U.F.R. 01 DROIT ADMINISTRATION ET SECTEURS
PUBLICS MASTER II DROIT DU NUMERIQUE Administration -
Entreprises Directeur du Master: Monsieur le professeur Georges
CHATILLON
«LICENCE GLOBALE » :
REEXAMEN D'UNE SOLUTION FRANCAISE
ABANDONNEE EN DROIT FRANÇAIS
Sous la direction de Monsieur Thomas
SAINT-AUBIN
Année universitaire 2009 /
2010 Mémoire soutenu par Guillaume Lhuillier en vue de l'obtention du
Master Édition revue et corrigée en 2011
Jury présidé par Madame Irène
BOUHADANA, Maître de conférences
Jury composé de Madame Irène
BOUHADANA, Maître de conférences et Monsieur Thomas
SAINT-AUBIN, Directeur du mémoire
« Sinon, reprit-il, ils passeront leur vie à
faire un grand nombre de pareils règlements et à les
réformer, s'imaginant qu'ils mettront la main sur le meilleur.
- Tu veux dire qu'ils vivront comme ces malades que
l'intempérance empêche de quitter un mauvais
régime.
- Parfaitement. Certes, ces gens-là passent leur
temps, de façon charmante : se soignant, ils n'aboutissent à
rien, sauf à compliquer et aggraver leurs maladies. »
Platon, La République, IV,
425b
- SOMMAIRE -
Je souhaite tout naturellement remercier très
chaleureusement mon directeur de mémoire, Monsieur Thomas Saint-Aubin,
qui fut également mon maître de stage, pour avoir accepté,
premièrement, de me diriger sur cette si belle entreprise et,
deuxièmement, pour m'avoir donné goût, à travers ses
cours dispensés pendant l'année universitaire, à ce droit
si particulier et au final si passionnant qu'est le droit de la
propriété intellectuelle.
Je lui transmets pour l'occasion toute mon amitié, mon
estime et ma reconnaissance.
Je tiens également à remercier Monsieur le
professeur Georges Chatillon pour m'avoir fait l'honneur de me choisir comme
étudiant dans le Master 2 « Droit du Numérique » pour
l'année 2009/2010 et permis de suivre tous ces enseignements fort
enrichissants.
- LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS -
ARMT : Autorité de Régulation des
Mesures Techniques
Art. : article
CA : Cour d'Appel
Cass. : Cour de cassation
CE : Conseil d'Etat
Cf. : conferre
Ch. crim. : chambre criminelle
CJCE : Cour de Justice des Communautés
Européennes
CNIL : Commission Nationale de l'Informatique et
des Libertés CPI : Code de la Propriété
Intellectuelle
DADVSI : Droit d'Auteur et Droits Voisins dans
la Société de l'Information Etc. : et cetera
desunt
HADOPI : Haute Autorité pour la Diffusion
des OEuvres et la protection des droits sur Internet
Ibid. : ibidem
Infra : ci-dessous
INPI : Institut National de la
Propriété Industrielle no : numéro
OMPI : Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle p. : page
Sect. : section du contentieux
Supra : ci-dessus
TGI : Tribunal de Grande Instance
INTRODUCTION 6
TITRE PREMIER - LA LICENCE GLOBALE : UNE REMISE EN CAUSE
PROFONDE DU DROIT D'AUTEUR 18
CHAPITRE 1 - LA LICENCE GLOBALE : UNE ATTEINTE AU DROIT D'AUTEUR
19
CHAPITRE 2 - LA LICENCE GLOBALE : UNE NOUVELLE FORME
D'ACCEPTATION DU DROIT D'AUTEUR 33
TITRE DEUXIEME - LA LICENCE GLOBALE : UNE COMPENSATION
A L'ABSENCE DE REMUNERATION DE LA CREATION 45
CHAPITRE 1 - LES PRE-REQUIS JURIDIQUES ET TECHNIQUES
OBLIGATOIRES POUR UNE JUSTE REMUNERATION DES AUTEURS 46
CHAPITRE 2 - LA « LICENCE GLOBALE DE L'OFFRE LEGALE
» : UNE SOLUTION ECONOMIQUEMENT ET JURIDIQUEMENT RECONCILIATRICE 59
CONCLUSION 75
- INTRODUCTION -
1. Remarques préalables
Rarement débats furent aussi passionnés que ceux
tenus entre les (fervents) défenseurs et les (farouches) opposants
à ce que l'on a communément appelé la << licence
globale » ; non pas que l'actualité juridique souffrait d'un manque
cruel de sujets capables de mobiliser les foules en ce début de
XXIe siècle, bien au contraire, mais tout un chacun a bien
senti qu'il se tramait dans cet affrontement le choc de deux conceptions
totalement antagonistes - et en théorie irréconciliables depuis
l'explosion du téléchargement sur Internet et les copies
illégales d'oeuvres de l'esprit - entre, d'un côté, les
auteurs, artistes, producteurs et éditeurs de contenus culturels, et, de
l'autre, les << internautes-consommateurs ».
Il ne faut pas chercher bien loin pour trouver l'explication
d'un tel déchirement idéologique et de toute cette encre
versée depuis 2005 : elle tient tout simplement à la
matière juridique qui supporte un tel débat, celle qui l'encadre
tout en étant sa principale victime, le droit d'auteur <<
romantique »1 à la française.
Il est vrai qu'érigé par les premières
législations d'envergure du droit intermédiaire en droit naturel
puisque considéré comme un droit de
propriété2, en vertu de l'article 2 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, sa toute puissance
n'est plus à démontrer. Le droit d'auteur possède cette
singularité en France qui avantage incroyablement les auteurs au point
de les sacraliser, de sorte qu'Alfred de Vigny a pu si magnifiquement les
qualifier de << Nation de l'Esprit » dont leurs oeuvres en seraient
le << Patrimoine ».
Pour autant, toute puissance ne signifie pas automatiquement
incontestabilité et ce droit d'auteur français, si
éminent soit-il, en fait assez souvent l'amère expérience
depuis la fin du XVIIIe siècle, houspillé notamment
par le copyright, son homologue anglo-saxon.
1 Cyril Rojinsky, << Le projet Jean Zay de 1936,
une page oubliée de l'histoire française du droit d'auteur
», Propriétés Intellectuelles, n°27, avril
2008, p. 160
2 Isaac Le Chapelier, auteur de la
célèbre loi éponyme de 1791, qualifia le droit d'auteur de
<< propriété d'un genre tout à fait
différent des autres » dans son Rapport à
l'Assemblée constituante du 13 janvier 1791, tandis que Joseph
Lakanal, le théoricien du droit d'auteur sous la Révolution
Française, préféra parler de <<
propriété de la production de génie » dans
un autre Rapport présenté à la Convention
Nationale en 1793.
Globalement, ce système privilégie plus ici le
public, et donc dans la société actuelle les consommateurs, qu'il
rend prioritaire dans une logique du marché que les
intérêts d'un seul auteur, désormais éternel second,
ne peuvent entraver.
Sans rentrer dans des considérations extrêmement
poussées sur les différences existant entre les droits d'auteurs
en France et dans les pays de Common Law, les plus notoires comme les
aspects économiques ayant d'ailleurs déjà fait l'objet de
nombreuses études à ce jour3, il convient de souligner
l'absence de droit moral pour le copyright là où notre
droit positif le sanctuarise inaliénable, perpétuel et
imprescriptible, et ce dans ses quatre piliers4 (les droits de
divulgation, de paternité, du respect de l'intégrité de
l'oeuvre, et de retrait), le copyright restant donc plus un droit
d'exploitation qu'un droit d'auteur à proprement parler5.
2. Pourquoi une licence globale ?
L'équilibre entre la protection de la
créativité et l'innovation technologique ainsi que la
conciliation entre la liberté des créateurs et la liberté
des internautes sont nécessaires. Toutefois, ces deux aspects sont
clairement mis à mal depuis maintenant une dizaine d'années par
le choc économique, culturel et - disons le - sociétal
provoqué par le téléchargement illégal d'oeuvres de
l'esprit, facilité et encouragé sur les réseaux <<
peer-to-peer » (de pair à pair, ou << P2P »)
où les internautes connectés sur ces plateformes
d'échanges download (copient sur leur ordinateur) et
upload (mettent à disposition du réseau leurs fichiers
et les envoient directement de leur ordinateur vers un autre), sans aucune
restriction de temps, de poids des fichiers ou du volume de bande passante
utilisée, sans aucun contrôle ni visibilité sur la
destination et l'utilisation de tous ces contenus et, surtout, sans aucune
autorisation et en totale violation des droits des auteurs, des
artistes-interprètes ou de tout autre ayant droit.
Et à la clé, une totale absence de
rémunération de la création.
3 A ce sujet, il faut lire notamment l'excellent
mémoire << Droit d'auteur et mondialisation » soutenu par
Astrid Stumpf, sous la direction d'Adrien Bouvel, à l'Université
Robert Schumann de Strasbourg en août 2006.
4 Disponible en ligne sur
http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit
d'auteur#Droit moral (date d'accès : 27 juin 2010)
5 Même s'il est vrai que les droits à la
paternité et au respect de l'oeuvre sont inclus dans la Convention de
Berne de 1886, ratifiée par le Royaume-Uni l'année de son
adoption.
Le << virus du piratage >>6 n'a fait
que grossir depuis l'arrivée de l'accès
généralisé à l'Internet haut-débit par
l'apparition de l'ADSL et des << box » fournies par les
principaux opérateurs. Même si ce ne sont que des estimations
difficilement vérifiables, les chiffres sont accablants : 1 million de
films piratés en France en 2004, 1 milliard de chansons
téléchargées en 2006 et peut-être plus de 10
milliards illégalement échangées à ce jour !
Le Syndicat National de l'Edition Phonographique a
calculé dans son premier rapport trimestriel de 2009 une baisse de 16,4%
des ventes de disques par rapport à la même période en 2008
et un marché divisé par trois depuis 2002.
Il est certain que le téléchargement sur
Internet n'est pas le seul facteur de la baisse des ventes de CD et de DVD et
il est encore une fois impossible de jauger avec précision l'incidence
en termes de pertes occasionnées par les seuls réseaux P2P ; mais
le malaise est là et bien là.
Cette atteinte au droit des auteurs, menaçante pour
l'économie de la création, est tout proprement inacceptable ; si
cette considération fait l'unanimité, il en va
différemment du choix de la solution pour y faire face. Deux
modèles contradictoires se défient du regard :
- un système répressif, dont les lois
DADVSI7 et Hadopi8 sont les dignes
représentantes,
- un système de << nouveau modèle
économique >>, partant du principe que celui en place est rendu
obsolète par l'arrivée des nouvelles technologies9 ;
pour ce second système, Joëlle Farchy, professeure à
l'Université Paris I Panthéon-La Sorbonne, avait par exemple
calculé assez rapidement qu' << un système de licence
à 5 euros par mois, [...] 60 euros par an, 20 millions
d'abonnés, cela rapporterait 1,2 milliard >>.
Cette thèse, déjà imaginée avant par
d'autres, allait être baptisée par ses p artisans << licence
globale >>, renommée également à l'heure actuelle
<< contribution créative >>.
6 Edwy Plenel, << Le virus du piratage
>>, Le Monde, 26 juin 2005, p.11. Dans son éditorial,
l'auteur note qu'<< après avoir contemplé
l'effondrement de sa cousine musicale, l'industrie du cinéma est
aujourd'hui contaminée par le même virus. Internet a donné
naissance à une délinquance à but non lucratif
perpétrée par de jeunes gens qui ne voient pas le mal qu'il y a
à satisfaire immédiatement leurs pulsions consommatrices
>>.
7 Loi n° 2006-961 du 1er
août 2006 relative au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la
Société de l'Information
8 Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative
à la protection pénale de la propriété
littéraire et artistique sur Internet
9 Pour Isabelle Falque-Pierrotin, membre de la Commission
Olivennes, << la mission devra faire oeuvre créatrice pour
favoriser l'émergence de nouveaux modèles économiques
diversifiant les modes d'accès à la culture pour éviter
encore la rigidité d'un choix entre le tout payant et le tout
gratuit >>.
3. Définition de l'appellation « licence globale
»
Source :
http://www.lalliance.org
Selon la très sérieuse encyclopédie en
ligne WikiPedia, << le schéma de licence globale vise à
légaliser les échanges non-commerciaux de contenus audiovisuels
(hors logiciels) à travers Internet, en contrepartie d'une
rétribution forfaitaire redistribuée aux ayants droit,
proportionnellement à la densité de téléchargement
que leurs oeuvres ont suscité. Elle propose ainsi l'institution d'une
redevance, créant un système à la manière de ce que
fait déjà en France la SACEM pour les diffusions radiophoniques,
en rémunérant les artistes ou leurs ayants droit avec les fonds
ainsi collectés. >>10.
Plus simplement, la licence globale permet aux internautes de
télécharger des contenus culturels protégés par les
droits d'auteur (musiques, films, jeux, livres, etc.) en toute
légalité en payant une somme forfaitaire de quelques euros par
mois indexée sur la facture internet délivrée par leur
fournisseur d'accès.
Le mot << licence >> signifie donc une autorisation,
tandis que l'expression << globale >> couvre tous les actes de
téléchargement et de mise à disposition à des fins
non commerciales.
10 Disponible en ligne sur
http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence
globale (date d'accès : 29 juin 2010)
Source :
http://www.lalliance.org
Toujours selon WikiPedia, « la licence
globale peut se décliner en trois versions différentes
correspondant toute à un modèle différent de versement de
la rétribution.
La licence globale "universelle" consiste à
prélever la rétribution sur la facture de l'abonnement internet
de tous les accès haut débit, telle une taxe autorisant en
contrepartie tous les internautes ayant accès au haut-débit
à télécharger.
La "licence globale optionnelle" consiste à faire
payer la rétribution un iquement aux internautes souhaitant
télécharger.
La licence globale "à paliers" consiste à
fixer une grille tarifaire de la rétribution, liée au volume de
téléchargements de chaque abonné. Un abonné ne
téléchargeant pas ne paierait alors rien, alors qu'un gros
téléchargeur paierait plus qu'un téléchargeur
occasionnel. »
4. Les débats parlementaires sur la licence
globale
La licence globale est née des débats sur le
« projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans
la société de l'information » qui aboutira à la
loi DADVSI précitée de 2006. Le projet a été
adopté le 12 novembre 2003 en Conseil des Ministres sous le Gouvernement
Raffarin II en transposition des articles 6 et 7 de la directive
européenne du 22 mai 200111 visant à « lutter
plus efficacement contre la contrefaçon » par le biais de
« sanctions en cas de contournement d'une mesure technique de
protection d'un e oeuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un
vidéogramme ou d'un programme ».
11 Directive 2001/29/CE du Parlement européen
et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit
d'auteur et des droits voisins dans la société de
l'information
Aussitôt les premières discussions relatives au
projet de lois lancées, l'opinion publique, relayée par les
médias, se positionnait massivement pour le nouveau concept de licence
globale. En effet, un sondage en 2005 avait révélé que 87%
des français souhaitaient que le législateur autorise les
échanges via les réseaux P2P de créations artistiques en
contrepartie du paiement d'une rémunération spécifique
à leur fournisseur d'accès, position qui ne tarda pas à
rejaillir sur les travaux des assemblées parlementaires.
La classe politique, par principe très vigilante et
protectrice sur la question du droit d'auteur, se retrouvait alors
elle-même prise entre deux feux en étant tentée par cette
nouvelle solution, constatant l'impossibilité manifeste de
réguler la pratique du téléchargement illégal et se
satisfaisant de la récupération de quelques subsides pour limiter
les pertes financières et ainsi pallier à l'absence de
rémunération de la création. Madame Kosciusko-Morizet,
ancienne Secrétaire d'Etat chargée de la Prospective et du
Développement de l'Economie Numérique, avait résumé
à la perfection ce dilemme en 2006 : << il fallait trouver de
nouveaux équilibres : ne pas tourner le dos à la
réalité et permettre à l'internaute de surfer librement,
sans ignorer l'effritement du droit de la propriété
intellectuelle pour l'artiste et la rupture des équations
économiques pour les industriels.12 >>
La Commission des lois de l'Assemblée Nationale
débuta ses travaux d'examens du projet de loi le 31 mai 2005. Plusieurs
amendements sont alors déposés comme ceux du député
Didier Mathus13, préparés par l' << Alliance
Public-Artistes >> à partir des propositions de l'ADAMI (dont l'
<< Alliance >> est issue), qui se placèrent sur le terrain
inattendu de la protection de la jeunesse : en effet, il était selon eux
totalement absurde d'imputer des délits massifs de contrefaçon
à la grande majorité des adolescents français sans les
considérer tous comme des contrefacteurs. L'amendement Mathus est alors
adopté contre toute attente le 21 décembre 2005 et étend
l'exception de copie privée aux reproductions effectuées sur
Internet à des fins privées et non-commerciales pour peu qu'elles
soient accompagnées d'une indemnité financière
suffisante14.
12 Nathalie Kosciusko-Morizet, << Droit d'auteur
: une loi contre la jungle >>, Le Figaro, 10 mars 2006, p. 18
13 Amendements n°154 du 14 décembre
2005
14 << Le 2° de l'article L. 122-5 du code de la
propriété intellectuelle est complété par une
phrase ainsi rédigée : De même, l'auteur ne peut interdire
les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un
service de communication en ligne par une personne physique pour son usage
privé et à des fins non directement ou
Stupeur au sein du Gouvernement et dans les rangs de
l'Assemblée ! Les députés socialistes, Anne Hidalgo et
Christophe Girard en tête, montèrent au créneau en
assimilant cette nouvelle gratuité offerte à une fausse
liberté et une aliénation suprême des seuls
véritables vainqueurs de l'affrontement entre ayants droit et
internautes : les fournisseurs d'accès à l'Internet (FAI). La
confusion est telle que le Ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres
fut obligé de faire personnellement pression sur les quelques
belligérants menant la croisade de la licence globale. Il savait
d'autant plus que le Gouvernement de Villepin dont il faisait partie ne pouvait
se permettre de laisser passer un tel mécanisme qui irait à
l'encontre des objectifs anti-piraterie fixés par les directives
communautaires et que la France se doit de respecter.
Sans attendre plus longtemps, le Gouvernement supprima donc
purement et simplement l'amendement Mathus pourtant adopté en
séance par les représentants du peuple. D'un point de vue
procédural, la pilule eut du mal à passer et le Ministre a
été forcé de trouver une parade pour expliquer la
décision du 7 mars 2006 : « tous les acteurs qui contribuent
à alimenter [le téléchargement illicite] ne
relèvent pas du même niveau de responsabilité ».
L'idée d'une séparation stricte entre différentes
infractions n'ayant pas la même valeur - une personne qui
télécharge illégalement sur son ordinateur
n'équivaut pas à une autre qui proposerait sur son site des
fichiers piratés - poussera donc vers l'adoption de la loi DADVSI et du
système contraventionnaliste que l'on sait.
5. Arguments en faveur de la licence globale
Deux raisonnements principaux sont mis en avant par ceux qui
soutiennent la licence globale : la légalisation d'un état de
fait d'une part et la liberté d'accès à la culture,
à l'Internet et le droit à la copie privée d'autre
part.
Selon l'UFC - Que choisir, il n'existe que trois postures
à adopter face aux réseaux P2P : la tolérance totale, la
licence globale ou l'interdiction totale. La tolérance totale, relevant
du domaine de l'utopie, est à écarter d'emblée tandis que
l'interdiction totale ne peut fonctionner en l'état car les
mécanismes de DRM15, limitant le nombre de copies des
supports CD et
indirectement commerciales, à l'exception des copies
d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces
reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que
prévue à l'article L. 311-4. ».
15 Digital Rights Management : technologie de
sécurisation du contenu et de gestion des droits d'accès aux
fichiers audionumériques
DVD originaux et censés empêcher
l'interopérabilité, sont inefficaces. Par ailleurs, les
échanges de pair à pair ne sont que la partie
émergée de l'iceberg du piratage d'oeuvres de l'esprit qui se
font par l'intermédiaire d'autres moyens de communication sur Internet
(courriers électroniques, messageries instantanées, forums,
blogs, sites FTP, serveurs de stockage du type « MegaUpload
», etc.) qui ne peuvent entrer dans le cadre de la loi au nom de la
protection de la vie privée. Quelques sociétés de
perception de droits, comme la société civile pour
l'Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes
(ADAMI) et la Société de Perception et de Distribution des Droits
des Artistes Interprètes de la Musique et de la Dance (SPEDIDAM),
prônent ainsi l'encadrement de la pratique largement répandue du
téléchargement illégal en la régulant par un
contrat entre ayants droit et consommateurs, responsabilisant les usagers
à grande échelle et créant un espace de
sécurité juridique plutôt que l'adoption des lois DADVSI et
Hadopi 2 peu efficaces et ne réglant pas le problème de la
compensation financière pour les auteurs. Ainsi la
rémunération issue du droit à la copie privée
représenterait un complément de revenus appréciable pour
les artistes.
Le second argument invoqué est la liberté
inhérente à Internet, espace d'échanges par nature et lieu
de diversité culturelle. Le marché de l'industrie du disque est
détenu à plus de 95% par quatre multinationales, et les
réseaux P2P apparaissent comme un moyen de permettre l'accès
à des répertoires abandonnés par les réseaux
commerciaux. De surcroît, les DRM représentent une atteinte aux
libertés individuelles des internautes.
Du reste, le téléchargement illégal n'est
pas l'unique responsable de la baisse des ventes de disques : le taux de la TVA
encore trop élevé (19,6%), le prix du CD, le refus de l'industrie
de trouver un successeur à ce support et sa réticence à
dématérialiser les oeuvres via des plateformes de
téléchargement légal sont également à mettre
en cause.
D'autres arguments non négligeables, listés dans
l'encyclopédie en ligne WikiPedia16, viennent
alimenter ces précédentes thèses. Il convient donc d'y
prêter une oreille attentive. Premièrement, la licence globale ne
doit pas faire peur car elle peut être considérée comme une
descendante de la fameuse « licence légale », revenant donc
simplement à « étendre à l'Internet des
dispositions déjà existantes pour la radiodiffusion
».
16 Disponible en ligne sur
http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence
globale (date d'accès : 29 juin 2010)
Deuxièmement, elle rémunèrerait
véritablement l'oeuvre et l'auteur et non son support et sa
distribution. << Sur le prix d'un album acheté chez le
disquaire, une très faible part revient aux artistes (10% ou moins). Au
contraire, la licence globale est destinée en exclusivité aux
ayants droit [avec] un rôle prédominant par rapport
à la filière de distribution ».
Troisièmement, << l'argument des opposants
à la licence globale sur la baisse éventuelle de qualité
des oeuvres artistiques qui s'y soumettraient ne tient pas. Il est uniquement
fondé sur le postulat du retour sur investissement qui définit un
type de productions mais n'a jamais été un facteur
déterminant dans la création d'une oeuvre majeure.
».
6. Arguments allant à l'encontre de la licence
globale
Le projet de licence globale a été vivement
combattu conjointement par la Société des Auteurs, Compositeurs
et Editeurs de Musique (SACEM), la Société des Auteurs,
Compositeurs Dramatiques (SACD), la société civile des Auteurs
Réalisateurs et Producteurs (ARP) ainsi que l'Union des Producteurs
Français Indépendants (UPFI), car il serait incompatible avec le
droit européen et international, notamment la directive
européenne << Droit d'auteur » et les traités de
l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle.
Ensuite, à moyen terme, la licence globale ne
permettrait aucun modèle économique viable pour les artistes et
les industries culturelles ; les fonds dégagés - par exemple le
milliard d'euros estimé par la professeure Farchy (cf. supra) -
seraient insuffisants pour assurer une rémunération juste des
auteurs car ils ne se substitueraient pas au chiffre d'affaires global de ces
industries. En effet, le supplément payé aux fournisseurs
d'accès à Internet serait fixé forfaitairement et non en
fonction de la réalité des téléchargements des
oeuvres. Une rémunération juste impliquerait une trop forte
augmentation de l'abonnement à Internet, prix que les consommateurs ne
seraient pas forcément prêts à payer et qui
empêcherait la frange la moins favorisée des consommateurs
d'accéder au haut débit. Ainsi le manque à gagner dont
serait victime l'ensemble des ayants droit17 rendrait impossible la
prise de risques et l'investissement indispensable aux industries culturelles,
provoquant un nivellement par le bas de la qualité de la
création, et menacerait l'ensemble de l'économie de la
filière.
17 Personne physique ou morale détenant un
droit du fait de son lien avec le bénéficiaire direct du droit
considéré
Enfin, le droit moral ne serait plus garanti car les auteurs ne
pourraient plus contrôler la qualité, le format et la circulation
de leurs oeuvres sur les réseaux.
Le souci d'équité impose de restituer
également d'autres arguments retranscrits sur la plus
célèbre Encyclopédie en ligne.
Premièrement, << si la répartition de
la manne collectée se fait au prorata du téléchargement
des oeuvres, des producteurs indélicats pourraient lancer à plein
temps des robots de téléchargement pour augmenter
artificiellement leur part ». L'ancien directeur du groupe FNAC,
Denis Olivennes, auteur d'un rapport éponyme bien connu, a
été très clair sur la question : <<
L'idée d'une licence globale n'est pas absurde sur le principe, mais
elle reste totalement irréalisable. Comment rétribuer les ayants
droit à partir des milliards d'échanges qui se font chaque mois
sur les sites de P2P18 ? ».
Deuxièmement, << le fait de payer cette taxe
risque de laisser croire à tout internaute qu'il dispose là d'une
autorisation lui permettant de copier l'ensemble des données accessibles
bien que les créateurs d'une grande part d'entre elles ne pourront
bénéficier du reversement (artistes émergents ou
indépendants, productions étrangères, ...) ».
Troisièmement, si l'on admettait que les sommes
réunies grâce à la licence globale suffisaient à
couvrir les pertes de l'industrie musicale, elles ne pourront pas prendre en
charge celles de l'ensemble des industries << audio-visuelles »
englobant le secteur du cinéma.
7. La licence globale à travers le monde
D'inspiration française, la licence globale a
traversé les frontières et a bizarrement germé dans
d'autres pays alors même que notre gouvernement a refusé d'y
donner suite.
Premier cas et non des moindres, les Etats-Unis
d'Amérique : pays de tout temps attaché aux droits d'auteurs
et à la création comme la France, bien que différemment
exercés avec la
18 Denis Olivennes, << Les verrous numériques sont
une incitation au piratage », Libération, 14
février 2007
notion de copyright (cf. supra), il semble
pourtant céder aux arguments pragmatistes des << pro-licence
globale >> et préférer une rémunération
forfaitaire pour amoindrir les pertes vu l'annonce faite en juin 2009 par trois
des quatre principaux majors (Sony BMG, Warner Music Group, EMI), qui
ont créé conjointement la société << Choruss
>>. Celle-ci est présentée par ses créateurs comme
une << société répartissant une contribution
récoltée directement ou indirectement auprès
d'internautes, en échange de la possibilité de
télécharger de manière illimitée, sous le format
qu'il veut, avec l'outil qu'il veut, les oeuvres sous
copyright19. >>.
Deuxième exemple notoire, celui de la Grande-Bretagne
qui a émis l'idée le 29 janvier 2009 du paiement d'un abonnement
de 29 livres (environ 35 euros) par an pour compenser le manque à gagner
des artistes et de l'ensemble des ayants droit.
Enfin, un troisième cas tout récent, la
Belgique, prouve que la licence globale n'intéresse pas uniquement les
pays de Common Law : le coeur de la Chambre des Représentants
belge balance entre système de sanction proche de la << riposte
graduée >> et << contribution créative >>
incluant une taxe de quelques euros par mois annexée aux factures
Internet20.
8. Problématiques et annonce du plan
La question reste brûlante, et pour cause : le concept
est éminemment pionnier pour les uns, totalement provocateur et
dérangeant pour les autres, et la détermination des sommes
forfaitaires pour la rémunération des artistes n'est que l'arbre
qui cache une forêt de questions beaucoup plus importantes :
l'acceptation d'un tel système induirait-elle une nouvelle forme de
consommation de la création et une redéfinition du droit d'auteur
et des modes d'exercice des droits exclusifs par les ayants droit ?
Sans avoir à prendre position dans ce dilemme, la
généralisation de plateformes de téléchargement
légal contenant l'ensemble des catalogues culturels et accessibles de
manière illimité par forfait et/ou abonnement n'est-il pas la
solution permettant de réconcilier tous les partis et, peut-être,
sauver les industries du disque et du cinéma ?
19 Disponible sur
http://fr.wikipedia.org/wiki/Choruss
(date d'accès : 29 juin 2010)
20 << Riposte graduée contre licence globale : la
Belgique s'empare du débat >>, Le Monde, 29 janvier
2010
Ces deux interrogations conditionnent la structure même
de cette étude : si la licence globale constitue bien une remise en
cause profonde des droits d'auteur en France (TITRE 1), elle
n'en reste pas moins une solution économique réelle pour pallier
à l'absence de rémunération de la création
(TITRE 2).
TITRE PREMIER
LA LICENCE GLOBALE : UNE REMISE EN CAUSE
PROFONDE DU DROIT D'AUTEUR
CHAPITRE 1
LA LICENCE GLOBALE : UNE ATTEINTE AU DROIT
D'AUTEUR
Le projet abandonné de licence globale refait
régulièrement surface depuis les débats parlementaires du
projet de loi DADVSI21 en 2005, la dernière saillie en date
étant l'engagement de nouvelles discussions houleuses - et
stériles - au sujet de la loi dite HADOPI 222 qui fut
finalement adoptée après bien des tergiversations.
Emmanuel Derieux et Agnès Granchet, respectivement
professeur et maître de conférences à l'Université
de Paris II Panthéon-Assas, ont parfaitement résumé cette
situation malheureusement ubuesque au sujet de la lutte contre le
téléchargement illégal : « rarement sans doute
l'adoption d'une législation aura, en France, été aussi
difficile et controversée et aura nécessité autant de
temps et l'élaboration d'un tel nombre de projets et de textes
successifs, correctifs et complémentaires [...] dans le cadre
des échanges "peer-to-peer" (pair à pair, poste à poste,
ou "P2P") particulièrement23 ».
Assez simplement, le Gouvernement de Villepin n'a pu se
résoudre à intégrer le téléchargement
illégal sur Internet via les réseaux peer-to-peer aux
exceptions de copie privée telles qu'énoncées par
l'article L. 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle en
raison de sa trop grande violation des droits d'auteur classiquement
acceptés et régis en droit français par les lois du 11
mars 1957 et du 3 juillet 1985.
S'il convient d'étudier en détail
l'étendu de ces violations sur le plan du droit positif national
(SECTION 1), il ne faut pas oublier les atteintes possibles
sur le plan du droit communautaire et international (SECTION
2).
21 Loi no 2006-961 du 1er
août 2006 relative au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la
Société de l'Information
22 Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative
à la protection pénale de la propriété
littéraire et artistique sur Internet
23 Emmanuel Derieux et Agnès Granchet,
Lutte contre le téléchargement illégal - lois DADVSI
et HADOPI, collection Axe Droit, Lamy, 2009, p. 9
SECTION 1 - Les atteintes aux droits d'auteur sur le plan
du droit positif national
En vertu des articles L. 111-1 et L. 123-1 du Code de
Propriété Intellectuelle, l'auteur jouit d'un droit de
propriété exclusif sur sa création, sans
nécessité de formalités préalables
(dépôt ou enregistrement) contrairement aux brevets, sa vie durant
ainsi que soixante-dix années après sa mort au
bénéfice de ses ayants droit. Au-delà de cette
période, les oeuvres de l'esprit, c'est-à-dire les <<
créations intellectuelles ayant une forme concrète
originale24 >>, basculent dans le domaine public et sont
libérées de tous les droits qui y sont associés.
Plus particulièrement, l'article L. 111-1 du Code
reconnaît deux types de droits aux auteurs d'oeuvres de l'esprit :
premièrement, en son alinéa 2, les droits << d'ordre
intellectuel et moral >> qui garantissent très
généralement le droit au respect de son oeuvre, et
deuxièmement les droits << d'ordre patrimonial >> qui
confèrent à ce même auteur des droits exclusifs
d'exploitation de son oeuvre.
Très logiquement, il s'agit dès à
présent de confronter l'étendu des prérogatives
conférées par les droits moraux (I) et
patrimoniaux (II) avec le système de licence globale et
vérifier si leurs oppositions ont purement et simplement pour
conséquence la violation de ces dispositions si sacrées en droit
français.
I/ Les atteintes de la licence globale aux droits
moraux
Déjà exposé en introduction, le droit
moral des auteurs, comme les autres droits extrapatrimoniaux, est toujours
attaché à la personne de l'auteur, inaliénable,
imprescriptible et d'ordre public.
Il se divise en quatre principales branches correspondant aux
quatre prérogatives fondamentales particularisant notre droit d'auteur
par rapport à celui des pays de Common Law qui ne reconnaissent
pas ces droits : premièrement, le droit de paternité,
lequel lui permet d'exiger que son nom soit mentionné sur les supports
matériels de son oeuvre25 ;
24 Patrick Tafforeau, Droit de la
Propriété Intellectuelle, Manuels, Gualino Editeur, 2007, p.
23
25 Art. L. 111-4 al. 2 du CPI
deuxièmement, le droit au respect de l'oeuvre,
afin qu'il puisse s'opposer à toute modification ou altération
éventuelle de son oeuvre26 ; troisièmement, le
droit pour l'auteur de décider seul et en premier de la
divulgation ou non au public de son oeuvre mais également de
son mode et de son moment de diffusion ou même des conditions
matérielles de son exploitation27 ; et quatrièmement,
le droit de retrait et de repentir, en vertu duquel l'auteur a le
droit à tout moment, postérieurement à la publication
d'une oeuvre, d'interdire l'exploitation ou de remanier son
oeuvre28.
Tel un accélérateur de particules, faisons tourner
les textes législatifs dans un sens et le concept de licence globale
dans l'autre pour constater les effets de cet entrechoc.
Le droit de paternité : l'article L. 121-1 du
Code de la Propriété Intellectuelle dispose que «
l'auteur jouit du droit au respect de son nom » et de «
sa qualité ».
Ce droit comporte deux aspects : d'une part la revendication de
la paternité de l'oeuvre, et, d'autre part, la volonté de ne pas
la révéler ou de la contester (en cas de « faux »).
Le droit au respect du nom de l'auteur est sérieusement
mis à mal par le monde numérique qui permet, par des droits
d'écriture et de réécriture conférés
à chaque utilisateur, la dénomination quelconque et quasi-absolue
d'un fichier numérique29. Ainsi, pour masquer leurs
activités illégales sur Internet ou tout simplement pour garder
un contenu secret, chaque internaute peut supprimer le nom de l'artiste, de
l'auteur, du producteur ou de l'éditeur d'une oeuvre sur un fichier et
le renommer comme bon lui semble.
Le concept de licence globale n'a pas par essence vocation
à répondre à cette violation puisqu'elle autorise le
partage illimité de contenus et d'oeuvres échangés sur
Internet par tout type de personnes que l'on ne peut forcer à conserver
l'exact intitulé de l'oeuvre ou l'ensemble des références
qui y sont rattachées. La seule possibilité du respect de ce
droit a été trouvée par la mise en place d'un
système de DRM (Digital Right Managements, en français
la Gestion des Droits Numériques [GDN]), déjà cité
dans cette étude et qui fera l'objet d'un approfondissement
poussé en seconde partie, empêchant entre autres toute
modification des informations associées à un fichier.
26 Art. L. 121-1 du CPI
27 Art. L. 121-2 du CPI
28 Art. L. 121-4 du CPI
29 En dehors bien évidemment des fichiers
systèmes qui, pour l'exemple bien connu de Microsoft, ne sont
ni visionnables ni modifiables, le code source étant
jalousement gardé secret.
Le droit au respect de l'oeuvre : le même article
L. 121-1 du Code consacre le droit au respect de l'oeuvre en précisant
que « l'auteur jouit du droit au respect [...J de son oeuvre
».
En ce qui concerne les évolutions technologiques, la
numérisation d'une création peut être synonyme pour leur
auteur de dangers, notamment dus aux copies réalisées en quelques
secondes et clics de souris.
A ce titre, le législateur lui a conféré
le droit de s'opposer à une modification substantielle de son oeuvre et
à sa déclinaison matérielle, par exemple l'extraction
d'une piste musicale d'un CD en format MP3 sur un disque ou sur tout
élément de stockage en « dur », mais également
toute utilisation de celle-ci dans un contexte qui dénaturera l'esprit
général de l'oeuvre. Notons que ce qui est interdit pour
l'exemple du phonogramme est autorisé par exception à l'article
L. 121-7 du Code de la Propriété Intellectuelle qui autorise les
modifications et altérations éventuelles pour les logiciels.
Ici comme pour le précédent, la licence globale
ne peut garantir le respect effectif à ce droit car elle ne
prétend pas pouvoir contrôler les échanges sur les
réseaux peer-to-peer. Ainsi, il est globalement impossible
d'empêcher un utilisateur de numériser une oeuvre pour la mettre
à disposition sur les réseaux, sauf évidemment par
l'ajout, de la même façon que pour le respect du droit de
paternité, de DRM interdisant l'écriture du contenu d'un support
matériel sur une zone fonctionnant sous le langage binaire ou
numérique.
Pour exemple, certains diffuseurs utilisent depuis plusieurs
années des moyens de cryptage pour limiter les possibilités
reproduction et/ou d'enregistrement des fichiers audiovisuels. A ce titre, les
sites de « VOD » (Video on demand, en français
vidéo à la demande) n'accordent ainsi à leurs clients
abonnés qu'une licence de quelques heures pendant laquelle la diffusion
de l'oeuvre est rendue légale30. Le mécanisme de
licence globale ne permet malheureusement pas ce système car les
réseaux P2P sont par nature totalement débridés et il
n'existe aucun verrou informatique pour obtenir ce type de résultat.
Le droit de divulgation : c'est ici l'article L. 121-2
du Code qui encadre ce droit en énonçant que « l'auteur
a seul le droit de divulguer son oeuvre ».
Corrélativement au principe de numérisation de
l'oeuvre interdite sans le consentement de l'auteur et des ayants-droit en
vertu du droit au respect de l'oeuvre exposé ci-dessus, le droit de
première divulgation de l'auteur sera violé si un utilisateur peu
scrupuleux arrive à se
30 Maître Marie-Anne Renaux, Les auteurs de
cinéma face à l'Internet, Publication du cabinet Wilhelm
& associés. Disponible en ligne sur
http://www.p-wilhelm.com/?p
idref=42
procurer une oeuvre achevée ou en cours de finalisation
mais non encore communiquée au public pour la rendre accessible via les
réseaux d'échanges ou par tout autre biais (serveurs, messages
électroniques, etc.). Le meilleur exemple reste sans conteste les films
déjà téléchargeables sur les réseaux P2P
avant même leurs sorties officielles en salle du fait d'une
numérisation sans autorisation par certains projectionnistes ou toute
personne présente dans la chaîne de distribution des oeuvres
audiovisuelles et cinématographiques.
Cependant, ce droit de divulgation ne sera pas atteint si,
pour une raison ou pour une autre, l'artiste décidait de son propre chef
de partager cette musique librement via lesdits moyens mentionnés. La
situation est loin d'être incongrue et est même devenue un cas
d'école lorsque le groupe de rock indépendant « Radiohead
» a permis en 2007 le libre téléchargement de son album
In Rainbows sans aucune contrepartie financière, comme un
défi lancé à sa maison de disques avec laquelle le groupe
avait pris ses distances. On peut alors considérer que sa probable mise
à disposition quasi-instantanée sur les réseaux P2P par
des internautes a été tolérée par les titulaires
des droits sur ces contenus, et ce même alors que le droit de divulgation
n'a pas été respecté stricto sensu, car ceux-ci
ne pouvaient ignorer les répercussions que leurs actes occasionneraient
à grande échelle.
Plus généralement, il arrive souvent qu'un jeune
artiste souhaitant se faire connaître, sans producteur ni major
pour le soutenir, divulgue lui-même une oeuvre représentative sur
une plateforme d'échanges en ligne pour accélérer sa
diffusion.
Le droit de repentir : il est exposé à
l'article L. 121-4 du Code de la Propriété Intellectuelle en ces
termes : « nonobstant la cession de son droit d'exploitation,
l'auteur, même postérieurement à la publication de son
oeuvre, jouit d'un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du
cessionnaire. Il ne peut toutefois exercer ce droit qu'à charge
d'indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce
repentir ou ce retrait peut lui causer. Lorsque, postérieurement
à l'exercice de son droit de repentir ou de retrait, l'auteur
décide de faire publier son oeuvre, il est tenu d'offrir par
priorité ses droits d'exploitation au cessionnaire qu'il avait
originairement choisi et aux conditions originairement
déterminées. ».
Comme une conclusion logique des risques juridiques
inhérents pour les droits d'auteur avec l'application d'un
système de licence globale, le droit de repentir est parfaitement
impossible à protéger par le caractère lui-même
irréversible de la divulgation dans la sphère publique,
sphère qui inclut désormais des possibilités nouvelles
grâce au (ou à cause du) progrès
technique : premièrement un stockage illimité
dans le temps et dans sa capacité sur plusieurs types de
matériels (disques dur, serveurs Web, etc.), pour peu que ces derniers
ne s'arrêtent pas de fonctionner, et deuxièmement la copie
à l'identique d'un fichier numérique, les coûts de
modification étant la plupart du temps aujourd'hui plus faibles que les
coûts d'édition dans le schéma traditionnel
d'exploitation31.
II/ Les atteintes de la licence globale aux droits
patrimoniaux
La propriété intellectuelle de l'auteur
s'effectuera, pour certains, surtout vis-à-vis des << attributs
d'ordre patrimonial >> tels que définis dans le second chapitre du
Code de la Propriété Intellectuelle et autrement appelé le
<< droit d'exploitation >>.
Selon la définition du professeur Tafforeau, il s'agit
de << l'ensemble des prérogatives qui permettent à
l'auteur de subordonner l'utilisation de ses oeuvres au paiement d'une
rémunération, [celui-ci] ne délivrera son
autorisation qu'à condition d'obtenir l'engagement par son cocontractant
de lui verser une certaine somme d'argent. C'est pourquoi l'on parle parfois de
droit d'autoriser.32 >>.
Le Code nous précise à ce titre que cette
exploitation de sa création peut se faire << sous quelque
forme que ce soit33 >> et l'article L. 122-1
énonce que << le droit d'exploitation appartenant à
l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de
reproduction >>.
Toute violation d'un de ces droits exclusifs
conférés à l'auteur énumérés
ci-dessus est constitutive d'un acte de contrefaçon sanctionné
à l'article L. 335-2 du Code. Tout comme pour les droits moraux, ils ont
aussi été sévèrement secoués avec
l'explosion du téléchargement illégal sur Internet. Par
réfléchissement dans le miroir du premier paragraphe confrontant
les droits moraux des auteurs aux pratiques permises par la licence globale, il
convient à présent de mettre en parallèle les droits
patrimoniaux avec lesdites pratiques.
31 André Lucas, Droit d'auteur et
numérique, Litec, 1998, p.236 §469
32 Patrick Tafforeau, Droit de la
Propriété Intellectuelle, Manuels, Gualino Editeur, 2007, p.
129
33 Art. L. 123-1 du Code de la Propriété
Intellectuelle
Le droit de reproduction : l'alinéa 1 de
l'article L. 122-3 alinéa 1 du Code de la Propriété
Intellectuelle présente la reproduction comme << la fixation
matérielle de l'oeuvre par tous procédés qui permettent de
la communiquer au public d'une manière indirecte [...]
notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout
procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement
mécanique, cinématographique ou magnétique ».
L'article L.122-4 du Code énonce à son tour
qu'aucune reproduction ou représentation intégrale ou partielle
par un tiers d'une oeuvre protégée en vue de sa communication au
public ne peut se faire sans le consentement préalable de l'auteur ou
ses ayants droit.
Les tribunaux sont de longue date très fermes sur la
question : ainsi un des tous premiers arrêts du Tribunal de Grande
Instance en la matière rendu en 1996 a rappelé que <<
toute reproduction par numérisation d'oeuvres musicales
protégées par le droit d'auteur susceptibles d'être mise
à la disposition de personnes connectées au réseau
Internet doit être autorisée expressément par les
titulaires ou cessionnaires de droit34 ». La jurisprudence
est même allée plus loin en caractérisant pénalement
l'élément moral du délit de contrefaçon : la Cour
d'Appel de Paris a estimé que les utilisateurs de réseaux P2P ne
pouvaient pas faire autrement que de << s'interroger sur la
licéité d'un système qui permet d'accéder
gratuitement à des oeuvres commercialisées sur différents
supports par les éditeurs de musique35 ».
La licence globale est donc une atteinte très forte
à ce droit de reproduction si la diffusion et la prolifération
sur les réseaux peer-to-peer ne sont pas permises par les
auteurs et l'ensemble des ayants droit. Néanmoins, avec accord des
artistes, ce droit ne serait pas entaché d'illicéité.
Le droit de représentation : c'est cette fois
le premier alinéa de l'article L. 122-2 du Code de la
Propriété Intellectuelle qui définit la
représentation comme << la communication de l'oeuvre au public
par un procédé quelconque » ; sont concernées
notamment << la récitation publique, l'exécution
lyrique, la représentation dramatique, la présentation publique,
la projection publique ou la transmission dans un lieu public de l'oeuvre
télédiffusée », mais aussi la <<
télédiffusion36 » énoncée
par l'alinéa 2 du présent article.
34 TGI Paris, référé, 14
août 1996, Brel et Sardou
35 CA Paris, 13e ch. B, 27 avril et 15 mai
2007
36 << La télédiffusion s'entend de la
diffusion par tout procédé de télécommunication de
sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature
» (Art. 122-2 al. 2 du Code de la Propriété
Intellectuelle).
Quand les tribunaux français ne se placent pas sur le
fondement du non-respect du droit de reproduction pour qualifier juridiquement
la contrefaçon, ils retiennent en général la violation du
droit de représentation. De ce fait, les juges suprêmes de la Cour
de cassation ont rappelé qu'à l'instar de la diffusion de
phonogrammes dans une discothèque sans autorisation de la SACEM, la
diffusion d'oeuvres musicales sur Internet constitue une
contrefaçon37.
Précision de taille : le droit de reproduction tout
comme le droit de représentation, protégeant les auteurs, sont
soumis par le législateur à certaines exceptions visées
à l'article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle
en faveur des revues de presse, des copies ou reproductions strictement
réservées à l'usage privé du copiste, des
représentations privées et gratuites effectuées
exclusivement dans un cercle de famille, ainsi que des courtes citations. Selon
les dispositions de cet article, ces exceptions « ne peuvent porter
atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un
préjudice injustifié aux intérêts légitimes
de l'auteur ». Il convient de rappeler que les parlementaires avaient
voté un amendement rajoutant la pratique du téléchargement
d'oeuvres piratées sur Internet à ces fameuses <<
exceptions de copie privée », permettant ainsi de faire renter la
licence globale dans le cadre légal et la considérer comme une
exception aux droits de reproduction et de représentation. On sait que
cet amendement fut supprimé autant pour les considérations
précédentes et à venir que parce que certains observateurs
ont estimé que la rémunération forfaitaire, qu'elle soit
de 5 euros ou plus, ne serait pas suffisante et porterait ainsi <<
atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre [et causerait]
un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes [des auteurs] ».
SECTION 2 - Les atteintes aux droits d'auteur sur le plan
du droit communautaire et international
Nous précisions en introduction que le Ministre de la
Culture en place pendant l'hiver 2005/2006, où l'air s'était
beaucoup réchauffé avec les débats sur la licence globale,
a suivi le Gouvernement d'alors pour empêcher toute émergence de
la licence globale en droit français, principalement au motif qu'elle
serait contraire aux engagements supranationaux conclus par la France en
matière de protection des droits d'auteur vis-à-vis de la
société de l'information.
37 Cass. crim., 5 mai 1981, RIDA, janv. 1982, p.
179
Ce sont justement ces législations communautaires
(I) et internationales (II) qu'il convient
dès à présent d'étudier pour vérifier les
craintes très prononcées du pouvoir exécutif de
l'époque.
I/ Les atteintes de la licence globale à la
législation communautaire
Rappelons que le projet de loi DADVSI de 2003, débattu
en 2005 et 2006 et aboutissant sur la loi n° 2006-961 du 1er
août 2006, publiée le 3 août 2006 au Journal
Officiel, relative au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la
Société de l'Information est à la base issu de
l'obligation pour le législateur de transposer en droit français
la Directive communautaire 2001/29/CE du Parlement européen et du
Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit
d'auteur et des droits voisins dans la société de
l'information.
Cette directive réaffirme clairement le principe d'un
droit exclusif de l'auteur en reprenant les prérogatives du droit de
reproduction à la française dans son article 2 (<<
[l'auteur peut] autoriser ou interdire la reproduction directe ou
indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme
que ce soit, en tout ou partie... ») ainsi que celles du droit de
représentation dans l'article 3.1 (<< [l'auteur a un] droit
exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs
oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à disposition du public
de leurs oeuvres de telle manière que chacun puisse y avoir accès
de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement »). La mise
à disposition d'une oeuvre au public par le biais des nouvelles
technologies offertes sur Internet constitue sans doute une forme de <<
communication au public ».
La numérisation d'une oeuvre, définie par les
juges en France comme << la technique consistant à traduire le
signal analogique [...] en un monde numérique qui
représentera l'information à deux valeurs 0 et
138 », c'est-à-dire enregistrer sous forme digitale
ou numérique une oeuvre existant sous forme analogique, implique
à la fois un acte de fixation et
38 TGI Paris, référé, 5 mai 1997,
Queneau c/ Leroy
un acte de reproduction. En réalité, la fixation
correspond la << première fixation >> de l'enregistrement
initial, qui peut ensuite faire l'objet de reproductions39.
Très clairement, cet acte de fixation ne pourra
être réalisé qu'avec l'accord exprès et
unilatéral de l'auteur et de l'ensemble des ayants droit sur une oeuvre.
Tout comme pour le droit de reproduction tel que défini dans le Code, la
licence globale viole stricto sensu les acceptations classiques du
droit d'auteur si l'accord n'est pas expressément conféré
par lesdites personnes.
De la même façon, le droit de
représentation définie au niveau communautaire par l'article 3 de
la directive impose de reconnaître un droit exclusif pour la
communication et la mise à disposition au public. Or, au moment des
débats sur la licence globale, l' << Alliance Public-Artistes,
plusieurs organisations d'artistes déjà citées ainsi que
l'UFC - Que Choisir entendaient << remplacer le droit exclusif par
une licence légale40 >>. Ainsi le cadre juridique
s'oppose à l'introduction directe d'un droit à
rémunération, rendant très logiquement la licence globale
impossible à appliquer car sa raison d'être est justement ce
principe de rémunération forfaitaire.
Deux autres articles inclus de moindre importance dans la
directive sont à noter. Premièrement, pour l'article 4 concernant
la distribution au public et prévoyant que << les États
membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d'autoriser ou
d'interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement,
de l'original de leurs oeuvres ou de copies de celles-ci >>, nous
reprendrons les mêmes considérations que celles exposées
pour le droit de respect de l'oeuvre dans la première section.
Deuxièmement, l'article 7 concernant l'information sur
les droits d'auteur << rend illégal la modification et/ou la
suppression d'information indiquant qu'une oeuvre est protégée
par le droit d'auteur. De même, il rend illégale la distribution
d'une oeuvre sans ses informations sur sa nature d'oeuvre
protégée. >>.
39 André Lucas, Droit d'auteur et
numérique, Litec, 1998, p. 33 §62
40 Alain Strowel (avec la collaboration de Pierre-Yves
Thoumsin), << Le P2P : un problème pressent en attente d'une
réponse législative ? >>, Propriétés
Intellectuelles, n° 17, octobre 2005, p. 433
Toutefois, le législateur communautaire a aussi
prévu toute une série d' << exceptions et limitations
aux droits de reproduction, de communication, et de distribution au public
d'une oeuvre [...] que les États membres peuvent choisir ou non
d'incorpore/transposer dans leur droit national ». Parmi elles, la
reproduction est le fruit du déroulement d'un processus technique
automatisé non commercial visant à transmettre ou utiliser
l'oeuvre, les usages par les personnes handicapées, les revues de
presse, de citation, de parodie, les copies effectuées par des
bibliothèques, des établissements d'enseignement, des
musées ou par des archives, et plus particulièrement la copie
privée.
Il n'est plus utile de rappeler à ce stade de
l'étude que si la licence globale avait été incluse dans
les exceptions de copie privée telles qu'énumérées
par le Code à l'article L. 122-5, elle aurait alors été
considérée comme ne portant atteinte à la directive
communautaire du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001.
II/ Les atteintes de la licence globale à la
législation internationale
A dire vrai, l'argument de la fronde << anti-licence
globale » tenant au non-respect des engagements internationaux conclus par
la France en cas de mise en place d'un tel système est un atout majeur
dans la main de ceux qui ne veulent pas entendre parler de ce projet.
Nous nous attacherons aux plus significatifs d'entre eux,
à savoir les traités de l'Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle (OMPI) comprenant principalement la
Convention de Berne en date du 9 septembre 1886 modifiée
dernièrement le 28 septembre 1979 ainsi que l'accord de l'OMPI sur les
droits d'auteur (WCT) adopté le 20 décembre 1996 à
Genève.
Ces traités internationaux reconnaissent
également sans grande surprise les droits patrimoniaux de l'auteur sur
son oeuvre en leur consacrant un << droit exclusif d'autoriser »
- et donc d'interdire - la mise à disposition, dans le cadre de la
musique par exemple, de leurs oeuvres, interprétations ou phonogrammes
sur Internet.
De ce fait, le principe de licence globale qui transformerait,
dans un cadre légal national, ce droit exclusif en simple droit
à rémunération violerait purement et simplement l'article
5541
41 L'article 55 de la Constitution du 4 octobre
1958 est ainsi rédigé : << Les traités ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont,
dès leur publication, une autorité supérieure à
celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de
son application par l'autre partie. ».
bien connu de la Constitution de 1958 qui énonce la
supériorité des traités et accords internationaux sur la
loi nationale française.
Ainsi, la mise en place d'une licence globale ne pourra
devenir effective sans négociation préalable avec les
représentants de l'Organisation Mondiale du Commerce à l'origine
de la conclusion de ces accords internationaux sur les droits d'auteur.
Mais plus intéressant encore, cette mise en place de la
licence globale ne sera également possible qu'après la
vérification de son contrôle de légalité
vis-à-vis de ce que l'on a appelé la pratique du << triple
test >> qui autorise des exceptions de copie privée nationales
applicables sous trois conditions bien distinctes, qui sont :
- seulement pour certains cas spéciaux
- si elles ne portent pas atteinte à l'exploitation
normale de l'oeuvre
- si elles ne causent pas un préjudice injustifié
aux intérêts légitimes de l'auteur
Cette technique du << triple test >>
supra-étatique a plus précisément été
prévue par l'article 9§1 de la Convention de Berne de 1886, reprise
par l'article 13 de l'Accord ADPIC de 1994 puis finalement par l'article 10 du
Traité de l'OMPI de 1996. Notons enfin qu'elle fut également
incluse dans la directive communautaire de 2001 et que le législateur
français a inséré dans l'actuel article L. 122-5
précité du Code de la Propriété Intellectuelle sur
les exceptions de copie privée les deux dernières conditions.
Il convient donc naturellement de confronter chaque point du
<< triple test >> avec les principes mêmes du
mécanisme de licence globale.
La nécessité d'un cas spécial :
assez peu explicite de prime abord, la première étape du test a
été interprétée par Yves Gaubiac, avocat au Barreau
de Paris, comme s'appliquant à un << cas
détaillé, précis, spécifique, inhabituel, hors du
commun >> et ayant << une portée restreinte ainsi
qu'un objectif exceptionnel ou reconnaissable42 >>.
L'article L. 122-5, consacrant l'exception de copie
privée dans le Code de la Propriété Intellectuelle,
définit l'exception en des termes relativement précis et la
jurisprudence s'est contentée de réexpliquer les mêmes
idées différemment : << exception [...]
strictement réservée
42 Yves Gaubiac, << Chronique n°15
>>, Communication - Commerce électronique, 2001
à un usage particulier, aux droits exclusifs dont
jouissent l'auteur et les titulaires de droits voisins43
>>. Dans leur rapport intitulé << Peer-to-peer et
propriété littéraire et artistique - Etude de
faisabilité sur un système de compensation pour l'échange
des oeuvres sur internet >>, Mesdames Carine Bernault et Audrey Lebois,
maîtres de conférences à l'Université de Nantes,
estime à juste titre que << cette limitation au droit exclusif
ne concerne qu'une catégorie restreinte et clairement définie
d'utilisateurs (copistes qui réalisent des reproductions pour leur usage
privé). Le fait que la copie privée soit devenue, à bien
des égards, une norme de comportement généralisée
ne suffit pas, selon nous, à considérer que l'exception ne
correspond pas à un cas spécial au sens du droit international
conventionnel et du droit communautaire44 >>. Ainsi la
licence globale, si elle avait été assimilée à une
exception de copie privée, rentre parfaitement dans cette acceptation et
ne va donc pas à l'encontre du premier fondement du << triple test
>>.
L'atteinte à l'exploitation normale de
l'oeuvre : le deuxième point du << triple test >>
s'apparente plus à l'aspect économique des choses. Assez
simplement, si l'exploitation de l'oeuvre, fondue en exception de copie
privée, empêche l'auteur de toucher des revenus
générés par sa création dans un mode d'exploitation
commerciale classique, ladite exception violera purement et simplement la
seconde condition.
Dans ce cadre, il n'est pas nécessaire de
réaliser des audits financiers pour comprendre que les sommes
récupérées forfaitairement dans un système de
licence globale seront automatiquement inférieures à celles
générées en temps normal par le chemin de distribution
commercial classique mais aussi du fait de celles perdues par la pratique du
téléchargement de masse sur Internet.
L'atteinte aux intérêts légitimes de
l'auteur : la troisième et dernière étape du <<
triple test >>, qui tend à protéger les
intérêts légitimes des auteurs, interdit à
l'exception de copie privée de causer à l'auteur un
préjudice déraisonnable ou injustifié, c'est-à-dire
dans le cas où l'exception autorise la copie à des fins
commerciales sans l'accompagner d'un mécanisme
43 TGI Paris, 30 avril 2004
44 Carine Bernault et Audrey Lebois, Peer-to-peer
et propriété littéraire et artistique - Etude de
faisabilité sur un système de compensation pour l'échange
des oeuvres sur Internet, juin 2005
Disponible en ligne sur
http://alliance.bugiweb.com/usr/Documents/RapportUniversiteNantes-juin2005.pdf
compensatoire tel qu'une licence obligatoire assortie d'un
droit à rémunération45. Le cas d'école
reste sans conteste le célèbre arrêt << Mulholland
Drive >> rendu le 4 avril 2007 par la Cour d'appel de Paris qui avait
considéré que l'utilisation du DVD par le consommateur
concerné dans un cadre familial restreint ne causait pas un
préjudice déraisonnable à l'auteur. Pour autant, on
déduit évidemment que ce << cadre restreint >> de
famille ne peut s'appliquer en l'espèce pour le
téléchargement généralisé des oeuvres sur
Internet ; en clair, les revenus générés par la licence
globale ne seraient qu'un << pis aller sans commune mesure avec la
perte économique subie par l'auteur au regard du nombre
considérable de fichiers portant l'oeuvre qui peuvent être
créés et échangés46 >>.
45 Benjamin May, << Droit d'auteur : le Triple
Test à l'ère du numérique >>, Lamy Droit de
l'Immatériel, n° 15, avril 2006, p. 63
46 Ibid.
CHAPITRE 2
LA LICENCE GLOBALE : UNE NOUVELLE FORME
D'ACCEPTATION DU DROIT D'AUTEUR
Qui mieux que le professeur Caron avait osé poser la
question qui coûte tant à poser ? Alors qu'une partie de la
doctrine ne veut même pas entendre parler d'une remise en cause profonde
de notre acceptation actuelle des droits d'auteur, dont la portée aura
pu être mesurée dans le premier chapitre, le professeur
agrégé de la faculté de droit de Créteil avait
reconnu à demi-mot, à l'occasion des débats sur la loi
<< Création et Internet >>, ou loi HADOPI, le
caractère brouillon de la réflexion et ses possibles
difficultés d'application.
Surtout, sans pour autant le préciser, il ne peut
ignorer le retard béant de la << riposte graduée >>
de la loi HADOPI 2 concernant << uniquement >> les réseaux
peer-to-peer que, malheureusement pour le législateur, les
internautes ont déjà délaissé au profit d'autres
modes de téléchargements illégaux sur d'autres
plateformes, non plus sur des réseaux d'échanges, mais via des
serveurs dédiés stockant des millions de fichiers piratés
que l'<< internauteconsommateur >> va piocher au gré de ses
envies en << direct download >>, c'est-à-dire dans
la forme technique la plus basique sur la Toile : la récupération
de fichiers sur le serveur distant, de la même façon que pour
afficher une simple page Web. Cette pratique, largement répandue depuis
ces cinq dernières années, et notamment via le site <<
MegaUpload >> basé à Hong-Kong, n'est, mille fois
hélas, pas du ressort de la loi HADOPI.
Christophe Caron résume donc la pensée des
défenseurs de la licence globale : << constatant
l'inapplication effective du droit d'auteur sur Internet, il est
envisagé de privilégier un autre droit d'auteur, très
mutualiste puisque tout le monde, utilisateur ou non d'oeuvres sur Internet,
doit payer >> et pose, dans la foulée, une question
inévitable :
<< cette dernière discipline [le droit
d'auteur] doit-elle se métamorphoser au point de renier son
fondement qu'est le droit de propriété et l'exclusivité
qui lui est attachée ?47 ».
N'imaginons pas pour autant que les droits d'auteur auraient
attendu le développement des réseaux mondiaux pour être
agressés de la sorte : certains libres penseurs et juristes ont
imaginé, au travers des âges et des progrès techniques non
pas un revirement complet de ses principes mais une appréhension
différente de ses modes d'exécution, avec plus ou moins de
succès (SECTION 1).
Sans aller effectivement jusqu'à un tel extrême
qui peut, à juste titre, faire l'objet d'inquiétudes et
d'interrogations, il est certain que les droits d'auteur doivent être
repensés car ils ne sont guère adaptés, de manière
plus ou moins prononcée, aux réalités économiques
et techniques dues principalement au développement des réseaux et
de l'Internet (SECTION 2).
SECTION 1 - Une appréhension différente et
pionnière du droit d'auteur par la doctrine
Le droit d'auteur n'en est pas à ses premières
attaques, loin s'en faut. Contre vents et marées, il a toujours su
résister aux vagues successives tentant de le faire chavirer :
déjà au temps de la Renaissance, il se matérialisa aussi
bien en France qu'en Angleterre en réponse aux assauts de la
reproduction illicite des livres nouvellement imprimés en masse
grâce à la formidable invention de la machine à imprimer du
facétieux Gutenberg, pour aboutir respectivement aux droits
sacralisés en 1791 pour le droit d'auteur en France et en
177448 pour le copyright des pays de Common
Law.
Plus récemment, et après bien des
péripéties, le développement de l'informatique et du
<< tout numérique » a remis à rude épreuve les
nerfs du droit d'auteur, notamment depuis l'apparition des graveurs de CD-Rom
puis de DVD-Rom capables de dupliquer à l'infini et à l'identique
n'importe quel type de fichier inscrit sur un de ces disques
multimédias.
47 Christophe Caron, << Questions autour d'un
serpent de mer », Communication - Commerce électronique,
novembre 2009
48 Lyman Ray Patterson & Stanley Lindberg, The
Nature of Copyright : A Law of Users' Rights, Athens, Georgia: University
of Georgia Press, 2001
Pour autant, les limitations techniques (une seule
procédure de gravure sur un disque non réinscriptible) et
financières (coût du matériel de gravure et du support de
destination, taxés depuis peu par le législateur) ont permis de
limiter les cas de contrefaçons, la jurisprudence vigilante sur le
respect des droits moraux et patrimoniaux faisant le reste.
Mais l'explosion des échanges de fichiers
piratés, qui se comptent par millions chaque jour dans le monde, allait
faire imploser cette protection du droit d'auteur, agrémentée des
nouvelles offensives idéologiques habituelles sur la fin du
modèle d'acceptation actuelle des droits d'auteur en France, avec des
perspectives plus ou moins utopiques en la matière.
Cette désacralisation en règle du droit d'auteur
a très logiquement été considérée par la
majorité de la doctrine comme un blasphème - et le mot n'est peut
être pas assez fort - mais aussi, chose rare, par une majeure partie de
la population, prouvant indubitablement le solide ancrage dans les moeurs de ce
que représente la création.
Néanmoins, il est à déplorer que si ces
réflexions avaient été mieux prises en
considération, elles auraient sûrement permis une approche peut
être sensiblement différente du casse tête
idéologique et économique auquel les auteurs et leurs ayants
droit ont à faire face aujourd'hui.
S'il fallait retenir deux de ces travaux, nous citerions celui
de Jean Zay49 réalisés en 1936, éminemment
provocateurs et très en avance sur leur temps (I),
ainsi qu'un autre plus contemporain, la théorie de « l'Age de
l'Accès » par Jeremy Rifkin datant de 2001
(II).
I/ Une approche novatrice du droit d'auteur français
: l'exemple du projet Jean Zay
Le projet de Jean Zay tranche essentiellement avec nos
conceptions traditionnelles du droit d'auteur sur deux points :
premièrement, il dépasse la critique de la notion de
propriété appliquée au droit d'auteur, bien que
présumée inattaquable par sa consécration dans le bloc de
constitutionnalité, en y intégrant le concept novateur de «
travailleur intellectuel » substitué
49 Ephémère Ministre de l'Education et
des Beaux-arts du Front populaire, il sera assassiné par la milice
française le 20 juin 1944, soit quelques semaines avant la
Libération.
à celui d'auteur ; deuxièmement, il défend
corps et âmes l'idée d'une licence légale
généralisée (un << domaine public payant >>)
dix ans après la mort de l'auteur.
Quels sont alors les apports d'une telle <<
idéologie >> vis-à-vis de la licence globale ?
L'invention du << travailleur intellectuel >> se
serait accompagnée par la possibilité d'instituer des accords
collectifs entre auteurs et éditeurs, la dernière
catégorie pouvant être étendue pour faire plus actuel aux
producteurs et sociétés de gestion collective. Ces accords
collectifs ont d'autant plus de poids qu'ils fonctionnent de manière
pleinement effective pour les droits voisins du droit d'auteur - et tout
particulièrement pour les artistes-interprètes - ceux-là
même au coeur de toutes les attentions pendant les débats du
projet de loi DADVSI précédemment cité. Du reste, bon
nombre d'observateurs prodiguaient la nécessaire clarification des
relations entre auteurs et éditeurs/producteurs pour que la licence
globale puisse vivre et, au-delà, s'articuler de manière
optimale.
Le second aspect du projet est de loin le plus
intéressant et, sans conteste, le plus audacieux. De ce fait, la
reproduction quasi-intégrale du troisième alinéa de
l'article 21 du projet est nécessaire : << A l'expiration du
délai de dix ans [...] et jusqu'à l'expiration d'une
durée de cinquante ans calculée à dater de la mort de
l'auteur [...], l'exploitation des oeuvres de l'auteur est libre,
à charge pour l'exploitation de payer une redevance équitable aux
personnes à qui appartenait la jouissance du droit pécuniaire de
l'auteur [...]. Cette redevance ne pourra être
inférieure à 10% du produit brut de l'exploitation.
>>.
Il s'agit véritablement ici de la question de la
licence légale, largement commentée pendant toute la seconde
moitié du XXe siècle, que le législateur a
réglé en 198550, et par extension le sujet si
épineux de la licence globale. Le projet prenait donc le parti de mettre
en place un mécanisme spécial de licence prévoyant une
rémunération équitable des auteurs et un autre type
d'exercice des droit exclusifs sur leurs oeuvres ; avec un peu de chance, et si
celui-ci était accepté par toutes les parties, le
mécanisme d'une licence, globale ou autre (peu importe sa
qualification), ne craindrait pas alors de s'attirer les foudres de
l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, notamment
sur le plan du << triple test >> (cf. supra).
50 Loi n°85-660 du 3 juillet 1985 relative aux
droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs
de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication
audiovisuelle
Fort de cette réflexion, et bien que la licence globale
imaginée au cours des débats sur la loi DADVSI51 viole
matériellement les quatre droits moraux, on reconnaît que les
dissensions se sont cristallisées bizarrement plus pour des raisons
économiques et lobbyistes que pour des raisons purement juridiques ;
tout au plus, et puisqu'il fallait donner une assise juridique à la
fronde anti-licence globale, les juristes chevronnés ont mis en exergue
l'argument du << triple test >> de l'article 10 des accords
internationaux sur la protection des droits intellectuels52 (ADPIC),
imparable selon eux, qu'est venue nuancer l'étude précitée
de << faisabilité sur un système de compensation pour
l'échange des oeuvres sur Internet >>. Et même si l'on
donnait à cet argument une toute puissance certaine, aucun tribunal
solennel n'est venu à ce jour trancher officiellement la question.
De fait, le titre du communiqué de presse des
principaux ayants droit53 du 22 décembre 2005, baptisé
<< La licence globale : un missile contre les droits d'auteur
>>, reste donc, de manière assez remarquable, plus une bombe
linguistique que juridique puisqu'aucun magistrat n'est venu point par point
user de son syllogisme juridique pour confronter la licence globale à la
réalité du droit positif.
II/ Une piste intéressante pour apprivoiser le
concept de licence : la théorie de l'âge de l'accès
En 2001, une publication en apparence anodine fit l'effet
d'une bombe : ce qui ne devait être qu'une simple étude
économique et sociologique se transforma au fur et à mesure de sa
diffusion en véritable fer de lance d'une nouvelle idéologie
reprise par bon nombre de personnes avant-gardistes. Dans son abondant ouvrage
<< l'Age de l'accès >>54, l'essayiste
américain Jeremy Rifkin exposa sa vision du monde capitaliste et son
évolution probable pour les décennies à venir.
51 Loi no 2006-961 du 1er
août 2006 relative au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la
Société de l'Information
52 Que l'on retrouve également aux articles 9.2
de la Convention de Berne et 10 de l'accord de l'Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle (OMPI) sur le droit d'auteur (WCT).
53 Le communiqué de décembre 2005 a
été publié conjointement par le SNAC (Syndicat National
des Auteurs et des Compositeurs), l'UNAC (Union Nationale des Auteurs et
Compositeurs), la CSDEM (Chambre Syndicale de l'Edition Musicale) et la CEMF
(Chambre syndicale des Éditeurs de Musique de France).
54 Jeremy Rifkin, L'Age de l'accès - La
vérité sur la nouvelle économie, Pocket, 2002
Il part de l'idée que les marchés laissent
progressivement la place aux réseaux, les biens aux services, les
vendeurs aux prestataires de services et les acheteurs aux utilisateurs.
<< Dans une économie qui, Internet oblige, tend à se
dématérialiser, le marché cède la place au
réseau, les biens aux services, l'achat au droit d'accès.
».
Dans ce contexte, Rifkin va jusqu'à démontrer que
la notion toute entière de propriété telle que nous la
concevons se substitue au profit de la notion de l'accès.
La phrase d'ouverture du livre annonce clairement la couleur :
<< Le rôle de la propriété est en train de subir
une transformation radicale. » et l'auteur poursuit : <<
L'économie capitaliste est fondée sur l'idée
même d'échanges de droits de propriété sur un
marché. Or la nouvelle économie en réseau, fusion de la
micro-électronique, des ordinateurs et des
télécommunications, fait exploser la propriété par
la recherche prioritaire de l'accès aux richesses et aux services
».
L'ouvrage ayant été écrit au cours de
l'année 2000, c'est-à-dire seulement aux prémices de
l'explosion de l'Internet grand public, le caractère
particulièrement annonciateur de cette thèse ne peut que susciter
l'admiration, tant il est vrai que l'on retrouve cette notion de multiplication
des accès à une pléthore de services sur la Toile, le
premier de tous étant fourni directement par les fournisseurs
d'accès à l'Internet (FAI) qui proposent à leurs clients
la possibilité de se connecter sur le réseau mais aussi de
recevoir la télévision par diffusion numérique, le
téléphone filaire, etc. Comme le souligne Jacques Robin,
fondateur de la revue Transversales Sciences Culture, nous assistons
à l'évolution du profit en rente55, naturellement
diagnostiquée par Rifkin : << La relation vendeurs-acheteurs
cède peu à peu la place à la relation
prestataires-usagers. ».
Mais plus important encore, cette perspective d'accès
ouvert à des prestations immatérielles renforcent l'idée
chez certains consommateurs que celui-ci devrait s'appliquer
nécessairement pour des contenus culturels numérisés, tels
des musiques au format MP3 ou des films compressés au format DivX, donc
purement immatériels.
Certes l'on pourra objecter que premièrement lesdits
contenus ne sont pas numériques par nature : par exemple, la musique
est captée par des microphones d'enregistrement, superposée
55 Jacques Robin, Une nouvelle civilisation :
« L'Age de l'accès » de Rifkin, janvier 2001. Disponible
en ligne sur
http://vecam.org/article6.html
et numérisée via des consoles de mixage, mais les
sons proviennent et proviendront toujours des instruments.
Deuxièmement, l'acquisition numérique
n'empêche pas la remise sur support physique de ces contenus, sur un CD,
un DVD et désormais un Blu-Ray. Et de toutes les manières, la
numérisation de ces créations n'enlève fort heureusement
en aucun cas les droits moraux et patrimoniaux des auteurs et des ayants droit
qui y sont rattachés et leur modalité d'exercice.
Il n'empêche que cette ouverture globalisée
à des services, comme les catalogues d'oeuvres de l'esprit fleurissant
de plus en plus sur Internet, est la preuve irréfutable pour les
défenseurs de la licence globale tout comme les opposants à la
loi Hadopi qu'une mutation des modes de consommation de la musique et du
cinéma est nécessaire, voire inévitable.
SECTION 2 - Une appréhension différente et
nécessaire du droit d'auteur au regard des réalités
techniques et économiques
Le rapport de la Commission pour la libération de la
croissance française pilotée par Jacques Attali56, qui
avait fait tant de bruit après sa remise au Président de la
République le 23 janvier 2008, ne s'était pas trompé en
préconisant, contre toute attente, la mise en place du système de
rétribution économique imaginée pour la licence
globale.
Cette << décision n°57 : faire verser une
contribution aux fournisseurs d'accès Internet », a
été rédigée comme suit par les sages : <<
Il convient de faire verser par les fournisseurs d'accès Internet
une contribution aux ayants droit auprès des différentes
sociétés de gestion collective des droits d'auteur, sous la forme
d'une rémunération assise sur le volume global d'échanges
de fichiers vidéo ou musicaux. Cette contribution, qui pourra être
répercutée sur les usagers, assurera une
rémunération juste des artistes, en complément des revenus
[existant] sans pour autant pénaliser le développement
d'Internet.57 ».
56 Commission pour la libération de la
croissance française (présidée par Jacques Attali),
La Documentation française, janvier 2008.
Disponible sur le site
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000041/0000.pdf
57 Décision n°57 du Rapport Attali, p. 63.
Disponible sur le site :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000041/0000.pdf
Cette voie choisie par un éminent économiste
faisait pourtant suite, et ce seulement à deux mois d'intervalle,
à la remise d'un autre rapport, celui dirigé par le
Président de la FNAC Dennis Olivennes58, qui faisait la part
belle aux positions défendues par les majors et la quasitotalité
des producteurs indépendants en se positionnant pour des sanctions
répressives face au téléchargement illégal et aux
actes considérés comme des contrefaçons sur Internet.
Quelque soit le camp dans lequel on se place, on ne peut pas
imaginer une seconde stopper intégralement ou même
significativement le téléchargement d'oeuvres piratées sur
Internet et surtout pas par des lois dans la mesure où le
législateur a près de cinq ans de retard techniquement parlant
sur l'actualité des réseaux, tandis qu'économiquement la
situation financière des grandes maisons du disque et du cinéma,
des sociétés de gestion de droits et des labels
indépendants est loin de s'améliorer.
Ajouter à cela la remise en cause toujours plus grande
du droit moral à la française et son éventuelle
incapacité à défendre encore de manière effective
les auteurs (I) et ces derniers, par la voie de l'Association
« Alliance Public-artistes », n'auront pas d'autres alternatives que
de préconiser le recours à la licence globale optionnelle pour
résister aux assauts de la réalité technique et
économique de notre temps (II).
I/ Le droit moral à l'heure d'Internet : une
capacité à défendre les droits des auteurs en question
Nous avons entraperçu dans le précédent
chapitre toute la richesse et la complexité du droit moral en France tel
que codifié aux articles L. 121-1 à L. 121-9 du Code de la
Propriété Intellectuelle. La prolifération d'oeuvres de
l'esprit via les réseaux peer-to-peer, largement
commentée dans cette étude, est rendue possible par la mise
à disposition (upload) d'un ordinateur pour tous les autres
ainsi que la réception (download) sur un autre ordinateur,
offrant tout loisir quant à l'adaptation, la modification, la
transformation et surtout la rediffusion par copie instantanée et sans
perte de valeurs ni données.
58 Le développement et la protection des
oeuvres culturelles sur les nouveaux réseaux (mission confiée
à Dennis Olivennes), Ministère de la Culture, novembre 2007.
Disponible sur le site :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/albanel/rapportolivennes231107.pdf
Cette facilité déconcertante quant à la
reproduction à l'infini et à l'identique de la création
risque à l'évidence de rentrer en conflit avec le droit moral des
auteurs. Ainsi la conception traditionnelle des quatre droits moraux, symbole
phare du système français, avec principalement
l'intégrité de chaque oeuvre diffusée et la
paternité de leur auteur, est clairement mise en doute quant à sa
capacité à défendre encore les auteurs et leurs
créations.
Des courants de pensées, iconoclastes pour les uns,
précurseurs pour les autres, jugent que cette facilité de
duplication proportionnellement équivalente à la violation du
droit moral est un facteur d'agitations et de dangers pour la bonne
exploitation de l'oeuvre dans la société de l'information.
Comme le remarque la Société des Gens de
Lettres, << certains expliqueront avec cynisme que le droit moral ne
représente qu'une prérogative attachée à la
personne de l'auteur, correspondant ainsi à une vision personnaliste et
individualiste de l'auteur59 ».
Les droits communautaire et international, s'ils vont à
l'encontre du mécanisme de licence globale (cf. supra), ne
volent malheureusement pas beaucoup au secours du droit moral vu le manque de
volonté d'harmonisation par rapport au point de vue français, et
ce aussi bien pour le traité de l'OMPI de 1996 que pour la directive du
22 mai 2001 qui privilégient respectivement les droits patrimoniaux dans
un intérêt commercial, économique et lobbyiste
évident d'un côté, et une perspective
d'établissement d'un << marché intérieur » -
mesure inhérente d'ailleurs à toute la législation de
l'Union Européenne - de l'autre.
Deux constats sont à établir à ce stade
sur l'une des prérogatives du droit moral, le droit de
divulgation qui, premièrement, n'est pas consacré au niveau
international ; ce vide juridique laisse donc toute latitude au
législateur français de réduire ou de supprimer purement
et simplement l'exercice de ce droit pour ce qui concerne les oeuvres de
l'esprit diffusées sur Internet.
59 Guillaume Marsal, << Comment envisager le
respect du droit moral dans l'environnement numérique ? »,
Société des Gens de Lettres. Disponible sur le site
http://www.sgdl.org/la-documentation/lesdossiers/209?1f378a47b733c0dcd5b334d850ee4020=6f736f2735f273165a090d365213b509
Deuxièmement, et pour aller plus loin, le
système d'une licence globale ne serait pas finalement incompatible d'un
certain point de vue avec le droit moral de divulgation dans le cas d'oeuvres
déjà divulguées après acceptation formelle de
l'auteur, comme nous l'avons exposé dans le premier chapitre. Par
analogisme, on peut effectuer d'ailleurs un parallèle entre cette
anticipation et la réalité du droit positif, car cette
idée est implicitement reconnue par l'article L. 133-1 du Code de la
Propriété Intellectuelle concernant la licence légale
applicable au droit de prêt en bibliothèque.
Il ne s'agit pas ici de remettre unilatéralement en
cause le fondement du droit d'auteur français pour défendre par
exemple de façon intéressée le modèle anglo-saxon
qui, on l'a vu, se désintéresse de la question des droits
moraux.
Mieux, il faut rappeler que le droit moral, loin de faire une
sorte de concurrence philosophique à une réalité
économique, permet justement la réalisation
d'intérêts d'ordre financier car c'est notamment les
reconnaissances de l'intégrité et de la paternité de
l'oeuvre qui lui donnent son empreinte individuelle, indispensable à
tout cheminement commercial.
Pour autant, le droit moral est matériellement
impossible à protéger de manière pleine et effective sur
les réseaux. De même que l'on ne peut contrôler
l'échange physique entre des personnes en dehors du cadre du cercle de
famille de contenus culturels comme un album de musique ou un film à
lire sur une platine DVD ou Blu-Ray, on ne pourra jamais empêcher
totalement le téléchargement illégal sur Internet, et
l'idée d'un quelconque « piratage zéro », même
pour les adorateurs d'une société de type « Super Big
Brother », est à bannir.
Disons-le, la seule manière de mettre un grand coup aux
pratiques du téléchargement sur Internet et ainsi d'assurer la
pérennité du respect du droit moral en France serait de filtrer
le Web comme en République Populaire de Chine, posant évidemment
des problèmes énormes au niveau des libertés individuelles
et d'accès à la culture, et l'on ne peut d'ailleurs que se
féliciter que la quasi-majorité des gouvernements dans le monde
n'est pas optée pour de telles mesures draconiennes.
Mais il reste vrai que la réalité
sociétale du « virus du piratage », par les
possibilités techniques offertes aux utilisateurs et les nouvelles
habitudes des consommateurs qui consistent souvent à consulter en
priorité les sites pirates plutôt que les sites légaux pour
les produits culturels, induit une rétrogradation manifeste du droit
moral.
II/ La licence globale optionnelle comme nouvelle
acceptation des modes de consommation de la création
Fait notable, la Société de Perception et de
Distribution des Droits des Artistes Interprètes de la Musique et de la
Danse (la SPEDIDAM) avait proposé, pionnière et à la
surprise générale, un système de licence globale
optionnelle.
Rappelons au passage la définition de cette forme
spécifique de licence globale : il s'agit d'une permission
conférée aux internautes pour accéder à des oeuvres
de l'esprit sur Internet et les échanger librement entre eux à
des fins non commerciales en contrepartie d'une rémunération
conséquente versée aux artistes à l'occasion du paiement
mensuel de l'abonnement Internet.
La SPEDIDAM fait pour l'occasion corps avec les
adhérents de l'association << Alliance Public-Artistes >>
dans cette volonté de mettre en place un tout nouveau système de
consommation des contenus culturels qui participerait à une
rétribution nécessaire des artistes et des ayants droit.
Il convient de retranscrire en détail la
déclaration émise par les partisans de la licence globale pour
montrer ici leur nouvelle façon d'appréhender le droit d'auteur
et la consommation de la création à l'ère du tout
numérique : l'Alliance Public-Artistes clame que << cette
solution responsabilise à grande échelle, sur des bases claires
et compréhensibles par tous, des usages qui nécessitent un
respect des droits de propriété intellectuelle. Elle permet en
outre de créer un véritable espace de sécurité
juridique, pour ceux qui auront relevé l'option, dès lors que la
légitimité à télécharger et à
échanger de bonne foi des oeuvres sur Internet ne pourra plus être
contestée.60 >>.
La SPEDIDAM, à son tour, rassure les sceptiques en
exposant que << les particuliers et les familles pourront
bénéficier d'un cadre juridique clair et sécurisant en
obtenant, par cette licence, l'autorisation de télécharger et
d'échanger en contrepartie du paiement d'une redevance.
Ils pourront choisir au contraire de ne pas payer cette
licence, mais devront alors renoncer à tout téléchargement
ou à tout échange de fichiers soumis aux droits d'auteur.
60 L'Alliance Public-Artistes, << Qu'est-ce que
la licence globale ? >>. Disponible sur le site
http://alliance.bugiweb.com/pages/2
1.html
Les artistes, auteurs et compositeurs, ainsi que les
producteurs, recevront en trois parts égales les sommes
collectées par les fournisseurs d'accès via leurs
sociétés de gestion. La répartition sera définie en
fonction de l'audience des oeuvres, déterminée par l'observation
des flux et l'organisation de sondages effectués auprès de panels
d'internautes volontaires.61 »
Rappelons tout de même que la licence globale
optionnelle est souhaitée par 75% des internautes connectés
à domicile, selon une étude << Médiamétrie
» commandée par ce dernier organisme en octobre 2005, qui y voient
notamment une manière de mettre un terme à une répression
inefficace, aveugle et sournoise.
Contrairement à la licence globale classique, les
internautes n'ont pas à payer une redevance de manière
autoritaire. En effet, avec le système de base, même les
abonnés qui ne souhaitent pas télécharger doivent verser
un montant forfaitaire.
Quand elle devient optionnelle, la licence globale permet
à ceux qui ne téléchargent pas du tout d'échapper
à une redevance qui ne les concerne pas. Elle permet ensuite de
responsabiliser ceux qui téléchargent en leur proposant d'entrer
dans la légalité ou de rester dans l'illégalité
avec les risques encourus.
La SPEDIDAM répond également indirectement aux
inquiétudes quant à la répartition des sommes
perçues exprimées par le rapport précité rendu par
le directeur de la Fnac.
En effet, les utilisations sur Internet permettent de disposer
d'informations très précises sur les titres qui circulent sur ce
réseau. A ce titre, le Livre Rouge de la SPEDIDAM rappelle que <<
des sociétés spécialisées dans l'observation et
les statistiques sur Internet offrent des services permettant de mesurer ces
échanges, sans atteindre le cercle de la vie privée des
internautes. Par ailleurs, sur une base facilitée par le
caractère optionnel de la licence, des "panels" d'internautes
volontaires peuvent être constitués pour établir des
échantillons représentatifs des échanges
effectués.62 ». Sur ce point, les informations
peuvent être beaucoup plus précises que celles venant de nombreux
diffuseurs de musique, ou des statistiques concernant la copie
privée.
61 SPEDIDAM, << La licence globale optionnelle -
Faire du peer-to-peer un instrument d'équilibre et de
diversité », Livre Rouge, mars 2006.
Disponible sur le site
http://www.spedidam.fr/pdf/livrerouge.pdf
62 Ibid.
TITRE DEUXIEME
LA LICENCE GLOBALE : UNE COMPENSATION A
L'ABSENCE DE REMUNERATION DE LA CREATION
CHAPITRE 1
LES PRE-REQUIS JURIDIQUES ET TECHNIQUES OBLIGATOIRES
POUR UNE JUSTE REMUNERATION DES AUTEURS
L'atteinte aux droits d'auteur par le mécanisme de
licence globale, s'ils sont pris stricto sensu, n'est plus à
démontrer. Mais ce système avait au moins pour lui de ne pas
priver l'auteur d'une << rémunération », fusse-t-elle
juste ou non - tout dépend de quel côté l'on se place et
sur quels critères économiques et financiers on se base - ce que
n'a manifestement pas pour lui le téléchargement
généralisé d'oeuvres piratées sur Internet via les
réseaux << peerto-peer », raison de l'imagination
d'un tel système de licence globale pour le contenir et, si possible, le
dompter. Mais le législateur lui a préféré le
modèle de << riposte graduée », fer de lance de la loi
Hadopi suscitée.
D'ailleurs la côte de popularité de cette loi de
2009, mise en application seulement depuis la fin de l'été 2010,
est loin d'être au beau fixe, et à l'heure où les agent de
la Haute Autorité pour la Diffusion des OEuvres et la Protection des
droits sur Internet - l'autorité administrative indépendante
instituée par la loi - commencent à envoyer les premiers mails
d'avertissement aux << pirates », certains élus (mais ils ne
sont pas les seuls) comme Guy Bono, eurodéputé, rejettent
l'idée que cette loi puisse être applicable de manière
effective63.
Ainsi la licence globale n'a pas manqué de refaire
surface au moment des débats parlementaires sur la loi Hadopi, avec son
lot de discours enflammés tout comme pour l'adoption de la loi DADVSI
trois ans plus tôt. L'idée de licence globale, coriace, n'avait
donc pas totalement disparue des rangs de l'Assemblée Nationale si bien
qu'elle fut remise à l'ordre du jour des députés en mars
2009. Les défenseurs originels de la licence globale, Didier Mathus en
tête, le fameux auteur de l'amendement qui avait
déchaîné tant de passions, réitérèrent
les mêmes arguments pour défendre l'article 2 du projet de loi
<< Création et
63 Guy Bono, << La loi Hadopi n'est pas
applicable », Le Monde, 23 octobre 2009. Disponible à
cette adresse :
lemonde.fr/technologies/article/2009/10/23/la-loi-hadopi-2-n-est-pas-applicable
1257807 651865.html
Internet >> qui tirait une nouvelle salve en faveur du
système de licence globale en reprenant presque mot pour mot la
proposition des députés socialistes de 2005 et en y ajoutant
notoirement le droit pour les auteurs et les ayants droit d'accepter ou non que
leurs oeuvres échangées sur les réseaux
peer-to-peer rentrent dans le champ de l'exception de copie
privée.
Quant aux opposants à la licence globale, ils ont
tourné leur position de défense : passée la
réitération de l'impossibilité de répartition juste
des rémunérations entre les auteurs au prorata des
téléchargements, ils ont dénoncé le
caractère déloyal d'une licence globale voulue, au cours de ces
débats, obligatoire et se transformant donc en taxe
supplémentaire sournoisement indexée à la facture Internet
fournie par les FAI. De fait, ils ont clamé d'une même voix le
développement significatif de l'offre légale.
Aucun des deux camps n'a totalement tort ou raison, il reste
que le cadre juridique et technique de la licence globale est assez complexe
à édifier et les réflexions devront principalement porter
sur des sujets aussi divers que les mesures techniques de protection, la
collecte des adresses I.P. (Internet Protocol64) des internautes,
l'immatriculation des oeuvres de l'esprit et les relations juridiques entre
artistes et sociétés de gestion collective, mettant notamment dos
à dos le droit d'auteur, les libertés individuelles et les droits
des artistesinterprètes et des producteurs/éditeurs. Mais le
match qui consiste à tenter par tous les moyens de
rémunérer ne serait-ce qu'un petit peu la création vaut le
coup d'être joué.
Ainsi, si l'accent doit être porté sur la
clarification des relations contractuelles entre auteurs et
sociétés de gestion de droit ou producteurs dans un tel cadre de
licence globale (SECTION 1), l'immatriculation des oeuvres et
le filtrage des réseaux peer-to-peer, bien que limitant les
libertés individuelles, sont nécessaires pour assurer une juste
rémunération des auteurs et de l'ensemble des ayants droit
(SECTION 2).
64 L'Encyclopédie en ligne WikiPedia
définit l'adresse IP comme « le numéro qui identifie
chaque ordinateur connecté à Internet >>.
Disponible en ligne sur
http://fr.wikipedia.org/wiki/Adresse
IP (date d'accès : 29 juin 2010)
SECTION 1 - La nécessaire clarification des
relations contractuelles entre auteurs et gestionnaires de droit
Frédéric Montagnon, le fondateur et
président d' << OverBlog », faisait ce constat terrible dans
Libération : << Les industries du cinéma et de la
musique veulent préserver leurs modèles de commercialisation qui
sont devenus archaïques avec l'arrivée d'Internet. Plutôt que
de les protéger avec une loi rétrograde, il vaudrait mieux passer
du temps à regarder devant nous et à imaginer comment
créer un cadre qui favorise de nouveaux modes de distribution. Ce n'est
pas au gouvernement de pallier aux erreurs de l'industrie.65
».
Il est certain que l'accroissement gigantesque des oeuvres de
l'esprit, reproduites à l'infini via des échanges multiples,
constitue à la fois pour les gestionnaires des droits une rentrée
d'argent exponentielle due aux mécanismes de perception et en même
temps une dépense plus importante des budgets de fonctionnement
alloués pour cette perception ; et l'on se rend compte très
rapidement que les dispositifs de recouvrements traditionnels existant pour les
autres types de supports et de diffusion ne sont plus adaptés à
ceux issus des réseaux.
C'est, comme le note Jean-Samuel Beuscart, <<
seulement lorsque de tels dispositifs, toujours fragiles, sont
établis, que peut se construire l'équivalence entre d'une part la
diffusion d'une oeuvre et d'autre part la rémunération de son
auteur, par la médiation complexe des sociétés de gestion
collective66 ».
C'est ainsi que les principales sociétés de
gestion collective chargées de recouvrir la perception numérique
(I) font aujourd'hui face à de véritables
difficultés à l'heure de la multiplication massive et
incontrôlée des contenus protégés sur Internet
(II).
I/ Le système actuel de perception numérique
par les sociétés de gestion collective
La perception numérique est aujourd'hui chapotée
à son sommet par plusieurs organismes de gestion collective qui sont
officiellement habilités à percevoir des droits sur la diffusion
en ligne.
65 Frédéric Montagnon, << Pirates
ou consommateurs mal servis ? », Libération, 12 mars
2009
66 Jean-Samuel Beuscart, << Faire payer des
droits sur la musique en ligne ? », Terrains & Travaux,
n°6, p. 81 à 100
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=TT_006_0081
A son sommet, on ne peut pas méconnaître l'action
de la toute-puissante Société des Auteurs, Compositeurs et
Editeurs de Musique (SACEM) qui a seule le droit de prétendre à
percevoir les rémunérations obligatoires relatives au droit de
représentation des auteurs. Pour ce qui concerne leur droit de
reproduction, ce sera ici la Société pour l'administration du
droit de reproduction mécanique (SDRM).
Remarquons au passage l'ingérence assez
prononcée de la structure lors des débats relatifs aux droits
d'auteurs : c'est ainsi que la Société a salué l'adoption
définitive de la loi Hadopi le 13 mai 2009, jour du vote de
l'Assemblée nationale ; cette annonce n'a pas été du
meilleur effet dans l'opinion publique, jusque-là réticente, et a
même conforté la défiance de certains artistes envers un
organisme décrié depuis de nombreuses années pour son
obscurantisme et son côté « mécanique ».
Il faut d'ailleurs prendre note de l'interaction troublante
entre la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique
et la Société gérant les Droits des Auteurs
Multimédia (SESAM) créée en 1996 pour gérer les
illustrations de sites Internet.
En effet, l'organisme des Droits des Auteurs Multimédia
est un guichet unique auquel tous les webmasters et webdesigners s'adressent
pour pouvoir utiliser textes, images et sons. Dans les faits cependant, les
infrastructures de SESAM sont confondues avec celles de la SACEM.
On peut donc bien affirmer que la société des
auteurs-compositeurs est donc l'artisan principal de la construction de la
perception numérique.
Pour ce qui concerne la perception numérique à
proprement parler, les nouveaux mécanismes sont supervisés par le
Département Reproduction Internet Médias (DRIM) appartenant
à la SACEM, qui a donc pour mission de récupérer les
rémunérations issues des droits affiliés aux supports
numériques.
Les personnels de ce bureau refusent de considérer que
la perception numérique est une transposition pure et simple des
systèmes de valorisation de droits contenus dans le Code de la
Propriété Intellectuelle mais bien un édifice complexe et
pensé à l'avance, véritable compilation en somme de
dispositifs de redevance. Le droit n'est alors qu'un élément de
cette édifice.
Enfin, n'oublions pas que les producteurs sont
également titulaires de droit sur les musiques distribuées.
Ceux-ci sont représentés par la Société Civile des
Producteurs Phonographiques (SCPP) et la Société Civile des
Producteurs de Phonogrammes (SPPF).
Cependant, dans l'incertitude sur la nature de la mise en
oeuvre des droits voisins sur Internet, les sociétés de
producteurs n'ont guère mis en place de gestion collective, et agissent
essentiellement dans le domaine de la lutte anti-piraterie.
II/ La difficulté de la perception numérique
à l'heure de la reproduction massive des oeuvres de l'esprit sur
Internet
À court terme, la construction de cet édifice de
perception numérique n'est pas régentée que par des
logiques purement économiques mais également par une
stratégie d'<< image de marque >> et de << service
rendu aux sociétaires >>. Ainsi la Société des
Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique est tenue de montrer aux auteurs,
ses sociétaires, qu'elle assure pleinement le contrôle de la
diffusion de leurs oeuvres ; on imagine aisément que dans un contexte de
téléchargement illégal de masse sur Internet, cette
confiance que les auteurs place dans la SACEM est difficile à tenir.
Pour autant, il ne faut pas croire que les
sociétés de gestion collective n'ont que des résultats
négatifs sur leur bilan annuel : il existe quelques domaines comme celui
de la téléphonie mobile, avec les fameuses sonneries payantes
directement téléchargeables, où l'action des gestionnaires
des droits est efficace, tout comme celui de musiques à la demande.
Le repérage des clients potentiels redevables des
droits d'auteurs par les personnels de ces sociétés de gestion
collective ne fait pas tout, encore faut-il les convaincre qu'ils doivent payer
; c'est d'autant plus laborieux dans un contexte où les arguments en
faveur de la libre circulation des oeuvres sont très importants.
Le Département Reproduction Internet Médias joue
donc constamment aux << pédagogues >> en faisant comprendre
à l'interlocuteur la nécessité de rémunérer
les auteurs et donc de rémunérer la SACEM qui les
représente.
Jean-Samuel Beuscart explique de manière remarquable ce
travail de longue haleine : << la discussion portera, de
façon plus négociable, sur la qualité commerciale ou non
du site, sur
la rétroactivité des droits, etc. Le
diffuseur de musique est alors qualifié comme destinataire de la
règle de droit. Ce travail de requalification des utilisateurs de
musique en clients se fait plus ou moins facilement selon leur
familiarité avec le texte et les pratiques du droit
d'auteur.67 ».
Finalement, le droit joue tout au plus un rôle
d'impulsion, le petit déclic qui servira la plupart du temps d'argument
décisif, étayé d'ailleurs par une jurisprudence abondante
et abondant dans le sens de la SACEM pour une application stricte du droit
d'auteur sur Internet.
SECTION 2 - Immatriculation des oeuvres et filtrage des
réseaux peer-to-peer : une protection accrue des droits d'auteur
La question de la protection sur les fichiers
numériques ainsi que celle du filtrage des réseaux sont
fondamentales pour qui souhaiterait mettre en place un système de
licence globale car ces aspects forment le point d'ancrage entre droits
d'auteur et droit au respect de la vie privée. Pour des raisons
évidentes, il ne peut y avoir de balance véritablement
équitable tant celle-ci dépend de la politique menée qui
décidera soit de se tourner vers une défense maximale des droits
des auteurs, entraînant une limitation significative des libertés
individuelles, soit vers une toute puissance laissée aux citoyens et
consommateurs, diminuant ainsi énormément le champ de protection
des auteurs sur leurs oeuvres.
L'immatriculation numérique des oeuvres apparaît
aujourd'hui comme le nouvel enjeu du début des années 2010 en ce
qu'elle satisfait aux exigences du droit moral (I), tandis que
le traçage des internautes, bien que limitatif en matière de
libertés individuelles, est indispensable pour dresser les statistiques
des échanges sur les réseaux peer-to-peer et ainsi
répartir de façon juste la rémunération entre
auteurs et ayants droit (II).
67 Jean-Samuel Beuscart, « Faire payer des droits sur la
musique en ligne ? », Terrains & Travaux, n°6, p. 81
à 100
I/ L'immatriculation numérique des oeuvres : pour un
respect du droit moral des auteurs
L'un des principaux problèmes des échanges
illégaux d'oeuvres protégées par le droit d'auteur reste
la prolifération à l'infini des oeuvres numérisées
sans aucun respect des droits moraux ; concrètement, les millions de
fichiers échangés tous les jours n'ont parfois pas de nom, pas de
source, pas plus que tout autre type d'information qui permettrait de remonter
jusqu'à l'auteur. Et même si la pratique du
téléchargement illégal était élevée
au rang d'exception de copie privée, le droit moral ne doit en aucun cas
être mis de côté.
Pour éviter que le minimum de reconnaissance morale que
l'on doit à tout créateur se perde dans les méandres des
câbles du réseau, une méthode intéressante,
apparentée aux mesures techniques de protection, permet l'identification
de chaque fichier numérique par une immatriculation, qui fonctionne
comme les plaques minéralogiques pour les véhicules.
Selon les dispositions de l'article L. 331-5 du Code de la
Propriété Intellectuelle68, l'on entend par mesure
technique de protection toute technologie, dispositif, ou composant
rattaché à une oeuvre qui permet aux titulaires des droits
d'auteur de contrôler son utilisation grâce à l'application
d'un << code d'accès, d'un procédé de protection
tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'objet de
la protection ou d'un mécanisme de contrôle de la copie qui
atteint cet objectif de protection ».
68 Art. L. 331-5 du CPI : << Les mesures
techniques efficaces destinées à empêcher ou à
limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d'un droit
d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur d'une oeuvre, autre qu'un
logiciel, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un
vidéogramme ou d'un programme sont protégées dans les
conditions prévues au présent titre.
On entend par mesure technique au sens du premier
alinéa toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre
normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet
alinéa. Ces mesures techniques sont réputées efficaces
lorsqu'une utilisation visée au même alinéa est
contrôlée par les titulaires de droits grâce à
l'application d'un code d'accès, d'un procédé de
protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de
l'objet de la protection ou d'un mécanisme de contrôle de la copie
qui atteint cet objectif de protection.
Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de
brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que telle une mesure
technique au sens du présent article.
Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet
d'empêcher la mise en oeuvre effective de
l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur. Les
fournisseurs de mesures techniques donnent l'accès aux informations
essentielles à l'interopérabilité dans les conditions
définies au 1° de l'article L. 331-31 et à l'article L.
331-32.
Les dispositions du présent chapitre ne remettent pas
en cause la protection juridique résultant des articles 79-1 à
79-6 et de l'article 95 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative
à la liberté de communication.
Les mesures techniques ne peuvent s'opposer au libre usage de
l'oeuvre ou de l'objet protégé dans les limites des droits
prévus par le présent code, ainsi que de ceux accordés par
les détenteurs de droits. »
Plusieurs mesures techniques de protection ont ainsi fleuri
dans les années 90, principalement destinées à rendre
impossible toute modification des informations relatives à l'oeuvre,
satisfaisant ainsi le droit de paternité et celui du respect de l'oeuvre
: le tatouage ou scellé numérique, le numéro international
d'identification (Inter Deposit Digital Number, l'IDDN69),
constituant la carte d'identité de l'oeuvre protégée,
puisque celui-ci contient toutes les données par rapport à
l'oeuvre, etc.
L'article L. 331-22 du Code de la Propriété
Intellectuelle encadre ainsi l'utilisation des mesures techniques
destinées à informer, sous forme électronique,
l'utilisateur de la titularité des droits et du régime des droits
applicables à l'oeuvre, intégrant de cette façon les
dispositions du paragraphe 55 du préambule de la directive du 21 mai
2001 en droit français. Dans ce cas, les utilisateurs peuvent ainsi
identifier l'oeuvre, le titulaire des droits, les conditions et les
modalités d'utilisation de cette oeuvre ainsi que tout numéro ou
code représentant tout ou partie de ces informations.
Cette immatriculation des oeuvres numériques par ce
biais permet, en plus de tracer l'oeuvre et de suivre la destination de la
création, de lutter efficacement contre les actes de reproduction ou de
diffusion illicites sans le consentement des ayants droit.
Aujourd'hui, cette politique de traçage des oeuvres et
du scellé des informations des fichiers numériques a
été compilée dans une norme officielle garantie par
l'indépendance et la toute puissance d'une agence internationale : il
s'agit de l' << International Standard Audiovisual Number >>
(ISAN), << norme certifiée ISO destinée à
identifier de façon unique et permanente les oeuvres audiovisuelles de
toute nature70 >>, dont le système est
administré par l'Agence internationale ISAN basée à
Genève en Suisse qui a la responsabilité de la maintenance
globale de la norme ISAN et de son administration.
La norme << International Standard Audiovisual Number
>> fonctionne sous la forme d'un numéro unique d'immatriculation
des oeuvres audiovisuelles et cinématographiques
69 L'IDDN (Inter Deposit Digital Number)
désigne le << système international d'identification
des oeuvres numériques et de gestion directe des droits d'auteur. Il a
été mis en place par Interdeposit qui rassemble des organisations
concernées par la protection des droits de propriété
intellectuelle des créations numériques. L'Agence pour la
protection des programmes est un des membres fondateurs de cette
fédération créée le 10 janvier 1994 à
Genève >>. Disponible sur le site
http://fr.wikipedia.org/wiki/Inter
Deposit Digital Number
70 Disponible sur le site
http://www.procirep.fr/Immatriculation-des-OEuvres.html
comparable au numéro << International Standard
Book Number >> qui, comme sa traduction l'indique, attribue à
chaque ouvrage unique publié un numéro qui lui est propre ; ces
standards répondent ainsi aux << nécessités
techniques et économiques de la diffusion d'oeuvres dans l'environnement
numérique >> et se veulent pour leurs créateurs comme
un << atout majeur dans le contrôle et la gestion de la
diffusion des oeuvres71 >>. Un ISAN distingue donc de
façon unique une oeuvre audiovisuelle de tous les autres oeuvres
audiovisuelles.
Des agences régionales se déclinent dans
plusieurs pays pour assurer l'efficacité des immatriculations au niveau
local ; c'est ainsi que la gestion opérationnelle du système ISAN
en France est assurée par l'Agence Française-ISAN, association
domiciliée à la Société des Producteurs de
Cinéma et de Télévision (PROCIREP).
L'impact bien réel de la norme ISAN est tel que la
fourniture d'un identifiant ISAN est désormais requise pour les
déclarations de droits effectuées auprès de la PROCIREP
pour les droits de copie privée et de l'Agence Nationale de Gestion des
OEuvres Audiovisuelles (ANGOA) pour les droits de retransmission.
Il est aisément compréhensible que cette
innovation quant au suivi des oeuvres ait été principalement
impulsée par les bibliothèques et les centres de recherche
mondiaux qui ont utilisé de façon très novatrice, avec le
système ISBN, l'identification des contenus numérisés par
codes uniques72 et dont leurs problèmes ne sont pas si
différents de ceux des majors.
En effet, depuis plusieurs années déjà,
les bibliothèques subissent les assauts du géant américain
de l'Internet Google qui a lancé, via son module Google Books,
une politique de numérisation colossale de tout le savoir de
l'humanité sans respect réel des droits d'auteur.
Ce << piratage >>, non plus par des millions
d'anonymes mais par une entreprise richissime qui fait la pluie et le beau
temps sur l'économie du Net, pose au final le même type de
problème que pour l'industrie du disque ou du cinéma et force les
organismes de recherche concernés à faire preuve de la même
vigilance et de la même résistance contre Google.
71 Ibid.
72 Lionel Maurel, Panorama des systèmes
de métadonnées juridiques et de leurs applications en
bibliothèque numérique, Rapport d'un
élève-conservateur à l'Ecole Nationale Supérieur
des Sciences de l'Information, 7 novembre 2006
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/13/02/22/PDF/PANORAMA
DES SYSTEMES DE METADONNEES J URIDIQUES ET DE LEURS APPLICATIONS EN
BIBLIOTHEQUE NUMERIQU1.pdf
C'est ainsi que des procédures nouvelles ont fait leur
apparition pour l'identification des oeuvres, comme les
métadonnées, des données servant à
définir ou décrire une autre donnée. Ce système,
moins réducteur pour les libertés individuelles en ce qu'il se
contente d'ajouter au fichier numérisé des données
génériques, peut être le bon compromis trouvé pour
anticiper la suppression logique à venir de toutes les mesures
techniques de protection comme les DRM qui se chargent de protéger
à l'extrême les droits patrimoniaux en empiétant
énormément sur les droits des consommateurs (cf. infra).
Et quand bien même les mesures techniques de protection seraient encore
conservées pendant longtemps, celles qui défendent les droits
moraux des auteurs doivent ne pas être mises a priori au même
niveau que les autres.
II/ Le filtrage des réseaux peer-to-peer : pour une
juste répartition de la rémunération des auteurs et des
ayants droit
L'argument le plus connu des opposants à la licence
globale est également le plus percutant : sur la somme globale
perçue provenant des forfaits relatifs à la licence globale - on
peut encore reprendre l'exemple du milliard d'euros estimé par
Joëlle Farchy - comment la répartir entre les auteurs de
façon à ce que la division corresponde justement au
prorata des échanges réels effectués sur la Toile
? La solution, terrible mais simple, reste le filtrage du peer-to-peer
et le traçage des internautes sur ces réseaux.
Assez étonnamment, le « flicage » tant
redouté des internautes - mais porté par les défenseurs de
la licence globale - avait l'air de plus inquiéter les maisons de
disque, par la voix de son porte-parole principal au moment des débats
sur la licence globale en 2005 et 2009 Pascal Nègre, l'actuel
Président Directeur Général d'Universal Music
France, alors que cette mesure n'entrave en rien les intérêts
des majors et des sociétés de gestion de droits, au
contraire. Le traçage pourrait en effet permettre d'établir, dans
un contexte de licence globale optionnelle, des statistiques précises
des fichiers échangés sur les réseaux et ainsi servir de
rapports inestimables dans le circuit de redistribution des
rémunérations de la création.
Mais cette surveillance est jugée peu réalisable
en pratique, ou tout du moins elle nécessiterait des investissements
importants en back office, surtout si l'on devait vérifier, en
plus, que les internautes n'ayant pas adhéré au système de
licence globale ne continuaient pas
à « pirater » sur les réseaux P2P.
C'est ainsi que le député UMP Franck Riester, lors des
débats portant sur la loi HADOPI, avait jugé la licence globale,
« pas vraiment opérationnelle » puisqu'elle implique
« un contrôle et un suivi extrêmement précis des
millions d'internautes se livrant à des téléchargements
pour vérifier que ceux qui ne la payaient pas ne se livraient pas pour
autant à de la piraterie73 ».
Quoiqu'il en soit, le traçage des internautes est
à l'heure actuelle le seul moyen technique pour assurer la juste
rémunération des auteurs et des artistes si l'on souhaite
appliquer les mécanismes propres à la licence globale. Ainsi, la
collecte des adresses IP fait naturellement l'objet d'un encadrement
législatif poussé qu'il est importun de réutiliser et, si
possible, d'étoffer.
Ayant attrait aux libertés individuelles et plus
particulièrement au respect de la vie privée dans le domaine de
l'informatique et sur le réseau Internet, le traçage des
internautes ne peut se faire sans l'intervention et l'accord unilatéral
de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL).
Celle-ci avait accordé fin 2004 une autorisation
préalable au Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) de
satisfaire aux possibilités conférées par l'article 9-4 de
la loi du 6 août 200474 déclarée conforme
à la Constitution de 1958 quelques jours plus tôt par le Conseil
constitutionnel au motif principal d'une sauvegarde de la
propriété intellectuelle75, qui autorisait les
sociétés de gestion collective et les organismes professionnels
de traiter les coordonnées des internautes téléchargeant
illégalement des oeuvres protégées sur Internet.
73 Franck Riester, Rapport n°1486 du 18
février 2009 de la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale
sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la
création sur Internet.
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1486.asp
74 L'article 9-4 de la loi n°2004-801 du 6 août
2004 relative à la protection des personnes physiques à
l'égard des traitements de données à caractère
personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi
rédigé : « Les traitements de données à
caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures
de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre que par [...]
les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1
du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des
droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes
d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même
code aux fins d'assurer la défense de ces droits. ».
75 Décision n° 2004-499 DC du 29
juillet 2004 sur la loi relative à la protection des personnes physiques
à l'égard des traitements de données à
caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978
relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés
La collecte des adresses IP était conçue
initialement pour des cas bien précis et selon le nombre plus ou moins
acceptable de fichiers piratés ; les agents de la CNIL avait ainsi
déclaré que << Les adresses IP des internautes ne
seront recueillies que dans le seul but de permettre la mise à
disposition de l'autorité judiciaire d'informations et ne pourront
acquérir un caractère nominatif que dans le cadre d'une
procédure judiciaire.76 ».
Mais la CNIL, hésitante, a fait volte-face en
séance plénière le 18 octobre 2005 en estimant que
<< la surveillance exhaustive et continue des réseaux
d'échanges de fichiers P2P77 » serait
disproportionnée au regard de la finalité poursuivie.
Le Conseil d'Etat est alors venu rappeler à l'ordre la
Commission dans un arrêt de section du 23 mai 2007 où les Sages
ont jugé que la CNIL avait commis là une faute manifeste
d'appréciation78 car, en pratique, le contrôle portait
uniquement sur quatre réseaux peer-to-peer avec un nombre
d'internautes surveillés dérisoire comparé à
l'ensemble de la communauté adepte du téléchargement
illégal.
En réaction, la CNIL s'est pliée par deux
décisions postérieures des 8 et 22 novembre 2007 au point de vue
du Conseil d'Etat et a ainsi procédé aux autorisations
véritables induisant la surveillance des réseaux
d'échanges79.
Ces décisions sont donc fondamentales et fondatrices
pour asseoir juridiquement le traçage des internautes et admettre
l'application réelle de la loi de 2004 par les tribunaux. Pour autant,
ces positions ne sauraient balayer d'un revers de la main les revendications
légitimes des internautes qui voient ainsi une partie de leurs droits
bafoués au nom de la protection des droits d'auteur ; on voit bien ici
les difficultés d'adéquation entre protection des droits de
propriété intellectuelle d'un côté et droit à
la vie privée et protection des données à caractère
personnel des utilisateurs de l'autre. Mais la licence globale est d'un commun
accord vécue comme un << cadeau » fait aux internautes, plus
que pour les auteurs et les ayants droit - et ce malgré tous les efforts
possibles d'encadrement strict du système.
De ce fait, il est parfaitement estimable que l'accès
presque gratuit à la culture et à l'ensemble du patrimoine
immatériel de l'Humanité, qui aurait pu être rendu possible
en France par
76 Disponible sur le site
http://www.cnil.fr/la-cnil/actu-cnil/article/article//peer-to-peer-premiere-autorisation-dela-cnil-relative-aux-logiciels-de-loisirs/
(date d'accès : 30 juin 2010)
77 Disponible sur le site
http://www.cnil.fr/dossiers/internet-telecoms/actualites/browse/11/article/550/peer-topeer-la-cnil-nautorise-pas-les-dispositifs-presentes-par-les-societes-dauteurs-et-de/
(date d'accès : 30 juin 2010)
78 CE, Sect., 23 mai 2007, Sacem et
autres/Cnil
79 Disponible sur le site
http://www.cnil.fr/la-cnil/actu-cnil/article/browse/11/article/12/peer-to-peer-la-cnil-setourne-vers-lavenir/
(date d'accès : 30 juin 2010)
l'ajout du téléchargement illégal en
exception de copie privée en 2005, doit s'accompagner d'une contrepartie
pour les principaux bénéficiaires, surtout si celle-ci concourt
à une rémunération juste et équitable des
auteurs.
Ceci étant, personne n'a dit que ce système de
partage contrôlé des sommes forfaitaires collectées serait
simple à mettre en oeuvre et, en outre, la Cour de Justice des
Communautés Européennes a rappelé le 29 janvier 2008 les
directives européennes en la matière n'obligeant pas un
fournisseur d'accès à l'Internet à communiquer les
données de ses clients dans le cadre d'une procédure civile, pour
ainsi concilier la propriété intellectuelle et le droit à
la vie privée80.
Dans un tel contexte, et pour assurer au moins aux internautes
que la surveillance se ferait uniquement sur les réseaux
peer-to-peer et que les données collectées ne
serviraient qu'à établir les rapports détaillés des
échanges, on peut tout à fait imaginer que le traçage des
internautes soit contrôlé par une autorité administrative
indépendante, telle la HADOPI créée par la loi
éponyme, et qui, contrairement à cette dernière,
disposerait de pouvoirs juridictionnels conséquents.
80 CJCE, 29 janvier 2008, Productores de
Música de España (Promusicae) c/ Telefónica de
España SAU
CHAPITRE 2
LA « LICENCE GLOBALE DE L'OFFRE LEGALE »
: UNE SOLUTION ECONOMIQUEMENT ET JURIDIQUEMENT RECONCILIATRICE
Pour garder la tête haute en cas d'échec futur de
la loi Hadopi, les plus hautes instances de l'Etat ont déjà
prévu une fin cumulative ou alternative à cette histoire : le
chef de l'Etat a ainsi exposé en début d'année sa
volonté de << réhabituer les jeunes à acheter
leur musique [par] la mise en place de la carte musique, fixée
-- [par exemple] -- à 200 € de potentiel d'achat, et
l'État en prendra la moitié81 »,
système que l'on pourrait traduire en << licence globale de
l'offre légale ». Nicolas Sarkozy semble ainsi se diriger vers un
forfait unique pour un téléchargement illimité via une
plateforme légale.
Certes ce n'est pas à proprement parler une licence
globale, mais le mécanisme reste certainement plus proche d'une
idée de rémunération forfaitaire des artistes plutôt
qu'une << riposte graduée » défendue par la loi Hadopi
qui induit à demi-mot la poursuite et du système actuel de
consommation des contenus culturels et des procédures
répressives.
C'est là tout le paradoxe : tout en se positionnant en
soutien inconditionnel de la Haute Autorité pour la Diffusion des
OEuvres et la Protection des droits sur Internet, les principaux
majors se tournent déjà vers de nouveaux systèmes
de distribution en ligne. L'industrie du disque pourrait ainsi prendre exemple
sur la plateforme fondatrice de l'Institut National de l'Audiovisuel (INA) qui
propose un système hybride où les internautes peuvent visionner
gratuitement 100,000 oeuvres et ensuite payer quelques euros pour
télécharger, s'ils le désirent, le contenu correspondant
en grand format et sans DRM de protection.
De ce fait, les multinationales du disque, du cinéma,
des jeux vidéo, de la littérature et de la photographie se
tournent de plus en plus vers des accès par abonnement à
l'ensemble de leurs catalogues accessibles par le versement d'une somme
forfaitaire qui diffère selon un
81 Disponible sur
http://www.lepost.fr/article/2010/01/08/1875839_sarkozy-la-meilleure-facon-de-dissuader-lepiratage-c-est-l-offre-legale.html
(date d'accès : 29 juin 2010)
volume d'octets donné ou un temps de connexion
donné. Les oeuvres de l'esprit proposées sont bien
évidemment diffusées avec l'accord de leurs auteurs qui,
logiquement, perçoivent des subsides par cette nouvelle mise à
disposition au public.
On peut donc imaginer pour les années à venir un
système hybride de cette offre légale avec la licence globale
où l'ensemble des catalogues seraient accessibles de manière
illimitée et par connexion directe sur des plateformes
dématérialisées.
Cette caractéristique aurait pour effet
bénéfique de protéger matériellement et
économiquement les échanges via des connexions
sécurisées de type https avec, au final, une
rémunération juste entre tous les auteurs et les ayants droit.
Mais pour mettre un tel système en place, il faudrait
opter, sinon pour leur suppression pure et simple, pour un abandon des DRM qui
sont inadaptés à ce type d'offre. Néanmoins le choix est
rude : en effet, le modèle ne peut fonctionner si les DRM,
inhérents à tous les contenus diffusés dans un contexte
d'offre légale sur les sites officiels des majors et des
principaux distributeurs, et constituant une menace sérieuse pour les
libertés individuelles des utilisateurs, continuent à être
appliqués informatiquement à chaque fichier ; dans un souci de
satisfaction des consommateurs principalement qui ne peuvent en
général pas copier leurs fichiers achetés sur des sites
légaux sur un autre support et qui seront donc très fortement
tentés de télécharger illégalement le même
fichier certifié sans DRM. A l'inverse, l'abandon des DRM implique une
possibilité de prolifération des contenus plus rapide alors
même que ces derniers seraient acquis de manière tout à
fait légale.
Malgré ces considérations, l'imagination d'un
tel mécanisme de « licence globale de l'offre légale »
est une alternative sérieuse à la licence globale originelle et
supprime de fait bon nombre de ses côtés jugés
néfastes (SECTION 1). Pour autant, ce mécanisme
ne pourra fonctionner de manière optimale et fédérer
l'ensemble de la population uniquement si les DRM sont progressivement
abandonnés pour laisser libre cours à l'accès
généralisé à la culture et dans une logique de
développement de la société de l'information
(SECTION 2).
SECTION 1 - << Licence globale de l'offre
légale » : une alternative aux côtés néfastes
de la licence globale originelle
La licence globale telle qu'elle fut conçue à
l'origine présentait plusieurs aspects pour le moins inquiétants
: Denis Olivennes, dans son rapport remis au Gouvernement, parlait d'ailleurs
de << monstre collectiviste [fabriqué] pour compenser
une dérive individualiste de la société
libérale82 », soit un système
légalisant une pratique illégale ; on peut comprendre que les
responsables politiques n'ont pu se résoudre à ajouter la licence
globale à la liste des exceptions de copie privée.
Cependant, l'absence de rémunération de la
création est toujours aussi présente, fardeau non seulement
économique mais également philosophique puisque nos jeunes
conceptualisent aujourd'hui les oeuvres sous forme de liste de fichiers
totalement gratuits.
Certes, les alternatives légales à la licence
globale existent déjà (I), mais la <<
licence globale de l'offre légale » pourrait être susceptible
de redonner vie à la consommation culturelle de masse tout en offrant
des garanties au niveau des droits d'auteur (II).
I/ Des alternatives prometteuses mais insuffisantes pour
rémunérer la création
La licence globale ayant été abandonnée,
il a fallu trouver d'autres solutions pour tenter de sauver les industries du
disque et du cinéma. Le développement de l'offre légale
était d'ailleurs l'objectif phare de la loi DADVSI en plus de
l'établissement de sanctions qui ont d'ailleurs perduré jusque
dans la loi Hadopi.
Présenter chaque service disponible serait fastidieux
et finalement inutile ; citons simplement que de nouveaux modèles
économiques ont essayé d'émerger parallèlement
à l'offre légale classique (la vente de contenus culturels
à l'unité en téléchargement), dont << Deezer
», << Jiwa » et << Jamendo » sont les dignes
représentants : les deux premiers proposèrent un vaste catalogue
de musiques disponibles en streaming83 dont les
82 Le développement et la protection des oeuvres
culturelles sur les nouveaux réseaux (mission confiée à
Dennis Olivennes), Ministère de la Culture, novembre 2007. Disponible
sur le site :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/albanel/rapportolivennes231107.pdf
83 Selon WikiPedia, le streaming
<< lecture en flux ou lecture en continu, aussi appelé lecture
directe, lecture en transit, diffusion en mode continu ou encore diffusion
de flux continu, désigne un principe utilisé
principalement
rémunérations aux artistes étaient
financées par la publicité présente sur chaque page,
tandis que le second fonctionna par don volontaire.
Malheureusement, ces deux procédés novateurs
n'ont pas fonctionné84, preuve que même la
publicité et le mécénat ne peuvent venir à la
rescousse de la création et rivaliser avec le piratage
généralisé sur Internet.
A l'analyse quantitative et détaillée, nous
préférerons une étude qualitative et globale en
réfléchissant ainsi aux alternatives proposées par quatre
grandes castes économiques et socioprofessionnelles : les
auteurs/artistes, les maisons de disque, les distributeurs
spécialisés et les distributeurs non
spécialisés.
Les alternatives des auteurs/artistes : les auteurs
sont à mettre à l'honneur car ils constituent la base même
de la création. Internet n'est pas uniquement un moyen pour les
contrefacteurs de se procurer gratuitement et illégalement des contenus
qu'ils auraient dû payer d'une manière ou d'une autre, c'est aussi
un formidable outil de communication. Les artistes l'ont bien compris au point
d'utiliser le réseau pour se faire connaître. Pour qu'un auteur
arrive à vendre sa création, il lui faut être
diffusé par tout moyen audiovisuel à sa disposition (radio,
télévision, cinéma, etc.). Mais il est de plus en plus
fréquent par exemple pour un musicien d'avoir sa propre page «
MySpace » ou son compte « YouTube » comme support pour diffuser
ses créations en libre écoute mais sans possibilité de les
télécharger. Contrairement aux sites Internet de grands
distributeurs spécialisés où l'on ne peut avoir
accès qu'à quelques secondes de chaque oeuvre, il est souvent
possible sur ces pages personnelles d'avoir accès à des oeuvres
complètes, ce qui permet au consommateur d'entrer plus facilement dans
l'univers de l'artiste et de le soutenir par la suite en achetant ses
oeuvres.
Ce genre de service peut aussi permettre à l'artiste de
mettre en avant ses dates de concerts et de servir donc d'Internet comme d'un
véritable outil promotionnel. En effet, la chute du chiffre d'affaires
des industries du disque oblige les interprètes à faire de la
scène ; le contact et le rapport avec le public sont alors très
vendeurs car le spectacle est un facteur clé pour provoquer l'acte
d'achat.
pour l'envoi de contenu en « direct » (ou en
léger différé) ». Disponible sur le site
http://fr.wikipedia.org/wiki/Streaming
84 Mathieu Chartrier, Musique en ligne : NKM tape
du poing. Disponible sur le site
http://www.pcworld.fr/2010/08/06/internet/jiwa-nkm-bfm-musique-en-ligne/504705/
« Licence globale » : réexamen d'une
solution française abandonnée en droit français Le
seul point négatif reste que ces alternatives sont gratuites et se sont
donc largement démocratisées au vu des millions de pages
<< MySpace » disponibles. Dans cette jungle oütous
les internautes peuvent se reconvertir chanteur, quelques talents ne seront
malheureusement pas repérés et beaucoup de
musiciens, cinéastes ou écrivains prometteurs n'arriveront jamais
à percer et donc à diffuser leur oeuvre à grande
échelle.
Les alternatives des maisons de disques : les
majors et les petits labels indépendants se retrouvent au coeur
du problème du téléchargement avec un chiffre d'affaires,
nous l'avons vu, qui s'effondre d'année en année. Ces structures
sont ainsi parfois amenées à recourir à des plans de
licenciements significatifs, et le sentiment de colère vis-à-vis
des internautes est de ce fait palpable et compréhensible.
Celles-ci ont donc tenté de donner un second souffle au
mode de distribution classique des disques sur format CD : pochettes
particulièrement soignées, livrets de plus en plus
détaillés offrant souvent toutes les paroles des chansons, titres
cachés, codes d'accès à des bonus en ligne, clips
vidéos supplémentaires, DVD offert d'un concert par exemple, etc.
A ces rajouts matériels figurent une modification de la stratégie
dite de << l'édition limitée » : lorsqu'un disque sort
en vente, il est en fait disponible en deux types d'exemplaire : un disque
standard et un disque avec un ou plusieurs des bonus décrits
ci-dessus.
Comme nous l'avons vu précédemment, dans cette
période de crise, faire de la scène apparaît indispensable.
Ainsi, en plus des efforts marketing réalisés autour d'un
artiste, les maisons de disques financent des tournées, parfois à
perte sur un premier album ; cette évolution amène les
majors à racheter des tourneurs pour minimiser les coûts
des tournées.
Très simplement, ces attentions portées sur la
qualité aux produits distribués ont été
remarquées par les consommateurs qui apprécient d'avoir un livret
bien façonné et des bonus conséquents en ligne ou sur le
support. Mais le taux toujours élevé de la Taxe à la
Valeur Ajoutée et des prix encore jugés exorbitants ruinent les
efforts effectués et ne font pas décoller les ventes de
disques.
Les alternatives des distributeurs
spécialisés : face au téléchargement sur les
réseaux peer-to-peer, les distributeurs
spécialisés ont créé leur << magasin »
en ligne (
virginmega.fr pour <<
Virgin Megastore »,
fnacmusic.com pour la
<< Fnac », etc.) dans lequel l'internaute a la
possibilité de télécharger en quelques
secondes le contenu qui lui plaît en toute légalité. Les
prix pratiqués sont de l'ordre de 0,99 euros la chanson, 9,99 euros
l'album musical, environ 4,99 euros le film visionné à la demande
et 15,99 euros le film téléchargé
définitivement.
On remarque que ces prix sont relativement
élevés : en effet, dans le cas de la musique, ils sont
moitié moins chers que sur le marché physique alors même
que le coût marginal d'un album téléchargé est nul.
Egalement, la différence de prix entre l'album numérique et
l'album physique est faible pour compenser la dématérialisation
du support, c'est-à-dire le fait de ne pas posséder
matériellement le disque avec les avantages que cela octroie :
possibilité de l'écouter dans un lecteur CD, sur un ordinateur et
sur un baladeur MP3 (d'autant que les titres téléchargés
sont livrés dans un format pas toujours pris en compte par ces
baladeurs...). Néanmoins, l'offre légale permet d'acquérir
un titre à un euro pour des consommateurs non enclins à payer
l'album tout entier. Et, même si les prix restent élevés,
la musique en ligne est en plein essor : en 2006, la fédération
internationale de l'industrie phonographique fait état d'un triplement
du chiffre d'affaires des ventes mondiales de musique en ligne qui atteignent
1,1 milliard de dollars et représentent 6% des revenus des
éditeurs phonographiques.
Cependant, si les grandes surfaces spécialisées
ont su profiter d'Internet comme d'un nouveau moyen de vente, elles restent
très touchées par la crise du marché physique. Cela se
ressent au niveau des prix qui chutent à une vitesse folle : ainsi de
nouveaux albums sont amenés, quelques mois après leur sortie,
à être bradés à 9,99 euros. Cela se ressent
également au niveau du choix en rayon qui est de plus en plus
limité.
Les alternatives des distributeurs non
spécialisés : à côté des distributeurs
officiels et bien connus du public, des industriels à la base issus du
secteur informatique ou de la fourniture d'accès à l'Internet se
sont lancés sur le marché de l'offre légale de contenus
culturels en ligne à partir de la solution « clé en main
>> >> proposée par la société OD2.
La majorité s'est ainsi placée sur le terrain
efficace en matière musicale de la fidélisation des «
fanbases >>, qui consiste à appâter le public
grâce au téléchargement à bas coût et à
l'octroi de certains « bonus >> à l'achat : Apple, qui s'est
imposé en tant que plus gros distributeur de musique, s'inscrit
pleinement dans cette perspective, Ainsi la firme de Cupertino propose un
accès exclusif au contenu d'un artiste, le « Itunes Pass >>,
à la manière d'un abonnement. Par exemple, pour 18,99 euros, les
aficionados peuvent avoir accès à tout le contenu
culturel mis à leur disposition pour un groupe ou un artiste
donné comme des remix, des vidéos
(backstage, interviews), des concerts, du
merchandising, etc. Une proposition très intéressante pour la
création d'une << licence globale de l'offre légale
>> avec un accès généralisé au catalogue d'un
auteur ou d'un artiste.
Parmi ces nouveaux entrants, on peut remarquer la
présence de sociétés provenant essentiellement de
l'industrie informatique et multimédia (Apple, Microsoft, Sony, etc.) et
des télécommunications (Tiscali, Wanadoo, Orange, SFR, etc.). Ce
contexte changeant de croissance du marché et d'augmentation de la
concurrence fait ainsi chuter les parts de marché des deux distributeurs
principaux spécialisés mentionnés plus haut, <<
Virgin Megastore >> et << FnacMusic >>.
Malgré un catalogue de plus en plus varié et
proéminant, les prix, parce que basés sur les tarifs en vigueur
pour les plateformes des distributeurs spécialisés, sont encore
trop élevés et ne peuvent intéresser massivement les
consommateurs.
II/ Un accès illimité à un catalogue
d'oeuvres par abonnement mensuel ou annuel via une plateforme
sécurisée
Le présent paragraphe relève de l'anticipation
pure et ne repose sur rien de concret à l'heure actuelle ; on peut
effectuer tout au plus une similitude avec une proposition microcosmique de
l'opérateur français << Neuf Cégétel >>
qui proposait en 2007 dans son abonnement Internet un accès
illimité à une partie des oeuvres du catalogue d'<<
Universal >>85.
Paradoxe d'une époque, la création n'a jamais
autant été bafouée dans ses droits tout en n'ayant jamais
été aussi vivante ; la musique et le cinéma ne se sont
jamais autant diffusés à travers le monde bien que cette
diffusion soit la plupart du temps illégale car sans l'accord des
auteurs et de l'ensemble des ayants droit. Il faut donc trouver un
système qui protégerait au maximum les droits des auteurs tout en
réhabituant le consommateur à rémunérer la
création et l'ensemble des ayants droit.
85 Ariane Beky, Neuf Cegetel lance son forfait de
musique illimitée. Disponible sur le site
http://www.clubic.com/actualite-78378-neuf-cegetel-musique-illimitee.html
Nous comprenons bien que la solution ne sera pas miraculeuse :
les droits des auteurs ne pourront plus être protégés comme
avant la démocratisation de l'Internet, pas plus que la
rémunération ne sera aussi conséquente.
L'idée principale est d'imaginer un abonnement auquel
chaque internaute pourrait souscrire de son plein gré, lui donnant
accès à un catalogue gigantesque d'oeuvres sur Internet. Les
côtés positifs sont d'emblée très forts : une seule
somme forfaitaire pour un accès dématérialisé
à la culture serait un concept novateur et simplificateur ; en effet,
plus besoin de s'inscrire sur plusieurs plateformes ou d'être
tenté par les réseaux peer-to-peer puisque des millions
d'oeuvres seraient disponibles directement à partir de ce catalogue.
Voyons dès à présent les
caractéristiques principales d'un tel système de << licence
globale de l'offre légale » au niveau du prix de l'abonnement, de
la sécurisation des échanges et d'une certaine
rééducation sociologique de la jeunesse.
Le prix de l'abonnement : nécessairement, un
accès illimité à un catalogue de milliers d'oeuvres de
l'esprit entraînerait un montant forfaitaire plus important que les 5 ou
7 euros calculés pour la licence globale originelle, principalement car
la maintenance d'une telle plateforme aurait un coût conséquent,
autant pour l'hébergement sur des serveurs dédiés stockant
les centaines de milliers d'oeuvres que pour la bande passante allouée
pour rendre possible les millions de téléchargements
simultanés.
Les majors et les sociétés de gestion
collective pourraient aussi en profiter pour récupérer un peu
plus d'argent sur cet abonnement. Pour donner un ordre d'idée, le
forfait pourrait s'élever à 15 euros par mois avec des offres
dégressives pouvant aller, pourquoi pas, jusqu'à un abonnement de
100 euros par an. Notons au passage que cet abonnement ne serait ni obligatoire
ni indexé à la facture des fournisseurs d'accès à
l'Internet.
Certains objecteraient spontanément que le paiement de
cette << taxe » supplémentaire déguisée
provoquerait une gronde massive au sein de la population et serait, sinon
inopérante, irréalisable dans un contexte de difficultés
économiques sérieuses pour une bonne partie des ménages
français.
Mais comment expliquer alors que de plus en plus d'internautes
n'hésitent pas à débourser près de 60 euros de
compte Premium annuel86 sur le site <<
Megaupload » pour télécharger de manière
illimitée et avec le maximum de bande passante tous les contenus
culturels partagés par les autres utilisateurs et, bien
évidemment, sans autorisation des auteurs et des ayants droit ?
Manifestement, les pourfendeurs du mécanisme de
contribution créative ne veulent pas voir qu'il se joue sur ces sites de
téléchargement direct, de plus en plus nombreux sur la Toile, un
système microcosmique de licence globale ; le seul problème, et
non des moindres, est que l'argent récolté ne part pas
directement dans les caisses d'auteurs, producteurs ou éditeurs mais
dans celles d'entreprises privées n'ayant, à la base, rien
à voir avec les industries du disque ou du cinéma.
Des échanges sécurisés :
plutôt que de se connecter plus ou moins anonymement sur les
réseaux peer-to-peer et partager des fichiers
protégés sans aucun contrôle, l'utilisateur se connecterait
directement à la plateforme via un espace sécurisé par
login et mot de passe.
Ce système présente deux avantages notoires pour
l'auteur et le consommateur : premièrement, le créateur d'une
oeuvre pourra connaître précisément par la technique de
l'horodatage le nom de l'acquéreur et l'heure du
téléchargement de sa création ; ainsi la
rémunération juste entre les artistes est envisageable de
manière précise et sereine, tandis que l'augmentation
artificielle du nombre de téléchargements par les auteurs
eux-mêmes est impossible vu que chaque compte est nominatif et
parfaitement identifiable.
Deuxièmement, le consommateur ne prendra pas le risque
de télécharger des fake (fichiers nommés d'une
certaine façon mais dont le contenu est tout autre) ainsi que des
numérisations vérolées ou << virusées »
(contenant des virus informatiques). Chaque fichier distribué sera donc
l' << officiel » fourni par les industries culturelles avec l'accord
des ayants droit.
Une rééducation de la jeunesse : faire
abstraction que la nouvelle génération, celle née avec une
<< souris » dans la main, a intégré en elle la culture
du << tout gratuit » serait une erreur fatale. Le mot <<
rééducation » ne doit donc pas faire référence
à une quelconque
86 Disponible en ligne sur
http://www.megaupload.com/?c=premium
(date d'accès : 29 juin 2010)
politique de réprimandes et de sanctions bien inutiles
pour des personnes nées pratiquement avec la conviction que la musique
et le cinéma ne s'achètent pas mais se vivent pleinement, mais
plutôt à une réappropriation du mode de consommation de la
culture pour, au final, faire retrouver à nos chères petites
têtes blondes le chemin des magasins.
Cet accès illimité ne les dépayserait
d'ailleurs pas trop par rapport aux réseaux peer-to-peer tandis
que les forfaits seraient pris en charge par leurs parents qui se sentent
déjà plus concernés par cette juste rétribution des
artistes et de la création. Tout le monde y trouverait son compte, le
temps que la génération suivante se réhabitue à
payer les auteurs et les artistes.
SECTION 2 - La recherche juridique d'une
interopérabilité effective des supports pour tout accès
généralisé à la culture
Une « licence globale de l'offre légale »
telle que nous l'imaginons implique mathématiquement une
interopérabilité absolue entre tous les supports et dans tous les
formats pour intéresser massivement le consommateur à opter pour
un tel abonnement.
Cette interopérabilité passe
nécessairement par un abandon progressif mais rapide des mesures
techniques de protection et particulièrement celles empêchant la
reproduction sur d'autres plateformes. Mais ce souhait est difficile à
mettre en oeuvre car ces mesures sont protégées juridiquement.
Il convient dans un premier temps d'analyser le contenu de
cette protection juridique des Digital Right Maganements
(I) et de réfléchir dans un deuxième
temps à une suppression de ces DRM sans enfreindre la loi
(II).
I/ Le cadre juridique des Digital Right Managements
empêchant l'interopérabilité
Les mesures techniques de protection constituent le principal
rempart contre l'effritement des droits d'auteurs mais elles cristallisent
également toutes les principales agressions aux libertés
individuelles et aux droits des consommateurs.
A côté des techniques de
métadonnées et d'immatriculation des oeuvres, satisfaisant
surtout le respect au droit moral, existent des mesures de protection qui
présentent une atteinte plus prononcée aux droits individuels :
les Digital Right Managements, largement cités dans cette
étude, ou Gestion des Droits Numériques en français,
servant principalement à restreindre l'utilisation des oeuvres en
modulant par exemple le nombre de reproductions sur d'autres supports.
Ainsi l'une des premières méthodes
imaginées consistait à encoder les fichiers musicaux au format
Windows Media Audio (WMA), véritable système anti-copie limitant
les actes de reproduction à deux gravures sur CD et dix transferts via
le réseau.
D'un point de vue juridique, la licéité de l'usage
des mesures techniques de protection occupe une place primordiale au niveau
international, communautaire mais aussi interne.
Cadre juridique international et communautaire :
l'article 11 du Traité de l'OMPI87 précité sur
les droits d'auteur consacre la protection juridique contre le contournement de
toute mesure technique efficace, tandis que l'article 6 de la directive du 22
mai 200188 précitée impose aux Etats-membres de
prendre des mesures pour lutter contre toute activité destinée
à neutraliser les dispositifs de protection des oeuvres.
87 L'article 11 du Traité de l'OMPI
adopté à Genève le 20 décembre 1996 est ainsi
rédigé : << Les Parties contractantes doivent
prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions
juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces
qui sont mises en oeuvre par les auteurs dans le cadre de l'exercice de leurs
droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et
qui restreignent l'accomplissement, à l'égard de leurs oeuvres,
d'actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou
permis par la loi. ».
88 L'article 6 de la directive du 22 mai 2001 est
ainsi rédigé : << En l'absence d'harmonisation à
l'échelle communautaire, les processus législatifs au niveau
national, dans lesquels plusieurs États membres se sont
déjà engagés pour répondre aux défis
technologiques, pourraient entraîner des disparités sensibles en
matière de protection et, partant, des restrictions à la libre
circulation des services et des marchandises qui comportent des
éléments relevant de la propriété intellectuelle ou
se fondent sur de tels éléments, ce qui provoquerait une nouvelle
fragmentation du marché intérieur et des incohérences
d'ordre législatif. L'incidence de ces disparités
législatives et de cette insécurité juridique se fera plus
sensible avec le développement de la société de
l'information, qui a déjà considérablement renforcé
l'exploitation transfrontalière de la propriété
intellectuelle. Ce développement est appelé à se
poursuivre. Des disparités et une insécurité juridiques
importantes en matière de protection sont susceptibles d'entraver la
réalisation d'économies d'échelle pour les nouveaux
produits et services protégés par le droit d'auteur et les droits
voisins. »
Cadre juridique national : la loi n°2006-961 du
1er août 2006, relative au droit d'auteur et aux droits
voisins dans la société de l'information (DADVSI), transposant la
directive de 2001, encadre logiquement la mise en place des mesures techniques
de protection afin d'empêcher ou de limiter les utilisations
illégales d'une oeuvre : la copie sur un CD, un DVD, l'extraction et la
compression des contenus en format MP3, DivX ou autres, etc.
En limitant ou en contrôlant ainsi ces utilisations, la
mesure technique apposée à l'oeuvre renforce la protection des
droits de représentation ou de reproduction de l'auteur sur celle-ci.
Le législateur français a durci les dispositifs
de protection juridique des mesures techniques de protection : les articles L.
335-3-1 et L. 335-3-2 du Code définissent des types de délits
spécifiques : par exemple, des individus qui fournissent les moyens de
porter atteinte à des mesures techniques ou aux informations sont le
plus sévèrement sanctionnés (6 mois d'emprisonnement et
30,000 euros d'amende). A l'inverse, ceux qui neutralisent la mesure technique
ou l'information ne risquent pas la prison mais sont tout de même
condamnés à une peine de 3,750 euros d'amende.
Les textes internationaux, repris en droit français,
indiquaient que les mesures techniques de protection devaient répondre
à des critères d'efficacité et de fonctionnalité
afin d'être protégées. Plus précisément,
concernant le critère de l'efficacité, seules les mesures
techniques efficaces peuvent bénéficier de la protection
instituée par la loi. Le législateur n'entend pas ainsi
protéger les mesures techniques trop facilement contournables ou celles
placées sur les oeuvres dans le seul but de bénéficier de
la protection légale.
Rappelons que le second alinéa de l'article L. 331-5 du
Code de la Propriété Intellectuelle posant la définition
des mesures de protection considère ces dernières efficaces
« lorsqu'une utilisation est contrôlée par les titulaires
de droits ».
Par conséquent, l'efficacité de la mesure
dépend du contrôle des titulaires de droits et non de la
viabilité ou du fonctionnement en tant que tel de la mesure
technique.
Par rapport au critère de fonctionnalité, les
mesures doivent avoir pour fonction de protéger tout type d'oeuvre sur
laquelle une personne dispose du droit d'auteur ou de droits voisins. Ainsi,
une mesure dont le rôle serait de protéger une oeuvre
contrefaisant ou portant atteinte aux droits d'auteur serait exclue de la
protection instituée par la loi.
Par ailleurs, les mesures techniques sont soumises à
certaines exceptions, définies par les dispositions du Code, qui sont
exonérées de responsabilité pénale.
Plusieurs plateformes légales comme la << Fnac
>> ou << Universal >> ont abandonné les DRM tandis que
d'autres ont décidé de les conserver dans leurs offres en ligne ;
<< VirginMega >> dispense ainsi ce service dans ses conditions
générales de vente : << pour le service de
téléchargement définitif d'enregistrements musicaux, les
fichiers numériques téléchargés sont gravables au
moins 7 fois sur CD et transférables au moins 5 fois vers des baladeurs
numériques89 >>.
II/ Une suppression des DRM logique et inhérente
à la société de l'information
Le législateur, ayant transposé la directive du
22 mai 2001 en droit français, a tout de même souhaité
contrebalancer cette toute puissance accordée aux mesures techniques de
protection en tentant de protéger les intérêts des
utilisateurs et bénéficiaires d'exceptions dans les limites
posées par les dispositions du texte européen.
L'alinéa 4 de l'article L. 331-5 du Code de la
Propriété Intellectuelle consacre ainsi le principe
d'interopérabilité des mesures techniques de protection,
celles-ci ne devant pas << avoir pour effet d'empêcher la mise
en oeuvre effective de l'interopérabilité, dans le respect du
droit d'auteur >>, dans une volonté de rendre
légitimes les actes de contournement accomplis afin de permettre
l'interopérabilité des dispositifs de protection. Cela signifie
que les codes d'accès, cryptage et autres procédés mis en
place par la mesure technique doivent êtres interopérables avec
tout type de matériel ou logiciel qui puisse les décoder ou les
décrypter efficacement.
Pour assurer de manière effective cette
interopérabilité, l'article L. 331-7 du Code vient
défendre le principe par l'interaction d'une nouvelle Autorité de
Régulation des Mesures Techniques (ARMT). En effet, selon ses
dispositions, la documentation technique et les
89 Article 12 des Conditions générales
de vente du site << VirginMega >> accessible à cette adresse
:
http://www.virginmega.fr/Sites/Cgv.aspx#12
interfaces de programmation nécessaires pour permettre
à un dispositif technique d'accéder à une oeuvre ou
à un objet protégé par une mesure technique ainsi qu'aux
informations sous forme électronique, constituent des informations
essentielles à l'interopérabilité, lesquelles peuvent
avoir pour objet même le code source. La mise en place d'une
interopérabilité effective est ainsi garantie par la
communication de ces informations essentielles, contrôlée et mise
en oeuvre par l'Autorité. Les fournisseurs des mesures techniques
doivent ainsi permettre l'accès aux informations nécessaires pour
favoriser l'interopérabilité à tout éditeur de
logiciel, à tout fabricant de système technique et tout
exploitant de service qui en fera la demande auprès de cette
Autorité.
Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition
au motif que l'absence d'une définition claire de la notion
d'interopérabilité, base d'une cause d'exonération de
responsabilité pénale, violait le principe de la
légalité des délits et des peines90.
Le rôle de l'Autorité de Régulation des
Mesures Techniques, selon les dispositions du même article, est de «
garantir l'interopérabilité des systèmes et des
services existants, dans le respect des droits des parties, et d'obtenir du
titulaire des droits sur la mesure technique les informations essentielles
à cette interopérabilité ».
Clairement, la logique du DRM est insoutenable pour les
consommateurs qui se sentent floués la plupart du temps en achetant du
contenu qu'ils ne pensaient pas protégés. En effet, un
contentieux important est né aux Etats-Unis et en France sur la base
d'une réappropriation de la théorie des vices cachés : des
majors n'avaient fait état sur plusieurs oeuvres
distribuées d'aucune réserve d'usage alors que ces contenus
étaient illisibles sur
certains lecteurs CD, autoradios et autres platines de DVD. La
loi DADVSI de 2006 avait dümême ajouter un article L.
331-12 au Code de la Propriété Intellectuelle pour
répondre à cet
abus, nouvellement codifié à l'article L. 331-10
depuis la loi Hadopi : « les conditions d'accès à la
lecture d'une oeuvre, d'un vidéogramme, d'un programme ou d'un
phonogramme et les limitations susceptibles d'être apportées au
bénéfice de l'exception pour copie privée par la mise en
oeuvre d'une mesure technique de protection doivent être portées
à la connaissance de l'utilisateur ».
90 Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet
2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la
société de l'information
L'atteinte aux droits de l'utilisateur légitime n'est
plus à démontrer, la jurisprudence étant venue à de
nombreuses reprises protéger les consommateurs contre les
multinationales : c'est ainsi que la société Warner Music France,
qui avait installé un système de protection anti-copie sur un CD
de l'artiste Phil Collins empêchant toute lecture et enregistrement sur
le disque dur de l'ordinateur, avait porté atteinte à l'exception
de copie privée91. Et les exemples ne manquent pas.
En outre, les DRM ont la fâcheuse caractéristique
de collecter des données personnelles à l'insu des
intéressés du moment que ces derniers disposent d'une connexion
Internet. Si un traçage des internautes, comme évoqué dans
le chapitre premier, est inévitable dans le cadre d'un mécanisme
originel de licence globale, il est en revanche premièrement
inapproprié dans un contexte d'accès global aux catalogues des
majors et des producteurs indépendants, et deuxièmement
contreproductif en incitant directement les internautes à continuer de
télécharger illégalement sur des plateformes où ils
ne seront pas pistés, ou alors seulement dans un cadre
répressif.
De même, un manque d'interopérabilité
bride tout transfert entre plateformes de sociétés ou
constructeurs différents : le meilleur exemple est sans doute celui
d'Apple qui ne cherche que la reconnaissance entre sa plateforme légale
de téléchargement iTunes et son
célébrissime baladeur MP3, l'iPod. Ainsi tout autre
contenu provenant d'autres sites légaux ne sont souvent pas compatibles
avec les baladeurs de la firme de Steve Jobs et les reproductions sur ses
supports ne sont pas illimitées.
Pour des raisons presque philosophiques, les mesures de
protection sont aujourd'hui dépassées et ne permettent pas de
toute façon de protéger de manière optimale les droits
d'auteur. Tout au plus, elles détournent les consommateurs
déçus de l'offre légale et les confortent dans
l'idée que le piratage répondra mieux à leurs attentes et
n'ira pas à l'encontre du droit au respect de leur vie privée.
Il reste que la mise en place d'une << licence globale de
l'offre légale » ne pourra être massivement suivie tant que
les DRM n'auront pas été purement et simplement
abandonnés.
91 Ariane Delvoie, << La fronde anti-DRM
sonne-t-elle le glas de cette technologie », Gazette du Palais,
18 et 19 avril 2007, p. 25
Enfin, pour répondre à l'argument que les
fichiers sans DRM pourraient une fois encore se démultiplier à
l'infini malgré une acquisition à la base légale, nous ne
pouvons que rappeler l'impossibilité d'un contrôle absolu sur la
création, qu'elle soit sur support ou
dématérialisée, car sa vocation même est
d'être librement et largement diffusée.
- CONCLUSION -
La multiplication exponentielle des échanges d'oeuvres
piratées sur Internet ainsi que le solide ancrage dans les moeurs du
téléchargement de masse ont montré toutes les limites des
législations françaises et européennes en matière
de droit d'auteur. Le non-respect de ce dernier a atteint une telle ampleur
que, même remis au goût du jour, l'encadrement juridique du
téléchargement reste inapplicable ou tout du moins totalement
contreproductif.
Cet enracinement de la pratique du
téléchargement illégal, assimilable à du vol
d'oeuvres culturelles, a atteint un stade tel que les réflexions se sont
plus portées vers une refonte profonde de la notion de droit d'auteur
par la mise en place d'une licence légale, autorisant le
téléchargement en échange d'une petite compensation
financière.
L'échec de cette idée, incompatible
principalement avec le droit de l'Union Européenne et les accords
internationaux, avait laissé présager un durcissement ou du moins
un entêtement de la législation française,
premièrement en matière de sanctions, matérialisées
par la loi Hadopi, et, deuxièmement, en matière de verrouillages
technologiques qui restent peu adaptés à la protection du droit
d'auteur.
D'un point de vue personnel, je me trouve à la
croisée des chemins et des avis sur la question de la licence globale :
issu de la première << génération Internet »,
il est vrai que je réfléchis autant en matière d'achat
légal sur Internet qu'en matière de téléchargement
illégal d'oeuvres piratées quand l'offre légale ne
satisfait pas mes attentes ; pour autant, je comprends de par ma qualité
de musicien que la création est inestimable et ne pense donc pas qu'il
faille balayer d'un revers de la main la juste rémunération d'un
travail, d'une prestation, d'un talent, d'un don.
Si l'on reste dans le domaine exclusif de la musique, secteur
sûrement le plus touché par le piratage sur Internet, je citerai
cette maxime de Ram Samudrala, chercheur en biotechnologies et surtout musicien
comme moi : << La musique est libre parce qu'on peut laisser ses amis
l'écouter, la copier, la faire entendre à leurs amis, et ainsi de
suite. Dans une acception plus radicale, la musique est totalement libre
lorsqu'un autre musicien peut utiliser une création
préexistante comme point de départ pour sa
propre création. C'est alors que la musique libre devient très
intéressante. Et sans cette liberté, la créativité
humaine ne peut vraisemblablement pas développer toutes ses
capacités. ».
Au final, la réalité technique fait que le
manque à gagner dans cette industrie comme dans d'autres ne pourra plus
jamais être comblé, peu importe le niveau répressif mis en
oeuvre. Internet est là et bien là, il faut donc maintenant s'en
accommoder et trouver des solutions pour que la culture vive autrement. Cela
passera donc probablement par un changement radical de nos modes de
consommation de la création.
A ce titre, une « licence globale de l'offre
légale » serait un bon moyen d'y parvenir. Et, s'il le faut, le
législateur pourrait rendre cette licence obligatoire du moment que l'on
possède une connexion Internet, sur le même mode
d'exécution que la redevance télé.
Après tout, ne paye-t-on pas cette dernière alors
que même que nous n'allumons pas systématiquement notre
écran de télévision ?
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http://www.tetedequenelle.fr
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- TABLE DES MATIERES -
REMERCIEMENTS 3
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS 4
SOMMAIRE 5
INTRODUCTION 6
§ 1. - Remarques préalables 6
§ 2. - Pourquoi une licence globale ? 7
§ 3. - Définition de l'appellation « licence
globale » 9
§ 4. - Les débats parlementaires sur la licence
globale 10
§ 5. - Arguments en faveur de la licence globale 12
§ 6. - Arguments allant à l'encontre de la licence
globale 14
§ 7. - La licence globale à travers le monde 16
§ 8. - Problématiques et annonce du plan 16
TITRE PREMIER - LA LICENCE GLOBALE : UNE REMISE EN CAUSE
PROFONDE DU DROIT D'AUTEUR 18
CHAPITRE 1 - LA LICENCE GLOBALE : UNE ATTEINTE AU DROIT D'AUTEUR
19
Section 1 - Les atteintes au droit d'auteur sur le plan
du droit positif
national 20
§ 1. - Les atteintes de la licence globale aux droits
moraux 20
§ 2. - Les atteintes de la licence globale aux droits
patrimoniaux 24
Section 2 - Les atteintes au droit d'auteur sur le plan du
droit communautaire et international 26
§ 1. - Les atteintes de la licence globale à la
législation
communautaire 27
§ 2. - Les atteintes de la licence globale à la
législation
internationale 29
CHAPITRE 2 - LA LICENCE GLOBALE : UNE NOUVELLE FORME
D'ACCEPTATION DU DROIT D'AUTEUR 33
Section 1 - Une appréhension différente et
pionnière du droit d'auteur par la doctrine 34
§ 1. - Une approche novatrice du droit d'auteur
français : l'exemple du projet Jean Zay 35
§ 2. - Une piste intéressante pour apprivoiser le
concept de licence : la théorie de « l'Age de
l'Accès » 37
Section 2 - Une appréhension différente et
nécessaire du droit d'auteur au regard des réalités
techniques et économiques . 39
§ 1. - Le droit moral à l'heure d'Internet : une
capacité à défendre les droits des auteurs en question
40
§ 2. - La licence globale optionnelle comme nouvelle
acceptation des modes de consommation de la création 43
TITRE DEUXIEME - LA LICENCE GLOBALE : UNE COMPENSATION A
L'ABSENCE DE REMUNERATION DE LA CREATION 45
CHAPITRE 1 - LES PRE-REQUIS JURIDIQUES ET TECHNIQUES OBLIGATOIRES
POUR UNE JUSTE REMUNERATION DES AUTEURS 46
Section 1 - La nécessaire clarification des relations
contractuelles entre auteurs et gestionnaires de droits 47
§ 1. - Le système actuel de perception
numérique par les sociétés de gestion collective 48
§ 2. - La difficulté de la perception
numérique à l'heure de la reproduction massive des oeuvres de
l'esprit sur Internet 50
Section 2 - Immatriculation des oeuvres et filtrage des
réseaux peer-to- peer : une protection accrue des droits
d'auteur 51
§ 1. - L'immatriculation numérique des oeuvres :
pour un respect du droit moral des auteurs 52
§ 2. - Le filtrage des réseaux peer-to-peer
: pour une juste répartition de la rémunération des
auteurs et des ayants droit 55
CHAPITRE 2 - LA « LICENCE GLOBALE DE L'OFFRE LEGALE » :
UNE SOLUTION ECONOMIQUEMENT ET JURIDIQUEMENT RECONCILIATRICE 59
Section 1 - « Licence globale de l'offre légale
» : une alternative aux côtés néfastes de la licence
globale originelle 61
§ 1. - Des alternatives prometteuses mais insuffisantes
pour rémunérer la création 61
§ 2. - Un accès illimité à un
catalogue d'oeuvres par abonnement mensuel ou annuel via une plateforme
sécurisée 65
Section 2 - La recherche juridique d'une
interopérabilité effective des supports pour tout accès
généralisé à la culture 68
§ 1. - Le cadre juridique des Digital Right
Managements empêchant l'interopérabilité 68
§ 2. - Une suppression des DRM logique et inhérente
à la société de l'information 71
CONCLUSION 75
BIBILIOGRAPHIE 77
SITOGRAPHIE 81
LICENCE DE REUTILISATION 85
LICENCE DE REUTILISATION
Ce mémoire est protégé par un contrat
<< Creative Commons : Paternité - Pas de Modification
». Ce contrat est une autorisation non exclusive permettent aux titulaires
de droits d'autoriser le public à effectuer certaines utilisations, tout
en ayant la possibilité de réserver les exploitations
commerciales, les oeuvres dérivées ou le degré de
liberté (au sens du logiciel libre).
PROPRIÉTÉ
Le présent mémoire est la propriété
de Guillaume Lhuillier, résidant au 34 rue de Corbeil, 91250
SAINTRY-SUR-SEINE.
DROITS DE PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE
Les contenus présentés dans ce mémoire
sont soumis à la législation relative au droit d'auteur ; de ce
fait, le texte est la propriété exclusive de Guillaume Lhuillier,
mises à part les courtes citations qui appartiennent à leurs
auteurs respectifs et qui ont été reprises aux termes de
l'article L. 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, les
deux illustrations dans le corps du mémoire qui sont la
propriété du site de << l'Alliance Public-Artistes »
ainsi que le logo de l'Université Paris I Panthéon-La Sorbonne en
page de couverture.
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