Quelle stratégie numérique pour les éditeurs de livres ?( Télécharger le fichier original )par Patricia Gendrey Institut Léonard de Vinci - MBA marketing et commerce sur internet 2011 |
Sous-paragraphe 3 : Les librairies et la vente en ligneLe paysage de la vente de livres en France par des détaillants a été considérablement modifié. Par le poids des grandes surfaces (grandes surfaces spécialisées et non spécialisées) d'abord, lesquelles comptabilisent plus de 40 % de parts de marché. Par la montée en puissance d'internet ensuite qui enregistre près de 10 % de parts de marché. La librairie ne représentant que 17,4 % en valeur. Les lieux d'achat du livre Source DEPS Sur un marché du livre de 4,2 milliards d'euros en 2010, selon l'institut GfK, la vente en ligne représente 9 % des ventes totales en valeur et 8 % en volume (le SNE estime quant à lui qu'il frôle les 10 %), soit 320 millions d'euros. La progression est de 0,1 % en valeur et de 0,2 en volume par rapport à 2009. Cette croissance peut paraître faible, mais contrairement aux autres secteurs culturels, c'est un marché qui se maintient. Il est à noter que le poids de la vente sur internet évolue en fonction des marchés. Il est en effet largement prédominant dans le domaine des sciences humaines, et en particulier le développement personnel qui est bien représenté. Source GfK De même, le poids du fonds ancien est prédominant sur internet (43 % pour la vente en ligne, contre 27 % pour l'ensemble des circuits), constatation allant dans le sens d'un effet longue traîne pourtant contesté par certains. Source GfK De même, on peut noter une saisonnalité spécifique d'internet par rapport aux autres circuits de distribution. Quelques points importants sont à noter à ce sujet : - Internet décroche en période de vacances ou de longs week-ends ; - Les achats en ligne se font aussi à la rentrée scolaire, ce qui n'était pas le cas auparavant ; - Les ventes de livres en ligne sont plus importantes sur internet par rapport aux autres circuits de distribution au moment de la fin de l'année. Toutefois les achats de dernière minute ne profitent qu'aux circuits traditionnels. Source Gfk Si la part de marché d'internet a presque doublé en 4 ans, celle des libraires s'érodent lentement mais de manière constante au fil des années. Source GfK Plus de la moitié du chiffre d'affaires généré par la vente en ligne revient à Amazon, suivi par la FNAC dont la vente en ligne représentait, à la fin 2010, 15 % du chiffre d'affaires livre de l'enseigne. La librairie Decitre vient en 3e position avec 1,5 millions de visiteurs par mois, puis dans l'ordre : Chapitre, Leclerc, Virgin, ainsi que les sites des grandes librairies indépendantes (Mollat, Dialogues, Ombres blanches, Sauramps)33. Comment expliquer la diminution des parts de marché de la librairie traditionnelle au profit d'internet ? De prime abord, on pourrait affirmer que le circuit classique bénéficie d'atouts indéniables, au moins au nombre de trois : - le conseil, - la capacité d'entretenir un fonds maîtrisé, - la souplesse de fonctionnement. Ces points forts ne doivent néanmoins pas dissimuler les faiblesses. Aujourd'hui, les libraires ont tendance à privilégier les ouvrages à forte rotation (les best-sellers) au détriment du fonds éditorial. Ensuite, en raison du phénomène de surproduction, ils sont contraints de faire le tri, leur surface de vente n'étant pas extensible, les livres sont donc retournés plus rapidement. Il n'est donc pas étonnant, en raison de cette difficulté à maintenir le fonds éditorial, de constater que les ouvrages de la longue traîne profitent principalement à la vente en ligne. De même, le succès d'internet s'explique également par la perception erronée des français qui, pour 45 %, pensent que le livre est moins cher sur ce circuit. Ainsi, il y a là un levier pour les syndicats de libraires qui devraient communiquer plus largement sur la loi relative au prix unique du livre34. 33 « 1001 libraires se mobilisent contre Amazon », Le monde des livres, 28 octobre 2010 34 Loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre Source GfK Face à ces tendances, plusieurs mesures pourraient être mises en place pour soutenir la librairie : 1° Comme mentionné plus haut, les syndicats de librairie devraient communiquer auprès du public sur la loi Lang afin de faire savoir qu'un livre acheté sur internet ne revient pas moins cher. 2° Il conviendrait d'informer qu'un livre non disponible chez un libraire peut-être commandé et obtenu en deux jours, délai aussi rapide, voire plus, que celui garanti par un cyberlibraire. 3° Rendre la librairie indépendante plus attractive et la rapprocher de ses clients, en s'interrogeant sur ce qu'un magasin peut offrir de plus. Contrairement à ce que dit Philippe Lane35 : «Triste constat : les libraires seraient de plus en plus amenés à remplir ce rôle de divertissement (notamment la restauration dans les magasins eux-mêmes.», les libraires devraient s'attacher à rendre le lieu de vente accueillant et en faire un vecteur de lien social. Force est de constater que les libraires qui l'ont compris parviennent à générer du profit en organisant, par exemple, des ateliers adaptés à la cible de leurs clients (par exemple, les librairies du secteur jeunesse organisent bien souvent des activités pour les enfants le mercredi ou les librairies spirituelles, des conférences dispensées par des maîtres), devenant parfois aussi des concepts stores où il est possible de lire, de se restaurer, de participer à des lectures publiques, de se rencontrer et d'échanger. Le profil du libraire est donc conduit à évoluer en 35 Où va le livre, direction Jean-Yves Mollier, édition La Dispute, 2007 un communiquant désireux de transmettre son amour du livre et réunir autour de lui des gens désireux de tisser des liens et de débattre autour de sujets réunissant des communautés de lecteurs. 4° La librairie traditionnelle devrait tenter de dépasser ses craintes vis-à-vis du livre numérique. En effet, un ebook, en dépit de tous les débats, reste un livre. Les conseils restent indispensables. Les libraires, en association avec les éditeurs, devraient proposer des bornes sur lesquelles, il serait possible de consulter le livre et le télécharger, par exemple. La société epagine a lancé une initiative dans ce sens36. Des initiatives intéressantes sont toutefois menées par certains. Ainsi, l'exemple de 1001libraires.com37 mérite d'être cité. Il s'agit d'un portail qui propose l'accès à la totalité de l'offre de livres, la livraison du livre à distance, mais aussi le retrait du livre dans un délai de 2h. Le libraire dispose en outre d'une plateforme qui lui permet de créer son site internet. L'ambition du projet est de ramener les lecteurs dans la relation avec les libraires grâce au dispositif de géolocalisation et à la possibilité d'acheter en ligne chez son libraire adhérent. Visuel 1001 libraires.com Le libraire, quoiqu'il en soit, aurait intérêt à prendre la parole sur le net, excellent médium pour informer, conseiller et orienter. De même, il s'agit d'un excellent canal de vente pour les libraires indépendants. La librairie Mollat l'a bien compris. Son dirigeant déclarait, au journal Le Monde le 28 octobre 2010, avoir réalisé 7% de son chiffre d'affaires grâce au Net. 37 Le site dont la sortie était prévue initialement en décembre n'est pas encore disponible au moment de la rédaction de ce document. Il devrait être mis en ligne avril 2011. Ce site souffre toutefois d'un double handicap : la remise de 5 % ne sera pas appliquée et la livraison sera facturée 2,95 € si le panier est inférieur à 25 €, gratuite au delà. Il convient également de noter des initiatives locales, comme par exemple Libr'Est, réseau de librairies du Nord-Est parisien38 qui dispose d' un fonds de 800 000 références et donne au lecteur la possibilité de retirer le livre dans une des 9 librairies du réseau. Ce dernier peut aussi choisir la livraison à domicile qui est faite sous 3 heures à Paris et Vincennes. Sous-paragraphe 4 : Google et les bibliothèques numériques Google l'inclassable : ni libraire en ligne, ni bibliothèque, ni agence publicitaire, mais tout cela à la fois, et bien plus encore. Le souhait de départ était de proposer une bibliothèque numérique planétaire. Non par altruisme, mais parce que des données correctement indexées alliées à des résultats pertinents attirent un nombre croissant d'internautes et par conséquent de revenus. Google n'avait-il pas affirmé qu'il ne vendrait pas de livres ? Pourtant, c'est ce qu'il s'attache à faire aujourd'hui, avec le programme Google Edition, plateforme de téléchargement de livres numériques, déployé aux Etats-Unis. Après avoir été repoussé plusieurs fois, ce service serait accessible dans le courant de l'année 2011 . Les éditeurs doivent-ils avoir peur de ce nouvel acteur qui cumule les casquettes ? La vigilance doit être certes de mise, toutefois, elle ne doit pas se transformer en dogmatisme. L'arrivée d'un troisième acteur sur la place, ne peut être que positive. Une concurrence est nécessaire pour rompre la position dominante du duopole Amazon et Apple sur le marché du numérique. Google l'a bien compris. C'est cette position de leader qui permet à Apple d'abuser de son quasi-monopole sur le marché des tablettes, en imposant aux éditeurs de presse de proposer leurs titres en passant par l'application d'achat in-app39. Cette décision ayant pour conséquence le versement à Apple de 30% du chiffre d'affaires généré par les abonnements. De même, la diffusion des applications est soumise à l'approbation préalable d'Apple, ce qui peut mettre en danger le projet et créer un risque financier non négligeable, si l'application n'est pas retenue. En outre, les formats propriétaires imposés par Amazon et Apple, accroissent les coûts de développement et par conséquent les coûts de revient du livre. Françoise Benhamou40 soulignait que : «Bien que cette stratégie conforte la position dominante de Google sur le marché de l'accès aux contenus numériques, elle paraît plus ouverte que celle d'Amazon : elle ne crée ni verrouillage, ni pression sur les prix et, comme le souligne la firme elle-même, sa situation de quasi-monopole pourrait rendre plus de services au consommateur que la fragmentation de l'offre constatée aujourd'huii Google ne vend pas seulement du livre numérique, cette société est surtout connue comme étant devenue la plus grosse bibliothèque en termes de références, suivie par Europeana. 38 Le réseau regroupe les librairies : Le comptoir des mots, l'Atelier, Atout Livre, La Manoeuvre, Le Genre urbain, Millepages, Millepages BD et jeunesse, La librairie du 104, Le Merle moqueur. 39 http://www.macgeneration.com/unes/voir/129102/apple-et-la-presse-de-l-eau-dans-le-gaz 40 Modèles économiques d'un marché naissant : le livre numérique, Françoise Benhamou et Olivia Guillon, Département des études, de la prospective et des statitstiques, Ministère de la culture, juin 2010 Les grandes bibliothèques numériques
Source : DEPS, ministère de la Culture et de la Communication, 2010 A ce stade, il convient de s'interroger sur la place des bibliothèques traditionnelles. Internet ne devrait pas changer fondamentalement la donne, les bibliothèques devraient conserver leur rôle de médiateur et de conseils. Celui-ci pourrait être renforcé par l'aide au public à la recherche d'informations sur la toile et à la mise en place d'outils permettant d'organiser les données (utilisation des moteurs de recherche, stockage des données, outils pour créer sa propre bibliothèque virtuelle...). Sous-paragraphe 5 : Fabricants de readers contre tablettes Amazon et Apple ont été conduits à développer leur matériel de lecture numérique pour des raisons différentes. Le premier pour vendre des livres, ce qui est son coeur de métier, et le second pour vendre des matériels. C'est d'ailleurs l'arrivée sur le marché de l'iPad qui a encouragé Amazon à modifier son modèle. Ainsi, le libraire en ligne a d'une part abandonné la politique du prix plafonné, alors fixé à 9,99 € pour les nouveautés et a adopté le modèle d'agence41 et d'autre part, a modifié la répartition des revenus. Ainsi, cette société est passée d'un modèle de partage du chiffre d'affaires 50/50 à une répartition 70/30, à l'instar d'Apple. Il est à noter que l' Agency model américain permet à l'éditeur de conserver la maîtrise du prix qui sera pratiqué par le détaillant. Amazon reste sans conteste le leader en nombre de supports numériques vendus. Le rapport Cowen and Co estime les ventes de la firme de Seattle à plus de 5 millions d'unités, Bloomberg l'estimerait à un peu moins de 8 millions d'unités. Toutefois, si l'on en croit le tableau ci-dessous, la part de marché de l'iPad ne sera que de 16 % en 2015. Or, le succès de ce support, 7,33 millions d'exemplaires vendus du 25 septembre au 25 décembre 2010- ce qui porte le parc à 14,79 millions d'appareils dans le monde42- risque de démentir ces chiffres. Le tableau ci-dessous compare les parts de marché du Kindle et de l'iPad. Toutefois, il convient de noter à ce stade que les deux produits n'ont pas les mêmes fonctionnalités, l'un n'est consacré qu'à la lecture, il s'agit du Kindle ; tandis que l'autre est un appareil destiné aux loisirs (lecture, musique, vidéo, jeux). Parts de marché du Kindle et de l'iPad
Rapport Cowen and Co, 2010 Sur le marché des readers, Amazon est le leader incontestable, suivi très loin derrière par le Pandigital Novel et le Nook de Barnes and Noble. Parts de marché des vendeurs de readers au troisième trimester 2010
Source: IDC Worldwide Quarterly Media Tablet and eReader Tracker, January 18, 2011. 41 L'éditeur mandate la plate-forme pour vendre le livre et fixe le prix. 42 http://www.apple.com/pr/library/2011/01/18results.html La répartition est moins équitable sur le marché des tablettes. Ainsi, l'iPad enregistrerait 87,4 % de parts de marché. Toutefois, il convient de noter que le marché n'est pas encore stabilisé et risque de basculer en raison de l'avalanche de tablettes annoncées chaque jour, (Galaxy Tab de Samsung, le Xoom de Motorola et le Playbook de Blackberry). Un basculement du marché est possible. En effet, de nombreux produits équipés d'Androïd, système d'exploitation open source, seront lancés sur le marché. En revanche, l'iPad qui repose sur un dispositif propriétaire, et qui par conséquent entraîne un verrouillage de l'utilisation, risque de perdre à terme son avance sur le marché. Les clients pourraient se laisser séduire par des produits offrant plus de liberté. 15 millions d'iPad vendus rendent désormais le potentiel du marché attractif pour les éditeurs désireux de publier des livres en anglais ou en plusieurs langues. En outre, selon l'Institut GfK43, 435 000 tablettes seraient en circulation en France dont 350 000 iPad. Cet équipement commence à être suffisamment significatif pour commencer à développer des produits adaptés à ces supports. Sous-paragraphe 6 : Les opérateurs de téléphonie mobile Les opérateurs tentent de se lancer dans la course en subventionnant les appareils pour recruter de nouveaux clients. Certains ont négocié avec Apple et Samsung des accords de distribution. En outre des éditeurs ont passé des accords avec les opérateurs téléphoniques, en particulier sur les créneaux du guide de voyage, du feuilleton ou des bandes dessinées, par exemple. On peut ainsi citer Mobilire, les guides de voyage Gallimard (Smartcity) et Michelin, ou encore Smartnovel. CHAPITRE II : VERS L'EVOLUTION DU MODELE ECONOMIQUE |
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