Les principales causes et perspectives de développement pour la lutte contre la pauvreté urbaine à Kinshasa( Télécharger le fichier original )par Isaac MAYELE Université catholique du Congo - Gradué en économie et développement 2008 |
II.3. UNE VILLE TENTACULAIREL'explorateur Henri Morton Stanley crée le 3 décembre 1881 la station de Léopoldville sur la baie de Ngaliema au bord du fleuve Congo à l'endroit dénommé actuellement Léopoldville 2, à une distance de 7m du village autochtone appelé Kinshasa. La construction des installations portuaires dans le pool du fleuve, l'implantation des industries fluviales de Kintambo et l'arrivée du rail Kinshasa-Matadi transforment la physionomie de la bourgade entre 1890 et 1911. Elle prend l'allure d'un centre urbain et vers 1910, elle couvre 5 000 Ha. Trois cités africaines d'auto-construction se développent en ce moment là : Kintambo (la plus ancienne à l'Ouest), Kinshasa et Barumbu (au centre ville). Le centre urbain commence à devenir important avec sa fonction de ville de transbordement. En 1914, il est élevé au rang de chef-lieu d'un des 6 territoires qui forment le district du Moyen Congo. Signalons ici que l'ascension de la ville ne s'arrête pas là. Sa situation géographique de porte d'entrée et de sortie du pays ainsi que son rôle économique font qu'en 1923, Kinshasa devienne la capitale du Congo-Belge aux dépens de Boma, jugée trop excentrée et difficilement urbanisable. L'administration coloniale crée la commune de la Gombe pour accueillir le siège des institutions de la nouvelle capitale. Le tracé de la ville présente déjà un plan urbain ségrégatif. La ville apparait nettement scindée en deux secteurs dès 1931. D'un côté, les quartiers africains dont les plus anciens sont les cités de Kintambo située à l'ouest. Kinshasa et Barumbu localisées au centre. De l'autre côté, le quartier européen, au nord de la ville, au-delà de la voie ferrée et le boulevard du 30 juin. Entre les deux quartiers il y a la zone tampon qui se trouve être l'hôpital général de Kinshasa, le jardin botanique, le jardin zoologique, le chemin de fer, etc. A l'Est, les installations industrielles s'installent au bord du fleuve, au-delà des avenues du flambeau, du rail et des poids lourds. La ville européenne se structure, elle aussi, autour d'un axe principal (le boulevard du 30 juin). Après la seconde guerre mondiale, la ville explose sur le plan démographique. L'administration coloniale, par le biais de l'office des cités africaines (OCA, décret du 5 mars 1952) crée les cités planifiées, notamment : Kalamu, Yolo-Nord, Yolo-Sud, Matonge, Bandalungwa, Matete, Lemba, Kintambo/Camp Bayllon. A l'Est dans la plaine, au-delà de la rivière Ndjili, l'OCA crée la commune de Ndjili comme ville satellite et il l'organise en 7 quartiers. TABLEAU 6 : PROGRESSION ANNUELLE DE L'HABITAT
Sources : BEAU (1975) et Mbumba (1982). L'OCA est le maître d'oeuvre de ces cités planifiées conformément au plan d'aménagement de 1950. Il a pour objectifs de construire à meilleur marché, des logements sociaux et équipements collectifs pour la population africaine. De 1952 à 1960, l'OCA construit 32 224 maisons (19 689 à Kinshasa, 5 832 à Kisangani, 4 082 à Bukavu et 2 621 à Lubumbashi), 2 000 salles de classe, 170 bâtiments communautaires, 393 km de voirie, 241 km de pistes cyclables et piétonnières, 626 km de drains en profondeur et 15 km d'égouts. La même époque correspond au début de la conquête des collines par les somptueuses villas de joli parc, de Djelo Mbinza. Les novelles cités (Kasa-Vubu, Ngiri-Ngiri), quant à elles, sont financées par les fonds du Roi et les fonds d'avance vers 1955. L'indépendance en 1960 marque la fin d'une politique d'aménagement du territoire. L'autorité administrative « congolaise » s'effondre et assiste impuissant à la naissance d'une urbanisation spontanée. La ville s'étend en tâches d'huile dans toutes les directions. Les établissements spontanés donnent naissance aux zones d'extension. Ce sont alors des communes entières qui naissent comme Selembao, Makala, Bumbu, Ngaba, Kisenso, Ndjili (en partie), Kimbanseke, Masina. Elles naissent dans de vastes concessions que l'administration coloniale avait attribuées jadis à des églises ou à des particuliers comme Wery, Imaf, Profrigo, les frères des écoles chrétiennes, Alhadeff, Foncobel, Herman, Groupe Rodeby, Dufour, De Bonhomme, de Malingrau, etc. L'office national de logement (ONL) qui remplace l'OCA en 1965 ne produit que 817 logements, 5 km de voirie, 11 km des drains superficiels, 1,4 km de drain en profondeur et 8,9 km d'égouts pendant sa source existence, avant d'être mis en liquidation. En 1967, l'administration élabore le plan régional et définit une structure urbaine et ses grandes lignes de fonctionnement. Mais, ce plan est vite débordé par la rapide croissance urbaine : 12 000 ha de superficie urbanisable retenue par le plan régional et 19 000 ha de superficie urbanisée au 31 décembre 1975 (BEAU, 1996). Le gouvernement crée la caisse nationale d'épargne et des crédits immobiliers (CNECI) en 1971 et construit 800 logements (la cité Salongo) à Kinshasa, 30 à Kisangani et 15 à Likasi. La CNECI fait faillite cinq années plus tard et le programme de « congolais, un toit » tombe à l'eau. Le gouvernement, par manque de moyens, change de politique de gestion urbaine et adopte la promotion foncière en lieu et place de la production de l'habitat. Voilà pourquoi en 1975, le gouvernement, par le truchement du bureau d'études d'aménagement et d'urbanisme, établit un nouveau plan de la ville qui aboutit au schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU) dont les grandes lignes orientent l'urbanisation vers l'Est (ville Est). En matière de production de l'habitat social, les promoteurs immobiliers privés hésitent d'intervenir là où l'Etat a échoué. Le Logec (Logement économique) produit timidement à Kinshasa au début des années 80 la cité verte (442 logements) et la cité Mama Mobutu (674 logements). Il en est de même des ASBL qui hésitent à s'y impliquer. Seule l'ONG « habitat pour l'humanité », appuyée par les églises protestantes américaines, construit de 1974 à 1994 près de 142 logements à Kinshasa. Comme on le voit, l'intervention des privés dans le secteur est négligeable. C'est ainsi que la ville continue spontanément à étendre ses tentacules dans toutes les directions. Sous l'impulsion de la banque mondiale, le projet de développement urbain (PDU) voit le jour en 1985. Il a des objectifs précis : développer, maintenir les infrastructures de la voirie et des réseaux divers, réhabiliter les services pour l'assainissement des marchés, l'évacuation des ordures ménagères, la circulation des biens et des personnes, la modernisation des procédures foncières, l'aménagement des terrains, la construction des voies de désenclavement, la réhabilitation et l'aménagement de la voirie, le drainage des anciennes cités et l'étude du plan de circulation au centre ville. Retenons que depuis 1960, aucun plan n'est concrétisé sur terrain. Tous sont restés lettre morte ! TABLEAU 7 : PROGRESSION ANNUELLE DE L'HABITAT APRES 1960
Sources : Boute, J. (1980), Boute, J. et de saint moulin, L. (1978), PNUD/Habitat, 2000. NB. Hormis les populations des camps militaires et policiers. II.3.1 LA PHYSIONOMIE DE L'HABITATLes quartiers de Kinshasa sont souvent stratifiés et classifiés en cinq groupes selon le type d'habitat, le niveau socio-économique, les infrastructures, les équipements existants et la chronologie de leur création. a) Les quartiers résidentiels Ces quartiers se trouvent dans les communes de Lemba (Righini), de la Gombe, de Limete (résidentiel et industriel), de Ngaliema (Mbinza ma campagne et Mbinza UPN)12(*). Ce sont donc des quartiers résidentiels de haut standing avec des routes bitumées et des parcelles spacieuses souvent supérieures à 1 000 m². Les eaux usées et les eaux de ruissellement sont évacuées grâce à un système de canalisation généralement fonctionnel en majorité à « la bourgeoisie nationale ». Les activités informelles sont faibles dans les rues. L'accessibilité automobile et pédestre est bonne et aménagée. Les infrastructures sont présentes en bon état mais sous-utilisées. Il n'y a pas de forte demande de transport en commun car les déplacements se font en véhicules individuels. Les densités sont faibles : moins de 20 habitants à l'hectare. A présent, ces quartiers de Ngaliema, Limete et Lemba (Righini), principalement ces derniers commencent à perdre leurs valeurs immobilières à cause de l'insécurité à certains endroits causés par les habitants des quartiers populaires environnants et de la présence des ravins destructeurs. Le quartier Righini est occupé en partie par les professeurs de l'université de Kinshasa. Seule la commune de la Gombe qui est sécurisée, souffre à présent de la spéculation immobilière hormis les quartiers résidentiels de Gombe et Limete, tous les autres sont situés sur les collines. A ma campagne (Ngaliema) et à Gombe, les spacieuses villas rangées en chapelet le long des grandes avenues ornées d'arbres côtoient le golf, le cercle hippique, le tennis, les piscines, les hôtels-bars-restaurants, etc. b) Les quartiers des anciennes cités Ce sont des quartiers qui se trouvent dans les communes de Kinshasa, Lingwala, Barumbu, Kintambo. Les habitations sont vétustes et taudifiées. Ce sont des très vieux quartiers. Les rues sont parfois bitumées, les canalisations d'eau sont complètement bouchées là où elles existent. La population est de niveau moyen, la densité de la population est très forte, Les emplois informels sont très présents, la marche à pied comme mode de transport est très importante. Les infrastructures sont insuffisantes et dégradées et les densités sont fortes : près de 400 habitants/ha. Les chaussées piétonnières ne sont pas aménagées, les communes de Kinshasa, Lingwala et Barumbu souffrent des sérieux problèmes d'assainissement. L'administration de la santé publique y recense souvent des cas de choléra. Les parcelles sont spacieuses mais suroccupées. Une parcelle peut contenir dix (10) ménages dans certains cas. Kintambo comprend deux (2) types d'habitat : vieux et auto-construction d'un côté, récent et planifié (Camp Bayllon) de l'autre, construit par l'OCA en 1954. c) Les quartiers des cités planifiées Ils se trouvent dans les communes de Lemba, Matete, Ndjili (quartiers 1 à 7), Kalamu, Bandalungwa. Ce sont des quartiers cadastrés, planifiés, dotés des commodités urbaines. Les canalisations sont vieilles et sous-dimensionnées. La population a un niveau de vie moyen, la densité de la population est très forte : 350 habitants/ha, les emplois informels sont très importants. La circulation piétonne est très importante. Les maisons construites par l'OCA, il y a 50 ans, sont vétustes et superpeuplées. Elles étaient conçues pour un couple avec deux enfants, aujourd'hui elles en logent 7 en moyenne dans des parcelles qui ne dépassent pas 300 m². Les infrastructures sont saturées et dégradées. Le système de canalisation des eaux ménagères est inexistant. Là où il en existe, il est défectueux et hors usage. Ce sont des quartiers très animés tant le jour que la nuit. C'est ici que se trouve le quartier Matonge (dans la commune de Kalamu), la célèbre cité d'ambiance ! d) Les quartiers excentriques et d'extension Ils se trouvent dans les communes de Masina, Kisenso, Selembao, Makala, Ndjili extension, Bumbu, Kimbanseke, Ngaba. Ce sont les quartiers d'auto-construction. Ils sont souvent isolés, non cadastrés, en majorité habités par des gens à faibles revenus. Certains de leurs quartiers sont nés sur des sites non aedificandi : inondables et érodables. L'accessibilité est aléatoire et à certains endroits impraticables. L'occupation du sol est faible mais en densification. La marche à pied est importante, les infrastructures publiques sont quasi-inexistantes à certains endroits. Les transports en commun sont aléatoires, l'accessibilité piétonne est difficile et non aménagée. Certains auteurs les qualifient de banlieues abandonnées. Selembao, Bumbu et Kisenso se sont développés sur des collines érodables tout comme une partie de Makala. Les communes de Kimbanseke, Masina, Ngaba se trouvent en grande partie dans la plaine. Leurs rivières les inondent à certains endroits. e) Les quartiers semi-ruraux Ce sont les communes de Maluku, N'sele, Mont-Ngafula. Elles sont faiblement occupées. Les emplois informels sont faibles et dépendent de l'ancienneté du quartier. Les deux communes (N'sele et Maluku) situées dans la partie Est occupent plus de 50% de la superficie de la ville. TABLEAU 8 : OCCUPATION DU SOL DANS LE DISTRICT URBAIN
Source : Service national des statistiques agricoles (1991), centre national de développement rural intégré CNDRI (1993). Il s'agit d'un secteur autrefois essentiellement agricole. Le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de 1975 les a incorporés dans l'agglomération urbaine. Elles sont quasiment vides et se situent à plus de 60 km du centre-ville. Leurs quartiers sont multifonctionnels, ils remplissent à la fois les fonctions de banlieue agricole avec la présence des vastes espaces agricoles intensifs et extensifs (DAIPN13(*)), de banlieue industrielle (la sidérurgie de Maluku), de banlieue de récréation (la cité des pécheurs de Kinkole), de banlieue dortoir (Mpasa), etc. Le tableau ci-dessus montre que la superficie agglomérée de Kinshasa n'occupe pas plus de 6% de la superficie totale de district urbain, soit 590,6 km². Cette superficie totale agglomérée abrite l'habitat planifié et non planifié, les zones industrielles et commerciales, les équipements publics et de transport. A cela, il faut ajouter les espaces agricoles et autres usages du sol. Au fait, les 94% des limites administratives de Kinshasa, soit 9 375 km² sont occupées par des zones urbano-rurales : les domaines agro-pastoraux, les terrains non aedificandi et les eaux. * 12 _ UPN : le quartier a pris le nom de l'université pédagogique national, parce qu'il est né à proximité. * 13 _ DAIPN : Domaine Agro-Industriel Présidentiel de la N'sele. |
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