
  

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UNIVERSITÉ LAVAL

LE 15 DÉCEMBRE 2013

L'ENTENTE DE RECONNAISSANCE MUTUELLE DES QUALIFICATIONS
PROFESSIONNELLES ENTRE LA FRANCE ET LE QUÉBEC À TRAVERS LE
PRISME DES BARRIÈRES INSTITUTIONNELLES ET DE LA THÉORIE DE
L'OFFRE INDIVIDUELLE DE TRAVAIL
L'exemple des avocats et des infirmières

PAR

PAUL LEVESQUE

À mes Parents

et à Marie

Introduction 1

1. Cible : Les immigrants qualifiés et surqualifiés 2

2. L'Entente France-Québec en chiffre 4

3. Problématique et hypothèse 6

I. Comprendre l'Entente France-Québec sur la reconnaissance mutuelle des

qualifications professionnelles 9

i. ARM : faire sauter les verrous de l'immigration et les barrières à l'entrée 9

ii. Échelle de reconnaissance mutuelle 12

iii. Des avocats si différents ? 15
1. Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications

professionnelles des avocats 16

iv. Infirmière : une réalité si semblable ? 19
1. Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications

professionnelles des infirmières 21

v. Validation de H1 23

II. Les facteurs socio-économiques 25

1. Non-causalité entre la démographie et la direction des flux migratoires 25

2. L'importance des conditions socio-économiques lors de la migration 26

3. Théorie de l'offre individuelle de travail 27

4. Les difficultés méthodologiques 28

i. Infirmière : des revenus très différents 30

ii. Avocat : Une moyenne en trompe l'oeil 32

iii. Validation partielle de H2 36

III. Les dangers de notre recherche exploratoire : Influence communicationnelle et

limite méthodologique 38

i. Beaucoup de bruit pour rien ? 38

ii. Les limites méthodologiques 43

Conclusion 45

Bibliographie 50

Annexe 1 58

Annexe II 60

1

Introduction

Première mondiale entre deux États n'ayant pas d'accord économique, l'Entente de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles s'inscrit dans la continuité de la relation particulière qui unit la France et le Québec. L'arrivée de la Capricieuse en 1855 dans le Saint-Laurent, quatre-vingt-seize ans après la défaite française en Nouvelle-France, rétablit officiellement les relations entre le Canada-Français et la France. Pour certains, la France garda jusqu'à l'exorcisme du « vive le Québec libre ! » du général de Gaulle une « honte enfouie dans la mémoire, qu'il ne fallait surtout pas ranimer [É] [d']une guerre malheureuse et mal conduite » (Portes, 2008 : 27). Si les relations France-Québec existent antérieurement, c'est surtout l'après 1965 qui a été une source inépuisable pour la littérature (Fontaine, 1977 ; Latouche, 1985 ; Bernier, 1996 ; Bastien, 1999 - 2002 - 2006 ; Niquette, 2002 ; Legaré, 2003 ; Joyal et Linteau, 2008 ; Zoogones, 2008 ; Francelet, 2009 ; Dorval, Durand, Harvey, Juneau et Trudel, 2013).

Suite à la prise de pouvoir de Jean Lesage en 1960, Paul Gérin-Lajoie, alors ministre de l'Éducation, affirme l'entière souveraineté du Québec sur ses champs de compétence en signant, le 27 février 1965, la « première entente franco-québécoise sur un programme d'échanges et de coopération dans le monde de l'éducation » (Brunet, 2007 : 4). Lors de son retour au Québec il affirma, dans un discours resté célèbre que « l'État du Québec est libre de consentir à être lié par tout traité, convention ou entente internationale qui touche à sa compétence constitutionnelle » (Paquin, 2006 : 52). La doctrine qui guide depuis la politique internationale du Québec venait de naître, avec le soutien et l'appui du général de Gaulle « sans lequel l'action internationale du Québec [É] serait restée marginale » (ibid, 106). Depuis, la France et le Québec ont signé un grand nombre d'ententes, notamment en matière de droit de scolarité (1978) et de sécurité sociale (1979). La prise de position face à une possible indépendance québécoise à travers la formule « Non-ingérence, non-indifférence » énoncée par le Président Valery Giscard d'Estaing en 1977, puis « Quel que soit le choix qu'il fera démocratiquement, la France sera au côté du Québec » de Jacques Chirac en 1995 vient renforcer l'impression d'une relation

2

exceptionnelle entre un État souverain et la province d'un pays. Toutefois, « depuis la défaite souverainiste de 1995, la France mise plus sur le Canada que sur le Québec » (ibid, 145).

Par ailleurs, la relation France-Québec est confrontée à une double asymétrie. Sur la scène internationale le Québec a absolument besoin de la France pour exister (Légaré, 2003 : 188 et 190). Par conséquent, les demandes d'accord proviennent presque toujours du gouvernement du Québec. Alors que, sur le plan démographique c'est majoritairement des Français qui viennent s'installer au Québec. On estime à plus de 110 000 le nombre de Français installés sur le territoire du Québec, auxquelles s'ajoutent près de 30 000 nouveaux arrivants par année (6000 installations régulières, 10 000 étudiants et 15 000 permis vacance travail). Le comparatif n'est malheureusement pas possible, les chiffres de Canadiens/Québécois installés en France ne sont pas disponibles.

1. Cible : Les immigrants qualifiés et surqualifiés

L'Entente vise un type d'immigrant bien spécifique qui est un mixte entre la migration circulaire, « déplacement facilité de personnes entre différents pays [É] dans lesquels toutes les parties concernées trouvent leur intérêt », et la migration économique, « personnes quittant leur pays d'origine à la recherche d'un emploi » (Organisation internationale pour les migrations, 2008 : 531). Les personnes admissibles sont définies, par l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), comme des migrants hautement qualifiés, terme qui « désigne une personne ayant atteint [É] le niveau de qualification normalement requis pour l'exercice d'une profession » et des migrants qualifiés « qui en raison de ses compétences ou de son expérience professionnelle, se voit habituellement accorder un traitement préférentiel » (ibid, 531). Cette immigration entre pays développés s'effectue principalement pour des raisons professionnelles puisque « le manque de personnel hautement qualifié intensifie la recherche de talents à l'échelle mondiale » (ibid, 2008 : 41). Cette circulation spécifique de la main d'oeuvre trouve une caisse de résonnance dans l'idée de fuite des cerveaux. La mondialisation a ainsi fait

3

émerger « un marché du travail mondial pour les personnes hautement qualifiées » et les secteurs qui connaissent une pénurie de main-d'oeuvre. (Durand et Lemaître, 2006 : 115)

On constate en France qu'il y a « très peu de migration permanente à des fins d'emploi » qui provient de pays développés (Durand et Lemaître, 2006 : 120). En 2006, 40,3 % des nouveaux immigrants proviennent d'Europe, mais majoritairement de pays de l'ex-URSS, alors que les pays du Maghreb représentent 22,8 % des nouveaux arrivants (Connin, 2006). Pour le Québec, la situation est comparable puisque neuf des dix premiers pays d'origine des migrants sont des pays en voie de développement, hormis la France. Si la France, mais aussi le Québec, ne ferme pas totalement leur porte à une immigration non économique (regroupement familial...), l'évolution de leur marché du travail les oblige à faire appel à des immigrants « qui pourront répondre aux besoins [spécifiques de leur] marché du travail » (Côté, 2008 : 349). Au Québec plus des deux tiers des 50 000 immigrants admis au Québec rentrent dans la catégorie immigration économique et quatre-vingt-dix pour cent de ceux-ci s'inscrivent plus spécifiquement dans la catégorie de travailleurs qualifiés1 (Gouvernement du Québec, 2011)

Ainsi pour le Québec, la venue de Français permet de choisir une main-oeuvre qualifiée, sans débourser les coûts de formations tout en « contribuant à renforcer la pérennité de la langue française, caractéristique au coeur de la spécificité québécoise » (Côté, 2008, 350). La volonté de faire venir une immigration professionnelle est confirmée par les chiffres du Portrait statistique des immigrants permanents et temporaires dont le pays de dernière résidence est la France 2008-2012. Le rapport établit que « la catégorie de l'immigration économique représente 91,8 % des admissions en provenance de la France, dont 90,2 % proviennent de la composante des travailleurs qualifiés » (Benzakour, 2013 : 5). De plus, les trois quarts des Français qui immigrent au Québec ont moins de 35 ans, la

1 Travailleur qualifié : Immigrant de la catégorie de l'immigration économique. Les travailleurs qualifiés sont sélectionnés par le Québec et y viennent avec l'intention d'occuper un emploi. Les facteurs de sélection des travailleurs qualifiés sont notamment : la formation, l'expérience professionnelle, l'âge, la connaissance du français et de l'anglais, les séjours au Québec et les liens familiaux avec des résidants du Québec, les caractéristiques du conjoint qui accompagne, les enfants à charge, la capacité d'autonomie financière et l'adaptabilité. (Benzakour, 2013 : 18)

4

moitié d'entre eux ont plus de 17 années de scolarité et vingt-cinq pour cent « ont exprimé l'intention d'occuper un emploi au Québec dans une profession régie par un ordre professionnel ou une autre profession ou métier réglementé » (ibid, 9). Si l'on ne dispose pas des chiffres du côté français, cet accord tombait à point nommé pour le gouvernement, puisqu'il s'inscrit dans la continuité de la loi sur l'immigration professionnelle2 adoptée en 2006 par Nicolas Sarkozy. L'entente entre la France et le Québec en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles a de ce fait été signée le 17 octobre 2008. La négociation a été rapide puisqu'entre les premiers contacts et la signature il s'est écoulé deux ans. Nous y reviendrons plus en détail dans la suite du texte.

2. L'Entente France-Québec en chiffre Encadré 1

Définition des catégories professions, métiers et fonctions données par l'Entente

· La catégorie profession : regroupe des activités professionnelles régies, au Québec, par des ordres professionnels.

· La catégorie des métiers : regroupe les activités professionnelles réglementées par l'industrie de la construction ou régies par Emploi-Québec (« métiers hors construction ») ou des métiers de l'industrie des services automobiles.

· La catégorie des fonctions : regroupe des activités professionnelles qui sont réglementées au Québec par l'Autorité des marchés financiers.

Source : Immigration et Communautés culturelles, Entente France-Québec sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles.

Les deux gouvernements ont mis en place une entente qui permet à travers des arrangements de reconnaissance mutuelle (ARM) de faciliter l'immigration de travail dans vingt-cinq professions, cinquante métiers et six fonctions. Au 31 décembre 20123, on comptabilise 677 Français ayant eu recours à un ARM et 124 Québécois. Nous avons vu précédemment qu'en moyenne 6000 Français s'installent au Québec par année avec

2 L'idée avancée par la loi est le passage d'une immigration « subie » à une immigration « choisie ». Pour ce faire la loi a mis en place un certain nombre de mesures comme le durcissement du regroupement familial, la suppression de la régularisation après 10 ans sur le territoire national ou encore la mise en place d'une liste de secteurs tendus afin de les prioriser.

3 Chiffre obtenu lors de l'entretien du 1 mars 2013 avec Monsieur Yves Doutriaux secrétaire générale du Comité bilatéral France/ Québec

5

l'immigration dite régulière, les ARM représentent donc au maximum entre 4 et 5 % de cette population. Avant de rentrer dans le coeur de notre travail, ces données montrent que le poids de l'Entente entre la France et le Québec reste relativement marginal par rapport à l'immigration général.

Derrière ces chiffres apparaissent des distinctions importantes en fonction des ARM, puisque 47 % des autorisations légales d'exercer (ALE) concernent les infirmières (379) et 14 % les avocats (114). Les autres emplois où il existe des mouvements significatifs sont les médecins (12 %), les travailleurs sociaux (5 %), les architectes (4 %) et les opticiens (4 %). Ces six professions représentent 86 % des ALE émises pour le moment. Sur les 801 personnes ayant eu recours aux ARM, seulement 7 % concerne des emplois classés dans la catégorie métier, alors que cette catégorie regroupe 61 % des ARM signés. Par ailleurs, l'étude réalisée par Chakib Benzakour montre que les ingénieurs4 est la profession qui a là plus migré au Québec au cours des quatre dernières années alors que leur ARM n'est rentrée en vigueur qu'en juillet 2013. Il est probable que les ingénieurs français déjà présents sur le sol québécois feront reconnaître leurs diplômes dans les années à venir ce qui fera fortement augmenter le nombre d'ALE. Il est important de souligner que l'analyse des flux migratoires5 résultant des ARM montre qu'à l'exception des avocats et des comptables agréés, les autres flux d'immigration vont de la France vers le Québec.

Encadré 2

« Profession » désigne un ensemble de métiers auxquels une compétence exclusive a été reconnue pour prendre en charge certaines tâches ou certains problèmes. Elles s'opposent aux « occupations », c'est-à-dire aux métiers qui ne sont pas devenus des professions, par un ensemble de traits qui varient légèrement selon les auteurs, mais dont les plus fréquemment invoqués sont le haut niveau de formation nécessaire à l'exercice de l'activité et le statut particulier qui confère à ces groupes une autonomie pour mettre en oeuvre le savoir acquis dans le cadre de cette formation (Champy, 2009 : 3)

4 967 entre 2008 et 2012

5 Voir annexe 1 : Entente entre le Québec et la France en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles Statistiques sur les autorisations légales d'exercer émises obtenu lors de l'entretien du 1 mars 2013 avec Monsieur Yves Doutriaux secrétaire générale du Comité bilatéral France/ Québec

6

Dans le cadre de notre recherche, nous concentrerons notre analyse sur les infirmières et les avocats. En plus d'être les deux ARM qui connaissent la plus grande réussite sur le plan quantitatif, ces deux activités professionnelles ont l'avantage de présenter des caractéristiques sociologiques différentes. Ces différences entrainent la présence de demandeur avec des statuts et des parcours socio-économiques hétéroclites, qui se retrouve autour d'un objectif commun : immigrer. Les infirmières sont un groupe professionnel presque exclusivement féminin6, rattaché aux classes moyennes (Charle, 2003 ; Dargent, 2003 ; Bigot, 2009 ; Bosc, 2013). Si dans l'Entente les infirmières prennent place dans la catégorie profession, le passage de métier à celui de profession n'est pas aussi évident dans la littérature et encore moins dans la société. Au contraire, la profession d'avocat est historiquement plus masculine, même si l'on a atteint aujourd'hui la parité7. Par ailleurs, la profession est considérée, notamment en Amérique du Nord, comme la profession élitisme par excellence et ces membres font généralement partie des « classes supérieures » (Sandefur, 2001). Par conséquent, une étude comparée de ces deux groupes professionnels est d'autant plus pertinente vu les différences et distinctions entre eux. L'autre raison est la différence dans la répartition des ALE puisque 99 % des infirmières ont pris le chemin du Québec alors que chez les avocats c'est beaucoup plus partagé (51 % pour France et 49 % pour le Québec).

3. Problématique et hypothèse

Malgré une certaine ouverture des frontières aux immigrants qualifiés chez les pays développés, notamment avec l'apparition d'un marché du travail pour les travailleurs hautement qualifiés, le marché du travail reste un marché majoritairement tourné vers l'interne (Redor, 1999 ; Vercherand, 2006 ; Duhautois, Petit et Remillon, 2012). Lorsqu'on compare le marché du travail avec l'ouverture au libre marché, caractérisé par la libre circulation des capitaux, la différence est évidente. L'existence d'un marché du travail unique semble utopique même dans un ensemble aussi intégré que l'UE. Toutefois, à travers les nouveaux accords bilatéraux, la question de la reconnaissance

6 88% des infirmières sont des femmes en France et 90% au Québec

7 51% des avocats sont des femmes en France et 49% au Québec

7

professionnelle prend de plus en plus de place, comme c'est le cas dans celui entre le Canada et l'UE. Aussi, les ARM sont la résultante de deux gouvernements cherchant à faciliter l'entrée dans leur marché du travail sans pour autant toucher aux principes et aux formations qui le régissent. Par conséquent, l'objectif de notre recherche est d'analyser l'Entente et les ARM qui en découlent, afin d'identifier certaines différences et ressemblances des marchés du travail dans les deux États. Pour ce faire, nous tenterons dans un premier temps de saisir pourquoi l'arrangement de reconnaissance mutuelle des infirmières et celui des avocats sont ceux qui ont attiré le plus grand nombre de travailleurs. Dans un second temps nous nous efforcerons de comprendre pourquoi il existe une asymétrie chez les infirmières qui n'existent pas chez les avocats.

Notre première hypothèse de travail (H1) postule de l'importance de la réduction des barrières institutionnelles afin de faciliter la circulation de la main d'oeuvre. Selon cette hypothèse, la signature des ARM a pour conséquence la réduction de ces barrières modifiant en profondeur les démarches des candidats à l'immigration. En résumé, réduire les barrières institutionnelles augmente le volume des flux.

Notre seconde hypothèse (H2) cherche à expliquer l'asymétrie qu'on constate dans la quasi-totalité des flux migratoires qui résulte des ARM. Nous postulons que les immigrants vont toujours majoritairement vers l'endroit ou les conditions socio-économiques sont les plus intéressantes et cela même lorsqu'on est face à deux pays développés. Par conséquent, comme la quasi-totalité des flux est unidirectionnelle vers le Québec, il semble logique d'affirmer que les conditions socio-économiques sont plus intéressantes de ce côté de l'Atlantique. En résumé, notre hypothèse H1 postule que les barrières institutionnelles influent sur le volume des flux, alors que notre hypothèse H2 suppose que les conditions socio-économiques agissent sur la direction des flux migratoires.

Notre première partie sera articulée autour de l'importance de la levée des barrières institutionnelles afin de favoriser l'immigration. Notre cadre d'analyse s'appuiera sur

8

l'échelle de reconnaissance, théorisée par Charles-Emanuel Côté 8 . Celle-ci nous permettra de comparer et quantifier jusqu'où sont allés les différents ARM dans la réduction des barrières institutionnelles. Nous détaillerons la démarche pour les avocats et les infirmières, et nous coderons dans un tableau9 pour chacun des ARM leurs échelles de reconnaissance. Dans la seconde partie, nous utiliserons la théorie de l'offre individuelle de travail10 afin de tenter de valider notre hypothèse. La dernière partie cherchera à identifier les forces et les faiblesses de notre analyse.

8 CÔTÉ, Charles-Emmanuel, « Un nouveau chantier transatlantique: l'entente Québec-France de 2008 sur la reconnaissance des qualifications professionnelles », (2008) no46 Annuaire canadien de droit international, p.337-396.

9 Voir tableau en annexe II

10 VERCHERAND, Jean, 2012 « Le Travail Un marché pas comme les autres » Presses Universitaires de Rennes, Rennes, p.203.

9

I. Comprendre l'Entente France-Québec sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles

Dans cette première partie, nous allons tenter de valider notre hypothèse H1 qui affirme que le volume des flux migratoires dépend des barrières institutionnelles qui existent. Pour ce faire nous allons dans un premier temps analyser le fonctionnement général de l'Entente France-Québec en nous appuyant, notamment, sur les concepts de barrière à l'entrée et de verrous à l'immigration. Dans une seconde partie, nous développerons l'échelle de reconnaissance en l'appliquant à l'ensemble des ARM. Par la suite, nous analyserons en détail sur les deux ARM choisies en identifiant, les ressemblances et différences de fonctionnement des professions, mais aussi les distinctions sociologiques qui peuvent exister. Puis, nous chercherons à vérifier si la levée des barrières institutionnelles facilite la mobilité des avocats et des infirmières.

i. ARM : faire sauter les verrous de l'immigration et les barrières à

l'entrée

Comme le définit Claude Blumann (2006) il existe trois verrous empêchant l'installation dans un pays tiers :

Le premier verrou est formé par les conditions d'entrée et de séjour fixées par les réglementations nationales : pour être admis sur le territoire national ou pour s'y installer, et surtout s'il souhaite s'y livrer à une activité professionnelle, quelle qu'elle soit, l'étranger doit obtenir une autorisation ou un ensemble complet d'autorisations. Les exigences fondées sur la nationalité pour la pratique d'une activité professionnelle déterminée, qui valent pour un domaine professionnel ou pour certains emplois déterminés, constituent un deuxième verrou [É]. Le troisième verrou résulte des exigences nationales relatives à la qualification en vue de la pratique d'une activité singulière, que de telles exigences régissent l'exercice de cette activité sous une certaine forme (notamment celle qui comporte l'usage d'une dénomination caractéristique) ou, plus radicalement, qu'elles se rapportent à l'accès même à cette activité ou à la profession dont elle relève (Blumann et al, 2006 : 93).

10

En résumé, l'idée de verrous bloquant l'immigration de Bulmann et al, ramène au concept développé en économie de barrière à l'entrée théorisé par Bain et Demsetz. Les barrières à l'entrée, « désigne[nt] toute action, comportement ayant pour objet d'éviter l'offre supplémentaire de produits sur le marché » et lorsqu'elles sont supprimées permettent d'augmenter la concurrence (Silem et Albertini, 2012 : 80). En général, les économistes identifient deux types de barrières, les barrières naturelles qui ne sont pas du ressort des entreprises et les barrières artificielles qui au contraire sont liées à une action directe de celles-ci afin de protéger leurs marchés. Dans la suite de notre essai, nous utiliserons sans différence de définition le terme de barrière à l'entrée et de barrière institutionnel.

De ce fait, l'objectif de l'Entente France-Québec sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles est la mise en place d'outils permettant de faciliter l'installation dans le territoire d'accueil d'une personne exerçant un métier ou une profession réglementée. Si l'entente vise à faciliter l'installation des immigrants, elle ne touche pas « aux questions relatives à l'immigration, au droit de séjour et au permis de travail » et ne cherche à « procéder à l'harmonisation des formations nationales (Côté, 2008 : 347). En clair, ce n'est pas parce que votre profession/métier est reconnue dans l'autre pays que vous pouvez vous y installer. L'accord permet donc de faire sauter les deux derniers verrous identifier par Bluman car l'entente interdit « les exigences de nationalité et elle facilite la satisfaction des conditions nationales de qualifications professionnelles applicables » (Côté, 2008 : 352).

En résumé, les ARM peuvent être comparées à des outils qui réduisent les barrières artificielles, c'est-à-dire celles fixées par les ordres professionnels mais par contre l'Entente ne touche pas aux barrières dites naturelles, qui dans notre cas sont les conditions d'entrée et de séjour fixées par l'État d'accueil.

De plus, une des spécificités de l'Entente réside dans son mode de fonctionnement. Afin que la levée des barrières artificielles soit efficace, les gouvernements ont choisi d'appliquer le principe du bottom-up en intégrant les acteurs de terrain à la mise en place

11

et aux décisions. En effet, l'Entente a simplement posé un cadre global et intégré devant orchestrer le processus. Alors que l'opérationnalisation et la mise en oeuvre sont déléguées aux « autorités compétentes ». C'est à l'évidence une des raisons qui explique pourquoi l'Entente a été signé rapidement. Un des contrecoups est qu'il subsiste six ans après des ARM qui doivent encore entrer en application. Le cadre fixé par la France et le Québec reprend quatre grands principes :

[Premièrement] il est indispensable qu'une profession ou un métier fasse l'objet d'une réglementation dans les deux parties pour que les autorités compétentes soient obligées d'appliquer la procédure commune et puissent conclure un ARM. [É] [Deuxièmement,] le titre de formation visé par la reconnaissance mutuelle doit avoir été obtenu d'une «autorité reconnue de la France ou du Québec sur leurs territoires respectifs.» [Troisièmement] l'aptitude légale d'exercer une profession ou un métier «est en vigueur et a été obtenue sur le territoire de la France ou du Québec.» (ibid, 355-356) ; [Quatrièmement] la discrimination sur la base de l'origine nationale des qualifications professionnelles est non seulement permise, mais elle constitue même la pierre angulaire du système. (Côté, 2013 : 235)

En laissant le soin à des autorités compétentes de signer et d'appliquer des sous-ententes (ARM) à l'Entente principale pour chaque profession, métier et fonction, les gouvernements ont limité les risques de blocages et de frictions. Il est intéressant de constater qu'en réalité pour les métiers et les fonctions, les autorités compétentes qui ont été choisies sont des ministères ou des organismes de droit public des deux côtés. Au Québec, les autorités compétentes pour les vingt-six professions ayant signé un ARM furent leur ordre professionnel. En France, seulement quatre professions (Avocat, architectes, ingénieurs et experts comptables) avaient leurs autorités compétentes indépendantes de l'État. Pour toutes les autres, à travers différents ministères l'État est resté l'autorité compétente et cela même si la profession possédait un ordre professionnel. Si les ARM ont été signés par des autorités compétentes différentes, ils ont tous une structure commune basée sur l'annexe 1 de l'Entente.

12

ii. Échelle de reconnaissance mutuelle

Selon Charles-Emanuel Côté il y a trois formes de reconnaissance mutuelle dans les 81 ARM. Nous nous appuierons sur son échelle de reconnaissance afin de comparer et quantifier jusqu'où sont allés les différents ARM11/12 dans la réduction des barrières institutionnelles.

La première forme est la reconnaissance automatique des qualifications professionnelles entre la France et le Québec : les champs de pratiques et les formations ont été jugés similaires par les autorités compétentes. Un candidat qui s'inscrit dans un tel ARM n'aura pas d'examen, de formation ou quoi que ce soit a repassé sur le territoire d'accueil. Cependant, il doit se conformer aux exigences qui peuvent exister notamment les années d'expérience. Cette forme de reconnaissance mutuelle automatique existe dans vingt-huit groupes notamment les travailleurs sociaux et les urbanistes.

La deuxième forme de reconnaissance mutuelle est la reconnaissance quasi automatique qui « consiste à n'imposer comme mesure de compensation que l'acquisition de connaissances dans le domaine déontologique et de la réglementation professionnelle pour les professions ou dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail pour les métiers » (Côté, 2008 : 370). Les avocats, les architectes et les évaluateurs agréés sont les seuls a avoir des ARM quasi automatiques des deux côtés. Pour dix métiers et quatre professions elle est quasi automatique au Québec et automatique en France.

La troisième forme de reconnaissance mutuelle est la reconnaissance conditionnelle, on la retrouve principalement dans les professions médicales. Les différentes autorités compétentes ayant conclu qu'il existe des différences substantielles imposent des « mesures de compensation significative pour combler les différences substantielles dans la formation professionnelle reçue dans le territoire d'origine » (Côté, 2008 : 370). Par exemple les pharmaciens québécois doivent « effectuer et valider un stage de six mois,

11 Voir tableau numéro 1 Exemple d'échelle de reconnaissance des ARM entre la France et le Québec page 15

12 Voir annexe II

13

[É], à temps plein en officine ou dans un établissement de santé », les pharmaciens français doivent quant à eux « réussir un programme de formation d'appoint [É] et effectuer avec succès un stage de 600 heures » (ARM, Pharmacien,2009 : 5 et 6). Si les mesures demandées au pharmacien peuvent paraître difficiles, les stages ou les formations complémentaires peuvent atteindre une année. C'est le cas pour les physiothérapeutes québécois et les masseurs-kinésithérapeutes français qui doivent suivre un stage de 12 à 16 mois pour les premiers et une formation universitaire d'une année pour les seconds.

Notons que l'Entente ne prévoit pas que les exigences demandées soient similaires des deux côtés. Ainsi, les médecins et les ingénieurs québécois sont reconnus automatiquement en France alors que les médecins français doivent réussir un stage d'adaptation de trois mois et les ingénieurs français un examen de déontologie. On retrouve cette différence de traitement dans six professions avec toujours des demandes plus importantes du côté québécois envers les professionnels français. On peut penser que cette asymétrie s'explique notamment parce que les dépositaires de l'autorité compétente sont toujours au Québec des Ordres professionnels. Cette tendance à vouloir défendre « leurs monopoles » est étayée grâce aux quatre professions qui ont eu leurs Ordres professionnels comme autorités compétentes dans les deux pays. Dans les quatre cas, l'échelle de reconnaissance est au même niveau des deux côtés. Cette différence existe aussi dans dix-sept métiers, toutefois, pour plus de la moitié d'entre eux la demande est identique : obtention d'« une attestation de formation en santé et sécurité au travail délivrée au Québec par l'Association sectorielle paritaire construction » (ARM mécanicien chantier, 2010 : 6).

Soulignons qu'un des ARM les plus « étranges » est, sans contexte, celui des médecins. Comment peut-on expliquer que dans des systèmes de santés13 et de formation14 comparable les médecins québécois soient reconnus automatiquement en France, alors

13 Classement de l'OMS par pays des meilleurs soins de santé dans le monde en 2000 (Rapport sur la santé dans le monde, 2000 - Pour un système de santé plus performant)

14 Accord-cadre Franco-Québec sur la reconnaissance des diplômes et la validation des études en 1996

14

que les médecins français doivent réussir un « stage non rémunéré, d'une durée de trois mois consécutifs [qui] se déroule habituellement dans un établissement possédant une affiliation universitaire et étant agréé par le CMQ pour la discipline concernée » (Collège des Médecins du Québec, 2013). Cette situation s'explique d'autant plus mal quand on connaît toute la pression entourant le système de santé québécois et le manque de médecin dont la presse fait régulièrement l'écho. Les médecins sont d'ailleurs la seule profession avec une différence d'échelle supérieure à un entre les deux pays.

Tableau 1. Exemple d'échelle de reconnaissance des ARM entre la France et le Québec

Professions/métiers

Échelle de reconnaissance
Québec

Échelle de reconnaissance
France

Avocat

Quasi-automatique

Quasi-automatique

Infirmière

Conditionnelle

Conditionnelle

Ingénieur

Quasi-automatique

Automatique

Médecin

Conditionnelle

Automatique

Sagefemme

Conditionnelle

Conditionnelle

Travailleur social

Automatique

Automatique

Briqueteur-maçon

Conditionnelle

Conditionnelle

Pâtissier

Automatique

Automatique

Plâtrier

Quasi-automatique

Automatique

Soudeur

Automatique

Quasi-automatique

15

iii. Des avocats si différents ?

La profession d'avocat excite dans la quasi-totalité des pays, mais elle garde des spécificités nationales importantes. Toutefois, entre les barreaux français et le barreau du Québec les similitudes semblent plus grandes que les différences. L'ancienneté des relations entre les deux barreaux et la tradition civiliste commune a créé des liens privilégiés. Cette relation se traduit notamment par la multiplicité dans les échanges d'étudiants en droit entre les universités françaises et québécoises. De plus, pour la France, dans la compétition que se livre les différents types de droit sur la scène mondiale, avoir un allié en Amérique du Nord est un atout.15

L'avocat, au même titre que le médecin, occupe une place centrale dans la société québécoise, en France cela évolue vers cette direction. Cependant, il existe encore proportionnellement près de quatre fois plus d'avocat par habitant au Québec. Depuis trente ans, la France rattrape son retard puisque le nombre d'avocats a été multiplié par quatre et la profession attire « des candidats dotés de diplômes réputés » (Karpik, 1995 : 459). Cela s'explique par l'augmentation importante des recours juridiques et l'apparition, comme au Québec, d'un barreau d'affaires. Comme c'est le cas au Québec, la France s'est alignée, au cours des dernières années, sur le modèle anglo-saxon en faisant le lien entre la « crédibilité sociale et la certification universitaire » (ibid, 238). Une autre ressemblance que connaît la profession est sa féminisation. On est aujourd'hui à la parité dans les deux pays et les femmes représentent une majorité des avocats de moins de 30 ans.

S'il existe en France plusieurs barreaux, alors qu'il n'en existe qu'un au Québec, le type d'organisation et de fonctionnement de la profession est assez analogue. Dans les deux pays, il faut avoir fait au minimum quatre ans d'études supérieures en droit afin d'être admissible aux examens de la profession. Il faut aussi chaque année payer sa cotisation à son barreau d'attache et continuer de se former tout au long de sa vie professionnelle. Sur

15 David Levy, Directeur du Pôle juridique au Conseil National des Barreaux, responsable de l'élaboration de l'ARM avec le Barreau du Québec, entretien du 19 février 2013

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le plan sociologique, les membres de la profession ne semblent pas présenter des caractéristiques très différentes. Les avocats appartiennent aux classes moyennes supérieures et supérieures.

Si les ressemblances sont grandes, il existe tout même des différences. La plus importante est, évidemment, la présence d'un bijuridisme au Québec : le « droit privé répond à la tradition civiliste, tandis que le droit public est davantage influencé par la common law » (Le droit au Québec, 2013 : 1) (Kay, 2009 ; Jutras, 2009 ; Chiasson, 2001 ; Perret, 2003 ; Gervais et Seguin, 2001 ; Gaudreault-Desbiens, 2007). Il existe aussi des distensions sur le plan organisationnel puisqu'au Québec un avocat peut garder son titre s'il travaille en entreprise ou dans la fonction publique. Ainsi, les avocats qui travaillent en entreprise, dans le secteur public ou parapublic représentent 35 % des membres du barreau du Québec (Barreau du Québec, 2012 : 2). Il est aussi possible de créer des cabinets multidisciplinaires, regroupant notamment des experts comptables, alors que c'est interdit en France. Par contre avec l'Europe, les avocats français sont déjà confrontés, depuis le début des années 90, à la concurrence étrangère. En effet, 4 % des avocats qui exercent sur le territoire français sont étrangers, au Québec cette compétition n'existe pas.

1. Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des avocats

Signé par le Barreau du Québec et le Conseil national des Barreaux, l'Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des avocats est entré en vigueur en août 2010. Il permet à un avocat ayant obtenu en France une maitrise ou un master I en droit ainsi que le certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) et qui « par ailleurs, satisfai[t] aux autres conditions suivantes : - Être inscrit au Tableau d'un barreau en France à titre d'avocat en exercice. - Justifier d'une assurance responsabilité professionnelle couvrant son activité professionnelle au Québec par une protection égale ou supérieure à celle en vigueur au Québec » de passer un « examen de contrôle des connaissances portant sur la réglementation et la déontologie » (ARM avocats, 2009 : 5). En cas de réussite à celui-ci, le demandeur peut « demander son inscription au Tableau de l'Ordre du Barreau du Québec » (ibid, 5). L'examen de

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contrôle des connaissances sur la réglementation et déontologie des avocats a lieu deux fois par an et il consiste en un examen oral devant un jury de trois avocats, la note de passage est de 60 %.

Pour exercer en France, il faut que le demandeur ait obtenu un baccalauréat en droit dans une des six universités16 qui dispensent la formation en droit civil et possèdent un permis d'exercice de la profession d'avocat. L'avocat demandeur doit alors passer une épreuve portant sur la réglementation de la profession et la déontologie. Il doit aussi « être inscrit au Tableau de l'Ordre du Barreau du Québec à titre d'avocat en exercice [et] justifier d'une assurance responsabilité professionnelle couvrant son activité professionnelle au Québec par une protection égale ou supérieure à celle en vigueur pour les avocats inscrits au barreau français concerné » (ibid, 5). Ainsi, à partir du moment où les différentes conditions énumérées ci-dessus sont réunies l'avocat peut demander son inscription au Tableau d'un barreau français. Notons que dans les deux cas, il n'existe pas par la suite d'obligations pour le demandeur de rester membre de son barreau d'origine.

Pour les avocats la reconnaissance est donc une reconnaissance quasi automatique puisqu'ils doivent simplement démontrer « l'acquisition de connaissances dans le domaine déontologique et de la réglementation professionnelle ». (Côté, 2008 : 370) La répartition des avocats étrangers selon leur nationalité, effectuée par le Ministère de la Justice française au 1er janvier 2011, dénombrait 30 avocats canadiens inscrits à un barreau français. Les statistiques fournies par le Conseil des Barreaux établis qu'entre 2010 et 2012, 58 avocats québécois ont été admis. Ainsi, si l'on enlève les 11 admis en 2010 aux 30 avocats canadiens exerçant sur le sol français au 1er janvier 2011, le nombre d'avocats canadiens exerçant en France a été multiplié par trois sur une période de trois ans. Au 31 décembre 2012, on évalue à 77 le nombre d'avocats canadiens exerçant dont au moins 58 provennant du Québec17. À l'étude des données, il est indéniable que la signature de l'ARM a permis d'augmenter le nombre d'avocats exerçant en France, mais

16 L'université d'Ottawa est aussi dans l'entente puisqu'elle possède une section de droit civil et que ses étudiants peuvent appliquer à l'École du Barreau du Québec

17 Ministère de la justice, D.A.C.S Ð Pôle d'évaluation de la justice civile -, « Statistiques sur la profession d'avocat Ð situation au 1er janvier 2012 »

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ils demeurent moindres par rapport à d'autres nationalités comme l'Allemagne (214) ou les États-Unis (140). Les chiffres n'étant malheureusement pas disponibles pour le Québec nous ne pouvons pas effectuer le même exercice.

L'ARM prend de la « valeur » lorsqu'on analyse les démarches exigées pour les avocats non assujettis à l'ARM. Il est excessivement difficile de faire reconnaître ses diplômes afin de devenir avocat en France ou Québec. Par exemple, un avocat canadien provenant d'une autre province doit passer le même examen de déontologie que l'avocat français voulant exercer au Québec, mais doit en plus repasser deux examens de droit civil et procédures afférentes alors même qu'il s'agit d'avocats exerçant dans le même pays (Barreau du Québec, 2013). En France, les avocats non membres de l'UE doivent repasser un examen d'aptitude qui comprend un écrit et un oral, avec deux épreuves à chaque fois. Les avocats québécois sont dispensés de trois des quatre examens puisqu'ils ne doivent passer que « l'entretien de quinze minutes environ avec le jury, portant notamment sur la réglementation et la déontologie de la profession » (Conseil National des Barreaux, 2009 : 7).

On peut conclure que la quasi-disparition de barrière institutionnelle a encouragé un nombre d'avocats, plus important qu'à l'habitude, à effectuer les démarches afin d'exercer dans l'autre pays. Cette affirmation confirme notre hypothèse H1 voulant que la suppression de barrière institutionnelle favorise l'établissement de professionnels étrangers sur son territoire. On doit toutefois relativiser l'augmentation des flux puisque que le nombre de demande reste limité et ne représente même pas 0,2% des avocats français et québécois.

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iv. Infirmière : une réalité si semblable ?

À première vue, on pourrait croire que les ressemblances entre les infirmières québécoises et françaises sont plus grandes, car elles vivent la même réalité au contact des malades, pourtant l'analyse laisse apparaitre des différences, principalement sur le plan institutionnel. Inévitablement, un des points communs est la féminisation de la profession qui atteint plus de 90 % dans les deux pays. Cette place des femmes dans les soins infirmiers s'explique pour des raisons historiques, et malgré une très légère hausse des hommes, la tendance lourde n'est pas au changement. Dans les deux systèmes de santés, il existe un manque chronique d'infirmière et les moyennes par habitant sont équivalentes18 (Barlet et Cavillon, 2010 et OIIQ, 2009). Les infirmières sont aussi, et de loin, la première profession de santé et c'est sur elles, en grande partie, que le système de santé est bâtie (Cohen, Pepin, Lamontagne et Duquette, 2002 : 294). Des deux côtés de l'Atlantique, les infirmières connaissent le plein emploi et elles sont particulièrement sujettes à exercer leur emploi à temps partiel. Au Québec, c'est 42,5 %19 des effectifs totaux qui travaille à temps partiel alors qu'en France 23 %20 travaillent à mi-temps.

Dans les deux systèmes, les infirmières s'opposent à certains changements que connaissent les systèmes de santés occidentaux et qui bouleverse leurs méthodes de travail. En effet, les administrations mettent en place le principe de flux tendu, créant une parcellisation des tâches. Ces changements impactent directement le coeur de leur travail : « l'attention aux problèmes personnels et sociaux du patient » (Acker, 2005 : 163 et 164). Le rapport d'autorité, par rapport au médecin, est aussi une question soulevée des deux côtés, car il existe encore des préjugés de supériorité ce qui entraine parfois une « mauvaise relation de travail entre les infirmières et les médecins » (Shields et Wilkins, 2006 : 71).

18 France : 822 pour 100 000 habitants - Québec : 850 pour 100 000 habitants

19 Tiré de Graphique 11 - Situation d'emploi des infirmières exerçant la profession au Québec, 2006-2007 et 2010-2011 (Marleau, 2011 : 28)

20 Tiré de Tableau 3 - Évolution de la part du travail à temps partiel selon l'âge des infirmiers salariés - (Barlet et Cavillon, 2010 : 15)

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Une des différences importantes réside dans l'organisation professionnelle et institutionnelle de la profession. Au Québec elle est très organisée et possède un réel poids politique. Par conséquent, la « profession d'infirmière québécoise [É] (statut de profession, code de déontologie, ordre des infirmières) a largement servi de référence » pour le mouvement infirmier français (Gardin, Grojean, 2006 : 105). L'importance de l'Ordre se traduit au Québec par l'obligation de réussir ses examens afin de devenir infirmière. Cette différence de poids et de place de l'institution explique, en partie, pourquoi au Québec les infirmières sont considérées comme une profession à part entière alors qu'en France le passage de métier à celui de profession est moins évident (Jouet le Pors, 2004 ; Broutelle, 2009). L'autre différence est l'existence d'une discipline universitaire propre aux soins infirmiers qui n'existe pas en France. Au Québec, les infirmières ont développé depuis déjà une vingtaine d'année une science indépendante des médecins ou autres protagonistes de la santé alors qu'en France l'université n'a pas encore ouvert ces portes aux soins infirmiers en tant que science.

Par ailleurs, à la différence de la France qui possède une seule formation d'infirmière, délivrée après trois ans d'étude supérieure, au Québec, il y a plusieurs types de formation d'infirmière. Actuellement, il y a deux formations dites de base avec soit l'obtention d'une technique en soins infirmiers délivrée par les Cégeps ou l'obtention d'un baccalauréat en soins infirmiers (Cohen, Pepin, Lamontagne et Duquette, 2002 : 157). Les infirmières québécoises peuvent ensuite poursuivre des études de cycles supérieurs (maitrise, doctorat). Ces quatre formations octroient des « grades » d'infirmières distincts tout en étant membre du même Ordre professionnel, l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Actuellement, il existe au Québec un débat important autour de la formation de base des infirmières puisque l'Ordre souhaite que l'obtention du baccalauréat deviennent obligatoire pour avoir le droit d'exercer.

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1. Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des infirmières

Signé en juin 2010 par les autorités compétentes21, l'arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des infirmières et infirmiers est entré en vigueur en juin 2011. Avant tout, l'ARM exclut à l'article 5 les infirmières québécoises diplômées d'un DEC en soins infirmiers « étant donné que le programme français comporte au moins 1395 heures d'enseignement théorique et clinique de plus que le DEC québécois » (ARM infirmière, 2010 : 5). Pour les autres infirmières québécoises inscrites au Tableau de l'Ordre et possédant un permis d'infirmière, il faut réussir « un stage d'adaptation en milieu clinique d'une durée de 75 jours, dont le contenu et les modalités sont agréés par l'Ordre national des infirmiers de France » (ibid, 6). Le demandeur qui satisfait au stage se voit autoriser par le ministère de la Santé à exercer sur le territoire français la profession d'infirmière sans distinction avec personne diplômée en France.

Pour une infirmière française, la démarche est similaire puisqu'elle doit aussi réussir un stage d'adaptation de 75 jours en milieu clinique afin d'être inscrite au Tableau de l'Ordre22. Si en théorie la situation semble claire dans les faits les infirmières françaises immigrantes au Québec ont eu la surprise de pas être considérées comme des infirmières cliniciennes (baccalauréat), mais comme des infirmières techniciennes (DEC). La situation a depuis évolués puisque les cohortes françaises diplômées après 2009 sont reconnues comme des infirmières cliniciennes. Par conséquent, le Québec a créé une démarcation entre les infirmières françaises en fonction de leurs années de diplomation, distinction qui n'existe pourtant pas en France23.

21 Pour le Québec : l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec ; pour la France : la ministre de la santé et des sports et l'Ordre national des infirmiers de France

22 Les infirmières doivent aussi être à jours dans leurs cotisations à leurs Ordres professionnels. Québec (2012-2013) : 411,03$ ; France (2013) : 30 € pour les infirmiers salariés (secteurs public et privé), les infirmiers inscrits à l'Ordre exerçant à l'étranger et les infirmiers inscrits pour exercer uniquement à titre bénévole (retraités ou non, hors réserve sanitaire) ; 75 € pour les infirmiers libéraux.

23 Code de la santé publique française

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Comme pour les avocats il n'existe pas d'obligation de rester membre de son Ordre d'origine. Pour les infirmières dans les deux territoires la reconnaissance est une reconnaissance conditionnelle puisque les demandeurs se voient imposés des « mesures de compensation significatives pour combler les différences substantielles dans la formation professionnelle reçue dans le territoire d'origine » ici sous la forme d'un stage de 75 jours (Côté, 2008 : 370). Si les démarches demandées se classent au niveau le plus exigeant de l'échelle de Côté, elles ne semblent pas pour autant arrêter les infirmières françaises, puisqu'au 31 décembre 2012, 373 ont obtenu l'autorisation légale d'exercer sur le sol québécois, alors qu'elles ne sont que 6 a avoir fait le chemin inverse.

Afin de pouvoir comparer l'avant et l'après-ARM, nous allons revenir sur les démarches demandées aux infirmières diplômées hors du Canada puis aux infirmières hors UE. Premièrement, l'infirmière doit constituer son dossier de demande de reconnaissance afin d'obtenir la reconnaissance d'équivalence. Le comité d'admission par équivalence de l'OIIQ analyse le dossier et établit si l'infirmière doit ou non repasser des formations complémentaires. Deuxièmement, l'infirmière doit réussir un programme d'intégration professionnelle, même si l'OIIQ a établi une équivalence parfaite. Cette formation varie de « quelques semaines à quelques mois selon le profil de chaque infirmière » (OIIQ, 2013). Troisièmement, l'infirmière doit passer et réussir l'examen professionnel de l'Ordre, indépendamment de son expérience et de son lieu de provenance (ibid, 2013).

En France les démarches ne sont pas plus simples puisqu'il faut réussir les épreuves de sélection pour les infirmiers ayant un diplôme hors Union européenne d'un Institut de Formation en Soins infirmiers (IFSI) qui déterminera si le candidat peut ou non bénéficier « d'une dispense de scolarité pour l'obtention du diplôme d'État d'infirmier ». Si l'IFSI décide que non, le demandeur doit suivre la totalité où une partie de la formation initiale. (CRIPP, 2013)

En conclusion, l'ARM est venue transformer les démarches demandées aux candidats par rapport à ce qui était exigé avant l'entrée en application de l'arrangement. Ces modifications qui facilitent les démarches expliquent en partie pourquoi les infirmières

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françaises viennent en grand nombre travailler au Québec. Toutefois, malgré la réciprocité des démarches pour les infirmières québécoises il semble que cela n'est pas suffisant pour entrainer une immigration vers la France. Par conséquent, l'ARM des infirmières confirme que plus les barrières institutionnelles sont réduites, plus le volume du flux est important, ce qui confirme notre hypothèse H1. Il est essentiel de tester notre hypothèse H2 afin de vérifier si celle-ci peut expliquer l'asymétrie très forte entre le flux des infirmières françaises et le flux des infirmières québécoises.

v. Validation de H1

L'hypothèse (H1) que nous avons formulée, selon laquelle plus les démarches demandées sont simplifiées, plus le flux du volume de demandeurs augmente, est partiellement validée. En effet, elle va dans le sens de l'OIM pour qui des « mesures strictes risquent de ralentir l'entrée ou décourager les migrants [É] [alors que] de manière générale, les systèmes laxistes favorisent l'immigration » (OIM, 2008 : 62). Toutefois, l'examen des infirmières et des avocats démontre qu'on ne peut pas baser uniquement notre analyse sur les échelles de reconnaissance auxquelles les ARM ont abouti.

En effet, dans les vingt-trois métiers et cinq professions qui ont une reconnaissance automatique il n'y a pas d'arrivée massive d'immigrant. Notre analyse a démontré qu'un des éléments qui semble important à prendre en considération est la différence entre ce qui était demandé avant l'entrée en vigueur de l'ARM et ce qui est demandé maintenant. Pour valider cette affirmation, il faudrait répéter la démarche pour les soixante-dix-neuf ARM restant, ce que nous ne pouvons malheureusement pas faire dans le cadre de cet essai.

Par ailleurs pour certains ARM, la différence dans les échelles reconnaissances peut avoir des conséquences sur la direction des flux et pas simplement sur le volume des flux migratoire. En effet, si d'un côté les barrières institutionnelles sont importantes, mais que de l'autre côté elles sont inexistantes alors il peut y avoir des conséquences importantes sur la direction des flux. Dans le cas de l'Entente, il ne semble pas que cela ait été assez important pour renverser la direction des flux migratoires. En effet, ceux-ci vont

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quasiment toujours vers le Québec alors que c'est là où il y a encore le plus de barrières institutionnelles. Cela nous amène donc à notre deuxième partie qui s'intéresse à l'influence des différences socio-économiques dans la direction des flux.

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II. Les facteurs socio-économiques

Dans cette seconde partie, nous allons tenter de répondre à notre hypothèse H2 qui postule que la direction des flux migratoires dépend des conditions socio-économiques du pays d'accueil. Pour ce faire, nous reviendrons sur l'importance des facteurs socio-économiques dans l'immigration économique et nous chercherons à éliminer l'argument purement démographique. Dans un second temps, nous définirons les limites d'une telle recherche quantitative et mettrons en place des outils afin de contrôler les différences de monnaie. Finalement, nous comparerons pour les infirmières et les avocats les revenus et les heures travaillées afin d'identifier si les flux migratoires vont dans la direction où les conditions socio-économiques sont les plus élevées.

1. Non-causalité entre la démographie et la direction des flux migratoires

Dans cette partie, nous avons cherché à démontrer que l'argument démographique24 voulant que les mouvements des flux migratoires s'expliquent par la différence de taille de population entre les deux pays n'est pas viable. Pour ce faire, nous avons identifié trois pays, les États-Unis, la Tunisie et l'Allemagne, que nous avons comparés à la France afin d'observer si les flux migratoires vont toujours du pays le plus peuplé vers le pays le moins peuplé. Pour le Canada, les statistiques des ressortissants par pays ne sont pas disponibles, nous ne pourrons donc pas effectuer la même démarche.

Aux États-Unis, la communauté française est estimée à 200 000 personnes25 alors que le nombre d'Américains vivant en France est de 100 000 personnes26. Proportionnellement, les États-Unis ont 4,77 fois plus de population et pourtant il y a près de deux fois plus de Français installés aux États-Unis. L'Allemagne compte 81,89 millions d'habitants et

24 En terme démographique, la France est 7,45 fois plus peuplé que le Québec. Il y a en 7,22 fois plus d'infirmière en France mais seulement 2,14 fois plus d'avocat.

25 Maison des Français de l'Étranger, http://www.mfe.org/index.php/Portails-Pays/Etats-Unis

26 Ambassade des Etats-Unis à Paris, http://french.france.usembassy.gov/

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accueil 110 000 Français27 ; la France accueille 150 000 Allemands28 et compte 65,7 millions d'habitants. Finalement, en Tunisie on estime qu'il y a 30 000 Français29 pour un pays de 10 millions d'habitants alors qu'ils seraient 625 000 Tunisiens30 à habiter en France. Cette étude rapide avec trois pays de taille différente semble confirmer qu'il n'existe pas de causalité absolue entre la taille de population et la direction des flux migratoires.

2. L'importance des conditions socio-économiques lors de la migration

Si la difficulté des démarches à entreprendre est un élément important dans la décision d'immigrer, les facteurs socio-économiques semblent l'être tout autant. Les différents auteurs qui s'intéressent à l'immigration identifient l'amélioration des conditions de vie comme un des éléments essentiels dans la migration de pays « en voie de développement » vers des pays « développés » (Jayet, 2001 ; Docquier et Rapoport, 2007 ; Baude, 2008 ; Ambrosini, 2010 ; OIM, 2008). Même la définition donnée à l'immigration économique par l'OIM suppose que l'immigrant quitte « son lieu de résidence habituelle pour s'installer hors de son pays d'origine dans l'espoir d'améliorer sa qualité de vie » (OIM, 2008 : 531). Or nous sommes en présence d'une immigration différente puisqu'elle concerne deux pays qui ont des niveaux de vie relativement similaires. Est-il possible que les migrants économiques entre pays « développés » et occidentaux aient des attentes et des raisons d'immigrer différentes ? Si on part du postulat, que les flux d'immigration économique entre pays « développés » et occidentaux sont poussés par d'autres raisons que la simple amélioration des conditions socio-économiques, alors les flux migratoires résultant de l'Entente ne devraient pas forcément aller dans la direction où les conditions économiques sont les plus élevées. À l'inverse, si les flux vont là où elles sont les plus intéressantes on pourra présumer qu'il

27 Projet de loi autorisant la ratification de l'accord entre la République française et la République fédérale d'Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts.

28 ibid

29Ambassade de France en Tunisie, http://www.ambassadefrance-tn.org/La-communaute-francaise-de-Tunisie

30 Office des Tunisiens à l'Étranger, http://www.ote.nat.tn/index.php?id=78

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n'y a pas de différence entre l'immigration des pays « en voie de développement» vers les pays « développés » et l'immigration entre pays occidentaux.

3. Théorie de l'offre individuelle de travail

Par ailleurs, nous sommes face à des migrants qui individuellement proposent leurs « services », donc nous nous appuierons sur la théorie de l'offre individuelle de travail développé par Jevons (1872). L'offre individuelle postule que le temps de travail qu'un individu est prêt à fournir pour un salaire donné « correspond à l'optimisation de ses préférences personnelles » (Vercherand, 2006 : 66). Un individu travaille jusqu'au « point où l'utilité marginale de son travail tend à être surpassée par sa désutilité marginale : c'est à dire jusqu'à ce que l'utilité, en terme de revenu et autres satisfactions, d'une heure de travail en plus devienne inférieure à son coût, en terme de fatigue et de loisirs sacrifiés » (ibid, 66). L'individu est donc toujours à la recherche de possibilité afin de maximiser l'utilité marginale de son travail : gagner plus en travaillant autant, ou travailler moins en gagnant autant. Dans cette théorie les deux variables sont le salaire et le temps de travail.

Dans le cas qui nous intéresse, nous ne rentrerons donc pas dans un comparatif global France-Québec qui intégrerait le taux de chômage général, la vigueur économique ou encore la qualité des systèmes de santé et d'éducation. Nous nous limiterons à une analyse des deux professions afin d'identifier des différences marquantes qui peuvent jouer un rôle d'attractivité ou au contraire de repoussoir.

Dans notre hypothèse H2, nous postulons que le temps de travail entre les deux pays ne varie pas ou peu, mais par contre que les revenus sont plus élevés au Québec. Comme, « l'utilité du travail dépend du taux de rémunération » par conséquent, les immigrants vers le Québec augmentent l'utilité marginale de leur travail, sans pour autant modifier la désutilité marginale qui est influencée par le temps de travail (ibid, 66). Cette théorie de l'offre explique, si elle est confirmée par notre étude de cas, l'asymétrie des flux

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d'immigrations au niveau des infirmières, mais aussi l'asymétrie qui existe dans la quasi-totalité des ARM au profit du Québec.

En revanche, comme cette asymétrie n'existe pas chez les avocats, c'est d'ailleurs pourquoi nous avons choisi cette profession, nous allons tenter d'identifier des raisons qui expliquent la similarité du flux. Est-il possible que les salaires soient plus proches que prévu où qu'il existe une différence importante en terme de nombre d'heure travaillé ?

4. Les difficultés méthodologiques

Au niveau des revenus, une telle tentative de comparaison soulève des difficultés, notamment la différence de monnaie et de pouvoir d'achat. Afin de les contrôler, nous appliquerons à nos variables le taux de conversion monétaire Parité du pouvoir d'achat (PPA). Le PPA est un taux de conversion monétaire qui permet « d'exprimer dans une unité commune les pouvoirs d'achat des différentes monnaies. Ce taux exprime le rapport entre la quantité d'unités monétaires nécessaire dans des pays différents pour se procurer le même « panier » de biens et de services » (INSEE, 2013). Nous utiliserons l'outil pédagogique Perspective Monde de l'Université de Sherbrooke31 qui détermine le PPA en dollar américain constant de l'an 2000. Afin de contrôler la variation simplement due à la fluctuation des taux de change des monnaies d'origine, nous utiliserons le PPA des cinq dernières années dont nous disposons. Pour la France en dollar constant de l'an 2000 le PPA est de 1,21 et pour le Canada de 1,15.

L'autre difficulté est la disponibilité des données et leurs années de production. Pour les infirmières, nous connaissons la moyenne des revenus des infirmières québécoises en 2005, alors que nous disposons de celle de 2012 pour la France. En France, les infirmières libérales représentent 15 % du total des infirmières et la moyenne de leurs revenus est disponible pour 2010. Nous disposons pour les avocats de la moyenne et la médiane produite par le Barreau du Québec (2008) et par l'INSEE (2007).

31 http://perspective.usherbrooke.ca/

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Pour le temps de travail, la démarche n'est pas aisée puisque les données sont disparates. Nous disposons de statistiques par semaine pour les avocats québécois (2008) et français (2008), mais nous n'avons pas le nombre de semaines travaillées par une année. Pour les infirmières, nous avons le nombre moyen d'heures travaillées par semaine et le nombre de semaines travaillées par année en France (2010) et au Québec (2005)

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i. Infirmière : des revenus très différents

Dans la première partie de notre essai, on a constaté que le profil sociologique des infirmières françaises et québécoises était relativement similaire. Elles effectuent les mêmes tâches, leurs places dans les systèmes de santé et les contraintes auxquelles elles sont soumises sont relativement proches. Cependant, on a noté qu'il existait des différences importantes quant à l'institutionnalisation de la profession. En est-il de même pour leurs revenus et de leurs nombres d'heures travaillées ?

Tableau. 2 : Revenus moyens bruts des infirmières québécoises et françaises

Infirmière

France

 
 
 
 

Québec

Moyenne

Infirmière 85 % :

Infirmière libérale 15 % :

25

46

836

100

€ (2012)

€ (2010)

51

000

$ (2005)

Moyenne PPA

34 939 $

 
 
 
 

58

650 $

Source : Emploi Québec, Salaires et statistiques, Infirmiers autorisés/infirmières autorisées (3152), Appel médical (Groupe Randstad), Le 1er Baromètre des salaires de la santé

INSEE, Revenu libéral moyen des professions de santé en 2010

Tableau. 3 Nombre d'heures travaillées par les infirmières québécoises et françaises

 

France

Québec

Moyenne d'heures travaillées par semaine

35,5

33,5

Moyenne de semaines par
année

45

42,42

Total d'heures travaillées

1597,5

1421,07

Source : Barlet et Cavillon, La profession infirmière : Situation démographique et

trajectoires professionnelles

Laberge et Montmarquette, Portrait des conditions de pratique et de la pénurie des effectifs infirmiers au Québec

Castonguay, Montmarquette et Scott, Analyse comparée des mécanismes de gouvernance des systèmes de santé de l'OCDE

Nous ne disposons pas pour les infirmières de la médiane par conséquent, nous n'utiliserons pas les mêmes mesures statistiques que pour les avocats. Néanmoins, cela ne pose pas de problème puisque le spectre de salaire est beaucoup moins large comparativement aux avocats. En effet, les infirmières sont très majoritairement salariées limitant donc la variation possible dans les revenus.

31

Dans le tableau 2, malgré les cinq/sept années qui séparent les données, on constate que les salaires sont beaucoup plus élevés au Québec. Après l'application du taux PPA, une infirmière québécoise gagne 23 711 $ de plus, en dollar américain constant de l'an 2000, qu'une infirmière française. Cela représente 40 % de salaire supplémentaire par année. Ces données confirment notre hypothèse H2 voulant que les flux migratoires aillent vers l'endroit ou les conditions économiques sont les plus intéressantes et cela même entre pays « développés » et occidentaux.

Dans le tableau 3, on constate que les infirmières françaises travaillent en moyenne 173 heures de plus par année que leurs collègues québécoises. Cela confirme que les infirmières québécoises ont des conditions de travail plus intéressantes que les infirmières françaises.

32

ii. Avocat : Une moyenne trompe l'oeil

Tableau. 4 Revenu moyen et médian brut des avocats français et québécois

Dans la première partie de notre essai, nous avons constaté des similitudes assez importantes notamment dans le fonctionnement et l'exercice de la profession entre les avocats français et québécois. Nous allons tenter d'identifier les différences et ressemblances au niveau des revenus et du temps de travail.

Avocat

 

France

 

Québec

Moyenne

60

900

€ (2007)

96

410

$ (2008)

Médiane

41

400

€ (2007)

84

201

$ (2008)

Moyenne PPA

 

73

689 $

 

110

872 $

Médiane PPA

 

50

094 $

 

96

831 $

Source : INSEE, Les professions libérales en 2007

Barreau du Québec, enquête socio-économique auprès des membres du barreau du Québec 2008

Avant tout, l'utilisation de la moyenne n'est pas l'outil le plus adapté pour des professions libérales où les revenus peuvent varier fortement. La moyenne possède le défaut de ne pas représenter fidèlement la tendance centrale, puisqu'elle est influencée par des valeurs extrêmes. En France, par exemple, l'existence d'un « barreau d'affaire » qui ne représente que 25 % des avocats, mais qui possède 75 % des revenus générés par la profession explique la différence de plus de 20 000 € entre la moyenne et la médiane (Karpik, 2003 : 204).

Afin de dresser un portrait réaliste du revenu moyen réel des avocats, nous utiliserons la médiane, puisqu'elle coupe en deux parties égales l'ensemble des valeurs. La médiane PPA des revenus des avocats québécois, en dollars américains constants de l'an 2000, est de 96 831 en 2008, alors qu'il est de 50 094 pour la France en 2007. La différence qu'on constate entre les deux moyennes est accentuée lorsqu'on compare les revenus médians. En moyenne, un avocat québécois gagne 33,5 % de plus qu'un avocat français, alors qu'il gagne 48,2 % de plus lorsqu'on compare les médianes. Ces chiffres démontrent qu'il y a plus de valeurs extrêmes en France qu'au Québec, puisque la différence entre la moyenne

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et la médiane est plus forte dans le premier (23 595 $) que dans le second (14 041 $) cas. Le spectre des revenus, donc les inégalités, est plus important entre les avocats français qu'entre les avocats québécois. Finalement, notre hypothèse selon laquelle la rémunération est plus importante au Québec est vraie, les avocats québécois ont des revenus deux fois plus élevés que leurs confrères français.

Tableau. 5 Nombre d'heures travaillées par les avocats québécois et français

Heures travaillées

France

Heures travaillées

Québec

Moins de 39heures

11 %

35 heures et moins

23,02 %

Entre 39 h et 46 heures

29 %

Entre 36 et 40 heures

11,95 %

Entre 46 et 55 heures

37,50 %

Entre 41 et 50 heures

37,15 %

Plus de 55 heures

22,50 %

Plus de 50 heures

27,88 %

Source : Village de la Justice, Quelques chiffres sur les avocats en 2007... http://www.village-justice.com/articles/Quelques-chiffres-avocats,6885.html

Barreau du Québec, enquête socio-économique auprès des membres du barreau du Québec 2008

Au niveau du temps de travail32, les avocats français travaillent plus d'heures par semaine que les avocats québécois. En effet, 89 % des avocats français en 2008 ont travaillé plus de 39h par semaine, mais seulement 65 % de leurs collègues québécois ont travaillé 41 heures et plus. En terme de semaines travaillées, les données ne sont malheureusement pas disponibles en l'état. Toutefois, pour la France si l'on soustrait les cinq semaines de vacances annuelles « obligatoires » plus les onze jours fériées on obtient 45 semaines travaillées par année. Au Québec, il y a huit jours fériés et entre deux à quatre semaines de vacances. Arbitrairement, nous prendrons trois semaines de congés, plus huit jours fériées, cela donne environ 48 semaines travaillées par année. Malgré l'incertitude autour du temps de travail réel en moyenne les avocats français travaillent plus par semaine, mais moins de semaines par année. En grossissant le trait, il n'existe pas de différence majeure par année en terme d'heures travaillées comme cela est le cas pour les salaires.

La différence en terme de revenus et l'équivalence dans le nombre d'heures travaillées confirment que les conditions socio-économiques des avocats sont plus intéressantes au

32 Nous tenons à souligner la faiblesse méthodologique de cette partie, mais le manque de donnée nous oblige à effectuer une telle démarche.

34

Québec. Si l'on assume que la théorie de l'offre individuelle de travail est valide, comme cela est le cas avec les infirmières, alors il existe d'autres raisons qui expliquent la symétrie du flux migratoire chez les avocats.

Les pistes qu'on peut avancer pour l'expliquer sont diverses. Il est vraisemblable que le peu d'années de recul dont nous disposons crée un biais produisant des résultats statistiquement non significatifs. Cette possibilité est étayée par la présence de cabinets d'avocats qui ont des bureaux en France et au Québec (plus d'une quinzaine). Pour ces cabinets, l'ARM permet, sans difficulté, d'avoir des avocats membres des deux barreaux. Cependant, ces firmes ont un « réservoir » d'avocat non reconductible dans le temps.

Une autre raison qui peut expliquer pourquoi la théorie de l'offre individuelle ne s'applique pas est la différence d'avocat par habitant. Au Québec, il y a 300 avocats pour 100 000 habitants alors qu'en France seulement 79. On peut considérer qu'au Québec le système fonctionne à pleine capacité et ne peut plus absorber l'arrivée de nouveaux avocats. Alors qu'en France avec un nombre aussi faible il reste de la place. Si le marché québécois semble être à maturité, différentes études, menées par le gouvernement du Québec, montrent que la profession d'avocat reste une profession d'avenir, puisque « l'heure de la retraite a sonné pour de nombreux baby-boomers » (Grégoire, 2013). En France malgré le faible nombre d'avocats au contraire certaines études laissent entendre que les barreaux ne réussissent plus à intégrer de nouveaux avocats (Haeri, 2013).

Une autre possibilité est le champ de pratique exercée par les avocats québécois qui viennent en France. En France, le barreau d'affaires gagne 75 % du chiffre d'affaires global de la profession, mais seulement 25 % des avocats en font partie. Il est donc possible que la disparité des revenus entre les avocats français soit encore plus grande que ce que nous avons identifié au profit des avocats d'affaires. Par le fait même, un avocat québécois exerçant dans ce champ de pratique ne serait pas touché autant par une diminution de revenus. Pour confirmer cette supposition, il faudrait obtenir les champs de pratique dans lesquels les avocats québécois exercent après qu'ils aient obtenu l'ALE.

35

En conclusion il existe différentes pistes pour expliquer la symétrie du flux de l'ARM des avocats. Toutefois, il nous semble qu'une étude similaire dans quelques années montrera que les ARM ont drainé plus d'avocat au Québec que le contraire.

36

iii. Validation partielle de H2

En conclusion, cette seconde partie confirme en partie notre hypothèse H2, voulant que les facteurs socio-économiques expliquent la direction que prennent les flux migratoires. Cependant, on ne peut pas affirmer que plus les différences socio-économiques sont élevées, plus les flux migratoires sont asymétriques.

La théorie de l'offre individuelle de travail explique relativement bien l'asymétrie du flux de migration pour les infirmières. En effet, une infirmière française verra l'utilité marginale de son travail augmentée puisqu'en moyenne les salaires sont 40 % plus importants au Québec. Pour les avocats la théorie de l'offre individuelle n'est pas confirmée, car le flux migratoire est similaire alors qu'un avocat français verrait l'utilité marginale de son travail augmenter fortement en venant au Québec.

Par ailleurs, pour valider la théorie de l'offre individuelle, il faudrait effectuer la même démarche pour l'ensemble des ARM. Cela permettrait de confirmer, où d'infirmer que l'asymétrie dans les flux migratoires est la résultante d'une volonté des migrants d'améliorer leurs conditions socio-économiques. Nous pourrions aussi développer une approche par l'inverse, c'est-à-dire trouver une activité professionnelle où les revenus sont plus élevés en France et observer la direction du flux migratoire. Un contre-exemple intéressant serait les notaires, puisqu'en moyenne un notaire en France gagne 229 700 € par année, alors qu'au Québec un notaire a des revenus similaires aux avocats (INSEE, 2007). Malheureusement pour le moment nous n'avons pas été en mesure d'identifier une activité professionnelle où les revenus sont plus importants en France et où il y ait des mouvements migratoires réels.

Dans un autre ordre d'idée, cette seconde partie démontre qu'il est complexe de vouloir analyser une entente quantitativement simplement quelques années après son entrée en vigueur. Le manque de recul représente un risque, d'autant plus que certains ARM doivent encore rentrer en application. Nous reviendrons plus en détail sur notre méthodologie dans la troisième partie. Nous tenons à souligner que notre seconde partie

37

ne prend pas en compte le statut d'immigrant alors que leurs revenus sont quasiment toujours plus faibles. La raison est que certains auteurs ont démontré que les immigrants qui parlent le français et qui viennent de pays occidentaux ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés d'intégration que les autres (Picot et Hou, 2003 ; Boudarbat et Boulet, 2010 ; Blaser, 2010 ; Forcier, 2012).

38

III. Les dangers de notre recherche exploratoire : Influence communicationnelle et limite méthodologique

Dans cette partie, nous tenterons d'établir les limites de notre recherche exploratoire. Le premier volet s'intéressera à l'importance relative de l'Entente dans l'immigration France-Québec. Un des points que nous souhaitont aborder est l'analyse du bruit médiatique qui a entouré les ARM. Le second volet portera sur les difficultés rencontrées dans notre essai au niveau méthodologique. Nous soulignerons la difficulté d'obtenir des données exhaustives, et questionnerons notre choix d'utiliser l'aspect quantitatif par rapport au qualitatif.

i. Beaucoup de bruit pour rien ?

L'intérêt porter aux relations France-Québec, tant sur le plan institutionnel qu'individuel, nous a incité à choisir l'Entente de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles comme sujet d'essai. Ce choix a été accentué par l'impression d'être face à un sujet porteur, novateur, important et peu étudié. Depuis la signature de l'Entente, les deux gouvernements ont eu une communication politique abondante sur l'accord et encore aujourd'hui toutes les rencontres entre des responsables politiques français et québécois abordent la question des ARM. Pourtant, cette médiatisation est disproportionnée par rapport à ce que représente quantitativement l'Entente. En effet, seulement 5 % au maximum de l'immigration régulière par année a recours à un ARM et si on prend l'ensemble de l'immigration France-Québec, c'est moins de 0.45 % des immigrants qui sont concernés. Malgré cela, nous allons voir que les médias, lorsqu'il est question de l'immigration France-Québec, abordent souvent la question des ARM comme quelque chose de central, particulièrement au Québec.

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Afin d'analyser le poids médiatique, nous avons choisi de compter le nombre d'articles de journaux consacré aux ARM depuis 200733. Pour ce faire, nous utiliserons l'outil Eureka, qui est un serveur d'information en ligne permettant d'avoir accès aux articles publiés dans les principaux journaux.

Pour notre recension nous avons utilisé au Québec les mots clés « entente France Québec » qui doivent apparaître dans le titre des articles. Les articles qui apparaissent portent donc spécifiquement sur l'Entente et non pas sur l'immigration française ou québécoise de manière globale. Au Québec, entre 2007 et 2013, pas moins de 38 articles ont été publiés sur le sujet dans les journaux papier des principaux quotidiens québécois (la Presse 6 ; le Devoir 11 ; le Journal de Québec 4 ; le Soleil 3 ; le Journal de Montréal 4 ; autres 11).

Pour la France nous avons choisi les mots clés « Québec » et « mobilité » ou « immigration » qui doivent apparaître dans le texte et nous effectuerons l'analyse pour neuf quotidiens, dont un quotidien économique (les Échos) et un quotidien régional (Ouest France). Les articles sont donc plus généraux, mais nous ne relevons que ceux qui font référence à l'Entente. Depuis 2007 il y a dix articles qui ont été écrits sur le sujet dans le Monde, neuf dans le Figaro, cinq dans le Parisien et dans la Croix, 3 dans Ouest-France, un seul dans les Échos et libération et aucun dans l'humanité. Notre recherche sur Eureka montre qu'il y a une différence dans le traitement médiatique entre le Québec et la France sur la place qu'occupe les ARM lorsqu'on parle de l'immigration France-Québec. Si nous avions utilisé les mêmes mots clés que ceux pour le Québec notre recherche aurait été réduite drastiquement, par exemple, pour le Monde aucun résultat ne sort lorsqu'on utilise « entente France Québec ».

En outre, l'utilisation du terme « immigration des Français » est volontaire, attendu que sur l'ensemble des articles analysés en France l'accord est toujours présenté comme unidirectionnel. Au Québec, sur les 38 articles il n'y a que deux qui s'intéressent à la question de l'immigration dans l'autre sens. Le premier publié par la Presse du 23 mai

33 Un an avant la signature officiel de l'Entente

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2009, « Une carrière en France, ça vous dirait ? ». L'autre le 15 juin 2012, par le Journal de Québec, « ENTENTE FRANCE-QUÉBEC Une première infirmière québécoise reconnue ». Il semble qu'on puisse faire un lien entre cette présentation de l'Entente par la presse et la direction qu'on a pu observer dans les flux migratoires résultants des ARM.

On constate aussi que les articles font souvent référence à des domaines particuliers notamment médicaux. Au Québec, huit articles sont consacrés exclusivement au domaine médical. Sur les huit articles, quatre parlent des médecins dont un article peu flatteur publié dans le Devoir du 22 janvier 2008 intitulé « Lamontagne craint l'afflux de médecins des colonies ». Il y a eu deux articles sur les infirmières et deux sur les avocats. Notons un article sur les avocats dans le Monde du 17 juin 2009, « Exercer au Québec, c'est possible », une année avant que l'ARM ne rentre en application.

Sans revenir dans les détails, d'autres types de médias ont consacré des sujets à l'immigration France-Québec, et à l'Entente indirectement. Cette observation d'autres types de source d'information, notamment la télévision, confirme que les articles sont toujours orientés vers les Français qui partent ou habitent au Québec. En France par exemple le Journal télévisé de France 2, le 14 novembre 2012, a consacré un grand reportage, « Québec, la ruée des Français » de plus de 7 minutes. Au Québec, Radio-Canada a consacré dans son journal télévisé trois reportages de plus 8 minutes le 18, 19 et 20 février 2013 sur l'immigration des Français au Québec.

Le traitement médiatique de l'immigration française vers le Québec n'est pas en soi étonnant puisqu'il semble y avoir effectivement un phénomène spécifique d'immigration française au Québec. « Au cours des dix dernières années, 30 000 immigrants français se sont établis au Québec, soit le plus fort contingent national devant l'Algérie, le Maroc et la Chine. Sélectionnés au terme d'un long processus, les nouveaux arrivants ont en commun la jeunesse (25-40 ans) ainsi qu'un haut niveau de formation et de qualification » (Consulat général de France à Québec, 2013). Il est évident que l'intérêt médiatique pour ce phénomène s'inscrit dans le contexte global de mauvaise santé du marché du travail en France. Avec plus de 10 % de chômage, 24,6 % chez les moins de

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24 ans, les Français sont tentés par le chemin du départ. Surtout chez les jeunes avec « [un jeune sur trois] qui déclare avoir l'intention de s'installer à l'étranger » (Opinionway, 2013 ; INSEE, 2013). Si l'intérêt médiatique est logique, il est étonnant de voir que l'Entente de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles est toujours citée, où mise de l'avant, alors même qu'elle ne représente qu'une infime partie des 30 000 Français qui arrivent par année au Québec.

On peut se demander si la place de l'Entente dans les médias ne s'explique pas en partie par la communication politique que les deux États, particulièrement le gouvernement du Québec, ont développée à son endroit. Par exemple au Québec, les sites internet gouvernementaux comme immigration Québec où celui du ministère des Relations internationales de la Francophonie et du Commerce extérieur affichent des onglets sur le sujet directement sur leurs pages d'accueil plus de 5 ans après l'accord. Pour le Québec, cette Entente semble être une vitrine afin d'illustrer le souhait de recruter des personnes formées. Cette démarche s'inscrit dans le cadre des deux derniers plans d'action du Ministère des Relations internationales, La force de l'action concertée et plus spécialement dans le volet sur Le développement du capital humain. Il y énonce vouloir « attirer et retenir davantage d'immigrants qualifiés » (Gouvernement du Québec, 2006 : 56). Sans faire de lien direct avec la problématique entourant le chômage en France, l'Entente prend beaucoup moins de place sur les sites officiels, à l'exception du Consulat de Montréal et de Québec.

Si la machine de communication politique a fonctionné à plein régime, réussissant à ce qu'on parle abondamment l'Entente dans les médias, il n'en est pas de même pour les résultats. Pour le moment, aucune évaluation des résultats n'a été publiée. Alors même qu'à chaque rencontre entre dirigeant français et québécois l'Entente est citée en exemple, ils sont incapables de « déterminer si la politique est un succès, ou si, au contraire, le problème subsiste » (Kübler et de Maillard, 2009 : 17). En effet, dans ce genre d'Entente où l'on peut utiliser « des évaluations quantitatives [É] objectives et justes », notamment en comptant le nombre d'autorisations légales d'exercer émises, il est essentiel de connaître les résultats afin d'avoir la capacité de s'ajuster en cas de

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manque de réussite (Amar et Berthier, 2007 : 2). Il semble que le Comité bilatéral France/Québec cherche à faire un suivi chiffré puisque nous avons obtenu, lors de notre entretien avec Monsieur Yves Doutriaux (secrétaire générale du Comité bilatéral France/Québec), un document papier (Annexe 1) portant sur le nombre d'autorisations légales d'exercer émises au 31 décembre 2012. Est-il possible que les gouvernements fassent de la rétention d'information ou bien sont-ils confrontés à une difficulté de faire remonter les chiffres afin d'être exhaustif dans leurs données ? Soulignons que pour les politiques, cette Entente dans son fonctionnement est particulièrement novatrice et permet de souligner la relation exceptionnelle qui uni les deux États. Par la même occasion, cela offre au Québec une occasion de faire un pied de nez au reste du Canada attendu qu'un tel accord n'existe pas au sein même de la fédération. Souligner la faiblesse des résultats quantitatifs ne semble à l'évidence pas être une de leur priorité.

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ii. Les limites méthodologiques

Sur le plan méthodologique notre analyse fut parfois difficile, compliquée et limitée scientifiquement. Le problème majeur a été le manque de recul temporel dont nous disposions. Si l'Entente a été signée en 2008, les ARM sont entrés en vigueur de manière disparate au cours des cinq dernières années, ce qui explique le manque de donnée brute à exploiter.

Alors même que nous disposions de données que pour 742 autorisations légales d'exercer nous avons établi que les flux migratoires des ARM vont quasiment systématiquement de la France vers le Québec. Pourtant, il est compliqué de parler de tendance lourde et définitive alors que l'ensemble des ARM ne sont pas entrés en application. Par exemple, notre étude ne prend pas en compte les ingénieurs, alors que dans les années futures ils vont jouer un rôle de moteur dans l'émission des ALE. On peut prévoir que la direction des flux va rester la même, voir être accentuée avec les ingénieurs, lorsqu'on analyse les données fournies par le Portrait statistique des immigrants permanents et temporaires dont le pays de dernière résidence est la France 2008-2012 de Benzakour. Il n'en reste pas moins que pour notre essai nous ne disposions pas de l'ensemble des données (Benzakour, 2012). Ce manque de donnée a une incidence directe puisqu'une des raisons du choix des avocats et des infirmières résulte du fait qu'ils sont les deux ARM à avoir émis le plus d'ALE. Cela démontre qu'il est compliqué de vouloir effectuer une étude approfondie notamment quantitative tant que les données « officielles » n'ont pas été publiées.

Dans un autre ordre d'idée, dans notre seconde partie nous avons tenté d'effectuer une analyse la plus juste possible en comparant les situations socio-économiques entre la France et le Québec. Si nous avons bien réussi à contrôler avec le taux de change Parité du pouvoir d'achat (PPA) les variations de monnaie afin que la comparaison entre les différents revenus soit fiable, nous avons été mis en difficulté sur l'inégalité des sources d'informations. Ce manque de cohérence dans les données crée des biais entre la réalité et les résultats de notre analyse. Par exemple, nous avons comparé les revenus des

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infirmières alors même qu'au Québec nous avions les salaires de 2005 et en France ceux de 2012, il est pourtant évident qu'en 7 ans les revenus évoluent.

Afin de contrôler les biais de notre analyse quantitative, nous aurions dû mettre en place une méthodologie tournée davantage sur les méthodes qualitatives avec par exemple une série d'entretien des immigrants ayant eu recours à un ARM. Si nous avions interrogé directement les personnes ayant obtenu une autorisation légale d'exercer, notre contact avec notre sujet d'étude aurait été direct donc moins biaisé par les aléas de la disponibilité des données (Groulx, 1997 ; Anadon et Guillemette, 2006 ; Gauthier, 2008). Si nous avions voulu rester dans une démarche quantitative, l'utilisation de questionnaire aurait pu être une solution. Dans une future recherche sur le sujet, il est primordial de mettre en place une collaboration étroite avec les ordres professionnels, car ils disposent autant des données quantitatives, puisqu'ils émettent les ALE, et qualitatives. Une recherche qui s'intéresserait aux métiers semble plus aléatoire et compliquée puisqu'il n'y a pas forcement d'organismes de représentation auxquelles se référer.

Finalement, un des points essentiels d'une recherche tournée autour des méthodes qualitatives est de permettre de comprendre s'il est possible de parler d'immigration de manière macro sans s'intéresser à la spécificité de chaque parcours.

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Conclusion

Au cours de cet essai, nous avons tenté d'identifier, à travers l'Entente de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et plus particulièrement les avocats et les infirmières, certaines différences et ressemblances des marchés du travail entre la France et le Québec. Afin de pouvoir répondre à cette problématique, nous voulions comprendre pourquoi ces deux ARM sont ceux qui ont attiré le plus de travailleurs. Dans un second temps, nous avons cherché à comprendre pourquoi chez les infirmières il existe une asymétrie dans le flux migratoire qui n'existe pas chez les avocats.

Pour ce faire, notre première hypothèse postulait que la réduction des barrières institutionnelles permettait d'augmenter le volume des flux migratoires. Dans notre première partie, nous nous sommes appuyés sur l'échelle de reconnaissance de Charles-Emanuel Côté afin de déterminer si les ARM ayant le plus diminué leurs barrières institutionnelles étaient ceux avec les plus importants flux migratoires. Nous n'avons pas totalement validé notre Hypothèse H1 puisqu'on constate que dans vingt-trois métiers et cinq professions il y a une reconnaissance qui est automatique et pourtant il n'y a pas particulièrement d'arrivées dans ces champs d'activités. Est-il possible que la différence entre les démarches à faire afin de pouvoir exercer dans l'autre pays avant et après l'entrée en vigueur des ARM soit faible ? Si c'est le cas, ça confirmerait qu'un des éléments importants à prendre en considération pour comprendre le volume des flux est la différence entre ce qui était demandé avant et après l'entrée en vigueur de l'ARM, comme cela a été démontré avec les avocats et les infirmières.

Par ailleurs, on a constaté qu'il existe plusieurs ARM où les échelles de reconnaissance ne sont pas les mêmes entre la France et le Québec. Si cela ne semble pas avoir eu une incidence marquée sur la direction des flux migratoires, il n'en reste pas moins que cela peut dans le futur avoir un impact. L'exemple des médecins est intéressant à ce sujet. On constate que la levée des barrières institutionnelles a joué dans la direction du flux en faveur de la France (pas jusqu'à le renverser, mais tout de même). En effet, lorsqu'on

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connaît la différence de revenus entre les médecins québécois et français34 il semble anormal, lorsqu'on applique la théorie de l'offre individuelle, que près de trente médecins québécois aient fait le choix d'exercer en France, mais surtout que seulement soixante médecins français est fait le chemin inverse. Il semble évident qu'il existe un lien avec les barrières institutionnelles qui sont inexistantes en France, mais encore contraignantes au Québec. Il apparaît donc indéniable que les barrières institutionnelles peuvent jouer un rôle dans la direction et pas simplement dans le volume des flux migratoires, comme nous l'avions supposé au départ. En ce qui a trait à l'ARM des médecins, il semble intéressant, dans une étude ultérieure, de s'y intéresser. Notamment afin de comprendre pourquoi l'échelle de reconnaissance est si différente entre les deux pays.

Dans notre seconde partie, nous postulions (112) que les immigrants vont toujours majoritairement vers l'endroit ou les conditions socio-économiques sont les plus intéressantes. Pour ce faire, nous avons notamment utilisé la théorie de l'offre individuelle de travail, c'est-à-dire que le temps de travail qu'un individu est prêt à fournir pour un salaire donné « correspond à l'optimisation de ses préférences personnelles » (Vercherand, 2006 : 66). Nous avons démontré que le temps de travail entre les deux pays n'est pas très différent, mais que les revenus sont beaucoup plus élevés au Québec. Par conséquent, comme nous considérons que pour les immigrants l'amélioration de leurs conditions socio-économiques est essentielle, cela explique pourquoi les flux migratoires partent de France pour aller au Québec. Cependant, si notre hypothèse 112 a été totalement confirmée pour les infirmières, nous n'avons pas été en mesure d'expliquer de manière certaine pourquoi le flux migratoire des avocats est symétrique, alors qu'en terme de revenus les avocats québécois touchent 48,2 % plus que leurs confrères français. Nous avons avancé un certain nombre de pistes notamment en lien avec le manque de recul temporel puisque l'ARM des avocats est entrée en vigueur

34 Québec : 253 539$ (CAMERON, Daphné, Les médecins québécois parmi les moins bien payés au Canada, La Presse, 22 janvier 2010, http://www.lapresse.ca/actualites/sante /201301/22/01-4613923-les-medecins-quebecois-parmi-les-moins-bien-payes-au-canada.php)

France : 94 110 € (BIENVAULT, Pierre, Revenus des médecins, le grand écart, La Croix, http://www.la-croix.com/Ethique/Medecine/Revenus-des-medecins-le-grand-ecart -_NP_-2013-03-01-916620

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seulement en 2010. En conséquence, dans notre deuxième partie, nous avons conclu que notre hypothèse H2 nous semble tout de même valable, mais qu'en plus de devoir refaire le test dans quelques années il nous faudrait utiliser un contre-exemple. C'est-à-dire trouver une activité professionnelle plus rémunératrice en France afin d'observer son flux migratoire. En outre, dans le cadre d'un travail plus poussé, nous aurions l'obligation de mener la même démarche pour l'ensemble des ARM afin de confirmer nos suppositions.

En conclusion, on constate l'existence d'un lien entre les barrières institutionnelles et le volume des flux d'immigration. Plus les barrières sont contraignantes, plus le volume des flux est faible et plus les barrières sont levées, plus les flux sont importants. Par ailleurs, il semble évident que les facteurs socio-économiques expliquent en partie la direction des flux migratoires, même si d'autres facteurs doivent être pris en considération.

Dans un autre ordre d'idée, notre essai s'intéresse à une partie de l'immigration moins étudiée. En effet, si l'immigration nord-sud est un sujet important des sciences sociales, on constate que la recherche sur l'immigration entre pays développés à encore beaucoup de place à prendre. Les chercheurs qui travaillent sur la question s'intéressent principalement au volet européen à travers le prisme de l'UE et de la libre circulation des personnes (Blumann, Defalque, Pertek, Steinfeld et Vigneron, 2006). Une autre force de notre essai est d'analyser un accord qui pour le moment a été très peu étudié. En effet, simplement deux articles scientifiques portent spécifiquement sur celui-ci et ils s'intéressent principalement aux conséquences juridiques (Côté, 2008 ; Côté, 2012). Pourtant, simplement dans son fonctionnement l'Entente mérite d'être étudiée. Plutôt que d'imposer par le haut et créer des risques de blocages avec la base lors de la mise en place, les gouvernements ont intégré les acteurs de terrain en créant une entente globale dans lesquels viennent s'insérer chacun des ARM. De plus, l'Entente a l'intelligence de laisser la porte ouverte à d'autres ARM comme le montre l'exemple des vétérinaires actuellement en négociation alors qu'ils n'y étaient pas prévu au départ.

Par ailleurs, un tel accord semble être un facteur favorisant l'immigration féminine puisque les infirmières représentent plus de 40 % de l'ensemble des ALE pour le

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moment, alors que traditionnellement l'immigration est majoritairement masculine. Toutefois, il faudrait pousser notre étude plus loin afin de déterminer si les infirmières françaises qui ont recours à l'ARM s'inscrivent dans une démarche individuelle ou dans une démarche familiale notamment de « suivre » leurs conjoints (Dallera et Ducret, 2004 ; Morokvasic, 2008 ; Tattolo, 2008). Quoi qu'il en soit, les ARM permettent aux femmes d'exercer une activité réglementée dans le pays d'accueil plutôt que d'être dans l'impossibilité d'exercer leurs emplois de formation.

Par ailleurs, l'Entente s'inscrit comme le préambule d'une partie de l'accord global que signent actuellement le Canada et l'UE. Cet accord, le plus important depuis l'ALENA pour le Canada, est un accord de deuxième génération c'est-à-dire qu'il n'est pas un simple accord de libre-échange, mais a des visées plus larges notamment sur la main-d'oeuvre. En effet, cet accord commercial prévoit un volet portant sur la reconnaissance mutuelle des qualifications afin d'établir une « future reconnaissance mutuelle des qualifications dans des professions telles que celles d'architecte, d'ingénieur ou d'expert-comptable » (Commission européenne, 2013). L'Entente est d'ailleurs un modèle privilégié pour cette partie de l'accord Canada-UE.

Précédemment, nous avons souligné que les ARM représentent de 0,4 à 0,5 % des Français qui arrivent par année au Québec. Il n'en reste pas que chez les migrants français « près d'une personne sur deux (46 %) détient un très haut niveau de scolarité (17 années et plus), 27,1 % totalisent 14 à 16 années » et vingt-cinq pour cent « ont exprimé l'intention d'occuper un emploi au Québec dans une profession régie par un ordre professionnel ou une autre profession ou métier réglementé » (Benzakour, 2013 : 5 et 9). Par conséquent, la question n'est pas la pertinence des ARM, mais pourquoi ils n'arrivent pas à occuper plus de place dans l'immigration française ? Répondre à cette question est difficile, une des possibilités est que les autorités qui délivrent les ALE ne souhaitent pas réellement l'arrivée de professionnels français et ne facilitent donc pas leur intégration. Une autre possibilité est la non-connaissance du dispositif par les migrants. Encore une fois, le manque de recul temporel nous empêche de répondre à la question de manière formelle.

49

Finalement, cet essai nous invite à nous questionner sur deux problématiques. La première, beaucoup plus générale, est de comprendre pourquoi l'immigration entre pays développés est aussi peu abordée dans la littérature sur l'immigration. Il semble important de s'intéresser à cette question, qui pourrait devenir centrale s'il apparait un marché du travail qui soit de plus en plus mondialisé. L'autre question en lien encore plus direct avec notre sujet de recherche est la question de la migration effrénée des Français au Québec puisqu'en dix ans le nombre a été multiplié par deux (30 000 nouveaux arrivant par année, dont 6 000 en immigration régulière). Plusieurs pistes de réflexion sont possibles : la mauvaise santé économique, le rêve américain francophone ou simplement l'expérience à l'étranger puisque près de 25 % des Français sont déjà rentrés avant leurs quatrièmes années en sol québécois (Miron, 2013 : 26). Il n'en reste pas moins que cette nouvelle vague migratoire semble prendre de l'ampleur et mérite qu'on s'y attarde.

50

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58

Annexe 1

Reproduction du tableau obtenu lors de l'entretien du 1 mars 2013 avec Monsieur Yves Doutriaux secrétaire générale du Comité bilatéral France/ Québec

Entente entre le Québec et la France en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles

Statistiques sur les autorisations légales d'exercer émises

Professions

Autorisations légales d'exercer émises au Québec au 31 décembre 2012

Autorisations légales d'exercer émises en France au 31 décembre 2012(1)

Administrateur agrée

4

1

Agronome

3

1

Architecte

29

4 (+1 en cours)

Arpenteur-géomètre

0

Non en vigueur en France

Audioprothésiste

0

(1 en cours)

Avocat

56

58

Chimiste

2

2

Comptable agrée

1

5 (+1 en cours)

Comptable généraux accrédités

6

(2 en cours)

Dentiste

2

1

Évaluateur agrée

0

0

Infirmière

373

4 (+2 en cours)

Ingénieur

0 - non en vigueur

7

Ingénieur forestier

0

0

Médecin

64

33

Opticien

32

0

Pharmacien

6

1

Physiothérapeute/ thérapeute en réadaptation physique

0 - non en vigueur

Non en vigueur

Sage-femme

2

0

Technicien dentaire

1

n.d.

Technologues en imagerie médicale et radio-oncologie

4

0

Technologiste médical

0

0

Technologue professionnel

0 - non en vigueur

n.d.

Travailleur social

35

2 (+4 en cours)

Urbanistes

4

n.d.

Total professions

624

118 (non compris 13 dossiers en cours)

Métiers hors construction

Autorisations légales

d'exercer émises au Québec

Autorisations légales d'exercer émises en France

Mécaniciens de machineries fixes

2

0

Pâtissiers

8(2)

0

59

Boulanger

 

2

0

Frigoriste

2(3)

1

Technicien de maintenance des systèmes énergétiques et climatiques

2

0

Métier de l'eau potable

0

2

Total métiers hors construction

16

2

Métiers Constructions

Autorisations légales

d'exercer émises au Québec

Autorisations légales d'exercer émises en France

Briqueteur-maçon

1

1

Électriciens

11

0

Frigoriste

1

0

Mécanicien de chantier

1

0

Peintre

3

0

Charpentier-menuisier

0

1

Couvreur

0

1

Plombier

0

1

Total métiers construction

17

4

Métiers de l'automobile

Autorisations légales

d'exercer émises au Québec

Autorisations légales d'exercer émises en France

Débosseleurs

3

n.d.

Mécaniciens

12

n.d.

Mécaniciens de véhicules routiers lourds

3

n.d.

Peintres

2

n.d.

Total métiers de l'automobile

20

n.d.

Fonctions

Autorisations légales

d'exercer émises au Québec

Autorisations légales d'exercer émises en France

Assurances

0

n.d.

Valeurs mobilières

0

n.d.

Total fonctions

0

n.d.

GRAND TOTAL

677 autorisations légales d'exercer émises au Québec 124 autorisations légales d'exercer émises en France

60

Annexe II

Échelle de reconnaissance France-Québec

Professions/métiers/

Échelle de

reconnaissance Québec

Échelle de

reconnaissance France

Administrateur agréé

Automatique

Automatique

Agronome

Quasi-automatique

Automatique

Architecte

Quasi-automatique

Quasi-automatique

Arpenteur géomètre

Conditionelle

Conditionelle

Audioprothésiste

Conditionelle

Conditionelle

Avocat

Quasi-automatique

Quasi-automatique

Chimiste

Quasi-automatique

Automatique

Comptable agréé

Conditionelle

Conditionelle

Comptable général accrédité

Conditionelle

Conditionelle

Dentiste

Conditionelle

Conditionelle

Évaluateur agréé

Quasi-automatique

Quasi-automatique

Infirmière

Conditionelle

Conditionelle

Ingénieur

Quasi-automatique

Automatique

Ingénieur forestier

Quasi-automatique

Automatique

Médecin

Conditionelle

Automatique

Opticien d'ordonnance

Conditionelle

Quasi-automatique

Pharmacien

Conditionelle

Conditionelle

Physiothérapeute Thérapeute en réadaptation physique

Conditionelle

Conditionelle

Sage-femme

Conditionelle

Conditionelle

Technicien dentaire

Automatique

Automatique

Technologue imagerie médicale et en radio-oncologie

Conditionelle

Conditionelle

Technologue professionnel

Automatique

Automatique

Technologiste médical

Conditionelle

Conditionelle

Travailleur social

Automatique

Automatique

Urbaniste

Automatique

Automatique

Boucher de détail

Automatique

Automatique

Boulanger

Automatique

Automatique

Briqueteur-maçon

Conditionelle

Conditionelle

Carreleur

Automatique

Automatique

Charpentier-menuisier

Quasi-automatique

Automatique

Cimentier-applicateur

Conditionelle

Automatique

Couvreur

Conditionelle

Automatique

Débosseleur

Automatique

Automatique

Électricien (construction)

Automatique

Automatique

61

Électricien (hors construction) (voir email pour le nombre)

 

Quasi-automatique

Automatique

Frigoriste (construction)

Quasi-automatique

Automatique

Frigoriste (hors construction)

Automatique

Automatique

Mécanicien d'ascenseurs (hors construction)

Automatique

Automatique

Mécanicien d'automobiles

Automatique

Automatique

Mécanicien de chantier

Quasi-automatique

Automatique

Mécanicien de machines fixes (classe A)

Automatique

Automatique

Mécanicien de machines fixes (classe B)

Automatique

Automatique

Mécanicien de machines fixes- production d'énergie- classe 1

Automatique

Automatique

Mécanicien de machines fixes- production d'énergie- classe 2

Automatique

Automatique

Mécanicien de machines fixes- production d'énergie- classe 3

Conditionelle

Conditionelle

Mécanicien de machines fixes- production d'énergie- classe 4

Automatique

Quasi-automatique

Mécanicien de machines lourdes

Quasi-automatique

Automatique

Mécanicien de remontées mécaniques

Automatique

Automatique

Mécanicien de systèmes de chauffage (hors construction)

Automatique

Automatique

Monteur-mécanicien (vitriers)

Conditionelle

Automatique

Opérateur d'équipements lourds

Quasi-automatique

Automatique

Opérateur de pelles mécaniques

Quasi-automatique

Automatique

Pâtissier

Automatique

Automatique

Peintre

Quasi-automatique

Automatique

Peintre d'automobiles

Automatique

Automatique

Plâtrier

Quasi-automatique

Automatique

Plombier (construction)

Automatique

Automatique

Plombier (hors construction)

Automatique

Automatique

Poissonnier

Automatique

Automatique

Poseur de revêtements souples

Conditionelle

Automatique

Poseur de systèmes intérieurs

Quasi-automatique

Automatique

Serrurier de bâtiment

Quasi-automatique

Automatique

Soudeur

Automatique

Quasi-automatique

Quatre qualifications dans le domaine de l'eau potable

Automatique

Automatique

Six qualifications dans le domaine du gaz

Automatique

Automatique






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