Depuis la fin des années 1980, le système
international est modelé par des dynamiques d'intégration
régionale actives sur tous les continents. Ce regain
d'intérêt vers le régionalisme se caractérise par le
nombre de plus en plus accru d'accords d'intégration régionale
conclus dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale1(*). Cet accroissement des accords
de coopération s'explique par l'augmentation des échanges
économiques et culturels résultant du phénomène de
la mondialisation. Ainsi, outre l'Europe, il n'est pas aujourd'hui une
région du monde qui ne se trouve pas prise dans un ou plusieurs
processus d'intégration2(*).
Le continent africain n'est pas resté en marge de cette
dynamique. L'historique du processus d'intégration régionale
remonte au lendemain de l'accession à l'indépendance des anciens
territoires colonisés. Ces derniers sont sortis de la colonisation avec
de lourds handicaps comme leur dimension modeste sur le plan
démographique, territorial et économique. En raison de ces
handicaps, ces nouveaux Etats ne parviennent pas assumer pleinement les
obligations découlant de leur statut d'Etats indépendants. Dans
le but de relever ces défis, la réalisation de l'unité
à travers l'intégration régionale apparaît comme la
réponse la plus adéquate. Ainsi, plusieurs initiatives de
regroupement verront le jour sur tout le continent africain.
En Afrique de l'Ouest, deux principaux projets
d'intégration ont retenu notre attention du fait de leur ambition
politique avérée pour l'unité de la sous-région. Le
Dahomey, la Haute Volta, le Sénégal et le Mali vont d'abord
initier un projet de constitution d'une fédération. Cependant,
sous la pression des présidents français et ivoirien, le
Général De Gaulle et Félix Houphouët BOIGNY, le
Dahomey et la Haute Volta se retirent du projet. L'Union est alors
réduite à un tête à tête entre le
Sénégal et le Mali. Le 4 avril 1960, l'Assemblée
fédérale élit son président en la personne de
Léopold Sédar Senghor et un chef de gouvernement, Modibo Keita,
futur président du Mali. La Fédération du Mali
était née. Mais très vite, des désaccords
subsistèrent entre les leaders de la fédération nouvelle
constituée. Dans la nuit du 19 au 20 Aout 1960, la
fédération va connaître son éclatement
irréversible. D'autres expériences de ce type vont être
tentées sans grands succès. Il s'agit de l'Union
Ghana-Guinée créée le 1er mai 1959 entre deux
pays sans frontière. Le 24 décembre 1960, le Mali rejoint cette
union qui devient Ghana-Guinée-Mali. Cette union qui n'a jamais
fonctionné, paraissait plus symbolique que réelle.
Tout ce balbutiement aboutit en 1975 à la
création d'une organisation régionale d'une plus grande
envergure : la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest
(CEDEAO). Elle vise à «promouvoir la coopération et
l'intégration dans la perspective d'une union économique de
l'Afrique de l'ouest en vue d'élever le niveau de vie de ses peuples, de
maintenir et d'accroître la stabilité économique, de
renforcer la stabilité entre les Etats membres et de contribuer au
progrès et au développement du continent africain»3(*). Composée depuis 1976 de
quinze Etats membres, la CEDEAO constitue un vaste espace économique de
près de 4,5 millions de km2 avec une population avoisinant les 24
millions d'habitants4(*).
Depuis sa création, la CEDEAO à travers son traité
constitutif a toujours oeuvré dans une logique économique
recherchant la construction d'un vaste marché avec une libre circulation
des biens et des personnes dans l'espace ouest-africain. Dans ce cadre, nous
avons choisi de réfléchir sur l'efficacité du cadre
d'intégration régionale institué par la CEDEAO.
Il s'agira de rendre compte des avancées et des
insuffisances du cadre institutionnel de la CEDEAO. Cette approche
institutionnelle nous a amené à retenir comme thème :
«Les initiatives d'intégration régionale en
Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la
CEDEAO».
A travers ce thème, nous démontrerons en quoi la
CEDEAO, en raison de son cadre institutionnel, peut constituer un modèle
d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest.
L'intérêt d'une telle analyse peut se démontrer sous un
double angle. D'une part, la CEDEAO étant une organisation à
vocation économique, les approches de l'intégration qu'elle
réalise ont rarement été institutionnelles. Il serait
alors intéressant d'étudier la CEDEAO selon une approche
institutionnelle afin d'oeuvrer modestement au comblement de cette lacune.
D'autre part, ce travail s'inscrit dans la dynamique de l'évolution du
droit de l'intégration, un droit en nette métamorphose du fait de
la restructuration actuelle du système international fondée sur
les regroupements régionaux.
L'objectif visé à travers ce travail est
d'examiner les mécanismes institutionnels de la CEDEAO à savoir
les organes mis en place, les processus décisionnels, la nomenclature de
l'organisation régionale. Cet examen devra permettre de mesure
l'efficacité de ces mécanismes institutionnels, d'en identifier
les insuffisances et de proposer des solutions pouvant combler ces
insuffisances.
Pour mener à bien cette étude, nous nous sommes
inspirés d'ouvrages, de revues et autres rapports ayant traité de
la question. Par ailleurs, certains textes fondamentaux de l'organisation
régionale à savoir son traité constitutif (la version
originale de 1975 et celle révisée de 1993), les
différents protocoles additionnels ainsi que les rapports
d'activités menées par l'organisation.
Pour atteindre les objectifs visés à travers
cette étude, nous présenterons d'abord un état des lieus
du processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest
(Partie 1). Ensuite, nous démontrerons en quoi la
CEDEAO est mise à l'épreuve du fait de ses insuffisances
institutionnelles (Partie 2). Cette étude se terminera
par une ébauche de perspectives pouvant permettre la redynamisation du
processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest.
Etat des lieux du processus d'intégration
régionale en Afrique
de l'Ouest
A qui s'intéresse à la question du regroupement
des Etats en Afrique de l'Ouest, recherche ses sources dans l'histoire. Afin de
s'intéresser à la question du regroupement des Etats en Afrique
de l'ouest, il est donc nécessaire de revenir sur l'histoire.
Contrairement à d'autres parties du continent, l'Afrique de l'Ouest a
expérimenté tôt des formules
fédératrices5(*), ce qui a ainsi facilité les entreprises
d'intégration postcoloniales. Ces nombreuses organisations
d'intégration ouest africaines, quoiqu' ayant vu le jour sous l'ombre
tutélaire des ex puissances coloniales6(*), ont à certains égards réussi
à instaurer une intégration économique entre les Etats de
cette partie du continent africain. L'option de l'intégration
économique se justifiait par la nécessité pour les Etats
ouest africains de renforcer au lendemain des indépendances leurs
relations interétatiques. L'instauration d'échanges
économiques constituait le premier pas vers la création
d'organisations supranationales pouvant réaliser leur intégration
politique.
C'est dans ces contextes que naissent respectivement en 1973
et 1975, la CEAO et la CEDEAO, premiers témoins de la mise en marche du
processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest. Le
statut de pionnier de ces organisations peut se justifier non seulement par les
remarquables avancées en termes de coopération et
d'intégration qu'elles ont permis entre les Etats ouest-africains mais
aussi par les bases institutionnelles qu'elles ont jeté dans le
processus d'intégration en Afrique de l'Ouest.
Dans cette partie, il s'agira d'abord de présenter
à travers la création de la CEAO et de la CEDEAO les
débuts du processus d'intégration régionale en Afrique de
l'Ouest (Chapitre 1). Ensuite, dans une approche
institutionnelle, une analyse approfondie sera portée sur l'organisation
et le fonctionnement de la CEDEAO, principal objet de ce travail
(Chapitre 2).
De la CEAO à la CEDEAO : un processus
d'intégration régionale en marche
En règle générale, toute organisation
internationale se fixe des buts, s'assigne des objectifs. Ainsi, selon le
caractère plus ou moins ambitieux de ceux-ci, c'est-à-dire
suivant l'ampleur des transferts de souveraineté consentis par les
Etats, on parlera d'organisation de coopération ou d'organisation
d'intégration, d'organisation interétatique ou d'organisation
supranationale. A ce niveau, une brève clarification terminologique
d'impose. Selon la théorie des organisations internationales7(*), une organisation
d'intégration résulte d'une démarche volontaire de deux ou
plusieurs ensembles de partenaires appartenant à des Etats
différents en vue d'une mise en commun d'une partie de leurs ressources.
Ce processus a pour finalité l'émergence et le renforcement des
relations techniques et économiques d'interdépendance
structurelle à effets d'entrainement positif sur les revenus.
Pour ce qui est d'une organisation de coopération, elle
désigne une entreprise concertée entre deux ou plusieurs
partenaires dont les intérêts convergents sur une question
donnée. De ce fait, elle ne peut concerner qu'un dossier ou un secteur
en particulier. A la différence de l'intégration, la
coopération est contractuelle et donc limitée temporellement. En
outre, elle n'implique pas forcément un rapport d'égalité
entre les partenaires8(*).
On peut en conclure que la CEAO et la CEDEAO d'après leurs
traités constitutifs9(*), qu'elles visaient beaucoup plus à
réaliser une coopération économique entre les Etats de
l'Afrique de l'Ouest.
Cette option de la coopération économique peut
se traduire à travers l'adoption de deux principales conventions visant
à renforcer les échanges économiques entre les Etats
ouest-africains. Il s'agit des Conventions de 1959 et de 1966 (Section
1) qui ont constitué les instruments juridiques
précurseurs de la CEAO créée en 1973. Plus tard, en 1975,
les Etats ouest-africains se sont rendus compte de la nécessité
d'élargir le champ de cette coopération économique, ils
vont alors décider de la création de la CEDEAO (Section
2).
Section 1 : De la Convention de 1959 à celle
de 1966.
L'histoire de l'intégration régionale en Afrique
de l'Ouest remonte à l'époque coloniale notamment à la
dislocation de l'Afrique Occidentale Française (AOF). La fin de la
domination coloniale et l'accession à la souveraineté
internationale des Etats francophones de l'Afrique de l'Ouest, consacre la
rupture du pouvoir central et une volonté d'autonomie par rapport aux
mécanismes commerciaux organisés par la puissance de tutelle.
C'est dans ce contexte que les Conventions de 1959 et celle de 1966 inaugurant
les initiatives de regroupement entre les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont mis
un accent particulier sur l'option de la coopération (Paragraphe
1). Cette volonté politique de s'orienter vers la
coopération s'est matérialisée par la naissance de
nombreuses organisations coopératives dans cette partie du
continent10(*). Mais de
toutes ces organisations, la CEAO a été celle qui, à
plusieurs égards, a su vraisemblablement réaliser une
coopération économique entre les Etats de l'Afrique de l'Ouest
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'option de la
coopération.
Cette option de la coopération se traduisait par la
création de deux unions douanières : l'Union
Douanière de l'Afrique de l'Ouest ou l'UDAO en 1959 (A)
et l'Union Douanière des Etats de l'Afrique de l'Ouest en 1966
(B).
A. La création de l'UDAO
L'option de la coopération a été d'abord
consacrée par la Convention de 1959 qui avait été
signée le 9 Juin 1959 à Paris entre la Côte d'Ivoire, le
Dahomey (actuel Bénin), la Haute volta (actuel Burkina Faso), la
Mauritanie, le Niger et la Fédération du Mali (République
du mali et le Sénégal). Selon l'article 1er de cette
convention, celle-ci avait pour objectif « d'instituer entre
les Etats signataires une union douanière totale qui s'étend aux
droits d'entrée et de sortie perçus sur les produits et
marchandises en provenance ou à destination desdits Etats ».
Cette convention a ainsi créé l'Union Douanière de
l'Afrique de l'Ouest (UDAO). Cette convention se singularise par son
caractère succinct. En effet la convention ne compte que sept articles
qui énoncent sommairement les principes suivants :
· La liberté totale dans la circulation des
produits entre les Etats membres de l'Union ;
· Le tarif unique à l'entrée des produits
dans l'Union et reparti entre les Etats membres par une instance de l'Union.
Quoiqu'ayant constitué une initiative louable dans la
politique de coopération économique entre les Etats membres de
l'Union, le mécanisme mis en place par cette convention s'est
avéré inefficace. En effet, une Union Douanière totale ne
peut se fonder sur des bases fragiles à l'époque et entre des
pays encore en construction. Cette convention n'a donc jamais connu une
application réelle car les entraves à la libre circulation des
marchandises furent fréquentes et les nombreuses violations ont fini par
rendre inopérant l'article 1er de cette convention.
B. La réforme de l'UDAO ou naissance de
l'UDEAO
Après sept années de fonctionnement de l'UDAO,
les Etats membres de la CEDEAO ne pouvaient que constater la baisse de leur
coopération économique du fait des contre-performances de l'UDAO.
Ils décidèrent alors le 6 Juin 1966 à Abidjan de remplacer
la convention de 1959 créant l'UDAO par une autre convention. Cette
convention UDAO « new look » (deuxième
génération) a ainsi créé l'UDEAO. Il en effet
innove par :
· La création de nouvelles structures dont le
Secrétariat Général, le Comité des experts et le
Conseil des Ministres ;
· La mise en place d'un système de
préférence tarifaire qui ne taxe les marchandises originaires de
l'UDEAO qu'à concurrence de 50% du taux global de la fiscalité la
plus favorable appliqué à un produit similaire importé
d'un pays tiers ;
· La définition des produits originaires de
l'UDEAO.
Bien que mieux élaborée que la convention de
1959, la convention du 6 Juin 1966 ne connaîtra pas un sort meilleur et
l'insuffisance de ses dispositions conduira à des pratiques
anti-unionistes en matière douanière11(*). Les Etats signataires
nouvellement sortis d'une déception et pressés de s'unir n'ont
pas entrepris les études nécessaires et préalables
à la mise en place d'une coopération économique plus
adaptée à leur réalité. De ce fait, une fois
encore, la volonté politique a supplanté la réalité
économique.
C'est ainsi qu'au début des années 1970,
certains Etats membres de l'union douanière ont entrepris en
collaboration avec la Communauté Economique Européenne (CEE) de
promouvoir une nouvelle organisation qui prenne en compte non seulement les
aspects commerciaux de la coopération mais aussi les aspects relatifs au
développement économique régional.
Paragraphe 2 : L'émergence de la CEAO.
C'est l'expérience tirée de la convention du 9
Juin 1959 et celle du 6 Juin 1966 qui a permis d'asseoir les fondements de
regroupement, la communauté économique de l'Afrique de l'Ouest
(CEAO). Elle se distingue de l'UDEAO par sa configuration, ses objectifs et ses
moyens d'action.
A. La configuration de la CEAO
La CEAO regroupe les Etats de l'Afrique de l'Ouest qui en 1972
à Bamako et en 1973 à Abidjan, ont signé respectivement
les protocoles d'application instituant une zone harmonisée
d'échanges commerciaux et d'intégration économique. Il
s'agit d'un regroupement de six Etats liés par l'histoire, la
géographie, la langue officielle, la monnaie à savoir la
Côte d'Ivoire, la Haute Volta, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le
Sénégal. Le traité de la CEAO signé le 17 Avril
1973 et entré en vigueur le 1er Janvier 1974, est
fondé d'une part sur une « volonté politique consciente
et réfléchie des chefs d'Etats qui se sont engagés dans
une solidarité de destin et d'autre part, une organisation bien
structurée, caractérisée par des instances bien
fonctionnelles et permanentes ».
B. Les objectifs et les moyens d'action de la
CEAO
Les objectifs de la CEAO en matière de
coopération - nombreux et nobles - apparaissent difficiles. En effet,
à la fois la plupart des Etats membres appartiennent à la
catégorie des pays les moins avancés (PMA). En outre, à
une exception près, celle de la Côte d'ivoire, tous les Etats font
partie de la zone sahélienne dont les difficultés sont connues et
communes à tous les Etats membres. Les objectifs sont clairement
énoncés dans le traité à l'article 3 qui dispose
que « la communauté a pour mission de favoriser le
développement harmonisé et équilibré des
activités économiques des Etats membres en vue de parvenir
à une amélioration aussi rapide que possible du niveau de vie de
leur population ». Ainsi, pour réaliser ces objectifs,
l'article 30 crée quatre institutions à savoir :
· Les institutions exécutives : la
Conférence des chefs d'Etats et le Conseil des ministres dont les
décisions sont prises à l'unanimité ;
· Une institution de gestion dont le Secrétariat
exécutif auquel sont rattachés tous les services et organismes
techniques et administratifs ;
· Une institution arbitrale chargée de
régler tous les différends relatifs à
l'interprétation et à l'application du traité et de ses
protocoles annexes.
Mais très vite, la CEAO sera concurrencée dans
ses domaines de compétences par une autre organisation régionale.
Il s'agit de la Mano River Union (MRU) créée en 1974 par le
Libéria, la Sierra Léone et la Guinée. Cette nouvelle
organisation sous régionale a pour but non seulement la gestion du
fleuve Mano que partageaient ses Etats membres mais aussi le
développement économique de ceux-ci. Dès lors, le
chevauchement et la coexistence de ces deux organisations dans la même
région engendrent des difficultés dans le développement
des échanges entre les pays de la région ouest africaine.
C'est dans ce contexte qu'une nouvelle organisation
économique africaine, la Communauté économique des Etats
de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est créée par le Traité
du 28 Mai 1975 à Lagos au Nigéria. Sa création
constituera une avancée importante dans le processus
d'intégration des Etats de l'Afrique de l'Ouest et esquisse un cadre
plus élargi de coopération entre ces derniers.
Section 2 : La création de la CEDEAO
A travers l'expérience des regroupements de
coopération régionale, les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont
témoigné de beaucoup de solidarité et d'esprit
communautaires. Ces liens se sont ainsi peu à peu soudés entre
les Etats de l'Afrique de l'Ouest divisés depuis les
indépendances par leurs différentes expériences
coloniales, les clivages linguistiques et culturels ainsi que des
systèmes juridiques et administratifs différenciés. La
création de la CEDEAO vient dans la même logique renforcer cette
volonté de s'unir. Ainsi, créée par le Traité de
Lagos le 28 Mai 1975, la CEDEAO regroupe à l'origine seize Etats
à savoir : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap Vert, la
Côte d'Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée
Bissau, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria,
le Sénégal, la Sierra Léone et le Togo12(*). Le nombre des Etats est
à présent ramené à quinze suite au retrait de la
Mauritanie en 200113(*).
Aussi faut-il signaler que les Etats membres de la CEDEAO occupent une
superficie de 5,1 millions de km2 soit 17% de la superficie totale
du continent et avec une population estimée en 2006 à 261, 13
millions d'habitants14(*).
Dans ce vaste espace, la CEDEAO a pour mission de promouvoir
la coopération et le développement dans tous les domaines de
l'activité économique, d'abolir, à cette fin, les
restrictions au commerce, de supprimer les obstacles à la libre
circulation des personnes, des biens et des services, et d'harmoniser les
politiques les politiques sectorielles régionales. A travers la
création de la CEDEAO et plus particulièrement la
définition de ses objectifs, les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont su
dépasser leurs différences idéologiques quant à la
manière de penser et de réaliser l'intégration
régionale. Pour rendre compte de ce débat, il convient de
rappeler d'abord le contexte d'adoption du traité de 1975
(Paragraphe 1). C'est à ce titre que d'aucuns
considèrent que ces controverses idéologiques sont à
l'origine du caractère « limité » des buts et
objectifs de l'organisation internationale tels que définis par le
traité de 1975 (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le contexte d'adoption du
Traité de 1975.
A. Les querelles de leadership sous-régional
En dépit des efforts de regroupement
déployés par les Etats ouest-africains dans le domaine de la
coopération économique, il faut dire qu'au moment de la
création de la CEDEAO, certaines réticences pèsent encore
dans la volonté politique des Etats quant à la formule
d'intégration à adopter. A cet effet, deux tendances
idéologiques peuvent être distinguées. D'une part, les
partisans d'une intégration « totale », politique
prônent un transfert important de souveraineté pour la future
organisation. Les principaux tenants de cette formule sont le
Sénégal, le Ghana et à certains égards le
Nigéria. Et d'autre part, le courant mené par la Côte
d'Ivoire se caractérise par un certain scepticisme à
l'égard des formes de regroupement ambitieuses, c'est-à-dire
celles qui impliquent le plus de transferts de souveraineté.
D'une certaine manière, cette divergence de points de
vue sur la modalité de réalisation de l'intégration trouve
ses origines dans une querelle de leadership entre les quatre plus grands
promoteurs de l'intégration dans la région15(*). Le Sénégal,
nostalgique d'une position prestigieuse qu'il occupait dans l'ex Afrique
occidentale française, veut s'imposer comme leader dans le processus de
regroupement dans la région avec la création de la
Fédération du Mali. Le Président Senghor avait ainsi voulu
« la réalisation d'une unité africaine dans le cadre
d'une République Fédérale dont la Fédération
du Mali constitue la première étape16(*).
Le leadership ghanéen se manifeste par les visions
panafricanistes de son président Kwame N'KRUMAH. La vision politique de
ce dernier est exprimée dans son ouvrage au titre si
révélateur : « Africa must be
united » ou « L'Afrique doit s'unir ». Au
demeurant, le Ghana peut aussi revendiquer la paternité de la
première initiative de regroupement d'Etats souverains dans la sous
région, l'Union des Etats de l'Afrique de l'Ouest (UEAO)
créée en Novembre 1958.
Le Nigeria quant à lui s'appuie tout simplement sur sa
puissance économique et démographique pour s'attribuer un
rôle de leader dans le processus d'intégration dans la
sous-région. C'est surtout l'occasion en 1975 pour lui d'intégrer
véritablement une organisation ouest africaine. En effet, les
précédents regroupements à savoir l'UMOA ou la CEAO
essentiellement francophones avaient pour vocation de sauvegarder le
pré-carré français et surtout de contrer le poids du
Nigéria dans la région.
Ainsi donc, le Sénégal, le Ghana et le
Nigéria favorables à une intégration très
poussée ont fait front au leadership ivoirien hostile à un tel
processus. En réalité, l'attitude ivoirienne peut s'expliquer par
le comportement en général de certains Etats relativement bien
pourvus par la nature qui refusent à se joindre à des
communautés inégalitaires et nécessairement
redistributrices. Pour faire échec aux ambitions du
Sénégal et du Ghana, la Côte d'Ivoire initie
l' « Union Sahel - Bénin » et le
« Conseil de l'Entente » pour concrétiser ses
réticences à l'égard de toute construction
supranationale.
B. L'historique de l'adoption du traité de
1975
Le concept de la création d'une communauté de
l'Afrique de l'Ouest remonte à 1964 et au président
libérien William Tubman qui en a lancé l'idée. Un accord a
été signé entre le Libéria, la Côte d'Ivoire,
la Guinée et la Sierra Leone en février 1965, mais celui-ci n'a
pas abouti. En 1972, le général Gowon du Nigéria et le
général Eyadema ont relancé ce projet, et ont rendu visite
à douze pays, leur demandant leurs contributions pour la
réalisation du projet. Une réunion a été
organisée à Lomé en vue d'étudier une proposition
de traité. Une réunion d'experts et de juristes s'est tenue
à Accra en janvier 1974 ainsi qu'une réunion de ministres
à Monrovia en janvier 1975. Ces deux conférences ont
examiné soigneusement la proposition de traité. Finalement,
quinze pays d'Afrique de l'Ouest ont signé le traité pour une
communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest le 28 mai
1975 à Lagos. Les protocoles établissant la CEDEAO ont
été signés à Lomé au Togo le 5 novembre
1976.
A la suite de l'UDAO et de l'UDEAO, la CEDEAO vient poursuivre
l'oeuvre d'intégration économique de la sous-région comme
le témoignent les buts et objectifs de la CEDEAO.
Paragraphe 2 : Les objectifs et missions de la
CEDEAO.
A. Les buts et objectifs de la
CEDEAO
Les buts et objectifs de la CEDEAO
tels que définis par le Traité de 1975 sont essentiellement de
l'ordre de la coopération. C'est ce qui ressort des dispositions de
l'article de 2 du Traité de 1975 qui dispose que « le but de
la communauté est de promouvoir la coopération et le
développement dans tous les domaines de l'activité
économique »17(*). Par conséquent, si donc le Traité de
1975 fait référence à la coopération, cela signifie
que les Etats membres ont décidé de mettre en oeuvre une
politique destinée à rendre plus intimes leurs relations dans le
domaine économique grâce à des mécanismes permanents
sans renoncer pour autant à leur souveraineté et à leur
indépendance. C'est donc à juste titre que l'alinéa 3 du
Préambule du Traité de 1975 met un accent particulier sur
« l'intégration économique »18(*).
Etant essentiellement une organisation
d' « intégration économique », la CEDEAO
vise en vertu de l'article 3 de son traité constitutif à
«promouvoir la coopération et l'intégration dans la
perspective d'une Union économique de l'Afrique de l'Ouest en vue
d'élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et
d'accroître la stabilité économique, de renforcer les
relations entre les Etats membres et de contribuer au progrès et au
développement du continent africain. »19(*).
B. Les missions de la CEDEAO
A travers ces objectifs, il se dégage
plusieurs missions devant être assumées par l'organisation
régionale et qui pouvant être présentées de la
manière suivante :
- Coordonner les stratégies de développement
dans les pays membres ;
- Favoriser la libre circulation des biens et des personnes
entre les pays membres ;
- Eliminer progressivement les droits de douanes entre les
pays membres ;
- Construire les infrastructures régionales de
transport et de communication pour permettre la libre circulation des personnes
et des biens ;
- Doter la communauté d'une monnaie unique à
long terme ;
- Promouvoir la coopération et le développement
dans tous les domaines ;
- Créer une union économique et monétaire
et promouvoir le secteur privé ;
- Elaborer une politique économique commune et
développer les communications ainsi que l'énergie et la recherche
agro-industrielle.
- Dans la poursuite de ces objectifs, les Etats membres
déclarent solennellement leur adhésion aux principes fondamentaux
de l'organisation tels que :
- L'égalité et l'indépendance des Etats
membres ;
- La solidarité et l'autosuffisance
collective ;
- La coopération inter-Etats, l'harmonisation des
politiques et l'intégration des programmes ;
- La non-agression entre les Etats membres ;
- Le maintien de la paix, de la sécurité et de
la stabilité régionales par la promotion et le renforcement des
relations de bon voisinage20(*) ;
Pour la réalisation de ces objectifs,
l'organisation s'est dotée de moyens financiers, humains et techniques.
Notre étude s'inscrivant dans une approche institutionnelle, il importe
à présent de s'intéresser à la structure
organisationnelle de la CEDEAO afin de démontrer comment les Etats
membres s'y impliquent.
Du cadre institutionnel et du fonctionnement de la
CEDEAO
S'il est vrai que la CEDEAO est une organisation à
vocation économique, cela ne justifie pas pour autant que les
études portées sur cette organisation ne se limitent qu'à
cette seule dimension économique. Or, il est apparu que l'analyse
institutionnelle d'une organisation peut aussi contribuer à
l'amélioration de ses rendements. C'est à ce titre que Soldatos
considère que la mécanique institutionnelle devrait être en
relation directe et proportionnelle avec la nature, l'ampleur et la
portée des matières à intégrer. Autant un cadre
institutionnel fort, compte tenu de la finalité intégrative
ultérieure, peut-il jouer le rôle de «locomotive »
ou de levain, autant un système institutionnel et décisionnel
faible ou d'un niveau moyen ne peut-il que difficilement entretenir une
dynamique intégrative ascendante21(*).
En la matière, la CEDEAO présente une multitude
d'institutions (Section 1) qui assure d'une manière ou d'une autre
l'intégration des différents Etats membres et avec un
mécanisme de fonctionnement singulier (Section 2).
Section 1 : Une multitude d'organes
institutionnels
Le traité de 1975 ainsi que la version
révisée de 1994 distinguent essentiellement deux
catégories d'institutions. Nous pouvons distinguer d'une part les
institutions politiques et judiciaires (Paragraphe 1) et
d'autre part les institutions économiques et les commissions techniques
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1: Les institutions politiques et
judiciaires.
La conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, le
conseil des ministres, le secrétariat exécutif ainsi que le
parlement constituent les principaux organes politiques de la communauté
(A). Par contre, la cour de justice de la CEDEAO représente le seul
organe judiciaire de la communauté (B).
A. Les organes politiques
· La Conférence des Chefs d'Etat et de
Gouvernement :
Elle est l'organe « suprême » de la
communauté. Selon OMONIYI ADEWOYE, cette qualification
« d'organe suprême » rend compte de la philosophie
politique des Etats membres de la CEDEAO caractérisée par un
manque de « constitutionnalisme »22(*). De ce fait, la
Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement constitue l'institution
souveraine dans laquelle se concentrent tous les pouvoirs essentiels et
importants de la communauté.
Selon l'expression de ADEWOYE, elle est la seule instance de
« Policy making power ». c'est à ce titre qu'elle
est chargée au titre de l'article 7 du Traité
Révisé, de la détermination de la politique
générale et les principales orientations de la Communauté,
de donner des directives, d'harmoniser et de coordonner les politiques
économique, scientifique, technique, culturelle et sociale des Etats
membres, d'assurer le contrôle du fonctionnement des Institutions de la
Communauté, ainsi que le suivi de la réalisation des objectifs de
celles-ci ... ». Elle se réunit au moins une (1) fois par an
et sa présidence est assurée chaque année par un Etat
membre élu par la Conférence.
· Le Conseil des
Ministres :
Il occupe le deuxième échelon dans la pyramide
institutionnelle de la Communauté. Il est composé de
délégués gouvernementaux notamment des Ministres des
Affaires de la CEDEAO et d'un Ministre désigné par chaque
Etat23(*). L'analyse de
l'alinéa 3 de l'article 10 relatif aux fonctions du Conseil des
Ministres révèle qu'il est chargé de veiller au
fonctionnement et au développement de la Communauté. A cet effet,
il donne des directives aux autres institutions communautaires relevant de son
autorité et oriente ainsi les activités du Secrétariat
ainsi que des organismes techniques et spécialisés. En outre, le
Conseil des Ministres constitue à la fois un organe de décision
et d'exécution. Ainsi, le Conseil des Ministres peut prendre à
l'unanimité ou à la majorité des deux tiers de ses membres
des « règlements »24(*).
· Le Secrétariat
Exécutif
Il figure à la fois dans le Traité de 1975 et
celui de 1993. Principal organe exécutif de l'organisation, le
Secrétariat Exécutif est dirigé par un secrétaire
exécutif assisté de secrétaires exécutifs adjoints.
Ainsi, le Secrétaire exécutif est le premier responsable
administratif de la communauté. Il est chargé à cet effet,
de l'administration courante de la communauté et de toutes ses
institutions. Nommé par la Conférence des Chefs d'Etats et de
gouvernement pour un mandat de quatre (4) ans, renouvelable une fois, le
secrétaire exécutif ne peut être démis de ses
fonctions que par la Conférence des Chefs d'Etats sur recommandation du
Conseil des Ministres.
Cependant, il faudrait relever une dernière
évolution sur la place qu'occupe cet organe dans la pyramide
institutionnelle de l'organisation régionale. En effet, lors du Sommet
d'Abuja de 2006, les Chefs d'Etats et de Gouvernement ont approuvé une
modification des institutions de l'organisation. Ainsi, le Secrétariat
Exécutif est remplacé par une Commission25(*). Nous reviendrons dans les
prochains développements sur l'opportunité de la création
de cette nouvelle institution.
· Le Parlement de la
Communauté
De prime abord, il faudrait dire que la création de
cette institution parlementaire est révélatrice de la
volonté d'incarner l'intégration et de l'ancrer dans l'existence
quotidienne des Etats et des citoyens. Car l'existence des parlements suppose
l'effacement des frontières par l'unité de la
représentation des peuples. Elle peut de même attester le
désir d'intégration au-delà de la simple
coopération. Mais s'il est vrai que la création du parlement peut
traduire une logique supranationale, en pratique, cette assemblée n'a
aucun pouvoir de décision. Il ne peut que faire des recommandations en
matière de Droits de l'Homme et émettre des avis sur certains
sujets26(*). En outre,
comme tout autre parlement, celui de la CEDEAO est chargé de voter les
lois de la Communauté.
Ayant son siège à Abuja au Nigéria, il
est composé des députés des différents Etats
membres et plus précisément de cent vingt (120) membres
désignés au sein des parlements respectifs des Etats membres,
à raison de cinq (5) sièges au minimum par Etat, les
quarante-cinq (45) autres étant répartis entre les Etats en
fonction de leur population27(*). Le bureau du parlement est composé de cinq
(5) membres au minimum et de dix (10) membres au maximum dont un
président et quatre vices présidents. Ses plénières
sont dirigées selon les dispositions du traité, du protocole, des
décisions et règlements de la communauté notamment le
Protocole du 6 Aout 1994 relatif au Parlement de la CEDEAO.
B. L'organe judiciaire de la
communauté
La Cour de Justice de la Communauté
représente l'organe judiciaire de la communauté. Elle a
pour rôle d'assurer le respect du droit et du principe
d'équité dans l'application et l'interprétation du
traité constitutif de la communauté ainsi que les protocoles et
conventions annexes. A cet effet, elle est compétente pour connaitre de
tout différend pouvant lui être soumis par les Etats membres ou
les institutions de la communauté conformément à
l'article...du traité. Son Statut, sa Composition et ses
Compétences sont définis par le Protocole AP du 1er
Juillet 1991, relatif à la Cour de Justice de la CEDEAO.
En dehors de ces instances de
« décision » ou de
« conception » consacrées aussi bien par le
Traité de 1975 que par sa version révisée de 1993, nous
pouvons remarqué d'autres institutions à caractère
économique et technique.
Paragraphe 2 : Les institutions économiques
et techniques
Dans l'ordre des institutions économiques, nous pouvons
énumérer le Conseil Economique et Social, et le Fond de
Coopération, de Compensation et de Développement et la Banque
d'Investissement et de Développement (A). Cependant,
les institutions techniques sont spécialisées selon leur domaine
d'activités (B).
A. Les institutions
économiques
· Le Conseil Economique et Social de la
Communauté
Il est institué par l'article 14 du traité
révisé qui prévoit que le Conseil Economique et Social a
un rôle consultatif et est composé des représentants des
différentes catégories d'activités économiques et
sociales.
· Le Fond de Coopération, de
Compensation et de Développement (FCCD)
Il est chargé de financer les projets de
développement et de fournir des compensations et indemnités aux
Etats ayant subi des pertes dues aux dispositions du Traité de la
communauté.
· La Banque d'Investissement et de
Développement de la CEDEAO
La Banque d'Investissement et de Développement de la
CEDEAO (BDIC) est une société holding28(*) qui détient des
participations majoritaires dans ses deux filiales originelles à savoir
la Banque Régionale d'Investissement de la BCEAO (BRIC) et le Fonds
Régional de la CEDEAO (FRDC). Issue de la transformation du Fonds de la
BCEAO en 1999, la BDIC a pour vocation de financer l'intégration et le
développement des quinze (15) Etats membres de la Communauté dans
les secteurs tels que les infrastructures, le développement
économique mais aussi le domaine social, l'éducation, la
santé, la bonne gouvernance, les conseils en matière de
négociation avec les bailleurs de fonds, tout en impliquant le secteur
privé.
B. Les institutions techniques
Pour ce qui est des commissions
techniques, il faut dire qu'elles ont été
intégralement reprises par le traité révisé de
1993. Leur rôle essentiel est de préparer des projets et
programmes communautaires et de les soumettre à l'approbation du Conseil
des Ministres et d'assurer l'harmonisation et la coordination des projets et
programmes de la communauté. Il s'agit des commissions techniques
pour :
ü L'alimentation et l'agriculture ;
ü L'industrie, Science et Technologie et
Energie ;
ü L'Environnement et les ressources naturelles ;
ü Les transports, télécommunications et
tourisme ;
ü Le commerce, douane, fiscalité, statistique,
monnaie et paiement ;
ü Les ressources humaines, information, affaires sociales
et culturelles ;
ü L'administration et les finances29(*) ;
Aussi, faut-il signaler qu'en matière de commission,
le traité révisé de 1993 a apporté une innovation
non négligeable. La révision du traité a été
l'occasion de mettre sur pied d'une commission technique « affaires
politique, judiciaire et juridique, sécurité régionale et
immigration » ; le volet « juridique » et
« judiciaire » n'existant pas dans le traité de
1975.
Toutes ces institutions politiques, économiques et
techniques constituent l'arsenal institutionnel de la CEDEAO.
L'efficacité de cet appareil institutionnel peut se vérifier
à l'aune des réalisations effectuées par l'organisation
régionale depuis sa création. Cet essai de perfectionnement
organique peut aussi se justifier à travers le fonctionnement même
de l'organisation.
Section 2 : Le fonctionnement de la CEDEAO
Les principes du fonctionnement de la CEDEAO, ayant
déjà été évoqués dans le chapitre
précédent30(*), nous nous intéresserons ici d'abord aux
sessions et au personnel de la CEDEAO (Paragraphe 1). Ensuite,
nous analyserons de façon pratique l'efficacité du cadre
institutionnel de la CEDEAO depuis sa création jusqu'à nos jours
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les sessions et le personnel de la
CEDEAO
A. Les sessions ordinaires de la
CEDEAO
En ce qui concerne les sessions, il s'agira ici d'analyser
seulement celles des instances décisionnelles de la Communauté
à savoir la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement et le
Conseil des Ministres. Ainsi, selon l'alinéa 1 de l'article 8,
« la Conférence se réunit en session ordinaire au moins
une (1) fois par an. Elle peut être convoquée en session
extraordinaire sur l'initiative de son président ou à la demande
d'un Etat membre, sous réserve de l'approbation de cette demande par la
majorité simple des Etats membres. ». Conformément
à cette disposition, la CEDEAO a tenu sa trentième
(30ème) session ordinaire en 2006. Mais depuis 2007, la
CEDEAO tient désormais deux sessions ordinaires : la
première dans le mois de janvier et la seconde au courant du mois de
Juin. Cependant, aucune disposition formelle ne définit le profil du
pays d'accueil des sessions ordinaires. Toutefois, il est de tradition dans la
pratique de l'organisation que le pays qui assure la présidence de
l'organisation accueille la session ordinaire.
Conformément à l'alinéa 1 de l'article 9
du Traité révisé, la Conférence des Chefs d'Etats
peut prendre des « décisions »31(*). Toutefois, les deux textes ne
précisent aucunement la définition de la notion de
« décision », acte de la Conférence des Chefs
d'Etats. Mais la constance en Droit International est que la décision
est un acte essentiellement impératif. A l'évidence, la
Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement ne peut ou ne doit agir
que selon un mode autoritaire.
Le Conseil des Ministres, quant à lui, se
réunit aux termes de l'article 11 du Traité révisé
« ... au moins deux fois par an en session ordinaire. L'une de ses
sessions précède immédiatement la session ordinaire de la
Conférence. Il peut être convoqué en session extraordinaire
à l'initiative de son président ou à la demande d'un Etat
membre, sous réserve de l'approbation de cette demande par la
majorité simple des Etats membres. ». La dernière
session du Conseil des Ministres s'est tenue à .... En outre,
faudrait-il retenir que la Conseil des Ministres est chargé de formuler
des recommandations à la Conférence des Chefs d'Etats et de
gouvernement sur les questions visant la réalisation des objectifs de la
communauté. Il émet des directives pour les affaires concernant
la coordination et l'harmonisation des politiques d'intégration
économique et peut demander des avis à la cour de justice sur des
questions relatives à la légalité des actes des
institutions spécialisées.
B. Le personnel de la CEDEAO
Pour ce qui est du personnel de la CEDEAO, celui-ci est
composé des fonctionnaires ressortissants des Etats membres. Ceux-ci
sont recrutés suivant des critères techniques par avis d'appel
d'offre et selon une répartition géographique équitable
entre tous les Etats membres. C'est du moins ce qui ressort de l'alinéa
4 de l'article 18 du traité révisé qui dispose que
« ... lors de la nomination du personnel professionnel de la
communauté, il sera dûment tenu compte en plus des conditions
d'efficacité et de compétences techniques, d'une
répartition géographique équitable des postes entre les
ressortissants de tous les Etats membres ».
Cependant, le Secrétaire Exécutif, qui est le
principal fonctionnaire de la communauté, est nommé par la
Conférence pour une durée de quatre (4) ans renouvelables une
fois.
Au terme de la présentation du cadre institutionnel de
l'organisation régionale, il apparaît aussi crucial de porter un
regard critique sur le rendement des institutions étudiées.
Ainsi, trente-cinq ans après la création de la CEDEAO, quel bilan
pouvons-nous faire dans le domaine de la réalisation des objectifs de la
communauté ?
Paragraphe 2 : Analyse sur l'efficacité du
cadre institutionnel de
la CEDEAO
Pour prendre la mesure de l'efficacité du cadre
institutionnel de la CEDEAO, il faudrait se référer d'une part
aux réalisations accomplies par l'organisation depuis sa création
(A) et d'autre part à ses chantiers futurs (B).
A. Les réalisations de la
CEDEAO
Dans le cadre des réalisations de la CEDEAO, il
faudrait retenir que beaucoup d'efforts ont été
déployés pour la réalisation des objectifs de la
communauté. Ces réalisations remontent surtout à la
décennie 1990 pendant laquelle le traité constitutif de
l'organisation a connu une révision. Les réformes
institutionnelles apportées par le Traité révisé
ont permis certaines réalisations pratiques des objectifs de la
communauté. Le schéma de libération des échanges de
la CEDEAO a connu un démarrage d'application à partir de cette
décennie. C'est ainsi qu'à ce jour, 2627 produits industriels
fabriqués par 897 entreprises de la communauté ont
été agréés au schéma de
libéralisation des échanges.
En plus, les Chefs d'Etat et de gouvernement ont
décidé de l'extension du tarif extérieur commun (TEC) de
l'UEMOA à l'ensemble de la CEDEAO. Dans le cadre de la mise en
application de cette décision, des mesures nécessaires ont
été prises pour parvenir à l'adoption d'un tarif
extérieur commun (UEMOA/CEDEAO) au cours de la période 2005-2008.
En outre, des mécanismes de financement de la communauté ont
été établis notamment par le biais d'un
prélèvement sur la valeur totale des importations des pays tiers.
Aussi, la coopération entreprise par la communauté avec de
nombreux bailleurs de fonds (Union Européenne, France, les institutions
de Bretton Woods, USAID, Club du Sahel, etc.) a-t-elle permis le financement et
la réalisation de nombreux projets multisectoriels.
En outre, il a été prévu de mettre en
place ou de renforcer les mécanismes de prévention et de
résolution des conflits intra-étatiques ou interétatiques.
A titre illustratif, nous pouvons évoquer la mise en place d'une force
d'interposition, le groupe de contrôle de la communauté
économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (ECOMOG) et les nombreuses
missions opérations réalisées par cette force au
Libéria (1990-1999), en Sierra-Léone (1997-2000) et en
Guinée (1998-2000).
B. Les chantiers de la CEDEAO
Nonobstant ces efforts, il faudrait dire que certains
obstacles subsistent encore dans certains secteurs d'intervention de la CEDEAO.
Le programme communautaire en matière de liberté de circulation,
de résidence et d'établissement des citoyens de la CEDEAO a subi
une succession de revers depuis son lancement et faute de ratifications
nécessaires, son entrée en vigueur demeure parcellaire dans la
communauté. Mais sur les routes inter-Etat, d'innombrables postes de
douanes et de gendarmeries sont apparues et participent à une grande
corruption. Les pays enclavés, comme le Niger ou le Burkina Faso en font
les frais.
La route nationale Cotonou -Niamey, longue de 1 036 km,
empruntée par les camions de transit, est jonchée d'une trentaine
de postes de contrôle. Entre le port de Lomé et Ouagadougou, 989
km, la situation est identique malgré l'engagement pris par les Etats
côtiers de remédier à cette situation et malgré
aussi la création des Comités nationaux de suivi des programmes
de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des transports.
En plus, le projet de création d'une zone
monétaire unique à l'horizon 1994, puis reporté à
l'horizon 2000 n'a aucunement progressé depuis son adoption en 1983.
Pour preuve, jusqu'à ce jour, tous les Etats de la CEDEAO ne font pas
encore partie de l'UMOA, une autre organisation en charge de la
réalisation de la zone monétaire unique dans la
sous-région ouest-africaine.
La convergence des politiques économiques et
financières, semble pour l'instant, un objectif difficile à
atteindre au vu des énormes disparités qui existent, par exemple
entre le Nigeria et le Liberia, tout juste sorti d'une guerre civile de dix
ans. Par ailleurs, s'il est vrai que la CEDEAO a été
mandatée par son traité constitutif de la réalisation
d'une intégration économique entre les Etats de la
sous-région, trente-cinq ans après la création de cette
organisation, la part du commerce intra-régional officiel dans les
exportations demeure insignifiante : le commerce et les échanges
à l'intérieur de l'espace sont restés très faibles
et n'atteignant que péniblement le seuil de 11% par rapport au
commerce32(*).
Selon l'avis de nombreux analystes, cette contre-performance
est liée à certains égards aux déficiences du cadre
institutionnel de l'organisation. Ces déficiences peuvent aller du
simple manque de coordination entre les organes décisionnels et
d'exécution de l'organisation jusqu'au manque de volonté
politique imputable aux Etats membres. Mais de cette étude sur
l'évolution historique du processus d'intégration
régionale en Afrique de l'ouest, que pouvons-nous retenir en
conclusion ?
CONCLUSION PARTIELLE
En somme, il faudrait dire que les essais de regroupement des
Etats de l'Afrique de l'Ouest remontent à la période coloniale. A
ce titre, la grande Afrique Occidentale Française (AOF) voulue et
réalisée par l'ex-puissance colonisatrice est bel et bien
illustrative de ces propos. Même après leur accession à la
souveraineté internationale en 1960, les Etats ouest-africains n'ont pas
rompu avec cette tendance orientée vers la réalisation des
regroupements étatiques. Plusieurs tentatives de regroupements verront
le jour dans cette partie du continent.
Mais les plus importantes remontent aux années 1959 et
1966 pendant lesquelles les Etats ont mis en place deux unions
douanières : l'UDAO et l'UDEAO en vue d'accroître et
d'intensifier leur coopération économique. Ces deux Unions ont
permis plus tard en 1972 la création d'une CEAO un peu plus ambitieuse
que les précédentes initiatives. Cependant, il faudrait remarquer
que ces différentes initiatives quoique très louables ont souvent
été très parcellaires c'est-à-dire ne regroupant
pas tous les Etats de la sous-région. C'est ainsi qu'en 1975, les seize
Etats de la sous-région vont mettre de côté leurs
différends et leur « égoïsme » et
créer une organisation plus complète et plus vaste : la
CEDEAO. Cette dernière une fois de plus était orientée
vers l'intégration économique, préalable indispensable
à la mise en place à long terme d'une organisation supranationale
et politique.
Trente-cinq ans après la création de la
CEDEAO, le bilan de ses réalisations au regard de ses objectifs reste
mitigé en dépit de ses nobles ambitions et de son cadre
institutionnel a priori bien pourvu.
Ainsi, il est donc patent que la CEDEAO est mise à
l'épreuve en ce qui concerne l'efficacité pratique de son cadre
institutionnel. Il importe donc d'analyser les causes et les éventuelles
solutions en vue de résorber cette contre-performance.
La CEDEAO, une organisation mise à
l'épreuve
Face à la mondialisation sans cesse accrue de la
société interétatique, il importe pour la CEDEAO de
s'acclimater avec cette nouvelle donne afin de permettre à ces Etats
membres de mieux s'insérer dans l'économie mondiale et assurer un
véritable développement de ceux-ci. Pour atteindre cet
idéal, il est impératif pour l'organisation régionale de
dépasser la simple intégration économique voulue par son
traité constitutif afin de pouvoir engager tous les domaines de
compétence étatiques et entrainer un certain partage de
souveraineté. Seulement, le cadre institutionnel de l'organisation ne
permet pas vraiment le passage à la dimension supranationale.
Dans cette partie, nous procéderons d'abord à un
diagnostic des insuffisances institutionnelles et des défis politiques
auxquels est confrontée la CEDEAO dans son élan vers
l'intégration politique (Chapitre 1). Ensuite, à
l'issue de cette analyse, des réformes seront proposées afin de
permettre la réalisation de l'intégration politique à
travers la CEDEAO (Chapitre 2).
Des insuffisances institutionnelles aux défis
politiques
Le diagnostic des insuffisances et des défis
politiques dont souffre la CEDEAO se fera dans une logique comparative entre le
cadre institutionnel de ladite organisation et celui de l'Union
Européenne. Le choix de cette démarche méthodologique se
justifie par le fait les communautés économiques
régionales (CER) en Afrique sont la plus part du temps des copies
conformes d'autres modèles d'organisations venus d'ailleurs. Les
initiatives d'intégration africaine n'étant pas la plus part du
temps des projets endogènes, c'est-à-dire nés d'une
volonté politique autonome et non soumise à une pression
extérieure déterminante, on assiste très souvent à
un mimétisme institutionnel dans la configuration institutionnelle des
CER africaines. De ce fait, le cadre institutionnel de ces CER n'est pas
toujours compatible avec les réalités sociales ou
politico-économiques des Etats membres.
Ce qui occasionne au final des dysfonctionnements ou des
contre-performances au niveau du rendement de ces CER. La CEDEAO,
quoiqu'étant l'initiative la plus avancée en matière
d'intégration régionale sur le continent africain, ne fait pas
exception à ce constat. Ainsi, certaines insuffisances institutionnelles
(Section 1) peuvent être décelées autant
dans son traité originel de 1975 que dans la version
révisée de 1994. A ces insuffisances institutionnelles viennent
s'ajouter des défis politiques (Section 2) qui
s'imposent aujourd'hui à la pratique même de l'organisation
régionale.
Section 1 : Les insuffisances institutionnelles de
la CEDEAO
Le premier handicap du cadre institutionnel de la CEDEAO est
manifestement la quasi inexistence d'organes intégrés du moins le
caractère embryonnaire de ceux existants (Paragraphe
1). D'une certaine manière, ce caractère embryonnaire
résulte du fait que les organes de la CEDEAO fonctionnent dans une
logique inter-gouvernementaliste (Paragraphe 2) en ce qu'ils
ne sont composés que de délégués et
représentants gouvernementaux. Or, dans le cas de l'Union
Européenne, par exemple, les organes communautaires sont composés
d'agents internationaux indépendants vis-à-vis des
gouvernements.
Paragraphe 1 : Le caractère embryonnaire
des organes intégrés
De prime abord, il faudrait signaler que les organes
intégrés sont des institutions communautaires dans lesquelles les
Etats membres s'y impliquent à travers les prises de décision,
l'exécution et le suivi des actes communautaires. Dans la structure
organisationnelle de la CEDEAO, deux organes peuvent ainsi être
qualifiés d'organes intégrés. Il s'agit du
secrétariat général et de la cour de justice de la
communauté. Les infirmités de ces institutionnelles sont
respectivement l'inadaptation du secrétariat exécutif aux
objectifs de l'intégration régionale (A) et
d'autre part le caractère limité des compétences de la
cour de justice (B).
A. L'inadaptation du secrétariat
général aux objectifs de l'intégration
régionale
Ce handicap résulte sans doute de la faible
portée des prérogatives accordées à cet organe. En
effet, l'analyse de l'article 20 du traité révisé
révèle que le secrétariat exécutif n'est rien
d'autre qu'un organe technico-administratif chargé de l'administration
courante de la communauté et de ses institutions. L'article 19 du
traité révisé qualifie même le secrétaire
exécutif de « principal fonctionnaire
exécutif » de la communauté. Dans cette mesure, le
secrétariat général est chargé de suivre
constamment le fonctionnement de la communauté et d'en rendre compte au
conseil des ministres et à la conférence des chefs d'Etats
à travers des rapports d'activités réguliers. De ce fait,
le secrétariat général est lourdement handicapé par
une absence manifeste d'un pouvoir réel en matière de prise de
décision.
Cette absence de pouvoir de décision fait que le
secrétariat exécutif n'est rien d'autre qu'un organe sous tutelle
politique de la conférence des chefs d'Etats et du conseil des
ministres. Dans un tel environnement institutionnel, le secrétariat
exécutif ne peut véritablement pas jouer le rôle de levier
de l'intégration régionale à l'instar de la commission de
l'Union Européenne composée de technocrates indépendants.
La force de la commission de l'Union Européenne est qu'elle constitue
une représentation autonome et détient des compétences
d'initiative, de contrôle et d'exécution. Ainsi, contrairement au
secrétariat exécutif de la CEDEAO qui ne joue qu'un rôle
technico-administratif, la commission de l'UE par contre représente un
véritable contrepoids par rapport au conseil des ministres et
à la conférence des chefs d'Etats.
Par conséquent, l'absence d'un tel organe
exécutif intégré dans le cadre institutionnel de la CEDEAO
fait que le poids des Etats membres dans les rouages de la communauté
tend à freiner les initiatives et les innovations intégratives.
C'est à ce titre que le secrétariat exécutif
présente un caractère embryonnaire et de ce fait cet organe ne
peut pas jouer son rôle de pivot dans les projets d'intégration
dans la communauté. C'est le même constat qui se dégage de
l'analyse du fonctionnement de l'organe garant de l'ordre juridique de la
communauté à savoir la cour de justice de la CEDEAO.
B. La cour de justice de la CEDEAO, une juridiction
à compétence limitée.
La création d'une cour de justice par le traité
révisé de 1994 témoignait de l'intérêt que
les Etats membres accordaient à la dimension juridique de
l'intégration33(*).
Dans ce sens, la cour de justice devrait assurer le respect du droit dans
l'interprétation et l'application des dispositions du traité
constitutif ou le règlement des différends. Ainsi, elle devrait
être en principe le catalyseur de l'intégration régionale
comme cela a été le cas de la cour de justice des
communautés européennes34(*). Cependant, la cour de justice de la CEDEAO ne joue
pas effectivement ce rôle catalyseur dans la promotion du droit
communautaire du fait qu'elle souffre de trois déficiences
particulières.
Il s'agit d'abord du domaine de compétence très
limité de la cour de justice de la communauté. En effet, selon
les articles 11 et 56 du protocole relatif à la cour de justice, la
compétence de celle-ci s'étend au règlement des
différends qui surgissent entre les Etats membres, excluant de ce fait
les litiges entre la communauté et les Etats membres, les litiges entre
les institutions et les litiges entre des particuliers (personnes physiques ou
morales) et la communauté. Or, il apparaît que la cour de justice
pourrait efficacement garantir le droit communautaire en étant
compétente pour trancher une gamme plus large de litige. Signalons
cependant qu'en Janvier 2005, lors du sommet des chefs d'Etats réuni
à Accra au Ghana, il a été adopté un amendement
introduisant la possibilité pour les individus de saisir directement la
cour après épuisement de toutes les voies de recours
contentieuses ou arbitrales au plan interne.
La deuxième carence de la cour de justice de la
communauté est relative à son indépendance. En effet,
l'alinéa 2 de l'article 15 du traité révisé
précise que la composition, le statut ainsi que la compétence de
la cour doivent être déterminés par un protocole y
afférent. Etant donné que seule la conférence des chefs
d'Etats est à même d'adopter ce protocole, cette disposition
diminue l'autonomie de la juridiction communautaire dans la mesure où
elle fait dépendre la fixation et les modifications de son statut d'un
organe politique inter-gouvernemental. Cette situation compromet
inéluctablement l'indépendance de la justice vis-à-vis de
la politique.
Le dernier défaut institutionnel de la cour de justice
de la CEDEAO réside dans les mécanismes de règlement des
différends définis par le protocole de la cour de justice de la
CEDEAO. Aux termes de l'article 56 du protocole de la cour de justice, tout
litige ou différend au sujet de l'interprétation ou de
l'application du droit communautaire est réglé à l'amiable
par accord direct entre les parties en cause. Ce n'est que lorsque les parties
ne parviennent pas à régler ledit litige ou différend que
l'une d'entre elles peut en saisir la cour de justice de la communauté.
L'inconvénient de cette procédure est de fragiliser le
fonctionnement du système communautaire car l'obligation de passer au
préalable par un règlement diplomatique bilatéral des
litiges nés de l'interprétation ou de l'application du
traité communautaire introduit des risques d'affecter
l'uniformité du droit communautaire.
Hormis le secrétariat exécutif et la cour de
justice, les organes décisionnels de l'organisation comme la
conférence des chefs d'Etats et le conseil des ministres comportent
aussi des insuffisances institutionnelles. Celles-ci ont trait à
l'inter-étatisme accru qui caractérise ces organes. On y remarque
en effet la prépondérance de l'inter-gouvernementalisme.
Paragraphe 2 : La prépondérance de
l'inter-gouvernementalisme
Ce handicap est beaucoup plus la résultante de
l'absence de dimension supranationale dans les démarches
d'intégration régionale entreprises au niveau de la
sous-région et particulièrement à travers la CEDEAO. Dans
une certaine mesure, cette prépondérance de
l'inter-gouvernementalisme se justifie par le fait que la CEDEAO est à
la base une organisation d'intégration économique. C'est
pourquoi, les Etats membres sont beaucoup plus prudents et veulent toujours
être présents dans les grandes instances décisionnelles de
l'organisation afin de veiller à la sauvegarde de leurs
intérêts particuliers. C'est donc à juste titre que
l'inter-gouvernementalisme est beaucoup développé au niveau de la
conférence des chefs d'Etats (A) et du conseil des
ministres (B).
A. L'inter-gouvernementalisme au niveau de la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement
La prééminence de l'inter-gouvernementalisme au
niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement
résulte du fait que le traité constitutif de la CEDEAO place cet
organe au sommet de la hiérarchie institutionnelle de
l'organisation35(*). Or,
il s'avère aussi que la conférence des chefs d'Etats et de
gouvernement, comme son nom l'indique, n'est composée que
« des chefs d'Etats et/ou de gouvernement des Etats
membres »36(*).
Cette tendance à accorder la primauté à un organe
composé exclusivement de représentants gouvernementaux dans la
pyramide institutionnelle rend manifestement compte de
l'inter-gouvernementalisme qui prévaut au niveau de la CEDEAO.
Il s'en suit que l'organisation fonctionne beaucoup plus dans
une logique interétatique. Dans un tel environnement, il est donc
logique que les Etats membres rechignent à transférer des parts
de leur souveraineté aux organes communautaires. Etant donné que
les Etats membres tiennent à conserver une certaine tutelle politique
sur le fonctionnement même de l'organisation régionale qui devrait
en principe avoir une certaine autonomie politique de gestion afin de mieux
servir les intérêts, non pas de quelques Etats membres
« plus puissants », mais de l'ensemble de la
communauté.
Un autre aspect nuisible de l'inter-gouvernementalisme au
niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement
réside dans la concentration de tous les pouvoirs essentiels et
importants de la communauté dans cet organe. Aux termes de
l'alinéa 2 de l'article 7 du traité révisé, la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement est « est
chargée d'assurer la direction et le contrôle
général de la communauté ... ». Il serait
très dangereux de faire d'un organe aussi politique que la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, l'organe de conception,
d'orientation et de contrôle de l'organisation régionale. En
effet, dans la prise des décisions, les chefs d'Etats et de gouvernement
seront toujours tentés de subordonner leurs préoccupations
nationales à l'intérêt général communautaire
et de ce fait, ils accorderont beaucoup plus d'importance à la dimension
politique des projets intégrateurs plutôt qu'à la dimension
technique qui devrait être mise en avant.
Mise à part la conférence des chefs d'Etats et
de gouvernement, l'inter-gouvernementalisme est aussi très
accentué au niveau du conseil des ministres.
B. L'inter gouvernementalisme au niveau du conseil
des ministres
Deuxième organe communautaire, le conseil des
ministres est également composé de délégués
gouvernementaux. Outre les ministres des affaires étrangères, le
conseil des ministres peut réunir des ministres plus techniques ayant en
charge l'industrie, les finances, le plan, les transports, les affaires
sociales, la culture ou la justice, etc. Il s'agit a priori de technocrates
ayant pour mission principale de veiller au fonctionnement et au
développement de la communauté. Toutefois, une déficience
institutionnelle non négligeable peut être décelée
au niveau de cet organe. Cette déficience réside dans la
dépendance du conseil des ministres à la conférence des
chefs d'Etats et de gouvernements.
En effet, en matière de politique
générale de la communauté, le conseil des ministres ne
peut que formuler des recommandations à l'endroit de la
conférence des chefs d'Etats ou ne peut agir que sur
délégation de la conférence37(*). Ce manque d'autonomie
décisionnelle a pour conséquence la faible propension du conseil
des ministres à prendre des initiatives très novatrices de peur
de voir ses décisions modifiées ou annulées par la
conférence des chefs d'Etats. Pour Gonidec, il s'agit là d'une
reproduction dans la sphère des organisations internationales
africaines, de la structure des appareils d'Etats où les chefs d'Etats
et de gouvernement détiennent la réalité du pouvoir et
occupent une place centrale dans les constitutions nationales38(*).
Un autre handicap du conseil des ministres réside dans
la périodicité de ses rencontres. En effet, l'article 11 du
traité révisé prévoit deux sessions ordinaires par
an dont l'une précédant immédiatement celle de la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. Comparé à
la pratique du conseil des ministres de l'Union Européenne, ce nombre
est loin de faire le compte. Le conseil des ministres de l'Union
Européenne tient en réalité cinquante à soixante
sessions par an avec la participation soit des ministres des affaires
étrangères soit celle des ministres spécialisés.
Cette périodicité des sessions a l'avantage de veiller et de
rendre compte l'application de certaines décisions prises au
préalable.
Le diagnostic des facteurs justifiant les contre-performances
de la CEDEAO ne se limitent pas seulement aux insuffisances institutionnelles.
En effet, l'organisation est de plus en plus confrontée à des
défis politiques qui n'étaient pas nécessairement
prévus dans son traité constitutif.
Section 2 : Des défis politiques
Ces défis politiques ont trait à des
thématiques qui n'étaient pas prises en compte au moment de la
création de la CEDEAO. Mais la pratique actuelle de l'organisation
oblige celle-ci à prendre position par rapport à ces questions.
Il s'agit d'une part du problème de transfert de souveraineté
(Paragraphe 1) et la prise en compte de la dimension
sécuritaire dans l'intégration régionale
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La problématique de la
souveraineté
L'efficacité de la CEDEAO nécessite
réellement de la part des Etats membres un transfert conséquent
de souveraineté aux organes et institutions communautaires. Cette
condition devra permettre à l'organisation de véritablement
réaliser l'intégration régionale en mettant la
priorité sur les intérêts communautaires. Mais si de
nombreuses tentatives de constitution formelle d'intégration
régionale se sont soldées par un échec, cela est dû
en grande partie à la réticence des Etats membres à
consentir un certain partage de souveraineté. Ce constat se
démontre à travers la consécration de la règle du
consensus dans la prise des décisions (A) mais aussi au
final par la faible portée de ces décisions
(B).
A. La consécration de la règle du
consensus
L'alinéa 2 de l'article 9 du traité
révisé, relatif aux décisions de la conférence des
chefs d'Etats et de gouvernement dispose : « sauf dispositions
contraires du présent traité ou d'un protocole, les
décisions de la conférence sont adoptées par consensus,
à la majorité des deux tiers des Etats membres ». Cette
consécration de la règle du consensus ou encore celle de
l'unanimité tend à assurer le respect du principe de la
souveraineté des Etats membres.
Car en effet, en vertu de la règle du consensus, aucune
obligation ne peut être imposée à un Etat membre en dehors
d'un engagement ou d'un acte exprès de volonté de sa part. Par la
règle du consensus, la procédure de décisions aboutit en
général à des solutions de compromis. C'est ce qu'exprime
Quoc Dinh en soutenant que l'unanimité de façade que semble
préserver le compromis, cache le plus souvent une coalition
d'insatisfaits39(*). Le
consensus permet donc de déguiser des désaccords entre les Etats
membres. Les décisions prises dans une telle condition réduit
considérablement la capacité d'impulsion et d'innovation des
instances communautaires et ne peuvent pas entretenir ou renforcer la dynamique
intégrative au sein de l'organisation.
Dans cette mesure, la question du partage de
souveraineté apparaît comme un défi pour les Etats membres
de la CEDEAO. Dans l'ordre des défis, il faut aussi relever la faible
portée des décisions de l'organisation régionale.
B. La faible portée des décisions de
l'organisation régionale
Cette faible portée des décisions
régionales est d'abord une résultante de la règle du
consensus. En effet, étant donné que les décisions sont
prises par « compromis », les Etats ayant exprimé un
désaccord lors de leur adoption ne sont pas toujours disposés
à les appliquer convenablement. Cette tendance fragilise ainsi le cadre
juridique de l'organisation. Ensuite, le second facteur pouvant justifier cette
faible portée des décisions régionales réside dans
le fait que les organes de la CEDEAO ne disposent pas d'une
variété d'instruments juridiques dont la teneur normative est
bien définie.
En effet, la conférence des chefs d'Etats ainsi que le
conseil des ministres agissent par voie de directives et de décisions.
Cependant, ni l'article 9, ni l'article 12 ne précisent la teneur
normative des décisions de la conférence ni celle des
règlements du conseil des ministres. Devant cette imprécision, il
appartient donc à la conférence des chefs d'Etats et au conseil
des ministres de déterminer les règles à suivre pour la
notification, l'entrée en vigueur et l'application de leurs actes.
Comparativement, la pratique de l'Union Européenne
laisse entrevoir une panoplie d'instruments juridiques utilisés par le
Conseil et la Commission de l'Union Européenne. L'article 189 du
traité de Rome distingue en effet des directives des règlements,
des décisions et des recommandations. Au sommet de cette
hiérarchie se trouvent les règlements qui ont une portée
générale et impersonnelle comparable à celle d'une loi au
plan interne. La directive quant à elle ne lie les Etats que sur le
résultat final par contre la décision constitue un acte
obligatoire pour les destinataires qu'elle désigne et n'a donc pas une
portée générale comme les règlements. Enfin, les
recommandations n'ont aucune force contraignante et ne sont que des instruments
d'orientation.
De par cette analyse comparative, il apparaît que
l'intégration régionale ne pourra significativement progresser
que si les actes communautaires produisent des effets dans les Etats
membres.
Paragraphe 2 : La dimension sécuritaire
dans l'intégration régionale
La CEDEAO, qui est une organisation dont l'objet est
économique40(*), a
mis sur pied une Force Ouest africaine de Maintien de la Paix : l'ECOMOG.
Dès lors, on peut s'interroger sur les bases légales des
décisions prises par l'organisation dans le domaine sécuritaire.
En effet, la dimension sécuritaire se pose dans l'organisation
régionale en tant que problématique sous un double angle. Il se
pose d'abord le problème de la base légale qui fonde la
création de cette force puisqu'on constate un vide juridique
avéré dans le traité constitutif (A).
Ensuite, l'intégration de la dimension sécuritaire dans les
objectifs de l'organisation s'impose comme une nécessité du fait
d'un manque de coopération politique interétatique, condition
sine qua non pouvant garantir la cohésion politique des Etats membres
(B).
A. Le vide juridique originel
La pratique du maintien de la paix a véritablement vu
le jour dans la CEDEAO dans les années 1990 avec la première
crise libérienne. C'est lors de son 13ème sommet,
à Banjul en mai 1990, que la CEDEAO, sous la pression du
Président nigérian Babangida, a décidé de mettre en
place un Standing Mediation Committee (SMC, soit Comité
Permanent de Médiation), qui a alors reçu pour mandat de
réfléchir aux moyens d'intervenir dans le conflit libérien
lorsque celui-ci deviendrait trop menaçant pour la stabilité
régionale. Cinq Etats composaient ce Comité : la Gambie, le
Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo. C'est à l'issue de la
troisième rencontre du SMC, le 7 août 1990 à Banjul, que le
président gambien Dawda Jawara a annoncé le déploiement
d'une force de maintien de la paix, dénommée ECOWAS
Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG)41(*). D'aucuns estiment que la création de cette
force d'intervention trouve son fondement à l'article 7 du traité
constitutif. En effet, cette disposition précise les fonctions de la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement mais en aucun cas il a
été question d'attribution d'ordre militaire. Il serait tentant
de rattacher la dimension sécuritaire aux prérogatives aussi
générales que « la direction et le contrôle
général de la communauté ... en vue du
développement progressif de celle-ci et de la réalisation de ses
objectifs »42(*). En réalité, ce rapprochement ne peut
se justifier que par un abus de langage.
Certes, on peut rattacher la pratique du maintien de la paix
à deux autres actes conclus par les Etats portant sur leur
défense. Il s'agit du traité de non-agression du 22 avril 1978 et
du protocole d'assistance mutuelle du 28 mai 1981. Pour le premier instrument,
il s'agit bien comme son nom l'indique d'un « pacte de
non-agression » qui ne saurait fournir une base légale
à une opération de maintien de la paix. Pour ce qui est du
deuxième instrument, outre que trois Etats membres de la CEDEAO
n'étaient pas parties43(*) à ce protocole, celui-ci ne stipule que pour
l'essentiel un engagement d'aide et d'assistance pour la défense contre
une agression ou une menace d'agression44(*). Il en ressort que la première intervention
menée par la CEDEAO reste difficilement justifiable en droit, du moins
dans le droit originaire de l'organisation.
Car en, effet, la révision du traité de 1993 a
permis de combler ce vide juridique originel notamment à travers les
principes fondamentaux auxquels ont adhéré tous les Etats membres
de l'organisation45(*). Il
apparaît donc que la dimension sécuritaire est devenue une
nécessité pour la CEDEAO.
B. La nécessaire intégration de la
dimension sécuritaire dans l'intégration
régionale
L'intégration de la dimension sécuritaire dans
le processus intégratif apparaît comme une nécessité
en ce qu'elle permet de créer un climat de confiance à travers la
région. Si la conclusion du traité de non-agression de 1978 et
celle du protocole d'assistance mutuelle de 1981 peuvent être
perçues comme des préalables à la réalisation d'une
politique régionale de sécurité collective, il faut
déplorer aujourd'hui la faible application de ces instruments au moment
où des tensions politiques continuent toujours de s'accentuer à
l'intérieur des Etats membres.
Car de toute évidence, les tensions politiques
intra-étatiques (Guinée en 2009, Côte d'Ivoire en 2002,
Togo en 2005, Sierra Leone en 1997, Guinée Bissau 1998 - 1999,
Libéria en 2003, Nigéria 2010, etc.) ou interétatiques
(Crise de la Casamance entre le Sénégal et la Gambie) perturbent
la réalisation des programmes d'intégration régionale.
Cette instabilité politique contribue en même temps à
retarder le développement et la croissance des Etats membres et
constitue une incitation négative à l'investissement. Il est donc
indispensable d'oeuvrer à la mise en place d'un système capable
de sauvegarder et de garantir la paix et la sécurité de
manière durable dans la région.
Pour terminer, la nécessaire intégration de la
dimension sécuritaire dans la démarche intégrative
s'explique aussi par un intérêt moins marqué de la
communauté internationale face à la complexité
grandissante des situations de crise dans la sous-région46(*). C'est donc pour cette raison
que les Etats de sous-région, conscients de la réticence du
conseil de sécurité des Nations à s'engager dans les
crises politiques, ont décidé d'élaborer leurs propres
mécanismes de maintien et d'imposition de la paix.
Face à tous ces enjeux, il urge de repenser la
politique générale de l'intégration régionale en
Afrique de l'ouest. Sinon, des réformes importantes doivent être
envisagées afin d'accélérer le processus
d'intégration dans la sous-région.
Approches de solutions pour la mise en oeuvre d'une
véritable intégration régionale en Afrique de
l'Ouest
La révision du traité constitutif de
l'organisation en 1993 a constitué un véritable déclic
dans la recherche des solutions aux différentes contre-performances de
la CEDEAO. C'est pour dire que ce toilettage du traité originel a su
réaliser d'importantes réformes dans la vision
générale de la démarche d'intégration
régionale en Afrique de l'Ouest. On retiendra pour l'essentiel que la
traité de 1993 a adopté une rupture par rapport à un
certain passé représenté par le traité de 1975. Le
renversement de logique qu'il opère est patent. Il traduit, en effet, le
passage d'une vision interétatique à une vision supranationale.
Les grandes réformes institutionnelles qui ont été
adoptées, ont permis d'adjoindre à la dimension économique
de l'intégration régionale, des questions d'ordre politique
touchant le fondement même de la souveraineté des Etats
membres.
Dans ce chapitre, il sera question d'identifier, à la
lumière du modèle d'autres organisations d'intégration
mieux réussies47(*), les principales innovations à adopter afin de
mieux réaliser le passage de l'intégration économique
à un modèle d'intégration politique. Ces innovations
toucheront non seulement le cadre institutionnel même de la CEDEAO
(Section 1) mais aussi et surtout les domaines politique et
économique (Section2).
Section 1 : Les réformes
institutionnelles
Pour attribuer une dimension supranationale au processus
d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest, la principale
réforme institutionnelle à opérer consiste en la rupture
avec la tradition de la prépondérance des organes
inter-gouvernementaux sur les organes intégrés. Dans cette
logique, ceux-ci devront bénéficier d'une indépendance
totale dans leur fonctionnement. De ce fait, une importance particulière
devrait être accordée au secrétariat exécutif qui,
sans être à proprement parler un
« secrétariat », constitue un véritable
moteur du processus d'intégration régionale. Ainsi, le
renforcement des organes intégrés doit constituer le premier
chantier des réformes institutionnelles de la CEDEAO (Paragraphe
1). L'acquisition de la dimension supranationale doit se traduire
aussi par la valorisation des engagements communautaires (Paragraphe
2) notamment à travers le mode d'adoption des décisions
de l'organisation et surtout leur contrôle d'exécution.
Paragraphe 1 : Le renforcement des organes
intégrés
Le renforcement statutaire de secrétariat
exécutif déjà amorcé par le traité
révisé de 1993 a connu une nouvelle évolution par le
récent projet de la création de la commission de la CEDEAO
(A). Dans cette même lancée, il doit être
entrepris le renforcement des organes intégrés comme le parlement
et la cour de justice afin de consolider le cadre démocratique de ces
organes intégrés (B).
A. La création de la commission de la
CEDEAO
Le projet de substitution de secrétariat
exécutif par une « commission » à l'instar de
l'Union Africaine ou de l'UEMOA permettra un réel renforcement de cet
organe qui est resté depuis toujours sous la tutelle politique de la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. La création
d'une commission, « entité collective », dont
l'existence et les pouvoirs sont voués à la défense de
l'intérêt communautaire marquerait mieux l'autonomie et
l'indépendance de l'organisation internationale vis-à-vis des
Etats membres. En effet, le projet de la création d'une commission de la
CEDEAO a été décidé par la conférence des
chefs d'Etats et de gouvernement réunie à Abuja en juin 2005. A
la suite, le conseil des ministres avait retenu deux scénarios
comportant respectivement une commission de neuf membres et une commission de
quinze membres48(*). En
référence à la pratique des commissions de l'Union
Africaine et de l'UEMOA, chaque commissaire devrait être en charge d'un
domaine déterminé.
Cette spécialisation est inéluctablement
génératrice de valorisation pour tous les projets
d'intégration de l'organisation. Dans le même temps, elle sera un
gage de visibilité de l'organisation dans les Etats membres. Cependant,
dans le but de mieux renforcer la supranationalité dans l'organisation,
il devra être instauré au sein de la commission un système
de rotation fondé sur l'équité et la transparence.
Au final, une telle réforme institutionnelle permettra
à l'organisation de mieux s'adapter à l'environnement
international et surtout de repositionner cette dernière
vis-à-vis des populations de l'Afrique de l'Ouest qui jusque-là
ne se sentent pas impliquées dans le processus d'intégration
régional. L'implication des populations dans le processus
d'intégration régionale passe aussi par la consolidation du cadre
démocratique des organes comme le parlement et la cour de justice de la
communauté.
B. La consolidation du cadre démocratique du
parlement et de la cour de justice
Nous évoquerons dans ce volet les différentes
institutionnelles pouvant permettre une forte implication des populations dans
le processus d'intégration régionale. Dans ce sens, le parlement
et la cour de justice de la CEDEAO apparaissent à notre sens comme les
organes les plus à même d'atteindre cet objectif. Pour cela, ces
organes doivent au préalable connaître certains
réajustements techniques. Ces réajustements doivent permettre
à ces organes de prendre en compte des questions relatives à la
protection et à la sauvegarde des droits des populations des Etats
membres. La création du parlement et celle de la cour de justice peuvent
permettre d'assurer le respect des droits humains et surtout assurer la pleine
participation des populations ouest-africaines au développement et
à l'intégration régionale.
Pour ce qui est du parlement de la CEDEAO, il serait
souhaitable de lui conférer non seulement des pouvoirs consultatifs mais
aussi des pouvoirs de censure et de contrôle des actions de la
conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. Afin de pouvoir jouer
le rôle d'avant-garde dans la protection des droits de l'homme, le
parlement devra aussi disposer d'un certain pouvoir de censure à
l'endroit des gouvernements fautifs. Dans ce cadre, le parlement devra pouvoir
déclencher des enquêtes internationales sur les atteintes aux
droits de l'homme présumées ou dénoncées. Et sur la
base des résultats, le parlement pourra requérir des poursuites
contre les auteurs présumés de ces exactions. En outre, la
désignation des membres du parlement devrait se faire par
élection au suffrage universel au sein de chaque Etat. De la sorte, les
populations des Etats membres pourront se sentir réellement
impliquées dans le processus d'intégration régionale.
En ce qui concerne la cour de justice de la
communauté, elle devrait voir son domaine de compétence
élargi afin d'assurer une meilleure promotion et protection des droits
de l'homme dans les Etats membres. Au lieu de se borner à ne connaitre
que des litiges entre les Etats membres relatifs à
l'interprétation et à l'application du traité, elle
devrait, à l'instar de la cour européenne de justice, connaitre
aussi des litiges entre Etats membres et la communauté, les litiges
entre personnes privées, etc. Pour ce fait, les personnes privées
doivent avoir un accès facile et direct à la juridiction. Or,
cela semble difficile en l'état actuel de la procédure de saisine
de la cour.
En effet, l'article 9 du traité ne réserve la
possibilité de saisine de la cour qu'aux seuls Etats membres ou à
la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. Ce qui apparait
très paradoxal car d'ordinaire, les cas de violation des droits de
l'homme résultent souvent de l'action de l'Etat à l'endroit de
ses citoyens ou ceux des autres pays. Il s'ensuit que les atteintes aux droits
de l'homme seront plus souvent la préoccupation des individus ou des
groupes d'individus que de l'Etat. D'où l'importance d'instaurer un
mécanisme d'accès facile et direct des populations aux
prétoires.
Paragraphe 2 : La valorisation des engagements
communautaires
La réalisation d'une intégration
régionale supranationale passe obligatoirement par la valorisation des
engagements communautaires. Cette valorisation de l'expression de la
volonté de l'organisation nécessite un nouveau mode d'adoption
des décisions (A) qui devra rompre avec la logique interétatique
qui a prévalu jusque-là dans la pratique de l'organisation. Dans
le même temps, afin de mieux réaliser cette rupture, des sanctions
doivent être adoptées en cas de manquement aux engagements
communautaires (B).
A. L'adoption des décisions
Sous l'empire du traité de 1975, le mode de prise de
décision au niveau de la conférence des chefs d'Etats et de
gouvernement et du conseil des ministres était l'unanimité ou le
consensus. Il s'agit encore là de la manifestation des vues
inter-étatistes jusque-là prédominantes. Afin de mieux
rompre avec cette vision de l'intégration régionale, il faudra
encourager l'adoption par le traité révisé de 1993 du mode
majoritaire qui constitue en soi un progrès remarquable. En effet, les
articles 9 et 12, relatifs à la conférence des chefs d'Etats et
de gouvernement et au conseil des ministres, disposent que les décisions
sont adoptées « selon les matières, à
l'unanimité, par consensus ou à la majorité des deux tiers
des Etats membres ».
B. La sanction au manquement des engagements
communautaires
La nécessité de la définition d'un
mécanisme de sanction en cas de manquement aux engagements
communautaires résulte de l'obligation à laquelle se sont
astreints les Etats en adhérant à la CEDEAO. Cette nouvelle
obligation définie dans le traité révisé est plus
vigoureuse que le simple engagement minimal exprimé à travers
l'article 3 du traité de 1975 qui disposait : « les Etats
membres ne ménagent aucun effort pour planifier et orienter leurs
politiques en vue de réunir les conditions favorables à la
réalisation des objectifs de la communauté, en particulier,
chaque Etat membre prend toutes les mesures requises afin d'assurer l'adoption
des textes législatifs nécessaires à l'application du
présent traité ». Il s'agit désormais, aux
termes de l'article 5 du traité révisé, de
« créer les conditions favorables à
l'intégration ». Afin de mieux assurer le respect de cet
« engagement général », deux innovations
majeures ont été adoptées dans la pratique de
l'organisation. La première innovation est relative à la
modalité d'entrée en vigueur des actes communautaires.
Les conditions d'entrée en vigueur des normes
communautaires échappent désormais aux Etats. Au terme de
l'article 9 par.6 du traité révisé, les décisions
prises par la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement ainsi que
les règlements adoptés par le conseil des ministres de la CEDEAO
sont « exécutoires de plein droit soixante jours après
la date de leur publication dans le Journal Officiel de la
communauté ».
La seconde innovation porte sur l'adoption des sanctions
applicables en cas de non respect des obligations communautaires. L'adoption
d'un mécanisme de sanction dans une organisation de coopération
qui s'est toujours illustrée par des traits inter-gouvernementaux rend
compte de la nouvelle dimension supranationale adoptée par la CEDEAO. Au
demeurant, il faut dire que le but poursuivi à travers ce
mécanisme de sanctions n'a rien d'afflictif. Au contraire, ces sanctions
doivent pouvoir amener l'Etat sanctionné à revenir à de
meilleures dispositions et à rester dans la dynamique communautaire.
C'est pourquoi, il est important d'instituer un caractère graduel et
« maîtrisé » desdites sanctions. L'article 77
du traité révisé offre un cadre assez complet des
sanctions applicables en cas de non respect des obligations de la
communauté.
La gamme de ces sanctions peut aller de la suspension aux
activités de la communauté, en passant par la suspension de
décaissement pour les projets ou le rejet de toute candidature à
certains postes. Mais il peut aussi de la suspension des concours dont l'Etat
membre bénéficiait, en passant par le retrait des mesures
positives qui lui étaient consenties. Ces sanctions peuvent être
appliquées en cas de tout manquement aux « obligations de la
communauté 49(*)». D'une manière générale
ces manquements peuvent consister en un absentéisme aux sessions d'un
organe ou une irrégularité dans le versement des cotisations, une
lenteur dans la ratification des instrumentaux internationaux, ou encore, la
pratique même des Etats membres c'est-à-dire leur comportement
(Coup d'Etat, violations massives des droits de l'homme, etc.) ayant
porté atteinte à l'oeuvre d'intégration.
Toutefois, il est évident que l'amélioration du
droit communautaire à travers la densification institutionnelle et la
valorisation des engagements communautaires, ne suffit pas pour donner un
nouvel élan au processus d'intégration régionale. La
perfection du droit communautaire doit s'accompagner d'une bonne volonté
des Etats à créer un environnement politico-économique
propice à l'intégration régionale.
Section 2 : Les perspectives politiques et
économiques
Nous envisagerons dans cette section les différentes
perspectives à entreprendre afin de créer un environnement
politique et économique optimal pour la réalisation d'une
véritable intégration régionale en Afrique de l'Ouest.
Paragraphe 1 : Les perspectives politiques
L'environnement politique de l'ensemble de la
sous-région est un facteur crucial pour la réalisation de
l'intégration régionale. Il urge alors d'oeuvrer pour la
démocratisation des régimes politiques des Etats membres. A
l'évidence, les Etats bénéficiant d'une
légitimité démocratique paraissent mieux disposés
à la concertation collective que les Etats autoritaires. Ainsi, en
l'absence de volontés politiques internes pouvant assurer le processus
de démocratisation des Etats membres, la coopération politique
interétatique apparaît comme une alternative permettant
d'atteindre ce but (A). Par ailleurs, afin de renforcer cette
coopération politique, les Etats membres pourront envisager la
définition d'une politique extérieure commune au niveau de la
sous-région (B).
A. La coopération politique
interétatique, condition de l'intégration
régionale
De toute évidence, la solidité d'un processus
d'intégration régionale dépend du degré
d'implication des Etats membres et de la cohésion politique entre ces
derniers. Les échecs passés de nombreuses initiatives
d'intégration régionale en Afrique doivent beaucoup à
l'instabilité politique des Etats membres. Il importe alors de renforcer
la coopération politique entre les Etats en dehors du champ de
l'organisation régionale.
Dans ce cadre, il faudrait encourager et surtout
perpétuer les initiatives de médiation entreprises par certains
politiques ayant permis de subjuguer certaines crises politiques dans la
sous-région. De telles initiatives ont l'avantage non seulement de
renforcer la coopération politique entre les Etats membres mais aussi
d'assurer la stabilité politique interne des Etats membres et la
pacification de leurs relations interétatiques. Cette dernière
constitue également une seconde condition évidente pour donner
quelque chance d'avenir au processus d'intégration dans la
région. Car l'expérience a montré que des tensions
interétatiques ont eu à gripper certaines initiatives de
regroupement sur le continent. A titre illustratif, nous évoquerons les
difficultés avérées dans les relations
intra-maghrébines qui ne facilitent pas les progrès de l'UMA.
Pour finir, la nécessité d'une
coopération interétatique est aujourd'hui d'actualité car
elle permet d'instaurer un équilibre géopolitique dans la
région. Il serait en effet légitime de penser que des
déséquilibres géoéconomiques trop importants
pourraient transformer la zone d'intégration en une zone d'influence
géopolitique. De toute évidence, la CEDEAO est polarisée
autour du Nigéria qui représente à la fois une puissance
économique et démographique dans la communauté. Ainsi, une
coopération politique entre les Etats membres pourra biaiser
considérablement cette « hégémonie »
nigériane au sein de la communauté. De cette façon, les
Etats membres pourront être sur un même pied dans leurs relations
dans l'organisation régionale. Au final, cette coopération
politique devra aboutir à la définition d'une politique
extérieure commune au sein de la communauté. La nouvelle logique
supranationale adoptée par l'organisation régionale facilitera
énormément la réalisation de cet idéal.
B. Vers une politique extérieure
commune
La dimension supranationale de l'intégration
régionale devra amener les Etats membres de la CEDEAO à unifier
leurs points de vue à travers la définition d'une politique
extérieure commune. Dans cette logique, il ne sera plus question de
convergences sporadiques ou d'alliances occasionnelles mais plutôt de
procéder à une institutionnalisation de ces alliances. Au reste,
on peut retrouver dans le traité révisé une base à
ce projet. Aux termes de l'article 85 de celui-ci, « les Etats
membres s'engagent à formuler, et à adopter des positions
communes au sein de la communauté sur des questions relatives aux
négociations internationales avec les parties tierces ».
Quelques exemples peuvent être donnés à
cet égard. Dans le cadre des opérations de maintien de la paix,
la CEDEAO a pu se poser en interlocutrice de l'ONU. C'est une position unique
que la communauté a toujours défendue en la matière. Dans
ce contexte, il ne serait pas exagéré de soutenir que, de moins
en moins, la définition de la politique sécuritaire dépend
des Etats membres de l'organisation. Cette collaboration avec l'ONU atteste de
la crédibilité naissante de la communauté dans le domaine
de la préservation de la paix et de la sécurité
internationales. En outre, la CEDEAO a noué en 2004 un partenariat avec
le FMI dans le cadre des politiques de convergence macroéconomiques, des
réformes fiscales et douanières ainsi que pour la mise en oeuvre
du tarif extérieur commun et de la zone de libre échange de la
CEDEAO.
A travers cette coopération, la CEDEAO devra
représenter ses Etats membres en exprimant leur volonté dans les
négociations avec le FMI. Ce sont autant d'exemples qui prouvent que
c'est en s'exprimant d'une seule voix que les Etats membres de l'organisation
sous régionale se font mieux entendre. L'autre pas à franchir
consistera en l'érection d'organes permanents voués à
l'exécution des politiques communes adoptées par les Etats
membres.
Paragraphe 2 : Les perspectives
économiques
Certes, l'intégration régionale doit passer par
le renforcement du cadre juridique et institutionnel. Mais si ce dispositif
technique ne coïncide pas avec une réelle intégration
économique, il est évident que la structure d'intégration
régionale apparaîtra comme une coquille vide. Il est donc
indispensable que se développe en parallèle au processus
d'intégration régionale, une intégration économique
comme l'a illustré depuis le traité de Rome le scénario
européen50(*). En
Afrique de l'ouest, la CEDEAO et l'UEMOA sont deux organisations à
vocation économique qui oeuvrent chacune selon ses objectifs à la
réalisation de cette intégration économique. Cependant,
l'analyse des textes fondateurs de ces organisations laisse entrevoir plusieurs
similitudes de chantiers intégrateurs. Ces similitudes, loin
d'être une force pour l'intégration régionale de la
sous-région, entraînent au contraire une concurrence entre les
deux organisations. C'est pourquoi, une complémentarité entre la
CEDEAO et l'UEMOA doit être recherchée afin de réaliser la
pleine intégration économique de la sous-région
(A). A travers cette complémentarité, on
pourrait envisager à long terme une intégration unique
(B).
A. La complémentarité entre la CEDEAO
et l'UEMOA
La complémentarité entre ces deux organisations
peut être rendue possible grâce quasi-identité des objectifs
qu'elles poursuivent. En effet, selon l'article 4-C du traité de
l'Union, celle-ci poursuit la création entre les Etats membres d'un
marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des
biens, des services, des capitaux et le droit d'établissement des
personnes exerçant une activité indépendante ou
salariée, ainsi que sur un tarif extérieur commun et une
politique commerciale commune. Ces mêmes objectifs se retrouvent aussi
dans l'article 3 paragraphe 2 du traité révisé de la
CEDEAO qui énonce les objectifs de la communauté.
Mais c'est surtout le chapitre IX du traité
révisé qui permet de véritablement rendre compte de la
similitude des objectifs de la CEDEAO et ceux de l'UEMOA. L'analyse de ce
chapitre révèle que la CEDEAO tend à promouvoir la
coopération et l'intégration de l'Afrique de l'Ouest pour
établir une Union économique et monétaire51(*). Ainsi, pour la
réalisation de ces objectifs, la CEDEAO et l'UEMOA ont adopté des
instruments juridiques quasi-identiques52(*). La réalisation d'une telle Union
économique est la justification même de l'UEMOA : elle vient
compléter l'Union monétaire instaurée en 1973 à
travers l'UMOA. Dans cette configuration, il est évident de signaler que
l'identité des objectifs assignés aux deux organisations peut
constituer un véritable moyen de réaliser la
complémentarité entre la CEDEAO et l'UEMOA. En outre, la
configuration géographique des deux organisations est aussi favorable
à cette complémentarité.
Certes, l'espace de l'UEMOA et celui de la CEDEAO ne sont pas
les mêmes mais, l'espace de la CEDEAO englobe celui de l'UEMOA,
d'où l'importance d'une complémentarité afin
d'éviter les dédoublements dans la réalisation des projets
intégrateurs. En dépit de ce rapprochement entre la CEDEAO et
l'UEMOA, ces deux organisations se caractérisent en
réalité par un manque total de synergie.
Or, à l'heure où le problème de la
« rationalisation » des organisations internationales
africaines est d'actualité, il importe d'oeuvrer pour cette
complémentarité qui pourra ainsi faciliter la fusion de ces deux
organisations en une organisation d'intégration unique.
B. Vers une organisation d'intégration
unique
Cette perspective constitue l'objectif principal de la
rationalisation du cadre d'intégration. Ce projet de
« rationaliser » les efforts d'intégration en
Afrique Occidentale a été impulsé par la Commission
Economique pour l'Afrique (CEA) et vise la fusion des institutions poursuivant
un même but et, à terme, l'instauration d'une organisation
internationale unique pour réaliser l'intégration de la
sous-région. Dans ce cadre, l'unification de la CEDEAO et de l'UEMOA
devrait se faire sans difficulté car ce sont toutes deux des
organisations économiques.
D'ailleurs, un argument juridique pourrait valablement servir
de cadre à ce projet. En effet, aux termes de l'article 2 du
traité révisé, la communauté «sera à
terme la seule communauté économique de la région aux fins
de l'intégration économique et de la réalisation des
objectifs de la Communauté Economique Africaine53(*)». Tel n'est pas le cas de
l'UEMOA qui prend le soin de proclamer sa fidélité «aux
objectifs de la Communauté Economique Africaine et de la
Communauté des Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest
(CEDEAO)»54(*).
Il serait alors envisageable de transformer l'UEMOA,
après l'aboutissement de ses objectifs, en une structure autonome de la
CEDEAO, chargée des questions économiques et financières
de la sous-région tandis que les institutions de l'UEMOA deviendront des
«institutions spécialisées» de la CEDEAO.
Par contre, celle-ci conserverait le domaine politique et
social de l'intégration et demeurera l'interlocuteur unique
auprès de l'UA et des autres organisations internationales.
Toutefois, la réalisation de cette perspective (la
fusion de la CEDEAO et de l'UEMOA) pourra se heurter à un principe du
Droit des organisations internationales : le principe de la
spécialité qui tend à restreindre, sinon, à
cantonner les activités de l'organisation dans un volet bien
déterminé. Mais cette difficulté juridique pourra
être contournée à travers l'élargissement de l'objet
de l'organisation internationale. Il est ici question d'incorporer au
traité constitutif de la CEDEAO les domaines pris en charge par les
autres organisations promues au rang «d'institutions
spécialisées».
CONCLUSION PARTIELLE
En définitive, il faut retenir que les
contre-performances encaissées par la CEDEAO s'expliquent par la somme
de plusieurs déficiences institutionnelles et de certains défis
politiques. Ces insuffisances pour la plus part résultent de la
dimension interétatique adoptée par le traité originel
(celui de 1975). Ainsi, cette vision interétatique s'est traduite dans
le fonctionnement de l'organisation par un faible degré
d'intégration au niveau des organes de la communauté
restés pendant longtemps inter-gouvernementaux. Mais le principal
défaut institutionnel de l'organisation demeure la question du transfert
de souveraineté. La prépondérance de
l'inter-gouvernementalisme au niveau des organes intégrés ne
permet pas à l'organisation de prendre en compte des nouveaux
défis politiques comme la dimension sécuritaire de
l'intégration.
Pour pallier à ces insuffisances, il importe
d'opérer un passage de la dimension interétatique à celle
supranationale afin de doter l'organisation d'organes autonomes (comme une
commission de la CEDEAO par exemple) afin de lui permettre d'atteindre ses
objectifs. Dans cette mesure, la CEDEAO cessera d'être seulement une
organisation d'intégration économique mais aura aussi des
visées politiques bien affirmées.
A un moment où l'urgence d'un regroupement des Etats
ne fait plus l'ombre d'un doute, les pays africains n'ont que le choix de
s'organiser sur ces bases régionales afin d'avoir une place dans
l'économie mondiale. L'intégration régionale
apparaît donc comme un levier de la croissance économique et du
développement durable dans un monde de plus en plus interconnecté
et soumis à une compétitivité économique,
politique et technique.
Les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont très tôt
saisi l'importance des regroupements régionaux. En témoignent,
les nombreuses initiatives d'intégration régionale qui ont vu le
jour sur le continent. Dans cette panoplie d'organisation d'intégration,
la CEDEAO se présente, en effet, comme l'initiative la plus
réussie. La CEDEAO représente un modèle
d'intégration régionale en ce sens qu'elle est assurément
la plus dynamique et celle fédérant le plus d'Etat avec des
objectifs très ambitieux.
Mais trente cinq ans après la création de la
CEDEAO, un regard sur le processus d'intégration en Afrique de l'Ouest
doit permettre d'identifier les défis que l'organisation sous
régionale doit relever. Dans l'ordre de ces défis, la question du
transfert de souveraineté à l'organisation régionale
occupe une place importante. La vision interétatique du processus
d'intégration ne permet manifestement pas à l'organisation
régionale de prendre en compte les nouveaux défis politiques et
économiques qui se posent à elles. Il importe alors de doter
l'organisation de pouvoirs et d'organes supranationaux afin d'assurer
l'exécution des décisions et la convergence des politiques
communautaires. Au demeurant, cet idéal ne saurait se réaliser
sans un préalable aussi important que les réformes
institutionnelles : il s'agit de la stabilité politique et la paix
dans la sous-région.
La réunion de ces conditions permettra alors de
réaliser le plan de Lagos faisant de la CEDEAO la pierre angulaire de la
construction de la communauté économique africaine et à
long terme de l'unité africaine.
* 1 Rapport de l'OMC, le
régionalisme et le système commercial mondial, Genève,
Avril 1995.
* 2 A titre illustratif, nous
pouvons citer l'Accord de libre échange nord-américain (ALENA),
l'Association des Nations du Sud Est Asiatique (ANASE en français), le
Marché Commun du Sud (MERCOSUR), etc.
* 3 Article 3, traité
révisé de la CEDEAO.
* 4 Rapport, Atelier de
formation en vue du renforcement des capacités pour les pays de
l'Afrique de l'Ouest sur les stratégies et les plans d'actions nationaux
sur la biodiversité, Octobre 2008.
* 5 E. MBOKOLO, L'Afrique au
XXème Siècle. Le continent convoité, Seuil, 1985,
p.131.
* 6 Ceci peut se justifier par
le rôle actif qu'a joué la France dans la création des
organisations comme l'Union Africaine et Malgache (UAM), l'Organisation
Commune Malgache et Africaine (OCAM) et la Communauté des Etats de
l'Afrique de l'Ouest (CEAO). Cf. Alioune SALL, Les mutations de
l'intégration des Etats en Afrique de l'Ouest, L'Harmattan, Paris, 2007,
p.17.
* 7 ROCHE J.M, Théorie
des organisations internationales
* 8 N. BOUREMANE in R. LAVERGNE,
Intégration et Coopération régionales en Afrique de
l'Ouest, Ed Khartala et CRDI, 1996, p 40.
* 9 En ce qui concerne la
CEDEAO, il s'agit du Traité du 28 Mai 1975.
* 10 A titre illustratif, nous
pouvons citer le Conseil de l'entente ou encore l'Union du fleuve Mano qui sont
aussi des organisations coopératives en activité en Afrique de
l'Ouest.
* 11 Les Etats ont
commencé à manipuler de manière autonome leurs tarifs
douaniers et leurs législations fiscales. La conséquence en a
été qu'en 1969, le commerce entre les Etats de l'UDEAO,
évalué à 22 milliards de francs CFA ne représente
qu'à peine 10% du commerce extérieur de ces Etats
estimé à 233,6 milliards. CF. SANA Abdoul AZIZ, les entraves au
développement du commerce entre les Etats de la CEDEAO, Mémoire
de fin d'étude pour l'obtention de diplôme d'administrateur des
services financiers, Ecole Nationale des Régies Financières, Mars
2008.
* 12 V. Annexe 1 : Carte
de la CEDEAO
* 13
Géographiquement, la Mauritanie se situe à la fois à
l'Ouest et au Nord de l'Afrique. Culturellement, cette nation
arabo-berbère est partagée entre les nations du Maghreb que
celles de l'Afrique noire. Membre de la CEDEAO et de l'Union du Maghreb Arabe
(UMA), la Mauritanie a finalement décidé de se retirer de
l'organisation Ouest-africaine. V. Alioune SALL, Les mutations de
l'intégration régionale des Etats de l'Afrique de l'Afrique de
l'Ouest, L'Harmattan, 2007, p.45-46
* 14 Rapport, Atelier
régional de renforcement des capacités pour les pays de l'Afrique
de l'Ouest sur les stratégies et les plans d'action nationaux sur la
biodiversité, 2008.
* 15 Sénégal,
Ghana, Nigéria et Côte d'Ivoire.
* 16 Paul DECRAENE cité
par Alioune SALL, op. Cit... p.33
* 17 Article 2, Traité
de Lagos de 1975.
* 18 L'alinéa 3 du
Préambule du Traité de Lagos de 1975 déclare que les chefs
d'Etats et de gouvernement reconnaissent que « l'intégration
progressive des économies des pays de la sous-région exige une
analyse objective et la prise en considération du potentiel
économique et des intérêts de chaque Etat. »
* 19 Article 3, Traité
révisé.
* 20 Article 4, Traité
révisé. A ce sujet, il faut préciser que la dimension
sécuritaire relevée par l'alinéa 4 de cet article, ne
figure pas dans le Traité de 1975.
* 21 Luaba Lumu NTUMBA in Real
LAVERGNE, Intégration et Coopération en Afrique de l'Ouest, Ed
Khartala et CRDI, 1994, p.225.
* 22 Voir ADEWOYE in
Constitutionnalisme et Intégration économique, cité par
Real LAVERGNE.
* 23 Article 10, alinéa
2 du Traité Révisé.
* 24 Article 12, Al 1.
* 25 Rapport du Conseil des
Ministres adoptés le 23 Mars 2006, Abuja, Nigéria.
* 26 Article 6 du Protocole
relatif au parlement de la CEDEAO.
* 27 Le Togo, le
Libéria, le Cap Vert, la Guinée Conakry, la Guinée Bissau,
le Bénin, la Gambie et la Sierra Leone ont chacun 5
députés ; le Mali, le Niger et le Sénégal ont
chacun 6 députés ; la Cote d'Ivoire a droit à 7
députés ; le Ghana en a 8 et le Nigéria 35.
* 28 Holding :
Société financière dont l'activité consiste
à gérer des actions, des valeurs mobilières, qu'elle
possède dans d'autres sociétés qui sont placées
sous son contrôle.
* 29 Article 4,
Traité de 1975 ; Article 22, Traité révisé de
1993.
* 30 Voir Partie 1, Chapitre
1, Section 2, Paragraphe 2
* 31 Le Traité
révisé innove aussi sur ce point car en ce qui concerne le
pouvoir normatif de l'organisation, le Traité de 1975 prévoyait
qu'elle pouvait prendre des « décisions » et des
« directives ».
* 32 Rapport du centre africain
pour les politiques commerciales, Décembre 2005.
* 33 Il faudrait signaler que
la création de la cour de justice a été prévue dans
le traité révisé mais la cour n'a existé
réellement qu'à partir de 2001.
* 34 LECOURT, L'Europe des
juges, cité par Luaba Lumu NTUMBA in Ressemblances et dissemblances
institutionnelles entre la CEDEAO, la CEAC et la ZEP.
* 35 L'alinéa premier de
l'article 7 du traité révisé parle
d' « institution suprême de la
communauté »
* 36 Idem
* 37 Article 10, al 3, (a),
(c), (d), (i) du traité révisé.
* 38 Gonidec cité par
Luaba Lumu NTUMBA in Ressemblances et dissemblances institutionnelles entre la
CEDEAO, la CEEAC et la ZEP.
* 39 Quoc Dinh cité par
Lumu Luaba NTUMBA in Ressemblances et dissemblances
* 40 C.F Article 2 du
traité révisé
* 41 C'est la
décision A/DEC/1/8/90 du SMC de la CEDEAO, signé le 7 août
1990 à Banjul qui a formalisé la décision.
* 42 Article 2, al 2,
Traité révisé
* 43 Il s'agit du Cap Vert, de
la Guinée Bissau et du Mali
* 44 Article 2 du protocole
d'assistance mutuelle de 1978.
* 45 Article 4 du Traité
révisé
* 46 Fernanda FARIA, la gestion
des crises en Afrique Subsaharienne : le rôle de l'Union
Européenne, Occasional Paper, n°55, Novembre 2004.
* 47 L'Union Africaine et
l'UEMOA notamment.
* 48 Rapport de la
cinquante-quatrième session ordinaire des ministres, ECW/CMLIV12,
Secrétariat exécutif, Abuja, juin 2005, pp.10 et 11.
* 49 Article 77 du
traité révisé
* 50 Les effets combinés
de l'union douanière et les élargissements successifs ont
porté la part des échanges intra-communautaires de 36% en 1957
à plus de 60% aujourd'hui. C.F Franck PETITEVILLE in « les
processus d'intégration régionale, vecteurs de recomposition du
système international ? », Etudes internationales, vol.
28, n°3, 1997, p. 511-533.
* 51 Article 55, al 1 du
traité révisé.
* 52 Voir Annexe 2.
* 53 La création de
cette communauté a été décidée par le
traité d'Abuja de 1991 qui procède explicitement du Plan de Lagos
de 1980 qui fait de la CEDEAO le cadre pertinent d'intégration de
l'Afrique de l'Ouest.
* 54 Préambule du
traité de l'UEMOA.
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