2) Le CNC
a) Les fondements du dispositif
C'est en 2007, avec un appel à projet
expérimental d'aide aux projets pour les nouveaux médias, le
cinéma et la télévision que le CNC s'est engagé
dans une politique volontaire de soutien à la production en ligne,
même si auparavant le CNC était déjà présent
sur le multimédia grace au dispositif FAEM (Fonds d'Aide à
l'Edition Multimédia).
Créé en 2004, le FAEM était une
initiative commune du Ministère de l'Economie, des Finances et de
l'Industrie et du Ministère de la Culture et de la Communication.
Mettant l'accent sur « l'innovation " - qu'elle soit éditoriale,
technique et/ou économique - le FAEM devait contribuer à la
production de contenus interactifs originaux et favoriser le
développement des savoir-faire nécessaires à leur
réalisation, pour des oeuvres tres orientées CD ou DVD Rom
interactifs. C'est dans ce cadre qu'ont été aidé les
premiers web documentaires, tels que « La Cité des mortes ", «
Thanatorama " ou « Voyage au bout du charbon ", justement très
orientés jeu vidéo dans la forme. Conscient que ce dispositif ne
correspondait plus tout à fait aux attentes du secteur, le CNC l'a fait
évoluer en 2007 en le réorientant sur un dispositif de soutien
spécifique au jeu vidéo, alors en pleine explosion et très
sous-représenté au CNC.
Pour ne pas écarter tous les autres projets hors «
jeux vidéo " le CNC a parallèlement lancé un appel
à projet multisupports. Ouvert aux auteurs comme aux producteurs,
l'appel à projet de 2007 portait exclusivement sur les étapes de
l'écriture et du développement et comportait une contrainte de
taille : les projets devaient être « conçus dès
l'amont pour au moins trois des supports de diffusion suivants :
téléphonie mobile, internet, jeu vidéo, cinéma,
télévision56 ". Doté d'une enveloppe d'un
million d'euros, cet appel à projet se voulait expérimental en ce
qu'il devait mesurer les attentes et la demande autour de ces nouvelles
écritures. L'intérêt des
56 Extrait du communiqué de presse du CNC du 28 juin
2007
auteurs et producteurs ne s'est pas fait attendre et sur les 163
projets reçus, le CNC en a aidé 23 dont trois projets
documentaires multisupports.
b) Les mécanismes du dispositif actuel
Devant cette importante demande, le CNC a décidé
de pérenniser le dispositif sans manquer toutefois de le faire
évoluer en fonction du profil des dossiers reçus. Ainsi en 2008,
le CNC a ouvert le champ de l'aide à des projets purement web et/ou
mobile, en développement et en production, intégrant ainsi de
manière explicite les web documentaires57.
L'hypothèse de départ reste la même que
pour le premier appel à projet : le renouvellement des écritures
cinématographiques et audiovisuelles passe par l'émergence d'une
écriture multimédia en créant des passerelles entre ces
médias. Un parti pris esthétique au final, parfaitement
assumé par le CNC, qui donne le ton de la « ligne éditoriale
» soutenu par le comité d'expert qui se prononce sur les projets au
vu de certains critères comme l'originalité, le degré
d'interactivité, la cohérence entre les supports...
Contrairement aux nombreux fonds de soutien du CNC, l'aide aux
nouveaux médias ne fonde pas son existence sur un décret mais sur
une simple décision de la Présidence. Cette particularité
du dispositif lui offre une incroyable souplesse dont l'absence serait en
parfaite contradiction avec le but qu'il mène : favoriser
l'émergence d'un secteur. Car c'est le propre d'un secteur en devenir,
on ne sait pas comment, à quel endroit ou qui le portera, voire
même, s'il existera. Afin de parer à toutes ces
éventualités, le CNC a élargi au maximum
l'éligibilité des dossiers mais dans le respect de règles
assurant la viabilité économique des projets et le respect des
usages professionnels. Sur ce point, le fonctionnement parfaitement empirique
du fonds s'est calqué sur les regles éprouvées du soutien
à l'audiovisuel. Le fonds est ainsi ouvert aux auteurs et producteurs
dans la phase de développement, mais limité aux producteurs
(quelque soit leur forme juridique : société ou association, et
leur domaine d'activité) en production pour éviter au maximum les
cas d'autoproduction qui ne favorisent pas la professionnalisation du secteur.
Le principal critère d'éligibilité, à l'image du
COSIP, reste l'engagement d'un diffuseur, mais sur ce point également,
le dispositif est extrêmement souple, car comme l'indique Pauline Augrain
en charge de ce dispositif : « L'idée, c'est d'avoir l'engagement
d'un diffuseur mais, c'est diffuseur au sens large. Ça peut être
une chaîne ou un site de médias, d'autres sites plus de services
comme MSN ou Allociné, des opérateurs de téléphonie
mobile, des FAI... », et de préciser que « l'une de nos
préoccupations majeures, c'est vraiment d'être sur que le projet
sera vu, tout simplement58 ». Et comme pour le COSIP, le
projet, s'il doit bien prévoir l'engagement d'un diffuseur, ne doit
justement pas émaner d'un diffuseur. Seul le producteur
délégué indépendant peut être le porteur de
projet auprès de la commission. Le CNC n'a donc pas vocation à
soutenir l'ensemble des web documentaires réalisés par les
rédactions du Monde.fr ou de France 24. Plus généralement
le fonds s'éloigne de plus en plus du modèle initial du web
documentaire, à savoir un projet de photojournalistes, pour se diriger
vers un modèle mieux connu au CNC, le triptyque
auteur-producteur-diffuseur. De la même manière, si le CNC
encourage l'invention dans le financement des oeuvres, il ne saurait financer
les projets purement institutionnels ou commerciaux qui ne garantiraient pas
l'indépendance éditoriale des auteurs. A ce titre le « Brand
Content » est observé avec vigilance.
57 Voir plaquette descriptive pour le détail, Annexe
n°11
58 Interview de Pauline Augrain, Cf.Annexe n°5
c) Un rôle fondamental, destiné à
évoluer
La mission dans laquelle s'est lancé le CNC fonctionne
donc parfaitement, peut être même trop parfaitement d'ailleurs. Il
est rare de voir aujourd'hui une production qui ne sollicite par le fonds au
maximum de sa capacité d'intervention, soit 50% du budget. De fait,
certains s'interrogent : le web documentaire, genre qui offre le plus de
visibilité au fonds, existerait-il en France sans le CNC ? Une position
dont se défend le CNC : « Ils seraient sans doute dans un mode de
production un peu différent, il y en aurait moins effectivement,
maintenant il y en a qui existent sans nous59 », explique
Guillaume Blanchot, Directeur du Multimédia et des Industries Techniques
au CNC. A ce sujet Joël Ronez, responsable du pôle web d'Arte France
rappelle « que le genre documentaire est plutôt un genre du service
public60 ». Et pour cause, selon les chiffres CNC pour
l'année 200961, les chaînes publiques sont à
l'initiative de 44,7 % des heures de documentaires aidés par le CNC et
de 62,9% des apports de l'ensemble des diffuseurs dans le genre, suivis par le
CNC qui couvre 19,4% de l'ensemble des financements du genre. Il n'est donc pas
étonnant de retrouver dans le web documentaire, les mêmes
tendances que dans le documentaire audiovisuel, à savoir un genre
très soutenu par les financements publics et concentré sur peu de
diffuseurs.
Pour autant la régulation devrait en fait se faire
d'elle-même. D'une part l'augmentation de la demande et le maintien d'une
enveloppe constante devrait créer une sélectivité encore
plus forte entre les projets et une plus grande répartition des moyens.
Si dans le premier appel à projet, l'objectif du fonds était
d'envoyer un signe fort envers les différents acteurs en permettant la
réalisation des projets, progressivement, l'objectif serait davantage de
créer un effet de levier comme il peut exister au cinéma ou en
audiovisuel. L'intérêt grandissant d'autres institutions publiques
sur ce type de production devrait également permettre de limiter
l'intervention du CNC. Enfin et surtout, la prochaine ouverture du COSIP aux
projets non linéaires aura certainement pour conséquence une
évolution à moyen terme des logiques de production des oeuvres et
du fonctionnement du fonds en lui-même. En effet, 2010 devrait voir
l'éligibilité au COSIP des projets non linéaires et/ou
soutenus par un diffuseur purement internet, Web TV donc, mais aussi
peut-être les plateformes de téléchargement. Cela signifie
que les producteurs pourront mobiliser leur compte de soutien automatique sur
ce type de production, sans avoir à le soumettre à une commission
très sélective. Cette ouverture, certainement très
encadrée pour éviter certaines dérives, devrait tout
même permettre de donner une nouvelle impulsion à la production
tout en redistribuant les cartes entre les acteurs du secteur.
d) Une réglementation en chantier
Les missions du CNC ne se limitent pas à la
répartition d'aides financières. En tant qu'autorité de
réglementation et de régulation, le CNC intervient
également sur des questions d'évolutions juridiques ou fiscales
en lien avec ses champs de compétence. A ce titre, le web documentaire,
et plus largement la création multimédia soulèvent un
certain nombre de questions.
59 Emission 116-1 de l'atelier des médias de Radio France
Internationale consacrée à l'économie du web
documentaire
60 Ibid
61 Bilan 2009/dossier #314 / mai 2010 CNC
Premier chantier, et de taille, le statut de l'oeuvre
multimédia et de ses auteurs. Une interrogation déjà
soulevée par le jeu vidéo, et qui pose une double contrainte :
assurer une pratique favorable aux auteurs tout en assurant la
compétitivité des productions. L'absence de définition
dans le code de la propriété intellectuelle ouvre une
brèche dans laquelle beaucoup s'engouffrent. En effet, certains
producteurs à l'initiative d'un web documentaire n'hésitent pas
à revendiquer le statut d'auteur, au titre de leur maîtrise
d'oeuvre, voire même la paternité de l'oeuvre qualifiant ainsi le
web documentaire d'oeuvre collective. Au-delà de sa définition,
c'est sa mise en oeuvre même qui pose problème. Sur le
modèle de l'audiovisuel, le CNC exige que les regles du droit de
l'audiovisuel soient respectées, en ce sens qu'il y ait une cession de
droit et une rémunération proportionnelle pour l'auteur, «
mais souvent malgré tout c'est une coquille vide " explique Pauline
Augrain, « On prévoit bien une rémunération
proportionnelle mais le plus souvent le producteur n'aura pas de
recettes62 ", l'objectif du CNC sur ce point étant
d'anticiper une éventuelle évolution du marché qui ne
saurait être préjudiciable aux auteurs. Si pour les auteurs «
traditionnels » (auteur, réalisateur...), le CNC ne rencontre pas
de difficultés, ce n'est pas le cas pour certains créateurs qui
interviennent directement sur les choix de conception de l'oeuvre et qui sont
pour l'instant considérés comme des techniciens ou
informaticiens.
Conséquence directe de ce flottement autour de sa
définition, l'oeuvre multimédia est exclue des différents
régimes particuliers dont bénéficie l'oeuvre
audiovisuelle. C'est notamment le cas des regles de l'exonération d'une
TVA dans le cadre de coproductions audiovisuelles63. Les
coproductions d'oeuvres multimédia sont donc réalisées
dans un montage financier moins avantageux pour les plus petites structures.
C'est aussi le cas de l'accès à certains dispositifs de soutien
qui ne prévoyaient pas ce type d'oeuvres dans leurs critères
d'éligibilité fixés par décret.
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