Le pouvoir de la population
sur son environnement
Cas du Plateau de Millevaches
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Sommaire
Introduction p.7
I) Les marqueurs spatiaux du pouvoir p.21
1. Le territoire abordé ... p.21
2. L'environnement : indicateur des pouvoirs p.27
II) Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux
p.59
1. L'approche de la population p.59
2. Les acteurs : relations, perceptions du pouvoir et actions
sur
l'environnement p.65
3. Différents leviers de pouvoir de la population sur le
Plateau de
Millevaches p.83
III) Au-delà du Plateau, des leviers de pouvoir en
débat p.99
1. D'autres delà. Des comparaisons avec le Plateau de
Millevaches sur le
pouvoir des habitants p.99
2. Le pouvoir comme question d'organisation de la
démocratie et question
d'échelle p.106
3. Débats sur le pouvoir des habitants p.111
Conclusion . p.125
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« La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se
connaît misérable. »
Pascal, Pensées, III.1.255
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Introduction
Tout finit dans l'âtre du salon. Les verbes au feu et
les pensées en cendres ne dégagent qu'un cône de
fumée qui fendra la neige, annonçant au voyageur une maison
encore habitée, un hiver de froid combattu. Quelle valeur que d'avoir
beaucoup de choses à dire, ces choses-ci ou d'autres : mieux vaut que
l'estimable résultat ne soit qu'une lanterne fatiguée parcouru
des salves du vent.
Avant le départ, j'envisageai un voyage en Equateur
pour parler de mon sujet. On cherche pour vivre, davantage que le contraire.
Alors qu'importera l'idée rapportée au creux des mains. Je savais
ce que je trouverai là-bas, la force ou la faiblesse déjà
aperçue, la volonté entrevue de la population d'être son
maître. On se figure quelque aventure à raconter ; cela ne l'ai-je
pas déjà fait ? Il n'est pas si simple de tomber dans
l'émerveillement du voyage, de lui consacrer sa passion ou sa
lucidité, pas si simple de vivre. Et l'envie, ma reine, m'a porté
au pied de chez moi, je veux dire de ma région natale : c'était
facilité et c'était, aussi, une certaine pré-connaissance,
des interrogations qui me passaient par les oreilles quand je me reposais en
Creuse et que j'avais envie de rencontrer. Bonjour, très cher doute,
comment allez-vous ?
C'est donc plein d'erreurs que j'avancerai dans mes recherches
puisque j'ai déjà parcouru la région. Mes yeux ne voient
certainement pas ce qui choquerait l'observateur extérieur, ils ne
possèdent pas la simplicité nécessaire pour aborder les
faits les plus évidents. Ce qui me pousse à choisir le plateau de
Millevaches comme lieu d'études est aussi ce que je dois oublier. Que je
trouve où je vais mon propre visage, cela semble pourtant inexorable. Il
ne faut pas chercher mais vivre pour devenir enfin un autre que soi. Si j'aime
et si je suis ce qui m'entoure, je n'ai plus besoin de ma blessante
identité.
Alors l'envie, c'est certainement la réputation
anarchiste du Plateau, c'est l'écho d'originalité du plateau qui
me pousse vers lui, la pensée que je puisse trouver des initiatives
à raconter, et qu'à partir de ces initiatives, je puisse souffler
la notion de pouvoir, la faire exploser comme un atome qui livre ses quarks. Et
c'est plein de mon attachement au courant altermondialiste que je m'y rends :
la subjectivité est déjà dans le choix du sujet. Et je ne
peux que faire l'erreur de lire les discours et les faits en rapport avec mes
positions. Puisque, d'une certaine façon, c'est elle j'interroge par ma
recherche.
Mais un autre constat me pousse là-bas : celui de la
présence étouffante des bois de « sapins » : c'est
déjà un paradoxe pour mon étude et mieux m'aurait valu
traverser l'océan pour éviter une contradiction. Car comment
peut-on trouver du pouvoir à la population, quelle
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influence lui trouver sur son environnement quand la
première piste écologique ne révèle qu'un paysage
à la santé déclinante ? Mais ces résineux m'ont
aussi poussé sur le plateau de Millevaches parce que je n'aimerais pas
les voir autour de chez moi, envahir les Combrailles comme ils envahissent le
sud creusois et la haute Corrèze. Le conifère est un arbre
planté de force, une intrusion humaine sous perfusion dont la culture
intensive laisse amer autant l'homme qui contemple l'horizon que le sol sur
lequel il repose.
Je n'ai donc, au final, pas choisi un terrain où le
contexte dénote le pouvoir des habitants. La profondeur de la
démocratie voudrait que ce soit eux qui décident. Voici tout mon
souci. Quels sont les leviers de pouvoir de la population sur son
environnement ?
C'est donc sur ces formes de pouvoir qui peuvent venir de la
population locale que j'entends me concentrer. Vanité de la recherche...
ou vanité de l'homme qui veut trop croire qu'il peut. Et que cette
croyance pourra égaler en pouvoir l'argent ou la hiérarchie :
c'est le même élan, certainement.
Le sujet
Pouvoir et Environnement sont des notions bien vagues et
peuvent être définies de diverses manières. Ce vague, je ne
veux pourtant pas le perdre car ce sont ses formes que je veux approcher,
distinguer. Je ne veux pas le perdre car j'aurai l'impression d'être un
ouvrier spécialisé, à la chaîne, à qui l'on
ne demande qu'une seule tâche et qui perd l'image et les objectifs de sa
réalisation. Néanmoins, il faut mieux s'entendre directement sur
les termes et la compréhension que j'en aurai orientera
inévitablement l'étude. Je voudrais les comprendre comme les gens
les comprennent et comprendre comment ils les comprennent.
C'est aussi, généralement, ce que les
dictionnaires essaient de faire, à ceci près qu'ils
résument au lieu de décomposer. J'ai choisi deux dictionnaires de
géographie pour présenter les acceptations d'Environnement puis
de Pouvoir.
De l'environnement, il nous est dit que le terme «
est appliqué aujourd'hui à l'observation des effets des
activités humaines de tous ordres sur leur entourage par un renversement
de l'application du terme, qui dans les sciences de la nature procède de
l'étude de l'action du milieu. » [Georges & Verger, 2000]
et, dans l'autre dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003] qu'il s'agit
de « l'ensemble des réalités extérieures à
un système [...] conditionnant son existence et interagissant avec lui.
Spécialement, les réalités biophysiques comme
environnement des sociétés. », il cite aussi Paul Vidal
de la Blache qui stipulait que « l'environnement est moins ce qui
entoure que ce qui inclut », « ce qui entoure »
étant la définition répandue des Larousse et Robert. Si
j'ai choisi ce terme d'environnement, c'est
9
parce qu'on le relie principalement à la nature et
qu'il permet d'étudier davantage que les effets (comme le dit
la première définition) mais étudie aussi les interactions
de l'être humain avec la nature. L'être humain étant une
composante de la nature, les autres êtres humains étant des
éléments de l'entourage naturel d'un être humain, il est
également question des relations entre les sapiens sapiens. Le
paysage dans lequel l'Homme évolue, le paysage utilisé comme
ressource pour soi mais aussi comme média pour parler aux autres,
c'est-à-dire l'occupation du sol, par la verdure, le bâti, par la
présence, l'occupation de l'espace par la culture font partie de
l'environnement. Quand on parle de l'environnement d'une population, on peut
aussi comprendre « territoire », sauf qu'il ne s'agit pas de partir
de limites territoriales pour regarder comment bouillonne l'humanité
à l'intérieur mais de regarder l'espace d'ébullition de
cette population, et puisqu'il faut partir d'elle, pour parler de son espace,
il me semble plus juste d'employer le terme d' « Environnement ».
D'autant plus que je tiens à la connotation écologique dont il
est très souvent teinté, au-delà de la définition
littérale.
Quant au pouvoir, l'objet de l'étude est d'en extraire
certaines composantes et canaliser trop tôt la définition serait
trop vite conclure. Les premières précisions, ne feront donc que
traduire les hypothèses avec lesquelles je pars.
Littéralement (et selon le Larousse), le pouvoir est
« la capacité de faire », le dictionnaire géographique
[Lévy & Lussault, 2003] précise : « la
capacité à agir sur une situation de manière à en
modifier le contenu ou le devenir », un « type de rapport de
quelqu'un (ou d'un groupe) à quelqu'un d'autre par la médiation
d'une force ou d'une mainmise sur les choses. ».
Je pars surtout des définitions littérales. En
ce qui concerne le pouvoir, ce sont les manifestations de cette capacité
à agir que je veux préciser. Et pour mon étude, le rapport
ne sera pas uniquement d'un groupe à un autre groupe mais à tout
ce qui entoure le premier groupe, pas seulement les hommes (ou groupes
d'hommes) mais aussi ce qui se passe entre les hommes. Car on peut agir sur les
liens entre les hommes.
J'ai donc préjugé du constat que l'environnement
physique était noyé de résineux et ne reflétait pas
forcément la mainmise de la population locale, ni son souhait, si l'on
ajoute à ça que le pouvoir est souvent compris comme
l'autorité exercée du fait des institutions, de la voie
hiérarchique, comment donc peut se manifester la volonté «
des habitants d'un territoire défini par des limites administratives
ou politique ou géographique 1» ?
1 Définition de « population »
[George & Verger, 2000]
10
Parce que j'ai déjà traversé le plateau
de Millevaches, j'ai supposé que le pouvoir de la population, la
revendication « démocratique » pouvait aussi passer par la
culture, que la culture était un moyen, trouvé par la population,
d'impacter son environnement. En tout cas, cela va obliger à
présenter des formes de pouvoir qui seraient autre chose que la
domination ou la conquête physique du terrain, à penser
différemment le pouvoir.
« En géographie, le mot « pouvoir »
a longtemps été tenu à l'écart au titre du rejet du
politique » et « les géographes ont eu du mal
à penser la notion de pouvoir car ils entretenaient avec les pouvoirs
institués une relation de sujétion qui les a conduits, sans
parfois qu'ils en aient conscience, à garder le silence »
relate encore le dictionnaire [Lévy & Lussault, 2003]. L'espace
est pourtant la division de parcelles où l'on aime à planter son
drapeau, tel Armstrong sur le satellite, c'est un moyen de peser sur
l'organisation d'une société par l'agencement de l'environnement
et c'est ainsi que Paul Claval peut introduire la notion de pouvoir dans
Espace et pouvoir [Claval, 1978]. Déjà, il
parlait de l'écologie comme politique comprenant la traduction
d'inégalités sociales par la pollution de l'environnement. L'axe
géographique, puisqu'il s'intéresse aux lieux, relie facilement
l'étude du pouvoir à l'environnement. C'est parce que le besoin
des rapports humains est patent que ce concept d'environnement, en
géographie sociale, ne peut être étudié comme une
somme de composantes naturelles et que l'on peut s'appuyer sur le
holisme1, en écologie, pour interroger les pratiques du
pouvoir [Atkison,1991]. L'homme n'est plus le centre ni le sommet de la
pyramide, il est en interdépendance avec la nature. La remise en cause
de la hiérarchie interspécifique en remet en cause une autre : la
hiérarchie intraspécifique, construite entre les hommes. Si c'est
la démocratie que l'on cherche, on peut alors, à l'image du
sociologue Pierre Bourdieu, condamner la reproduction de la domination par la
hiérarchie, domination qui peut aussi passer par la confiscation de la
culture et de la connaissance [Bourdieu, 2002]. La sociologie ajoute à
la géographie et à l'approche du pouvoir par les relations entre
les hommes et leur espace, sa compréhension par les relations des hommes
entre eux.
La façon dont le citoyen peut décider des lois
qui vont conditionner son environnement, sa qualité de vie et
l'étude des formes institutionnalisées remontent plus
généralement à Aristote et on cherche encore actuellement,
dans les études politiques, des moyens de rendre la démocratie
plus participative, à lier plus directement le citoyen aux choix
politiques, à rendre le citoyen maître [Aristote, 1971][Bacque
& Sintomer, 2011].
1Holisme : concept qui veut que le tout soit davantage
que la somme des parties et qui conduits généralement à
donner une valeur aux systèmes naturels (à la manière
d'Aldo Léopold par exemple) plutôt qu'aux individus.
11
Ce n'est pas à la notion de pouvoir que j'avais d'abord
donné ma priorité mais, me semble-t-il, à celle de
l'environnement parce que je constatai que les décisions prises par de
simples paysans sans science pouvaient être beaucoup plus pertinentes
écologiquement que de grands projets étatiques, pensés
à grande échelle et aliénés aux besoins
économiques ou au mythe de la croissance du Produit Intérieur
Brut. Il s'agissait donc pour moi de me familiariser avec l'évolution
des conceptions de la Nature, les problèmes environnementaux majeurs et
ceux d'aménagement du territoire. La conception des réserves
naturelles n'est pas inutile à rappeler (pas seulement parce qu'il
Existe un Parc Naturel Régional de Millevaches mais pour leur mode de
fonctionnement). Conçues à l'origine comme des espaces de
tourisme pour les plus fortunés, quitte à exclure par le
déplacement les personnes vivant sur les lieux, les Parcs Naturels vont
lentement faire leur mea culpa, et à l'aide de la remise en cause de la
dualité Homme/Nature, s'enquérir de la conciliation des
activités humaines et de la permanence d'un environnement
prétendument sauvage [Arnould & Simon, 2007]. L'environnement
devient une cause planétaire et si la biodiversité fait son
apparition au sommet de la Terre à Rio en 1992, c'est parce que le
maintien d'une saine hygiène de vie pour l'espèce humaine lui est
corrélée. Les philosophes Catherine et Raphaël
Larrère vont insister sur la nécessité d'une
éthique de la nature, éthique qu'ils font dépendre d'un
passage de l'anthropocentrisme à l'écocentrisme [Larrère,
1997]. Avec ce passage, selon eux, doit s'opérer la substitution de
l'économie par l'écologie en politique environnementale. Je pense
donc, et c'est peut-être ce pourquoi j'ai retenu leur ouvrage, qu'on ne
situe plus dans le simple discours du développement durable. Lorsque je
suis allé aux « nuits du 4 août », l'été
dernier, à Peyrelevade, un atelier était organisé sur la
façon dont les mots sont atténués pour masquer leur sens,
on proposait de les retraduire et, de la même manière qu' «
agent d'entretien » était le nouveau terme pour « balayeur
», des participants ont dit que « développement durable »
était celui pour « capitalisme ». Parce qu'il y a toujours
cette priorité au progrès du profit monétaire. Je ne
m'intéresse pas, pour ma part, à la persistance du simple
progrès économique mais à celle du progrès des
conditions de vie. Les buts et principes dudit « développement
durable » seront ainsi critiqués dans un article de la revue
Débats [Le Goff, 2009].
L'histoire des parcs et réserves, quant à elle,
semble s'être arrêtée non pas à la conciliation des
activités humaines avec la sauvegarde de la biodiversité mais
à celle des profits générés par ces
activités avec la permanence d'une nature idéalisée,
touristique et alors patrimonialisée. Ce qui engendre la
possibilité d'oublier que la nature est un fait culturel [Berque, 1995]
et que son érection en symbole n'est pas indépendante des
stratégies et volontés de pouvoir. Certes, on voit cependant se
développer, dans certains espaces protégés,
12
le souci de faire participer la population, que celle-ci
puisse s'approprier l'environnement et ce sera l'un de mes points
d'études, mais les fonctionnements institutionnels de moult
réserves (comme ceux des Etats d'ailleurs) ne font pas apparaître
la population comme un organe directement décisionnel.
Les questions d'aménagement du territoire vont
cependant soulever certains conflits, et à travers eux, certaines
attentes de la population, certaines conceptions du pouvoir en matière
d'environnement. Des grands travaux routiers, de la pose du réseau
téléphonique, électrique, des circuits de gaz, d'eau
courante, à l'établissement de barrages, de lignes à
grandes vitesse, le développement du territoire a connu, après la
deuxième guerre mondiale, une recrudescence des projets
d'aménagement frappés du sceau de l'intérêt
général. Intérêt général, semble-t-il,
de plus en plus discuté et critiqué, notamment par de nombreuses
associations environnementales (c'est le cas du projet d'aéroport
à Notre-Dame des Landes aujourd'hui), d'autant plus critiqué que,
localement, le mot intérêt est souvent un non-sens, quand il ne
l'est pas, de surcroît, à échelle plus large. La prise en
compte de la voix locale devient donc une obligation. Et nombre d'études
(géographiques en particulier) de s'attacher à ce dialogue entre
aménageurs et aménagés. On cherche la force
décisionnelle des habitants dans le consensus, la concertation [Mermet
& Berlan-Darqué, 2009] mais c'est encore, à mon sens, une
peur de certains auteurs d'entrer dans la démocratie et
reconnaître une légitimité à un projet
d'aménagement qu'on cherche, de toute façon, à
réaliser, et dont les arguments principaux sont des retombées
économiques. Retombées qui ne riment pas particulièrement
avec qualité de vie de la population concernée, surtout
lorsqu'elles ne la concernent pas. Un ouvrage comme Ecotourisme et
gouvernance participative [Lequin M, 2001] s'avère beaucoup plus
critique quand au potentiel démocratique des concertations et autres
consensus et nous montre que le pouvoir potentiel de la population n'est pas
forcément à lire autour d'une table lors d'un projet
d'aménagement.
Si je cite ces études autour de tels projets, c'est
qu'elles sont nombreuses et qu'elles constituent souvent l'ossature des
rencontres entre Pouvoir et Environnement, l'émergence de tensions
à propos de ce qu'il faut faire d'un espace. Mais, il n'y pas à
proprement parler de projet d'aménagement en cours sur mon lieu
d'étude et ce ne sont pas les débats autour d'un projet que je
compte autopsier. Ces débats, qui existent ailleurs, pourront simplement
me servir d'outils de comparaison avec mon cas : le plateau de Millevaches.
Comment une institution donne un droit de décision à la
population sur la constitution de son environnement m'intéresse moins
que les façons par lesquelles, au quotidien, les habitants pourraient
revendiquer le choix de leur environnement.
13
Cela m'amène, magnétiquement, à
considérer l'environnement comme un espace vécu. Les travaux de
l'école de Berkeley et de Carl Sauer, refusant le déterminisme
géographique, considéraient déjà un espace (espace
souvent urbain par ailleurs) comme un lieu de vie et d'interactions. Les
activités culturelles sont alors reconnues comme ayant une influence sur
le paysage, l'organisation de l'espace. Ceci amène Carl Sauer à
réfléchir à l'éthique de cette « mise en
valeur » de l'espace sociétal [Sauer, 1956] et à une
réflexion politique et culturelle de l'écologie. Avec l'apport
d'une dimension psychologique, Armand Frémont va formaliser la
région comme espace vécu [Frémont, 1999] ainsi que
ruraliser les jeux d'acteurs et l'influence des échanges culturels. La
combinaison régionale est pour lui un ensemble
(écologie-économie-population-paysage) et il sera davantage
question d'étudier les relations entre les composantes de l'espace
plutôt que les composantes elles-mêmes. Si on conçoit
l'espace comme vécu, on s'occupe alors de la manière dont les
hommes évoluent dans cet espace, la manière dont ils
l'intériorisent, le perçoivent, la manière dont ils font
« leur » un environnement. Cette appropriation sensitive des hommes
est aussi le sujet d'étude d'Yves Lüginbuhl chez lequel on peut
dénoter le souci que l'agencement du paysage soit affaire de
démocratie locale puisque les impacts environnementaux concerneront
directement la population locale [Lüginbuhl, 1981]. Armand Frémont
présentera aussi les révolutions sociales comme
évènements permettant de rendre l'espace vécu.
Chez ce dernier, le monde sera abordé par
sphères de connaissance : le départ de l'étude est
l'habitant. Si ce ne peut être tout à fait celui de ma recherche,
puisque nous commençons, quoiqu'on veuille, de notre point de vue
extérieur et subjectif, avec d'emblée quelques
préjugés, l'habitant est toutefois le départ de la
réflexion de l'espace. Ce dernier étant compris comme « les
zones d'impact d'une population ».
Evidemment, cette connaissance du monde se tisse à
diverses échelles. Frémont avance que la région, espace
« intermédiaire entre les lieux de l'immédiate
quotidienneté et les territoires les plus lointains » est
l'espace le plus intériorisé des hommes. Et le pouvoir qu'aurait
la population pourrait se diffuser au travers de ces diverses échelles.
Il me semble que mon échelle d'étude, le plateau de Millevaches,
soit inférieure à la région de Frémont qui est
organisée par le maillage des grandes villes. Il m'aurait fallu
davantage étudier les déplacements vers les préfectures,
vers Limoges, inclure ce maillage dans mon champ d'études pour obtenir
cet espace vécu. Pour obtenir davantage de précisions sur les
déclinaisons, par la population, du Pouvoir, pour pouvoir sillonner
raisonnablement le terrain pendant deux à trois mois et l'aborder de
façon plus complète, il me fallait concentrer sur une zone moins
étendue. D'autant moins étendue que les notions que j'ai choisi
d'aborder :
14
l'environnement et le pouvoir, sont suffisamment vastes pour
ne pas ajouter à leurs déclinaisons de trop grandes
disparités intra-régionale.
Il n'empêche que le plateau de Millevaches ne se pense
pas comme rattaché à des grandes villes mais comme une
entité parsemée de villages, comme un centre qui ne serait pas un
point mais un plan, comme un tout sans capitale, bien qu'entouré de
petites villes. Ce fait n'est pas mon seul point de vue (ou celui d'habitants
qui voudraient rejeter la ville), il est également souligné par
Agnès Bonnaud dans sa thèse [Bonnaud, 1998]. Pour moi, il peut
donc tout à fait être un espace vécu au sens d'Armand
Frémont.
Sur le plateau de Millevaches (si l'on consulte le catalogue
SUDOC), on trouve surtout des thèses de géographie physique qui
étudient la composition du sol et du sous-sol, le granit, mais aussi
quelques études, assez récentes, qui s'occupent de
problème sociétaux, notamment à travers la place de la
forêt dans le paysage. Parfois le penchant et le souci se tourne
davantage vers le développement économique (dans Forêt
et société de la montagne limousine [Beynel, 1998]) et la
forêt est surtout considérée comme ressource, parfois cet
espace boisé est davantage compris comme un lieu de vie que la logique
industrielle peut défigurer (Le paysage, vecteur d'hybridation
économique et culturelle d'un territoire [Terracol, 2009])
ou comme espace perçu différemment selon les populations
-extérieures et locales, entre autres- (Perception et
appréciation de l'espace forestier Le cas du plateau de Millevaches
[Nasr, 2005]). Bien qu'elles se concentrent énormément sur
la forêt, ces études sont les principaux travaux universitaires
sur lesquels j'ai pu m'appuyer, et dont j'ai pu me servir pour compléter
mes investigations.
Le plateau de Millevaches est pourtant loin d'être
sous-étudié puisque les associations présentes
reçoivent souvent du monde, journalistes, étudiants ou
laboratoires universitaires1. Mais les résultats de ces
études ne font pas forcément l'objet d'un
référencement ou d'une publication accessible. Si les
thèses que j'ai citées étaient bien
référencées, certaines pouvaient se consulter uniquement
sur place (l'une d'elles m'a été envoyée par l'auteur par
la poste), ce qui, à mon sens, et quand on veut parler de pouvoir et de
démocratie, représente une certaine confiscation des travaux
scientifiques et pose le problème de leur accès... et de leur
utilité ? On peut espérer que le développement du
numérique puisse y répondre en partie.
Les journaux et autres médias locaux constitueront
néanmoins de bonnes sources d'informations qui, elles aussi, pourront
compléter le travail d'enquête et fournir des points de
1 Par exemple par le GEOLAB de Limoges, voir article
(pp. 12-13) sur IPNS n°37 en annexe 1. Et la page 14 par-dessus le
marché n'est pas du luxe !
15
vue qui dépasseront le cadre forestier. Agnès
Bonnaud les citera par exemple comme source de première main dans sa
méthodologie.
Méthodologie et plan
Sur Millevaches, les chercheuses qui décrivent le plus
leur méthodologie sont Agnès Bonnaud et Tania Nasr. Toutes deux
proposent des études qualitatives parce que leur sujet s'y prête
mais aussi par goût personnel et ce sera aussi mon approche. Elles ne
croient pas à la possibilité de chiffrer les résultats de
leurs rencontres ni à la pertinence de statistiques obtenues et
prétendument objectives. Les conclusions codifiées d'une
étude locale sur la gentrification par le Geolab de Limoges ont
été critiquées en ce sens dans le journal
local1. En particulier, parce que les sondés étaient
sélectionnés et que cette sélection aurait dû
apparaître comme une limite au regard de laquelle l'étude aurait
pu se tourner. Selon le journal, les présupposés de
l'étude, et donc le côté subjectif de l'approche, avaient
été éludés. Je tâcherai d'afficher toute la
partialité de mon jugement et toutes les limites de mon approche.
Agnès Bonnaud avait procédé par
entretiens semi-directifs, et Tania Nasr par entretiens, ou plutôt par
rencontres, non directives, sans afficher son but et laissant les gens parler.
En ce qui concerne l'approche de la population, même si celle de Tania
Nasr me plaît, j'ai prévu d'avance une série de questions
à aborder avec chaque personne rencontrée mais sans m'obliger
à ranger les propos recueillis dans une grille directive. Plutôt
que de construire un échantillon représentatif de la population,
j'essaie d'obtenir des discours variés, pouvant provenir d'un panel
différencié d'habitants (élus, membres associatifs,
retraités, chasseurs, pêcheurs, agriculteurs,...) et d'analyser
les messages obtenus. Evidemment, il y a des personnes qui sont plus faciles
à rencontrer que d'autres (les membres associatifs par exemple) ne
serait-ce que parce qu'ils sont installés dans un local tandis qu'un
agriculteur, par exemple, sera souvent aux champs. Si j'avais du faire un
sondage (ou un questionnaire représentatif), il est probable que
j'aurais eu toutes les difficultés à obtenir en un ou deux mois
un échantillon significatif et représentatif de la population
locale. Sans parler que ne vous répondent les seuls individus qui le
désirent et que certains sont plus loquaces que d'autres. Et que les
propos qui vous font le plus réfléchir, qui peuvent faire sauter
un peu votre étude, la faire dévier, l'enrichir, ne se rangent
pas forcément dans une grille et ne se résument pas. Il est
même possible que je ne sache comment les utiliser dans l'étude et
que j'omette de les
1 IPNS n°37, p. 14. (annexe 1) A lire sans
détours.
16
présenter ! Après tout, si la recherche ne peut
se passer de la vie, le vécu peut se passer de la recherche...
De plus, je peux déjà m'appuyer sur nombre de
données statistiques, présentes via le
référencement (de l'INSEE) ou obtenues dans certains ouvrages
(par exemple par la consultation de cadastres), dans celui de Christian Beynel
en particulier. Bien que certaines données puissent dater de dix ans (ce
qui est encore raisonnablement jeune), je préfère les utiliser et
me concentrer ensuite sur mes propres observations et entretiens plutôt
que de chercher à les réactualiser ou à les
compléter par certains détails. Les statistiques de l'INSEE
fournissent un abordage complet de la population qui me permettra certainement
de la mieux caractériser que si je voulais fabriquer mon propre
catalogue. Il me semble que les données chiffrées sont
suffisamment présentes sans que j'aie besoin de vouloir construire les
miennes à tout prix.
Les personnes rencontrées relèveront à la
fois de la sélection et du hasard. La sélection pour m'assurer
d'avoir des personnes de plusieurs horizons, d'associations me semblant
s'enquérir de l'expression locale (parce que j'ai supposé que
l'action culturelle n'était pas neutre quant au pouvoir) , et le hasard
pour me permettre d'être surpris et de recueillir la parole de n'importe
quel habitant croisé. S'il y a une grande utilité à avoir
prévu cela ? Je ne sais pas. D'ailleurs, je m'évertuerai à
mettre à mal la prévision autant que possible, en frappant aux
portes (y compris d'associations) sans spécialement de rendez-vous mais
parce que cela se présente en parcourant le territoire. Il se trouve que
je passe par là, voyez-vous, je me suis arrêté pour vous
dire bonjour. Cela peut autant laisser les personnes sans grand-chose à
vous dire que leur permettre de s'exprimer sans se sentir le besoin d'une
préparation à l'entretien ou d'un calcul. Battre la campagne et
s'arrêter devant un étang pour casser la croûte, c'est
probablement toute la base scientifique de mes propres recherches. Je pense que
la méthodologie ne se construit pas spécialement dans la
planification de son programme mais surtout dans l'organisation des
observations, dans les projections que l'on peut tirer de certaines
observations. La méthode d'Andrew Wiles pour résoudre le
théorème de Fermat ne semble avoir été que
l'acharnement. S'il est un protocole qui serait soi-disant la marque de la
science avec ses piliers : hypothèse, expérience, conclusion, il
est davantage dans la construction mentale du discours rendu, dans
l'organisation de sa pensée que dans la manière de trouver des
résultats. Je me garde donc bien de croire complètement à
ma méthodologie. Elle est aussi la norme que la science attend.
Dans la mesure du possible, j'essaierai de joindre le regard
de la population, des personnes interrogées sur mon propre discours
à ce dernier. D'une part parce que mon étude
17
s'adresse à elles et que si mon souci est celui que la
population puisse décider de son environnement, je me dois de relater
mon activité, de ne pas simplement repartir avec mon paquet sous le bras
comme si les interrogés vivaient dans un zoo d'étude, d'autre
part parce que cette réflexivité peut corriger ou
compléter mes propos, ou leur apporter une approche plus sensible. Bien
sûr, on peut continuer longtemps dans la réflexivité avec
à nouveau mon regard sur leur propos et cætera et dans le rendu
d'un écrit, la réflexivité aura une limite temporelle.
Elle aura aussi celui du bon-vouloir des personnes à vouloir faire des
commentaires. Je n'aurai donc pas tout le monde pour commenter, ni certainement
le temps de chercher suffisamment de monde, puisque cela aura
nécessité que je développe d'abord un discours (donc que
j'aie vu au préalable beaucoup de personnes) pour pouvoir le
présenter.
Il y a aussi une réflexivité induite qui se
tisse entre moi et les personnes que je rencontre du simple fait de ma
présence, parce que je dis quel est le sujet de mon étude, et que
je croise les personnes plusieurs fois. Mon comportement comme le leur se
trouve modifié par nos rencontres, mes questions comme leurs
réponses, et leurs questions comme mes réponses. Puisque quand on
me demande « où j'en suis », j'essaie de parler de mon plan.
Dans le discours que je veux donner de la population, il y a aussi, sous une
forme implicite ma propre voix, et peut-être déjà mes
propres préjugés.
De plus, j'utilise le discours des médias locaux et je
suis potentiellement orienté par eux, ils sont une source de
données, une source d'influence, d'autant que je peux les
apprécier et qu'eux aussi intègrent mon étude dans leur
discours1. Cela peut rendre mes propos autant intérieur
qu'extérieur au terrain, c'est non seulement l'environnement que la
population vit, mais l'environnement que je vis et que je change
potentiellement à mes propres yeux du fait de mon regard sur lui. La
catégorisation de la méthode n'en est que plus difficile. Mais
c'est parce que j'ai choisi l'erreur de me départir de
l'appréhension objective plutôt que celle de me départir de
l'appréhension subjective. Ou bien je n'ai pas su trouver le beurre et
l'argent du beurre sur la même table. Ce qui arrive pourtant puisqu'il
nous faut être raisonnables et exiger l'impossible. Dans ce cas la
possession, du beurre comme de son argent, devient bien
désuète...
Si j'ai pu citer, comme sources d'informations les personnes
et les écrits (locaux en particulier), c'est-à-dire ce qui
relève plus ou moins de la parole, du message, et s'ils forment
probablement le coeur de mon étude, je ne me concentrerai pas uniquement
sur leur décryptage. Les réalisations humaines, ou ce qui
peut-être compris comme le résultat des
1 Ainsi j'ai pu présenter mes études
et proposer un article dans IPNS. Je fais momentanément partie de mon
sujet d'étude.
18
actions, tout ce qui peut aussi servir à mesurer une
sorte de pouvoir local, sera intégré dans mes sources. Cela sera
surtout le résultat de l'observation des lieux et de la vie dans les
lieux. Le paysage, par sa lecture, fournit des informations, il donne des
indications sur certaines moeurs, une certaine façon de vivre, une
façon dont les hommes se le sont (ou non) approprié. Cette
lecture peut se faire dans la globalité comme dans les détails,
dans le résultat de la composition générale du paysage :
la sensation d'un environnement, ou bien dans certains indices trouvés
chacun à part et qui permettent de déduire certaines formes de
pouvoir.
L'immersion dans l'environnement, son parcours est souvent le
premier moyen dont le visiteur appréhende le lieu (et c'est pour cela
que je choisirai de commencer mon propos par ce parcours), c'est lui qui m'a
fourni mes premières impressions du plateau de Millevaches, bien avant
que je rencontre les habitants. Ayant souvent traversé les lieux et les
connaissant avant que de vouloir faire ressortir d'eux une démonstration
particulière, il est fort possible que je perde de vue ce qui fait leur
originalité, les particularités qu'on pourrait trouver sur le
Plateau, et lorsque je m'attache à certains détails, que je
retienne surtout ceux qui tranchent avec le reste de la région (au sens
large : la Creuse, la Corrèze, le Massif Central). Je m'attacherai
à certains points de cassure dans le paysage, à certains
éléments qui changent la statique, ou pourrait-on dire : à
certains éléments dynamiques. Parce qu'ils me surprennent et
parce qu'ils sont la note de certaines actions, la marque d'une culture, ils
sont une modernité.
Je complèterai ma propre appréhension, mes
propres préjugés par ceux d'autres personnes qui n'auraient pas
forcément l'envie d'écrire un mémoire sur le Plateau de
Millevaches et qui voient potentiellement les lieux d'un oeil différent.
Mais que je ne me mente pas trop : c'est bien de ma petite envie que je vais
partir, c'est elle que je vais retenir en priorité, piètre vision
individualiste, vision tempérée par le fait que l'individu se
dissout toujours dans son environnement et qu'il n'est probablement plus
à chercher sur sa peau.
Si des chemins empruntés au hasard me feront bien
sûr traverser des lieux, mes trajets relèveront surtout de
l'utilisation des cartes IGN, ne serait-ce que pour repérer les hameaux,
les tourbières, les sommets. La signalisation me poussera aussi dans
certaines directions plutôt que dans d'autres (parce qu'une ferme est
mentionnée sur un panneau, une chapelle, un point de vue...) : ce
dernier chemin pris (contrairement au pointage sur carte) est
déjà dépendant d'un discours qu'on veut servir par
panneaux (à l'habitant, au touriste) et donc d'une appropriation de
l'espace. Tout comme les sentiers de randonnées, balisés, que
j'ai empruntés (avant et pendant l'étude) reflètent
déjà une orientation. Le choix d'une destination d'après
la carte IGN peut donc être soumise à davantage de hasard que la
libre promenade (dont la curiosité se trouve potentiellement
guidée) et la complète de manière nécessaire. Moins
cadré
19
(par les explications d'un prospectus, par exemple), je suis
davantage porté à faire attention à ce qui m'intrigue
qu'à ce que j'attends. Et il n'est pas si simple de se départir
d'une valorisation de l'environnement mise en place ou par les habitants, ou
par des admirateurs (ou dépréciateurs d'ailleurs)
extérieurs.
Je me déplacerai aussi de trois façons
différentes : à pied, en vélo, en voiture. Et selon le
mode de transport choisi, le regard sur l'environnement n'est pas
forcément le même, l'échelle sensible n'est pas la
même. Le vécu est différent.
Comme je l'ai signalé, la progression (vécue) de
l'étude commence d'abord par l'appréhension de l'environnement.
C'est donc ainsi que je débuterai mon plan. Une description des lieux,
mais relative à la recherche de modes de pouvoir, me semble aussi
préférable pour comprendre la suite du discours. Car certains
propos sont relatifs à l'environnement actuel et se comprennent mieux,
à mon sens, si on a déjà une idée du territoire
dans lequel on évolue. J'ai dit plus haut que le pouvoir de la
population partait des personnes, que c'était elles qui
appréhendaient l'environnement, leur vision qui en formait les limites ;
une logique aurait très bien pu me conduire à présenter
d'abord leurs discours pour ensuite me porter sur sa matérialisation.
Mais j'ai choisi la logique avec laquelle j'aborde moi-même
l'environnement du Plateau. Parce que les dérivations du pouvoir
(perçu et vécu) sont mon objectif, il me paraît, dans le
déroulement de mes propos, plus indiqué de terminer avec elles.
Certes, l'ordre basique lieux-acteurs-concepts de mon plan est un peu
rétrograde, surtout pour qui n'est pas un grand partisan de la norme ni
ne reconnaît son existence, mais je gage que l'originalité peut se
trouver parfois dans l'utilisation du classique. En tout cas, cet ordre me
paraît un cheminement assez ordonné et permet de présenter
les éléments du dossier de manière lisible pour la
compréhension.
La première partie sera donc consacrée aux
marqueurs spatiaux du pouvoir, celui qui pourrait consister en une force de
domination sur la population et celui qui relève d'une action de la
population. Il n'est pas inutile d'introduire un pouvoir sur l'environnement
qui serait extérieur à la population pour comprendre celui qui
vient des habitants. Cette première partie peut donc constituer une
explicitation de la notion d'environnement, en explorer (par le biais des
marqueurs spatiaux) les divers volets : paysage, nature, patrimoine,
culture.
En regard, la seconde partie s'attachera, quant à elle,
à décliner la notion de « pouvoir de la population ».
Elle sera composée des caractéristiques des différents
acteurs parmi la population, de leurs relations, de leur perception du pouvoir
et de leurs formes d'actions.
20
Dans la dernière, je replacerai mon étude par
rapport à d'autres cas et par rapport à certains écrits
sur le sujet (dont plusieurs ont été déjà
cités). Cela pour poser d'autres limites à mon cas
d'études et aux leviers de pouvoir que j'aurais pu présenter dans
un contexte particulier. Ce sera aussi pour moi l'occasion de placer ma
position parmi d'autres pour trouver une conclusion à cette
étude.
Deux-mois et demi. De fin février à fin avril
deux mille douze: c'est la période où je serai sur les lieux. Ce
n'est pas tout à fait innocent. Outre le dernier immobilisme de l'hiver,
le réveil des bourgeons avec celui de la couleur sur les joues des
jeunes filles, des jeux de tous ordres qui se cherchent, c'est surtout une
période de faible tourisme. Ou plutôt d'un retour estival qui ne
s'est pas encore accompli. Le tourisme n'est pas une grande industrie ici. Mais
je pense éviter les quelques perturbations qui lui sont dues.
J'évite d'être davantage considéré comme touriste
que je ne peux l'être dans mon département d'enfance.
L'espace sera celui de ceux qui restent toute l'année.
Ou celui de ceux qui ne sont plus là. Les deux seront visibles : je
parle au premier et le second me répond. Et on peut encore dire, que par
la manipulation dont l'auteur peut user, je vais d'abord faire répondre
le second, l'espace de ceux qui ne sont plus (là) pour écrire
l'écho des voix qui m'ont parlé, et parmi ces voix, la mienne,
quelque part, perdu dans le flou des autres et dont cette perte n'est qu'une
fierté. De plus et toujours de trop.
Dans le drap blanc qu'étale la neige sur le paysage, on
aimerait effacer ses empreintes et marcher toujours sans chemin. Ne rien voir,
aucune indication, surtout ne pas être coupable d'avoir attenté
à la beauté, cette harmonie des cristaux, comme on serait
coupable de ne pas savoir répondre à regard intriguant. Et pour
connaître la douceur du crime, il faut marcher avant que tout ne fonde.
Alors à ce rythme, pourquoi ne pas courir ? Et se couvrir pour
échapper aux languissants effluves de la douceur dans lesquels se
confondent rêves et insomnies, chemin et cheminant. On va vous dire ce
qu'il vous reste quand vous aurez atteint et touché cet arbre qui est
votre but.
Et celle que vous voulez, elle s'engage.
21
I - Les marqueurs spatiaux du
pouvoir
Avant de faire un tour d'observation des
éléments physiques de l'environnement, je vais déjà
situer les lieux étudiés et dire de quelle façon je les ai
abordés. Le territoire abordé est d'abord un territoire
nommé, où je peux me rendre en demandant le nom « Plateau de
Millevaches » et c'est aussi un territoire que, comme d'autres,
j'appréhende, un nom qui possède ses mythes vécus.
1 - Le territoire abordé
1.1 - Un territoire nommé
Si le mot « Millevaches » a une consonance bovine,
l'hypothèse la plus avancée est que le terme signifierait «
mille sources », de par son origine celte batz (puis
vaccas) se rapportant à cette eau qui jaillit. D'autres, en
invoquant Melo vacua (moins probable), le rapportent à un lieu
élevé et vide. Toujours est-il que le plateau de Millevaches est
actuellement très peu peuplé (moins de 10
habitants/km2) et que moult rivières y prennent leurs sources
(Vienne, Vézère, Gartempe, Corrèze, Creuse, Luzège,
...) et alimentent les bassins de la Loire et de la Dordogne.
Le plateau de Millevaches n'a évidemment pas de
frontières et les délimitations varient selon l'entendement des
individus. Ce n'est pas un territoire administratif et ses contours sont assez
flous [Bonnaud, 1998] ; il se situe néanmoins au coeur du Limousin dont
c'est le lieu le plus élevé, avec une dominante en
Corrèze, une partie (la plus sujette à interprétations
peut-être) dans le sud de la Creuse, et une petite extension en
Haute-Vienne.
Il peut être identifié, aujourd'hui, à
l'entité qui a pris son nom en 2005 : le Parc Naturel Régional
(PNR) de Millevaches. Il regroupe 113 communes (aujourd'hui) et dépasse
légèrement, en superficie, la moitié d'un
département (=0.56 fois la Creuse). C'est une délimitation large
du plateau. Elle regroupe néanmoins des communes aux
caractéristiques semblables : faible démographie, altitude
relative, sol plutôt pauvre. C'est un espace sans grande ville. Les trois
principales du PNR sont Felletin (Creuse, 1855 hab.), Eymoutiers (Haute-Vienne,
2033 hab.) et Meymac (Corrèze, 2579 hab.)1, Meymac
n'étant que la 33ème ville du Limousin. Ces trois
cités se situent aux abords du PNR et ne sont absolument pas centrales
au Plateau.
1 Chiffres INSEE 2009
22
L'entité « Plateau de Millevaches » dans la
bouche des habitants correspondrait davantage au découpage de la
Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du
Logement (DREAL) du Limousin (carte 4 parmi les cartes de situation),
c'est-à-dire la zone plane qui passe les 800 mètres d'altitude.
Mais cette dénomination orale peut s'élargir et comprendre
facilement le plateau de Gentioux, voire celui de La Courtine. Une étude
en cours du Parc Naturel Régional tend, quant à elle, à
découper le Parc en unités territoriales vécues, plus
petites (donc plus nombreuses) que celles de la DREAL.
Comment, pour ma part, je me rends compte d'arriver sur le
Plateau ? La route commence à s'élever, naissent les premiers
virons, et la neige donne le ton blanchi à la voie pendant l'hiver. Fin
février, la présence de neige au bord des routes pouvait
être un bon indicateur : c'était la limite ressentie du Plateau.
Ensuite, il y a tous les marqueurs spatiaux (ceux qui seront décrits par
la suite) qui confirmeront cette impression. Il y a peut-être un coeur
géophysique du Plateau, entre Bugeat, Peyrelevade et évidemment
la commune de Millevaches mais les déplacements des personnes, les
discours, obligent à prendre en compte une zone plus large qui tient
davantage aux limites du PNR.
C'est cette région que je vais considérer pour
mon étude. Mais elle reste vaste, difficile à appréhender
complètement pour mes trois petits mois d'investigations et j'ai donc
choisi de centrer mon étude sur quelques communes témoins
situées à la limite des trois départements1 et
qui peuvent être identifiées comme le coeur culturel du plateau de
Millevaches. Ces communes sont celles de Gentioux-Pigerolles, Faux-la-Montagne,
La Villedieu, Royère-de-Vassivière en Creuse, Tarnac et
Peyrelevade en Corrèze, Nedde et Rempnat en Haute-Vienne (carte 1).
Nombre d'entre elles se rattacheraient physiquement davantage au plateau de
Gentioux qu'au plateau de Millevaches. Quand je demandais à des
habitants de Gentioux ou de Rempnat s'ils se trouvaient sur le Plateau de
Millevaches, ils répondaient « pas vraiment ». Le plateau de
Millevaches, c'était plus haut, là où le maraîchage
devient difficile. Mais je n'ai pas constaté d'existence orale au
plateau de Gentioux, seulement au « Plateau » tout court qui sans
l'adjonction de « Millevaches » peut permettre une identité
plus large et, peut-être, plus culturelle que physique.
J'ai choisi ces communes pour leur activité associative
reconnue. Faux-la-Montagne, en particulier est le siège de plusieurs
mouvements alternatifs à la société de consommation. Un
homme à Royère, m'a néanmoins dit que tout avait
commencé sur cette dernière commune avant de se déplacer
vers le sud : Faux, Gentioux ou Peyrelevade. « Tout » cela
1 Et aussi à la croisée des anciens
parlers : auvergnats, bas-limousin, haut-limousin [Boudy, Caunet, Vignaud,
2009] p.18.
23
signifie le dynamisme, des groupes de personnes avec la
volonté pratique de sortir de la société de consommation.
Ce pouvait être des soixante-huitards, mais pas seulement. Il y a donc
une dénomination « Plateau » qui tient compte de la
population, de son activité culturelle.
Mais que je ne me mente pas, j'ai surtout choisi ces communes
parce que je les ai déjà traversées, ne serait-ce que pour
me rendre chez mon oncle, parce que j'en avais déjà un
aperçu, parce que je les connaissais déjà de
manière lointaine et légèrement imagée. Ce sont des
préjugés, une curiosité orientée, qui m'ont
dirigé vers elles.
1.2 - Un territoire attendu (les préjugés
et les mythes derrière le nom)
De la succession des virages, je me souviens. Leur nombre sur
une petite route et l'arrêt qu'on s'octroyait parfois à la rigole
du Diable. Le sud de la Creuse était cette région où l'on
ne voyait ni l'horizon, ni les villages. Mais les distances doivent sembler aux
enfants plus longues. L'isolement était l'une de mes impressions. Et
puis les bois : c'est une région où l'on fait des planches,
pensai-je. Le papier ne me venait pas en tête à cet âge. Par
contre, on y ramassait bien les champignons : ça se savait de loin.
En allant sur La Courtine, je pouvais aussi remarquer la
fraîcheur de l'altitude : une région hostile pour les paysans des
bocages agricoles d'où je venais. On ne fait d'ailleurs pas un secret
que la terre n'est pas riche là-bas. Puis j'ai su que le pays pouvait
être plus joli, plutôt côté Corrèze, avec la
présence des bruyères et des espèces que nous n'avions
pas.
Peu de choses attractives sur le Plateau de Millevaches dans
mes premières représentations ; les échos des cultures
solidaires « anarchistes » ne m'ont atteint qu'ensuite. Puis j'ai
constaté que le marché de Felletin, le vendredi, reste dynamique
(comparativement à ceux des Combrailles creusoises -et même
à celui de la proche Aubusson pourtant plus importante) et qu'on y
trouve beaucoup de petits producteurs, dont plusieurs en agriculture
biologique, qui viennent du Plateau.
Un paysage peu accueillant, noir de sapins, « mort »
comme on dit, face à un esprit critique affiché, pouvant
gêner les élus départementaux ou régionaux :
voilà le premier constat, à l'état de
préjugé, qui m'est venu. Cela reste mon point de vue particulier
; j'ai voulu savoir quels pouvaient être les préjugés des
autres personnes qui n'habitaient pas ledit Plateau. Pour cela j'ai
interrogé quelques habitants parisiens (161 dont 72 connaissaient de nom
le Plateau) et quelques habitants creusois (71). Le nombre de personnes
interrogées est insuffisant pour prétendre représenter un
échantillon de la population bien que j'aie essayé
24
d'avoir des hommes et des femmes, des plus jeunes et des moins
jeunes en parts équivalentes. On trouvera les questions posées et
les résultats obtenus en annexe 10. Les questions portaient sur ce
qu'évoquaient le Plateau de Millevaches aux gens, si le lieu
était mythifié d'une quelconque façon et si les gens qui y
étaient allés, comme moi, trouvaient le plateau plutôt laid
à cause des sapins. Mais non. Très peu m'ont parlé des
sapins. C'est la nature, c'est calme, c'est peu peuplé donc, pour les
gens de passage, c'est beau. Les creusois, et pas seulement les
guéretois1, citent la beauté de la nature. Certains
qui vivent en campagne, ne renâcleraient pas à habiter le Plateau
(pour la tranquillité) mais pour beaucoup c'est un lieu trop
isolé où ils pensent être loin des services ou s'ennuyer
(tableaux R5 et R6). Mes propres préjugés sont sûrement
davantage ceux de quelqu'un soucieux d'écologie et qui
s'intéresse aux initiatives originales.
Les parisiens ne répondent pas tous de manière
sincère quand je leur demande s'ils connaissent de nom le Plateau de
Millevaches et à certaines réponses erronées (sur la
situation géographique ou trop associé au nom du type : «
oui, je connais, c'est un plateau avec des vaches », j'ai
préféré ranger leur prétendue connaissance en
« non-connaissance ». Ma grille ne pouvait pas caser les
entourloupes.
J'ai trié les évocations selon qu'elles se
rattachaient à la nature (paysages, rivières...), à la
faible densité humaine et l'isolement (coin perdu, désert...), au
mythe écolo-anarchiste, à la présence culturelle ou au
patrimoine bâti. J'aurais aussi pu demander à chaque
enquêté s'il pensait, pour chacun de ces thèmes parmi
d'autres, s'il pensait ce thème prégnant sur le Plateau. J'ai
gardé la première évocation. Si quelqu'un me parle de la
nature, ce n'est pas pour autant qu'il ne connaît pas les
activités culturelles du Plateau. Mais, en général, les
évocations n'étaient pas multiples. Ce sont les
éléments naturels, la verdure, les rivières, les landes
qui sont les plus évoquées. Les creusois parlent ensuite d'un
coin perdu (17%) et les parisiens de la culture alternative à la
société de consommation, écologiste ou libertaire (19%),
puis arrive le coin perdu pour les parisiens (10%) et la culture alternative
pour les creusois (7%) (tableaux R3 et R4). La proximité du Plateau
n'engendre pas une mise en avant de la culture alternative, bien au contraire.
D'autant plus que l'évocation de cette culture chez les parisiens
résulte pour 93% de la part de personnes qui n'y sont pas allées
(le plus fort taux parmi les évocations ; tableau R7). D'après
ces résultats, à prendre avec beaucoup de relativité, on
pourrait penser que les activités écologiques ou culturelles du
Plateau sont surtout un mythe. Les creusois, qui connaissent à priori
mieux le Plateau, en parlent davantage en termes
1 J'ai fais mon enquête à
Guérêt en Creuse (donc en ville et l'opposition ville/campagne est
présente) mais plusieurs enquétés n'habitaient pas
Guérêt. Je suis ensuite allé dans le village de Sardent.
25
physiques. Parce que, pour eux, plus que pour les parisiens le
Plateau est un lieu sauvage, le plus sauvage, le plus faiblement peuplé,
le plus isolé du Limousin tandis que le Limousin se rapporte
déjà au sauvage pour les parisiens. Les limites du « coin
perdu » seraient toujours repoussées plus loin ?
Les résultats (tableau R7) laissent également
supposer que les jeunes penseraient plus facilement la une culture alternative
du Plateau (parmi ceux qui connaissent le Plateau, 27% des parisiens et 10% des
creusois de moins de 40 ans contre 10% et 5% des plus de 40 ans), qu'ils en ont
peut-être davantage entendu parler. Mais ces taux sont aussi à
mettre au regard du fait que l'échantillon des jeunes parisiens
connaissant le Plateau est plus faible que celui des plus de 40 ans (tableau
R2). Les projets écologiques pouvant exister sur le Plateau ont rarement
plus de 40 ans et les jeunes ont probablement davantage l'écho de la
tenue de festivals ou autres manifestations. Si la culture alternative du
Plateau n'est pas méconnue, elle ne semble pas être le marqueur
principal du lieu. Le Plateau est plutôt considéré ou
pensé comme un espace naturel protégé. Ce qui, pour le
coup, est peut-être un mythe plus grand. Ce que mon étude devra
prouver, d'autant plus que mes préjugés personnels ne sont pas
ceux de tous.
Je signale deux parisiens qui m'ont parlé du
court-métrage (que je ne connaissais pas) de Pierre Vinour,
Millevaches [Expérience] (nommé aux César 2002).
Le film raconte le retour d'un homme sur le Plateau, un homme qui veut
échapper à son costume, sa cravate, à un rythme de vie
insupportable, aux impératifs de son entreprise, par une fusion avec la
nature. Que reste-t-il de toute cette énergie : rien. Le film pourrait
bien participer au mythe de la nature sauvage et d'un lieu alternatif. On voit
le monument aux morts de Gentioux, plusieurs noms de villages. Dont Tarnac.
Tarnac est, de nom, le site le plus connu du Plateau chez ceux pour qui
Millevaches n'évoque rien. Cela en raison de la médiatisation de
ce qu'on appelle « l'affaire de Tarnac »1
considérée par beaucoup comme un scandale d'Etat et une bavure
judiciaire. L'affaire renforce évidemment le mythe autogestionnaire du
Plateau.
Ces suppositions, ou mythes, du Plateau, renvoient à
certains discours, à certaines constructions ou à certaines
perceptions vécues. Les miennes comme celles des gens que j'ai
1 Arrestations arbitraires le matin du 11/11/2008 de
jeunes anarchistes supposés avoir saboté une caténaire de
ligne TGV. Aucune preuve n'a été fournie. Avancés comme
preuves, la rédaction d'un ouvrage attribué aux jeunes
anarchistes L'insurrection qui vient [Comité invisible, 2011]
et leur présence à proximité des lieux. Trop partial,
« à charge », le juge s'est dessaisi du dossier en avril 2012.
Arrêtés comme « terroristes » les jeunes
incarcérés ont été relâchés en
attendant la fin de l'enquête. Le soutien local aux inculpés avait
été conséquent est s'est organisé.
Un récent ouvrage est sorti à ce sujet : David
Dufresne, 2012, Magasin général, Tarnac,
Calmann-Lévy, 488p. On peut lire l'interview de certains soutiens aux
inculpés sur
http://nopasaran.samizdat.net/spip.php?article1652
(janvier-fevrier 2009) consulté en 2012.
26
rencontrés. Mais dans mon étude, il y aura
surtout de mon propre constat, la mise en contradiction de certaines
suppositions et l'approfondissement d'autres.
1.3 - Un territoire aménagé
Si certains vont dire qu'il s'agit d'un « coin perdu
», voire hostile à l'activité humaine, il n'en reste pas
moins aménagé pour autant. Puisque je parle de pouvoir des
habitants sur leur environnement, un encart dans la façon dont les
hommes ont pu faire de cet environnement un habitat ne me semble pas inutile.
Avant de prétendre décider de son environnement, il faut ne pas
le subir. Ainsi, l'hiver on peut voir certains piquets rouges d'au moins deux
mètres sur le bord des routes pour continuer à être capable
de circuler pendant l'hiver, pour ne pas perdre le tracé des routes. Le
citadin peut avoir la peur d'être incapable d'agir face à
l'isolement, de seulement subir le climat mais certains indices rappellent
qu'ici aussi, s'il le veut, l'homme peut aménager son environnement en
vue de ses besoins. Cette adaptation peut parfois aller jusqu'à une
démonstration de domination de l'homme sur le climat, montrant qu'il
peut tout braver, en arrosant un Las Vegas par exemple ou des champs de
maïs dans le désert. Si ce total affranchissement à
l'environnement peut faire retomber l'Homme en position de soumission et
dénote, par cette guerre contre le climat, davantage une façon de
le subir que de l'habiter (puisqu'il faut lutter contre), il n'en reste pas
moins qu'il donne un ordre à son espace en l'aménageant. Et qu'il
utilise son environnement.
On trouve aussi, sur le Plateau, de nombreux lacs de barrages
qui montrent que les rivières sont utilisées (dans un cadre
dépassant d'ailleurs le territoire local) ainsi que moult retenues d'eau
ou étangs qui sont les témoins d'aménagement pouvant
être plus anciens. Les aménagements électriques peuvent
prendre la forme des lignes à très haute tension, perchées
sur de monstrueux pylônes et ouvrant de véritables voies au
travers des bois, sur les collines. Plus récemment, six éoliennes
ont été montées à Neuvialle (Commune de
Peyrelevade).
Les maires des communes, quand on leur parle de pouvoir sur
l'environnement, citent d'ailleurs souvent leurs actions quant à la
réfection des routes, le goudronnage de certains chemins menant à
des hameaux, l'acheminement et l'épuration des eaux. « C'est lui
qui a fait goudronner la route et venir l'électricité au village
» dit un habitant de l'ancien maire de Tarnac.
Certaines pratiques paysannes, ne serait-ce que le
pâturage des landes par les troupeaux, reflètent, sinon la
volonté d'une vie plus confortable, le souci d'accorder son
environnement à ses pratiques. Toutes ces actions peuvent être
vues comme des nécessités
27
pour habiter son espace avec une aise relative,
c'est-à-dire pour ne pas subir la géographie. Avec les pratiques
agricoles, on approche de l'écologie car si l'on peut considérer
comme nécessaires certaines pratiques, elles peuvent n'être ou ne
devenir que des choix. Le pouvoir de décision sur son espace, de la
façon dont on veut l'aménager nous montre qu'un environnement
physique est aussi un environnement culturel. A une échelle
dépassant celle de la ferme, on peut appeler cela de la politique car
l'espace devient une construction commune que peut refléter -ou non- les
choix de la population, qui peut être marqué par les
différentes formes des volontés et des pouvoirs humains. C'est
donc maintenant au regard des rapports de pouvoir que je vais lire et
décrire l'espace du plateau de Millevaches.
2 - L'environnement : indicateur des pouvoirs
Par l'observation du paysage, je peux chercher quel est le
pouvoir de la population sur l'environnement, compléter ou
évincer mes préjugés et arriver à des
premières déductions. Arrivant sur les lieux, comme un touriste,
mon attention se porte sur la composition physique du paysage, sur les
constructions humaines (les villages) et sur les activités humaines qui
s'y déroulent. Que demande-t-on à un office du tourisme : s'il y
a de beaux endroits à visiter, des beaux villages, quelques fêtes
? Mais sans trop de conseils, visitons.
2.1- La composition du paysage
C'est un premier point qui retiendra mon attention car sujet
à polémiques, discours oraux comme écrits.
Peinture 1 : Vue de Rempnat, huile sur toile,
Maryse Dupont
28
En voiture, on s'enfonce. La route paraît noire à
cause des résineux, serrés sur les chaussées. Peu de
points de vue me sont offert, surtout si je conduis et que je me concentre sur
les virages. Seules les pelouses blanches de l'hiver peuvent donner
l'impression de sortir de l'ombre. Les habitants n'hésitent pas à
condamner les sapins qui permettent au gel de tenir sur la route. Sur les
espaces plans, quelques ouvertures sur les landes se dégagent mais on
n'a que peu de temps pour les apprécier ; ce n'est pas la même
chose en vélo. Je me plais à ralentir devant les champs, les
tourbières, je me rends davantage compte de la diversité des
parcelles et des herbes dans ces parcelles, de l'espace dont moutons ou vaches
limousines disposent pour pâturer. Le temps passé au travers des
espaces ouverts semble plus important que celui mis à trouer les
plantations de conifères. Et puis, dans les montées
boisées, je me concentre sur l'effort ; les descentes passent vite. Le
paysage m'a certainement paru plus beau sur une selle, peut-être à
cause du vent dans mon dos.
A pied, le parcours est plus lent. Les bois sont longs
à franchir et on a parfois hâte d'en sortir pour découvrir
un peu d'horizon. Il faut sélectionner ses sentiers si on veut avoir de
la vue ; comme le font certains chemins balisés, potentiellement
touristiques. Encore que ces derniers restent parfois bien enfermés dans
les sapins. Au moins, fait-on attention aux détails : aux espèces
de crocus qui sortent, au type de clôtures, aux tracés sinueux des
rivières au fond des tourbières, à la nature des ponts et
surtout à l'état des chemins. Cet état correspond rarement
à celui des cartes IGN1 au 1/25000ème pour
cause que nombre de chemins signalés se sont enfrichés, que
d'autres sont devenues des pistes goudronnées et que certains ont
été ouverts (donc n'existent pas sur les cartes) car ils
appartiennent à des itinéraires balisés.
Le déplacement sur le Plateau de Millevaches a souvent
provoqué chez moi l'attente des espaces ouverts, attente que vous
deviniez peu, stationnés que vous étiez devant un cadre (Tableau
1) où la vue est dégagée et où la contemplation
permet à l'intellect de magnifier la nature, de croire peut-être
au règne du sauvage. Sur la Vue de Rempnat, les résineux
ne sont pourtant pas sans apparaître sur tout l'arrière plan et
dénotent, comme le maintien des prés ou de certains chemins, des
actions et des volontés humaines. Et sûrement des luttes de
pouvoir.
Pour dépasser ma simple perception quand à
l'appréhension générale du paysage, je vais m'appuyer sur
des visions cartographiques, issues de photographies aériennes.
L'occupation des sols (carte 5) permet d'avoir une idée des principaux
éléments du plateau de Millevaches. Je l'ai divisé en
trois grands types : résineux, feuillus, espaces ouverts. On voit
1 Toutes mes cartes affichent une révision en
2000 (mais on peut se demander si certaines tracés ne datent pas encore
de l'année d'édition : 1964). De par le taux de broussailles et
arbres dans certains chemins, la non-mention de certaines parcelles
forestières, on peut certifier que la révision de 2000 est
très incomplète. Ce qui sera à prendre en compte pour
relativiser les résultats du prochain comptage.
|
Carte 5 : Occupation des sols du PNR Millevaches en Limousin
Carte 6 : Occupations des sols des communes témoins
|
30
que, dans le Limousin, le PNR reste un espace fortement
boisé, qui concentre presque tous les résineux régionaux.
On distingue cependant une zone centrale au PNR en blanc sur la carte 5 : ce
sont les hautes tourbières du Plateau et les espaces de landes
sèches qui arrivent à percer un peu depuis une vue
aérienne à grande échelle.
L'échelle communale (carte 6) confirme le fort
enrésinement mais offre une réalité plus morcelée.
Si certains massifs continus de conifères existent, on voit aussi
beaucoup de petites parcelles de bois et des landes présentes en
proportions diverses selon les communes (Peyrelevade semble en posséder
beaucoup tandis que le nord de la commune de Gentioux et la commune de
Royère affichent force conifères).
Notons que, selon Françoise Burel et Jaques Baudry, la
fragmentation pour les bois est un des trois facteurs importants de
biodiversité car permettant aux espèces
généralistes (par exemple le blaireau) comme aux espèces
spécialistes à un type d'élément (les bosquets pour
la martre ou l'écureuil) de trouver leur place [Baudry, Burel, 1999].
Les deux autres facteurs cités sont la connectivité des espaces
(en particulier arborés), satisfaisante sur le Plateau en l'absence de
grandes voies de circulation (Eymoutiers-Meymac et Felletin-Meymac sont les
plus roulantes et les plus larges) et
l'hétérogénéité du paysage. Cette
dernière est supposable selon les vues aériennes mais les
plantations résineuses offriront une autre réalité.
On remarquera aussi sur la carte 6 de vastes étendues
d'eau : ce sont les lacs de barrages.
L'habitant du Plateau comme le touriste n'aura cependant pas
recours à l'avion pour apprécier la composition globale du
paysage. On cherche plutôt pour cela à se hisser sur les sommets,
en particulier les plus centraux à la région (c'est le cas du
mont Audouze, commune de Peyrelevade) ou les plus élevé (Mont
Bessou, commune de Meymac, sommet du Limousin avec ses 976 mètres
d'altitude). Or les deux monts que je viens de citer n'offrent pas des points
de vues extraordinaires (dessins 1 et 2). Le sommet du mont Audouze est
réquisitionné pour un bâtiment militaire et tout le flanc
nord est jonché de conifères, ce qui laisse à peine un
horizon. Je me suis hissé sur la tour panoramique du mont Bessou,
pensant qu'elle était destinée à dépasser les
Douglas, mais son but n'est que d'atteindre le chiffre symbolique de 1000
mètres d'altitude et 50% du panorama reste masqué. Sur les angles
de vue des deux monts, on remarque toutefois que les premiers plans sont
dominés par les conifères, ce qui est de moins en moins net au
fur et à mesure que l'on s'éloigne...et qu'on sort du plateau de
Millevaches. Le paysage apparaît vallonné, composé de
nombreuses buttes. Elles semblent, comme lorsqu'on se déplace à
travers le plateau, fortement enrésinées.
Dessin 1 : Panorama depuis le mont Bessou
Dessin 2 : Panorama depuis le mont Audouze
31
32
Le comptage sur 4 cartes IGN1 confirme, sur une
étendue plus grande, ces observations (tableau 1). Il a
été effectué sur les sommets dépassant 800
mètres. Pour des sommets mitoyens, sur la même butte, le plus
élevé a souvent été seul
sélectionné.
Cartes
|
Gentioux (2231E) Royère (2231O)
|
Peyrelevade (2232E) Bugeat (2232O)
|
|
Nombre /99
|
%
|
Nombre/180
|
%
|
Sommets 100% boisés
|
40
|
40
|
97
|
53
|
Sommets >50% boisés
|
22
|
22
|
28
|
16
|
Présence de conifères
|
52
|
52
|
121
|
67
|
Présence de feuillus
|
9
|
9
|
82
|
45
|
Nombre de lignes de niveau boisées en moyenne2
|
4,47
|
|
3,81
|
|
Sommets 0% boisés
|
24
|
24
|
31
|
17
|
Sommets <50% boisés
|
13
|
13
|
24
|
13
|
Nombre de lignes de niveau non-boisées
en moyenne2
|
2,61
|
|
2,33
|
|
Tableau 1 : Composition des sommets dépassant 800
mètres d'altitude
J'avais séparé les groupes de cartes IGN,
pensant que les landes pouvaient être plus nombreuses sur le nord
Corrèze (Bugeat, Peyrelevade) qu'au sud Creuse (Royère, Gentioux)
au vu des étendues de tourbières mais celles-ci restent
cantonnées dans les lits de rivières quoique les pentes puissent
être moins enrésinées. Dans tous les cas, les points de vue
sont mangés par les bois, essentiellement des résineux (bien que
la carte donne aussi une importante présence de feuillus
côté corrézien ; les forêts étaient pourtant
loin de me sembler mixtes). La vue d'ensemble du sommet, autrefois outil de
défense stratégique, aujourd'hui source de méditation pour
le promeneur, source de repérage des troupeaux pour le paysan,
échappe à la population. Que les sommets, voire souvent les
buttes entières (regardez le nombre de lignes de niveau boisées),
soient majoritairement enrésinées n'est pas anodin quant aux
oppositions de pouvoir. Le sommet est, sinon un lieu où l'on aime se
rendre, un lieu où l'on aime emmener ses proches pour leur faire
découvrir la région. C'est un choix paysager qui est
déjà confisqué aux habitants du Plateau. De descendre
d'échelle pour entrer dans les principaux milieux : fermés (bois)
et ouverts (pré, landes, tourbières) va nous permettre d'affiner
ces oppositions.
1 Cf note précédante
2 Ecart des lignes de niveau : 10 mètres. Les
moyennes multipliées par 10 donnent une idée de la longueur de
bois ou de landes sur la pente mais les buttes pouvant être de hauteur
variable, elles valent surtout par leur comparaison.
33
Les forêts : essentiellement des plantations de
résineux.
Sur le Plateau, les bois de feuillus résultent beaucoup
de la déprise agricole (abandon des parcelles) mais sont utilisés
par les particuliers pour le chauffage. Nombre d'habitations comportent une
cheminée. C'est un moyen encore économique de chauffage. Mais ces
feuillus : hêtres, chênes et bouleaux pour l'essentiel, qui sont
les colonisateurs adaptés, « naturels », du paysage sont peau
de chagrin sur le Plateau. La carte du Limousin (carte 7) donnant la proportion
de résineux dans l'espace boisé fait ressortir une zone à
plus de 60%, voire 80% de résineux : le plateau de Millevaches.
Carte 7 : Part des résineux dans l'espace
boisé1
Les chiffres brut2 sur le PNR donnent 52% du
territoire couvert de bois dont 56% de résineux (les
périphéries du parc abaissant cette part) et, parmi eux, 38% sont
des Douglas (Pseudostuga menziesi). Les Epicéas communs
(Picea excelsa) et les Pins sylvestre (Pinus sylvestris) sont
très présents également. Les plans de reboisement des
montagnes datent de
1 Extraite de Le Limousin coté nature,
Espaces naturels du Limousin, 2000.
2 Brochure du PNR : Forêt : essence (s) d'un
enjeu, février 2012.
34
1860 et visaient, entre autres, à empêcher des
crues en aval. Les résineux, en particulier, absorbent beaucoup d'eau.
Mais la population paysanne, suffisamment nombreuse, s'était toujours
opposée au boisement etcelui n'a pu s'opérer avant le milieu du
vingtième siècle et l'exode rural massif. Les contestations des
années 1970 (coupes ou mises à feu de jeunes plants,
prégnantes sur la commune de La Villedieu) n'ont pas
empêché l'enrésinement. La forêt, privée
à 95%, cristallise aujourd'hui de nombreuses tensions et c'est pourquoi
on retrouve plusieurs thèses qui lui sont consacrée. Pascal
Terracol évoque la privatisation d'une économie forestière
publique à travers Didolot qui décrit « les offensives
de l'ONF qui manoeuvrent les communes pour faire disparaître les sections
» (p.244) [Terracol, 2009]. Si cette forêt de résineux
compte de nombreux petits propriétaires, elle appartient pour
l'essentiel à des non-résidents (par héritage), souvent
parisiens, ou tout du moins citadins [Beynel, 1998]. Sur les communes de
Gentioux et Peyrelevade, les résidents ne possèdent qu'entre 30
et 50% de la forêt, et seulement entre 15 et 30% pour ceux des communes
de Faux et Tarnac1. Le pouvoir des habitants sur leurs forêts
paraît donc assez limité. La progression du Douglas dénote
la mainmise des groupements forestiers : l'essence pousse vite et fournit un
bois de qualité acceptable (loin d'égaler pourtant celle des bois
scandinaves ou polonais qui sont utilisés pour les charpentes), bref
elle est actuellement rentable pour les coopératives forestières.
L'Epicea demeure parfois (et parfois comme contrainte) dans la réflexion
de certains forestiers car étant un bon pourvoyeur de cèpes :
certains utilisateurs locaux de la forêt (chasseurs, paysans,...)
verraient donc d'un mauvais oeil sa disparition au profit du Douglas. Il est
possible que l'épicéa demeure uniquement dans la
réflexion. Le pin sylvestre, cité plus haut, est surtout une
espèce pionnière de reconquête des landes, moins rentable,
mais il peut intéresser les forestiers car souffrant moins des
sécheresses. On est loin d'une situation, voulue par Marius
Vazeilles2 ou les paysans décident leur paysage forestier en
possédant chacun quelques hectares qui leur permettraient de faire face
aux forces qui les exploitent. Les héritiers non résidents, telle
cette habitante de Limoges que j'ai interrogée, peuvent
déléguer la gestion de leurs bois aux coopératives
forestières : elle ne connaissait pas les essences qu'elle
possédait et quand je lui demande si elle a un pouvoir de
décision sur ses bois, elle me dit que oui, qu'elle va voir sur place
avec les experts forestiers et qu'elle s'en remet toujours à leurs
conseils puisqu' « ils savent ». Un enrésinement massif est
pourtant
1 Chiffres de la carte n°24 [Beynel, 1998]
2 Forestier communiste du début du XXème
siècle. Il a milité pour introduire une forêt paysanne sur
le Plateau à l'aide des résineux qui pourraient pousser sur les
parcelles incultes. Il se détournera de la forêt, constatant
peut-être l'échec de sa vision et un enrésinement
échappant aux plus modestes, pour se tourner vers l'archéologie.
Un musée porte son nom à Meymac.
Cliché personnel. Faux-la-Monatgne
|
|
Photo 3 : Nouvelle plantation derrière coupe rase
(02/2012)
|
35
loin d'être écologiquement supportable par les
sols. Les résineux acidifient en effet davantage les sols que les
feuillus [Augusto, 1999] (p.55) et altèrent la vie du sol : on trouve
moins de minéraux et de vers de terre sous les résineux. Cette
mainmise d'experts forestiers, avec leur volonté de maintenir les
résineux, est loin d'être la plus pertinente pour
l'environnement.
Des chasseurs m'ont relaté que le petit gibier a
périclité, faute notamment de bosquets feuillus et que le gros
gibier (chevreuils, sangliers) n'utilise presque pas les forêts de
résineux où il ne trouve pas sa nourriture : « L'automne
a ses quartiers permanents sous la futaie de résineux. Nulle vie ne
subsiste sous ces voûtes rousses qu'on croirait hypogées. Les
bêtes fuient la litière stérile d'aiguilles » Miette
(p.64)[Bergounioux, 1995]. Quant aux jardiniers, ils remarquent
que les fruitiers ne grandissent pas en bordure des résineux.
Mais descendons à l'échelle de la parcelle pour
voir ce qu'il en est de la gestion forestière. Le visage des parcelles
est tout aussi condamnable d'un point de vue écologique que la
composition des bois. On voit des arbres serrés, alignés (photo
1), de la même essence et du même âge sous lesquels, en
effet, rien n'a la place de pousser. Seule l'odeur de résine
Cliché personnel. Faux-la-Monatgne
Cliché personnel. Faux-la-Monatgne
Photo 1 : Plantation résineuse (02/2012) Photo 2 :
Désouchage après coupe rase (02/2102)
36
printanière pourrait être agréable mais on
se rend compte de la pauvreté des senteurs dans les plantations de
conifères lorsqu'on arrive sous les feuillus. Les arbres sont
coupés à une quarantaine d'années car chaque
génération veut récolter le pécule de l'ensemble de
sa parcelle : s'ils ne grandissent que peu, ils pourraient pourtant grossir
encore et fournir un bois de meilleure qualité. Au lieu de ça, on
observe des hectares lunaires après coupe rase. Pierre Bergounioux a
écrit plusieurs lignes sur la forêt dans Un peu de bleu dans
le paysage dont celles-ci : « Quelque chose d'intemporel plane
sur les coupes jonchées d'andains, de grumes balafrées,
saignantes, de sifflets de Douglas pareils à des tranches de
pastèque, sur le sol défoncés » [Bergounioux,
2001]. Les souches sont arrachées (photo 2), ce qui implique le
retournement profond d'un sol déjà affaibli par la monoculture et
on replante encore des résineux derrière (photo3) selon les
mêmes procédés. Le critère
d'hétérogénéité de Françoise Burel et
Jacques Baudry n'est donc pas vraiment satisfait1.
Ce paysage boisé n'est pas seulement d'une laideur
affligeante et crument ressentie en ce moment où les arbres arrivent
à la quarantaine (donc à l'âge des coupes rases) mais il
est des plus nuisibles aux sols. Ces résineux en rangs d'oignons se sont
abattus comme des dominos lors de la tempête de 1999, dans un rapport de
2,33 résineux touchés pour 1 feuillu2, montrant une
certaine faillite de la gestion forestière mise en place par les
coopératives qui perdure pourtant. Ces plantations intensives
entraînent aussi toute l'armada de gros camions et de grosses pistes qui
les suivent. Certaines fois, de longs camions en chargement -d'un tonnage qui
excède souvent la loi selon le maire de Nedde- peuvent boucher des
routes, entravant donc la circulation des habitants. Les pistes
forestières, quant à elles, ont pu détruire des sentiers
pédestres. Des panneaux stipulent parfois le danger de
pénétrer les plantations résineuses, soustrayant des
hectares entiers à l'accès des habitants. J'ai aussi vu, au nord
de Plazanet (commune de Faux), une grande plantation, entièrement
bordée de grillage et constellée de pancartes rouges stipulant :
« Propriété privée / Chasse gardée / Sous
peine de poursuites / Cueillette & ramassage interdits (bois, champignons,
fleurs, fruits...) ». Les hectares de résineux sont surtout
confisqués aux habitants. Si certains paysans retraités
déclarent acceptable la présence des « sapins » sur les
pentes, où rien d'autre ne pousse, presque tous les habitants que j'ai
rencontré condamnent leur présence intrusive. Plusieurs citent
pour exemple le bourg de Gentioux puisqu'on a planté jusqu'au portes. Le
village est, en effet, entouré de sapins. L'entrée dans Tarnac
depuis la route de Peyrelevade se fait aussi sous les
1 Se rappeler de la page 23.
2 Rapport calculé d'après les chiffres
extraits de Forêt Limousin n°25 (2000) par Myriam Guillabot pour sa
thèse [Guillabot, 2008] p 149.
37
aiguilles et de nombreux autres hameaux tutoient les bois. Eu
égard au matériel et au personnel qu'il faut mobiliser pour une
coupe, les revenus des plantations sont à relativiser, surtout pour les
petits propriétaires. Je cite un habitant interrogé par Tania
Nasr : « Une forêt comme les nôtres, c'est bien le bout du
monde si ça fait 2%, alors c'est pas mieux que la banque, il faut pas
imaginer qu'avec des arbres vous êtes nanti.»(p.139) [Nasr,
2005]. L'argent va surtout aux dirigeants des coopératives
forestières ou aux gros propriétaires, extérieurs au
Plateau.
L'exploitation des résineux se pratique selon un mode
colonial. La population recevant très peu de bénéfices de
cette activité mais subissant la dégradation environnementale qui
l'accompagne. Un habitant de Faux l'a comparé pour cela au passage d'une
autoroute. Si l'on ajoute encore la volonté des coopératives
forestières d'augmenter les surfaces de Douglas, le secteur pourrait
subir d'ici quelques années le syndrome hollandais avec une
dépendance accrue au cours monétaire du bois de cette essence. Si
la filière argue des emplois qu'elle apporte (de moins en moins nombreux
avec la mécanisation et pour beaucoup situés dans les villes
périphériques du Plateau avec le grossissement des structures),
elle empêche aussi la reconquête d'activités agricoles car
les Douglas disputent les bonnes terres aux champs. Voyons justement ce qu'il
en est des espaces ouverts.
Les prés, les landes et les tourbières
Les espaces ouverts se situent surtout dans les
vallées, sur les plateaux d'altitude autour de Millevaches et
Peyrelevade, le long des ruisseaux. Si certains occupent des sommets, la
comparaison entre nombre moyen de lignes de niveau boisées et
non-boisées (Tableau 1, p.24), rappellent qu'ils sont très
absents des pentes. Ce ne fut pas le cas au début du siècle
où des buttes entières étaient dénudées et
où les landes représentaient l'essentiel du paysage du Plateau.
Tarnac en comptait plus de 60% au début du XIXème siècle,
Gentioux et Royère plus de 50%1. Si l'on veut se faire une
idée de la composition plus ancienne du paysage, on peut se
référer à l'étymologie des villages (voire annexe
2) : on remarquera l'importance des noms liés aux feuillus (Faux,
Royère, les Vergnes) ainsi que la présence de noms
évoquant des activités pastorales (La Nouaille, les Jarousses,
Vassivière) et des noms évoquant les milieux humides (Rozeille,
la Gane, Longeyroux). La tradition, la mémoire, le patrimoine paysan, se
rattache, sur le Plateau, à la lande où pacageaient les brebis et
aux
1 Source : carte n°2 [Beynel, 1998]
Cliché personnel. Chavanac.
Photo 4 : Tourbière du Longeyroux (03/2012)
38
Graphique 1 : Part des diverses activités
agricoles
39
tourbes qui servaient au chauffage. Les espaces ouverts
revendiquent une autorité historique, à plus ou moins juste titre
selon l'éloignement du passé considéré.
Il est vrai que leur beauté surprend. Peut-être
parce que landes sèches et tourbières sont rares dans la
région et qu'on est peu habitué à ces milieux. Mon esprit
se plait à voyager entre les bruyères ou au-dessus des touffes de
molinie (photo 4). La descente sur Orliac depuis la route de Faux offre,
l'espace d'un instant un point de vue imprenable sur le lac du Chamet, les
landes et les prés qui l'environnent. Entre Pigerolles et Peyrelevade,
les espaces ouverts conquièrent les vallonnements et l'impression
d'ouverture, d'espace, est enfin sensible.
Tourbières et landes font aujourd'hui l'objet de
protection (Natura 2000 en particulier) et nombre de ces milieux ont
été conciliés avec l'élevage et sont pacagés
durant l'été. Ils offrent un complément d'herbe
appréciable pour les éleveurs en recherche d'hectares. La
protection et le maintien de troupeaux sur espaces diminue fortement la menace
d'enfrichement et d'emboisement. Ils témoignent aussi d'un pouvoir de
groupes écologistes internationaux devenu pouvoir institutionnel qui ont
voulu les conserver pour sauvegarder leurs espèces
endémiques1 et donc leurs apports à la
biodiversité.
Les champs, quant à eux, sont quasiment tous des
prairies. On ne cultive presque plus de blé sur le Plateau. L'animal le
plus présent est la vache limousine (graphique 1) pour l'élevage
de broutards ou de veaux de lait sous la mère. Les ovins n'arrivent plus
qu'en seconde position, contrairement au début du XXème
siècle. Cela résulte autant, sinon plus, d'une adaptation au
marché (la limousine se vend bien : il suffit de regarder les boucheries
parisiennes) qu'à l'environnement et les nombreux éleveurs qui ne
font que du veau sous la mère ou des broutards restent les plus
dépendants des cours. Les ovins sont eux aussi davantage utilisés
pour la viande que pour le lait ou la laine. Pour une zone de montagne, on
trouve relativement peu de fromages locaux dans les commerces ou sur les
marchés alors qu'il y a de très bonnes tomes de brebis aux
artisous. Le Nouaille, par exemple, revendique sur étiquette sa
provenance du plateau de Millevaches. La faible diversité du secteur
agricole peut souligner un manque de pouvoir en ce qui concerne l'accès
direct à plusieurs ressources pour les producteurs comme pour nombre
d'habitants (voisins, amis...) qui pourraient leur être liés.
« Les investissements sont lourds pour changer de production
» commente un paysan.
1 Espèces propres à milieu, souvent
rares.
40
L'occupation des sols reflète un conflit entre le
pouvoir des habitants locaux et celui des propriétaires
extérieurs. Suite à l'exode rural, le fort taux de plantations
résineuses possédées par des citadins extérieurs au
Plateau et le fait que celui-ci soit décrié par de nombreux
habitants, dont les agriculteurs, indique que la population ne choisit plus son
paysage, qu'elle manque de pouvoir sur cette composante naturelle et des plus
visibles de l'environnement qu'est l'horizon physique. La tension locale sur
l'occupation des sols est illustrée par le fait que certains se battent
encore pour récupérer des terrains en herbe, pour les soustraire
à la friche ou à l'enrésinement. Tania Nasr a
relevé un propos caractéristique : « Maintenant c'est...
un peu la guerre. Les terrains que j'ai pris à Angioux, c'était
pour couper court à des plantations, les agriculteurs de Pigerolles
avaient décidé qu'on ne les planterait pas.» (p.
200)[Nasr, 2005]. Dans le même sens, j'ai rencontré un
propriétaire passant environ sept mois de l'année sur Faux dont
la volonté de louer ses terres à un agriculteur pour que le
paysage soit entretenu, ouvert, était explicite. Un couple de
retraités a, dans le même esprit, racheté une ferme
(inoccupée depuis 1910) au Bois Jambret pour remettre le bâtiment
sur pieds et transformer les friches annexes en pâtures, entretenues par
les chevaux. La reconquête des champs n'était pas leur seul souci
mais également la reprise et la réhabilitation du bâti. Car
les oppositions de pouvoir qui valent pour les parcelles cadastrées
valent aussi pour les habitations.
2.2 - Les maisons, le patrimoine bâti et
historique
Les maisons
Si la beauté de l'environnement végétal
ne m'a pas sauté aux yeux, je me suis en revanche plu à
contempler les villages que j'ai traversés, en particulier les petits
hameaux. Tous affichent leurs façades de granit apparent, aux ouvertures
encadrées de linteaux et de massives pierres de taille (photo 5 et 6),
typiques des constructions de maçons creusois. On croirait les villages
sortis du sol tant la pierre est présente. La répétition,
le nombre de hameaux de caractère impressionnent davantage que la
traversée d'un seul d'entre eux, fusse-t-il le plus beau. Peu de murs
sont aujourd'hui crépis. Dans certains villages, les habitants m'ont
d'ailleurs dit qu'ils ne l'avaient jamais été ; dans d'autres,
les propriétaires l'ont retiré pour faire valoir la superposition
des pierres, souvent très bien taillées. A l'intérieur des
maisons, les hauts plafonds affichent encore leurs larges poutres et les salons
leur table de bois.
Cliché personnel. Sur la commune de Rempnat
Cliché personnel. Peyrelevade.
Photo 5 : Maison joints brossés (03/2012) Photo 6 :
Maison joints de fer (02/2012)
Cliché personnel. Commune de Tarnac
41
Peinture 2 : Fasenat, pastel sur toile, Remy Feinte
Photo 7 : Le facteur n'est pas passé (03/2012)
42
Beaucoup de bâtisses sont très bien entretenues.
Beaucoup d'habitants font part de toute l'attention qu'ils portent à
l'entretien de leurs granges, de leurs maisons, voire de leurs
villages. Et nombre d'entre eux disent l'avoir fait seul, sans
aide. Même s'il existe de nombreuses aides pour la restauration du
bâti, venant de diverses sources (PNR, fonds
associatifs, ...), elles ne suffiraient pas, sans la
volonté et l'attachement des habitants, à maintenir un tel nombre
de maisons de pierre en remarquable état.
Cette volonté ne date pas d'aujourd'hui puisque,
à l'époque des saisons parisiennes ou lyonnaises, Anne Stamm
raconte que « Les gains des migrants hommes ont été le
plus souvent utilisés à arrondir ou à reconstituer la
propriété. » (p.112)[Stamm, 1983]. Un maçon m'a
raconté que 90% de son travail consistait encore en la réfection
de ces maisons de pierre, qui datent pour la plupart de la fin du XIXème
ou du début du vingtième. Aujourd'hui, les joints brossés,
blanc et plus lumineux, mettant mieux en valeur la pierre (photo 5) sont les
plus demandés et on fait moins de joints de fer (photo 6) au ciment. La
nouvelle modernité est de mettre en avant le passé, le travail
des anciens. C'est un pouvoir apparent que celui de donner de la poésie
à ses maisons, et cela même jusque dans l'abandon, par la toile
(Peinture 2).
Il est vrai que la mort et l'abandon peuvent aussi donner du
charme. Les églantiers et les bouleaux se conjuguent aux fenêtres,
percent les tuiles dans une image romantique. Les ronces menacent de reprendre
quelques granges et quelques fermes. Mais le silence, l'impression d'abandon
vient davantage du nombre de logements vacants, de volets fermés, de
cheminées éteintes que de l'écroulement des murs. Car, sur
le plateau de Millevaches, les logements vacants et les résidences
secondaires dominent les bourgs.
Commune (département)
|
% résidences principales sur la commune
|
% résidences principales du département
(comparaison)
|
Tarnac (19)
|
40,1
|
75,6
|
Peyrelevade (19)
|
54,2
|
75,6
|
Royère-de-Vassivière (23)
|
35,8
|
67,3
|
Gentioux-Pigerolles (23)
|
45,1
|
67,3
|
Faux-la-montagne (23)
|
40,2
|
67,3
|
La Villedieu (23)
|
43,9
|
67,3
|
Rempnat (87)
|
51,8
|
84,7
|
Nedde (87)
|
47,8
|
84,7
|
Source : INSEE (2008)
Tableau 2 : part des résidences principales sur les
communes témoins
43
Dans moult hameaux (Les maisons, commune de Tarnac, par
exemple), ne demeure qu'un seul résident qui peut avoir les clefs de
tout le village.
La part des résidences principales peine à
atteindre les 50% et reste très inférieure sur le Plateau aux
moyennes départementales comme en attestent les dernières
données de l'INSEE sur le Tableau 2.
L'annuaire en attente à la porte et les feuilles mortes
sur le pallier (photo 7) caractérisent l'utilisation très
partielle des bâtiments. Quant au titre de cette photo, il n'a rien
d'usurpé puisque c'est la délégation du dépôt
des bottins à une compagnie privée qui va permettre à
celui-ci de demeurer des mois suspendu à une poignée.
Autant dire que la population qui habite sur place toute
l'année ne possède pas les lieux et doit faire face à la
confiscation du bâti vacant (en indivis) ou saisonnier. A
l'arrivée du soleil, la population peut doubler de volume. Un habitant
d'un hameau de La Nouaille, s'il mentionne la bonne entente dans tout le
village, y compris avec les estivants, relate les conflits dus à leur
retour temporaire : on ne peut presque plus se garer dans le village, ni faire
tourner un moteur (de tronçonneuse) car le moindre bruit gêne les
citadins et comme « ils sont les plus nombreux, ils font ce qu'ils
veulent ».
L'habitat est un terrible élément sur lequel la
population semble dénuée de pouvoir direct. Dans une
région autant désertée que le Plateau de Millevaches, avec
tant de maisons inoccupées, les nouveaux arrivants (le solde migratoire
est positif) peinent à trouver à se loger. On se trouve
même forcé de construire pour accueillir et un certain mitage peut
poindre, comme dans le bourg de Gentioux. Cela peut laisser amers bien des
anciens habitants qui trouvent l'image de leur paysage changée Yves
Luginbühl parle en ces termes du problème du mitage dans sa
thèse : « Il faut reconnaître que le problème est
de taille, car le développement de l'habitat est sans nul doute la
transformation la plus visible dans le paysage » (p.100)
[Luginbühl, 1981]. Car le mitage consomme de l'espace rural et
n'obéit plus à l'architecture traditionnelle locale.
Je peux tirer ici une première conclusion dans la
première partie pour dire que ce qui relève du foncier, terrains
comme habitations, dans l'environnement, n'appartient pas à la
population et, de plus, est une source de mécontentement pour les
habitants permanents. La population se trouve sans pouvoir direct sur la nature
physique de son environnement, nature qui lui est imposée par
l'extérieur, sans son avis, que ce soit du fait de l'exploitation
forestière ou de la confiscation du bâti qui entraîne le
mitage des villages. Si la population ne veut pas subir complètement un
environnement imposé, elle doit donc trouver d'autres sources de
44
pouvoir que le foncier. Toutefois on peut également
considérer que la réfection de l'habitat par les
propriétaires saisonniers, attachés à leurs racines,
participe à maintenir vivace, par la pierre, la mémoire des lieux
et sauve de l'écroulement plusieurs fermes et granges que les habitants
n'auraient pas le pouvoir financier d'entretenir. Donc qu'un pouvoir
d'attraction est rendu aux villages et à leurs habitants par la
reconnaissance de l'histoire, la mémoire des bâtisseurs. Les
maisons ne sont d'ailleurs pas la seule composante du patrimoine, en
particulier bâti, à être valorisée.
Le petit patrimoine historique
Il me semble impossible de parler du Plateau sans mentionner
l'abondante présence de ce qu'on appelle parfois le petit patrimoine
bâti et dont les figures qui lui sont les plus associées sont les
fontaines, lavoirs, croix, et autres chapelles, fours à pain voire
pierres d'éviers (comme en peut en voir sous les fenêtres de la
Peinture 2 et de la Photo 7). Si ce patrimoine est marqué par un pouvoir
de la population ? Il se pourrait.
Les églises, les chapelles, les croix aux intersections
reflétaient certainement, lors de leur édification, le
quadrillage du pouvoir de la religion catholique. Mais celles-ci, surtout les
croix, sont davantage objets de musée en plein air qu'objets de culte.
Les croix en pierre (un exemple en photo 10) sont très nombreuses sur le
Plateau. Le granit a continué d'être préféré
au fer forgé ou à la fonte et dans leur contemplation, on admire
également les durs coups de burin des tailleurs. Ce matériau,
ainsi que le bon état, tout juste un peu passé, un peu
attrapé par l'érosion ou la mousse, donne un charme particulier
à ses croix. Certaines ont leur originalité. On voit une belle
croix cerclée à l'entrée nord de Royère. Au pied de
l'église de Gentioux, une haute croix de granit porte son Christ et
derrière lui, à l'ombre du clocher, crucifiée avec lui,
elle porte une vierge en train de prier1. La population,
malgré ce qu'en dit Anne Stamm, n'est plus franchement empreinte de
religion [Stamm, 1983-et même un autre ouvrage de 1997]. C'est
la valeur patrimoniale, culturelle, des petites croix, comme celle des
fontaines, des ponts, de touts les petits édifices de pierre qui est
reconnue et valorisée.
De nombreux panneaux routiers indiquent leur présence,
font converger le passant vers eux, le font s'arrêter sur le Plateau. Une
tombe sculptée (dont on peut admirer la finesse des détails sur
la photo 8) au cimetière de Gentioux, une croix à Villemoneix,
une croix du
1 Ce type et cette abondance de croix me semble
relativement rare, surtout en Limousin, mais n'est pas spécifique
à la région. Le granit est présent dans toutes les zones
d'altitude du Massif Central et j'ai aussi constaté la présence
de la vierge sur une croix jouxtant l'église de Chavagnac dans le
Cantal.
Photo 9 : Pont-planche de la Gane (Faux) (03/2012)
Cliché personnel. Gentioux
Cliché personnel. Faux-la-Monatgne
45
Photo 8 : Tombe sculptée à Gentioux
(03/2012)
Cliché personnel. Commune de Gentioux
Photo 10 : Croix à Villemoneix (Gentioux)
(03/2012)
46
mouton à Peyrelevade, le pont de Senoueix1,
la fontaine du Longy mais aussi des rochers (Clamouzat) sont ainsi
indiqués. Le patrimoine semble dégorger de partout quand on
empreinte les routes d'une commune comme Gentioux-Pigerolles. Ce patrimoine n'a
pas besoin d'être spectaculaire pour être considéré
et figurer dans les guides (ou fiches communales) comme c'est le cas du pont en
pierre plate de la Gane (Photo 9) à Faux. Ce type de pont est parfois
mentionné sous le nom de pont-planche. La mise en relief
accentuée de ce patrimoine est souvent le fait des communes. On peut
considérer qu'il montre une espérance (et une forme de
soumission) au tourisme ou une volonté de conservation par la
lumière que des habitants peuvent lui donner via les institutions.
Mais son entretien est aussi le fait d'habitants qui y sont
attachés. Des habitants prennent l'initiative de retaper leurs lavoirs
dans certains hameaux. Des associations se sont montées comme l'A.R.H.A
de Tarnac, « Eclats de Rives » à Saint-Martin-le Château
ou « la pierre levée » à Peyrelevade pour entretenir
fontaines, ponts, chemins, et murets de pierres bordant les chemins. La
mémoire n'est pas qu'une volonté de spectacle. La mention du
passé peut indiquer un pouvoir, surtout quand il dénote un
certain état d'esprit, de résistance, de la population. Il
devient un facteur de culture qui rappelle qu'on a un rôle, non neutre,
à jouer quant au pouvoir. Il en va ainsi par le rappel des guerres, et
de leur refus, sur le plateau de Millevaches.
Quand l'histoire glorifie le pouvoir de résister
et de refuser la guerre
La conservation du patrimoine prend un tour beaucoup moins
anodin quand on sait que la mémoire de la résistance, très
active sur Plateau, notamment du fait de la forte implantation du communisme
sur moult communes, est entretenue par diverses stèles et plaques et que
le souvenir des guerres est décorée par sa condamnation ou par la
paix (photos 11, 12, 13). Le monument de Gentioux est le symbole de la
non-allégeance aux armes, au refus d'un pouvoir imposé sous le
couvert de la Patrie. Le sud creusois avait été très
touché par la première guerre mondiale. En nombre de morts, sur
les 25 cantons, ceux du Plateau : La Courtine, Gentioux et Royère,
figurent dans les 5 premiers. La mutinerie des soldats russes du camp de La
Courtine en 19172, isolés sur le Plateau par crainte de la
contamination des idées révolutionnaires et
démobilisatrices. Ces soldats, avant d'être sommés par les
armes de se rendre, avaient pu se mêler à la population pour aider
aux travaux des champs. Lors de l'ainsi
1 Qui est devenu la carte postale typique de la
Creuse.
2 Ce furent 16000 soldats russes, envoyés en
France par Nicolas II et désirant regagner leur pays à la
révolution, qui furent envoyés à La Courtine.
Photo 11 : Plaque à La Villedieu (03/2012)
Cliché personnel. La Villedieu
Cliché personnel. Limite des communes de
Gentioux-Pigerolles et Peyrelevade
Photo 12 : Croix blanche vers Neuvialle (03/2012)
Cliché issu de
la-feuille-de-chou.fr
consulté en avril 2012
47
Photo 13 : Monument aux morts de Gentioux
48
nommée « seconde guerre mondiale », le
communiste Georges Guingouin entre en résistance, avec l'appel du 18
juin du général De Gaulle, avant son parti. Il est souvent
appelé « premier maquisard de France ».
En 1956, en partance pour la guerre d'Algérie, un
camion de soldats exprimant leur opposition à la guerre, fait
étape à La Villedieu. Des habitants, les soutenant, organiseront
une manifestation pacifiste pour s'opposer à leur départ. Pour
cette action, René Romanet, maire de La Villedieu, Gaston Fanton,
instituteur à Faux et Antoine Meunier seront condamnés par le
tribunal militaire de Bordeaux, notamment à des peines d'emprisonnement
et à la privation de leurs droits civiques.
C'est pour se rappeler de ces faits, s'opposer aux guerres
coloniales et à la répression de ceux qui refusent la guerre que
l'association Mémoire à vif s'est crée à
La Villedieu en 2001.
C'est une association à portée nationale. Quant
à Guingouin, son nom est tagué sur des murs d'Eymoutiers pour
stipuler qu'il faut toujours résister même si le personnage est
loin d'être porté aux nues par les habitants. Ceux-ci peuvent, par
exemple, rappeler son autorité un peu trop marquée. Enfin, le
monument de Gentioux est le rendez-vous annuel d'une manifestation pacifiste,
dénonçant la guerre (voir coupures de presses de l'Annexe 3). Le
rayon d'attraction de cette manifestation est assez large. Le refus de la
guerre et, avec lui, le refus de la soumission, sont donc encrés dans le
paysage du plateau de Millevaches, et reconnus depuis l'extérieur du
Plateau.
La mémoire joue un rôle non négligeable
comme élément de l'environnement et son maintien montre,
malgré la désertification des bourgs, une volonté de ne
pas détruire les actions passées. Si le maintien des petits
édifices montre plutôt une volonté de mainmise sur son
patrimoine qu'une revendication, les monuments, plaques et mouvements qui
condamnent la guerre et l'obéissance aux ordres sont autant
d'éléments culturels sur le Plateau qui signent une
démarcation de la population face à un pouvoir ne
prétendant qu'une légitimité hiérarchique et
institutionnelle pour se faire valoir. Puisque l'histoire fait partie de la
culture, voyons comment celle-ci s'insère dans l'environnement local.
2.3 - Un pouvoir d'habitants indépendants à
travers le marquage culturel
Le plateau de Millevaches est un terrain d'exercice pour la
culture, un terrain, certes peu peuplé, mais où sont
proposées de nombreuses activités. Trois centres d'arts sont
situés sur le Plateau à Eymoutiers, Vassivière -qui
prête des oeuvres aux particuliers- et Meymac. On trouve
également de petits musées. Plusieurs pièces de
théâtre sont annoncés par affichage
49
(récemment1 Résistances- paroles de
femmes à Faux) ainsi que de régulier concerts, en particulier au
bar de Royère (L'Atelier). A Tarnac, je suis aussi allé à
un concert un lundi soir. Une association à également
organisé, plusieurs années consécutives, le festival (bien
annoncé) des bistrots d'hiver qui conjugue apéro-débat
(j'ai assisté à l'un d'eux sur la gestion forestière et
à un sur la réappropriation possible des sectionnaux),
déjeuner et concert. 13 lieux recevaient cette saison et parmi les
débats, de nombreux thèmes abordaient des sujets
environnementaux, ou mettaient en avant les filières courtes de
production.
Le nombre d'activités culturelles visibles (ne
serait-ce que par les affiches) sur un territoire aussi peu densément
peuplé dénote un certain investissement des habitants sur leur
territoire. Les sujets abordés sont révélateurs de la
volonté de maintenir présent un esprit critique sur ce Plateau.
La nature de certaines manifestations y corrobore. C'était le cas des
« nuits du 4 août » l'été dernier à
Peyrelevade, fête anarchiste avec débats, projections et concerts
sur 3 jours et dont l'affiche (copie en annexe 4) revendique l'esprit
d'insubordination. Et c'est le cas également du festival Bobines
Rebelles (projections) qui se tient en juin à Royère et qui
programme beaucoup de documentaires libertaires. Le prix en est volontairement
libre pour, comme le précise un des organisateurs, que chacun puisse
venir, et donner selon ses ressources. Et le festival dégage chaque
année de quoi continuer l'an prochain. Le mythe du Plateau lu comme
territoire anarchiste trouve donc une résonance dans l'activité
culturelle qu'on peut y trouver en y séjournant. Dans la prise en charge
culturelle du territoire par les spectacles engagés, peut se deviner un
pouvoir local d'habitants prônant leur autogestion.
La marque de la culture libertaire ne se trouve pas seulement
dans l'affichage évènementiel mais également dans les
inscriptions au bord des routes, sur des panneaux ou des transformateurs E.D.F.
Lorsqu'on arrive sur Gentioux depuis la route de Felletin, on peut trouver deux
déclarations comme quoi on ne se laissera pas faire (Photo 14 et 15).
Le slogan « Toujours insoumis », depuis plusieurs
années sur le panneau du Parc Naturel régional semble marquer la
porte d'entrée du Plateau tant il est immanquable. On trouve le
même adjectif, en voie d'effacement, sur le goudron de la route entre
Peyrelevade et Tarnac.
1 Et je dis ça le 14 avril 2012.
Photo 14 : Panneau routier du PNR (02/2012) Photo 15 :
Transformateur électrique (03/2012)
Cliché personnel. Sur la D992. Vers La
Nouaille
|
|
|
Cliché personnel. Sur la D992. Vers
Saint-Quentin-la-Chabanne
|
50
La reprise, tournée en dérision, du zoologique
« Prière de ne pas nourrir les habitants » avec la signature
du Parc rappelle par sa simple présence que la population de
céans n'est pas à mettre dans une cage. Je peux aussi
l'interpréter de la manière suivante : « les habitants n'ont
pas besoin qu'on leur impose une nourriture extérieure »... enfin,
chacun peut y lire sa petite cocasserie. Le fait qu'il soit signé «
Le Parc » avertit aussi que l'étiquette PNR ne va ni ranger, ni
dompter les esprits. Les bêtes restent sauvages.
Ces deux inscriptions sont loin d'être les seuls. Autour
de Nedde, plusieurs transformateurs électriques sont tagués
d'avertissements insurrectionnels suite aux arrestations à Tarnac,
l'entrée au bourg de La Villedieu se fait sous la mention « Police
partout, justice nulle part » : on n'est pas spécialement
habitué à ce balisage rebelle dans les campagnes limousines. Les
graffitis contre le nucléaire ont aussi fleuri -surtout après
Fukushima- : on en trouve jusque Felletin, Meymac ou Eymoutiers. La
contestation du nucléaire vise aussi le passé d'extraction de
l'uranium sur le Plateau et l'omerta qui règne autour de l'ex usine de
traitement des déchets nucléaires de
Bessines-sur-Gartempe1 au nord de Limoges.
1 Une pollution de la Gartempe en aval de l'usine a
été relevée par la Commission de Recherche et
d'Informations Indépendantes sur la RADioactivité (CRIIRAD) en
1994. Une opposante au nucléaire relate qu'elle se trouvait peu de
pouvoir sur le sujet, au regard de la possibilité des lobbies
nucléaires d'acheter le silence des Bessinauds et de leurs élus.
Silence qui leur aurait valu une belle place... et un musée de la mine
d'uranium pour vanter la science nucléaire qui doit bientôt ouvrir
ses portes.
51
En sillonnant les bourgs, j'ai pu remarquer le
déploiement de banderoles dénonçant des fermetures de
classes dans plusieurs communes : à Felletin et à Nedde par
exemple. Plusieurs habitants m'auront cité ces menaces de fermeture pour
imager la faiblesse de leur pouvoir. Si ces dernières inscriptions sont
le signe d'un pouvoir étatique ou industriel capable de maltraiter le
territoire, donc subi par les habitants, elles montrent aussi que ce pouvoir
n'est pas reconnu comme légitime et qu'il trouvera une opposition parmi
la population. Opposition qui fait partie de cette culture de la
résistance pouvant irriguer l'environnement et que peut résumer
ce diction dit ironiquement « creusois » dans le dernier
Communard1 : « Qui se laisse gouverner, doit accepter
d'être irradié ».
Dans le paysage culturel du Plateau, comptent justement deux
journaux : Le Communard, saisonnier, sous-titré « un peu de cassis
et beaucoup de rouge » à teinte communiste et libertaire, et IPNS,
paraissant tous les trois mois depuis 10 ans, qui traite avec un oeil critique
des sujets locaux, sous-titré pour sa part « Journal d'information
et de débat du plateau de Millevaches ». A ceux-là,
s'ajoutent la présence de deux autres journaux saisonniers et
anarchistes : La vache qui rugit (centré sur Limoges) et Creuse-Citron
(dont les origines se situent du côté de Royère). C'est une
présence importante sur une zone si faiblement peuplée.
Télé Millevaches, qui a aujourd'hui son
siège à Faux existe depuis 1986. Avant d'entrer dans les
critiques, son but est de donner la parole aux habitants du Plateau. Ne
disposant pas d'un canal, le magazine -gratuit- était enregistré
sur casettes vidéo disponibles dans les mairies ou autres points
dépôts. Des projections publiques permettaient des contacts et
débats autour des émissions. Le principe a changé de
support et utilise disques compact et internet et, aujourd'hui, quelques
canaux.
Cette activité culturelle n'est pas uniforme sur tout
le plateau de Millevaches. Elle est surtout intense sur le sud de la Creuse, et
en particulier sur les communes témoins de cette étude. La forte
imprégnation culturelle sur cette zone est d'ailleurs l'un des facteurs
qui a orienté ma sélection. Certains nouveaux habitants citent
d'ailleurs ce dynamisme culturel comme leur facteur principal de choix
d'installation autour de Gentioux. Un couple de Haute-Corrèze (du coeur
du plateau de Millevaches peut-on dire) a choisi le plateau de Gentioux pour
cela. Et a conclu que la Haute-Corrèze n'était pas dans la
même dynamique, ne serait-ce que démographiquement. Mais elle
reste irriguée par les médias locaux : Le communard, IPNS et
Télé-Millevaches.
1 Se référer à
l'avant-dernière note.
52
Il n'est pas que les inscriptions et l'affichage qui marquent
culturellement et physiquement le paysage puisque les journaux sont visibles
dans les kiosques ou bistrots et que les secrétariats de mairie
disposent du magazine de Télé Millevaches sur le comptoir. La
forte présence de la culture et les manifestations d'un esprit critique
face au pouvoir institutionnalisé supposent un mode et un rythme de vie
qui diffère de la soirée individuelle devant sa
télévision. Des habitants veulent créer et avoir
accès à la culture, avoir un rôle actif dans leur
environnement intellectuel.
Le dynamisme local peut aussi se constater physiquement par
les changements dans le paysage, c'est-à-dire les éléments
qui peuvent constituer une cassure dans le paysage.
Je rappelle ici la définition du pouvoir que j'ai
choisi en introduction : « la capacité à agir sur une
situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir
».
2.4 - Les cassures dans le paysage
Le bourg de Gentioux est en grands travaux. La moitié
de la route est coupée et défoncée par les engins. Des
camions de travaux manoeuvrent sur la place principale et le long des
trottoirs. On ne traverse le bourg, en voiture, que difficilement. Des tuyaux
apparaissent parfois avant d'être recouverts. Il se construit un
réseau de chaleur au bois. Les habitations du bourg pourront être
raccordées à ce réseau collectif de chauffage. Ce
système est souvent utilisé pour les bâtiments publics
(mairie ou école) comme à Peyrelevade ; il sera proposé
également aux particuliers à Gentioux. Le bois est une
énergie localement disponible sur le Plateau et ce type de réseau
peut aussi utiliser le bois des résineux. Ce n'est à priori pas
un pouvoir aussi direct que le chauffage au bois par sa cheminée,
très répandu, mais pour ceux dont la cheminée aurait du
mal à chauffer toutes les pièces ou pour ceux qui n'en
disposeraient pas, ce sera peut-être la capacité d'avoir chaud
à l'aide d'une énergie locale (normalement moins chère
puisque collectivisée...ça reste à voir). Pour la commune,
qui a décidé ce système, c'est un moyen
d'indépendance vis-à-vis d'autres sources d'énergies non
locales et dont le coût augmente et risque de continuer à
augmenter. C'est un signe qu'elle est prête à se lancer dans les
innovations.
Soulignant une indépendance beaucoup moins discutable,
c'est une absence qui surprendra à La Villedieu : celle des compteurs
d'eau. Les sources sont captées directement et fournissent l'eau potable
gratuitement aux habitants et sans traitement. Cette gratuité,
n'étant profitable qu'aux habitants, n'avait pas forcément
reçu une appréciation bienveillante de l'administration
régionale et le maire a dû insister plus ou moins selon les
interlocuteurs pour
53
la faire admettre. L'accès à l'eau potable ne
nécessitant parfois qu'un simple captage (et une attention portée
quant à l'utilisation des sols), ne devrait-il pas être un des
droits les plus primordiaux ? ...
C'est essentiellement par le bâti que j'ai
repéré ces cassures. Peut-être suis-je trop habitué
à la région pour remarquer des changements dans l'occupation des
sols. Certaines parcelles, anciennement boisées se couvrent de
genêts : peut-être ne seront-elles pas replantées et il est
possible que certains troupeaux de moutons reviennent à des endroits
où ils n'allaient plus. Leur rôle d'entretien des landes est
reconnu. Mais revenons à l'habitat.
J'ai vu plusieurs maisons, d'aspect neuf, construites en bois.
Elles dénotent de moins en moins dans le paysage. Elles sont souvent
construites à la périphérie des villages mais certains
ajouts de bois peuvent compléter des maisons de pierre au centre des
hameaux. Elles montrent une préférence du bois par rapport au
parpaing mais également le besoin de logements et probablement la
difficulté d'accès au foncier ancien. Le choix du bois est
présent aussi pour les yourtes. On en trouve quelques unes à
Lachaud, sur la commune de Gentioux. S'il est possible que leur existence
relève d'un faible pouvoir d'achat, elles sont également le signe
d'un autre rapport à l'environnement, à rapprocher de celui de la
cabane d'Henry Thoreau qu'on peut lire dans Walden [Thoreau, 1947].
C'est une recherche de simplicité et d'intégration à la
nature. Les yourtes servent -entre autres- à accueillir des jeunes, pour
des chantiers d'été par exemple. Il est donc possible d'en
déduire une activité des jeunes en rapport à
l'environnement (qui se vérifie à Lachaud), le pouvoir d'une vie
sans exploitation intensive de l'environnement.
Je vais prendre un dernier exemple quelque peu
différent. Quand je suis arrivé au village de Variéras
(commune de Pérols-sur-Vézère) et que j'ai fait part de
mon sujet d'études à un artisan qui travaillait sur les lieux, il
m'a tout de suite dit que j'étais bien tombé.
Son père, Maurice Gorsse, avait construit un toit de
chaume pour sa maison. Charmé, d'autres habitants lui ont
commandé leurs chaumières. Il en a ensuite construit quelques
unes dans le village, sans aide d'aucune sorte hormis celles d'amis (puisque
les aides lui étaient refusées, entre autres par la
municipalité) mais pariant qu'elles allaient plaire, être
achetées et habitées. Ce qui fut le cas. Suite au succès,
le hameau s'est agrandi et des chaumières sont également
commandées dans d'autres villages.
Cliché personnel. Commune de
Pérols-sur-Vézère
54
Photo 16 : Chaumières à Variéras
(03/2012)
L'artisan m'a précisé que les chaumières
devaient être peu chères et que, lors des ventes, étaient
privilégiés les habitants qui y vivraient à l'année
(il y a donc pas mal de résidences principales) et les jeunes (ou les
familles). Variéras est aujourd'hui le plus gros hameau de la commune et
a donc un poids démographique significatif. Plusieurs habitants sont
conseillers municipaux. C'est un pouvoir pris à l'intérieur de la
commune.
Ces habitants qui ont agrandi le village en chaumières
ont, pour leur part, eu le pouvoir sur sa composition visuelle et sociale. Les
chaumières individuelles sont disposées de manières
à garder une sensation d'espaces et de nature, voire de vacances pour
les habitants (photo 16). Mais ces chaumières (dont les murs restent en
parpaing : question de coût) pourraient aussi s'apparenter au mitage de
la campagne. La disposition, si elle semble esthétique, me donne aussi
l'impression d'un manque de cohésion, d'une recherche de son
carré individuel exagérée. Il n'y a pas (encore) de bar
où les gens se rencontreraient, ni de lieu culturel où la
collectivité prendrait un sens. J'aurai la sensation du manque de la
possibilité de liens en m'installant là-bas, d'un manque de
désordre, d'animation, de vie peut-être tout simplement. Je
finirai d'ailleurs cette partie avec la vie sur le Plateau, pour annoncer les
activités humaines que l'on peut y rencontrer avant de me tourner
précisément vers les modes de pouvoir de la population. Mais je
me permets, pour cette première partie, une conclusion avant la
lettre.
55
Conclusion sur les marqueurs spatiaux du pouvoir
On peut se faire une image de nature du plateau de
Millevaches, d'une nature qui nous ferait gagner beaucoup quant à notre
qualité de vie mais où l'on se sentirait isolée. Cette
image est contrebalancée par l'activité militante «
anarchiste » du Plateau qui a pu nous arriver aux oreilles mais aussi par
les premières ballades sur place. On rencontre des forêts loin de
l'état sauvage : plutôt des plantations. L'impression de vide peut
être confortée par le peu de gros bourgs et par le nombre de
maisons inhabitées. L'espace physique ne plaide en effet pas en faveur
d'un pouvoir qui viendrait des habitants. La composition du paysage est fruit
de l'exode rural et de la propriété foncière
héritée, aujourd'hui aux mains de non-résidents. La
population semble pourtant ne pas se résoudre à ce constat.
L'activité culturelle et politique montre, contrairement aux premiers
préjugés, un réel dynamisme sur le plateau de Millevaches,
et en particulier sur les communes que j'ai retenues comme centrales pour mon
étude. Si certains peuvent rechercher l'isolement familial, plusieurs
habitants s'investissent dans la vie sociale du territoire. Parce qu'ils
veulent avoir leur part de décision quand à la marche de ce pays.
Pays au sens local, mais plus largement aussi, au sens national. L'esprit
critique, manifeste sur le Plateau, signale une volonté de ne pas se
soumettre à des décisions autoritaires et une volonté
d'avoir du pouvoir sur sa propre vie.
2.5 - Tranches de vie sur le Plateau
C'est vrai que, me promenant en vélo, je n'ai pas eu
à subir un fort trafic sur les routes. Les heures de pointes, celles
où les gens se rendraient au travail ou rendraient le travail, ne m'ont
pas sauté aux yeux. Le travail rythmé ne doit pas être de
si grand poids ici. Il faut dire que les retraités figurent en nombre.
Ils s'attardent parfois, le matin au bistrot, reviennent sur leur pas et
s'occupent au champ comme des agriculteurs. Quelques camionnettes passent dans
les villages pour livrer le pain ou la viande. Dans les bourgs communaux, on
arrive parfois à trouver quelques commerces ou pharmacies, des
médecins à Faux-la-Montagne. Parmi mes communes-témoins,
Peyrelevade est le plus gros bourg et le mieux desservi. Pas vraiment de vie
alors ? Mais de l'activité. La solidarité fonctionne encore
puisqu'on va vers les villages isolés, les vieux ou les enfants. Car on
trouve aussi plusieurs bornes qui indiquent les points de ramassage scolaire
dans les hameaux. De biens des façons, la région ou les habitants
eux-mêmes font en sorte que l'isolement physique ne soit pas un
56
effacement social. Plusieurs habitants entrevoient leur
région comme dynamique. Et comme suscitant l'intérêt
extérieur : la preuve en est ces étudiants qui viennent brosser
leur sujet sur le plateau de Millevaches.
Les initiatives, les travaux entrepris dans les bourgs (comme
à Gentioux), les maçons ou électriciens que l'on croise en
train de rénover une maison dans un petit hameau, les jeunes qui sortent
pour manger, le midi, à Faux et les cantonniers qui viennent se faire
une facture dans les restaurants montre que le pays, faute d'être
foisonnant comme au début du XXème siècle, n'est pas
totalement éteint.
J'ai déjà mentionné les initiatives
culturelles et politiques qui fermentent sur le Plateau et l'animent jusque sur
des affiches et journaux. On trouve de nombreux bals traditionnels où
-curieusement ne serait-ce que par rapport au sud de la Corrèze-
viennent danser beaucoup de jeunes. La soirée, bien qu'on soit à
la campagne, reste un moment de possible sortie.
A ce que beaucoup disent, les festivités sont souvent
animées, sur le Plateau, par des migrants qui s'appellent entre eux
« néo-ruraux », le nom que certaines études leur
avaient donné. Ce sont majoritairement eux qui se déplacent aux
fêtes et animations. Certains ont apporté leurs rites culturels de
la ville (débats, concerts, spectacles...) et se sont investis pour les
implanter avec un vrai succès puisqu'ils demeurent. Comme d'autres,
chauffeurs de taxi ou maçons, avaient pu, autrefois, rapporter la
culture politique depuis Paris. C'est-à-dire : le communisme et ses
réunions syndicales et politiques. Le plateau de Millevaches, depuis un
siècle vit donc sous l'effervescence des dernières pensées
politiques : que ce puisse être l'écologie et la
décroissance aujourd'hui ou, hier, le communisme, voire un capitalisme
financier (sur pied, par les conifères et les masures)
d'après-guerre.
Ce n'est pas pour autant que les influences se croisent et les
gens « du cru », qui sont toujours restés sur le Plateau ne
participent apparemment que peu aux animations et sorties. Leurs enfants ne se
mêlent à ceux des migrants qu'à la petite école car,
apparemment toujours et selon plusieurs témoignages de migrants, ils
arrêteraient leurs études plus tôt ou choisiraient de
filières plus professionnelles. Ces derniers préféreraient
les boîtes de nuit aux bals.
Le peu de mélange aux animations et soirées
provient aussi de rythmes de vie différents : les migrants donnent
davantage d'importance au temps libre et veulent se permettre des loisirs ou
des activités associatives. Les gens « du cru » attachent plus
de valeurs au salaire dû à l'effort ou la sueur, ce que relatait
déjà Jean-François Pressicaud dans son mémoire
[Pressicaud, 1980]. La catégorisation peut sembler formelle, cette
division dichotomique, mais elle provient des discours des habitants, notamment
des dits « néo-ruraux » (mais qui pour la plupart ne sont pas
si nouveaux et pour une autre part n'ont jamais été citadins) qui
ont peut-
57
être eu l'impression de devoir batailler sur un terrain
politique pour que leurs idées et leurs actions puissent exister dans le
paysage. Cependant, il en est de nombreux pour relater le bon accueil que leur
ont fait des voisins contents de voir se remplir leur village. Les anciens,
bien que se sentant peu concernés par les manifestations culturelles,
reconnaissent aussi le rajeunissement qu'ont apporté les migrants. Mais
très prudents, ils savent qu'il faudrait davantage de monde, de jeunes,
d'emplois disent-ils aussi, pour prolonger ce réveil du Plateau.
Originaire de Creuse ayant migré sur la capitale, je ne
sais même pas si j'ai des palmes dans les deux mares et mes positions
reflèteront certainement surtout la fréquentation des
activités associatives, culturelles et militantes du Plateau. Cette
division entre « néo-ruraux » et « gens du cru »
pourra être un des facteurs du choix de certains leviers de pouvoir sur
l'environnement mais mon étude de la population partira d'abord des
diverses façons de se grouper pour peser sur la vie locale, de la nature
des acteurs au regard des pouvoirs plutôt que d'une sériation des
individus.
58
59
II - Relations et formes de pouvoir des acteurs
locaux
Mais je tâcherais de donner les principales
caractéristiques de la population. Puis je la découperai en
acteurs : groupes institutionnels, groupes associatifs et autres habitants. Des
relations entre ces groupes naissent des stratégies différentes
de pouvoir, des actions diverses sur l'environnement. Elles permettent
d'appréhender les limites des pouvoirs de chacun et de dégager
les différents leviers de pouvoir que peuvent utiliser les habitants
pour décider de leur environnement.
Avant cela, je vais rappeler de quelle façon j'ai
interrogé les habitants et compléter les propos de mon
introduction. Cette manière d'intervention comporte, comme d'autres, ses
limites et ses sources d'erreur. On reçoit aussi les témoignages
qu'on provoque.
1 - L'approche de la population
-Les abeilles savent que tu les regardes, elles
s'habituent à toi, à ton odeur et ça agit sur leur
comportement, de même leur présence modifie ton comportement,
se comparait un apiculteur à un anthropologue, se souvenant de ces
études de sociologie.
1.1 - Mes choix méthodologiques
Cela me ferait peut-être drôle, de lire un tel
sujet sur le territoire où je vis, d'être un élément
de cette population qu'on approche, qu'on ausculte, qu'on étudie avec un
parfum de zoologie, d'être un des acteurs décrits. J'en deviens
pourtant un dans le bref moment où je fais mes recherches. Si je ne suis
pas un habitant du lieu considéré, je deviens aussi une
bête d'étude. Egoïstement : la seule peut-être. Puisque
je ne peux pas me retirer pour faire mon étude. Et si les leviers de
pouvoir peuvent se passer de moi puisqu'ils existent sans moi, avant moi
(puisque c'est pour les décrire que je viens !), le tableau que je vais
brosser (mon mémoire) ne peut se passer d'eux. Comment procède-je
alors ? Puisque le processus est en quelque sorte mon procès. Et il faut
que je jure de dire toute la vérité ? Ou toutes les erreurs,
puisque ce sont peut-être les seules choses auxquelles j'ai
accès.
Comme je l'annonçais en introduction, je n'ai pas
cherché à sérier mes entretiens. J'ai donc posé des
questions très ouvertes, essayé de recueillir l'opinion des gens
sans le besoin préalable de ranger leurs propos dans une case. Je ne
pense pas que mon sujet se prête à la statistique. Au final, il y
aura pourtant ces formes de cases que sont les chapitres.
60
J'ai consigné dans mes notes 97 résultats
d'entretiens. Les personnes que j'ai interrogées étant parfois en
couple, ou en groupe, je pense qu'il faut doubler ce chiffre pour obtenir celui
du nombre de personnes dont j'ai relevé les discours. Il y a aussi des
personnes que j'ai rencontrées, dont les propos ont servi ma
réflexion, mais que je n'ai pas intégrés dans mes notes.
Je commençais, à la fin, à retomber très souvent
sur des discours obtenus et c'est pourquoi, avec le fait que j'avais
interrogé des acteurs de nature différente, je n'ai pas
réalisé davantage d'entretiens. Et c'est aussi une question de
temps, de calendrier que je me suis fixé. Sinon, en retrouvant les
mêmes discours, je pourrais continuer longtemps.
De longueur les entretiens étaient diverses, certains
ne durant qu'un quart d'heure, d'autres dépassant l'heure, selon les
personnes, la moyenne étant plutôt de l'ordre de la demi-heure. Le
fait d'être autour d'une table, par exemple, incite à prendre du
temps. Ou le beau temps dehors ! J'ai posé une série de questions
identiques dans mes entretiens. D'abord
« Pensez-vous avoir du pouvoir sur votre environnement ?
», question vaste que j'explicitai, pour commencer, le moins possible,
dans le but de savoir comment la personne comprenait le pouvoir. En revanche,
je pouvais préciser « environnement » par « territoire
», « lieu de vie », ou tout simplement « ici, sur le
Plateau ». Ensuite j'ai demandé comment la personne agissait sur
son environnement : la formulation de cette question dépendant de
l'interlocuteur. Si la personne est dans une association : « qu'a fait
concrètement l'association ? », si c'est un agriculteur, ça
peut prendre la forme de questions relatives à son travail... mais
souvent, je n'avais pas besoin de poser cette question puisque les gens en
parlaient d'eux-mêmes, suite à la première question. Et
puis je demandai s'ils avaient des relations avec les autres habitants,
associations, PNR ou institutions, et la nature de ces éventuelles
relations. En bref, les questions que je me posais moi-même. Je me
permettais aussi de faire parler les gens sur l'avancée de mes travaux,
c'est-à-dire sur d'autres discours déjà reçus ou,
sur les leviers de pouvoir que j'étais en train de mettre en relief. Je
pouvais ainsi préciser mes définitions, les compléter.
Mais c'était aussi parce que j'avais envie de donner mon avis ou
d'expliquer pourquoi j'avais choisi ce sujet. D'ailleurs on me le demandait
parfois. Il y a des personnes que j'avais déjà rencontrées
avant de les interroger et leurs réponses ont aussi pu être
orientées du fait qu'ils connaissaient déjà mon sujet
d'études et qu'ils savaient pourquoi j'étais là. Mais
comme leurs réponses ne sont pas enregistrées pour un sondage,
elles n'ont pas le besoin d'être spontanées ou
dégagées d'influence. Les influences, que ça soit celles
des personnes sur mon sujet ou le fait que je relate mon sujet d'étude
aux personnes, permettent aussi de préciser nos pensées. Qui
regarde qui ? Et qui butine les fleurs ? ...
61
Je ne prenais pas de notes (et certains en ont
été surpris) : le grand désavantage de cela est que je
devais mémoriser au maximum les propos et que je ne peux majoritairement
rapporter que des discours indirects. Mais les désavantages de la prise
de notes (ou de l'enregistrement) me semblaient plus dérangeants.
Déjà, en terme de présentation, je ne suis pas sûr
que ce soit toujours très poli d'arriver avec son calepin, de ne pas
regarder les gens et ce rapport fait aussi qu'on ne dit pas forcément
les mêmes choses à quelqu'un qui note qu'à quelqu'un qui
écoute. Sans compter qu'on ne note pas assez vite, que les personnes
sont obligées de s'arrêter et peuvent perdre le fil (ou l'envie)
de ce qu'elles voulaient dire. L'enregistrement audio peut provoquer une
méfiance : celle que tout ce qui va être dit pourra être
retenu contre nous. C'est pourtant vrai aussi sans enregistrement !
Pour palier au manque de propos directs, j'ai
enregistré un entretien avec Marc de « Nature sur un Plateau »
(annexe 7), acteur à la croisée des thématiques du Pouvoir
et de l'Environnement, que je pourrai citer plus longuement.
Comment je suis allé voir les gens n'est pas
indépendant non plus de mon panel de discours obtenus. Hormis pour
certains maires ou certaines associations, je me suis présenté
directement chez les gens, ou dans les bureaux sans rendez-vous. Je me suis
arrêté, en vélo souvent, dans les hameaux et j'interrogeais
les gens rencontrés au hasard. J'ai aussi sonné à des
portes au hasard. En procédant ainsi, et comme je me
déplaçais dans la journée, j'ai évidemment
rencontré beaucoup de retraités ou d'agriculteurs qui
travaillaient dehors, autour de chez eux. Il faut dire aussi qu'ils
représentent une part importante de la population et que j'avais de
grandes chances, au hasard, de tomber sur eux. Mes résultats
d'entretiens peuvent donc manquer, par rapport à la population, de
salariés (quoique les associations représentent pas mal d'emplois
salariés) ou d'ouvriers. J'ai surtout essayé de rencontrer des
personnes dont l'occupation laisse présupposer un rapport
privilégié à l'environnement ou une insertion dans la
nature : paysans, chasseurs, pêcheurs.
Pour être plus complet, il faudrait prendre en compte
davantage de témoignages de personnes travaillant hors des communes
d'habitations et rentrant chez eux le soir. Pour cela, il ne m'aurait pas
été inutile d'allonger ma période d'entretiens car ces
personnes sont plus difficiles à croiser. La part des personnes
travaillant dans leur commune d'habitation reste cependant forte : 55,6%,
60,1%, 68,7%1 pour prendre les exemples respectifs de Faux, Gentioux
et Peyrelevade. En ce qui concerne les emplois par catégories
socioprofessionnelles pour les communes-témoins, les dossiers INSEE ne
signalent que des données indisponibles.
1 Source : INSEE 2008
62
Les sites des mairies proposent toutefois des chiffres issus
de l'INSEE1 qui donnent de très fort taux d'emplois
agricoles. Je vais donc donner quelques caractéristiques de la
population du Plateau en rappelant que je me suis d'abord attaché
à m'entretenir avec une proportion significative d'acteurs : maires (ou
conseillers municipaux), chargés de mission du PNR, membres associatifs,
et habitants ne faisant pas partie de collectifs.
1.2 - Caractéristiques de la population
D'abord, il convient de remarquer que la population du Plateau
est peu nombreuse. Les centres-bourgs sont petits et les villages pour beaucoup
désertés. On trouve des densités de population très
faible sur les communes témoins (Tableau 3).
Commune
|
Gentioux
|
Faux
|
La Villedieu
|
Royère
|
Nedde
|
Rempnat
|
Peyrelevade
|
Tarnac
|
Densité (hab/km2)
|
4,8
|
7,6
|
8
|
7,6
|
10,1
|
7,9
|
12,4
|
4,8
|
Source : INSEE 2008
Tableau 3 : Densités de population des communes
témoins
Ces chiffres sont bien en deçà de la moyenne du
département le plus rural du Limousin (la Creuse avec 22,3
hab/km2) et les communes de faible étendue comme La Villedieu
ou Rempnat n'affichent pas un meilleur score.
Cette faible démographie est loin d'être
indépendante quant au pouvoir. En particulier lorsqu'on sait qu'elle
entre dans le choix d'installation sur le Plateau pour certains. Puisqu'il y a
moins de monde, chacun peut penser avoir plus de poids sur son territoire et
c'est ce que plusieurs personnes m'ont affirmé. La faible
démographie, pour elles, est un facteur qui fait qu'on peut davantage
s'exprimer ici qu'ailleurs. Un couple de vacanciers réguliers avaient
d'ailleurs choisi La Nouaille comme commune électorale parce leur avis
compte plus dans cette petite commune que dans la grande ville où ils
travaillent. Le fait que l'espace soit faiblement peuplé entre pour
certains dans la remarquable qualité de vie qu'ils adjoignent au plateau
de Millevaches.
Pour d'autres, en particulier les vieux qui ont vu se vider
les villages, la chute démographique a représenté une
baisse de leur qualité de vie. Une habitante de Plazanet (Faux) me
signale
1 Le réseau de sites www.annuaire-mairie
donne 22% pour Nedde et Gentioux, par exemple, qui sont des communes
médianes parmi les communes témoins -mais tous les emplois
ont-ils été répertoriés ?- quand la part des
emplois d'agriculteurs d'un département très agricole comme la
Creuse est de 5,8% (part qui tient compte de la soustraction des
chômeurs).
63
qu'elle n'a plus personne avec qui discuter dans le village,
plus personne chez qui prendre le thé en franchissant simplement la
rue.
D'autres personnes attribuent à la faible
démographie leur absence de pouvoir sur l'environnement : ils ne sont
plus assez nombreux pour peser. Et en effet, ils contrôlent beaucoup
moins le foncier comme on l'a vu en première partie. Les habitants ne
représentent plus un poids démographique (donc électoral
et financier) pour être considérés depuis
l'extérieur. Mais paradoxalement, ils ont aussi davantage de pouvoir car
ils sont moins contrôlables. Mais ce pouvoir constitue plutôt une
liberté individuelle sur son espace qu'un poids décisionnel sur
ce même espace.
A ces faibles densités, il faut ajouter le nombre
important de personnes âgées. Ce nombre n'est pas dû au
simple vieillissement mais au fait que beaucoup reviennent s'installer dans la
maison familiale pour leur retraite (et j'en ai rencontrées). Des
maisons sont mêmes achetées plusieurs années à
l'avance dans l'optique de la retraite. Les communes de Tarnac, Rempnat et La
Villedieu affichent plus de 40% d'hommes comme de femmes de plus de 60 ans et
les communes de Nedde et de Royère s'en approchent. Faux, Gentioux et
Peyrelevade restant proche des moyennes creusoises de 29,9% d'hommes et 36,4 %
de femmes de plus de 60 ans1. Moyennes d'environ 4 points
supérieures aux régionales mais d'environ 10 points
supérieures aux nationales. Si j'ai interrogé, au gré de
mes visites de hameaux, beaucoup de retraités, c'est aussi parce que le
Plateau en compte beaucoup. La retraite sera pour certains le signe de
l'âge et ils diront n'être plus concernés quant aux
questions de pouvoir ; pour d'autres, c'est un gain de pouvoir par le gain de
temps libre à consacrer à des activités associatives par
exemple. La retraite est surtout le reflet des aspirations qu'on pouvait avoir
précédemment. Du point de vue du dynamisme, ce n'est pas
spécialement un frein : de nombreux retraités participent aux
débats ou réunions d'associations, vont voir des spectacles.
Mais, ce ne sont plus eux qui remplissent les écoles ou qui
créent des emplois salariés. Dans toutes les communes
témoins, le solde naturel est négatif entre 1999 et 2008 (six de
ces communes affichent une variation négative supérieure à
celle de la Creuse qui est de -0,7%). La population se renouvèle par les
nouveaux arrivants (à l'exception de Faux, les soldes migratoires
1999-2008 sont tous positifs). Ces migrants peuvent être des
retraités mais aussi des jeunes. Le nombre de jeunes (ou jeunes couples)
venant s'installer n'est pas négligeable : j'ai pu en rencontrer
plusieurs. Depuis les années 1970, le Plateau, en particulier cette
partie interdépartementale, a accueilli des migrants -dont des citadins-
qui sont fréquemment
1 Source : INSEE 2008
64
nommés « néo-ruraux ». Certaines
communes se sont donc recomposées. Le mouvement continue toujours. Si on
regarde la part de personnes résidant 5 ans auparavant dans une autre
région, hormis pour Royère et Rempnat dont les pourcentages sont
faibles, elle s'échelonne entre 9,7% pour Peyrelevade et 12,6% pour
Faux. Ce qui reste supérieur à la moyenne régionale (8,4%)
et nationale (6,2%)1. Les personnes âgées cherchant
parfois à se rapprocher des centres-villes et des services, elles ne
sont pas les seules à être la cause de ces fortes arrivées
sur le Plateau par rapport à la France.
Le faible peuplement du plateau de Millevaches, le fort taux
de personnes âgées mais aussi les faibles revenus (ils sont
beaucoup à dire que les gens du Plateau ne sont pas riches2)
ne concourent à priori pas à rendre le lieu vivant, à
maintenir les écoles et les possibilités de rester et travailler
sur place, ils laissent un champ libre à une domination de
l'environnement local par l'extérieur. Les densités faibles font
aussi que ceux qui veulent s'impliquer dans la vie sociale se sentent un champ
d'action plus large. Des modes de vie divers existent entre gens « du cru
» et « néo-ruraux » ainsi qu'un clivage quant à
l'insertion dans la société de consommation (déjà
présent en 1980 [Pressicaud, 1980]). S'il y a un clivage politique, il
se fait à gauche car toutes les communes témoins sont fortement
marquées à gauche : on peut prendre pour exemple le
résultat du 1er tour des élections régionales
de 2010 (Tableau 4).
Communes
|
1er
|
2nd
|
3ème
|
Faux (23)
|
Verts : 39%
|
PS : 31%
|
FG : 16%
|
Gentioux (23)
|
PS : 35%
|
Verts : 20%
|
FG : 18%
|
Royère (23)
|
PS : 39%
|
UMP : 26%
|
Verts : 12%
|
La Villedieu (23)
|
Verts : 31%
|
FG : 31%
|
PS : 22%
|
Peyrelevade (19)
|
PS : 34%
|
FG : 30%
|
UMP : 18%
|
Tarnac (19)
|
FG : 40%
|
UMP : 31%
|
PS : 14%
|
Rempnat (87)
|
FG : 38%
|
PS : 25%
|
UMP : 24%
|
Nedde (87)
|
FG : 39%
|
PS : 34%
|
UMP : 12%
|
FRANCE
|
PS : 29%
|
UMP : 26%
|
Verts : 12%
|
Source :
www.annuaire-mairie.fr
Sigles : Gauche : PS (Parti Socialiste), Verts
(Europe-Ecologie-les-Verts), FG (Front de Gauche) ;
Droite : UMP (Union pour un Mouvement Populaire)
Tableau 4 : Résultats du 1er tour des
élections régionales de 2010
1 Source : INSEE 2008
2 Et les relevés 2008 de l'INSEE leur donnent
raison. Par exemple pour Faux-la-Montagne, le revenu moyen net par foyer fiscal
est de 14078 € contre 20041€ pour la région Limousin.
65
Dans les communes creusoises, le vote écologiste
était manifeste et pouvait concurrencer le vote socialiste, quand
celui-ci ne l'était pas par le Front de Gauche (qui a
ingéré le Parti Communiste). Ces différences avec les
résultats nationaux sont dues à l'implantation communiste de
longue date et à l'arrivée de migrants en rupture avec le
capitalisme.
Bien qu'elles puissent souligner des rapports de pouvoir entre
des franges de la population, les divisions selon les opinions politiques ou
entre gens « du cru » et migrants ne me paraissent pas permettre
d'appréhender les différentes façons par lesquelles un
habitant peut essayer d'avoir du pouvoir sur son environnement. Car, en termes
de pouvoir spatial, le contraste le plus évident est celui entre
personnes extérieures qui possèdent une grande part du foncier et
habitants qui veulent maintenir leur région vivante. Comment
procèdent ces habitants ? C'est ce que je veux conter.
Pour cela, on peut se baser sur les diverses
légitimités qui s'expriment quant aux décisions
territoriales. Un membre de la Société Coopérative
d'Intérêt Collectif (SCIC) ARBAN me présentait 3
légitimités à prendre en compte sur les projets qu'il
menait : celle des élus, celles des experts et celle des habitants (le
voisinage). Pierre Lascoumes identifie les mêmes acteurs sous les noms de
: politiques, société civile et scientifiques [Lascoumes,
1994].
Comme je me tourne ici vers la population locale, les experts
sont peu nombreux parmi les habitants et sont plutôt dans les
universités : cette division sied donc mal à mon étude.
Toutefois, certains membres d'associations ou les chargés de mission du
Parc peuvent tenir ce rôle de relayeur de science. Mais ils font alors
soit parti d'un organisme institutionnel (PNR), soit d'un collectif
d'habitants. Et c'est par ces modes de réunions qu'ils veulent
participer aux décisions locales.
2 - Les acteurs : relations, perception du pouvoir et actions
sur l'environnement.
J'ai choisi trois grands types d'acteurs de manière
à diviser les difficultés quant à la compréhension
des stratégies de pouvoir sur l'environnement. Le découpage des
relations est inspiré de ceux présents dans Les lois de la
géopolitique des populations [Dumont, 2007], notamment en ce qui
concerne la prise en compte du nombre brut d'individus par type d'acteurs
(ça sera patent pour les associations), leurs caractéristiques et
leurs relations avec les autres. Les schémas 1 et 2 expliquent ce
découpage des relations. Ces relations pouvant résulter du
positionnement d'un acteur envers un autre ou d'un point commun
d'intérêt (ou de conflit), elles peuvent être simples ou
double. Pour repère, elles seront numérotées comme
Schéma 1 : Relations simples entre acteurs
9 2 8
Collectifs
1
Institutions
5
6
Reste des habitants
7
3 4
Les relations du schéma 1 sont simples : elles peuvent
la perception de l'autre (approbation, désaccord), un rapport (service,
financement, ...), une action vers l'autre (information,...).
Les relations doubles existent aussi : appartenance double,
actions communes voire conflits.
Collectifs
99
Institutions
88
12
56 34
Reste des habitants
77
66
Schéma 2 : Relations doubles entre acteurs
Les collectifs et les institutions sont aussi composés
d'habitants, ce qui limite l'existence de relations triples (comme des
relations 56 et 34) car ceux-ci agissent alors en tant que membres associatifs
ou institutionnels. Il peut toutefois exister des actions menées
conjointement par tous les acteurs. Elles ne seront pas
numérotées.
67
précisé sur les schémas.
Pour que l'étude des relations de pouvoir soit
très complète, il aurait fallu ajouter les non-habitants et
j'aurai alors été entrainé dans les jeux d'échelles
géographiques. Je toucherai un mot de ces jeux d'échelles dans la
troisième partie mais mon sujet s'occupe essentiellement des actions
provenant des habitants du plateau de Millevaches.
Le découpage puis le recoupement des pouvoirs
perçus à travers ces relations permet de dégager certains
leviers de pouvoir sur l'environnement humain et de se faire une idée de
leur efficacité. Rappelons avant de parler de chacune des
catégories qu'aucune n'est homogène et que je tâcherai de
donner la décomposition de chacune de manière à obtenir
assez d'indices sur les différentes formes de pouvoir utilisées
par la population.
2.1 - Les acteurs institutionnels
Sur le plateau de Millevaches, il n'y a pas de ville qui soit
sous-préfecture et les habitants-élus qui défendent le
Plateau sont essentiellement les maires. Le Parc Naturel Régional (PNR)
de Millevaches en Limousin leur est très lié de par ses instances
électives : c'est aussi un acteur institutionnel.
Composition et relation 88 de double-appartenance
Des communes-témoins, j'ai rencontré les maires
de Faux, Gentioux, La Villedieu, Peyrelevade, Nedde, Rempnat. Celui de Tarnac
(résident parisien) n'était pas là ; un conseiller
municipal m'a reçu. Je ne suis pas allé à la mairie de
Royère. J'ai aussi rencontré des personnes faisant partie des
conseils municipaux au cours de mes entretiens. Les maires de La Villedieu et
Gentioux sont également agriculteurs. Celui de Nedde n'habite pas le
Plateau mais une petite ville assez proche en Haute-Vienne. Seul l'actuel maire
de Tarnac est rangé à droite.
La Communauté de Communes du Plateau de
Gentioux1 (en Creuse), fait singulier, comprend la commune de
Peyrelevade (en Corrèze). L'adhésion de Peyrelevade était
due à un partage de projets et d'idées, en particulier en ce qui
concerne la volonté d'accueil et l'écologie. Les maires (ou
anciens maires) de ces communes se sont beaucoup impliqués dans la
création du PNR. Celui de Peyrelevade est vice-président du PNR
et s'occupe en particulier du volet environnement-nature.
1 Dont font partie Gentioux, Faux et La Villedieu.
68
Les contours du Parc ont été dessinés par
les adhésions votées par les conseils municipaux. Si certains
« trous » apparaissent, c'est parce que les communes ont
refusé d'adhérer. J'ai rencontré un conseiller municipal
de Saint-Martin-le-Château, commune à l'ouest de Royère
hors du PNR, qui a analysé ce refus comme la méfiance des
nombreux chasseurs qui composaient le conseil de se voir imposer des normes et
d'être privés de certaines libertés. Il est possible que
lors de la prochaine proposition d'adhésion (prévue
bientôt), la commune accepte son entrée dans le Parc.
Les élus territoriaux (dont 113 maires ou conseillers
sur 155 et des élus départementaux et régionaux) forment
le Syndicat Mixte de Gestion du PNR qui élit un bureau de 24 membres.
S'y joignent 12 membres consultatifs qui proviennent du Conseil de Valorisation
qui sont les représentants des tissus économiques de la
région, dont le Centre Régional de la Propriété
Forestière (CRPF). Les sièges du PNR ne sont donc pas uniquement
décernés aux locaux et des types d'intérêts
divergents s'y côtoient ; sa création, en 2004, après une
longue campagne, a cependant reflété une volonté de
décentraliser le pouvoir. Voilà ce qu'écrivait
Agnés Bonnaud : « Le réel enjeu des actions
menées n'est pas tant le développement du territoire que la
quête du pouvoir sur ce même territoire, un pouvoir territorial qui
n'est pas divisible en domaines de compétence ou d'action, mais qui est
global. Pour la région il s'agit de maîtriser un territoire qui
lui est politiquement défavorable, au-delà du pouvoir des
départements. Pour les départements (surtout la Creuse et la
Corrèze), il s'agit de préserver un pouvoir dont le centre est
ailleurs. Pour les élus locaux enfin, il s'agit de créer le lieu
d'un nouveau pouvoir, échappant tant aux départements qu'à
la région, une nouvelle territorialité » [Bonnaud,
1998]. Le président du Parc, Christian Audoin, fait en effet partie du
Front de Gauche tandis que la région est socialiste. Et le
département de la Haute-Vienne, trouvant que le Parc lui coûtait
trop cher, a décidé de lui retirer ses financements. Parmi les
élus locaux des communes témoins, nombreux sont donc ceux qui
soutiennent le Parc et qui le poussent à avoir une voix audible, propre
à lui-même. Les maires étant dans l'instance
élective du Parc, les actions communes sont naturellement nombreuses.
Le PNR fonctionne aussi avec une vingtaine de chargés
de mission, qui sont en grande majorité assez jeunes et qui ont une
certaine connaissance de l'écologie, même s'ils renient le titre
d'experts.
Relation 8.
Entre d'une part les élus dans leur rôle et
d'autre part les membres du PNR, il y a une reconnaissance et une
appréciation mutuelle bien que certains chargés de mission (voire
certains maires) peuvent être assez critiques quant à
l'implication de tous les maires dans le
69
PNR, leur écoute, ou certaines actions menées
(ou non-menées) : l'accord de permis de construire qui conduit au mitage
par exemple. Plusieurs chargés de mission trouvent leurs projets trop
soumis à l'approbation des mêmes maires. L'une d'elles
déclare aussi qu'ils acceptent sans trop de difficultés leurs
conclusions car ils ne s'y connaissent pas forcément assez sur les
points de vue scientifiques ou techniques. Si les arguments des chargés
de mission sont reconnus, ce n'est pas pour autant que ces derniers disposent
d'une totale indépendance dans leurs actions.
Relation 2 et 12.
Les élus comme les chargés de mission du Parc
perçoivent l'activité associative comme essentielle au Plateau et
les associations sont pour eux un point d'appui primordial, un échelon
de la démocratie. Le PNR passe en grande partie par les associations (en
particulier dans le domaine culturel) pour contacter les habitants. Il soutient
donc plusieurs projets associatifs dont les associations lui passent commande :
il apporte son concours financier. Il peut quelquefois proposer ses propres
actions (à but culturel ou éducatif notamment) et les mener
conjointement avec les associations.
Les élus ne sont pas spécialement des membres
actifs des associations. Le maire de La Villedieu s'est impliqué dans la
création du comité de soutien aux inculpés de Tarnac et
dans son suivi mais les autres maires trouvent peu le temps pour cette
activité associative ou, comme le précise la maire de Faux, s'en
éloignent pour éviter le conflit d'intérêt.
Parmi les chargés de mission du Parc, un seul
déclarait appartenir à une association. S'ils ne font pas parti
des associations ou collectifs, ils les connaissent toutefois très bien
et s'intéressent à leurs actions.
Relation 4.
Les maires connaissent généralement bien les
habitants de leurs communes (surtout quand ils habitent sur place). Ils
déclarent aller les voir, les informer (par exemple, à
Saint-Martin-le-Château, un panneau d'information de la
municipalité a été installé dans chaque hameau),
faire des réunions publiques (à Rempnat) être
l'échelon direct (et parfois le seul) de la démocratie
institutionnelle auquel les habitants peuvent avoir accès. Le maire de
Peyrelevade s'inquiète d'ailleurs de l'élargissement des
entités administratives géographiques (Communautés de
Communes, réforme des collectivités territoriale) et d'une
pression de l'Etat central pour amoindrir l'échelon communal. Le maire
de Nedde affirme qu'il considère son élection comme le droit de
parler et d'agir au nom de la majorité jusqu'à la prochaine qui
validera ou non son travail. Il n'en reste pas moins que les maires et
conseillers généraux sont quotidiennement les premiers contacts
pour les problèmes des habitants.
70
Il en va tout autrement en ce qui concerne le Parc. Celui-ci,
dans ces missions, n'a que peu de relations directes avec les habitants. Des
chargés de mission trouvent qu'ils s'occupent trop de formalités
administratives, ce qui ne leur laisse pas le temps pour aller voir les gens ou
recueillir leur avis ; d'autres précisent que ce n'est pas la vocation
d'un Parc, qu'il n'y a pas assez de moyens pour cela. Dans le domaine
éducatif, le Parc organise des missions pédagogiques sur
l'environnement (dans les écoles notamment).
En ce qui concerne l'agriculture, les chargés de
missions voient aussi des agriculteurs, passent des contrats avec eux, pour
qu'ils fassent pâturer les bêtes sur les landes et
tourbières en vue d'enrayer l'enfrichement. Il peut y avoir aussi un
rapport plus direct sur les questions du patrimoine bâti pour la
réhabilitation duquel le parc peut attribuer des crédits.
Pour augmenter la réciprocité des relations
directes aux habitants, une chargée de mission du Parc avait
proposé la création d'un organe (en parallèle -et en
pendant- du Conseil de Valorisation) composé de 50% d'habitants
tirés au hasard. Cette proposition a été
refusée.
De fait, le PNR se place plutôt dans un rôle
d'informateur vis-à-vis du reste de la population : ses membres peuvent,
par exemple, se plaindre du manque de gestion écologique des terrains de
la part certains agriculteurs. Même si plusieurs chargés de
mission rapportent avoir à apprendre de leurs points de vue, à
les comprendre. Le PNR s'emploie surtout à donner des informations aux
habitants (abonnement gratuit aux brochures) et à rendre accessible la
culture sur son territoire.
Perceptions du pouvoir et actions.
Les maires que j'ai rencontrés reconnaissent selon
diverses gradations l'importance du pouvoir qu'ils ont sur leur environnement.
Ils savent que dans la hiérarchie de la démocratie
représentative, ils sont en bas pour les grandes décisions comme
pour l'argent disponible et ils perçoivent souvent leur pouvoir à
travers ce positionnement dans l'échelle institutionnelle. Ils sont,
pour beaucoup, très mesurés (ou prudents) en ce qui concerne leur
impact. Les Communauté de Communes sont en voie d'agrandissement et
celle de Gentioux pourrait rallier Aubusson-Felletin. Son président,
Thierry Letellier (maire de La Villedieu), déclare toutefois ne pas
avoir peur de voir diminuer la voie des communes du Plateau car il a confiance
dans le caractère et dans la cohésion de leurs élus et
pense que ça devrait bien se passer avec ceux de Felletin-Aubusson.
Le maire de Gentioux a parlé de son pouvoir possible
sur l'environnement par l'adoption (qu'il souhaiterait) d'un plan d'occupation
des sols qui détermine les terrains constructibles et par la
détermination d'un zonage agricole (point sur lequel le maire de
Peyrelevade ne
71
déclarait pas avoir de pouvoir)1. D'autres
maires et conseillers ont parlé de leurs actions par rapport à la
mise en place d'un assainissement des eaux ou d'une déchetterie (Nedde,
Saint-Martin-le Château). L'ancien maire de Faux, a déclaré
« j'avais du pouvoir, maintenant je n'en ai plus ». Selon
qu'ils se saisissent ou non de leur position de maire, la font valoir à
une échelle supra-communale, ces derniers peuvent se sentir plus ou
moins de pouvoir. Ils ont peut-être même trop de pouvoir : la maire
de Rempnat ne se sent pas le droit de décider à la place de
habitants de sa commune et le maire de Peyrelevade déplore que les gens
veulent toujours voir la tête (le maire plutôt qu'un conseiller)
et, de ce fait, s'interroge : « peut-être que je ne partage pas
assez le pouvoir... ».
Au sein du Parc, les chargés de mission parlent de la
dépendance de leurs actions aux financements régionaux. Ils
doivent remplir des fiches sur leurs actions prévues, qui, si elles sont
validées par la région, obtiennent des financements pour
être réalisées. Le Parc n'a pas d'enveloppe dont il serait
libre de choisir les utilisations, ce qui serait à mon sens
préférable pour qu'il soit un organisme indépendant,
pouvant efficacement s'occuper de décisions environnementales,
pertinentes au niveau local. Au sein du Parc, les chargés de mission se
reconnaissent peu de pouvoir et sont conscients des brides autour de leur
travail. Celle qui s'occupe de la nouvelle rédaction de la charte du PNR
se trouve, en revanche, un certain pouvoir par ce biais.
Les chargés de mission se sentent de l'influence (c'est
le terme plusieurs fois employé) sur leur environnement de par les
idées qu'ils émettent quand ils rencontrent des personnes ou par
les actions qu'ils ont réussi à mener. Le chargé de
mission sur le domaine des eaux comparait d'ailleurs son champ d'action sur
Millevaches très supérieur à celui sur la Beauce,
où il exerçait avant, et où aucune action ne lui
paraissait aboutir vu le poids économique des agriculteurs (qui
arrosaient énormément, employaient moult engrais et pesticides
qui se retrouvaient dans les rivières) et de la FNSEA. Une autre
chargée de mission est partie prenante dans l'ouverture d'un abattoir
à Eymoutiers.
La présence du PNR Millevaches peut donc contribuer
à modifier l'environnement, à renforcer le maintien des landes et
zones humides, d'activités sur le secteur (manifestations
environnementales, abattoir) ou à sauvegarder le bâti.
1 Il y a trois types d'espaces : les zones interdites
au boisement, (agricoles), les zones de boisements soumises à
autorisation et les zones libres de boisement. La première zone n'existe
pas en Creuse faute de poste. Si une commune veut déterminer ses zones
agricoles, elle doit faire venir cet « expert » départemental
(absent de Creuse) : c'est pourquoi cela reste un processus assez lourd et loin
d'être complètement maitrisable par les communes.
72
Mais d'une manière générale, ces pouvoirs
d'actions qui doivent en référer aux institutions sont
cadrés et très limités quant à la
représentation du poids décisionnel des habitants sur leur
environnement. Mon avis est qu'il manque au PNR des temps où les
chargés de missions (puisque que se sont eux qui s'occupent des actions
du Parc) pourraient rencontrer les habitants pour voir en quoi le Parc pourrait
leur utile à ces derniers. Et aussi, bien sûr, une
indépendance financière vis-à-vis de la Région et
d'organismes défendant leurs intérêts économiques
comme le CRPF. La volonté de réduire la surface résineuse
(d'aider à la reconversion de ces parcelles) comme on peut le lire sur
certains projets serait peut-être alors plus visible et imputable
à la présence du Parc... car on peut encore trouver, par exemple,
un panneau promouvant le Douglas sur la tour du Mont Bessou. Le PNR Millevaches
est toutefois récent et il faudra attendre quelques années pour
mieux mesurer les impacts de sa présence. Son extraction de l'image
d'antenne touristique que peuvent revêtir les PNR se fera probablement au
prix d'une voix plus forte et indépendante des autres instances
institutionnelles, notamment régionale.
2.2 - Les associations et autres collectifs
Caractéristiques
Les associations sont une des marques du Plateau de
Millevaches. « La région Limousin compte, en rapport à
sa population, 2,63 fois plus d'associations que la nation et le Millevaches
compte, proportionnellement, 1,3 fois plus d'associations que la région
soit 3,47 fois plus que la nation. » relève Olivier Davigo
dans le numéro 1 d'IPNS1 (avril 2002). Le maire de
Peyrelevade stipulait que, sur sa commune, presque chaque habitant devait faire
partie d'une association. De par leur nombre, les associations ont un pouvoir
sur les dynamiques locales et l`environnement local2. A celles qui
sont enregistrées, dites « de loi 1901 », il faut ajouter les
divers collectifs (ou communautés) qui n'ont pas pris le statut
associatif mais qui représentent, de fait, une association d'habitants.
J'ai également rangé les structures de types « entreprise
» sous cette mention. S'il y a quelques scieries, les entreprises à
vocation productive sont peu nombreuses sur le Plateau (surtout sur les
communes témoins) et se concentrent davantage autour des villes ou le
long de l'autoroute.
1 « Les données de base ont été d'une
part gracieusement fournies par les sous préfectures (lieux
d'enregistrement des associations), d'autre part achetées à
l'INSEE. » précise-t-il. (article intitulé « 100 ans
d'association sur le Plateau)
2 Voir liste et résumé des
activités en annexe 8.
Carte 8 : Part des effestifs de l'économie sociale
et solidaire par zones en Limousin Source : Conseil Régional de
l'Economie Sociale (CRES) du Limousin
Carte 9 : Localisation des sièges des membres de
« De Fil en réseau »
74
En revanche, les structures à but social sont bien
implantées sur le Plateau montre la carte 8 : c'est sur le sud creusois
et le nord de la Corrèze que la part des emplois salariés est la
plus élevée en Limousin. Les associations du Plateau n'y sont pas
étrangères.
Toutes les associations ne sont pas actives, et certaines se
sont montées, comme l'association des agriculteurs de Nedde, pour
pouvoir collecter des fonds et tenir leur fête annuelle. Des habitants
sont également simples adhérents sans participer vraiment
à l'association, je les ai donc comptés parmi le « reste des
habitants ». Je ne pouvais pas rencontrer toutes les associations, je me
suis donc concentré sur les collectifs qui affichent des buts citoyens,
qui veulent avoir un rôle dans l'avenir du Plateau ainsi que sur les
collectifs au fonctionnement « horizontal » dont la forte
présence imprègne le territoire. Ces derniers peuvent être
des entreprises de type Société Coopératives
Ouvrières de Production (SCOP) comme Cesam, Société
Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) comme l'ARBAN, ou
Société Anonyme à Participation Ouvrière (SAPO)
comme Ambiance Bois. Dans le choix de ces formes intervient fortement la
volonté de ne pas avoir de patron mais de prendre sa part de
décision sur l'avenir de l'entreprise. Plusieurs collectifs ou
associations revendiquent également le partage de la direction :
« Lorsque Anne annonça aux maires que, ça
y était, Télé Millevaches avait déposé ses
statuts et était formellement créée, la première
question qui sortit de leur bouche fut immédiatement . · -Et qui
est le président ?
-Il n'y en a pas.
-... ???
Les maires ne furent pas les seuls à être
interloqués. A la sous-préfecture on renvoya l'objecteur venu
déposer les statuts en lui assurant qu'une association sans
président était illégale. Coup de fil à
l'administration pour lui expliquer en citant quelques
précédents, y compris une association dont les statuts avaient
été déposés dans les mêmes services quelques
années auparavant . · « C'était une erreur ».
L'équipe ne désarme pas et revient à la charge. Le
sous-préfet fait monter le dossier à la préfecture, qui
l'envoie à Paris au
ministère. D'où il revient avec l'imprimatur
ministériel . · « Ils ont raison, la loi de 1901 ne rend
pas le président obligatoire. » (p.48) [Deleron, Lulek,
Pineau, 2006].
Contrairement aux associations plus familières (chasse,
pêche, sauvegarde du patrimoine bâti), les groupes, souvent proches
des problématiques écologistes, qui affichent ces idées
autogestionnaires sont en grande partie constitués par des migrants.
Dans leurs compositions, on trouve aussi plusieurs jeunes. Le
phénomène associatif a toujours été significatif
(comme l'a noté le prêtre militant Charles Rousseau : voir p.49
[Lulek, 2009]) sur le Plateau mais l'arrivée des migrants l'a
amplifié. Ceux-ci ont pu teinter les collectifs des valeurs de
solidarité chrétienne ou libertaires-anarchistes. Les
premières ayant pu déboucher sur les secondes comme c'est le cas
des Plateaux Limousins au Villard (commune de Royère), où un
75
bâtiment-chapelle a été construit, et qui
est devenu laïque en entrant dans le XXIème siècle.
L'association organise aujourd'hui des journées pour «
expérimenter l'autogestion ». Elle fait par ailleurs partie d'un
réseau de collectifs : « De fil en réseau ».
Relation 99.
Ces collectifs sociaux se connaissent bien et, pour beaucoup,
entretiennent de fréquentes relations et partagent plusieurs de leurs
manifestations. De Fil en Reseau, basée à Faux, regroupe au sein
d'une association plusieurs collectifs, presque tous siégeant sur le
plateau de Millevaches (Carte 9), et ayant parmi leurs principaux objectifs
d'apporter de l'activité sur le Plateau, d'aider à l'installation
sur le Plateau. De Fil en Reseau organise des apéros mensuels entre ses
membres. Cesam-Oxalis elle-même peut se définir comme une SCOP de
SCOP. D'autres associations comme « Energies pour Demain »
(Peyrelevade) ou « Le Monde allant vers » (Eymoutiers) qui partage
son local, lui sont très liées.
Plusieurs personnes appartiennent à divers collectifs.
Les doubles appartenances sont nombreuses. Les collectifs sont donc
également liés par des personnes physiques. D'autres sont issus
de personnes d'un précédent collectif. Plusieurs membres à
l'origine d'Ambiance Bois ont essaimé. A Lachaud, on trouve par exemple
Atout Bois : point de ressources pour utiliser du matériel de
menuiserie, dont s'occupe un ancien salarié d'Ambiance Bois.
Ces liens, officiels ou non, entre les collectifs «
sociaux », orientés sur le développement local, se
détachant des organisations hiérarchiques et de la
société de consommation, permettent à leurs animations
d'être suivies et leur donnent un pouvoir certain sur le territoire et
sur l'environnement culturel du Plateau.
Ces collectifs ont beaucoup moins de liens avec les
associations de sports, chasse, patrimoine et je n'ai pas constaté
d'activités communes aux deux types d'associations même s'il y a
une relative connaissance mutuelle. Des sujets mettant en avant les
activités de ces associations « classiques » sont
tournés par Télé Millevaches. Ces dernières
associations sont, du reste, assez peu liées entre elles.
Relation 9.
Les membres des collectifs « sociaux » voient leurs
activités comme complémentaires. Certains peuvent en trouver
d'autres trop critiques politiquement ou pas assez. Ils reconnaissent leurs
actions mutuelles. Certains collectifs revendiquent leur indépendance
financière et peuvent jeter un oeil critique sur les associations qui
doivent jongler avec leur attache à la Région par les comptes et
les emplois salariés. Mais on veut marcher dans le même sens et
contribuer à rendre le territoire vivant.
76
Relation 1.
Quand les associations de loi 1901 demandent des relations
avec les institutions, c'est parce qu'elles recherchent des financements pour
leurs projets. Ces financements proviennent pour beaucoup de la Région,
mais possiblement des Communautés de Communes ou du PNR. Selon les
associations et les institutions qui sont en relation, ces dernières
sont plus ou moins bien vues par ces premières. Plusieurs associations
« sociales » évoquent les limites de leurs possibilités
ou de leurs choix à cause du conditionnement des aides publiques. Il y a
une certaine méfiance envers les institutions même si plusieurs
projets peuvent être menés conjointement (relation 12 du II-2.1).
Le livre sur Télé Millevaches [Deleron, Lulek, Pineau, 2006]
relate un conflit entre le média et un bureau d'élus (conseillers
régionaux, généraux, et maires) qui voulait imposer un
logo au générique, un des arguments avait été le
« légitime droit de regard et de présence dans un
magazine financé en partie par des fonds publics ». Mais
Télé Millevaches n'a pas signé la convention (avec logo)
voulue par les élus. Les auteurs écrivent :
« Télé Millevaches existait, produisait,
remplissait son contrat de réaliser un magazine mensuel. Bref, le
syndicat d'élus était bien obligé de suivre
financièrement. Il avait compris que dans le cas présent, il
était sans doute allé un peu trop loin et que le rapport de force
n'était pas en sa faveur : si télé Millevaches, faute de
financements, avait dû mettre la clef sous la porte à cause d'une
bête existence de logo, il aurait eu du mal à en assumer les
conséquences. »
Car les membres de Télé Millevaches se seraient
exprimés sur les causes.
Ce conflit est surtout, pour les auteurs, le signe d'un
fossé culturel entre un mode de fonctionnement hiérarchique
institutionnel qui peut facilement prendre tournure autoritaire et les
initiatives autogestionnaires, le signe d'une « crise de la
représentativité politique »1.
Des membres de communautés (comme celle de Tarnac)
peuvent aussi critiquer et refuser tout jeu électoral. Les institutions
sont vues comme privations des responsabilités et du pouvoir des
habitants.
Dans leur ensemble, les critiques émanant des
associations s'adressent d'abord aux institutions supra-Plateau :
européennes, nationales et régionales. Parfois aussi, elles
critiquent les institutions communales. Par exemple, l'association EDDEN, dont
des membres s'étaient présentés sur une liste concurrente
à celle de l'actuel maire, reproche à ce dernier de ne pas leur
permettre d'émettre leurs propositions à la fin du conseil
municipal. Elle a d'ailleurs organisé un débat autour des
problèmes de la démocratie représentative (l'affiche de ce
débat figure en annexe 5). A Faux, en revanche, la mairesse appartenait
à la SAPO Ambiance Bois.
1 Voir aussi l'extrait du livre de Télé
Millevaches, deux pages en amont.
77
Concernant le PNR, plusieurs associations (dont
Télé Millevaches) se sont impliquées dans la campagne pour
soutenir sa création. Mais aujourd'hui les relations, quand elles
existent, sont plutôt ambivalentes. Le Parc est souvent vu comme ayant
peu de moyens et comme un organe trop administratif et institutionnel,
bloqué dans certaines de ses actions. Sa faculté à pouvoir
agir sur le territoire n'est pas complètement reniée mais remise
en doute.
Relation 5 (et 56).
Avec le reste des habitants, les collectifs n'entretiennent
pas spécialement de relations suivies en dehors des liens amicaux. Un
membre d'une association de pêche me disait qu'il y avait peu
d'adhérents aux réunions. Les associations « classiques
» agissent chacune sur leur domaine de prédilection : restauration
d'une église, gestion des permis de chasse, ... : elles peuvent avoir
certains conflits avec des habitants : les pêcheurs avec les agriculteurs
qui répandent de l'engrais ou qui dirigent les rigoles dans les
près, ou les promeneurs avec les agriculteurs qui s'approprient des
chemins, par exemple.
Les membres des collectifs « sociaux » sont nombreux
à dire que leurs manifestations attirent surtout des migrants et que les
« gens du cru » les fréquentent peu. Il y a donc une certaine
partie des habitants que les collectifs « sociaux » ne touchent pas.
Ils ne les connaissent que peu. Plusieurs d'entre eux affichent pourtant
l'information de la population ou « l'éducation populaire »
parmi leurs objectifs, mais ils reçoivent plutôt les personnes
curieuses qu'ils ne vont chez les gens qu'ils ne connaissent pas. Dans ce cas,
ils perçoivent plutôt les habitants comme des personnes
fermées, « à réveiller », des personnes
auxquelles ils peuvent donner du pouvoir en leur apportant une information, un
sujet à débattre. Télé Millevaches revendique,
elle, le processus inverse : rapporter la parole des habitants et va davantage
à leur rencontre. Dans les premiers temps où les
magnétoscopes étaient peu répandus, les projections
publiques étaient le principal mode de diffusion. Télé
Millevaches a donc pu marquer le territoire en touchant ses habitants.
Les actions communes entre associations et habitants -et avec
le soutien des institutions locales- sont plutôt occasionnelles,
liées à un fait : manifestations pour défendre les
inculpés de Tarnac, pour s'opposer à la fermeture d'une classe
par exemple. De même les conflits frontaux et ouverts sont rares.
78
Perception du pouvoir et actions.
Parmi les membres des associations « classiques »,
pourtant en rapport direct avec l'environnement physique : (chasse,
pêche, sauvegarde du patrimoine), aucun n'a affirmé avoir du
pouvoir sur son territoire. Une membre de l'A.R.H.A de Tarnac, association
orientée sur le petit patrimoine, a déclaré avoir peu de
pouvoir au vu des interdictions de fouilles (réservées aux
professionnels de l'archéologie). L'association s'applique pourtant
à mettre en valeur des petites fontaines, et surtout entretient les
chemins et en ouvre de nouveaux. Les panneaux directionnels pour promeneurs
sont très visibles. L'association a donc un certain impact sur
l'environnement cantonal : elle a d'ailleurs un local sur la place de
Tarnac.
Parmi les collectifs « sociaux » les discours sur le
pouvoir sont plus diversifiés, en rapport avec la façon dont
chacun comprend le concept de pouvoir. Certains déclarent rechercher du
pouvoir, c'est-à-dire que leurs idées puissent se
matérialiser sur le territoire : c'est le cas d'un membre de l'ARBAN qui
s'investit, entre autres, dans la construction d'un éco-quartier
à Faux. Ou c'est encore le cas de Marc, à l'origine du lancement
récent de « Nature sur un Plateau » (entretien rapporté
en annexe 7) : « Moi, je revendique mon pouvoir sur l'air que je
respire, sur l'eau que je bois, sur les paysages, l'endroit où je vis.
». Le maillage associatif, les liens entre collectifs « sociaux
» sont souvent cités comme une façon d'avoir du pouvoir sur
son environnement. Certains comparent le Plateau aux lieux d'où ils
viennent et le qualifie alors de dynamique.
Plusieurs déclarent avoir de l'influence (plutôt
que du pouvoir) tandis que d'autres rejettent également ce terme, le
percevant comme une façon autoritaire de propager des idées. Mais
de fait, via les médias locaux ou les manifestations culturelles, ils
ont une certaine aura. Leurs discours parsèment sur le territoire.
Comme pour les membres du PNR, certains évoquent leurs
actions et leurs résultats pour accréditer leur « impact
» sur le territoire. C'est le cas au « Monde Allant Vers »,
ressourcerie installée à Eymoutiers qui recycle ou
réemploie les déchets dont les collectes sont assez
fréquentes. Les actions des collectifs « sociaux » touchent
davantage les personnes que l'environnement proprement physique. Comme Pivoine,
elles peuvent revendiquer l'éducation populaire comme valeur et
proposent des réflexions autour de la démocratie ou, comme
beaucoup de membres appartenant à De Fil en Réseau, aident des
personnes à s'installer : Champs Libres ou VASI Jeunes le font au niveau
de l'agriculture, permettent à des jeunes de se tester puis de trouver
où s'installer. Ces collectifs sont donc une source
d'attractivité pour le Plateau, permettent de maintenir une
présence humaine. Ce qui ne sera
79
pas sans conséquences sur l'environnement physique :
les résineux, par exemple, auront du mal à conquérir de
nouvelles terres agricoles.
L'expérimentation d'une autre forme de
société est aussi une action mentionnée, par les Plateaux
Limousins par exemple. Un de ces membres déclare que ce qui est
recherché n'est pas le pouvoir, ni l'influence mais plutôt le
« pouvoir être » et « pouvoir faire
», de ne pas être dominé mais d'être acteur de sa
propre vie. Le mode de fonctionnement revient souvent dans les discours sur le
pouvoir : c'est lui qu'un salarié de De Fil en Réseau me cite en
premier. Il parle des décisions qui sont prises par une assemblée
qui se renouvelle et non par un président. L'adoption du statut SAPO,
qui met à égalité les voix des ouvriers et celles des
actionnaires avec, pour ce qui concerne les ouvriers, le principe un homme =
une voix, a fait le fruit d'une longue recherche pour Ambiance Bois [Lulek,
2009].
-La démocratie ne s'arrête pas à la
porte de l'usine, me dit un membre de la SCOP Cesam.
Par le biais des nombreux collectifs « sociaux » du
Plateau, plusieurs conceptions du pouvoir apparaissent et s'il en reste pour
juger leur pouvoir faible, parce que certaines actions sont lentes ou que leurs
financements restent restreints ou conditionnels, le pouvoir est une notion que
beaucoup interrogent et remettent en cause en tant que rapport de force entre
personnes. C'est peut-être pourquoi le pouvoir sur l'environnement
requiert pour eux plus de sens ?
2.3 - Le reste des habitants
Ce sont ceux qui pour faire valoir leurs idées, ne
s'investissent ni dans les institutions, ni dans une association, une
communauté ou un collectif constant.
Caractéristiques et relation 77.
Parmi eux, on trouve beaucoup de retraités,
d'agriculteurs, et une plus forte proportion de « gens du cru ». Mais
il y a aussi des migrants qui se sont installés sans s'attacher à
une association. Ces derniers ont tendance à davantage se retrouver
autour d'évènements culturels que les premiers et se connaissent
par affinité culturelle. Les « gens du cru » se connaissent
aussi par relations de voisinage. Même s'ils se fréquentent peu,
les uns et les autres peuvent se retrouver autour de l'école quand les
enfants ne prennent pas le car.
On m'a parlé plusieurs fois de la solidarité de
village : pour faire les courses, pour entretenir les bâtiments.
C'était le cas à Clavérolas (commune de Nedde). La
communauté villageoise n'est pas toujours devenue une expression vaine.
Aux Salles (commune de Gentioux), on compte se réapproprier les
sectionnaux.
80
Cette solidarité n'est pas réellement palpable
entre les agriculteurs. Ceux qui produisent en « bio » sont plus
proches, via les marchés et un réseau d'agriculteurs bio mais les
autres travaillent de manière beaucoup plus isolée et ne
s'entendent pas suffisamment pour porter des revendications communes sur le
territoire. Un agriculteur de la commune de Rempnat s'attristait du fait que
certains veulent devenir toujours plus gros, veulent « le village pour
eux tout seul ».
Relation 7.
La perception des pratiques de l'autre n'est pas
forcément positive dans le domaine agricole même si on sait se
rendre service, s'échanger des parcelles pour effectuer des
regroupements spatiaux. Par ailleurs, les agriculteurs connaissent leurs
collègues des alentours, savent où sont les domaines agricoles.
Ceux qui font de la viande (les plus nombreux) vont très peu sur les
marchés et ont moins de contacts avec les habitants de communes plus
éloignées.
Plusieurs habitants ont cité leur profession comme
vecteur de contact : apiculteur bibliothécaire, institutrice, ... et, au
final, peu de monde dit n'avoir pas de lien avec les habitants. A Faux, le fait
que les enfants viennent à pied leur permet de rencontrer les gens du
village, donc permet du lien, relatait la directrice dans une émission
radio1.
Mais la profession est aussi un temps pris sur celui de la
discussion avec les autres habitants, associations ou institutions. Les
agriculteurs sont beaucoup à dire qu'ils travaillent tout le temps,
prennent peu de vacances et gagnent moins que le SMIC.
Relation 3.
Les mairies étant assez disputées, la
considération pour le maire peut varier avec le bord politique. Celui-ci
peut-être taxé d'autoritarisme sans forcément de
précisions (« il décide tout seul » disait une
habitante d'un hameau de la commune de Gentioux).
Seul celui de Tarnac (résident occasionnel et
élu, semble-t-il, grâce à des votes de résidents
secondaires) concentrait de vives et ouvertes critiques. Cet hiver,
après le gel des
canalisations, lors du besoin d'approvisionner en eau le
village de Larfeuil, un habitant a rapporté que le maire ne connaissait
même pas le hameau (pourtant sur sa commune).
Le Parc Naturel Régional est connu de tous les
habitants interrogés ce qui n'est pas le cas de ses objectifs et de ses
actions. Plusieurs sont contents de l'existence du Parc parce que c'est
toujours un élément potentiel de dynamisme sur le Plateau, qui
s'occupe de protéger l'environnement même s'ils ne savent pas en
quoi consiste cette protection. D'autres n'y
1 Terre à Terre (France Culture).
81
voient qu'un gadget touristique. Beaucoup d'avis demeurent peu
tranchés en raison de la méconnaissance des actions du Parc.
Les agriculteurs sont moins nuancés. L'un d'eux me dit
que seuls certains ont droit aux aides car ils savent s'y prendre pour remplir
des papiers et que, statistiquement, les dossiers ont peu de chances
d'être retenus. D'autres n'en ont jamais vu la couleur et auraient
plutôt peur de contraintes imposées. Et plusieurs se
déclarent soutenus financièrement par le Parc pour l'entretien
des landes (ou tourbières) : ce qui est peu contraignant pour eux. Mais
ces partenariats sont, pour beaucoup, tissés d'abord avec le
réseau européen Natura 2000 (protection de certains sites
où vivent des espèces rares et spécifiques : loutre,
truite, moule perlière entre autres pour Millevaches). La personne qui
s'occupe de Natura 2000 sur Millevaches déclarait que 90% des
agriculteurs étaient impliquées dans le réseau. Ce qui est
exceptionnel pour Natura 2000. Des nouvelles aires Natura 2000 ont même
été crées. Ils sont donc un bon nombre à être
ou en partenariat ou à suivre, de manière potentiellement
intéressée (c'était le cas d'un producteur de myrtilles
pour avoir un label PNR, malgré le peu de conviction dans
l'utilité de ce label, ou d'un paysan pour l'abattoir d'Eymoutiers).
Pour autant, ce ne sont pas complètement ceux qui le décident qui
ont des relations avec le Parc : les agriculteurs qui exercent sur les landes
et les tourbières sont les premières cibles du Parc et tous ne
trouvent pas leur place dans la participation à la gestion de
l'environnement avec lui.
Relation 6.
Les associations et les collectifs sont également assez
connus des habitants, surtout ceux qui siègent à proximité
de chez eux. Mais cette connaissance peut rester vague. Les «
néo-ruraux » que j'ai rencontrés se félicitent en
général de l'activité associative du Plateau et se
renseignent sur les diverses manifestations proposées. Parmi les
«gens du cru », j'ai relevé deux types de discours. Les
premiers reconnaissent l'apport du dynamisme associatif mais n'ont pas le temps
de les suivre, ni n'affichent de curiosité particulière. Les
autres, dans une approche plus politique, considèrent les membres des
associations comme des assistés ou ceux des collectifs comme des
profiteurs du Revenu de Solidarité Active (RSA) sans pour autant les
connaître. Le RSA, quand il existe, peut être lui aussi une
approche politique : celle de ne pas travailler pour n'importe qui. Je me
risquerais à dire que les appréciations tiendraient davantage
à la reconnaissance (d'habiter et d'être actif sur le même
territoire) et que les dépréciassions tiennent plutôt
à des divergences politiques sur la conception de ce que doit être
le travail (effort méritoire contre activité
insubordonnée).
82
Perception du pouvoir et actions.
-Pensez-vous avoir du pouvoir sur votre territoire ?
-Normalement oui, me répond la femme d'un couple de
retraités. Et lui de reprendre les mots. Dans le « normalement
», je pense que se glisse une confiscation. Que stagne également
une difficulté de savoir quel est son pouvoir sur son environnement.
Dans les entretiens des habitants qui s'expriment toutefois de façon
tranchée, 27 déclarent clairement n'avoir aucun pouvoir contre 11
qui citent des façons d'avoir du pouvoir sur l'environnement. Sept sur
ces onze sont des dits « néo-ruraux ». Les décisions
qui se font au dessus d'eux : au niveau européen ou par les banques, le
territoire faiblement peuplé, les écoles qui ferment, le manque
d'emplois ou les normes imposées sur la propriété sont les
principales raisons qui attestent pour beaucoup qu'ils n'ont pas de pouvoir.
Les deux dernières raisons se rapportent directement à
l'environnement local, social et physique. D'après ces discours, ces
habitants sentent avoir difficilement prise sur l'environnement. Une
agricultrice de Haute-Vienne parlait d'une parcelle de sapins qu'elle voulait
reprendre pour l'agriculture mais ne pouvait car la parcelle était
accolée à d'autres parcelles de bois. D'autres avaient
coupé une parcelle de leurs sapins mais ont dû reboiser. Car,
à l'époque, ils avaient touchés des primes pour planter.
Le contrat, dans ses petites lignes, stipulait que la parcelle devait
être replantée. Un seul m'a dit qu'il faisait ce qu'il voulait sur
son terrain.
Ceux qui se mettent en « agriculture biologique » se
trouvent davantage de pouvoir, notamment celui de ne pas dégrader
l'environnement mais aussi de maintenir les prairies et donc d'avoir un pouvoir
sur la composition du paysage.
Certains qui pensent avoir du pouvoir évoquent la
qualité de vie car plusieurs d'entre eux ont fait le choix de vivre ici.
Leur rythme de vie est moins stressant, plus posé et ils peuvent
également s'occuper d'un jardin ou avoir quelques poules, leur
environnement est moins pollué. Certains évoquent leurs relations
: « je vais à l'épicerie du village » me dit
une jeune femme de Nedde après avoir affirmé qu'on n'a pas de
pouvoir tout seul. Une bibliothécaire parle des livres qu'elle
conseille, une institutrice du pouvoir de l'école d'obtenir ce qu'elle
demande de la mairie ou du département : les écoles étant
peu nombreuses, elles sont précieuses pour les communes. Un apiculteur,
qui fait un travail éducatif par l'observation des ruches, du va et
vient des butineuses, se trouve un pouvoir de lien entre les humains par
l'intermédiaire des abeilles.
83
2.4 - Bilan des relations
Le fait d'être lié au monde institutionnel ou
associatif joue sur la perception du pouvoir que peut avoir chaque habitant.
L'intégration de collectifs est certainement un des facteurs qui permet
aux habitants de penser qu'ils pèsent sur leur environnement. Le tissu
associatif apparaît en effet comme un facteur de dynamisme sur le
Plateau, il est le moteur de nombreuses actions. Les institutions doivent en
passer par lui pour atteindre le territoire. Il est l'un des principaux
vecteurs de l'originalité du territoire, notamment par le fait que
certains arrivants le perçoivent comme dynamique, comme un lieu possible
d'expression. Une partie de ce tissu est imprégné d'un esprit
libertaire qui revendique une pratique du pouvoir autre que la
représentativité, la verticalité avec ses ordonnants et
ses exécutants. C'est pour cela que certains différents
politiques peuvent paraître assez marqués.
Il reste une partie des habitants qui pense ne pas avoir de
pouvoir, qui ne sont pas liés autour d'un projet pour le territoire et
qui ont peu de contact avec les collectifs (ou le PNR) parce qu'ils ne le
veulent parfois pas ; aussi parce qu'ils les ne les connaissent pas et ont peu
de temps. Pour qu'ils se sentent du pouvoir au même titre que d'autres,
les institutions ou associations ne doivent pas se contenter de les attendre
mais, à mon avis, se présenter et recueillir, confronter les
opinions...
Les débats qui peuvent exister font vivre le Plateau :
ils relèvent eux-mêmes -par l'expression- d'un mode de pouvoir de
la population sur son territoire. Au travers des discours des différents
acteurs plusieurs leviers se sont dessinés. J'ai essayé de les
définir et de mettre certains d'entre eux en lumière. Car je
pense que la connaissance des façons d'avoir du pouvoir sur son
environnement est aussi un encouragement à s'en saisir.
3 - Différents leviers de pouvoir de la population sur
le plateau de Millevaches
Comment un habitant peut participer aux décisions de
son environnement ? C'est aussi une façon de se poser la question :
comment peut-il être acteur et non victime de sa vie ? Ce n'est pas pour
autant, bien sûr, que se dissipe le brouillard : vanité de
l'action qui court derrière la vie.
3.1 - La propriété
Une grande part du foncier n'est pas entre les mains des
habitants et la propriété participe beaucoup à restreindre
leur pouvoir.
84
Mais il reste encore de nombreux petits propriétaires
parmi les habitants. Certains n'hésitent pas à citer d'abord le
travail de leur jardin comme moyen de pouvoir sur l'environnement. Le jardin
représente la possibilité directe de ce nourrir, il revêt
cette part d'autonomie qui manque à celui qui n'a pas de terrain. C'est
un espace où notre choix est absolu, que l'on peut cultiver comme on
veut, de manière saine. C'est la possibilité, aussi
évoquée, de manger de la nourriture saine, sans pesticide. A plus
grande dimension, la propriété garde cette image de choix
d'occupation des sols. C'est parce qu'il y a des agriculteurs
propriétaires, qui vivent sur place, parce que des retraités
décident de louer à des agriculteurs, que les friches ou les
plantations de résineux ne gagnent pas tout l'espace. C'est en se
détachant de la collectivisation et en reprenant le discours
révolutionnaire du partage des terres que le parti communiste s'est
implanté sur le plateau de Millevaches. « La petite
propriété n'est qu'une apparence. Le communisme seul est en
mesure d'en faire une réalité » déclarait, en
1922, le premier député communiste de Corrèze [Boswell,
2004]. Il est toujours vrai que le partage du foncier est très
inégal et alimente toujours les revendications. Il y a peu de place pour
ceux qui voudraient nouvellement s'installer.
Au-delà du jardin, le pouvoir de la
propriété est pourtant limité. Le statut de beaucoup de
parcelles se fige : prairies permanentes ou bois, espaces
protégés. Les conversions ne sont pas si aisées ; elles
sont très règlementées. Toutefois, il reste des marges de
choix. Plusieurs petits propriétaires du Plateau possèdent leur
parcelle de conifères. Ces parcelles étaient un placement des
aïeux. Ils restent libres de refuser des coupes rases, de demander une
conversion, de replanter avec des feuillus, de ne pas se soumettre à
l'avis des forestiers. Les agriculteurs gardent également le choix du
type d'agriculture qu'ils pratiquent. Quelques hectares possédés
sont toujours un espace de liberté. Mais la possession d'un trop grand
nombre d'hectares entraine une incapacité à gérer tout le
domaine : c'est ce que me rapportait un paysan. Et si certains éleveurs
recherchent encore des hectares c'est surtout parce leur mode d'élevage
et la Politique Agricole Commune les y pressent. Les propriétaires de
bois qui détiennent plusieurs centaines d'hectares sont d'ailleurs
obligés de laisser la gestion de leur domaine à l'Office National
des Forêts et aux groupements forestiers qui façonnent alors le
visage des forêts. Elles deviennent leur manne financière et ne
répondent plus à la volonté des habitants locaux ou
à leurs besoins.
Je rejoins l'analyse de Christian Beynel sur la
nécessité que la forêt -et plus généralement
le foncier- soit possédée par des locaux et ne se résume
pas à du capitalisme sur pied pour des intérêts
extérieurs [Beynel, 1998]. Mais contrairement à lui, je pense que
le morcellement, résultant du nombre important de petits
propriétaires, est un facteur de pouvoir pour ses
85
propriétaires et offre une meilleure gestion
écologique (plus de diversité) que les regroupements qui visent
en réalité, via le nombre d'hectares boisés et contigus
à différer le pouvoir de contrôle aux forestiers... qui
s'empresseraient de faire pression sur les propriétaires. D'une part
pour maintenir du bois, et du bois de résineux, de l'essence la plus
rentable pour eux, celle qu'ils pensent la plus adaptée au marché
(actuellement le Douglas), au déni des besoins réels des
habitants en bois de chauffage, en parcelles agricoles, de la qualité
des sols et des rivières altérés par leurs pratiques.
D'autre part pour conditionner la gestion des forêts et l'utilisation du
bois et ainsi obliger les propriétaires à passer par leurs
services.
Toutefois il y a des regroupements de parcelles qui peuvent
rester sous le contrôle des habitants via les institutions (les
communaux) ou directement (les sectionnaux). Cette dernière forme et
à la fois une manière de décider de son espace et de
prendre en compte les besoins du voisin. Les habitants gagnent du pouvoir sur
leur environnement quand ils disposent d'un espace de liberté par la
propriété mais si par leurs pratiques, ils dégradent cet
environnement, la qualité de vie de leurs voisins peut s'en trouver
atteinte. Les dégradations, quand elles existent, ne sont-elles pas
proportionnelles au nombre d'hectares détenus ?
« Qu'un propriétaire décide comme
ça s'est fait dans le Parc Naturel, qui n'est pas le nôtre, du
Périgord-Limousin, qu'un propriétaire d'une plantation de
châtaigniers malades décide d'y mettre des pesticides par
hélicoptère, c'est son droit. Qu'il impose à son voisin de
le respirer, est-ce que c'est toujours son droit ? » (Marc Lajara,
Annexe 7).
Des regroupements existent aussi pour préserver le petit
patrimoine bâti (un lavoir d'un hameau par exemple, une fontaine)
indépendamment de qui pourrait en être propriétaire. La
propriété immobilière reste surtout, quant à elle,
une contrainte pour qui la recherche.
Levier de pouvoir réel sur le plateau de Millevaches
pour plusieurs habitants mais dont l'exploitation demande la concertation, la
propriété est cependant loin d'en être le plus
prégnant. Il en existe d'autres, qui lui sont certainement plus
spécifiques.
3.2 - La communauté : les liens entre habitants
Plusieurs communautés se sont formées sur le
Plateau (Tarnac, Bellevue, Faux) pour partager les ressources, ce qui fait que
chacun a besoin de moins. C'est une façon de compenser la faiblesse des
revenus perçus mais également un moyen d'avoir un accès
plus direct à certaines ressources. On peut les rapprocher du
fonctionnement de l'entraide villageoise, qui existe toujours. « La
solidarité : une force de frappe » titrait Télé
Millevaches
86
(n°85) parmi ces sujets. En l'occurrence, des habitants
se regroupaient pour aider quelqu'un à retaper une ferme.
L'échange direct est toujours un moyen de se
dédouaner des circuits commerciaux et des pesticides introduits dans la
majorité des produits qu'on achète. A Bellevue, on fabrique du
pain pour approvisionner des amis, voisins, on l'échange contre du
fromage... La communauté peut justement devenir le pendant d'une
autonomie par la propriété qui, par la nécessité
continue de gérer son seul bien (parfois trop grand) induirait davantage
une perte de pouvoir qu'une indépendance. Cette reconnaissance de la
dépendance à l'autre qui se matérialise dans la
création de liens, en particulier de liens sociaux, plongent les gens
dans leur environnement et leur permettent de porter des projets pour le
territoire. Les liens entre les nombreuses associations à
caractère social sont très souvent cités comme facteur de
pouvoir par leurs membres. Ces associations sont d'autant plus prises en
compte, notamment par les institutions supra-locales, qu'elles agissent sur le
territoire, qu'elles attirent des jeunes qui viennent faire des stages et des
nouveaux habitants. Dans l'Eco-Pouvoir, Pierre Lascoumes écrit
(chapitre 6) que les actions des associations « jouent un rôle
essentiel dans la construction des représentations sociales comme dans
le développement des interventions publiques et privées
» et, ce qui s'applique tout à fait au Plateau, que les
combats écolo-associatifs sont une « dénonciation des
influences exercées par les groupes de pression économique sur
les élus locaux et l'administration territoriale »[Lascoumes,
1994].
Par les liens entre collectifs, ou entre voisins, il y a une
volonté de ne pas subir le pouvoir. Celle-ci a pu se manifester
après les arrestations de Tarnac avec la rapide création d'un
comité de soutien, de refus de nombreux habitants de se plier au
lynchage journalistique national d'abord entrepris (puis
révisé)1. Cette volonté de résister est
exprimée dans l'article 2 du « Refuge des résistances »
qui siège à Peyrelevade.
Article 2 : Cette association a pour objet de résister
à la société spectaculaire et marchande en faisant vivre
sur et à partir du plateau de Millevaches, des lieux ou des moments
ouverts de formations, réflexions, créations, recherches,
rencontres internationales dans le prolongement de l'esprit de
résistance et des questionnements portés par et avec Armand
Gatti2 et autour de son oeuvre.
Cette association est d'ailleurs nationale. Si les collectifs
sont localement liés, ils le sont
également au niveau national. Plusieurs font parti du
Reseau d'Echanges et de Pratiques Alternatives et Solidaires (REPAS). Le
Plateau est d'ailleurs le plus gros pourvoyeur de ce Réseau.
1 Revoir note p.22 (I.1.2)
2 Artiste (poéte, dramaturge,
réalisteur, metteur en scène). Il s'investit dans des
expériences de créations artistiques originales te
révolutionnaires.
87
Ces liens ne sont donc pas sans influence sur l'environnement
local ; cela parce qu'ils portent l'expression culturelle. Ainsi, les habitants
du Plateau sont entourés d'initiatives culturelles qui sont aussi un
facteur de lien entre eux, un pouvoir d'expression.
3.3 - La culture, l'influence et l'expression
Prétentieuse tâche que celle de définir le
pouvoir. Surtout en voulant nommer des leviers de pouvoir et donc faire des
catégories. Pourtant, le levier qui serait peut-être le plus
utilisé sur le Plateau et qui relève de cette forte
présence culturelle marquant l'espace est aussi le plus difficile
à ranger derrière une terminologie. C'est peut-être tout
simplement le Savoir.
L'influence
-Je dirai plutôt de l'influence, m'ont
répondu de nombreuses personnes à la question : «
pensez-vous avoir du pouvoir sur votre environnement ? ». Dans 25 cas (sur
97), l'influence est évoquée comme une façon d'avoir du
pouvoir. Beaucoup de chargés de mission du PNR emploient le mot,
également des membres associatifs mais aussi des habitants qui, par leur
profession, ont des contacts avec la population : faire les marchés,
tenir un bar, une bibliothèque... Mais l'influence n'est-elle pas aussi
l'aveu du peu de pouvoir décisionnel effectif ? Ou plutôt de
l'oubli des institutions comme moyen de participer aux décisions locales
parce que celles-ci n'offrent justement pas assez de pouvoir aux habitants ?
Pourtant c'est bien lorsque les idées finissent par passer au sein de la
population qu'elles trouvent leur réalisation physique. L'existence du
Parc est due en grande partie à l'influence de certains habitants et
certaines associations. Si la fête des « nuits du 4 août
» a pu avoir lieu à Peyrelevade, c'est parce que le Plateau est
imprégné d'une histoire de la résistance et d'un renouveau
de l'esprit libertaire, parce qu'il est le siège d'expériences
alternatives. C'est pour influer sur le paysage physique que Nature sur un
Plateau s'est crée : « l'association je considère que
c'est un aiguillon, c'est la mouche du coche. ». 1
L'extrait du livre sur Télé Millevaches
(p. 67) souligne un influence des associations qui parvient jusqu'aux
élus et avec lesquels ils sont obligés de compter. Le groupe de
L'Union Pour un Mouvement Populaire (UMP) au Conseil Régional a
écrit dans sa tribune :
On a inversé la procédure. C'est la
population qui éclaire l'élu !!! Mascarade et
légèreté qui
permettent à certains groupes organisés de
distiller un flux d'informations et de faire pression sur la vie
démocratique. (voir annexe 6)
1 Marc Lajara. Annexe 7
88
Les groupes organisés visés n'étaient
évidemment pas les partis politiques mais les collectifs « sociaux
», ceux du Plateau en particulier : en tout cas le membre associatif qui
m'a transmis cette tribune s'est senti visé. L'influence est un moyen
d'expression qu'utilisent les associations parce que la « vie
démocratique » ne le leur permet justement pas (et le groupe UMP
cité ne l'ambitionne pas puisqu'ils considèrent que l'élu
doit guider la population ; rappelons que son rôle, dans la
démocratie, est de la représenter). Le numéro 37 d'IPNS a
également intitulé un article « Quand le Plateau donne des
boutons à Limoges1 ». Le fait que les plus importants
partis politiques s'inquiètent de l'influence des collectifs du Plateau
sur le territoire et de leur esprit « atypique » pour
reprendre un mot de l'article montre que l'influence est un levier de pouvoir
certain. L'influence est d'ailleurs discutée comme moyen de pouvoir car
ce que revendiquent certains collectifs (sous le terme d' «
éducation populaire »), c'est justement le développement de
l'esprit critique, que la population puisse participer aux décisions
territoriales avec un jugement éclairé et réfléchi,
non influencé. C'est une autre conception du pouvoir qui s'exprime et
qui se lit dans l'expression « Plateau insoumis ».
L'expression
S'exprimer sur son environnement, c'est vivre dedans, c'est
observer, c'est partager, c'est pouvoir dire. C'est un marqueur
mentionné des démocraties actuelles. Seront qualifiés de
démocratiques, les régimes où l'expression est possible,
où la presse est diversifiée et a la possibilité de
critiquer le régime. Si ce pouvoir est un signe si marquant de la
démocratie, n'est-ce pas parce qu'il est le principal levier de la
population ? Que l'institutionnalisation de la gestion de la
société reconnaît ses failles ? Quand ce pouvoir
d'expression est sans conséquences, il devient évidemment un
gadget. Mais lorsque les mots et les informations se transmettent, qui peut
parier sur une absence de conséquences ? La dénonciation des
arrestations de Tarnac (par les manifestations locales -et à Paris, par
l'expression dans les médias, par la présence physique des mots
et affiches dans le paysage) a permis une reconsidération de l'affaire.
On peut trouver des conflits frontaux d'expression, au village du Rat (au nord
de Peyrelevade), l'implantation d'éoliennes avait fait débat. Un
parisien (récemment installé et qui a
déménagé depuis) avait prêché et fait signer
des pétitions contre les éoliennes. Le village s'est
divisé car un autre groupe d'habitants s'est exprimé pour
1 Au Conseil Général de Haute-Vienne
comme au Conseil Régional du Limousin, se sont les groupes socialistes
qui ont la majorité. Absolue pour la Haute-Vienne (23 conseillers du
Parti Socialiste / 41) et très confortable pour la Région (21
conseillers / 43). « Limoges » désigne, outre la capitale
comme lieu de commandement institutionnel, les groupes socialistes qui y
siègent majoritairement.
89
l'implantation. Il aurait sûrement fallu une forte
opposition pour empêcher le montage des éoliennes, ce qui
n'était pas le cas. Chaque été, il y a désormais un
festival (avec surtout de la musique) sur le site. C'est aussi une occasion
pour l'association « Energies pour Demain » de s'exprimer sur les
énergies renouvelables. Le fait que des déchetteries se soient
montées, que de réseaux de chaleur au bois prennent corps, qu'on
trouve des panneaux solaires sur les vestiaires de Peyrelevade n'est pas
étranger à l'expression, la communication ou l'information sur
les sujets énergétiques.
Par l'expression, il y a la volonté de revendiquer sa
part de décision, mais aussi celle de donner sa part de décision
à l'autre en lui apportant des connaissances. La certification du
parking du Casino d'Eymoutiers sous le label « Programme for the
Endorsement of the Forest Certification » (PEFC) permet d'exprimer une
opinion sur ledit label et la gestion forestière, et informe de la
fébrilité dudit label1. Le mensuel « Vivre sur le
Plateau » de la Communauté de Communes du Plateau de Gentioux
informe des diverses activités. L'information locale permet aux
habitants de pouvoir s'impliquer dans la vie du Plateau, les entrainent parfois
à s'exprimer. Les connaissances sont aussi un levier de pouvoir. Bien
souvent parce qu'elles entrainent la reconnaissance. C'est pourquoi plusieurs
initiatives encouragent, sur le Plateau l' « éducation populaire
».
Connaissances, reconnaissance
-Quand on avait besoin d'un paysan qui sache bien parler
à la télé, on venait me chercher, m'a dit l'ancien
maire de Faux, à propos du pouvoir qu'il avait. La culture est
certainement un facteur de pouvoir. Des habitants qui ont accès à
la culture, et d'autant plus à une culture libertaire, à une
histoire résistante, sont certainement moins soucieux de se chercher un
guide. Moins aptes à se laisser manipuler ? C'est une des raisons, en
dehors de la possibilité de se divertir, de l'importance accordée
à la culture par de nombreux collectifs, et même par le Parc
Naturel Régional.
J'ai, pour ma part, emprunté plusieurs ouvrages
régionaux (scientifiques ou romanesques) à une «
communauté » d'habitants à Faux et Du contre-pouvoir
à Felletin. Ces connaissances permettent une assurance d'expression
(c'est pourquoi certains lancent des journaux), une reconnaissance par leur
transmission. Donc une certaine autorité. Donc un pouvoir. Le fait de ne
pas rester muet, d'être actif, et même d'être présent,
donne de la reconnaissance. Donc une certaine autorité. Donc du pouvoir.
Alors quoi ? La nécessité d'être toujours en branle pour
1 Lire la première partie de l'entretien avec
Marc Lajara en Annexe 7.
90
pouvoir décider un peu de son environnement ? N'a-t-on
plus alors que le pouvoir d'être pris dans ces actions, de courir
toujours, de croire qu'il faut courir ?
Certainement, de disposer d'un peu de temps aide à se
distancier de l'obligation de pouvoir. Je pense que c'est pour cela, pour le
temps et pour couver les oeufs du temps, que de nombreux collectifs se sont
formés sur des principes ahiérarchiques.
3.4 - Le mode de vie
Vouloir du pouvoir sur son environnement ? Lequel : mondial,
national, régional...local ? C'est vouloir la possibilité de
disposer de sa vie, c'est vouloir des conditions de vie, une qualité de
vie, qui font que l'on n'est pas soumis à son environnement, qu'il soit
physique ou humain mais acteur de cet environnement. Ceux qui reviennent au
Plateau avec leur retraite, dans la maison des grands-parents, ou dans la
maison qu'ils ont achetée deux ans plus tôt, y reviennent aussi
parce qu'ils s'y sentent mieux, plus libres, parce qu'ils auront un
accès direct à leur jardin, qu'ils auront une grande maison, de
caractère, parce qu'ils auront de l'espace. Et peut-être,
malgré les faibles densités (ou par cause ?), plus de liens avec
leurs voisins. Le pouvoir sur sa propre vie est parmi ceux qui sont les plus
revendiqués sur le Plateau. En ouverture du livre sur Ambiance Bois,
Michel Lulek écrit :
...pour travailler autrement, il vaut mieux compter sur
son imagination et sur sa volonté que sur un ministre du Travail ou un
quelconque plan de lutte contre le chômage. Une invitation donc pour que
chacune, chacun, prenne le pouvoir, le vrai, celui qu'on peut avoir sur sa vie,
son destin. [Lulek, 2009]
Ambiance Bois est caractéristique du recherche d'un
mode, d'un rythme de vie choisi. Un rythme qui permet une implication dans la
vie sociale. C'est pour cela que beaucoup travaillent à mi-temps. La
recherche n'est ni le profit, ni la domination. Michel Lulek parle d' «
une logique autre que celle de l'accumulation illimitée et de
l'exclusion massive des perdants ». Les pratiques du pouvoir
cherchent à être horizontales. Marc, salarié à
Ambiance Bois, parle des 20 salariés qui sont autant de «
têtes », de l'équité salariale, du fait de
pouvoir choisir son nombre d'heures dans l'année et les tâches
qu'on veut faire ou non (annexe 7). Ce pouvoir partagé, de par les
statuts, trouve ses limites dans le pouvoir d'expression cité plus haut
: les personnes les plus reconnues pesant le plus sur les décisions.
C'est la réflexion sur « comment vivre mieux ?
» qui a conduit plusieurs personnes à choisir le Plateau comme
environnement. Et même ceux qui reconnaissent, les paysans de longue
date, que la vie est dure, n'échangeraient pas spécialement la
pauvreté de la terre contre la pauvreté de l'espace.
91
Pouvoirs collectifs et culturels
N
A
Rayère
D99
Les salles
Centre
Gentioux
Pigerolles
Bellevue
-la-montagne
Atelier de tranSformation de la viande, porc cul
noir
Eoliennes (festival)
Ruchers communaux
Pey rel evade
Rempnat Tamac
Le Goutaillou
·
·
A, .
A A AL.
|
|
|
|
Bourg communal
|
Route principale
|
route secondaire
|
4 km
2012 Réalisation : J. Dupoux
à partir de cartes IGN avec Arcgis
|
Millage
Communauté
En€reprise "horizon ale"
Bar alterna Iff et cul€urel
Autre lieu culturel (ber, salve_...)
Autres rni ietrves
|
Diffusion IPN5_Télé Millevaches
|
|
Carte 10 : Quelques lieux alternatifs de culture et lieux de
pouvoir collectivisé
92
Le choix de se passer d'intermédiaires, bien qu'il ne
soit pas toujours financièrement intéressant, souligne un mode de
vie bien présent sur le Plateau. Le pain de Bellevue est majoritairement
échangé, des agriculteurs en Groupement Agricole d'Exploitation
en Commun (GAEC) ont un atelier de transformation de la viande à
Pigerolles et font de la vente directe, surtout hors Plateau ; ce qui
n'empêche pas les marchés locaux d'être assez dynamiques. Le
GAEC est aussi une façon de se dégager quelques samedis. Un vieux
retraité sur la commune de Rempnat, à propos des paysans
d'aujourd'hui, disait qu'ils savaient mieux s'arranger. Il a
précisé ensuite que c'était pour s'échanger des
parcelles ou pour prendre des jours de congés, tandis que lui -au
regard- n'avait jamais quitté la région.
Le choix de son mode de vie entre pour beaucoup dans le
pouvoir qu'on ressent sur son environnement. C'est la volonté de ne pas
seulement subir, de ne pas seulement résister, de prendre les devants.
Le pouvoir n'est plus entendu, dans ce cas, comme une place à
conquérir. Mais dans le choix d'un autre mode de vie, ou de travail, il
y a aussi la volonté d'influencer son entourage. Michel Lulek, en
parlant d'Ambiance Bois, des idées d' «égalité et
d'autonomie dans l'entreprise » cite le sociologue Dominique Allan
Michaud « [De telles] initiatives micro-économiques
peuvent-elles provoquer des fractures significatives dans
l'univers de la macroéconomie ? » et
ajoute : « C'était notre prétention. ».
L'univers du Plateau de Millevaches est, lui, en tout cas,
marqué par un réseau d'initiatives originales. La carte 10
reprend plusieurs d'entre elles et offre un résumé des formes de
pouvoir collectivisé ou horizontal. Les habitants qui choisissent un
mode de vie ou reposant, ou permettant des loisirs, ou une activité
culturelle sont souvent aussi ceux qui s'interrogent quant au pouvoir. Ceux qui
perçoivent les façons dont ils peuvent avoir du pouvoir sur leur
vie.
3.5 - La perception du pouvoir
Penser avoir du pouvoir est peut-être l'une des
premières raisons d'en avoir. Dans les discours, on peut très
bien affirmer qu'on n'a aucun pouvoir, parce que des individus sont au-dessus
de nous, sont nos supérieurs hiérarchiques, sans en penser goutte
pour autant. Parce qu'on dispose d'une surface raisonnable de
propriété par exemple, parce qu'on a des amis au Conseil
Municipal, à la Région, dans une grande entreprise, on pense
qu'on a du pouvoir mais on préfère ne pas le dire. Par peur que
la révélation de ce pouvoir entraine sa contestation. Parce que,
peut-être, ce ne serait pas un pouvoir, par certains aspects, tout
à fait éthique ?
Les collectifs et associations, par leur activité et
leur influence, peuvent détenir du pouvoir sur l'environnement du
Plateau et compter dans les décisions environnementales mais les
93
membres peuvent déclarer la faiblesse de leur pouvoir
ou leur indifférence quant à sa recherche. Parce qu'une telle
affirmation engendrerait les foudres de ceux qui sont aux postes
institutionnels du pouvoir ? Ou parce que, là encore, le pouvoir qu'ils
pourraient acquérir ne serait pas tout à fait éthique ? Je
ne reçois que les discours mais je peux les mettre au regard des actions
menées, de la propriété réellement détenue
et du mode de vie mené. Qu'est-ce qui semble choisi ? Il est difficile
de mesurer le pouvoir, d'autant plus au regard de la perception du pouvoir.
Toutefois, la perception de différents leviers de pouvoir entraîne
plus facilement leur utilisation.
Ce sont les membres des associations ou collectifs qui
essaient le plus de décomposer leurs pouvoirs sur le territoire, qui
parlent d'influence, de liens ou de fonctionnement interne. C'est pourquoi ils
utilisent la culture, l'expression, qu'ils tiennent à la
solidarité. Le pouvoir est aussi mental : on peut regarder, comme on le
dit souvent, le verre à moitié vide ou à moitié
plein. Les associations que j'ai qualifiées de « classiques »,
pour le sport, la pêche ou le patrimoine, visent aussi à maintenir
une cohésion sur le territoire en y maintenant des activités. La
présence des associations que j'ai qualifiées de « sociales
» et leurs actions, leur façon de se faire entendre, les incitent,
elles aussi à se monter ou donner de la voix pour les causes qu'elles
veulent défendre (l'entretien des chemins, l'éveil musical,
...).
Au contraire, le fait de ne pas percevoir comment notre avis
sur l'environnement local pourrait être entendu, de constater ses
dégradations en sachant que des intérêts économiques
sont en jeu derrière -« on coûte trop cher, nous, dans
les campagnes » me disait-on à Clavérolas1-
entraîne à abandonner certains leviers de pouvoir. La
difficulté de se lier à des personnes d'autres villages du
Plateau compte aussi dans cette absence de perception du pouvoir. Les seules
actions qu'on puisse faire, retaper sa maison par exemple, ne changeraient pas
grand-chose à l'environnement. Mais souvent, l'absence de perception du
pouvoir jongle avec des causes ou évènements supra-locales. Les
personnes peuvent oublier le « sur l'environnement ou sur votre lieu de
vie » de ma question. Ou bien, ils considèrent que même leur
proche habitat est décidé dans ses détails depuis un
centre lointain (c'est l'exemple pris des fermetures de classes) contre lequel
ils ne pourraient rien.
On peut aussi déclarer qu'on a du pouvoir sur
l'environnement et décider de ne pas l'utiliser, et de décrire
des actions qui attestent autant qu'on use de son pouvoir qu'on refuse de
l'utiliser.
1 Sur la commune de Nedde
94
3.6 - Le non usage du pouvoir
Les paysans en « agriculture biologique » sont
souvent sur cette perspective. Ils considèrent avoir le pouvoir de ne
pas détruire leur environnement. Ils se reconnaissent un rôle dans
la composition du paysage, sur la présence d'espèces «
sauvages » dans les champs, ou dans les parcelles de landes. Les
personnes, parmi les collectifs, qui déclarent ne pas vouloir user de
l'influence, tout en sachant qu'ils en ont, sont aussi sur le registre de la
non-utilisation du pouvoir. C'est, selon Giorgio Agamben, l'étape ultime
du pouvoir, sa marque la plus avancée [Agamben, 2006].
Ne pas se sentir poussé par l'obligation d'exercer un
pouvoir particulier pour décider de son lieu ou de son mode de vie est
peut-être, en soi, une autre forme de pouvoir. La mairesse de Rempnat
déclare qu'elle n'a ni envie, ni besoin de l'autorité ou des
contacts que lui donne sa situation, que les habitants de sa commune doivent
décider autant qu'elle des affaires communales. Elle a cette
possibilité de ne pas exercer son pouvoir ; cette possibilité
souligne qu'elle a potentiellement du pouvoir. Il faut donc, avant cela,
reconnaître la nature de ses potentiels pouvoirs. Au risque de l'erreur
et de la prétention.
-C'est l'environnement qui a du pouvoir sur moi,
disait un anglais installé depuis 3 ans sur la commune de Faux.
Parce qu'il l'a choisi.
On peut ignorer ses limites ou en connaître certaines,
on peut essayer de repousser les limites d'un rapport de force, dans un
exercice épuisant de tir à la corde, celles de la connaissance,
celles de son temps d'action sur le territoire ; on peut aussi décider,
dans son champ d'actions de ses propres limites. Le refus d'un billet montre le
pouvoir qu'on a sur l'argent ; le refus d'un siège de pouvoir montre
aussi le pouvoir qu'on pense avoir sur lui. Le pouvoir redevient alors mental,
presque un cadavre sans corps.
Conclusion sur les leviers de pouvoir utilisés
sur le Plateau
Les relations entre les différents acteurs sur les
questions locales ne soulèvent pas uniquement des luttes d'influences ou
une bataille pour le contrôle du territoire. Mais au regard du pouvoir
des autres, on définit son propre pouvoir sur le territoire. Les luttes
de pouvoir sont davantage les résultats de ceux qui se posent la
question : « qui doit légitimement décider du territoire ?
» mais, à mon sens, ce qui est le réel enjeu est de trouver
comment chacun peut avoir du pouvoir sur ce territoire. C'est aussi pourquoi je
me suis peut-être davantage penché vers ces associations qui
cherchent des formes horizontales de
95
pouvoirs, formes qui sont pour elles un anéantissement
du pouvoir. Et qui communiquent sur ces formes. On pourrait parler d'une
culture du pouvoir alternative à celles des institutions qui est
installée sur le plateau de Millevaches.
La propriété est sûrement davantage
utilisée comme un moyen personnel d'appréhender le paysage, de
disposer d'un espace personnel de liberté, susceptible de pourvoir
à ses besoins tandis que les leviers culturels, d'information et
d'expression, sont utilisés par des collectifs pour ausculter certains
comportements vis-à-vis de l'environnement, ils sont le relai d'un
rapport social à l'environnement physique. Rapport souvent pensé
comme libéré des influences capitalistiques : un pouvoir qu'a
l'homme de faire parti de son environnement sans devoir s'extirper de celui-ci
pour en attendre un apport matériel ou financier.
La démocratie s'expérimente sans centre, avec
l'idée qu'on peut changer sa propre vie et donc, au moins à ses
propres yeux, son environnement, en considérant et en utilisant le
pouvoir que l'on a sur sa propre vie. Il s'agit d'abord de relations entre
humains dans ce cas-là ; c'est le projet qu'ils peuvent
expérimenter qui les liera avec leur milieu.
La propriété, la solidarité, l'influence
ou l'autogestion d'un collectif ne dispensent pas pour autant les habitants de
rapports de forces. Le pouvoir sur sa propre vie, pouvoir mental, est toujours
remis en cause par l'abus de pouvoir que l'on peut considérer comme
venant de l'autre. C'est parfois ce que révèle l'étude des
relations entre acteurs. Mais aussi leurs discours vis-à-vis de ceux qui
n'habitent pas le Plateau et qui veulent en tirer les ressources. Les maires et
collectifs qui agissent pour faciliter l'installation sur le Plateau se
heurtent fatalement au foncier détenu par ceux qui n'y vivent pas. Le
pouvoir qu'on a sur sa propre vie dépend de l'horizon où se pose
le regard.
Le domaine paysager n'était peut-être pas la
préoccupation première des collectifs qui, d'abord, devaient
maintenir des rapports humains, des facilités pour vivre sur le
territoire et en être informé mais certains demandent maintenant
la disponibilité de terres agricoles (plusieurs membres de « de Fil
en Réseau »), de maisons, mais aussi un changement de gestion
forestière (SOS Millevaches à Bugeat et Nature sur un Plateau
à La Villedieu).
La vie des habitants, avec le repeuplement voulu du Plateau,
son dynamisme installé, réclame un pouvoir sur l'environnement
sur une échelle supérieure à son foyer : à la
région. Comme si l'espace voulu et vécu s'agrandissait. Le
pouvoir mental évolue sans cesse.
Ces expériences alternatives, prônant des besoins
d'autogestion, d'autant plus dans un milieu rural où le rapport à
la terre et à ses besoins vitaux est direct, donnent à mon sens
une originalité et une reconnaissance au Plateau. Elles invitent chacun
-moi y compris- à s'en saisir, non seulement à résister
à un pouvoir subi mais à donner le pas d'un pouvoir choisi.
96
Ces expériences ne sont pas isolées. Elles
s'insèrent parfois dans un réseau national et peuvent trouver
comparaison en d'autres endroits de la planète. Ce sont aussi ces vues
extérieures, ces comparaisons possibles qui attestent le,
peut-être petit, mais le pouvoir réel qu'elles ont sur la vie de
l'environnement.
Tout l'objet de la troisième partie sera pour moi
d'élargir le sujet, de voir quelles considérations lui donner
dans un champ plus large. Quelles considérations et quelles
décotes.
97
98
99
III - Au-delà du Plateau. Des leviers de
pouvoir en débat.
Avec la question du pouvoir de décision que l'on
possède sur son lieu de vie, vient celle de l'organisation des humains
sur le territoire. C'est-à-dire de l'échelle de la
démocratie. Car la question de la démocratie s'est très
vite posée en termes d'échelle pour y rester. Que ce soit dans
les tomes politiques d'Aristote ou dans Le contrat social de
Jean-Jacques Rousseau : on se soucie de la taille de l'espace où
l'habitant peut être entendu sur son territoire [Aristote, 1971],
[Rousseau, 2001]. C'est pourquoi je regarderai comment le pouvoir des habitants
peut sortir de son échelle locale ainsi que les conditions de son
exercice, comment un individu peut participer à la démocratie, y
compris au sein d'un collectif et alors faire partie de la construction de son
environnement. Dans cette lecture, émergerons des débats souvent
rencontrés dans la fabrication de la démocratie : la place de la
science ou de l'autorité.
Mais avant cela, je me tourne vers d'autres localités,
pour chercher comment peuvent y être présent les différents
leviers de pouvoir mentionnés pour les habitants du plateau de
Millevaches.
1- D'autres delà. Des comparaisons avec le plateau de
Millevaches sur le pouvoir des habitants.
1.1 - La vallée de l'Intag en Equateur
Je vais m'arrêter sur la vallée de l'Intag, dans
le canton de Cotacachi, à 1° de latitude nord, où je me suis
déjà rendu et où, comme sur Millevaches, moult
associations avaient leur local.
Source : HydroIntag
Carte 11A : Régions de l'Equateur et 11B : Cantons de
la région Imbabura
100
La plus proche ville est Otavalo, à environ 2 heures de
route. C'est dire que la vallée de l'Intag est, tout comme le plateau de
Millevaches, éloignée des centres urbains. Cet éloignement
est un facteur de pouvoir pour les habitants car, de fait, l'Etat central peut
moins les contrôler. En revanche, la vallée reste peuplée
et la jeunesse y est un facteur de dynamisme. C'est peut-être aussi
l'isolement de la région davantage que les faibles densités,
prétendument évoquées par certains habitants sur
Millevaches, qui leur donne une certaine autonomie et une sensation de
liberté. La vallée n'est pas un espace protégé ; en
revanche il y a un parc national (Cotacachi-Cayapas) à
proximité.
Les paysages de l'Intag se composent de champs (cultures) et
de forêt. La forêt y est évidemment un enjeu de
biodiversité et certains habitants y sont attachés. Ce qui ne
l'empêche pas d'être concurrencée par des cultures. Sur ce
territoire, la forêt peut aussi constituer, sur un tout autre ordre, un
élément qui n'est pas contrôlée par les habitants
puisque elle est un enjeu internationalisé et qu'on trouve plusieurs
Organisations Non Gouvernementales (ONG) sur place dont le but est de
défendre la forêt (Zoobreviven replante, parfois des bambous ou de
l'eucalyptus : ils poussent vite mais ne sont en rien des espèces
locales) ou de défendre certaines espèces animales (ours andin
par exemple). Des membres d'ONG peuvent reprocher à des paysans de faire
brûler une petite parcelle de friche ou de bois pour la cultiver. Parmi
les grosses cultures, on trouve de la canne à sucre, culture qui peut
relever d'une dépendance au marché. On trouve aussi des
pâturages. Je n'ai pas les chiffres de la propriété ni ne
sait si les terres sont exploitées par leurs propriétaires mais,
davantage que sur Millevaches, la composition du paysage, l'occupation des
sols, relève des habitants. Mais avec bien des ambivalences.
Si on trouve des ONG, on trouve aussi de nombreuses
associations villageoises. Elles sont nées pour la plupart des suites de
l'opposition à un projet minier par une entreprise japonaise et
après le départ de cette entreprise. Les concessions ont
été rachetées par une entreprise canadienne et les
habitants ont pris le parti de s'organiser et de faire naître des
initiatives territoriales pour parer à toute tentative de retour des
activités minières. On trouve l'association DECOIN, de
défense de l'environnement et de lutte contre les compagnies
minières, Toisan (dont HydoIntag : construction de petits barrages pour
produire de l'électicité), AACRI : coopérative des
caféiculteurs de l'Intag, également une coopérative des
artisans (avec une boutique), une association de femmes... et les membres de la
communauté de Junin sont très liés (c'est la
communauté qui fût frontalement touchée par les projets
miniers). On trouve aussi, comme sur Millevaches, un journal écrit par
les habitants et RadioIntag, ainsi qu'une bibliothèque. Le lien
associatif et la culture sont conçus comme des
101
leviers de pouvoir qui vont permettre de résister aux
incursions des entreprises minières et qui vont faire que les habitants
prennent en main leur territoire, deviennent plus autonomes. C'est pour cela
que les produits locaux sont largement développés : ils sont vus
comme un moyen d'indépendance financière. Ce qui n'était
pas le cas sur le plateau de Millevaches où les productions locales
(« terroir » serait-on tenté de dire) restent englobées
dans les stratégie de marché (limousines, agneau).
On retrouve cependant le savoir, l'influence, comme un pouvoir
utilisable par l'habitant pour décider de son environnement. Carlos
Zorilla, de l'association DECOIN, dans un manuscrit [Zorilla, 2009] va, lui
aussi, mentionner plusieurs de ces leviers de pouvoir dont la population peut
se servir, dans le but de résister aux projets miniers. Il cite
très souvent l'information, dont les médias locaux : «
Establezca un periodico comuniario simple y[...] crea su proprio radio
communitario ». La comunidad est une expression couramment
employée pour parler des habitants de l'Intag : elle met en avant le
lien entre les habitants, par le biais associatif notamment. Faire
connaître les aspirations de la communauté à niveau
national puis international est aussi explicitement mentionné par Carlos
Zorilla. Avec un certain succès d'ailleurs.
Mais la recherche de financement, peut également
entrainer les associations à dépendre de l'extérieur et
risque de faire considérer l'Intag comme une zone touristique pour
certains étrangers, avec la demande d'un tourisme de la Nature qui ne va
pas forcément de pair avec sa défense. Mais l'isolement de la
vallée, hormis restreindre les ressources financières des
habitants1, restreint aussi le tourisme. Les touristes qu'on peut
croiser dans l'Intag sont généralement dans les ONG. Je n'en ai
pas croisé beaucoup, personnellement.
Le fonctionnement de la démocratie est aussi mis en
question. Les associations et les ONG peuvent être plus ou moins
critiques vis-à-vis du gouvernement, attendre plus ou moins de lui, et
se critiquer entre elles sur leurs regards différents. Mais il y a des
tentatives de fonctionnement participatif au sein des institutions.
L'assemblée cantonale de Cotacachi est composée de membres
représentant les associations du canton. En 2000, Cotacachi se proclame
« Canton écologique ». Comme pour Millevaches avec le Parc,
les associations peuvent donc porter certaines institutions et créer
certaines entités « écologiques ». La composition de
l'assemblée cantonale par les associations préfigure aussi d'un
fonctionnement plus horizontal et d'un pouvoir plus partagé.
1 Plus de 55% des actifs gagnent moins de 40$/mois
selon Rouge Midi
102
On retrouve donc dans la région de l'Intag de nombreux
leviers communs avec le plateau de Millevaches et surtout une place
prépondérante des communautés, associations et de la
culture. L'influence est également un pouvoir compris et utilisé
par la population de l'Intag. Dans l'Intag, les institutions locales semblent
également utilisées physiquement tandis que c'est plus
aléatoire sur le Plateau de Millevaches, selon les communes. La
comparaison, si elle révèle des formes communes de pouvoir,
montre aussi l'influence, l'expression, la culture comme un levier de pouvoir
fort pour les habitants et comme un levier indépendant sur le plateau de
Millevaches, compris en dehors des assemblées institutionnelles. Les
leviers de pouvoir, utilisés par la population, ne sont sûrement
pas autant découplés les uns des autres que je les ai pu
présenter pour le Plateau de Millevaches.
1.2 - Aubagne, Larzac, Aubrac, Périgord, Afrique
tropicale, Forez et Nambikwara
A l'occasion du forum « Aubagne à l'heure du monde
», le Monde Diplomatique d'octobre 2011 nous présentait la
ville d'Aubagne comme expérimentant la démocratie participative
« à tous les habitants, en dépassant le cercle des
convaincus1 ». Gustave Massiah nous relate des actions
menées par des ateliers d'habitants : tramway gratuit, espace culturel
épicerie sociale, complexe sportif... Aubagne est
présentée comme un cas où les habitants ont du pouvoir sur
leur environnement via les institutions démocratiques. Gustave Massiah
parle de deux nouveaux acteurs émergents dans les représentations
politiques : les collectivités locales et les mouvements associatifs. Et
l'un des buts du forum était de rendre « visible la
stratégie d'alliance entre les collectivités locales et les
mouvements sociaux et civiques ».
Agnès Bonnaud, quant à elle, évalue
très faiblement le pouvoir local sur le plateau de Millevaches (14points
/54) au regard du Larzac (46pts/54) ou de l'Aubrac (37pts/54). Mais ses
critères d'évaluation (projet local, enthousiasme,
cohésion sociale, maturité, rapport des objectifs locaux avec les
objectifs externes) sont avant tout notés économiquement et se
basent d'abord sur l'étude des institutions, des projets et de la
participation des habitants au sein des institutions. Page 354, elle
écrit : « l'existence d'une bonne cohésion sociale
locale suppose celle d'un pouvoir interne permettant aux sociétés
locales une certaine résistance aux dynamiques externes »
[Bonnaud, 1998]. Le Larzac est alors cité comme un exemple de bon
fonctionnement de la coopération locale et où les habitants sont
identifiés comme les
1 Article de Gustave Massiah : Aubagne construit
son territoire à l'heure du monde.
103
principaux acteurs du développement économique.
Le Larzac, depuis l'opposition à l'agrandissement du camp militaire des
années 1970 est aussi devenu un lieu de pouvoir alternatif
mythifié. Comme dans l'Intag, c'est la résistance à un
projet territorial extérieur qui a pu fédérer les
habitants et inviter à une reprise en main politique du territoire.
En Aubrac, on trouve nombre de productions locales : Laguiole,
race Aubrac, fromages, thé d'Aubrac qui, en grande partie, font conclure
Agnès Bonnaud à une forte autonomie locale de la région et
à un relatif pouvoir local des habitants. On retrouve, à l'image
de l'Intag, le terroir comme levier saisi par les habitants pour avoir un
pouvoir d'indépendance financière.
Par rapport au Plateau où les institutions, outre
l'échelle communale (ou celle d'un petit assemblage de communes)
étaient surtout perçues comme un pouvoir extérieur aux
habitants, ces derniers exemples montrent que le rassemblement associatif n'est
pas le seul utilisé par les habitants et que ceux-ci peuvent s'investir
dans les assemblées politiques officielles.
Simon Langelier, dans Le monde diplomatique (oct.
2011) pointe toutefois le risque d'une récupération du pouvoir
associatif des habitants par les collectivités locales (et leurs
caciques). Une trop grande proximité des associations et des
institutions n'est donc pas forcément un signe de pouvoir
décisionnel des habitants.
Myriam Guillabot compare directement, elle aussi, le PNR
Millevaches au PNR Périgord-Limousin sous l'angle du «
développement durable », angle essentiellement économique
[Guillabot, 2008]. Elle parle d'une forêt de production pour Millevaches,
et d'une forêt économiquement valorisée sur le
Périgord. Cette dernière -forêt composée de
nombreux châtaigners- serait davantage liée au patrimoine,
donc potentiellement mieux acceptée et choisie par les habitants, ayant
davantage l'image de ce « terroir » qu'on retrouverait encore comme
source financière pour la région.
Ces deux dernières auteures (Agnès Bonnaud et
Myriam Guillabot) ne s'intéressent pas à la culture comme
élément de développement ou d'autonomie locale.
Peut-être la pensent-elles hors des circuits du pouvoir ? Ou bien l'objet
de leurs thèses est avant tout une comparaison au niveau institutionnel
des économies locales. Si elles offrent des outils de comparaisons
directes du territoire de Millevaches avec d'autres lieux, les comparaisons que
je peux en tirer, pour mon étude, ne sont que partielles. Elles
soulignent néanmoins l'aspect « terroir » comme
élément préhensible par la population pour avoir une
maîtrise sur son environnement, aspect que je n'ai peut-être pas
assez remarqué ou fouillé sur le Plateau. Mais, sur ce point
encore, le risque de récupération par des entreprises ou des
institutions n'est pas négligeable. De nombreuses grandes marques jouent
sur des produits terroir sans que ceux-ci
104
ne soient le moins du monde contrôlés et
décidés par les habitants dudit terroir. Néanmoins,
l'analyse qu'Agnès Bonnaud nous livre de l'Aubrac souligne que, sur
certains territoires, c'est un levier de pouvoir local qui fonctionne, qui est
issu des habitants.
Par leurs études des rapports
société-nature en Afrique tropicale, Jean Boutrais et Dominique
Juhé-Beauleton vont relier les cultures agricoles (donc un terroir
potentiel) à la nature de la propriété [Boutrais,
Juhé-Beauleton, 2005]. Ils écrivent d'ailleurs que « le
statut coutumier des terres constitue le premier patrimoine naturel des
sociétés rurales », patrimoine dont j'avais surtout
parlé de manière symbolique (historique et culturelle) sur le
plateau de Millevaches. Ce statut coutumier des terres suppose un pouvoir de
propriété, des codes de propriété établis
par les habitants. Et les auteurs décrivent un régime foncier
souple et flexible qui pourrait s'adapter à la taille des diverses
familles, voire intégrer de nouveaux arrivants, donc d'une transmission
d'un patrimoine qui n'est pas forcément identique d'une
génération à l'autre. Le foncier pourrait alors être
un levier déterminant de pouvoir sur son environnement. Mais les auteurs
montrent aussi que sa nature oriente les cultures : d'un côté, une
petite propriété paysanne et la solidarité qui lui est
corrélée maintiennent une culture d'oléagineux et, de
l'autre côté, une réforme foncière agrandissant des
domaines condamne cette même culture. Ils concluent leur passage en
stipulant que les productions locales, de terroir, découlent avant tout
des organisations sociales dont la petite propriété serait un
reflet. La maîtrise de la propriété par la
collectivité des habitants apparaît certainement comme un levier
de pouvoir supérieur à la propriété propre, ce qui
est supposable également pour le plateau de Millevaches mais difficile
à constater au vu de la possession foncière extérieure.
Dans le Livradois-Forez, région très
boisée et enrésinée, la propriété de la
forêt peut également s'avérer un élément de
privation de pouvoir pour les habitants. Le journal critique auvergnat la
Galipote le relate à propos...des champignons1 ! Une
association de propriétaires forestiers s'étaient crée,
sous l'impulsion de Liliane Usaï, « étroitement
liée » à l'entreprise de transformation et de
conservation de fruits Mondiacepes pour obliger quiconque voudrait ramasser les
champignons à acheter une carte (20€) à l'association. La
propriété s'immisce ici comme rapport de force entre individus et
prive plusieurs habitants de l'accès à leur environnement. Les
propriétaires locaux sont, d'une certaine façon,
récupérée par une entreprise pour avoir du pouvoir sur les
habitants.
La possession foncière de terrains reste donc, à
mon sens, un levier de pouvoir ambigu sur son environnement. Si par la
maîtrise du « terroir » ou grâce à la
solidarité paysanne (c'est
1 La Galipote, Printemps-été 2011
pp.26-27. Chante-querelles pour cueilleurs à la ramasse par
Louis Chaput.
105
l'exemple du Larzac), elle constitue un moyen de
contrôle effectif du territoire et de l'occupation des sols, plusieurs
cas, dont celui de Millevaches, montrent qu'elle peut devenir un outil de
domination sur les habitants. C'est l'analyse qu'un « écologiste
libertaire » faisait du plateau de Millevaches, voilà 30 ans. Il
concluait à un « pays dominé dans tous les domaines
» [Pressicaud, 1980] : il citait évidemment la forêt, le
foncier mais aussi l'hydro-électricité (les besoins locaux
pouvant être couverts par des retenues plus petites), l'exploitation de
l'uranium ainsi que l'agriculture « sous perfusion ». Bien
avant lui, Marius Vazeilles s'inquiétait des revenus
générés par la petite propriété paysanne et
proposait le reboisement (en partie avec des résineux) pour enrichir en
capital le petit paysan [Vazeilles, 1931]. C'était une vision purement
rentable de l'occupation des sols puisqu'il proposait de supprimer les
bruyères pour créer des pâturages. Mais les
tourbières et landes sont, sur le Plateau, un « terroir »
beaucoup plus spécifique que la forêt, même paysanne, que
proposait Marius Vazeilles. Il s'est finalement concentré sur
l'archéologie pour mettre en avant le patrimoine bâti du Plateau.
Si sa vision n'était pas vraiment écologique, il proposait
toutefois une maîtrise de l'environnement, naturel comme bâti, par
les habitants du Plateau. Pour ma part, je reste sur la position que la
culture, via l'influence et le savoir, est un levier primordial de pouvoir des
habitants et qu'il est nécessaire de la comprendre comme acte de pouvoir
pour s'en saisir et impacter son environnement. Le terroir revêt
d'ailleurs une fort part culturelle même s'il est, peut-être, -mais
est-ce vraiment une bonne qualification ?- à cheval sur la culture et la
propriété quant à sa considération en tant que
levier de pouvoir pour l'habitant.
Dans sa rencontre avec les Nambikwara, Claude Levy-Strauss
s'intéresse aux limites du pouvoir des « chefs » mais
également aux limites du pouvoir des membres de la communauté
[Levy-Strauss, 1955]. Dans les pages 374 à 377, il cite le
consentement comme « origine et limite du pouvoir
». Un groupe consent à ce que l'un d'eux dirige s'il est
généreux en échange. Le chef a des privilèges (la
polygamie) parce qu'il a une charge qu'il consent à exercer. Claude
Levy-Strauss avance que les Nambikwara ne courent pas après le pouvoir,
qu'ils sont peu animés par l'esprit de compétition et que le
pouvoir, par conséquent, s'explique par une origine sociale plutôt
que par des aspirations personnelles au prestige ou aux privilèges. Il
écrit ainsi : « des attitudes et des éléments
culturels tels que le « contrat » et le « consentement » ne
sont pas des formations secondaires [...J : ce sont les matières
premières de la vie sociale, et il est impossible d'imaginer une forme
d'organisation politique dans laquelle ils ne seraient pas présents
». La culture est comprise comme partie prenante de l'organisation
des sociétés et de leurs espaces. De même, les collectifs
sociaux du Plateau qui se distancient du pouvoir en prônant une gestion
horizontale ou autogestionnaire du groupe
106
sont la matérialisation d'attitudes culturelles. La
culture, que j'ai liée comme levier de pouvoir à l'influence, ou
au savoir peut aussi devenir une composante des institutions, de l'organisation
de la démocratie. Mais elle est d'abord citée (via le «
consentement ») comme limite d'un statut de pouvoir par Claude-Levy
Strauss.
Ces comparaisons, issues de lectures, peuvent remettre en
cause la catégorisation des leviers de pouvoir que j'ai pu donner, ou
bien pointer de nouveaux leviers : le terroir qui constitue une relation
directe à son environnement proche et la forme de la
propriété (davantage que la propriété
elle-même) qui préfigure de l'occupation des sols et des
paysages.
Comment chacun peut décider de son territoire
relève aussi d'un mouvement culturel, d'accès à la
connaissance de son environnement. L'organisation de la société
en dépend. La connaissance des fleuves, des monts, des plantes,
déifiés parfois, est un élément qui conditionne
l'établissement ou l'organisation d'un village dans des
communautés amazoniennes par exemple. Le positionnement, l'orientation
des mosquées ou églises relève sans doute du même
ordre. Je vais maintenant m'intéresser à l'organisation de la
société et aux questions sur l'espace de la démocratie qui
viennent avec celles du pouvoir de chacun sur son espace de vie.
2 - Le pouvoir comme question d'organisation de la
démocratie et question d'échelle.
De la forme de gouvernement dépend le pouvoir
institutionnel de chaque habitant.
Et Henry Thoreau entamait son Civil Disobedience par
cette fameuse phrase :
« That government is best which governs least
». [Thoreau, 1947]
Parce qu'il y a une dualité entre le pouvoir
administratif, institutionnalisé et celui des habitants sur leur propre
vie. Le dernier pouvant être contraint par le premier.
En effet, les Etats ou Régions ont pu chercher leurs
limites selon la capacité du chef à contrôler la
population, percevoir l'impôt, ont pu composer le paysage selon une forme
qui leur seyait et selon leurs besoins (regroupement de parcelles, bocage pour
laine de mouton, forêts pour bois de marine...). Mais les limites des
Etats, c'est-à-dire l'échelle des Etats et de l'espace citoyen
trouve aussi ses marques dans les espaces communautaires [Trochet, 1998]. On
peut prendre l'exemple de la Mésopotamie cité par
Jean-René Trochet : « le passage de la cité-Etat
à l'empire s'effectua en Mésopotamie sans difficultés
majeures puisqu'il n'impliqua pas une modification importante du fonctionnement
des pouvoirs et de la structure sociale ».
107
Le respect des espaces communautaires est pour les
entités administratives qui se forment le choix d'éviter un
rapport de force qui pourrait leur être défavorable.
Les divisions établies délimitent alors des
territoires où le pouvoir central a moins de prises. On trouve souvent
ces territoires aux confins des limites administratives où lorsque
« l'humanité est trop clairsemée » [Claval,
1978]. Le plateau de Millevaches satisfait ces critères. La façon
d'échapper au pouvoir institutionnel est une question de liberté
sur sa propre vie pour l'habitant. La démocratie doit conjuguer le
pouvoir de chacun et le pouvoir de tous pour gérer l'espace de vie,
l'environnement.
2.1 - Formes de démocraties
« Il y a démocratie quand le pouvoir est
détenu par une majorité d'hommes de naissances libres mais
pauvres, et oligarchie quand il appartient à une minorité
d'hommes riches d'origine plus noble » écrivait Aristote
[Aristote, 1971].1 La définition supposait l'existence
d'esclaves mais rangerait davantage les régimes de moult Etats de la
planète sous le terme d' « oligarchie » que de «
démocratie ». Ce qui est à mon sens plus juste. Et souligne
les conflits entre institutions et citoyens soulevés par la phrase
d'Henry Thoreau. Lui ne voulait pas payer son impôt en partie parce qu'il
ne voulait pas que celui-ci serve à financer une armée
gouvernementale.
Le citoyen ne peut pas se contenter de voter puis
d'obéir : c'est le principe de départ des réflexions sur
la démocratie participative. Hélène Hatzfeld décrit
la pensée de la « démocratie participative » comme
dérivée des mouvements autogestionnaires post-soixante-huitards,
pour s'opposer à un pouvoir pensé comme domination [Bacqué
et Sintomer, 2011], pour devenir un contre-pouvoir. La nomination «
contre-pouvoir » utilisée aussi par Miguel Benasayag n'est
peut-être qu'un tour de passe pour éviter d'utiliser le mot «
pouvoir » dont on aurait peur ou qu'on refuserait car compris comme
l'instrument exclusif de domination des puissances économiques et
administratives. Le « contre-pouvoir » n'est souvent autre que
certains leviers de pouvoir utilisés par les habitants. Mais le
contre-pouvoir, à l'image de l'argumentation de Miguel Benasayag a
besoin de critiquer le pouvoir pour se poser en recours. Parler simplement de
« pouvoir » incite peut-être non seulement à vouloir
décider de sa vie mais à participer à l'organisation de
son espace. Mais, quelle que soit la nomination, il y a effectivement une
opposition entre la démocratie pratiquée et le pouvoir des
habitants, et à
1 Politique tome II, livre IV, Ch. IV.6
108
plus forte raison entre la démocratie pratiquée
et le pouvoir des militants, comme le souligne Iris Marion Young. Elle
écrit que, pour le militant, les bons citoyens « devraient
avoir recours au pouvoir du scandale et de la dénonciation pour faire
pression sur les parties délibérantes »,
c'est-à-dire au levier de l'influence culturelle et médiatique.
Elle rapporte d'ailleurs peu avant que « la culture populaire, qu'il
s'agisse du cinéma ou de la chanson, offre bien des exemples de
célébration de mouvements en faveur de la justice sociale
». Par le levier culturel, le citoyen peut agir sur son environnement
et informer de cette action. Parce que les tables rondes des démocraties
n'offrent que des positions de pouvoir, des sièges, et parce que ceux
qui sont assis sur ces sièges pensent transformer une position en
pouvoir effectif et ne daignent alors que peu voir remise en question
l'existence du siège. Le débat qui s'est tenu le 2 avril à
Nedde1 insistait précisément sur les
difficultés d'accès aux tables de la démocratie pour
chacun et aux difficultés de faire entendre ses voix via les instances
démocratiques si elles ne sont pas numériquement majoritaires. Il
reste néanmoins l'influence idéologique, la faculté de
« juger de la valeur morale des actes » qui est primordiale
selon Paul Claval mais qui peut être limitée par l'influence
économique puisque on serait prêt à faire n'importe quoi
pour disposer du minimum vital. Mais ne serait-on pas plutôt prêt
à faire n'importe quoi pour disposer du superflu ? C'est peut-être
notre cupidité davantage que notre besoin qui limite notre influence
idéologique ou notre capacité de juger. Ainsi que l'accès
à des sources de connaissances : c'est une question qui revient souvent
dans les débats sur la démocratie.
En matière d'environnement, la loi cherche pourtant
à intégrer le citoyen. Son avis doit être recueilli. Mais
cet avis reste uniquement consultatif (code de l'environnement, article
L121-12) : l'habitant peut participer aux débats
environnementaux, non aux décisions. Il peut également en
être informé mais c'est lui qui doit demander l'information
(L121-21). La loi ne confère donc pas un pouvoir réel
à l'habitant sur son environnement, d'autant plus que les articles
mentionnés ci-dessus peuvent être contredits par d'autres articles
du code de l'urbanisme ou du code minier. La justice par les lois est souvent
un rapport de force dans lequel il faut pouvoir se payer ceux qui savent
combiner les lois.
Il est reconnu davantage de crédit légal aux
associations (L141-2 et 142-21) qui ont droit de cité et qui
peuvent porter une action en justice. Ces actions ne sont pas toujours simples
à mener mais beaucoup d'associations environnementales se servent de la
loi pour faire constater ou empêcher des pollutions par des
entreprises.
1 Affiche en annexe 5
2 Voir annexe 9
109
Elles peuvent également être appelées
à la table des décisions en ce qui concerne l'aménagement
du territoire. Je rappelle que si la négociation, la concertation, le
consensus peuvent être interrogés comme moyens d'actions
associatifs [Mermet et Berlan-Darqué], ces moyens restent
conditionnés par le fait qu'un aménagement soit
négociable. Ce qui n'est généralement pas le cas puisque
les habitants ou associations environnementales ne veulent pas de
l'aménagement qui est proposé, souvent par une entreprise ou par
l'Etat. Je suis de l'avis de Philippe Subra qui dit dans Hérodote
[Subra, 2003] que le débat public, la participation d'associations
environnementales aux tables institutionnelles de décision n'est que
factice et n'était qu'un moyen, inutile, trouvé par les
aménageurs pour éviter une opposition frontale. Pierre Lascoumes
va d'ailleurs dans le même sens (chapitre 7 [Lascoumes, 1994]) en
rappelant que les associations sont, d'une part sélectionnées,
d'autre part très minoritaires dans les instances décisionnelles,
que les enquêtes publiques leur sont rarement confiées et que les
préfets peuvent voter à main levée des projets
d'aménagement du territoire. Ces derniers, comme les aménageurs,
ont une vision rentable et lucrative de l'environnement, une vision
monétaire du progrès alors que la remise en cause du Produit
Intérieur Brut (PIB) comme indice de base du progrès est l'un des
points d'orgue de nombreuses associations environnementales. C'est ce que
rappelle également Marie Lequin pour qui la gouvernance locale
nécessite la participation des communautés locales et une
assurance des citoyens sur le contrôle du développement de leur
communauté [Lequin, 2001].
Des relations trop poussées entre institutions et
associations ne sont donc pas forcément le signe d'un pouvoir des
habitants sur leur environnement (alors que c'était un critère
choisi par Agnès Bonnaud) : cela dépend pour beaucoup de
l'institution. Mais les liens entre associations (tels que constatés sur
le plateau de Millevaches) et ceux entre associations et habitants semblent un
élément plus pertinent quant à la capacité de la
population de pouvoir peser sur son environnement. Les formes actuelles de
démocratie ne donnent pas un pouvoir décisionnel aux habitants
sur leur environnement. Quand bien même, l'expression et la culture
resteront des leviers indispensables en cela qu'ils conditionnent aussi les
connaissances portées par et aux habitants.
Ces formes de gouvernement, Aristote va en proposer diverses
définitions : c'est sa façon de chercher le meilleur
régime. Jean-Jacques Rousseau va faire de même dans son
contrat social. S'il fait apparaître la personne morale de
l'Etat qui représenterait la population et l'intérêt
général, il relie également les types de régime
à la taille de l'espace considéré. Et il conclue que la
démocratie demande une petite échelle, un espace restreint,
local. Plus l'espace est grand et plus on doit en passer par des
représentants et plus la population risque d'être
110
éloignée des décisions directes. Dans son
introduction du débat du 2 avril à Nedde, Gérard
Monédiaire insistait sur le besoin nécessaire de
décentralisation. Miguel Benasayag et les auteurs de l'insurrection
qui vient [Comité invisible, 2011] notent ce même besoin. Ces
derniers identifient la communauté comme le noyau de base où des
individus peuvent avoir du pouvoir, « être le territoire »
et s'opposer à la « topologisation » du pouvoir
en siège. Il faudrait alors penser le lien entre ces communautés
et le pouvoir de chacun pour des enjeux qui dépasseraient
l'environnement local.
Les leviers de pouvoir utilisés par les habitants
visent aussi à franchir les échelles d'écoute et le
franchissement des échelles est l'une des façons de mesurer
l'efficacité de ces leviers et donc du pouvoir des habitants.
2.2 - Le franchissement des échelles
Avoir du pouvoir sur son environnement demande parfois d'avoir
du pouvoir sur une échelle supérieure à celui-ci. Parce
que les institutions vont du centre vers la périphérie et parce
que l'influence sur l'extérieur permet aussi une influence sur
l'environnement interne. Le franchissement des échelles peut être
signe de reconnaissance comme signe de force. L'opposition à
l'agrandissement du camp militaire du Larzac doit son succès à un
dépassement d'échelle, parce que le camp pouvait relever d'un
intérêt national, intérêt contesté à
échelle locale et nationale. L'expression, via des manifestations de rue
notamment ainsi que l'occupation des sols, l'utilisation de la
propriété paysanne ont été des leviers de pouvoir
parmi les plus utilisés. Carlos Zorilla, dans son manuscrit pour contrer
les activités minières dans l'Intag, insistait lourdement sur la
diffusion de l'information à échelle internationale et certaines
ONG se montent dans ce même but. Le fait d'avoir des alliés
à une échelle extra-locale est une force, à condition que
ces alliés ne privent pas les habitants de leur pouvoir local.
Pour revenir sur mon cas d'étude, il est de nombreuses
situations où le pouvoir des habitants peut dépasser
l'échelle locale. Le monument de Gentioux, patrimoine, attire des
manifestants de toute la France pour le 11 novembre et leurs actions ont
conduit « le président de la république à
reconnaître, à plusieurs reprises, que les fusillés pour
l'exemple n'étaient pas coupables » (annexe 3). C'est un cas
où, pour reprendre un thème d'un article sur identité
globalisation et culture locale [Gertel, 2003] l'espace local est aussi un
espace national d'action. Certaines associations montées sur le Plateau
(Mémoire à vif, Refuge des Résistances) affichent un champ
national d'action, c'est-à-dire possèdent des membres dans
111
toute la France. Les collectifs peuvent également
former un réseau supra-local. Des personnes peuvent venir de toute la
France aux activités proposées par les Plateaux Limousins (j'ai
pris un jeune de Pau en stop qui s'y rendait) ou pour s'insérer un temps
dans la communauté de Tarnac, dans le GAEC Champ des possibles...
Plusieurs structures, dont Ambiance Bois, sont regroupées dans le
Réseau (national) d'Echanges et de Pratiques Alternatives et
Solidaires1 (REPAS), font des conférences (voir annexe 7,
dernière partie) ou accueillent des stagiaires. Ces derniers
expérimentent, en particulier, des fonctionnements horizontaux de
travail. D'ailleurs nombre d'acteurs de ce réseau sont implantés
sur le plateau de Millevaches, ce qui n'empêche liens entre collectifs de
se tisser à échelle nationale. Si les pratiques alternatives de
Plateau restent peu connues de l'ensemble des habitants (comme le suppose
l'enquête du I.1.2), elles touchent des personnes
intéressées de près ou de loin et les liens entretenus
nationalement permettent une reconnaissance des autorités locales. Le
fait d'entretenir des liens et d'adopter des pratiques alternatives de pouvoir
au sein d'un groupe impacte forcément l'environnement local et
confère une reconnaissance des habitants qui se saisissent de ces
pratiques. Un dossier du journal IPNS2 cite le sociologue
André Micoud lors d'un colloque à Eymoutiers : « Quand
on parle d'un territoire comme un lieu d'innovation dans certains
ministères, ça veut dire évidemment qu'il s'y passe des
choses... ». Notoriété politique venant des nombreux
collectifs qui ne serait pas toujours pour plaire aux élus de Limoges
installés dans les pratiques hiérarchiques du pouvoir de la
démocratie institutionnelle. Mais notoriété que soutien
(financièrement) le Conseil Régional qui reconnaît le
dynamisme apporté par les collectifs à cette région peu
peuplée.
Plusieurs collectifs du Plateau affichent l'éducation
populaire parmi leurs actions. Le réseau REPAS, lui aussi, vise au
partage national des savoirs, que certains peuvent ranger sous le terme de
« contre-pouvoir ». L'accès au savoir et sa production est une
des questions qui secoue le fonctionnement de la démocratie et je me
propose maintenant d'approfondir quelques débats qui sont apparus dans
ce chapitre.
3 - Débats sur le pouvoir des habitants.
Le souhait de voir chacun avoir un pouvoir de décision
sur son environnement soulève certaines nécessités,
certaines conséquences. J'aurais pu, et peut-être dû, au
défi du besoin de
1 Site Internet : http://www.reseaurepas.free.fr/
2 N°37, décembre 2011 : Quand le
plateau donne des boutons à Limoges par Alain Carof, Michel Lulek,
Gérad Monédiaire et Jean-François Pressicaud.
112
paragrapher mon texte, aborder ces débats au fur et
à mesure qu'ils se présentaient, à l'intérieur
même des chapitres précédents, laisser courir les
réflexions. Cela aurait été plus fluide. Mais me
voilà empreint du vain besoin de nommer des débats, d'appuyer
moi-même sur certains interrupteurs. Aurais-je eu peur qu'on ne s'y
arrête pas et qu'on ne lise que déblatérations si je ne le
faisais pas... Est-ce que je nie les approches personnelles que chacun
pourraient avoir, la science de l'autre, ou est-ce que je pare à un
possible flou ?
3.1 - La place de la science
Comment accéder au savoir pour juger des questions de
société de manière éclairée et qui doit
fournir ce savoir ? Ce sont aussi des questions qui se posent quand on
émet le souhait que les habitants puissent décider de leur
environnement. J'ai rencontré plusieurs personnes qui abordaient le
sujet de la pertinence d'une science d'experts lorsque je posais mes questions
sur le pouvoir. Un retraité d'un hameau de Tarnac relatait la
présence d'ingénieurs qui dirigèrent des travaux de
goudronnage d'une piste. Ils ont voulu faire des fossés malgré la
réticence des habitants, fossés qui ont servi de réservoir
d'eau et qui se déversaient sur la route. Une connaissance
générale, experte, a été suivie au lieu d'une
connaissance locale, populaire mais plus adéquate. Un chargé de
mission du PNR m'a décrit une expérience similaire. Un syndicat
s'occupant des eaux, fort de sa position institutionnelle reconnue et de ses
experts, a voulu aménager les berges de certains cours d'eau, rendre
ceux-ci bien droits, bien propres, sauf qu'ils détruisaient les
échanges minéraux entre le fleuve et les berges et le nombre
d'espèces diminuait drastiquement dans le ruisseau. Au contraire,
l'ancien système paysan des levadas [Boudy, Caunet, Vignaud,
2009] (livre que m'a donné le chargé de mission) qui consistait
à tracer des sillons pour arroser progressivement diverses parties du
champ, ne modifiait ni le lit de la rivière ni les apports
minéraux de la terre vers l'eau. Cela reflète la coupure entre
culture populaire et technologie scientifique pointée par Paul Claval,
ressentie et décrite par certains et la critique par les habitants de la
domination de la dernière sur la première [Claval, 2001]. Animant
une conférence gesticulée1 aux Plateaux Limousins,
Hervé Chapelais évoquait la nécessité de se
réapproprier des savoirs populaires, l'idée d' « une
convergence des rustres » capables de fabriquer aussi leur science et de
ne pas être dans la domination d'une science d'experts, possiblement
contrôlée et orientée par des puissances
financières. Il racontait le cas d'une verrue à la main que
divers médecins et
1 A laquelle j'ai assisté voilà une
semaine tout juste, le 4 mai 2012
113
dermatologues n'étaient pas parvenue à
ôter en deux ans ; sa mère a alors eu l'idée d'aller voir
papy qui « enlevait le feu », qui a baragouiné quelques
prières et fait quelques gestes autour de la verrue. Quelques temps plus
tard sa main n'avait plus rien.
« Le surnaturel ne l'a jamais concernée.
D'ailleurs Grace est pour le partage des tâches. C'est aux scientifiques
d'expliquer l'univers jusqu'à un certain point qui, au-delà,
ressortit à une zone sous l'autorité directe de Dieu. Avec ce
vieux, on est projeté très au-delà d'une frontière
acceptable.
Thomas poursuit d'une voix calme :
-Il sait ôter la douleur. Il est rebouteux. J'ai
entendu dire qu'il arrêtait les hémorragies. »
Même cas de figure et c'est Jean-Guy Soumy qui raconte
l'histoire d'une américaine s'échouant un jour de tempête
sur le Plateau et voyant remises en cause ses définitions du savoir et
ses priorités dans la vie [Soumy, 2003]. Ces superstitions aux airs de
savoirs instinctifs sont peut-être un des cas les plus troublants des
savoirs populaires car échappant non seulement aux besoins
technoscientifiques de certains décideurs à grande échelle
mais échappant également (encore) aux explications rationnelles.
Ce sont certainement eux, en partie, qui font dire à Paul Claval que la
nature serait la nouvelle force supérieure à respecter pour
nombre d'écologistes comme porteuse de sciences populaires et de valeurs
morales, à l'image d'une religion. Sur cet axe, Adrian Atkinson
(écologiste libertaire) livre une critique de la philosophie des
lumières comme production de la science par les experts et non par tous,
c'est-à-dire une production non démocratique de la science et qui
vise à faire adopter par les classes populaires la norme du savoir
servant les intérêts de ceux qui sont en position de pouvoir et
qui peut aboutir à une reproduction des élites [Atkinson, 1991]
puisque les élites sont celles qui maîtrisent le mieux la science
qu'elles fabriquent. C'est peut être oublier que ces mêmes
lumières ont également pour objet de détruire un autre
pouvoir de domination et de position : celui d'ainesse dans la famille, quand
ce n'est pas celui des hommes en siège dans la religion. Les
superstitions ou « savoirs populaires » qui se transmettent de
génération en génération, sous couvert
d'autorité paternelle, sont livrés à l'esprit critique de
par la philosophie des lumières. Pierre Bourdieu, qui s'opposait aussi
à la reproduction des élites, condamne d'abord les
difficultés d'accès à la culture (entre autres à
celle des lumières) des classes populaires. Difficultés
consécutives, selon lui, d'une confusion des pouvoirs dans les
sociétés libérales et technocratiques : « le
pouvoir symbolique [médiatique, celui que l'argent donne sur les
esprits] qui dans la plupart des sociétés était distinct
du pouvoir politique ou économique est aujourd'hui réuni entre
les mains des mêmes personnes » (p.417 [Bourdieu, 2002]). Ce
qui pose surtout le problème du contrôle et de la diffusion des
savoirs. Par qui ? Je pense que la recherche de la démocratie demandent
la confrontation, voire la
complémentarité, de savoirs populaires et
scientifiques (qui seraient issues de classes non populaires) et
l'émergence d'un esprit critique, conscient de la dépendance des
savoirs transmis envers ceux qui les produisent.
Et par conséquent radialement opposée à
celle proposée par la tribune UMP du Limousin qui peut écrire qu'
« en démocratie, la proximité passe par les
représentants du peuple régulièrement élus qui sont
payés pour travailler et réfléchir puis expliquer à
leur mandants les mesures de politique qu'ils votent» (annexe 6).
Pour ces auteurs, comme pour la Grace du roman de Jean-Guy Soumy, la
construction de décisions se font par des personnes
spécialisées dans cette tâche. Il y a même, dans ce
cas- là concentration des tâches. Ces personnes aspirants à
participer à la démocratie institutionnelle sont loin, pour moi,
de promouvoir la démocratie en tant que pouvoir donné à
chacun.
Ceux qui fabriquent et possèdent du savoir sont plus
à même de peser, d'autorité, sur l'orientation de la
société, sur la construction de l'environnement. Ils ont les us
de développer des arguments ou de fabriquer des démonstrations ;
c'est pourquoi, si l'on veut que chaque habitant ait du pouvoir sur son
environnement, les détenteurs de science ne doivent pas former une
élite mais être chaque individu de la population. Cette
dernière orientation est prônée par ce qu'on appelle «
éducation populaire ». Elle vise à faire valoir ce que
chaque individu peut apporter : des savoirs populaires comme le compte-rendu de
lecture ou l'information de résultats universitaires scientifiques. Cela
pour parer à la destruction des savoirs populaire comme aux
difficultés d'accès de chacun aux savoirs produits par
l'université. Le but de cette transmission des savoirs est bien de
donner un pouvoir de jugement et de décision à chacun, de
permettre à tous de participer, collectivement, à
l'élaboration de leur environnement.
Il reste que pour participer à ces rendez-vous
d'éducation populaire, comme pour participer aux affaires de la
Région, pour s'instruire tout simplement, il faut du temps. La
démocratie ne doit donc pas viser à une division des tâches
qui accorderait ce temps disponibles aux mêmes. Si certains collectifs
s'organisent différemment sur le Plateau, c'est justement pour
dégager du temps pour s'instruire ou pour participer aux
décisions locales. Aristote, qui classe les types de gouvernement, les
conditionne par l'existence de loisirs, écrivant qu'il y a peu
d'assemblées si les citoyens travaillent beaucoup à moins que
seuls ceux qui ont des loisirs ne gouvernent1. Problème de la
distribution des loisirs qui ne présageait en rien, chez Aristote de
celui de l'exécution des travaux manuels : « celui qui commande
n'est
114
1 Politique, Tome II, livre IV, ch. V
115
pas obligé de savoir les faire mais plutôt de
savoir en profiter » sinon « il n'y a plus ni maître
d'une part, ni esclave d'autre part1 ». C'est pourtant
cela que doit viser la démocratie.
3.2 - Le pouvoir de l'autorité
Qu'il y ait une distribution des loisirs, comme à
Ambiance Bois ou de nombreux salariés travaillent à mi-temps, ou
une distribution, une rotation des tâches, un partage des savoirs, cela
n'empêche pas l'existence de positions de pouvoir. « Le mode de
gestion participative qu'Ambiance bois tente de mettre en place, il n'est pas
idéal non plus. Y'a bien des patrons et qui sont pas les 20 personnes.
Les grandes gueules ont plus de pouvoir que ceux qui se taisent. »
rappelle Marc Lajara. L'expérience confère aussi un statut
de pouvoir, une reconnaissance ; c'est ainsi que ceux qui ont fondé
Ambiance Bois ont peut-être une voix qui porte plus que les autres. Le
problème qui se pose pour que chacun ait ensuite un pouvoir sur les
décisions est que la force de la voix ne soit pas loi et que chacun
puisse trouver un moment, une manière de s'exprimer qui comptera autant
que les autres. Cela tient aussi de la faculté de ceux qui
possèdent un statut de pouvoir, par leur autorité reconnue,
à remettre en cause ce statut. Cela est d'autant plus facile lorsque les
décisions critiques existent, que des liens existent ou que des
connaissances circulent.
L'autorité, si elle peut être envisagée
comme un pouvoir du à l'influence où aux connaissances, peut se
confondre avec un statut. Alors on peut parler d'un pouvoir purement
autoritaire, excluant, de par les positions tenues au sein d'un groupe. Le
crime de Croze (entre Felletin et Clairavaux) [Chevalier, 2008]2, en
1965, révèle la délicate nature de l'autorité. Il
se passe chez une famille venue de l'Aisne, installée au village de
Mours. La fille reprochait au père la mauvaise gestion de l'exploitation
céréalière ainsi que le mauvais emploi de l'argent et lui
promettait qu'il n'aurait pas un grain. Au crépuscule, le père
revint avec son fusil, la fille, lui tenant tête s'avança vers lui
pour le braver et la dernière dispute lui fut fatale puisque le
père déchargea son arme sur elle. Au procès de janvier
1967, l'avocat général a retenu deux attitudes : celle de la
fille qui a bravé le père, allant vers lui malgré les
avertissements maternels et celle du père, déterminé au
meurtre « peut-être tout autant pour l'orgueil que
l'intérêt ». La fille contestait-elle d'abord le statut
de chef de famille à son père ? Puisque, selon d'autres avis, il
gérait convenablement son exploitation. Revendiquait-elle ses
connaissances comptables supérieures dans le but d'être la
maîtresse, de ne pas partager le
1 Politique, Tome II, livre III, ch IV
2 Triste réunion de famille à Croze,
p.357.
116
grain ? Et quelle autorité le père n'a-t-il pas
supporté de se voir contester : la science ou la position de chef de
famille ?
Pour Michel Foucault, le pouvoir n'est pas tant dans la
possession d'un statut d'autorité que dans son exercice. Le pouvoir se
manifeste, s'exerce, en particulier à travers la famille, le voisinage,
une unité élémentaire de société [Foucault,
1994]. Mais ce qui serait le charisme paternel ou masculin est adoubé
par la position au sein du groupe, présupposée position de
pouvoir. Le chef exerce un pouvoir sur son entourage, pour affirmer son
autorité qui lui vient, par la coutume, de sa position statutaire
(ancien) ou sociale (haut niveau d'études, riche) au sein du groupe. Il
valide sa position de pouvoir par l'exercice de l'autorité. Il n'est pas
que la connaissance acquise ou le fait d'être une « grande gueule
» qui peuvent amener à l'exercice de l'autorité mais aussi
la propriété. Anne Stamm, dont les travaux ethnologiques se
penchent beaucoup sur les relations familiales nous parle en ces termes de
l'amoindrissement de l'autorité de statut en Haute-Corrèze :
« l'ancien qui a gardé les rênes n'ose plus imposer son
absolutisme. La possession de la terre fonde encore l'autorité mais
l'expérience est devenue insuffisante pour la gestion d'un domaine
» p.29 [Stamm, 1983]. Ce passage de témoin du
pouvoir, du statut au savoir est parfois énoncé comme l'un des
marqueurs de l'entrée dans la modernité. Cet ancien n'a ici plus
les arguments pour exercer son pouvoir et s'il continue à le rechercher,
il risque de tomber dans l'autoritarisme. La conformation au pouvoir
statué, ou pourrait-on dire institué, marque la reproduction
sociale et dicte les individus qui doivent décider de l'espace commun.
Armand Frémont va parler d'espace « aliéné » et
il définira l'espace vécu en l'opposant à l'espace
aliéné, parce que l'espace vécu est celui qu'on a le
pouvoir de construire, que l'on peut s'approprier, qui donc a de la valeur pour
nous et qui ne découle pas d'une « somme de lieux
réglés par les mécanismes de l'appropriation »
[Frémont, 1999]. L'autorité n'est pas un pouvoir en soi mais
plutôt la résultante de la reconnaissance de l'utilisation, par
quelqu'un, de certains leviers de pouvoirs. Ceux que j'ai pris tant de peine
à détacher au chapitre précédent : la
propriété, l'expression, la culture trouvent leur conclusion dans
l'autorité. En même temps, ils en contestent aussi la
légitimité puisque quiconque actionnera ses leviers pourra
revêtir l'autorité et se voir reconnu un statut de
décideur. Ces leviers de pouvoir ne sont pas seulement « à
prendre » mais « à donner ». L'un des prémices de
la démocratie est de donner une forme d'autorité à chacun.
On distribue des leviers de pouvoir pour qu'ils ne tombent pas entre les mains
d'un seul auquel on serait forcé d'obéir. Parce qu'on tient
à la liberté. L'égalité d'accès au pouvoir
sur son environnement est un facteur de liberté. La volonté de
tisser des liens comme l'expérience d'un fonctionnement
117
horizontal dans l'entreprise, la considération d'un
rythme de vie adapté à ses besoins n'essaient-ils pas d'abolir
cette autorité de statut qui est parfois confondue avec le pouvoir ?
3.3 - Pouvoir et Position de pouvoir.
Cela repose sur la distinction entre pouvoir et position de
pouvoir. Les institutions ou la démocratie représentative donnent
une position de pouvoir et non du pouvoir en soi. C'est pour cela que nombre
d'habitants regardent comme inutile l'utilisation de l'organigramme de la
démocratie représentative pour se faire entendre. Comprendre que
l'on a du pouvoir est aussi comprendre que le pouvoir n'est pas une position,
pas un statut. L'expression, la culture, le tissage de liens sociaux comme une
organisation horizontale du groupe au sein d'une association sont des leviers
saisissables par chacun pour impacter son territoire. Quelle influence
réelle a le lointain président d'un Etat sur un environnement
local ? Quel pouvoir ? Miette nous offre un exemple précis de
cette distinction entre le pouvoir et la position de chef : « Mais de
même qu'elle avait passé outre à son vouloir propre, choisi
la nécessité, de même on lui aurait fait violence en
prétendant la mettre au centre, pour les photos, ou l'asseoir au haut
bout de la table, même après que Pierre eut disparu et qu'elle
devint ce qu'elle n'avait jamais cessé d'être depuis qu'elle
était arrivée avec sa dot et les grandes armoires : la
maîtresse des lieux » p.53 [Bergounioux, 1995].
Je n'ai pas spécialement besoin d'une position de
pouvoir pour décider du rythme de ma propre vie ni de mes relations
à mon environnent, aussi bien naturel qu'humain. Cela vaut aussi au
niveau entrepreneurial, ou plus précisément dans l'organigramme
financier. Le dirigeant d'un coopérative forestière a-t-il
réellement davantage de pouvoir sur un environnement parce qu'il a une
position de pouvoir ? Il n'a de pouvoir par son argent, par les
supposées richesses qu'il peut développer à tel endroit
plutôt qu'à un autre, par l'enrésinement sur le plateau de
Millevaches que tant qu'on lui reconnaît un pouvoir confondu avec sa
position. La cupidité tient d'un amalgame entre le pouvoir que l'on peut
exercer et la position de pouvoir que nous confère un statut de riche.
Elle peut restreindre nos actions sur l'environnement à celles qui nous
permettrait de gagner de l'argent. Alors on ne choisit plus l'environnement. On
est en capacité de le subir, voire de le faire subir si notre statut est
légitimé et reconnu comme condition à l'exercice du
pouvoir.
Aussi peut-on désirer ce statut pour avoir du pouvoir
sur sa propre vie. On peut reconnaître ou la position, ou le pouvoir et
l'expression, la culture peuvent légitimer un statut de siégeant,
de scientifique ou d'habitant.
118
Quand Miguel Benasayag et Diego Stulwark évoquent la
naïveté des révolutionnaires (mais on peut dire la
même chose des chefs de guerre) [Benasayag, Stulwark, 2002], ils la
justifient par la croyance qu'occuper physiquement un lieu de pouvoir revient
à avoir la possibilité d'exercer son pouvoir et changer son
environnement. Ils considèrent un peu vite les révolutionnaires,
à l'exception de ceux de 1789 en France, comme futures victimes de
pratiques autoritaires du pouvoir qu'ils ont négligé de remettre
en cause par un renouveau culturel. C'est surtout pour asseoir leur discours
argumentant qu'il faut construire le pouvoir plutôt que de le prendre.
Mais en s'emparant d'un lieu de pouvoir, il est possible qu'on s'empare de
certains leviers parce qu'on les a reconnus comme confondus avec le lieu :
comme l'usage de la propriété et le tissu de relations
nouées autour du siège. Un médecin, en partant à la
retraite, vend son cabinet et sa clientèle. Rien n'oblige cependant la
clientèle à se faire soigner par le nouveau médecin. Parce
qu'on reconnaît la position de pouvoir comme faculté à
exercer le pouvoir, qu'on reconnaît les manettes comme attachées
au siège, la conquête de la position peut devenir
stratégique. Le chef de guerre veut conquérir la capitale parce
qu'avec son contrôle, il pense accepté par la population le mythe
du contrôle des leviers de pouvoir. Et qu'il lui reste à raconter
ce mythe.
De même le directeur d'un journal, ou fondateur,
apporteur de fonds n'a de pouvoir sur l'expression du journal que celui que les
journalistes, qui veulent s'exprimer, lui cèdent. Si le journal les
bride, ils peuvent s'exprimer ailleurs ; pour eux, le journal n'est plus un
levier de pouvoir. Et ils montrent alors les faiblesses du journal comme
facteur d'expression. Si vous prenez une position de pouvoir pour impacter
votre environnement, il faut encore que l'on vous reconnaisse du pouvoir pour
que vous en ayez effectivement. Le pouvoir, lui, ne se prend pas. Il se donne.
Il a besoin de la caution des autres.
S'il se donne, c'est que sa quête, que la
possibilité de pouvoir décider de tout, que l'impact personnel,
orgueilleux et satisfaisant pour l'ego, n'apporte pas une qualité de vie
supérieure. Qui voudrait cumuler des leviers de pouvoir, les utiliser
plus explicitement que d'autres peut très bien perdre du pouvoir sur sa
propre vie. Levy-Strauss relatait que les Nambikwara ne recherchaient pas la
position de pouvoir (le statut de chef) parce que, déjà, ils
consentent à se donner les uns les autres des leviers de pouvoir, et que
le statut de chef n'est plus qu'une charge administrative. De même
Miette, dans le roman de Bergounioux refuse la position de pouvoir, refuse de
présider. Mais Eva, dans le roman de Jean-Guy Soumy refuse
également l'exercice du pouvoir, l'influence sur les autres : on lit
page 220 que « son âme affleure ses gestes, ses apparences, ses
mots. Pour elle l'argent n'est pas un but. Quant au pouvoir sur les autres, qui
compte tant aux yeux de Grace, elle y est insensible. Elle croit en
l'exemplarité,
119
Eva. Pas vraiment en la contrainte » [Soumy,
2003]. Je pense que c'est également ce qu'expriment plusieurs membres de
collectifs sur le plateau de Millevaches quand ils affirment ne pas vouloir le
pouvoir ni ne pas rechercher l'influence. Mais ils escomptent que
l'organisation de leurs collectifs, les activités qu'ils proposent,
pourront séduire, inspirer, et servir en quelque sorte d'exemple. Ce
qu'ils revendiquent, c'est l'organisation des rapports humains et des rapports
à l'environnement sans la manifestation de pouvoirs individuels.
Ce qui nous rapproche de l'idée que le fin gras du
pouvoir serait justement de se priver de l'exercer.
3.4 - Le pouvoir de ne pas pouvoir
Je sais que je ne sais rien, professait Socrate, et
c'était le savoir ; de même pouvoir ne pas faire, sera le pouvoir
réel. C'est tout du moins ce que nous invite à comprendre Giorgio
Agamben qui définit la puissance par la possibilité de son
non-exercice [Agamben, 2006]. Si vous n'avez pas la possibilité de ne
pas passer à l'acte, votre puissance n'est en réalité
qu'une image. La puissance, me semble-t-il, peut être comprise comme
l'énergie du pouvoir, son effet, l'acte de pouvoir, énergie qui
peut être ou non contrôlée. C'est par la maîtrise de
ses privations que l'on est conscient de sa puissance réelle, c'est par
le choix du refus du pouvoir que la réalité de notre
décision nous apparaît. Giorgio Agamben, qui comme d'autres
éprouve le besoin d'identifier un critère distinguant l'homme de
l'animal, choisit l'exercice de l'impuissance : « l'homme est l'animal
qui peut sa propre impuissance. La grandeur de sa puissance est mesurée
par l'abîme de son impuissance » (p.240). Mais certains animaux
n'évaluent-ils pas mieux que nous leur impuissance et les dauphins qui
guident les bateaux vers les poissons ou bien comprennent leur
incapacité à attraper autant de poissons qu'un filet, ou bien
peuvent se priver de cette nourriture qu'ils abandonnent à l'homme.
Cette faculté à ne pas exercer son pouvoir est
déjà évoquée par Elysée Reclus et lui fait
différencier l'homme civilisé du barbare, ce dernier n'ayant que
la possibilité de piller la Terre. C'est la culture, le savoir, qui
amène, chez Elysée Reclus, au non-exercice de sa puissance et
à comprendre son intérêt comme confondu avec celui de tous
et avec celui de la nature elle-même. Ce discours est très proche
de celui qu'on pu me servir plusieurs paysans en agriculture biologique. Ils
ont le pouvoir de ne pas agir sur la nature. Jacques Lepart et Pascal Marty,
défenseurs de la reconnaissance de l'utilité de la
biodiversité pour l'espèce humaine, partagent cette approche
puisqu'ils conditionnent notre pouvoir à tirer des
bénéfices de la nature par la compréhension de notre
dépendance vis-à-vis des processus naturels
120
[Lepart, Marty, 2009]. La connaissance de ces processus (on
pourrait dire la connaissance de l'autre, de notre lien à l'autre, de ce
que nous sommes nous-mêmes un autre) est un facteur qui encourage le non
exercice de la puissance, donc qui nous donne du pouvoir. Ce qu'on appelle
l'altruisme, ou la pitié, que nous portons en nous, nous guiderait dans
ce refus du pouvoir. Dans Miette, Bergounioux relate comment, par
l'ignorance de cette dépendance à l'autre, s'institutionnalisent
des positions de pouvoir (qui font loi) et les inégalités (de
droit) qui en découlent : « Mais les gens du haut ignoraient
presque qu'il y eût des gens plus bas. Ils ne désiraient pas le
savoir. Il ne fallait pas, sans quoi ils auraient refusé de rester les
gens du haut. » (p.66). Comme si la pitié, pourvu qu'ils
soient en mesure de connaître leur position, l'exercice qu'ils font de
leur pouvoir, les amèneraient à refuser ce pouvoir, cette
chaîne qui leur fait ignorer leur condition.
Et certainement cette coupure entre les élus et ceux
qu'ils représentent, entre experts scientifiques et rustres
évoquée dans les paragraphes précédents orientent
les premiers à exercer un pouvoir, non pas par choix, mais par
obligation. Leur pouvoir est convention quand celui qu'exercent les habitants
sur leur territoire est vécu dès lors qu'il est perçu.
Et il se vit comme inséré dans un
écosystème, c'est pourquoi beaucoup de personnes avec qui je me
suis entretenu avancent le pouvoir comme nécessairement collectif «
on n'a pas de pouvoir tout seul ». Cette explosion du pouvoir
interroge l'existence de l'identité de l'individu, la peur ou le
désir de ne pas être soi, de ne pas être une personne propre
qui vit sur un territoire propre, notre dépendance existentielle
à notre environnement comme élément susceptible de se
fondre dans celui-ci.
3.5 - L'identité, passager du pouvoir ?
Se fondre dans la Nature comme se fondre dans un Dieu ? C'est
ce que Paul Claval lisait. Ou bien c'est l'opposition du pouvoir sur l'espace.
Est-ce que ce pouvoir sur notre environnement, cette capacité à
le marquer doit créditer notre identité, prouver notre existence
et qu'on utilise alors le pouvoir pour transporter notre identité ?
L'abandon du pouvoir est alors la réponse, la reconnaissance des limites
de Soi. On veut changer le Monde et on est alors obligé de commencer par
chercher le Monde. On risque de trouver que notre identité n'a pas
d'éternité parce que nous sommes dans le Monde.
En apéritif de leur noire description de la
société moderne, le « comité invisible » pointe
le mythe de l'identité de l'individu. Mythe qui promeut l'assurance
d'être soi-même comme un stade d'accomplissement de la
liberté.
121
« Tout ce qui m'attache au monde, tous les liens qui me
constituent, toutes les forces qui me peuplent ne tissent pas une
identité, comme on m'incite à la brandir, mais une existence,
singulière, commune, vivante, et d'où émerge par endroits,
par moments, cet être qui dit « je ». Notre sentiment
d'inconsistance n'est que l'effet de cette bête croyance dans la
permanence du Moi, et du peu de soin que nous accordons à ce qui nous
fait ». (p.16) [Comité invisible, 2011].
Entendre par « ce qui nous fait » : notre
environnement. La personne n'est qu'un point
d'émergence de ce qui l'entoure, le champignon qui
apparaît soudain depuis ses filaments de mycélium, elle n'a plus
de pouvoir sur son environnement que ce qu'elle se reconnaîtra comme
dépendances, comme attaches. Si le Moi ne reconnaît pas sa
dépendance envers les autres, alors il est possible qu'il se la veuille
créer. Car il a besoin des autres pour exister, pour se regarder, se
comprendre différent, il s'analysera comme son propre centre, avec un
monde rattaché à lui, qu'il doit conquérir, dont il doit
se servir. Par cette position centrale, il demandera à son environnement
d'assurer son essence, il demandera à son environnement de
dépendre de lui pour lire sur cet environnement sa propre action, preuve
de son existence. Ironiquement, Blaise Pascal confère au Moi deux «
qualités » : l'injustice en soi et l'incommodité aux autres.
La première découle de sa position de centre du monde, la seconde
de sa volonté d'asservir les autres [Pascal, 1954]1. Et lui
d'ajouter qu'il ne s'agit pas uniquement de lutter contre l'incommodité
du moi car, en ce cas, on ne plairait qu'aux injustes. La justice exige alors
de remettre en cause la position de centre du Moi, et pour cela remettre en
cause l'identité de l'individu. Je peux même m'essayer à
transformer la maxime que Blaise Pascal applique au nostrum, à
la propriété2 pour l'accoler au nos, à
l'identité. Nihil amplius Nos est ; quod Nos cogitabimus artis
erit3.
On veut chercher ses particularismes, ses
spécificités pour exister, séduire ou mourir d'être
Soi, ses particularismes ou ceux de son groupe, de son espèce, de son
territoire, de son environnement, quand on ne peut chercher que ses
dépendances. La désignation et le classement des individus par
leurs particularismes, ce qui les rattache à leur identité, les
transforme, pour Michel Foucault, en sujets [Foucault ,1994].
C'est-à-dire les soumet à un pouvoir extérieur.
Le refus du pouvoir est aussi le refus de l'ego, le
refus d'être un centre. C'est pourquoi des collectifs cherchent à
fonctionner sans tête, sans position de pouvoir. Ils parent à
cette injustice institutionnelle mais n'en suppriment pas pour autant les
ego. Il est aussi agréable
1 Pensées II.3.136
2 La maxime originale des pensées est
« Nihil amplius nostrum est ; quod nostrum dicimus, artis est ».
II.9.230
3 Ne connaissant pas le latin, j'aurais
peut-être mieux fait de traduire directement : il n'y a rien qui soit
Nous ; ce que nous penserons Nous ne sera qu'artifice.
122
que difficile de ne pas être. En aimant sans les guides de
la séduction, possible est-il que nous arrivions à être un
autre que nous. En n'écrivant rien, Socrate se gardait peut-être
de son ego. Dans ce cas, force m'est de constater, par cette
présente récitation, que je n'ai pas réglé la note
de mon pouvoir. De mon pouvoir sur mon ego.
.... that is the question.
Conclusion au chapitre : des leviers de pouvoir à
l'épreuve de l'échelle
Sur le Plateau de Millevaches, j'avais dégagé
quelques moyens utilisés par les habitants pour être les acteurs
de leur territoire, des moyens qu'ils pouvaient percevoir comme des leviers de
pouvoir : la propriété, l'influence -en particulier culturelle-,
les liens entre collectifs et l'expérience d'un fonctionnement sans
chef. On retrouve plusieurs de ces moyens dans divers endroits, mais
différemment agencés. Le découpage que j'ai fait des
leviers de pouvoir pour le Plateau est conditionné par ce que j'ai cru
observé. Ailleurs, on pourrait peut-être citer le « terroir
» comme grand axe avant de le découpler entre
propriété, savoir-faire et culture. Certains écrits qui
traitent d'aménagement du territoire et de pouvoir, ou certains romans
locaux, évoquent aussi ces leviers de pouvoir. Eux aussi peuvent les
utiliser dans un cadre différent mais le rôle de la culture ou la
recherche d'une démocratie directe, sans tête, sont souvent
mentionnés.
Les relations avec les institutions sont variables selon les
cas, les habitants ou collectifs y étant plus ou moins
intégrés. Mais la participation ou la présence dans une
institution, possiblement envisagée comme pouvoir, n'est en
réalité qu'une position de pouvoir. Position plus ou moins
élevée selon l'échelle institutionnelle
considérée. Le levier de pouvoir ne perd pas, lui, en impact sur
son environnement avec le franchissement des échelles mais gagne en
reconnaissance, en autorité peut-être. C'est aussi le regard des
autres, depuis une autre échelle, qui lui donne crédit de son
rôle.
Le fait d'avoir différencié position de pouvoir
et pouvoir, remet aussi en cause les qualifications de « leviers de
pouvoir » que je viens de donner pour diverses actions. La
propriété, par exemple, n'est-elle pas finalement un statut, une
position de pouvoir ? Ce n'est pas parce qu'elle est utilisée par les
habitants (au lieu des institutions qui par leur nature représentative
ne peuvent intégrer que quelques-uns) qu'elle est pour autant un facteur
de pouvoir. Facteur très relatif d'ailleurs. Et l'idée que c'est
justement en n'exerçant pas un pouvoir qu'on le reconnaît, qu'on
le perçoit, que l'on a du réellement du pouvoir remet
123
d'autant plus en cause la définition de mes leviers de
pouvoir. L'influence peut n'être qu'une autorité exercée
sans choix ; un même levier selon qu'il veut conquérir ou laisser
du pouvoir perd ou gagne sa valeur d'usage, sa réalité de levier
de pouvoir. Et si l'habitant n'est plus distingué de son
habitat mais dépendant, composant et composé de ce dernier,
l'exercice du pouvoir sur le reste que lui devient inepte. Et il lui suffit
d'avoir du pouvoir sur lui-même pour avoir, par liaison, du pouvoir sur
son environnement. Il devient la géographie.
124
125
Conclusion
Mea ultima culpa
C'est l'heure de l'ingratitude. Je voyage, j'analyse j'observe
et on pourrait bien croire que je rends un verdict. Je suis dans un
environnement, je m'y mêle et je m'en départis. Je tire des
conclusions, ou plutôt des positions, que j'attends être lues des
intéressés. Conclusions froides, plantées, ingrates en ce
sens que le papier les fige.
Je me suis rendu compte que le temps que je me suis imparti a
handicapé quelque peu ma méthodologie. J'ai intégré
de nombreux commentaires des habitants sur mon travail puisque je
développais celui-ci au fur et à mesure de mes entretiens et les
débats que j'ai pu tirer sur la science, l'autorité, la position
de pouvoir ont été soulevés par certains retours sur ce
que j'envisageais d'écrire. Mais je ne me suis donné que peu de
temps pour, une fois une rédaction achevée, la soumettre de
nouveau au commentaire : pour cela, il faut aller voir les gens, leur lire de
but en blanc ce que vous avez écrit, ce qui dédouble presque les
entretiens. Sinon, si j'envoie simplement mes notes, les laisse
imprimées pour les faire lire, les personnes peuvent donner leur avis
mais discutent moins de mes notes. Ensuite, il faut réintégrer
leurs commentaires. Et le processus peut être infini. Mais des recherches
géographiques, sociologiques, scientifiques peuvent-elles être
finies ? Elles ne peuvent dire que ce qu'elles font de faux. J'ai lu à
quelques paysans mes notes pour en discuter et les ai laissées aux
personnes qui disposent d'un bureau (associations, institutions) quand je ne
les trouvais pas sur place. Bien sûr, j'aurais mieux fait de les revoir
physiquement. Si cette démarche apporte beaucoup de précisions
à mes travaux : je n'en suis pas sûr. On peut se contenter de dire
qu'on est plutôt d'accord. J'ai rendu les paragraphes qui concernaient
les intéressés en premier chef, il est donc des chances -si je ne
me suis pas trop trompé- que ce qu'ils lisent sur eux ne porte pas trop
à débat. Montrer un autre chapitre risque de susciter davantage
de réactions. Risquera. Car ce n'est pas parce que la conclusion
s'écrit que tout doit être classé. Ce n'est
arrêté que pour la première présentation que j'en
ferai à l'université.
Cette conclusion, j'y viens. J'ai pris le cas du Plateau de
Millevaches pour regarder quelles formes de pouvoir émergeaient de la
population locale, de quelle façon les habitants pouvaient
décider de leur environnement.
J'ai supposé le contexte paysager assez peu
révélateur de ce pouvoir puisque les champs sont peu nombreux et
les résineux omniprésents bien que personnes extérieures
au Plateau puissent le considérer comme un espace protégé
et sauvage. S'il est vrai qu'on trouve des landes et
126
tourbières, entretenues et maintenues par des troupeaux
(donc par des paysans), on remarque surtout l'étendue spatiale qui est
mangée par les conifères. Les données du Limousin font
même apparaître le Plateau comme un territoire dédié
aux résineux. Cette occupation des sols est bien un pouvoir qui
échappe aux habitant puisque la majorité de la surface appartient
à des non-habitants et est gérée par des
coopératives forestière. On peut même aller plus loin,
puisque le bâti, lui aussi n'est pas majoritairement détenu par
les habitants pour dire que la propriété est un frein aux pouvoir
des habitants sur leur environnement. Ce qui laisse champ libre à une
gestion industrielle, coloniale et très peu écologique des sols
et une confiscation du bâti qui limite un renouveau démographique,
condition essentielle du maintien des services primaires dans cette zone. Ceux
qui tirent des richesses, des capitaux du plateau de Millevaches n'y habitent
pas. Une redistribution de la propriété me paraît
essentielle sur le Plateau et pour ceux qui voudraient s'installer et pour ceux
qui y habitent sans presque avoir de terrain. Les tourbières et landes
font l'objet d'une gestion concertée entre le Parc Naturel (ou Natura
2000) et les paysans mais le reste des sols demeurent la proie de ceux qui les
veulent piller et ne font l'objet d'aucun partage, d'aucune concertation. La
détention du foncier doit être remise en cause ; certaines
associations -comme l'ARBAN- s'y attèlent et d'autres comme «
Nature sur un Plateau » revendiquent leur droit de décision quand
à l'environnement physique qui les entoure. Les habitants sont nombreux
à dire que les possédants extérieurs au Plateau sont un
problème, un moyen de domination sur leur espace de vie et
potentiellement sur leur vie ; reste à savoir si les possédants
(et exploitants comme les coopératives) trouvent juste cette situation.
Toujours est-il, selon Sophie Le Floch, qu'ils se conçoivent comme un
milieu fermé, sont favorables à la fermeture du paysage par
l'enrésinement et condamnent l'installation de « marginaux »
sur le Plateau contrairement aux habitants qui souhaitent l'ouverture du
paysage, le partage du terrain et s'ouvrent plus facilement aux touristes et
aux nouveaux venus [Le Floch, 2008].
Ces richesses qui échappent à la population du
Plateau et imposent une occupation rentable (pour les possédants
extérieurs) des sols ne sont toutefois qu'une position de pouvoir qui ne
sera réelle autant qu'elle sera adoubée. Car les habitants
disposent bien de leviers de pouvoir. Le premier d'entre eux est de s'associer
pour dynamiser le territoire : les associations et collectifs, en particulier
sociaux, sont en effet très nombreux sur le Plateau. Non seulement
sont-ils nombreux mais entretiennent-ils de forts liens entre eux ce qui leur
vaut une certaine reconnaissance, notamment auprès des institutions
locales : le Parc et les Communautés de Communes mais aussi
extra-locales : les départements, la Région, voire la Nation. Il
y a une réelle activité culturelle sur le Plateau de Millevaches.
Si j'avais pu apercevoir son existence,
127
je n'imaginais pas les manifestations culturelles, les
débats être aussi nombreux sur le Plateau. Dans le domaine de
l'écologie, on trouve aussi diverses expériences.
Expériences qui marquent physiquement le paysage et obtiennent une
certaine reconnaissance, y compris scientifique. La culture libertaire
s'exprime, quant à elle, à travers le fonctionnement horizontal
des différents collectifs et à travers les médias. Elle
porte une organisation différente de celle des institutions où
les décisions sont perçues comme descendant d'une pyramide et
où l'expertise, la science, est proposée, voire imposée
à la population plus qu'elle ne lui est donnée ou n'en est
tirée. Des initiatives d'éducation populaire permettent cette
distribution des savoirs.
Cette force du tissu associatif et des revendications
environnementales marque le paysage culturel, l'environnement humain ; c'est
également le cas dans d'autres régions comme l'Intag en Equateur.
La culture, l'influence idéologique peuvent être
identifiées comme primordiales par certains auteurs comme Claude
Levy-Strauss ou Paul Claval.
Et c'est peut-être ceux qui utilisent le plus la culture
qui perçoivent le mieux leur pouvoir sur leur environnement. C'est un
moyen de se sentir acteur de sa propre vie, susceptible de participer à
des changements dans l'environnement local. Les habitants les plus
isolés, même lorsqu'ils disposent d'une propriété
importante semblent subir la faiblesse démographique régionale
sans se sentir la possibilité d'y remédier, se sentir spectateurs
de leur région davantage qu'acteurs intégrés à
l'environnement.
Cette intégration, plusieurs habitants l'ont
provoquée en adoptant un rythme de vie qui leur permet de s'extraire du
rythme industriel astreignant et accaparant. Dans le domaine agricole, la
gestion collective ou le couplage de l'agriculture à d'autres
activités peuvent permettre de dégager des loisirs dans une
profession qui est vécue comme en laissant peu. Ceux qui ne
perçoivent pas leur leviers de pouvoirs, ni ne font le pas vers les
leviers culturels peuvent se trouver exclus du dynamisme et des orientations
locales. Un des enjeux pour les collectifs ou les institutions locales est
d'apporter des services (ce qui est mis en place), des manifestations
culturelles à proximité de chez ces habitants en les y invitant
de visu... et sûrement organiser des possibilités de loisirs.
Malgré la réelle confiscation du paysage
physique, exception faite du petit patrimoine qui est soigné par les
habitants, des leviers de pouvoir sur l'environnement existent sur le plateau
de Millevaches. Ils sont liés à l'activité des collectifs
sociaux et donc saisissables davantage par les personnes qui ont des liens avec
ces collectifs. Leur nature est liée à la transmission du savoir,
de la culture, aux moyens de s'exprimer (comme les médias locaux) et
à la conception
128
que le pouvoir puisse se passer de tête. Ce qui fait que
le Plateau n'est pas qu'un espace géophysique mais aussi un espace
social.
Je pense donc que le développement de ces leviers
culturels, des moyens d'expression pour chacun, des conditions souples de
travail -comme de propriété- qui permettent à chacun
d'investir le territoire et d'être l'environnement sont primordiaux quant
à la réalité de la démocratie, le pouvoir de
décision de chacun sur son lieu de vie. La répartition de la
propriété ne pourra se faire que s'il s'agit d'une demande
exprimée des habitants tout comme le changement de gestion
forestière. Demande qui débouchera sur des organisations mettant
en place des actions dans ce sens.
L'hypothèse que l'influence culturelle devient un
pouvoir local important quand il est utilisé reste à mon sens,
pour le moment, confortable. Qu'il puisse y avoir une présence du
plateau de Millevaches (comme de l'Intag ou du Larzac) à diverses
échelles dénote aussi d'une reconnaissance du pouvoir local. Mais
évidement, dans cette étude, je me suis concentré sur les
points de vue locaux puisque je voulais savoir comment, localement, on pouvait
décider de son environnement et le franchissement des échelles
reste soumis à la perception que peuvent en avoir des collectifs,
institutions ou habitants extra-locaux et aux discours qu'ils peuvent tenir sur
la localité en question.
Le pouvoir local peut-il se concevoir à
l'échelle locale ? L'environnement local est considéré
comme un espace d'autonomie, que l'on peut connaître et susceptible de
pourvoir à nos besoins. C'est un espace où l'on peut cultiver son
champ, s'exprimer, monter un projet. L'autonomie vis-à-vis des
échelles plus larges est vue comme un facteur de liberté, de
pouvoir sur soi-même, de refus de la domination mais l'environnement est
avant tout une question de dépendance. Dépendances qui peuvent
être comprises ou subies. Elles nous amènent à regarder non
seulement le pouvoir qui s'exerce mais celui qui se dilue. C'est ainsi qu'on
peut entendre les discours qui déclarent ne désirer ni d'impact,
ni d'influence, ni de pouvoir.
Si je veux considérer l'environnement comme un espace
vécu, est-ce que je peux vraiment le considérer comme local ? La
production de viande limousine n'est pas destiné au marché
limousin. Il existe, non seulement une dépendance entre toutes les
parties d'un environnement (au titre d'écosystème) mais entre les
différentes dimensions de l'environnement. Tout m'entoure et l'une de
mes premières dépendances est cette étoile autour de
laquelle je tourne et par laquelle je vois le monde, qui rend mon ciel ou clair
ou obscur.
Les relations se tissent à travers diverses
échelles ; dans le pouvoir des habitants sur leur environnement, il y a
le pouvoir d'environnements divers sur les habitants. Il est difficile de
revendiquer l'origine de l'influence.
129
Les liens associatifs sont aussi nationaux et les diverses
rencontres et débats sur le Plateau font intervenir des personnes
extérieures. La culture mise en avant n'est pas qu'une culture locale,
fabriquée par les habitants. Le pouvoir culturel ne consiste pas
qu'à fabriquer sa propre culture mais à s'imprégner de
celles des autres. Un levier de pouvoir culturel saisi par des habitants
dépend aussi d'un pouvoir culturel à plus large échelle.
La dépendance engendre davantage de dynamisme que l'autonomie. La
communication avec l'environnement extra-locale est donc primordiale pour que
chacun ait du pouvoir sur son territoire.
L'énoncé de telles trivialités remet
toujours en cause la vanité dont on s'arroge de la fabrication d'une
conclusion.
Si un espace se reconnait comme dépendant d'autres
espaces, ce qui pourrait lui être accolée comme identité ne
lui est en rien due. La direction de ce que j'ai nommé pouvoir est, par
là même, abolie. L'erreur était déjà dans la
question : quel est le pouvoir de X sur Y. Je peux, une fois
considéré les dépendances, tout au mieux chercher comment
circule le pouvoir. Ou plutôt comment s'exerce l'impuissance si la
puissance réelle doit se trouver dans son non-exercice.
Les échelles des sociétés humaines, leurs
organisations, l'aménagement du territoire, devenu culturel et
humanisé une fois décrypté par des langues humaines,
peuvent tous se lire à travers le pouvoir, ou à travers
l'impuissance, des individus qui les composent.
Dimanche 13 mai,
Le pouvoir peut très bien faire de nous des
victimes. Nous pouvons nous concevoir comme telles : des victimes du pouvoir et
des victimes de l'environnement qui ne font que s'y mouvoir pour le servir
à d'autres. A moins que nous soyons le pouvoir. Que nous
considérions être une énergie plutôt qu'un corps, que
nous nous définissions dans le doute entre notre nature corpusculaire ou
ondulatoire. Comme la lumière. Dit comme ça, on
réserverait plutôt ce regard aux rapports amoureux, au
déplacement d'un cil qui doit vous mettre à genou. Comme un tyran
qui courbe l'échine pour recevoir sa couronne.
Je devrais réfléchir à mon pouvoir.
Parce que de la goutte de ce suc que j'aurais pu réclamer lors de mon
étude sur le plateau de Millevaches dépend l'orientation de mes
analyses et les limites qui vont nécessairement endiguer leur
justesse.
Alors, je réfléchis sur le pouvoir que
l'habitant peut avoir dans un endroit et je craindrais de parler de mon pouvoir
? Que dirais-je à leur place ? Evidemment, je n'ai pas envie
d'être une victime, je ne vais pas dire que je n'ai pas de pouvoir. Je
n'ai pas envie de croire que les lois
130
ou les détenteurs de l'argent dirigent ma vie. Je
n'organise pas ma vie dans la croyance qu'ils ont le pouvoir. Mais que dire :
je veux vivre, moi aussi. Alors quoi : ne regarder à rien et travailler
n'importe où pour gagner de l'argent pour m'acheter le droit de dormir
et de manger. Ce confort n'est que le résultat de l'esclavage. Alors
j'ai vraiment du pouvoir puisque je peux choisir la direction de mon pas ou
l'expression de mon visage. Mais de quoi dépend encore ce pas ? Je n'ai
pas complètement choisi d'aller sur le plateau de Millevaches, et mon
sujet nait de ma dépendance aux discours sur la démocratie,
à la culture qui m'entoure. Et une fois sur place, est-ce que j'ai
encore l'autorité de mon étude ? Si je venais pour vendre des
carottes, aurais-je eu le même accès au territoire, la même
appréhension ? Si j'avais mis une casquette de vendeur de carottes en
gardant mes questions, aurais-je seulement tiré des réponses ? Je
ne vais quand même pas dire que j'ai eu du pouvoir sur le plateau de
Millevaches lorsque j'ai fait mon étude, ce ne serait que trop
prétentieux. Peut-être que mon étude peut avoir de
l'influence. Si je suis déjà déçu de dire que je
n'ai pas de pouvoir ? C'est donc, in fine, que j'en cherche ? Ou je cherche des
dépendances.
Grandeur et dépendance. Même si ce ne me sert
à rien, je peux faire le pari que je veux bien exister. L'origine du
pouvoir, ce ne peut pas être le prestige... Et je vais planter cette
graine, de mes mains la planter, pour être sûr que cette bonne
action, cet arbre planté, cet arbre qui va me survivre, que cette ombre
vienne de moi. Et on cueillera des fruits, on se nourrira de mon pouvoir.
Grandeur. Le prestige, qu'à cela ne tienne, j'ai voulu croquer les
fruits, moi aussi. J'ai voulu, par cet acte voulu, que d'autres croquent mes
fruits. Et pour croquer mes fruits, il fallait bien qu'ils ne les trouvent pas
ailleurs. Dépendance. C'était moi qui dépendais de leur
consentement à cueillir mes fruits, à ce que je propage mon
environnement. Et voilà que je veux contrôler l'environnement, ce
qui est bon, ce qui est comestible. Seul puisque je m'attire tant de monde par
mes actes, seul puisque je crois en ma science et en la perfection de mon
environnement. Alors il y a l'exercice de mon pouvoir depuis ma position
reconnue de planteur acharné, de bienfaiteur. Il y a mon pouvoir qui n'a
pour origine que mon ignorance. Puisque je ne sais plus rien de ce qui n'est
plus moi, puisque mon être commande. Décadence. Je n'ai plus que
ce pouvoir fictif qu'il me reste de mon action. Et on brise mon action plus
loin, simplement en vivant. L'arbre me survit et je me rends à la terre.
« Comptez mes trésors et mes actions, reconnaissez mon rayonnement
» ai-je l'air de dire depuis ma tombe. Saluez votre bienfaiteur. Et
battez-vous pour mon Empire.
Mais ce n'est pas moi qui aie existé, ce n'est pas
mon Empire. Pourquoi aurais-je voulu faire ça ? La domination a
balayé mon pouvoir, a balayé ma reconnaissance. Bienfaiteur
et
131
dictateur, allons, plait-il, trouvez à cet homme
une identité. D'ailleurs ce ne peut pas être moi ; je ne plaide
pas en sa faveur. Regardez-le, il est couché sur son lit, imbibé
de sa drogue, la seule qu'il a fini par connaître. Ayez pitié car,
en réalité, c'est vous qui aviez du pouvoir sur lui et il ne
s'agissait pour vous que de lui tendre vos fruits, de ne pas croire que la main
qui enfouissait la graine faisait l'arbre. Mais l'eau qui l'arrosait, le sol
qui la nourrissait et les vers qui permettaient à la nourriture de venir
au sol.
Qu'on ne me doive rien, ce sera mon grand pouvoir.
Mais ce trésor, cet Empire, il reste encore
à vous le partager. Vous pourriez bien en faire quelque chose. Le
posséder, le dédoubler. Vous ne doutez pas que vous saurez en
user intelligemment, en répartir les bienfaits sur la
société. Que vous ferez la société plus grande, un
environnement à votre taille.
Le prix du confort n'est que celui de
l'éternité.
132
133
Annexes
Annexe 1 : Articles du journal IPNS n°37 de
décembre 2011
Articles :
Quand des géographes étudient le plateau de
Millevaches par Christian Vaillant Pages 12 et 13
Et si c'était à refaire par Olivier Davigo
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Annexe 2 : Origine des noms de villages et lieux-dits
Quelques relevés en rapport avec le milieu physique naturel
Rapport aux arbres :
Arfouillère (l') : houx (du latin
acrifolium)
Besse (haute-), Bessou (mont) : bouleau (du gaulois
betu)
Epine (l') : prunelier, aubépine ou ronces
Faux, Fayes (les) : hêtre (du latin fagus)
Prune (la) : prunelier
Royère : chêne (du moyen français
robre)
Vergnes (les) : aulne (du latin vernos), arbre
des milieux humides
Rapport aux landes ou à l'activité agricole
:
Clairavaux : vallée claire
Féniers : fenil, grenier à foin (du latin
fenile)
Jarousses (les) : plante herbacée, fourrage pour
le bétail (idem vesce)
Lachaud : rocher, hauteur dénudée (du
latin calmis)
Nouaille (la) : zone cultivable défrichée dans
une forêt (du latin novalis = nouveau)
Oussines (les) : terre inculte (de l'ancien occitan
absina)
Pelou (le), Peylle (puy) : pelé, aire
dénudé
Teiffoux : soldat laboureur
Vassivière : pâtre, berger (de l'occitan
vaciver)
Rapport aux milieux humides, tourbières, marais
Gane : mare (de l'ancien français, limousin
guana)
Goutailloux (le) : goutte, lieu humide (en occitan
gota)
Longeyroux : longères, marais
Moulièras : pré marécageux (en
occitan moliera)
Rebeyrotte : canneberge (en occitan
rebeiròta)
Ribière (la) : rive (du latin ripa)
Rozeille : roseau (de l'ancien français
rosel)
Sagnoles, Malsagnes : marécage, pré
mouillé (en occitan sanha)
Salemanière : lieu où pousse la linaigrette (lo
saleman en occitan)
Avec l'aide de :
Cassagne J-M., Korsak M. 2002, Origine des noms de villes et
villages Creuse, Bordessoules, 304p.
[Boudy P., Caunet J-M., Vignaud J-F, 2009]
Document 1 : Une de La Montagne-Creuse 12/11/2010
Document 2 : article de L'Echo
12/11/2010
Annexe 3 : Pages de journaux sur la manifestation de
Gentioux
140
Annexe 4 : Affiche des nuits du 4 août à
Peyrelevade
141
Annexe 5 : Affiche du débat du 2 avril à
Nedde
142
Annexe 6 : Tribune du groupe UMP du Conseil
Régional du Limousin
143
Annexe 7 : Entretien avec Marc Lajara
-Marc, bonjour, on s'est rencontré à un
apéro tchatche. Tu faisais un exposé sur les pratiques de gestion
de la forêt et tu m'as invité à passer à Ambiance
Bois dans le cadre de mon mémoire sur Ambiance Bois dans le cadre de mon
mémoire sur « le pouvoir de la population sur son environnement
». Tout ça c'est pour dire la subjectivité de
l'intervieweur. Et je suis passé à Ambiance bois et tu m'as
invité à [l'assemblée de] « Nature sur un Plateau
». [...]
Pourquoi l'association « Nature sur un Plateau
» s'est crée ?
-Cette association, moi, j'en étais l'instigateur
Pourquoi ? Tout simplement parce que ça me réveille la nuit.
Chacun sa sensibilité dans la vie, certains c'est la musique, d'autres
c'est la géographie ; moi, c'est la forêt. Pas depuis longtemps,
j'ai pas ce profil là. Moi, je suis un néo-rural, je suis
arrivé dans la région il y a 4 ans et quand je suis arrivé
là en me demandant ce que j'allais faire ici, j'ai vu tous ces arbres et
j'ai rien compris. J'ai pas compris comment la forêt pouvait marcher.
Pourquoi tous ces arbres plantés en lignes qui ne ressemblaient plus
à des forêts, pourquoi ces tas de bois qui pourrissaient en bord
de route avec des ronces, mangés. Je me suis dis, merde . · on
fait l'effort de les couper mais on les ramasse pas, pourquoi ? Et le pire, ce
sont ces paysages d'Hiroshima avec ce qu'on appelle ces andains . · ce
sont des pratiques barbares. Arracher des souches du sol . · pour
quelle raison ? Pourquoi les laisser pourrir ensuite ? Elles ne sont pas mieux
dans le sol ? Il y a une vie qui est installée, on détruit tout
ça. Je me suis dis . · il y a un truc que je ne comprends pas ;
donc il faut que je comprenne. Alors je suis retourné à
l'école. A 48 ans, je suis retourné avec les petits jeunes. J'ai
été faire deux BPA . · un BPA sylviculture et un BPA
bucheronnage pour essayer de comprendre les fondamentaux de la forêt. Et
une fois que j'ai compris, s'il y a quelque chose à comprendre ; comment
ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas ici, maintenant il faut le
faire savoir. Moi, ça me blesse tout ce qui se passe autour de nous. Je
suis très inquiet sur la tournure que prennent ces excès de
forêts industrielles et j'ai commencé à en parler autour de
moi. A ma surprise, j'ai découvert qu'il n'y avait pas grand-chose
d'existant et les gens m'encourageaient. « Vas-y, vas-y, fais quelque
chose. Si tu le sens, on fait quelque chose. ». Et moi je l'ai senti parce
que je suis un mec de projet . · j'aime bien mettre des projets en
place, j'aime pas les poursuivre mais j'aime bien les mettre en place, et je me
suis lancé tout seul et...Comment ? J'ai été voir
Télé Millevaches, le média local du Plateau et j'ai
été leur dire . · « Intéressez-vous à
la gestion forestière, intéressez-vous à la certification
forestière . · il y a quelque chose là-dessus. ». Et
j'en n'ai pas dis plus. Clara, qui est une personne qui travaille à
Télé Millevaches a commencé à se mettre sur le
sujet, m'a posé quelques questions au début et puis après
. · plus de questions, elle avançait toute seule et elle a mis
le doigt sur ce qui passe ici, elle en a fait un sujet qui est devenu un cas
d'école ici, local, mais aussi sur le plan national où son sujet
a été relayé un peu partout. A partir de là, il
fallait quelqu'un qui fasse des jonctions à l'écran pour indiquer
ce que les autres ne voulaient pas indiquer, en particulier ce que moi je
considère comme les pratiques des coopératives. Et elle m'a dit
. · « est-ce que tu veux dire ce que personne ne veux dire ?
» Moi j'ai dit ça ne me pose aucun problème, donc je vais te
dire, là, ce que je pense et en quoi les coopératives sont des
acteurs de ce qui se passe ici. Et elle m'a dit « Tu parles à quel
titres ? ». Ben j'ai dit . · à mon nom. Elle m'a dit
. · « Non, non, non, c'est pas bon à ton nom, tu peux
parler à ton nom, il faut mettre un titre en-dessous si tu veux
être crédible. » J'ai dis qu'est-ce que tu veux que je dise.
Elle me dit . · « L'asso' dont tu parles, tu la crées ou tu
la crées pas ? ». J'ai dis je suis un peu faignant mais je vais me
décider à la créer. « Comment elle va s'appeler ?
». Nature sur un Plateau. « Et ben O.K, l'asso' est crée.
Entre toi et moi, on est deux donc c'est une association qui existe. Donc
l'association Nature sur un Plateau, exprime-toi en son nom, tu nous
représentes. ». Et donc j'ai parlé au nom de Nature sur
un
144
Plateau en insistant sur le rôle des
coopératives et à ce moment-là, l'association a pris son
existence et les gens ont commencé à s'intéresser,
à vouloir participer. Ma tête a commencé à
être mise à prix dans la filière bien pensante du Plateau
et ça a pris de l'ampleur. On a fait un certain nombre d'actions
gentillettes mais remarquées. On a remis en cause, je vais insister sur
les mots, l'éco-label PEFC et puis on a démontré
qu'il n'est ni éco, ni label. C'est une marque commerciale au même
titre qu'Interflora. Ici les gens pensaient que ça avaient un statut
très officiel mais ça n'en a aucun. Et on a
démontré que le système était un gigantesque
entonnoir qui peignait en vert tout ce qui passait à proximité.
On a poussé le bouchon jusqu'à faire éco-labelisé
un parking de supermarché et une station service comme étant des
forêts gérées durablement. Donc ça a eu un petit
impact local ici, dans les journaux, à la télé. A partir
de là, c'est un peu malheureux à dire, on a pris nos lettres de
noblesse et on est considéré comme une association qui bouge un
poil et qui remet en question les directions dans lesquelles une certaine
partie de la population ne veut pas être engagée.
-Donc, si j'ai bien compris, l'association c'est pour
que ça change.
-Tout à fait, l'association je considère que
c'est un aiguillon, c'est la mouche du coche. Il y a une filière qui est
en place avec des acteurs, c'est leur métier, ils sont là, ils en
vivent, ils sont impliqués. Et plein plein de gens là-dedans ont
des idées intéressantes. Par contre la filière a, selon
moi, pris une tournure exclusivement industrielle et est entrée dans des
dérives. Donc l'association, elle est là pour insuffler des
idées nouvelles voire un virage. Le risque, c'est d'être trop
distant et d'arriver à une cassure entre la filière et nous,
qu'on soit considérés comme des gens qui sont complètement
à côté, comme des agitateurs, et donc il faut essayer de
maintenir un élastique tendu, parce que c'est la tension qui fera bouger
mais faut pas casser.
-Pour sortir de l'écologie et aller un peu vers
la démocratie, est-ce que toi tu penses que cette association est une
façon d'avoir du pouvoir ?
- Oui, je dirais tout à fait. Et puis quand tu dis
« pour sortir de l'écologie et aller vers la démocratie
» moi je ne suis pas dans l'écologie. Qu'est-ce que c'est qu'un
écologiste ? Je suis pas un écologiste je milite pour une
production de bois. Ou alors je suis un écologiste mais je peux pas
être considéré comme étant juste une frange qui
défend qu'une chose. Moi je défends toutes les fonctions de la
forêt dont la fonction de production. Après, est-ce que c'est une
façon d'avoir du pouvoir . · tout à fait. Et ce pouvoir,
moi, je dirai . · on le revendique. Qu'un propriétaire
décide comme ça s'est fait dans le Parc Naturel, qui n'est pas le
nôtre, du Périgord-Limousin, qu'un propriétaire d'une
plantation de châtaigniers malades décide d'y mettre des
pesticides par hélicoptère, c'est son droit. Qu'il impose
à son voisin de le respirer, est-ce que c'est toujours son droit ? Qu'il
foute en l'air une certification « bio » d'un champ, on est toujours
dans le droit... Moi, je revendique mon pouvoir sur l'air que je respire, sur
l'eau que je bois, sur les paysages, l'endroit où je vis. Et je ne veux
pas vivre dans une usine de production ou dans une mine de bois. Ça, je
ne veux pas. Alors, on se heurte... quelle est la limite de mon pouvoir, quelle
est la limite du pouvoir du propriétaire, quelle est la limite de la
coopérative qui oriente les politiques forestières ici ? On est
dans une lutte de pouvoir. Pas pour dire « je suis le chef » mais
pour dire ce que j'ai pas envie de respirer, ce que j'ai pas envie de
voir.
[...]
-Tu es aussi à Ambiance Bois. J'ai lu le livre
et Ambiance Bois envisage peut-être le pouvoir d'une autre façon
ou ont une autre notion du pouvoir que la hiérarchie institutionnelle,
la subordination que, peut-être, beaucoup de gens associent au mot «
pouvoir ».
-Ouais... alors là si on parle de la
problématique d'Ambiance Bois, je vais te donner mon point de vue... ce
n'est pas le point de vue de l'entreprise. C'est en tant que
1/20ème de
145
l'effectif d'Ambiance Bois. Il y a des règles assez
intéressantes, des règles d'équité
déjà au niveau des salaires. Des règles de bien-être
. · on peut décider en début d'année du nombre
d'heures qu'on va faire dans l'année, du genre de tâches qu'on
veut faire et pas faire et on peut les faire évoluer dans
l'année. On va essayer de faire un mix avec tout ça et y'a pas un
patron qui vienne dire « c'est comme-ci, c'est comme-ça ». Moi
j'ai été patron dans ma vie puisque j'ai toujours monté
mes propres entreprises. J'ai jamais travaillé pour un patron. C'est la
première fois chez Ambiance Bois que je travaille pour un patron mais
qui a 20 têtes. Ce qu'il y a de bien c'est qu'on est tenu de chercher des
solutions à nos problèmes sans qu'elles soient parachutées
d'en haut et sans qu'on puisse dire . · « le patron c'est un con
». si je prends de la sciure dans les yeux quand il y a du vent, dans une
boîte normale on dit « c'est un con le patron, on bouffe de la
sciure ». Ici on se dit qu'est-ce qu'on fait pour pas manger de sciure. Et
les acteurs, c'est nous-mêmes. Ça, j'apprécie. Y'a plus
cette focalisation autour d'un diable et nous on est les bons, lui c'est le
mauvais. Non, là on est tous bons, on est tous mauvais. Ça, c'est
très bine. Ensuite, il ne faut pas se leurrer, le mode de gestion
participative qu'Ambiance bois tente de mettre en place, il n'est pas
idéal non plus. Y'a bien des patrons et qui sont pas les 20 personnes.
Les grandes gueules ont plus de pouvoir que ceux qui se taisent. Et il y a une
majorité de personnes qui se taisent et alors il suffit qu'une grande
gueule mette un véto sur quelque chose... parce qu'on ne vote pas
à main levée chez Ambiance Bois, c'est pas la majorité,
c'est plutôt l'unanimité. Alors c'est un peu paralysant, ou un peu
lent, néanmoins, on se fait pas infuser un suppositoire dont on n'a pas
envie. mais quelqu'un qui est capable d'être orateur peut faire en sorte
de passer ces idées plus que quelqu'un qui se tait. Alors il y a cette
limite-là. Et puis ensuite on se rend compte qu'il y a un pouvoir
historique. Les gens qui ont crée l'entreprise il y a 25 ans ont plus de
pouvoir que des gens qui sont là depuis quelques mois ou quelques
années. Il y a un respect dû aux anciens, ou dû au travail
qui a été fait. Ce qui fait qu'il y a quand même un pouvoir
différent selon les gens. Je sais pas si ça pourrait être
dupliqué à une collectivité comme un pays mais il y a
quand même des bonnes choses à prendre à
l'intérieur.
-Je vais finir par les dernières
choses que tu m'as dites et rebondir par là. Parce que moi, c'est un peu
pour ça que je fais le mémoire aussi : penser avoir du pouvoir,
c'est une façon d'en avoir, je pense. Tu me dis qu'il y a des grandes
gueules, qu'il y a qui se taisent et peut-être que ceux qui se taisent,
ils pensent que, eux, ils n'ont pas de pouvoir et du fait que, eux, ils sont
timides ou qu'ils pensent avoir moins de connaissances parce qu'ils pensent
avoir moins de connaissances peut-être, il y a un pouvoir qu'ils ne
prennent pas ou qu'ils n'osent pas prendre parce que, intérieurement
qu'ils n'en ont pas.
-Je suis d'accord avec ça. Il y a des causes que
j'ai identifiées sur cette non prise de pouvoir. déjà, la
lassitude. Quand t'as essayé de faire bouger les choses un certain
nombre de fois et que tu as une inertie en face de toi qui ramène la
situation toujours au même endroit, au bout d'un moment tu dis
. · « je ne m'excite plus sur le sujet et je laisse tomber ».
Donc ton pouvoir, tu le prends et tu le mets dans la boite à gants. Donc
là, tu abandonnes volontairement ton pouvoir parce
l'expérimentation de ton pouvoir n'a pas amené à son
exercice. Et là tu dis, ça n'avance pas, ça ne serre
à rien, mon pouvoir n'est pas effectif, ce n'est qu'un leurre. Et je ne
veux même plus cautionner. Ça ressemble au vote blanc dans des
élections. A quoi ça sert de voter pour un mec en qui j'ai pas
confiance ou qui va avoir des belles promesses et qui va pas les tenir
. · donc je ne vote plus. ça, ça peut ressembler au vote
blanc . · le fait d'être passif. Après, ce groupe, chez
Ambiance Bois, il y a une courbe de Gauss. Il y a une partie importante de gens
qui se taisent, des extrêmes dans un sens, des extrêmes dans
l'autre. Le pouvoir, il est probablement dans la partie centrale et moi
j'essaie, et d'autres personnes essaient de réveiller cette partie qui
dort en disant . · « vous avez le pouvoir. Vous cherchez quoi ?
Vous cherchez un patron, vous cherchez quelqu'un qui nous guide ? La
réponse est
146
peut-être oui, hein, y'a peut-être des gens
qui ont besoin d'un guide, des gens qui se sentent pas sûrs
d'eux-mêmes ou qui disent : « oh, moi je suis capable de faire une
tâche mais j'ai pas envie de la penser ». Il y en a qui se sentent
à l'aise avec la remise en question et d'autres qui
préfèrent suivre et je dirais que chacun a sa place. Il y a pas
des rôles glorieux et d'autres qui ne le sont pas. Donc je crois qu'il y
a une répartition qui se fait avec des leaders, qui peuvent être
des leaders charismatiques, des leaders d'idées. Il faut mettre de
l'énergie. Prendre du pouvoir c'est tirer la charrue ; il suffit pas
d'ouvrir sa gueule et d'attendre que ça se passe. Et je dirais qu'il y a
de tout, tous les profils. Mais dans une boite comme Ambiance Bois, il faut
faire en sorte que les gens s'expriment, il faut aussi aller les voir. Parfois
les gens peuvent s'exprimer mais pas devant témoins. Il peut y avoir des
tensions entre 2 personnes qui font que « s'il est là, je ne parle
pas »... ya un panel d'exercice de pouvoir qui est assez
intéressant et qui représente peut-être la
société. Mais moi j'en tire pas de conclusion, je suis pas un pro
du pouvoir. Par contre, il y a des choses qui ont été
remarquables chez Ambiance Bois, c'est que j'ai pas vu de lutte de pouvoir
comme je peux en voir dans d'autres entreprises ou dans d'autres ensembles
économiques. C'est-à-dire que les peaux de bananes, du style
« Oh, là il est en situation de faiblesse, je lui mets la
tête sous l'eau et je reprends le pouvoir ou alors, je le
discrédite en me foutant de sa gueule ou alors je vais lui faire perdre
son pouvoir » : ça c'est pas des façons explicites chez
Ambiance Bois. On respecte les personnes et ça c'est vraiment quelque
chose qui est bien, on n'essaie pas de les affaiblir. On peut essayer de se
renforcer mais on n'essaie pas d'affaiblir l'autre. Y'a pas de lutte d'homme
à homme pour dire j'ai raison et t'as tort. Plein de gens disent :
« voilà moi je prône pour ça mais si tu me convaincs
du contraire, je suis prêt à t'écouter ».
-D'accord. Alors, je reviens un peu sur l'impact sur
l'environnement. Ambiance Bois, ça a quand même eu un dynamisme
sur le niveau communal et plus peut-être, extra-communal : le plateau de
Millevaches. C'est devenu assez connu. J'ai vu qu'il y a beaucoup de jeunes qui
viennent en stage ou qui viennent t'interviewer comme moi pour faire un
mémoire, ou des journalistes donc il y a peut-être une influence,
un pouvoir qui a changé d'échelle.
-Tout à fait. Il y a de temps en temps quelqu'un de
chez nous qui va monter [à Paris]... il y a eu des conférences
faites dans des écoles, à Lille, à Paris où des
gens viennent dire « expliquez-nous comment ça fonctionne chez vous
? ». Mon point de vue, c'est que, si le monde a besoin de changement, le
seul changement qu'on puisse faire c'est le changement de sa petite bulle
propre. Et le joue où, un certain nombre de personnes changent leurs
petites bulles et que ces bulles rentrent en communication, on a changé
la couleur de la planète. Quand on regarde l'océan, on se dit
c'est immense. Si toutes les gouttes d'eau font chacune leur petit boulot, je
pense que ça peut changer. Et je dirai qu'à ce titre, Ambiance
Bois fait son bouleau qui prend un peu d'ampleur. C'est une
pépinière, elle sème des graines et elles germent chez
d'autres personnes et je pense que c'est la seule chose qu'on puisse faire. Si
le monde doit changer par une évolution des comportements individuels,
par le respect que je peux porter à l'autre et à mon
environnement au passage. Alors, je m'occupe de ma crèmerie et si tout
le monde fait ça, alors ça change. Je suis pas certain que
ça se passera au niveau du gouvernement ou d'une espèce
d'entité qui sera au-dessus de nous et qui va changer un jour. J'y crois
pas, y'a trop d'intérêts en jeu. Par contre, moi, je peux
décider de changer mon environnement et je le fais. Ambiance Bois change
son environnement et le fait. Et quand la ComCom change son environnement et le
fait, on continue. Et un jour tout ça, ça se joindra. Je pense
que c'est là qu'est le pouvoir.
Extraits de l'enregistrement fait le 24/03/2012 de Marc
Lajara, habitant du Plateau.
147
Annexe 8 : Liste de plusieurs collectifs sociaux du
Plateau de Millevaches
Ambiance bois. SAPO crée en 1988. Location : La
fermerie (Faux-la-Montagne). Scierie qui fait connaître son mode de
fonctionnement « horizontal », l'égalité salariale, la
rotation des tâches (par l'accueil de stagiaires notamment). Appartient
à « De fil en réseau ».
Atout Bois. Menuiserie collective crée en 1992.
Location : Lachaud (Gentioux). Lieu de ressources pour travailler le bois. Mise
à disposition de machines, de savoir-faire.
ARBAN. SCIC crée en 2008. Location :
Faux-la-Montagne. Promeut l'éco-habitat, la mise a disposition du
foncier pour des habitants.
Cesam-Oxalis. SCOP crée en 2006. Location :
Eymoutiers. Accompagne les porteurs de projets sur le territoire, apprend
à mutualiser les fonctions de l'entreprise et communique sur son
fonctionnement « horizontal ». Appartient à « De fil en
réseau ».
Contrechamps. Association crée en 2000. Location :
Trasrieux (Saint-Julien-le-Petit). Créer une nouvelle ruralité.
Propose une programmation culturelle : documentaires, animations... Sont
à deux pas du GAEC « Champs Libres » en agriculture
biologique et biodynamique dont ils partagent l'éthique. Le GAEC
possède un site sur Saint-Julien-le-Petit en Haute-Vienne et un en
Creuse sur Saint-Martin-Château. Appartient à « De fil en
réseau ».
Contrôle A. Association de loi 1901. Location :
Royère, au bar « l'Atelier ». Mise à disposition de
matériel informatique, d'Internet, pour les habitants.
Le Champ des possibles. GAEC (de la fève). Location
: Lachaud (Gentioux). Font de l'agriculture biologique et de l'éducation
à l'environnement. Expérimente des techniques écologiques.
Présence d'une antenne CNRS.
EDDEN. Association de loi 1901 crée en 2008.
Location : Lauzat (Nedde). Organise des débats. Promeut la participation
citoyenne aux enjeux locaux.
Emile a une vache. Association de loi 1901 crée en
2004. Location : Royère. S'occupe des manifestations, en grande partie
culturelles, de l'organisation de débats, au bar « l'Atelier »
de Royère.
Energies pour demain. Association de loi 1901 crée
en 2006. Location : Peyrelevade. Promeut les économies d'énergie
et les énergies renouvelables. Organise un festival annuel autour des
éoliennes.
Ferme des Nautas. GAEC. Location : Pigerolles. Font de
l'agriculture biologique et des porcs culs-noirs (race rustique).
Possèdent leur atelier de transformation de la viande.
Le monde allant vers.... Association de loi 1901
crée en 2002. Location : Eymoutiers. Ressourcerie. Recyclage ou remise
en l'état d'objets inutilisés. Possède son pendant
à Felletin : Court-circuit.
148
La Loutre par les cornes. Association crée en
2009. Location : Les salles (Gentioux). S'affiche libertaire. Organise des
évènements culturels aux Salles, débats, rencontres,
rassemblement de la communauté de voisins.
Mémoire à vif. Association de loi 1901
crée en 2001. Location : La Villedieu. A portée nationale.
Soutenir les résistances aux obligations guerrières et s'opposer
à la répression de ceux qui refusent de participer aux
guerres.
Nature sur un Plateau. Association de loi 1901
crée en 2011. Location : La Villedieu. Proposer une gestion
forestière supportable pour les sols et le territoire. Voir annexe
précédente.
La Navette. SCOP crée en 2007. Location :
Faux-la-Montagne. Agence de rédaction spécialisée dans
l'économie sociale et solidaire.
Pain levé. Collectif-communauté et
association de loi 1901. Location : Bellevue (Faux-la Montagne). Fabrication de
pain pour chacun. Relai pour la fabrication, distribution aux adhérents,
échange de pain contre autres denrées. Ventes
éventuelles.
Pays'Sage. Association de loi 1901 crée en 1989.
Location : Flayat. Programme des apéro-débats et des concerts sur
le plateau de Millevaches en hiver. La sonorisation et l'éclairage des
« bistrots d'hiver » se fait par l'intermédiaire de la SCOP
« Local Technique ».
Plateaux Limousins. Association crée en 1974.
Location : Le Villard (Royère). Accueille de personnes aux revenus
modestes, organise des évènements autour sur les thèmes de
l'écologie, de l'autogestion. Au départ chrétienne
(présence d'un bâtiment-chapelle), l'association s'est
laïcisé. Appartient à « De fil en réseau
».
Pivoine. Association de loi 1901 crée en 2005.
Location : Faux-la-Montagne. Soutien des projets atypiques. Organise des
formations. Appartient à « De fil en Réseau ».
Refuge des résistances. Association de loi 1901
crée en 2008. Location : Peyrelevade. A portée nationale. Soutien
à la création artistique engagée, originale,
décalée, novatrice. S'affiche libertaire.
Solidarité Millevaches. Association de loi 1901
crée en 1998. Location : Bugeat. Aide les personnes en
difficulté, ouvre périodiquement une épicerie où
les produits sont moins chers, soutien des initiatives de personnes en
difficultés. Appartient à « De fil en réseau
».
149
Annexe 9 : Articles du code de l'environnement
Livre Ier : Dispositions communes
Titre II : Information et participation des citoyens
Chapitre Ier : Participation du public à
l'élaboration des projets d'aménagement ou d'équipement
ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du
territoire
Section 1 : Missions de la Commission nationale du
débat public. Champ d'application et objet du débat public
Article L121-1
Modifié par LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 - art.
246
La Commission nationale du débat public, autorité
administrative indépendante, est chargée de veiller au respect de
la participation du public au processus d'élaboration des projets
d'aménagement ou d'équipement d'intérêt national de
l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements
publics et des personnes privées, relevant de catégories
d'opérations dont la liste est fixée par décret en Conseil
d'Etat, dès lors qu'ils présentent de forts enjeux
socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l'environnement
ou l'aménagement du territoire.
La participation du public peut prendre la forme d'un
débat public. Celui-ci porte sur l'opportunité, les objectifs et
les caractéristiques principales du projet. Il porte aussi sur les
modalités d'information et de participation du public après le
débat.
La participation du public est assurée pendant toute la
phase d'élaboration d'un projet, depuis l'engagement des études
préliminaires jusqu'à la clôture de l'enquête
publique réalisée en application des dispositions du chapitre III
du titre II du livre Ier du présent code ou du chapitre Ier du titre Ier
du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
En outre, la Commission nationale du débat public veille
au respect de bonnes conditions d'information du public durant la phase de
réalisation des projets dont elle a été saisie
jusqu'à la réception des équipements et travaux.
Elle conseille à leur demande les autorités
compétentes et tout maître d'ouvrage sur toute question relative
à la concertation avec le public tout au long de l'élaboration
d'un projet.
La Commission nationale du débat public a également
pour mission d'émettre tous avis et recommandations à
caractère général ou méthodologique de nature
à favoriser et développer la concertation avec le public.
La Commission nationale du débat public et les commissions
particulières ne se prononcent pas sur le fond des projets qui leur sont
soumis.
150
Chapitre IV : Droit d'accès à l'information
relative à l'environnement
Article L124-3
Modifié par Loi n°2005-1319 du 26 octobre 2005 - art.
2 JORF 27 octobre 2005
Toute personne qui en fait la demande reçoit communication
des informations relatives à l'environnement détenues par :
1° L'Etat, les collectivités territoriales et leurs
groupements, les établissements publics ;
2° Les personnes chargées d'une mission de service
public en rapport avec l'environnement, dans la mesure où ces
informations concernent l'exercice de cette mission.
Les organismes ou institutions agissant dans l'exercice de
pouvoirs juridictionnels ou législatifs ne sont pas soumis aux
dispositions du présent chapitre.
Titre IV : Associations de protection de l'environnement
et collectivités territoriales Chapitre II : Action en justice
des associations et des collectivités territoriales
Article L142-2
Modifié par LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 - art.
229
Les associations agréées mentionnées
à l'article L. 141-21 peuvent exercer les droits reconnus
à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un
préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs
qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux
dispositions législatives relatives à la protection de la nature
et de l'environnement, à l'amélioration du cadre de vie, à
la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, à
l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les
nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection, les
pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature
à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent
des indications environnementales ainsi qu'aux textes pris pour leur
application.
Ce droit est également reconnu, sous les mêmes
conditions, aux associations régulièrement
déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits et
qui se proposent, par leurs statuts, la sauvegarde de tout ou partie des
intérêts visés à l'article L. 211-1, en ce qui
concerne les faits constituant une infraction aux dispositions relatives
à l'eau, ou des intérêts visés à l'article L.
511-1, en ce qui concerne les faits constituant une infraction aux dispositions
relatives aux installations classées.
1 Lorsqu'elles exercent leurs activités depuis
au moins trois ans, les associations régulièrement
déclarées et exerçant leurs activités statutaires
dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune
sauvage, de l'amélioration du cadre de vie, de la protection de l'eau,
de l'air, des sols, des sites et paysages, de l'urbanisme, ou ayant pour objet
la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d'une manière
générale, oeuvrant principalement pour la protection de
l'environnement, peuvent faire l'objet d'un agrément motivé de
l'autorité administrative. (L. 141-1)
Les associations de protection de l'environnement
agréées au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les associations
mentionnées à l'article L. 433-2 sont appelées, dans le
cadre des lois et règlements en vigueur, à participer à
l'action des organismes publics concernant l'environnement. (L. 141-2)
151
Annexe 10 : Questionnaire sur la connaissance du plateau
de Millevaches chez les non-habitants et résultats du
questionnaire
Questionnaire
Sexe : M F Age : .
Commune de résidence (département) :
1) Etes-vous déjà allé sur le plateau de
Millevaches ? Oui Non
Sinon, connaissez-vous (de nom) le plateau de Millevaches ? Oui
Non
Sinon, connaissez-vous (cocher le lieu si connu) : Felletin
Meymac
Faux-la-Montagne Vassivière Tarnac
Si le plateau de Millevaches est au moins connu :
2) A quoi vous fait d'abord penser le plateau de
Millevaches ? (donner les catégories si hésitation ; ne cocher
qu'une case)
Si déjà allé sur le plateau de
Millevaches :
3) Trouvez-vous que le plateau de Millevaches est un bel endroit
? Oui Non
Pourquoi ? :
4) Aimeriez-vous habiter sur le plateau de Millevaches ? Oui
Non
Pourquoi ?
Résultats
161 habitants de Paris interrogés dont 72 connaissent
le Plateau et 71 habitants de la Creuse interrogés dont 70 connaissent
le Plateau
Sur la question 4 :
voudraient habiter le Plateau oui non
parisiens 0/18 1/18
cause : isolement 33%
cause : manque service 17%
cause : préfère la ville 22%
creusois 13/51 30/51
cause : isolement 30% 37%
cause : manque service 3%
cause : préfère la ville 3%
Tableau R6 : envie d'habiter le Plateau
152
Parisiens interrogés
total 161
dont
connaissent le Plateau 44,70%
sont allés sur le Plateau 11,80%
ne connaissent aucun site 30,40%
Et parmi ceux qui ne connaissent pas, Seuls deux sites
apparaissent :
Tarnac 40 fois
Vassivière 9 fois
Tableau R1 : connaissance des parisiens Pour les parisiens
évocation sont allés sur le Plateau
parisiens <40ans >40ans non oui
culture alternative 27,3% 16,0% 92,8% 7,2%
éléments naturels 13,6% 46,0% 65,4% 34,6%
coin perdu 18,2% 6,0% 57,1% 42,9%
bâti 0,0% 2,0% 100,0% 0,0%
autres 40,9% 30,0% 75,0% 25,0%
total 22 = 100% 50 = 100% 73,6% 26,4%
creusois <40ans >40ans
culture alternative 10,3% 5,0%
éléments naturels 51,7% 37,5%
coin perdu 6,9% 25,0%
bâti 0,0% 2,5%
autres 31,0% 30,0%
total 29 = 100% 40=100%
Tableau R7 : évocation selon l'âge et selon le
fait d'être allé sur la plateau pour les parisiens
plateau connu <40ans >40ans
non 55,80% 12,10%
oui 44,20% 87,90%
total 52 58
Tableau R2 : connaissance selon l'âge
Sur la question 2 :
Ce qu'évoque le Plateau aux parisiens
total 72
dont
culture alternative 19,40%
éléments naturels 36,10%
coin perdu 9,70%
bâti 1,30%
Tableau R3 : évocations des parisiens
Sur la question 2 :
Ce qu'évoque le Plateau aux creusois
Total 70
dont
culture alternative 7,10%
éléments naturels 42,80%
coin perdu 17,10%
bâti 1,40%
Tableau R4 : évocations des creusois
Sur la question 3 :
trouvent le Plateau beau
pour la nature
pour l'espace
Parisiens 16/18 50% 6%
Creusois 43/51 30% 12%
Tableau R5 : sensation de beauté
153
Bibliographie
Ouvrages généraux
-GEORGE P. et VERGER F. 2000 (7ème
édition), Dictionnaire de la géographie, Paris, PUF,
502p.
-LEVY J. et LUSSAULT M. 2003, Dictionnaire de la
géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin,
1034p.
-BERQUE A. 1995, Les raisons du paysage, Paris, Hazan,
190p.
-DUMONT G-F. 2007, Les lois de la
géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 498p.
-PASCAL B. 1954, Pensées, dans OEuvres
complètes, Paris, Gallimard, 1954, pp 1079-1358.
-TROCHET J-R, 1998, Géographie historique,
Paris, Nathan, 254p.
Ouvrages axés sur l'Environnement
-ATKINSON A. 1991, Principles of political ecology,
London, Belhaven Press, 254p. -ARNOULD P. et SIMON L. 2007,
Géographie de l'environnement. Paris, Belin, 303p.
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forestières sur le
fonctionnement biogéochimique et la
végétation de sols acides, Thèse Nancy-I (dir.
J.Ranger), 276p.
http://www.scd.uhp-nancy.fr/docnum/SCD
T 1999 0235 AUGUSTO.pdf consulté en 2012
-BAUDRY J. et BUREL F. 1999, Ecologie du paysage, Paris,
PUF, 360p.
-BIRNBACHER D. 2001, « Existe-t-il des valeurs universelles
vis-à-vis de l'environnement ? », Géographie et cultures
n°37, pp 23-35.
-BOUTRAIS J. et JUHE-BEAULETON D. 2005, Nouvelles lectures
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dans les Suds. Des conflits fonciers à la valorisation des savoirs
locaux. Paris, IRD, collection « Colloques et séminaires
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conceptuelle », Géographie et cultures n°37, pp
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durable », Débat n°156, Paris, Gallimard, pp
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-LEPART J. et MARTY P. 2009, « Sortir des espaces
protégés pour conserver la biodiversité. »,
Géographies et cultures n°69, pp 11-24.
-LÜGINBUHL Y. 1981, thèse Paris 1, Sens et
sensibilité du paysage - tome 1 : le paysage et son sens, 180p.
-RECLUS E. 2002, Du sentiment de la nature dans les
sociétés modernes : et autres textes, Charenton,
Premières pierres, 210p.
-SAUER C.1956, « The agency of man on the Earth » in
Man's role in changing the face of the Earth, Chicago, ed. William
Thomas, pp. 49-69.
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York, The Viking press, pp 259-572.
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-AGAMBEN G. 2006, La puissance de la
pensée, Paris, Payot & Rivages, 350p.
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partie. Livres III-IV, Paris, Gallimard, 334p.
-BACQUE
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démocratie participative : histoire et généalogie,
paris, La découverte, 288p.
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édition), Du contre-pouvoir, Paris, La Découverte,
168p.
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Agone, 488p.
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L'insurrection qui vient, Paris, La fabrique, 140p.
-FOUCAULT M. 1994, Dits et écrits, tome IV,
Paris, Gallimard, 896p.
-FREMONT A. 1999 (2ème édition), La
région Espace vécu, Paris, Flamarrion, 288p.
-GERTEL F. 2003, « Identité, globalisation et culture
locale : Evaluation critique du projet UNESCO-MAB « Malshegu Sacred Grove
» au nord du Ghana », Géographie et culture
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-LASCOUMES P. 1994, L'éco-pouvoir, Paris, La
découverte, 318p.
-LEQUIN M. 2001, Ecotourisme et gouvernance participative,
Sainte-Foy(Québec), Presses de l'Université de
Québec, 234p.
-MERMET L., BERLAN-DARQUE M. (dir.), 2009, Environnement :
décider autrement. Nouvelles pratiques et nouveaux enjeux de la
concertation volume I, Paris, l'Harmattan, 222p.
155
-ROUSSEAU J-J. 2001, Du contrat social, Paris,
Flammarion, 180p.
-SUBRA P. 2003, « A quoi sert le débat public ?
», Hérodote n°110, La découverte,
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- THOREAU H. 1947, Civil Disobedience, in The
portable Thoreau, New York, The Viking Press, pp 109-137.
-YOUNG I. M. 2011, «La démocratie participative
à l'épreuve du militantisme», Raisons politiques
n°42, Paris, presses de Science Po, pp 131-158.
Ouvrages sur le territoire du plateau de Millevaches
-BERGOUNIOUX P. 1995, Miette, Paris, Gallimard, 150p.
-BERGOUNIOUX P. 2001, Un peu de bleu dans le paysage,
Lagarce, Verdier, 106p. -BEYNEL C., 1998, Forêt et
société de la montagne limousine, Limoges, PULIM, 532p.
-BONNAUD A. 1998, Thèse Paris VIII (dir.Y. Prats)
Autonomie locale et développement de quatre plateaux dans le massif
central : les monts de Lacune, le Millevaches, l'Aubrac, le Larzac,
476p.
-BOSWELL L. 2004, « La petite propriété fait
le communisme (Limousin, Dordogne) », Etudes rurales juill-dec 2004
171-172, pp 73-82.
-BOUDY P., CAUNET J-M., VIGNAUD J-F. 2009,
Mémòria de l'aiga. Enquête ethnolinguistique sur l'eau
en montagne limousine, Doublevébé Récup, 50p.
-DELERON S., LULEK M., PINEAU G. 2006, Télé
Millevaches. La télévision...qui se mêle de ceux qui la
regardent, Valence, REPAS, 144p.
-GUILLABOT M. 2008, Thèse Limoges (dir. B. Valadas),
Forêt privée et développement durable des territoires
ruraux, Lille, Atelier national de reproduction des thèses,
354p.
-LE FLOCH S. 2008, « L'espace, une propriété
des projets collectifs locaux : un exemple sur le plateau de Millevaches
», Espaces et sociétés 2008/1-2, n° 132, pp.
179-192.
-LULEK M. 2009, Scions...travaillait autrement. Ambiance
Bois, l'aventure d'un collectif autogéré, Valence, REPAS,
174p.
-NASR T. 2005, Thèse Muséum d'histoire naturelle de
Paris (dir. R. Larrère), Perception et appréciation du
paysage forestier. Le cas du plateau de Millevaches, 342p.
-PRESSICAUD J-F. 1980, mémoire de maîtrise Toulouse
le Mirail et Limoges, Les néo-ruraux dans le nord de la montagne
limousine : un facteur de revitalisation d'un pays dominé ?,
112p.
156
-SOUMY J-G. 2003, La tempête, Paris, Robert
Laffont, 284 p.
-STAMM A. 1983, L'échange et l'honneur. Une
société rurale en Haute-Corrèze, Limoges, S.E.L.M,
322p.
-TERRACOL P. 2009, Thèse Paris I (dir.Y. Lüginbuhl)
Le paysage, vecteur d'hybridation économique et culturelle d'un
territoire : le plateau de Millevaches, Lille, Atelier national de
reproduction des thèses, 436p.
-VAZEILLES M. 1931, Mise en valeur du Plateau de Millevaches,
Ussel, G. Eyboulet et fils, 272p.
Film
-VINOUR P. 2000, Millevaches [Expérience], Les
enragés, 10 min.
Emission de radio
France Culture : Terre à terre par Ruth Stegassy -
11/06/2011 - 7h05
http://www.franceculture.fr/emission-terre-a-terre-faux-la-montagne-2011-06-11.html
Nombreux articles dans
La Montagne (édition Creuse ou Tulle) IPNS
Télé Millevaches
Site web
Par des soutiens aux inculpés de Tarnac
http://nopasaran.samizdat.net/spip.php?article1652
(janvier-fevrier 2009) consulté en 2012
Autres ouvrages
-CHEVALIER B. 2008, Crimes en Creuse et ailleurs.
Deuxième partie : 1900-1973, Neuvic-Entier, Le Veytizou, 141p.
-ZORILLA C. 2009, Protegiendo a su Comunidad contra las
Empresas Mineras y otras Industrias Extractivas. Una Guía para
promotores/Activistas Comunitarios. Global Response, 40p.
-Le monde diplomatique octobre 2011, supplément
Aubagne.
-Rouge Midi : une mission dans les vallées de l'Intag
(19/05, 09/06, 05/07 2008)
157
Table des matières
Sommaire . p.5
Introduction p.7
Le sujet p.8
Méthodologie et plan p.15
I - Les marqueurs spatiaux du pouvoir p.21
1 - Le territoire abordé p.21
1.1 - Un territoire nommé p.21
1.2 - Un territoire attendu (les préjugés et les
mythes derrière le nom) p.23
1.3 - Un territoire aménagé p.26
2 - L'environnement : indicateur des pouvoirs p.27
2.1 - La composition du paysage . p.27
Les forêts : essentiellement des plantations de
résineux p.33
Les prés, les landes et les tourbières
p.37
2.2 - Les maisons, le patrimoine bâti et historique
p.40
Les maisons p.40
Le petit patrimoine historique p.44
Quand l'histoire glorifie le pouvoir de résister et de
refuser la
guerre p.46
2.3 - Un pouvoir d'habitants indépendants à travers
le marquage
culturel p.48
2.4 - Les cassures dans le paysage p.52
Conclusion sur les marqueurs spatiaux du pouvoir . p.55
2.5 - Tranches de vie sur le Plateau . p.55
II - Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux p.59
1 - L'approche de la population .. p.59
1.1 - Mes choix méthodologiques p.59
1.2 - Caractéristiques de la population p.62
2 - Les acteurs : relations, perceptions du pouvoir et actions
sur
l'environnement p.65
2.1 - Les acteurs institutionnels p.66
2.2 - Les associations et autres collectifs . p.72
2.3 - Le reste des habitants p.79
2.4 - Bilan des relations p.83
3 - Différents leviers de pouvoir de la population sur le
plateau de Millevaches p.83
3.1 - La propriété .. p.83
3.2 - La communauté : le lien entre les habitants .
p.85
3.3 - La culture, l'influence et l'expression . p.87
L'influence . p.87
L'expression p.88
Connaissances, reconnaissance . p.89
3.4 - Le mode de vie p.90
3.5 - La perception du pouvoir p.92
3.6 - Le non-usage du pouvoir p.94
Conclusion sur les leviers de pouvoir utilisés sur le
Plateau p.94
III - Au-delà du Plateau. Des leviers de pouvoir en
débat p.99
1 - D'autres delà. Des comparaisons avec le plateau de
Millevaches sur
le pouvoir des habitants
p.99
1.1 - La vallée de l'Intag en Equateur . p.99 1.2 -
Aubagne, Larzac, Aubrac, Périgord, Afrique tropicale, Forez et
Nambikwara p.102
2 - Le pouvoir comme question d'organisation de la
démocratie et question
d'échelle p.106
2.1 - Formes de démocraties p.107
2.2 - Le franchissement des échelles p.110
3 - Débats sur le pouvoir des habitants . p.111
3.1 - La place de la science p.112
3.2 - Le pouvoir de l'autorité p.115
3.3 - Pouvoir et position de pouvoir .. p.117
3.4 - Le pouvoir de ne pas pouvoir p.119
3.5 - L'identité, passager du pouvoir ? p.120
Conclusion au chapitre : des leviers de pouvoir à
l'épreuve de l'échelle p.122
...
158
Conclusion . p.125
Annexes . p.133
Bibliographie . p.153
Table des matières p.157
Table des cartes p.159
Table des tableaux, schémas et graphique .. p.159
Table des dessin et peintures p.160
Table des photos p.160
159
Table des cartes
Carte 1 : Carte de repérage du plateau de
Millevaches p.4
Carte 2 : Situation du PNR Millevaches en France .
p.4
Carte 3 : Situation des communes témoins .
p.4
Carte 4 : Situation de l'unité paysagère
« plateau de Millevaches p.4
Carte 5 : Occupation des sols du PNR Millevaches en
Limousin p.29
Carte 6 : Occupations des sols des communes
témoins p.29
Carte 7 : Part des résineux dans l'espace
boisé p.33
Carte 8 : Part des effestifs de l'économie sociale
et solidaire par zones en Limousin... p.73
Carte 9 : Localisation des sièges des membres de
« De Fil en réseau » p.73
Carte 10 : Quelques lieux alternatifs de culture et lieux
de pouvoir collectivisé p.91
Carte 11A et 11B : A : Régions de l'Equateur et B :
Cantons de la région Imbabura p.99
Table des tableaux, schémas et
graphique
Tableau 1 : Composition des sommets dépassant 800
mètres d'altitude . p.32
Tableau 2 : Part des résidences principales sur les
communes témoins . p.42
Tableau 3 : Densités de population des communes
témoins p.62
Tableau 4 : Résultats du 1er tour
des élections régionales de 2010 p.64
Schéma 1 : Relation simples entre acteurs
p.66
Schéma 2 : Relation doubles entre acteurs
p.66
Graphique 1 : Part des diverses activités
agricoles p.38
160
Table des dessins et peintures
Dessin 1 : Panorama depuis le mont Bessou p.31
Dessin 2 : Panorama depuis le mont Audouze p.31
Peinture 1 : Vue de Rempnat, huile sur toile,
Maryse Dupont p.27
Peinture 2 : Fasenat, pastel sur toile, Remy
Feinte p.41
Table des photos
Photo 1 : Plantation résineuse (02/2012) p.35
Photo 2 : Désouchage après coupe rase
(02/2102) p.35
Photo 3 : Nouvelle plantation derrière coupe rase
(02/2012) p.35
Photo 4 : Tourbière du Longeyroux (03/2012)
p.38
Photo 5 : Maison joints brossés (03/2012) p.41
Photo 6 : Maison joints de fer (02/2012) p.41
Photo 7 : Le facteur n'est pas passé (03/2012)
p.41
Photo 8 : Tombe sculptée à Gentioux
(03/2012) p.45
Photo 9 : Pont-planche de la Gane (Faux) (03/2012) ..
p.45
Photo 10 : Croix à Villemoneix (Gentioux) (03/2012)
p.45
Photo 11 : Plaque à La Villedieu (03/2012) .
p.47
Photo 12 : Croix blanche vers Neuvialle (03/2012) .
p.47
Photo 13 : Monument aux morts de Gentioux p.47
Photo 14 : Panneau routier du PNR (02/2012) . p.50
Photo 15 : Transformateur électrique (03/2012) .
p.50
Photo 16 : Chaumières à Variéras
(03/2012) . p.54
Toutes les photos sont des clichés personnels hormis
la photo 13 Source Photo 13 :
la-feuille-de-chou.fr
consulté en avril 2012
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