I.L' Analyse des systèmes de régulation
et de gouvernance comme conditions institutionnelles de la mise en oeuvre du
développement durable
11. Le rôle de l'analyse des systèmes de
régulation et de gouvernance dans l'appropriation du
développement durable
La nature du développement durable, comme
système de valeur implique un processus de changement qui doit
être progressive. S'agissant « d'une vision des choses et du
monde sa traduction en principes opératoires ne va jamais de soi
» et implique une évolution « chemin faisant grâce
à un nombre infini de petites modifications, sur les marges du
système dans une logique de percolation ». Cette
progressivité de la mise en oeuvre doit s'accompagner d'un processus de
traduction au sens de la sociologique de la traduction qui suppose
d'établir des correspondances entre des réalités
distinctes en vue de construire des objectifs, de sens communs selon une
démarche ou posture de réflexivité des acteurs quant aux
principes de justification de leurs actions.
Dès 1996, Lafferty souligne la nécessite de
passer d'abord par la traduction de contraintes et d'objectifs globaux dans des
actions et des politiques sectorielles et locales, dans un langage et une forme
qui soit appropriable par les acteurs en fonction des besoins
généraux de la société et non pas d'une institution
ou d'un acteur particulier.
La notion de familiarité renvoie en effet à un
processus d'apprentissage de proche en proche par la création de mondes
hybrides tel que le préconise par Thévenot (1994).
La mise en oeuvre du développement durable doit donc
être pensée comme un processus d'hybridation bricolé et de
construction progressive de proche en proche de divers domaines qui se
renforcent mutuellement et qui interpellent les acteurs dans leurs rôles
de citoyens, de parties prenantes, d'usagers de ressources renouvelables, de
consommateurs, de travailleurs, d'habitants...
Dès lors que le développement durable est
assimilé à une méta règle ou méta norme, son
institutionnalisation implique, alors selon Aoki (2006), un processus
spécifique car les méta règles qui organisent les
règles sont plus difficile à faire évoluer.
Ces dispositifs sont dits cognitifs car ils résument du
savoir, en particulier des savoirs tacites encore qualifié de knowledge.
A ce titre ils facilitent la capacité d'action individuelle et la
convergence des comportements. Par ailleurs ces dispositifs sont collectifs au
sens où il s'agit d'un cadre collectif de comportement qui est un savoir
procédure constitué collectivement par accumulation
d'expériences et communiqué en tant que connaissance commune pour
la société pour laquelle il constitue un bien collectif.
La mise en place du développement durable doit
s'appuyer sur une définition collective des objectifs poursuivis, ce qui
suppose une déclinaison commune des principes généraux en
fonction des enjeux spécifiques de l'échelle d'intervention
où les actions doivent être mises en oeuvre.
Dès lors le développement durable est
nécessairement lié à la gouvernance des territoires qu'il
contribue ainsi à faire évoluer vers un renforcement des
conditions de participation et d'ouverture qui sont consubstantielles aux
principes du développement durable. La prise en compte du
développement durable conduit à redéfinir les conditions
et les méthodes à la fois en matière d'aide à la
décision et d'évaluation
Il apparaît ainsi que le processus d'appropriation du
nouveau référentiel qui est introduit par le développement
durable est un processus complexe qui suppose plusieurs phases relatives
à l'information, l'appropriation et l'institutionnalisation. Il implique
une adaptation des procédures, des dispositifs, des systèmes
d'information et des mécanismes d'apprentissage institutionnel des
acteurs qui passe par des procédures sociologiques de traduction
L'analyse de ces processus nécessite
d'appréhender les conditions de formation et d'information de ces
acteurs (capital humain), leur intégration dans les réseaux
sociaux (capital social) et les formes de prescription et d'influence des
cadres normatifs et principes généraux
générés par les outils et directives réglementaires
et plus généralement par l'influence de la communauté
épistémique. Il convient donc d'élaborer une grille
d'analyse et d'évaluation institutionnelle des politiques publiques qui
permette de rendre compte dans une logique systémique du rôle et
de la situation de ces différents facteurs. Dan cet esprit, la
figure 1 propose une représentation structurelle des
systèmes de régulation à partir desquels les processus de
gouvernance peuvent être étudiés. Elle insiste sur
l'articulation entre les éléments et conduit à
définir trois composantes : le système de décision, le ou
les dispositif(s) de mise en oeuvre et le système d'information.
Cette grille d'analyse met l'accent sur les conditions de mise
en oeuvre des mesures de régulation, notamment la nature, la
légitimité et l'efficacité des institutions qui sont
à l'origine ou qui sont chargées de l'application. Les travaux
menés sur l'évaluation des politiques publiques dans les
années quatre vingt dix ont révélé le fait que les
conditions d'élaboration et d'application d'une politique ou d'une
mesure sont déterminantes de son efficacité et de son impact. Une
mesure de gestion n'est pas efficace dans l'absolu. Son efficacité
dépend de son adaptation aux conditions locales mais aussi du montage
institutionnel qui la porte.
Dès lors la participation à ces processus et
l'ouverture des dispositifs institutionnels où sont définies et
gérées ces politiques qui sont au coeur de la
problématique de la gouvernance deviennent des questions centrales et
conduit à s'intéresser aux comportements des groupes d'acteurs,
à leur histoire, à la façon dont ils se mobilisent,
à leurs capacités d'apprentissage organisationnel et
institutionnel, aux proximités et familiarités avec les objets
et référentiels.
Figure 1 Présentation structurelle des
systèmes de régulation
Représentation
Système de normes de
référence
Système de décision
Réseaux sociaux (capital social des acteurs,
légitimité et influence....)
Règles de fonctionnement
(Procédure de vote...)
Cadre institutionnel et outils réglementaires
Types d'acteurs et de participation (niveau d'organisation des
acteurs)
Dispositif et outils de gestion de l'information
(Observateurs ou autres dispositifs...permettant la prise de
décision et le suivi)
Dispositifs de régulation
Institutions chargés de la mise en oeuvre
Articulation des mesures techniques
Dispositif de contrôle
Savoir faire et information privée des acteurs
Organismes de recherche
Ce type d'approche permet de tenir compte du rôle des
réseaux, structurés ou non, d'acteurs localisés sur un
territoire donné qui participent directement ou indirectement, de
manière légitime ou pas à la gestion du secteur aquacole.
Pour ce faire, la grille d'analyse privilégie l'étude :
§ de la morphologie du système acteurs : il s'agit
d'identifier les acteurs constitutifs et comment ils sont insérés
d'une part dans le système de décision (construit la
règle) et dans les dispositif de régulation (applique et
contrôle) ; la légitimité de ces d'acteurs étant
déterminante pour l'application des mesures ;
§ des interactions entre les dynamiques d'acteurs et
celles des informations. Les interactions entre les acteurs s'organisent au
travers d'accords, de règles et plus généralement de
dispositifs institutionnels et les échanges d'information
(générale, technique, stratégique) sont pour partie
structurés par ces dispositifs, qu'ils contribuent aussi pour partie
à structurer.
Les représentations sociales que nous étudierons
plus précisément par la suite ont une influence centrale au sein
des systèmes de régulation, elles peuvent agir comme des filtres
à deux niveaux : dans la construction et dans l'application des
dispositifs de régulation. Cette action dépend du type de
gouvernance qui est mise en place.
En effet, le développement durable requiert la mise en
place de structures de gouvernance basées sur la participation des
acteurs à la prise de décision et à la mise en place des
actions. Il implique un nouveau partenariat politique associant un ensemble
d'acteurs privés aux côtés des unités
décisionnelles publiques.
Cependant à partir des référentiels
globaux de développement durable, les acteurs privés ou publics
développent leur propre discours sur cette notion avec des
compréhensions différentes de la hiérarchie des objectifs,
des modes de mise en oeuvre et des solutions à envisager. La
participation plus ou moins active des acteurs dans les processus de
décision donne une place importante aux représentations sociales
dans la mesure où la décision prise sera la traduction des
référentiels globaux issus de la convergence des
représentations sociales des participants (appréciation des
contraintes, des risques, des enjeux....).
D'autre part, l'application des décisions prises au
niveau national ou local fait l'objet d'un second filtre par les
représentations. Celle-ci dépend aussi de la structure de
gouvernance qui a été mise en place en amont c'est à dire
dans le processus de décision. En effet, le fait que les acteurs qui
doivent appliquer les mesures (instituant et institué) ne soient pas
impliqués dans le processus de prise de décision est une source
de conflit au niveau de la mise en oeuvre : il peut en effet y avoir à
ce moment un écart entre le contenu de la mesure de gestion et
l'application de celle-ci. D'où, l'importance du choix des
interlocuteurs participant à la prise de décision, il faut que
chacun soit représentatif, dans l'arène, des
représentations communes à la catégorie d'acteurs qu'ils
représentent.
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