Chapitre 2
Sécuritésociale et croissance
économique : La revue de la
littérature
L
a place de la sécuritésociale dans
l'économie n'est pas contempo raine. Elle découle de longs
débats théoriques depuis l'ère néoclas-
sique, et aujourd'hui fait l'objet de nombreuses
préoccupations dans les pays du monde, en particulier ceux d'Afrique.
Son analyse est divergente selon les auteurs, et bien plus encore lorsqu'il
s'agit de l'introduire dans l'analyse économique. Le présent
chapitre nous permet a` cet effet d'énumérer d'abord un certain
nombre d'approches de la sécuritésociale, et ensuite d'illustrer
sa place dans l'économie, tant sur le plan théorique
qu'empirique.
2.1 Revues théoriques sur la relation entre les
dépenses liées a` la sécuritésociale et la
croissance économique
2.1.1 Analyse théorique de la
sécuritésociale
Les approches de la théorie de la
sécuritésociale
La sécuritésociale est un outil de la politique
sociale de l'Etat. A ce titre; la sécuritésociale se
présente comme un instrument de survie et de soutien aux populations. En
ce sens, son analyse théorique est aussi importante que
préoccupante. La théorie de la
sécuritésociale sera analysée selon plusieurs
approches. Du point de vue macroéconomique, la
sécuritésociale se place a` l'intérieur de
la société, dans son ensemble, et agit en interaction avec
l'environnement social et l'activitééconomique (`a
partir des agrégats économiques). Cette approche
macroéconomique de la
sécuritésociale a
étédéveloppée par Keynes et Marx, a` partir de la
théorie du capitalisme. Ensuite, la théorie mixte de la
sécuritésociale qui est la régulation, se positionne comme
une interpolation entre les idées de Keynes et de celles de Marx. La
théorie de la régulation considère un ràole
triphaséde la protection sociale a` savoir : l'organisation du travail,
la distribution du revenu et la place de l'Etat dans la gérance des
risques sociaux.
Keynes analyse la sécuritésociale, a` partir de
la considération de l'Etat-providence. Il considère que le
système de sécuritésociale est axésur les deux
points principaux suivants : le plein emploi et la redistribution du revenu.
Keynes fonde a` cet effet une réforme sociale du capitalisme, en
insistant sur un élargissement des fonctions traditionnelles de l'Etat.
Ainsi, il définit le ràole fondamental de l'Etat-providence, qui
est celui de la prise en charge des risques sociaux. C'est dans ce sens que
» la taxation des revenus et des successions, le développement des
dépenses publiques et la redistribution massive qu'implique la
protection sociale sont mis en place non pas tellement dans le but de justice
sociale, mais dans un but de sauvetage économique du capitalisme
nécessaire a` sa survie sociale et politique » 15.
15Alex OKOLOUMA (2011) : La protection sociale au
Cameroun
Karl Marx quant a` lui, analyse la
sécuritésociale a` partir des relations qui existent entre les
entrepreneurs et les prolétaires16. Marx montre
qu'àpartir de la théorie de la plus-value, les entrepreneurs
n'ont qu'un seul objectif; celui d'engranger des bénéfices en
utilisant au maximum, la force de travail des employés. Il pense donc
qu'il est nécessaire d'apporter a` ces employés une assistance
sociale, surtout lorsque ceux-ci en ont besoin. Le système capitaliste
pour Marx a pour but d'accroàýtre le taux de plus-value,
c'est-à-dire d'augmenter l'exploitation des prolétaires. Or ce
système, en absence de protection sociale, peut créer un
soulèvement des prolétaires, traduit par une demande d'assistance
sociale. C'est pourquoi Marx a affirméque » Les communistes ne
s'abaissent pas a` dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament
ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le
renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes
dirigeantes tremblent a` l'idée d'une révolution communiste! Les
prolétaires n'y ont rien a` perdre que leurs chaàýnes. Ils
ont un monde a` y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!
» 17. Les considérations de Marx aboutissent a` la mise
en place d'un système de protection sociale pour les prolétaires.
Celui-ci renforcerait les rapports entre les entrepreneurs et les
employés, ainsi que les rapports sociaux et de production.
Du point de vue microéconomique, la
sécuritésociale se place au niveau de l'individu ou d'une
collectivité. La sécuritésociale agit en interaction avec
les individus, d'une part sur le phénomène de redistribution du
revenu sur leur cycle de vie (Modigliani et Brumberg, 1954), et d'autre part
sur l'assurance de leur bien être.
Les nouvelles théories de la
sécuritésociale
Les anciennes théories de la
sécuritésociale étaient centrées sur une analyse a`
postériori des mesures prises par l'Etat pour gérer les risques
sociaux, et l'intervention sur le marchédu travail. Cette conception de
la sécuritésociale ne pouvait donc pas résorber les
situations de crise. En Europe par exemple o`u la population est vieillissante,
les dépenses de sécuritésociale sont énormes. Cette
situation peut entraàýner un état de stabilisation ou tout
simplement un arrêt de la prise en charge de ces populations, si un
système de
16Classe sociale qui, en théorie marxiste,
rassemble l'ensemble des travailleurs manuels dont le revenu provient
uniquement de la vente de leur force de travail: Microsoft Encarta 2009
17Karl Marx, le Manifeste du Parti communiste, 1848
(Encyclopédie encarta 2009)
protection des revenus par exemple, n'est pas mis sur pied. Dans
les pays les moins nantis, cette conception de la sécuritésociale
est encore plus préoccupante.
C'est a` partir de là, que Holzmann et Jorgensen, ont
montréun ensemble de limites de la conception traditionnelle de la
sécuritésociale dont :
u le fait de mettre trop l'accent sur le secteur public;
u le fait d'accorder une importance abusive au montant net des
coàuts et des dépenses; u le fait de détecter
difficilement les éléments communs aux diverses mesures de
protection sociale lorsque celles-ci sont prises dans le cadre
de programmes sectoriels
distincts;
u le fait que la protection sociale ne puisse être une
stratégie efficace pour lutter contre la pauvreté.
Holzmann et Jorgensen (1999) définissent alors une
nouvelle théorie de la protection sociale. Pour eux, le nouveau cadre
théorique de la protection sociale doit s'analyser sur la base de la
gestion du risque social. Ils parviennent ainsi a` proposer une nouvelle
définition de la protection sociale. Cette définition stipule que
: la protection sociale est l'ensemble des politiques publiques visant a` :
u aider les individus, les ménages et les
collectivités a` mieux gérer le risque; u fournir un appui aux
personnes extrêmement pauvres.
La protection sociale est donc une source de
sécuritépour les pauvres, et un investissement dans le capital
humain. La protection sociale et la gestion du risque vont de pair, selon les
analyses de Holzmann.
La gestion du risque, pour être parfaite, doit
intégrer plusieurs facteurs. Selon Holzmann, la
sociétépour une réalisation efficace de la gestion du
risque doit utiliser plusieurs instruments. Ces instruments permettront :
u d'accroàýtre le bien-être des individus et
de la sociétéa` un moment précis;
u de contribuer au développement et a` la croissance
économique dans le temps;
u de comporter comme facteurs essentiels d'une réduction
réelle et durable de la
pauvreté.
La protection sociale devient d`es lors un moteur qui pourrait
contribuer a` la fois a` la croissance économique, et a`
l'amélioration de la situation des pauvres.
Une autre analyse th'eorique de la protection sociale, est
celle de la consid'eration nationaliste. D'après les travaux de B'eland
et Lecours (2004), la protection sociale peut aussi s'analyser en fonction des
facteurs li'es au nationalisme. Pour ces auteurs, les consid'erations
culturelles, religieuses, ethniques ou linguistiques sont 'etroitement
attach'ees au fonctionnement du système de protection sociale.
Au regard de ces observations, ils arrivent a` identifier trois
modes d'interaction entre
le nationalisme qu'ils appellent » nationalisme
sub-étatique » et la protection sociale :
? le nationalisme et la protection sociale sont deux
ph'enomènes directement associ'es
a` l'identit'e et a` la solidarit'e;
? la protection sociale peut devenir un 'el'ement essentiel des
processus de mobilisation territoriale;
? les mouvements nationalistes peuvent infl'echir le
d'eveloppement des politiques sociales, au plan sub-'etatique comme
'etatique..
B'eland et Lecours, a` l'issu de leur analyse th'eorique de la
s'ecurit'e sociale, affirment que » l'existence de mouvements
nationalistes dans un pays donnéfavorise généralement les
campagnes en faveur d'une plus grande décentralisation du système
de protection sociale ».
Tabellini (1990), a 'etudi'e la th'eorie positive de la
s'ecurit'e sociale. Il estime que la s'ecurit'e sociale est un poids important
du budget de l'Etat. Dans son article, il cherche a` connaàýtre
ce qui serait a` l'origine de la taille de la s'ecurit'e sociale. Il d'efinit
donc un modèle de recouvrement de g'en'erations o`u les individus votent
sur la s'ecurit'e sociale. Tabellini aboutit a` la conclusion selon laquelle la
majorit'e des individus sont prêts a` voter pour un système de
s'ecurit'e sociale. En effet, il ressort qu'àl''equilibre, tous les
jeunes votent contre n'importe quel transfert positif aux parents, et le
montant d'impôts est uniquement distribu'e aux jeunes. Il aboutit alors
a` l''equilibre d'ejàd'efinit par Meltzer et Richard en 1981, o`u la
plupart des 'electeurs favorise une politique qui impose et redistribue
(Tabellini (1990) : A positive theory of social security).
Les analyses effectu'ees, nous ont permis de nous entourer
d'un champ de consid'erations th'eoriques sur la s'ecurit'e sociale. Ces
th'eories ne repr'esenteraient en aucun cas une exhaustivit'e des th'eories de
la s'ecurit'e sociale. Nous allons pr'esenter dans la suite, son interaction
avec l'activit'e 'economique, ou du moins, son rôle sur la croissance
'economique.
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