INTRODUCTION
La voie de fait est une théorie qui est susceptible
d'une double acception selon qu'elle soit civile et selon qu'elle soit
administrative. Ces deux théories sont plus ou moins proches d'un point
de vue sémantique mais très différentes d'un point de vue
juridique. Avant d'aborder notre sujet qui porte sur la voie de fait
administrative, il apparaît judicieux de faire un éclaircissement
sur les deux théories. En en effet, en droit civil, la voie de fait est
un comportement qui consiste, pour une personne, à porter ouvertement
atteinte à des droits personnels d'autrui ou à
méconnaître à l'évidence une disposition
législative ou une réglementation et qui nécessite de ce
fait le recours à la procédure de référés
pour faire cesser ce comportement illicite ; en ce sens la voie de fait
peut représenter une forme de crime et de violence ou une agression. En
droit administratif, la voie de fait c'est lorsqu'une autorité publique
ou une collectivité publique accomplit un acte matériel qui
représente une irrégularité évidente soit parce
qu'elle exécute une décision qui ne se rattache pas à un
pouvoir qui lui est attribué, soit parce qu'elle exécute selon
une procédure grossièrement illégale une décision,
même si celle-ci est légale, et à condition que cet
agissement porte atteinte au droit de la propriété
immobilière ou mobilière ou à une liberté publique
d'une personne, et dont le juge de référés doit
également être saisi d'urgence pour y mettre fin. Un acte
qualifié de voie de fait suppose que cet acte est
caractérisé par la violence, la brutalité. La
différence entre ces deux théories est que la voie de fait civile
est régie uniquement par les règles de droit privé, tandis
que la voie de fait administrative peut combiner à la fois les
règles de droit privé et celles de droit public et la
portée de la voie de fait administrative est plus grande dans la mesure
où l'acte qui est en cause résulte de l'agissement de la
personne, l'administration, qui est normalement censée protéger
les citoyens.
Cependant, il arrive que la notion de voie de fait
administrative présente, le plus souvent, des similitudes très
particulières avec certaines notions du contentieux administratif,
à tel point qu'on arrive difficilement à les distinguer.
D'ailleurs, en général, c'est le juge qui détermine si tel
acte de l'administration constitue telle ou telle notion. Il s'agit de
l'emprise, le sursis à exécution, le
référé-suspension, le
référé-liberté, la faute lourde, l'inexistence de
l'acte administratif1(*).
D'un point de vue historique, la voie de fait administrative
est une théorie purement jurisprudentielle qui a été
imaginée par le Conseil d'Etat en France dans le courant du
19e siècle2(*). Elle est née dans un contexte de
défense des droits essentiels des individus face aux abus de
l'administration. En effet, avant la création des tribunaux
administratifs en France, il y avait une séparation des autorités
judiciaires et administratives. Et selon ce principe, il était interdit
au juge judiciaire de connaître des actes de l'administration, par
conséquent c'est l'administration qui était son propre juge,
même après la création du Conseil d'Etat en 1804. Mais
cette justice administrative paraissait douteuse car elle ne pouvait pas
assurer une meilleure protection des administrés, surtout lorsque
l'administration porte gravement atteinte à une liberté ou
à un droit. C'est ainsi qu'on a imaginé un procédé
pour pallier cette justice invraisemblable. De ce fait, lorsque
l'administration commet une illégalité grossière qui
menace gravement la liberté ou la propriété d'un individu,
elle perd alors le bénéfice de la protection que lui assure la
règle du juge administratif. Elle se trouve alors dans une situation de
voie de fait, car elle agit en dehors du cadre de la loi et par
conséquent, l'acte perd son caractère administratif, on dit qu'il
est dénaturé3(*), le juge ordinaire retrouve sa compétence et il
peut traiter l'administration comme une personne de droit privé et enfin
il est compétent pour condamner l'administration à réparer
les conséquences de son acte.
Pour le Maroc, la voie de fait est un héritage de
l'administration française. D'abord sous le protectorat, du fait de la
formation et de l'origine des magistrats de l'époque et ensuite au
lendemain du recouvrement de l'indépendance, du fait que la
législation et la jurisprudence soient profondément
imprégnées du droit français. Et même après
la création de la Cour suprême en 19574(*), celle-ci a consacré dans
l'un de ses premières décisions, en l'occurrence l'arrêt
Consorts Félix, la continuité de la notion de la voie de
fait dans le contentieux administratif marocain tout en suivant l'orientation
française en la matière.
La théorie de la voie de fait administrative occupe une
place importante en droit en général, et dans le contentieux
administratif en particulier. Cette importance peut en effet s'expliquer
à plusieurs niveaux. D'abord, la voie de fait est l'une des notions les
plus complexes ayant fait couler beaucoup d'encres dans le contentieux
administratif. Ensuite, le constat de la voie de fait dans un agissement de
l'administration permet de définir le plus souvent les limites du
pouvoir de l'administration ou du droit administratif qui est
considéré comme exorbitant du droit commun ; elle contribue
ainsi à l'élaboration de ce droit qui, à la base, est un
droit essentiellement jurisprudentiel. Aussi, la voie de fait constitue l'une
des exceptions au caractère non suspensif des recours en annulation
susceptibles d'être dirigés contre les actes administratifs.
Enfin, l'intérêt suscité par la voie de fait résulte
du fait qu'elle pose le problème de son identification, et de la
détermination de l'ordre juridictionnel (juridiction ordinaire ou
juridiction administrative) compétent pour la constater, la faire cesser
et réparer les dommages qui peuvent résulter de ses
conséquences, c'est justement cet aspect qui constitue
l'épicentre de notre travail.
Ainsi dans le cadre de ce travail, nous essaierons de faire
une étude comparative de la pratique de la voie de fait en France et au
Maroc, en fondant essentiellement notre analyse sur les frontières de
compétence entre le juge administratif et le juge judiciaire ou
ordinaire pour statuer sur une demande de voie de fait. Car, comme nous le
verrons, si en France il y a compétence parallèle entre les
ordres juridictionnels, au Maroc c'est le juge administratif qui demeure
compétent selon l'orientation de la jurisprudence. Evidemment cela
paraît paradoxal d'autant plus que la législation marocaine est
fondamentalement héritière de la législation
française. Comment pouvons-nous comprendre cela ?
Quels sont les critères d'identification de la voie de
fait, et une fois identifiée en quoi se pose le problème de la
compétence juridictionnelle ?
Telles sont les interrogations auxquelles nous nous
évertuerons à apporter des éléments de
réponse en adoptant le plan suivant qui nous permettra d'aborder
certains aspects de ce sujet compte tenu de sa complexité :
Chapitre premier : La notion de la voie de fait
administrative ;
Chapitre II : La compétence juridictionnelle en
matière de la voie de fait administrative.
Chapitre premier : LA NOTION DE LA VOIE DE FAIT
La notion de la voie de fait est l'une des notions les plus
indéfinies et les plus complexes du contentieux administratif. La
théorie de la voie de fait qualifie un comportement où
l'administration agit complètement en dehors du droit. Elle
reflète la volonté de ses utilisateurs pour montrer que lorsque
l'administration agit en usant des moyens extra-juridiques, elle se trouve dans
la même situation qu'une personne qui se donne à des actes de
violence.
En effet la voie de fait se définie comme une situation
dans laquelle se trouve l'administration, lorsque dans l'accomplissement d'une
activité matérielle d'exécution, elle commet une
irrégularité grossière portant atteinte au droit de
propriété ou à une liberté publique, et que le juge
de référés doit intervenir pour faire cesser dans
l'urgence afin de sauvegarder ce droit ou cette liberté publique.
Cependant, la voie de fait n'est pas la seule théorie dont la mise en
oeuvre nécessite l'urgence pour la sauvegarde d'un droit ou d'une
liberté. Cette définition nous fait comprendre alors, que la
théorie de la voie fait présente des traits
caractéristiques communs avec certaines notions du contentieux
administratif, qui nécessitent l'intervention du juge, en cas de
violation de droit ou de liberté publique d'un particulier, pour les
faire cesser face à une urgence. Ainsi dans le cadre de ce premier
chapitre, nous étudierons d'abord les éléments
constitutifs de la notions de voie de fait, ensuite la différence qui
existe entre cette notion et d'autres notions similaires.
Section I : LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE LA VOIE
DE FAIT
A travers la définition de la voie de fait, nous
constatons que la voie de fait comprend trois éléments distincts,
qui sont : exécution matérielle d'une activité,
l'irrégularité grossière de l'opération
administrative et l'atteinte au droit de propriété ou à
une liberté publique. Aussi bien en France qu'au Maroc, la plupart des
auteurs s'accordent sur ces trois éléments constitutifs de la
voie de fait. Nous pouvons dire que ces éléments constituent les
critères d'identification de la voie de fait.
A- L'EXECUTION D'UNE OPERATION
MATERIELLE
Pour qu'il y ait voie de fait, il faut que l'administration
procède à une exécution matérielle pour modifier
l'ordonnancement juridique. De ce fait, une décision administrative qui
n'est pas suivie d'une exécution ne peut être constitutive d'une
voie de fait. La jurisprudence admet toutefois qu'une menace5(*) précise
d'exécution peut constituer une voie de fait, même si elle n'est
pas suivie d'exécution. Ainsi le juge peut intervenir pour
prévenir cette menace et non de la faire cesser6(*).
La voie de fait peut résulter de
l'irrégularité soit de la décision elle-même soit de
l'irrégularité de l'exécution de la décision.
L'arrêt Action française fournit un exemple remarquable
de cette catégorie. En effet, dans cette affaire, la saisie du journal
Action française opérée par le Préfet de
police de Paris, chez tous les dépositaires de ce périodique
à Paris, a été considérée comme une voie de
fait à la fois parce que la décision de saisie était
elle-même, par son caractère exagéré, insusceptible
de se rattacher au pouvoir de police de l'administration, et parce que la
saisie par voie d'action d'office n'était pas, en l'espèce,
justifiée par l'urgence7(*).
B- L'IRREGULARITE GROSSIERE DE L'OPERATION
ADMINISTRATIVE
C'est cet aspect qui établit la distinction entre la
voie de fait et un simple préjudice donnant lieu à une
réparation. En effet, c'est lorsque l'administration exécute une
décision « grossièrement » illégale ou
lorsqu'elle exécute selon une procédure grossièrement
illégale, une décision, même si cette décision est
légale.
1- L'irrégularité de l'acte juridique
exécuté
Ici l'irrégularité se trouve dans le contenu de
la décision elle-même, en dehors des conditions de son
exécution : irrégularité par manque de droit,
exécution d'une décision annulée par une juridiction. Mais
toute irrégularité d'une décision administrative
exécutive n'est pas constitutive de voie de fait : il faut qu'il
ait une irrégularité particulièrement grave, il faut que
l'acte soit réellement dénaturé. C'est-à-dire que
l'acte représente une irrégularité manifeste parce que
l'administration exécute une décision ne relevant pas de ses
attributions législatives ou réglementaires. En effet, selon le
Conseil d'Etat, dans l'arrêt Carlier, peut être
qualifiée de voie de fait « une mesure manifestement
insusceptible d'être rattachée à l'exercice d'un pouvoir
appartenant à l'administration »8(*) : exécution d'une
décision annulée par une juridiction, saisie de plaque
photographique sur un particulier photographiant une cathédrale.
Cet aspect de la voie de fait illustre une
méconnaissance flagrante de la loi, ce qui fait que la voie de fait se
trouve parfois en concurrence avec la notion de l'acte inexistant. Mais en
France ces deux notions apparaissent différentes, car il y aura voie de
fait lorsqu'un acte sort entièrement des attributions de
l'autorité administrative, un acte ne constituant pas un pouvoir qui lui
est attribué, un acte où l'atteinte aux libertés est
particulièrement manifeste9(*). Par ailleurs, le Conseil d'Etat aussi a rejeté
l'assimilation de la voie de fait et de l'inexistence, en considérant
certains actes constitutifs d'une voie de fait comme illégaux et non
comme inexistants10(*). A
ce niveau, il faut signaler que la doctrine marocaine ne fait pas la
différence entre la voie de fait et la notion de nullité ou de
l'inexistence des décisions administratives par le fait d'une
méconnaissance particulièrement flagrante de la loi11(*), celles-ci étant
néanmoins reconnues comme actes administratifs susceptibles de recours
devant le juge de l'excès de pouvoir en vue de déclarer cette
nullité. L'orientation marocaine peut s'expliquée par une
jurisprudence du Tribunal des Conflits qui lie les deux notions quand il
considère que les décisions administratives qui présentent
les aspects de la voie de fait, c'est-à-dire qui porte atteinte au droit
ou à une liberté et qui sont manifestement insusceptibles de se
rattacher à un pouvoir d'attribution de l'administration,
« doivent être considérées comme nulles et
non avenues », ce qui revient à les tenir pour
inexistantes12(*).
2- L'irrégularité de la procédure
d'exécution
C'est lorsque l'administration omet de faire les
formalités substantielles et qu'elle procède à
l'exécution d'une décision sans avoir fait prendre une
décision juridique, notamment en matière d'expropriation pour
cause d'utilité publique. Il s'agit de l'irrégularité
affectant la condition d'exécution d'une décision administrative.
Le cas le plus fréquent est celui du recours à l'exécution
forcée alors que les conditions de l'exécution forcée ne
sont pas réunies. Par exemple, lorsque l'administration recours à
l'exécution forcée malgré l'existence de sanctions
pénales13(*),
l'exhumation de corps enterrés dans un cimetière qui viole le
respect dû aux morts14(*).
De même, il ne peut y avoir voie de fait que lorsqu'il
s'agit d'une irrégularité manifeste et grossière. Par
ailleurs, en cas de circonstances exceptionnelles, une mesure constitutive de
voie de fait en période normale peut perdre son
caractère15(*)
irrégulier. La notion de circonstances exceptionnelles recouvre des
hypothèses diverses : guerre, période politique
troublée, grève générale...
C- ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIETE OU A UNE LIBERTE
PUBLIQUE
Une atteinte au droit ou à une liberté c'est
lorsque l'administration dans la modification de l'ordonnancement juridique
empiète grossièrement sur le droit de propriété ou
sur la liberté publique d'un particulier. Le droit de
propriété est un droit conférant toutes les
prérogatives que l'on peut avoir sur un bien, soit d'user du bien, soit
d'en apercevoir les fruits, soit d'en disposer, qu'il s'agisse d'un bien
mobilier ou d'un bien immobilier. Les libertés publiques quant à
elles, sont les droits de l'Homme reconnus, définis et
protégés juridiquement. On peut les classer en trois
catégories : droits individuels constitués par la
liberté d'aller et venir, la liberté et inviolabilité de
domicile, la liberté d'opinion, la liberté de
conscience,... ; droits politiques regroupant les libertés de la
presse, d'association, éligibilité aux fonctions
publiques,... ; et les droits sociaux et économiques qui regroupent
le droit à un travail, le droit à l'instruction, le droit
à la santé,...
Ainsi, l'administration ne doit pas intervenir pour limiter un
droit quelconque ou une des libertés quelconque d'un particulier. Seules
les dispositions législatives peuvent limiter ces domaines. C'est
d'ailleurs ce qui ressort de l'article 15 de la Constitution marocaine16(*) qui dispose que la limitation
des libertés et des droits de propriété ne peuvent avoir
lieu que par la loi. Par conséquent, la saisie injustifiée d'un
journal constitue une atteinte à la liberté de presse17(*), l'occupation par
l'administration de terrains agricoles appartenant à un citoyen pour la
construction d'un établissement scolaire18(*), violation du domicile avec scellés
apposés par l'administration19(*), constituent autant de mesures qui sont
qualifiées de voie de fait. Mais en revanche, la jurisprudence
française a montré que certaines mesures ne sont pas
constitutives de voie de fait : l'atteinte à une simple
activité professionnelle20(*), ou le retrait d'autorisation d'exploiter un
taxi21(*).
L'atteinte à une liberté ou à un droit ne
suffit pas pour la mise en oeuvre de la voie de fait, mais il faut que
l'atteinte soit particulièrement grave. En effet l'atteinte peut
être, bien sûr, dans l'aspect matériel de l'exécution
de la décision mais la gravité tient surtout au fait que l'auteur
de la décision a totalement ignoré les limites de son pouvoir et
s'est en quelque sorte conduit comme une force qui ne se contrôle plus au
regard des textes qui définissent ses compétences : ce n'est
plus l'administration qui agit, c'est, à la limite, une force qui s'est
échappée de l'Etat de droit.22(*)
Cependant, il convient de signaler que la voie de fait ne
constitue pas la seule manifestation du comportement extra-juridique de
l'administration ; d'autres théories juridiques reflètent ce
comportement irrégulier de l'administration et se confondent très
souvent avec la notion de la voie de fait dans le domaine du contentieux
administratif.
Section II : LA VOIE DE FAIT ET D'AUTRES
THEORIES SEMBLABLES
La voie de fait présente des similitudes très
remarquables avec certaines notions juridiques du contentieux administratif.
Certaines de ces notions, très récentes, sont à même
de réduire considérablement le recours à la voie de
fait23(*), plus
particulièrement en France. Il arrive que la voie de fait et certaines
de ces notions se confondent à tel point qu'on les associe, c'est le cas
notamment de l'acte inexistant dans le cas du Maroc.
Dans le cadre de cette section, notre étude se limitera
principalement à l'emprise, au
liberté-référé et au
référé-suspension ou le sursis à exécution
en raison des caractéristiques particulières qui les rapprochent
de la voie de fait d'une part, et d'autre part, du fait que dans la plupart des
ouvrages que nous avons consultés, les auteurs essaient d'établir
la distinction entre la voie de fait et ces mêmes notions.
A- L'EMPRISE
On évoque la théorie de l'emprise lorsque
l'administration prend possession d'une propriété privée
immobilière. En d'autres termes, c'est lorsque l'administration
dépossède un particulier d'un bien immobilier, légalement
ou illégalement, à titre temporaire ou définitif, à
son profit ou au profit d'un tiers ; ce qui signifie que l'emprise peut
être régulière comme elle peut être
irrégulière. Lorsque l'emprise est régulière, ce
sont les juridictions administratives qui sont compétentes. En revanche,
lorsqu'elle est irrégulière c'est la compétence judiciaire
qui s'impose, précisément le juge de l'expropriation, car on
considère que l'administration agit indépendamment de la loi, il
faut donc l'intervention du juge pour faire cesser cette attitude
irrégulière de l'administration, d'où un point de
concurrence avec la théorie de la voie de fait. Mais la
différence qui existe entre la voie de fait et l'emprise
irrégulière est que le champ d'application de l'emprise
irrégulière est limité à la propriété
immobilière, elle n'exige pas une irrégularité aussi grave
que la voie de fait ; la compétence du juge judiciaire se limite
à la fixation de l'indemnité due et le juge ne peut adresser des
injonctions à l'administration, ce qu'il n'hésite pas à
faire en cas de voie de fait. Ainsi constituent une emprise, entre autres,
l'occupation de terrain en dehors de toute procédure d'occupation
temporaire24(*),
exécution irrégulière de travaux déclarés
d'utilité publique dans le sous-sol de terrain appartenant à des
particuliers25(*).
Cependant, au Maroc la théorie de l'emprise n'existe
pas. Lorsque l'administration dans ses agissements porte atteinte à la
propriété immobilière même en cas de
réalisation d'un dommage, le litige qui en résulte est
jugé en matière administrative26(*). Cette pratique a été consacrée
par la Cour suprême dans l'arrêt Consort Félix en
1958 et demeure jusqu'à présent inchangée :
« Attendu que l'organisation judiciaire du Royaume du Maroc
comporte un ordre unique de juridictions compétent à la fois en
matière civile et en matière administrative ; que l'article
8, premier alinéa du dahir du 12 août 1913, comprend au nombre des
instances relevant de cette matière celles qui tendent à faire
déclarer débitrices les administrations publiques notamment tous
les actes de leur part ayant porté préjudice à
autrui ; que ces dispositions ne comportent aucune exception ni
réserve et que dès lors toute action en responsabilité
dirigée contre l'Etat, y compris celle qui serait fondée sur une
emprise, ressortit au contentieux administratif... »27(*).
B- LE REFERE-SUSPENSION OU LE SURSIS A
EXECUTION
Le référé-suspension est une des
nouvelles créations de la législation française en
matière de contentieux administratif. Il est consacré par
l'article L. 521-1 du Code de justice administrative institué par la loi
du 30 juin 2000. Cette théorie se substitue à la théorie
du sursis à exécution dont il modifie les conditions, les
procédures et les effets, et elle obéit à des conditions
de mise en oeuvre beaucoup plus souples que le sursis à
exécution, c'est-à-dire que la loi a rendu sa mise en oeuvre plus
simplifiée pour le requérant. La notion du
référé-suspension n'est pas encore utilisée dans la
législation marocaine ; en revanche, la notion du sursis à
exécution qui est d'usage est octroyée mais seulement à
titre exceptionnel28(*) ce
qui fait qu'il ne représente qu'un pourcentage très minime dans
les recours dirigés contre les actes administratifs.
Le référé-suspension est une
procédure permettant au juge de référés
administratif, en cas d'urgence, quand une décision administrative fait
l'objet d'un recours en annulation ou en reformation, d'en suspendre
l'exécution quand il est invoqué contre elle un moyen propre
à créer un doute sérieux quant à sa
légalité. C'est une procédure qui permet au juge
administratif de référés d'ordonner à
l'administration de ne pas exécuter provisoirement sa décision,
une fois que le recours est formé contre la décision de
l'administration dont la légalité est compromise ou
sérieusement douteuse29(*). C'est donc seulement les décisions de rejet
qui peuvent faire l'objet de suspension dans la procédure du
référé-suspension et également dans la
procédure du sursis à exécution30(*). On déduit par
là que cette procédure constitue une exception au
caractère non suspensif des recours en annulation dirigés contre
les décisions administratives. Ainsi dès lors que la juridiction
se prononce favorablement sur la demande de suspension de la décision de
l'administration, celle-ci ne peut plus mettre en oeuvre sa décision et
elle doit attendre que le tribunal ait statué sur le fond. Si le recours
est admis l'interdiction deviendra définitive, si au contraire le
recours est rejeté l'administration retrouvera sa liberté
d'action et pourra mettre en oeuvre sa décision. L'intérêt
de la procédure n'est évident que pour des actes administratifs
donnant un ordre quelconque au particulier ou accordant une prérogative
à un tiers.
Dans la mise oeuvre de la procédure du sursis à
exécution ou du référé-suspension, le
requérant est tenu au préalable d'introduire un recours en
annulation pour excès de pouvoir. Ensuite il peut demander la suspension
de la décision de l'administration dans une seconde requête, s'il
estime que l'urgence justifie cette suspension. En effet, on dit qu'il y a
urgence lorsque l'exécution de la décision administrative peut
causer, au particulier, des préjudices difficilement réparables.
En revanche, dans la mise en oeuvre de la voie de fait, le requérant
n'est pas tenu dans tous les cas d'introduire une requête en annulation
pour excès de pouvoir. Il introduit simplement une requête
demandant la cessation de la voie de fait résultant de la
décision administrative en cause. Par ailleurs, dans la voie de fait
l'acte administratif est insusceptible de se rattacher à un pouvoir
appartenant à l'administration, alors que dans la procédure du
sursis à exécution ou du référé-suspension,
la requête est dirigée contre de véritables
décisions administratives.
C- LE LIBERTE-REFERE
Consacré par l'article L. 521-2 du Code de justice
administrative, le liberté-référé est tout comme le
référé-suspension, une nouvelle création de la
législation française et présente des
caractéristiques communes avec la théorie de la voie de fait. Il
est à signaler que la théorie du
référé-liberté n'a pas encore fait son
entrée dans la législation marocaine et ni la jurisprudence ni la
doctrine n'en font mention. Le référé-liberté se
définit comme une procédure permettant au juge de
référés administratifs, en cas d'urgence, d'ordonner des
mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté
fondamentale31(*) à
laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit
privé chargé de la gestion d'un service public aurait
porté une atteinte grave et manifestement illégale dans
l'exercice de l'un de ses pouvoirs et que le juge doit intervenir dans un
délai de quarante-huit heures pour faire cesser. Cependant, l'atteinte
à une liberté fondamentale peut résulter soit d'un
comportement ou d'une décision juridique32(*), c'est-à-dire que l'atteinte peut
résulter d'exécution de la décision administrative ou de
la décision elle-même, comme c'est le cas dans la voie de fait.
La différence que nous pouvons établir entre
cette théorie et la théorie de la voie de fait, c'est que
d'abord, le référé-liberté est mise en oeuvre
lorsqu'il y a uniquement une atteinte grave et manifestement illégale
à une liberté fondamentale, tandis que la voie de fait peut
être mise en oeuvre quand il y a une atteinte à un droit mobilier
ou immobilier. Ensuite, dans la procédure du
référé-liberté, nous sommes en présence d'un
acte grossièrement illégal mais qui est susceptible de se
rattacher à un pouvoir de l'administration, alors que la voie de fait
n'existe en principe que lorsque l'acte est évidemment insusceptible de
se rattacher à un pouvoir relevant des attributions de l'administration.
Par ailleurs, dans la procédure du
référé-liberté l'urgence doit être plus
marquée que dans la voie de fait, cela se traduit par le fait que
l'intervention du juge de référés s'effectue dans les 48
heures qui suivent l'introduction de la demande du requérant
auprès du tribunal compétent. Enfin, un dernier aspect, c'est
celui de la compétence judiciaire. En effet, dans la procédure du
référé-liberté c'est la compétence du juge
administratif qui est exclusivement reconnue par la loi, alors que dans la voie
de fait, cette compétence est encline à des controverses.
Pour finir, nous constatons évidemment que ces trois
théories, qui ne sont pas d'ailleurs les seules, présentent des
traits de ressemblances avec la théorie de la voie de fait sur le plan
pratique. Car même si la loi et même la jurisprudence ont
établit une distinction évidente entre la théorie de la
voie de fait et ces autres théories, il n'en demeure pas moins qu'il
aura « nécessairement des conflits de
compétence »33(*). Mais il faut reconnaître que la voie de fait
peut porter sur plus de matières que ces autres théories. En
effet, la voie de fait est mise en oeuvre lorsqu'il y a une atteinte à
un droit de propriété privée ou à une
liberté fondamentale. En revanche les autres théories n'existent
que lorsqu'il ya exclusivement l'une ou l'autre atteinte mais pas les deux
comme dans la voie de fait. Par ailleurs la voie de fait est une théorie
jurisprudentielle comme nous l'avons fait comprendre dans l'introduction,
tandis que ces théories ont une base législative et par
conséquent les compétences juridictionnelles sont
déterminées d'office, en l'occurrence ce sont les juridictions
administratives qui sont exclusivement compétentes. Alors qu'en
matière de voie de fait on constate toujours, malgré
l'évolution de la pratique juridique, des amalgames de compétence
entre juridictions administrative et judiciaire. C'est que nous verrons dans la
deuxième partie de notre travail.
Chapitre II : LA COMPETENCE JURIDICTIONNELLE
EN MATIERE DE VOIE DE FAIT
D'abord, on entend par compétence juridictionnelle,
l'aptitude pour une quelconque juridiction à instruire et à juger
un procès. Elle est à la fois territoriale, matérielle et
d'attribution pour une juridiction. La compétence d'une juridiction est
le plus souvent définie et limitée par la loi et si tel n'est pas
le cas, il arrive fréquemment qu'un requérant soit
confronté à des difficultés pour la détermination
de la juridiction compétente pour statuer sur sa demande en instance.
C'est justement ce problème que soulève la voie de fait entre les
juridictions administratives et les juridictions ordinaires ou judiciaires. En
effet, depuis sa consécration par la jurisprudence française, la
voie de fait a fait l'objet d'un grand débat auquel il n'y a
jusqu'à présent pas une solution définitive. Ce
débat s'articule surtout autour de la détermination de la
compétence juridictionnelle pour statuer sur une demande mettant en
cause la voie de fait. Il s'agit de savoir si ce sont les juridictions
administratives qui sont exclusivement compétentes ou si ce sont les
juridictions judiciaires qui ont la compétence de connaître de la
voie de fait. Si en France, l'expérience et la pratique juridiques ont
exclusivement réservé cette compétence aux tribunaux de
droit commun compte tenu du caractère dénaturé de l'acte
administratif qualifié de voie de fait, il est tout de même
très courant dans la jurisprudence de voir que les tribunaux
administratifs interviennent aussi dans la constatation, la cessation et
même dans l'indemnisation comme nous le verrons plus bas.
En revanche au Maroc, la situation est
différente ; d'abord la jurisprudence a toujours suivi
l'orientation française, c'est-à-dire la compétence du
juge ordinaire, en vertu de l'héritage du protectorat. Cette orientation
fut suivie même après l'indépendance et la création
da la Cour suprême en septembre 1957. En effet celle-ci confirme sa
position dans l'arrêt Consorts Félix, en affirmant la
compétence judiciaire ; et cette jurisprudence a été
suivie par l'ensemble des juridictions du Royaume jusqu'à la
création des tribunaux administratifs en 1993. En effet, dans l'une des
premières décisions rendues par ces nouvelles juridictions, le
Tribunal administratif de Casablanca adopte une orientation opposée
à celle établie par la jurisprudence, affirmant ainsi la
compétence administrative en matière de la voie de fait. Mais
cette orientation du tribunal de Casablanca n'a pas été suivie
par les autres juridictions y compris la Cour suprême, qui, après
quelques hésitations s'est finalement rangée du côté
de la voie tracée par le juge administratif de Casablanca.
Cependant, si en France les juridictions judiciaires disposent
d'un pouvoir très large dans le contentieux de la voie de fait, au Maroc
tel n'est pas le cas. En France le conflit de compétence n'est plus
à l'ordre du jour mais c'est plutôt la qualification de l'acte qui
pose parfois problème34(*). Car si parfois une mesure peut être
qualifiée de voie de fait par une juridiction, il n'en demeure pas moins
qu'elle peut dans d'autres cas ne pas être qualifiée ainsi.
Section I : LE CAS DE LA FRANCE
Comme nous l'avons signalé ci-haut, depuis la
consécration de la voie de fait, le Conseil d'Etat a opté pour la
compétence exclusive du juge judiciaire dans la constatation, la
cessation et la réparation des dommages éventuels pouvant
résulter de la voie de fait, en raison de l'illégalité
particulièrement grave de celle-ci. Toutefois, la pratique a
montré que les juridictions administratives interviennent aussi pour
statuer sur une demande relative à la voie de fait.
A- LA COMPETENCE DU JUGE JUDICIAIRE OU
ORDINAIRE
Il est lieu d'abord de connaître l'origine de la
compétence judiciaire avant d'analyser la compétence du juge de
droit commun pour statuer sur les demandes de voie de fait.
1- Le fondement de la compétence judiciaire
La compétence du juge de droit commun en matière
de voie de fait trouve son origine dans un procédé,
imaginé par les juristes français, qui permet d'assurer une
meilleure protection aux administrés lorsque leurs intérêts
essentiels se trouvent gravement en danger ou menacés par les
agissements de l'administration. En effet, le juge judiciaire est
considéré comme le gardien des droits et libertés dans le
souci d'une protection plus efficace des administrés, cela
résulte de l'article 66 de la Constitution française du 4 octobre
195835(*). La doctrine
aussi s'est inscrite dans cette même logique. Selon la doctrine, la
théorie de la voie de fait repose sur deux fondements : le principe
qui réserve au pouvoir judiciaire la protection contre les atteintes
à la propriété et à la liberté, principe qui
constitue l'infraction même de la voie de fait, et l'idée selon
laquelle des vices graves dénaturent l'opération administrative
incriminée et lui fait perdre son caractère administratif. A
propos de ce dernier fondement, on considère que l'acte administratif
qualifié de voie de fait est dénaturé à partir du
moment que l'administration agit en vertu d'un pouvoir qui est insusceptible de
lui appartenir. Ainsi cet acte perd le sceau d'un acte administratif
régulier, et par conséquent le tribunal administratif n'est plus
compétent pour connaître de cette espèce, c'est la
juridiction de droit commun qui est compétente. Car on considère
que l'autorité administrative ou la collectivité publique agit en
dehors de son régime juridique, en l'occurrence le droit public, et se
trouve dans la même situation qu'une personne privée qui se livre
à des actes de violence. Par conséquent, il n'y a aucune raison
de conserver à l'administration, en cas de voie de fait, son
privilège de juridiction qui ne joue que pour le contentieux lié
aux actes ou aux activités engendrés par l'exercice normal du
pouvoir administratif36(*).
2- La compétence des juridictions judiciaires
En matière de voie de fait, la jurisprudence
française a réservé la compétence aux juridictions
judiciaires, que la voie de fait résulte d'une décision ou
qu'elle résulte d'un agissement (ou d'une exécution
matérielle). Cette compétence s'étend à tous les
aspects de la voie de fait. Le juge dispose de ce fait plusieurs moyens pour
statuer sur demande de voie de fait. En effet, le juge judiciaire
procède à la constatation de la voie de fait, il lui appartient
de relever les irrégularités donnant naissance à la voie
de fait. A ce niveau, il dispose d'une compétence très
étendue, car il peut même apprécier la
légalité des décisions de l'administration, que celle-ci
soient réglementaires ou individuelles. Le juge peut également
intervenir pour faire cesser une mesure ou un agissement de l'administration
qui constitue une voie de fait.
Le juge peut aussi adresser des injonctions aux
autorités administratives ou aux collectivités publiques en vue
de la cessation d'une situation irrégulière. On appelle
injonction, un ordre adressé par une juridiction à
l'administration ou à une personne publique de faire quelque chose.
Cette mesure a longtemps été réservée uniquement
aux juridictions administratives, et interdites aux juridictions
ordinaires ; c'est tout récemment que les mesures d'injonction ont
été reconnues au juge ordinaire. Il s'agit là d'un pouvoir
considérable qui lui a été attribué en vertu duquel
il peut prononcer l'expulsion de l'administration d'un local37(*), condamner l'administration
à des astreintes et exiger l'interruption des travaux effectués
par l'administration.
Le juge dispose par ailleurs de la possibilité de
condamner l'administration à réparer les dommages causés
par une mesure constitutive de la voie de fait38(*), et la condamner à payer des dommages
intérêts, directs ou indirects, résultant de la voie de
fait. Enfin, le juge dispose même de la possibilité d'ordonner la
démolition d'un ouvrage public en cas d'existence de la voie de
fait39(*). Cette
dernière mesure constitue une grande évolution d'autant plus que
la Cour de cassation, dans l'un de ses arrêts, avait estimé que le
juge judiciaire ne pouvait pas ordonner la démolition d'un ouvrage
public terminé40(*).
Il apparaît toutefois que le fondement donné
à l'intervention du juge judiciaire est critiqué aujourd'hui
puisque le juge administratif semble aussi apte à garantir les
libertés publiques et le droit de propriété que le juge
judiciaire, sans compter le fait que le juge administratif est aujourd'hui bien
armé pour adresser des injonctions à l'administration et les
assortir éventuellement d'astreintes41(*).
B- LA COMPETENCE DU JUGE
ADMINISTRATIF
La compétence administrative pour statuer sur une
demande de voie de fait résulte de la jurisprudence du Conseil
d'Etat ; mais cette compétence administrative est toutefois
limitée.
1- Le fondement de la compétence
administrative
Dans le contentieux français de la voie de fait,
l'intervention des juridictions administratives est très rare, voire
même exclue au profit des juridictions judiciaires. Mais la jurisprudence
du Conseil d'Etat s'est assouplie en permettant aux juridictions
administratives d'intervenir dans la cessation de la voie de fait, lorsqu'elle
résulte du caractère gravement irrégulier de la
décision exécutée. Cette attitude du Conseil d'Etat vise
à pallier certains inconvénients qui résultent de la
compétence exclusive du juge judiciaire en matière de voie de
fait. En effet, lorsque le juge administratif est saisi d'un recours contre des
actions ayant le caractère de voies de fait, le renvoie
systématique à l'ordre judiciaire entraîne un retard
considérable dans le jugement des litiges. En d'autres termes, lorsque
le requérant saisit le juge administratif d'une simple
illégalité, celle-ci pourra être immédiatement
sanctionnée par le juge ; s'il le saisit d'un acte
dénaturé dont l'illégalité est manifestement plus
grave (la voie de fait), le particulier verra sa demande rejetée et
devra engager une longue procédure devant le juge judiciaire. Ce qui est
véritablement défavorable à l'administré dans le
processus de justice et de la protection de ses droits et libertés. Car
la voie de fait implique l'intervention du juge pour sanctionner urgemment un
comportement irrégulier de l'administration dont la continuité
peut entraîner la perte d'un droit. C'est là toute la philosophie
du fondement de la compétence du juge administratif dans la cessation de
la voie de fait : la protection des droits et libertés de
l'administré.
2- Les limites de la compétence
administrative
Saisi d'une demande de cessation de la voie de fait, lorsque
celle-ci résulte du caractère gravement irrégulier de la
décision exécutée, le juge administratif peut intervenir
pour déclarer la décision administrative « nulle et non
avenue », lorsque l'irrégularité sera
constatée42(*) et
même déclarer que tel agissement constitue une voie de
fait43(*). On peut donc
dire qu'il y a compétence parallèle du juge administratif et du
juge ordinaire.
Cependant, la juge administratif ne peut être saisi
directement d'une action en indemnité fondée sur la voie de fait.
Toutefois, dans un arrêt, le Conseil d'Etat s'est reconnu
compétent pour allouer une indemnité dans une affaire de saisie
de journaux qui avait bien les aspects de la voie de fait44(*). Mais il faut souligner dans
cette affaire que la solution de compétence était implicite et il
est possible que l'arrêt soit justifié par les circonstances
particulières dans lesquelles l'affaire se situait45(*). Il est lieu de comprendre
à ce niveau que l'attitude du Conseil d'Etat ne visait pas à
reconnaître la compétence administrative dans l'allocation
d'indemnité en réparation du préjudice causé par
cette saisie de journaux. D'ailleurs le Conseil d'Etat n'a pas effectivement
considéré cette saisie comme constitutive d'une voie de fait.
Mais la doctrine estime qu'elle constituait une voie de fait étant
donnée que toutes les conditions de la qualification de la voie de fait
étaient réunies.
Quoiqu'il en soit, ces difficultés montrent que la voie
de fait ne semble plus tout à fait adaptée. En effet, la
suspension de la théorie a parfois été
réclamée par les Commissaires du gouvernement et la
doctrine46(*). Mais
toutefois les juridictions ne semblent pas s'engager dans ce sens. Par
ailleurs, une partie de la doctrine et même certains membres du Conseil
d'Etat, tel que le Commissaire du gouvernement Ronny Abraham, souhaitent que la
voie de fait soit rapatriée dans l'ordre juridictionnel administratif
tant en ce qui concerne sa constatation et sa cessation qu'en matière de
la responsabilité et la réparation des préjudices qui en
résultent, dans le but de la simplification, de l'efficacité et
de la rapidité de la justice rendue au justiciable47(*). Enfin, les recours abusifs
par les requérants et par les juridictions judiciaires à la mise
en oeuvre de la voie de fait pour des raisons de rapidité et
d'efficacité, ont été l'une des raisons de la
création du référé-liberté au profit des
juridictions administratives par la loi du 30 juin 2000.
Section II : LE CAS DU MAROC
Au Maroc, la compétence juridictionnelle en
matière de voie de fait a fait l'objet de controverse. En effet, la
jurisprudence marocaine en matière de voie de fait permet de comprendre
que depuis que la Cour suprême a consacré l'existence de cette
notion en 1958, elle n'a pas délimité la compétence
juridictionnelle de façon claire et définitive,
c'est-à-dire de sortes que la voie de fait relève de l'ordre
juridictionnel administratif ou qu'elle relève de l'ordre juridictionnel
judiciaire. Mais cette attitude de la Haute juridiction peut s'avérer
compréhensive. En fait, la Maroc a suivi la pratique française en
la matière, c'est-à-dire la compétence du juge de droit
commun, en vertu d'une part de l'héritage du protectorat, et d'autre
part, en raison de son système d'organisation juridique à l'aube
de l'indépendance. A cette époque l'organisation judiciaire du
Royaume était fondée sur le système d'unité de
juridictions à la tête desquelles se trouvait la Cour
suprême instituée en 1957. Et évidemment le problème
de compétence ne se posait guère à cette époque,
étant donné que c'étaient les tribunaux de droit commun
qui étaient compétents pour connaître de toutes les
matières, qu'elles soient administratives ou qu'elles soient civiles. En
matière de voie de fait, c'étaient les Tribunaux de
première instance et les Cours d'appel qui statuaient sur les demandes
de voie de fait. Mais c'est à partir de la création des tribunaux
administratifs, qu'a commencé les conflits de compétence,
même la Cour suprême avait du mal à adopter une position
définitive, de peur de se lier à l'avenir. Il faudra attendre en
1996 pour que la Haute juridiction décide enfin de compte que les
tribunaux administratifs sont compétents pour la constatation, la
cessation de la voie de fait et même la réparation des
préjudices pouvant éventuellement en résulter.
A- LA CREATION DES TRIBUNAUX
ADMINISTRATIFS
La création des tribunaux administratifs résulte
du Dahir n°1-92-225 du 10 septembre 1993 portant promulgation de la loi
41-90 instituant les Tribunaux administratifs. L'institution des juridictions
administratives a été un acte salutaire de la part des
autorités marocaines. Cette réforme du système
juridictionnel du Royaume et du contentieux administratif résulte en
grande partie des insuffisances du système d'unité de
juridictions pratiqué au Maroc depuis 191348(*). L'un des objectifs essentiels
de cette reforme juridictionnelle était constitué par la
réalisation d'une justice plus rapide et surtout plus proche des
administrés. Cependant, la loi 41-90 ne va pas pour autant simplifier
les procédures juridiques mises en oeuvre dans le contentieux
administratif, notamment en ce qui est du chapitre de la résolution des
litiges pouvant résulter de la voie de fait. En effet, le
législateur s'est contenté de dire simplement que la majeur
partie des recours de plein contentieux (administratif) est
transférée des tribunaux ordinaires aux tribunaux administratifs
et qu'un juge de référés est institué au niveau des
tribunaux administratifs, qui dispose des mêmes pouvoirs que ceux dont
disposait le juge ordinaire de référés. Il apparaît
ainsi comme si le législateur entendait laisser le choix à la
jurisprudence de mettre fin à cette polémique de
compétence comme en France. Et c'est justement ce qui adviendra.
1- La percée du Tribunal administratif de
Casablanca49(*)
A l'aube de la création des tribunaux administratifs,
le premier acte posé par ces nouvelles juridictions, en l'occurrence le
Tribunal administratif de Casablanca, a été de reconnaître
leur compétence pour statuer sur les demandes de cessation de la voie de
fait. En effet, c'est dans l'affaire Kadalia Rachelle et Consorts, que
le juge de Casablanca a affirmé que le juge administratif est
compétent pour la cessation de la voie de fait. Dans ses motivations, le
juge a considéré que le rôle assigné aux tribunaux
administratifs est « de rendre justice aux administrés et
notamment la sauvegarde de la propriété privée contre les
actes de l'administration », en s'inspirant du discours royal
du 8 mais 1990. Ensuite, le juge s'est basé sur la 41-90 instituant les
juridictions administratives. D'abord, l'article 8 de la loi qui
« a transféré la majeur partie des recours de plein
contentieux, des tribunaux ordinaires aux tribunaux
administratifs ». Il évoque ensuite l'article 19 de
ladite loi qui a institué un juge de référés en la
personne du président du tribunal administratif, et dispose
« que le président du tribunal administratif (ou celui
qu'il désigne) en sa qualité de juge de
référés statue sur les requêtes provisoires et
conservatoires ». En interprétant ces dispositions le
juge de Casablanca a considéré que le juge administratif
« doit exercer les mêmes pouvoirs que ceux dont disposait
le juge ordinaire...étant donnée qu'aucun texte ne lui interdit
l'exercice de ces pouvoirs, y compris le pouvoir de statuer sur la demande de
faire cesser une voie de fait ». C'est ainsi que le juge de
Casablanca s'est écarté de la jurisprudence en vigueur qui
estimait que la voie de fait doit être du ressort du juge ordinaire.
Toutefois, il restait une question à laquelle le juge n'avait pas
apporté de réponse : il s'agissait de la réparation
du dommage éventuel qui peut résulter de l'acte incriminé,
et du droit applicable à la cause50(*).
Mais si cette position du Tribunal de Casablanca a
été qualifiée de couronnement par certains
auteurs51(*), elle n'a pas
été suivie par les autres juridictions administratives du
Royaume.
2- Le retour à la jurisprudence d'avant 1994
Malgré la percée tentée dès 1994
par le Tribunal administratif de Casablanca, la tendance générale
des juridictions administratives s'orientait vers une confirmation pure et
simple de la jurisprudence antérieure à l'institution de ces
juridictions52(*) et une
adoption quasi intégrale des positions de la jurisprudence
française : le dessaisissement de la juridiction administrative en
faveur de la compétence des tribunaux civils, et application par ceux-ci
des règles du droit privé. Ce fut notamment le cas des tribunaux
administratifs de Rabat dans l'arrêt Bendaoui du 23
février 1995 et d'Agadir dans celui de Beniaïch du 6
octobre 1995. Pour ces tirbunaux, la juridiction ordinaire c'est la
juridiction protectrice des libertés publiques et des
propriétés privées et la compétence
administrative est à écarter en application de l'orientation
française suivie au lendemain du protectorat par les tribunaux53(*).
On pourra bien se demander quel a été le
rôle joué par la Cour suprême pendant cette
période ?
En effet, pendant cette période on peut dans un premier
temps affirmer que la Haute juridiction avait implicitement soutenu la position
qui préconisait la compétence administrative, car elle n'a pas
opposé une opinion défavorable à la décision du
tribunal de Casablanca. Mais dans un second temps, la Cour suprême a
brisé le silence pour se ranger du côté des tribunaux de
Rabat et d'Agadir qui écartent la compétence administrative en
matière de voie de fait. L'affirmation de cette position ressort de deux
de ses arrêts qu'elle a rendu le même jour. Il s'agit de
l'arrêt Bisrour et de l'arrêt Belkacem du 20
juillet 1995. Dans ses différentes motivations, le juge de la Cour
suprême s'est basé sur l'article 8 de la loi 41-90. Il
considère que cette disposition a limité « ...la
compétence des tribunaux administratifs à la réparation
des dommages que cause l'activité des personnes publiques54(*)... », et
qu'il « ...ne mentionne pas qu'ils sont compétents pour
faire cesser la voie de fait55(*)... ».
Ainsi la juridiction suprême venait de fermer la porte
qui avait été entr'ouverte par le Tribunal de Casablanca qui
avait laissé entendre qu'il procéderait à la cessation de
la voie de fait au cas où il y aurait urgence et où l'affaire ne
serait pas pendante devant le juge de l'expropriation. Cette position de la
Cour suprême a été critiquée par certains auteurs
comme M. Benabdallah qui a estimé que le juge a procédé
à « une interprétation restrictive de l'article 8
de la loi 41-90 »56(*). En revanche, d'autres ont bien
apprécié cette jurisprudence tels que M. Hassoun, Commissaire
royal auprès du Tribunal administratif de Marrakech, qui
considère que le juge administratif ne peut être compétent
en matière de voie de fait en raison du fait que « toute
compétence émane de la loi », et la loi 41-90 ne
mentionne pas que la voie de fait doit relever de la compétence
administrative, par conséquent elle ne peut que relever des juridictions
judiciaires suivant la « logique
jurisprudentielle »57(*).
Alors qu'en est-il aujourd'hui ?
B- LA CONSECRATION DE LA COMPETENCE
ADMINISTRATIVE
Après quelques hésitations, les juridictions
administratives du Royaume ont finalement jugé que les tribunaux
administratifs sont compétents pour statuer sur une demande de mise en
cause de la voie de fait, en vertu de `'l'incontournable'' loi 41-90. Cet
exorcisme de la justice administrative, comme le dit M. Benabdallah, a
été amorcé par le Tribunal administratif de Meknès
dans l'arrêt Zeroual58(*), suivi par le Tribunal administratif de Rabat dans
l'arrêt Akouh59(*) pour ainsi être achevé par
l'intervention monumentale de la Cour suprême dans l'arrêt
Ammouri60(*).
1- L'orientation des tribunaux administratifs de
Meknès et de Rabat
Dans leurs différentes analyses, les tribunaux de
Meknès et de Rabat se sont inscrits en faveur de la compétence
pleine et entière du juge administratif à l'égard de la
voie de fait administrative, en faisant prévaloir une
interprétation plus large du texte fondant leurs compétences
à partir d'un examen de l'équivalence entre la loi
elle-même et l'esprit qui avait présidé à son
élaboration.
En effet, dans l'arrêt Zeroual, le tribunal de
Meknès se déclarant compétent pour statuer sur une demande
relative à la voie de fait, considère que « le
tribunal administratif est compétent, compte tenu de la plénitude
de juridiction qu'il a dans le cadre du plein contentieux, pour statuer sur
tout litige administratif où l'administration est partie tant que le
législateur n'attribue pas expressément la compétence
à propos de ce litige à une juridiction et tant que l'article 8
ne lui interdit pas l'évocation de tels litiges » et plus
encore le tribunal estime qu' «il n'y a pas d'inconvénient pour
le tribunal d'abandonner une jurisprudence antérieure qui ne concorde
plus avec l'évolution économique et sociale ».
Cette décision est sans équivoque tellement elle a
été prononcée dans une clarté si parfaite. Il faut
toutefois signaler que la demande en cause a été rejetée
par le tribunal pour défaut de preuve de voie de fait.
Et quelques jours plus tard, c'est au tribunal de Rabat, dans
l'arrêt Akouh, de s'écarter d'une jurisprudence qui ne
répondait plus aux nécessités de la réalité
économique et sociale. Pour le tribunal l'acte administratif pour le
quel il a été saisi constitue « une voie de fait
administrative sur la propriété privée du
requérant, et que ce tribunal a estimé antérieurement que
la juridiction ordinaire c'est la juridiction protectrice des libertés
publiques et des propriétés privées et que, par
conséquent il déclarait son incompétence de statuer sur
de telles demandes suivant en cela la jurisprudence
française ». En effet, le Tribunal de Rabat
s'était déclaré incompétent pour statuer sur les
litiges mettant en cause la voie de fait dans l'affaire Bendaoui que
nous avons évoquée dans la première section de ce
chapitre. En décidant de revenir sur cette jurisprudence le tribunal
évoque deux raisons essentielles selon que « cette
jurisprudence résulte des racines historiques à un pays
étranger et, par conséquent, son application à la
réalité marocaine doit être
écartée », et que le but réel de
l'institution des juridictions administratives consiste « dans la
défense des droits des citoyens et la protection de l'abus de l'Etat et
de l'autorité administrative quelque soit la nature de cet
abus ». Par ailleurs, le juge considère que
« tant que l'article 8 de la loi 41-90 instituant les tribunaux
administratifs n'exclue pas les affaires de cessation de la voie de fait des
compétences qui lui sont attribuées ; ces tribunaux
demeurent compétents pour statuer sur cette demande qui de par sa nature
concerne un litige administratif...la juridiction administrative est la
juridiction naturelle pour statuer sur les demandes relatives à la voie
de fait ». Ainsi avait conclu le juge administratif de Rabat en
écartant la compétence judiciaire en matière de voie de
fait administrative. Et c'est sur cette même voie que la Cour
suprême aussi ferra ses conclusions en élargissant la
compétence du juge administratif à l'indemnisation de
l'administré victime de la voie de fait.
2- Le juge administratif, juge de forme et de fond
Quelques semaines après ces deux jugements, c'est
à la Cour suprême dans l'arrêt Amouri d'adopter les
analyses susmentionnées pour finalement consacrer la compétence
du juge administratif pour constater et faire cesser la voie de fait ;
l'intérêt de cette décision est encore plus grand, car la
Cour va également estimer que ce même juge est compétent
pour réparer les conséquences de la voie de fait. La Haute
juridiction s'est fondamentalement inspirée de deux ordres de
considération : elle estime que la réforme de 1991 et la
création des tribunaux administratifs ont pour but d'améliorer la
protection de l'administré face au pouvoir administratif. Il faut donc
faciliter la tâche du justiciable en mettant à sa disposition des
moyens procéduraux aussi simples et efficaces que possible lui
permettant de s'adresser à un juge capable en pratique de lui donner
satisfaction. La Cour constate qu'il serait illogique de faire trancher par
deux juridictions différentes des questions qui sont étroitement
liées : l'une touchant à la cessation de la voie de fait et
l'autre concernant la réparation du dommage qu'elle a causé,
c'est ce qui ressort de ses motivations quand elle considère que le
tribunal administratif, « lorsqu'il examine les circonstances et
conditions d'une saisine en réparation de dommages causés par des
actes ou activités de personnes de droit public dans le cadre de la voie
de fait, est absolument tenu de vérifier l'existence des
éléments de cette voie de fait...avant de déterminer
l'indemnité correspondant aux dommages résultant de ladite voie
de fait. Qu'il en résulte que le tribunal administratif ne peut avoir la
compétence de statuer sur une demande d'indemnité fondée
sur l'argument de la voie de fait, sans que cette compétence ne soit
étendue à celle de lever ladite voie de fait alors que la mission
des tribunaux administratifs consiste à protéger les particuliers
des abus de l'administration »61(*). Le juge avance aussi le fait que les
tribunaux de droit de commun s'abstiennent de statuer sur les demandes de
cessation de la voie en vertu de l'article 25 du Code de procédure
civile62(*). En effet,
cette disposition limite la compétence des tribunaux de droit commun par
le fait qu'elle leur interdit d'entraver l'action de l'administration. Or les
tribunaux administratifs ne sont pas tenus par cette disposition ; ils
sont habilités par l'article 8 de la loi 41-90 de statuer sur les
demandes en indemnité pour les dommages causés par les actes
matériels de l'administration, par conséquent, les tribunaux
administratifs sont compétents pour statuer sur les deux
« volets connexes et indivisibles »63(*) de la voie de fait.
Il est à remarquer ici que contrairement à la
logique française, qui considère que la voie de fait est un acte
dénaturé qui ne rentre pas dans le cadre des actes administratifs
proprement dits, l'orientation marocaine nous fait comprendre que la voie de
fait résulte de véritables actes administratifs. C'est ce que
l'on peut lire à travers l'analyse de ces différents arrêts
et les travaux de certains auteurs comme M. Benabdallah et M. Rousset.
Cependant, il y a une question à laquelle l'arrêt
Amouri n'a pas apporté une réponse claire et
parfaitement édifiante, à propos du droit applicable à la
réparation des dommages résultant de la voie de fait. Fallait-il
traiter l'administration sur la base des articles 79 et 80 du D.O.C qui
régit la responsabilité de la puissance publique ? Ou
fallait-il la traiter sur la base d'un régime particulier et
dérogatoire au régime de droit commun de la responsabilité
administrative ?
Cette question a été évoquée par
la Cour suprême dans l'arrêt Inous, rendu quatre mois plus
tard, dans lequel le juge de la Haute juridiction a estimé que la
réparation des dommages résultant de la voie de fait ne peut se
faire sur la base des articles 79 et 80 D.O.C :
« Considérant que les articles 79 et 80 du D.O.C
invoqués ... pour statuer sur le...litige ayant pour objet la voie de
fait administrative, n'ont pas lieu de s'appliquer au litige, étant
entendu que l'article 79 concerne la responsabilité de l'Etat et
municipalité pour les dommages résultant du fonctionnement de
l'administration et les fautes de service de ses agents, et que l'article 80
concerne la responsabilité personnelle des agents de l'Etat et des
municipalités »64(*) . Cette motivation du juge est
justifiée par le fait que la responsabilité des
collectivités publiques évoquée au niveau des articles 79
et 80 du D.O.C repose sur la conciliation de l'intérêt
général et des droits des particuliers. Il apparaît que le
juge a clairement écarté l'application des dispositions
précitées du D.O.C, mais l'impasse est qu'il n'a pas
précisé sur quelle autre base doit s'effectuer la
réparation des préjudices causés par la voie de fait.
Toutefois, pour M. Rousset, rien n'interdit au juge d'accorder à la
victime de la voie de fait la réparation intégrale du dommage que
lui a causé l'administration65(*) débitrice. Cette position est aussi
partagée par M BENABDALLAH qui estime par ailleurs que c'est la personne
physique même, l'auteur de l'acte constitutif de la voie de fait, qui
doit être condamné et non l'administration ou dont il
relève. Quoiqu'il en soit, cette question finira aussi pour être
tranchée car comme on le dit, il n'y a pas de problèmes mais il y
a toujours des solutions.
CONCLUSION
Toute au long de cette analyse, nous avons essayé de
mettre en exergue le problème de la compétence juridictionnelle
que suscite la voie de fait, aussi bien France qu'au Maroc, et certainement
c'est le même cas dans d'autre Etats régis par le système
de dualité de droits et de juridictions. A ce niveau nous pouvons
retenir que c'est le système d'organisation et la coutume juridiques
d'un Etat qui déterminent la nature de la juridiction compétente
pour statuer sur une requête relative à la voie de fait
administrative. L'expérience marocaine a montré que la voie de
fait ne posait aucun problème pendant la période d'unité
de juridictions, mais à partir du moment que les tribunaux
administratifs ont été créés, ce conflit de
compétence s'est aussi tôt fait ressentir. Nous estimons que pour
pallier ce problème de compétence, il serait judicieux que le
législateur détermine expressément la compétence de
l'un ou de l'autre ordre juridictionnel pour statuer sur une demande de voie de
fait. C'est-à-dire, soit l'ordre juridictionnel administratif ou soit
l'ordre juridictionnel ordinaire. Il est évident que la jurisprudence
française a attribué cette compétence au juge judiciaire
et la jurisprudence marocaine en a l'attribuée au juge administratif.
Cependant, l'hypothèse selon laquelle chacun des ordres juridictionnels
puisse connaître de la voie de fait n'est pas tout à fait
écartée. Quoi qu'il en soit, l'idéal serait d'arriver
à la compétence exclusive d'une seule juridiction, ce qui
faciliterait évidemment la tâche au justiciable.
Par ailleurs, nous pouvons incontestablement affirmer que la
voie de fait constitue une notion très complexe et nous espérons
que cette analyse permettra aux lecteurs de cerner la notions dans les
différents aspects que nous avons étudiés tout au long de
ce rapport. Cette étude comparative de la notion de la voie de fait nous
a permis de comprendre que cette notion présente des
spécificités très particulières qui la distinguent
par rapport aux autres notions du contentieux administratif, que ces notions
lui soient ou non similaires. Ceci étant, la voie de fait
présente souvent les mêmes aspects que certaines de ces notion, en
fait tout dépend de la qualification que donne le juge à l'acte
dont il a été saisi. Il arrive qu'un juge ne considère pas
un acte comme constitutif de la voie de fait, tandis qu'un autre
n'hésitera point à qualifier ce même acte de voie de fait.
C'est le cas par exemple de la Cour suprême qui a infirmé un
jugement du tribunal administratif de Rabat qui avait constaté
l'existence d'une voie de fait constituée par l'intrusion des Forces
auxiliaires dans le logement du requérant et le
déménagement manu militari de ses biens ; la Cour
suprême a estimé que les Forces auxiliaires sont soumises `au
régime militaire', par conséquent il n'y a pas voie de
fait66(*).
Enfin, une fois identifiée, le juge constate la voie de
fait, la fait cesser, répare les conséquences susceptibles d'en
résulter et condamne éventuellement l'autorité
administrative ou la collectivité publique qui est l'auteur de l'acte
incriminé. Cependant, l'administration se conforme-t-elle à la
décision rendue par le juge, autrement dit l'administration
respecte-t-elle l'autorité de la chose jugée en matière du
contentieux de la voie de fait ?
BIBLIOGRAPHIE
1- Ouvrages
BRILLANT Guy, DELVOLVE Pierre, GENEVOIS Bruno, LONG Marceau et
WEIL Prosper, `Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative', 15e édition, Dalloz, 2005.
GOHIN Olivier, `Contentieux administratif',
4e édition, LexisNexis, 2005.
LACHAUME Jean-François et PAULIAT Hélène,
`Droit administratif (Les grandes décisions de la
jurisprudence)', 14e édition, Presses Universitaires de
France, 2007.
PEISER Gustave, `Contentieux administratif',
14e édition, Dalloz, 2006.
ROUSSET Michel, ` Contentieux administratif
marocain', 2e édition, La Porte, 2001.
ROUSSET Michel et GRAGNON Jean, `Droit administratif
marocain', 6e édition, La Porte, 2003.
2- Articles
BENABDALLAH Mohamed Amine, `D'une réparation de
voie de fait ignorant un arrêt de la Cour suprême',
in REMALD, n° 47, 2002.
*`La voie de fait et le droit : A propos de deux
arrêts récents de la Cour suprême', in REMALD,
n° 14-15, 1996.
*'Le contentieux administratif marocain : dix
années d'évolution' in REMALD n°54-55,
2004.
*`Sur la compétence des tribunaux administratifs en
matière de voie de fait', in REMALD, n° 16, 1996.
EL YAAGOUBI Mohammed, `Le rôle régulateur de
la Chambre administrative de la Cour suprême au Maroc', in
REMALD, série « Thèmes actuels », n° 14,
1998.
HASSOUN Jafar, `A propos de la voie de fait',
in REMALD, n°16, 1996.
ROUSSET Michel, `Consécration et évolution
de la notion de voie de fait dans le contentieux administratif marocain',
in Revue Juridique et Politique Indépendance et
Coopération, n° 1-3, EDIENA, 1997.
* 1 1 Infra p. 10
* 2 _ La plupart des auteurs
s'accordent sur le fait que la voie est une théorie qui a
été imaginée par le Conseil d'Etat au 19e
siècle. Toutefois, nous n'avons malheureusement pas trouvé un
arrêt pour illustrer cette réalité. La définition de
la voie de fait est en effet le fruit de plusieurs arrêts rendus par le
Conseil d'Etat, le Tribunal des Conflits et la Cour de Cassation. Mais
néanmoins nos recherches nous ont amenés à conclure que
c'est l'arrêt Action française du Tribunal des Conflits
en 1935 qui a véritablement élucidé les différents
aspects de la voie de fait, car tous les auteurs y font
référence.
* 3 _ Voir dans ce sens
l'ensemble de la bibliographie.
* 4 _ Dahir du 2 rebia I 1377
(27 septembre 1957).
* 5 _ T.C, 18 déc.
1947, Hilaire, PEISER G. Contentieux administratif,
14e éd., 2006, p. 88.
* 6 _ BENABDALLAH M. A.
La voie de fait et le droit, in REMALD, n° 14-15,
p. 55.
* 7 _ Grands arrêts
de la jurisprudence administrative, 15e éd. 2005, p.
305.
* 8 _ C.E, 18 nov. 1949,
Carlier, ibd.
* 9 _ PEISER G. op. cit.
p. 88.
* 10 _ Grands
arrêts de la jurisprudence administrative, op.cit. p.
511
* 11 _ HASSOUN J. A
propos de la voie de fait, in REMALD, n° 16, p. 74.
* 12 _ T.C, 27 juin 1966,
Guigon, GAJA, op. cit. p. 511.
* 13 _ T.C, 27 nov.
1952, Flavigny, ibd. p. 71.
* 14 _ T.C, 25 nov. 1963,
Epoux Pelé, ibd.
* 15 _ T.C, 27 mars 1952,
Dame de la Murette, ibd., p. 304.
* 16 _ « Le droit
de propriété et la liberté d'entreprendre demeurent
garantis. La loi peut en limiter l'étendue et l'exercice si les
exigences du développement économique et social de la Nation en
dictent la nécessité. »
* 17 _ T.C, 8 avr. 1935,
Action française, op. cit.
* 18 _ T.A, Marrakech, 19
juin 2002, Benouakrim, in REMALD n°47, p. 111; note de
BENABDALLAH.
* 19 _ C.E, 10 oct. 1969,
Consorts Muselier, GAJA, op. cit. p. 306
* 20 _ C.E, 8 avr. 1961,
Dame Klein, PEISER, op.cit. p. 88.
* 21 _ T.C, 12 jan. 1987,
Préfet Eure-et-Loir, ibd.
* 22 _ LACHAUME J-F.,
PAULIAT H., Droit administratif, PUF, 14e édition,
2007, p. 347.
* 23 _ PEISER G., op.
cit, p. 91.
* 24 _ T.C, 19 janvier 1990,
Préfet de Morbihan, ibd, p. 87
* 25 _ T.C, 4 novembre 1991,
Mme Antichan, ibd.
* 26 _ ROUSSET M et GARAGNON
J, Droit administratif marocain, La Porte, 6e éd.,
2003, p. 658
* 27 _ C.S.A, Consorts
Félix, op. cit.
* 28 _ ROUSSET M., op.
cit, p. 688.
* 29 _ PEISER G. op.
cit, p. 145.
* 30 _ ROUSSET M. op.
cit, p. 689.
* 31 _ Il est lieu de
signaler à ce niveau que toutes les libertés sont
fondamentales ; ainsi on fait allusion aux libertés individuelles
et aux libertés publiques.
* 32 _ Voir PEISER G,
op. cit. p. 148 et LACHAUME J-F et PAULIAT H, op. cit. p.
346
* 33 _ PEISER G.
ibd. p. 149.
* 34 _ Notamment avec
l'existence de plusieurs notions qui concourent le plus souvent avec la notion
de la voie de fait, bien que le législateur et la jurisprudence aient
maints fois essayé d'atténuer ces problèmes
d'identifications.
* 35 _
« L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions
prévues par la loi ».
* 36 _ En France les
tribunaux administratifs ont été créés dans le but
de privilégier l'administration de bénéficier d'un juge
qui est indépendant du juge judiciaire mais aussi de l'administration
elle-même. Ce qui n'est pas le cas au Maroc, car comme nous le verrons
plus bas, les tribunaux administratifs ont été
créés pour la protection des administrés face aux abus de
l'administration.
* 37 _ T.C, 17 mars 1949,
Société Rivoli-Sébastopol.
* 38 _ Cass. Civ.
1re ch. 23 mai 2006, Cne de Vendres.
* 39 _ T.C, 6 mai 2002,
M. et Mme Binet.
* 40 _ Cass. Civ, 17
février 1965, Cne de Monasque.
* 41 _ LACHAUME J-F et
PAULIAT H. op. cit. p. 351.
* 42 _ T.C, 27 janvier 1966,
Guigon, PEISER G. op. cit. p. 90
* 43 _ LACHAUME J-F, PAULIAT
H, op. cit., p. 352.
* 44 _ C.E, 4 novembre 1966,
Ministre de l'intérieur c. Société « Le
Témoignage chrétien », GAJA, p. 306.
* 45 _ PEISER G, op.
cit. p. 90.
* 46 _ Ibd.
* 47 _ ROUSSET M.,
Consécration et évolution de la notion de la voie de fait
dans le contentieux administratif, RJPIC, n° 1-3, 1997, p. 18.
* 48 _ EL YAAGOUBI M, Le
rôle régulateur de la Chambre administrative de la Cour
sprême, REMALD, thèm. act. n° 14, p. 25.
* 49 _ T.A, Casablanca, 26
avril 1994, Kadalia Rachelle et Consorts C/ Commune urbaine Sidi
Belyout, doss. n° 01/94.
* 50 _ BENABDALLAH M-A
La voie de fait et le droit, op. cit. p. 45.
* 51 _ Voir essentiellement
les articles de M. ROUSSET et M. BENABDALLAH dans les différentes
publications de la REMALD.
* 52 _ Il s'agit de
l'arrêt Consorts Félix de la Cour suprême.
* 53 _ ROUSSET M.,
Consécration et évolution de la notion de la voie de fait
dans le contentieux administratif, op. cit. p. 14.
* 54 _ C.S.A, 20 juillet
1995, Bisrour, notes de BENABDALLAH, REMALD, n° 14-15, p. 57.
* 55 _ C.S.A, 20 juillet
1995, Belkacem, ibd.
* 56 _ BENABDALLAH M. A,
`La voie de fait et le droit', op. cit. p. 45.
* 57 _ HASSOUN J. A
propos de la voie de fait, op. cit. p.71.
* 58 _ T.A, Meknès, 2
mai 1996, Zeroual, notes de BENABDALLAH M. A, REMALD, n° 16, p.
98.
* 59 _ T.A, Rabat, 9 mai
1996, Akouh, ibd.
* 60 _ C.S.A, 20 mai 1996,
Ammouri Hafid El Houcine c/Commune rurale d'Aït Aamira, notes de
M. ROUSSET, RJPIC n° 1-3, p. 19.
* 61 _ C.S.A, 20 mai 1996,
Ammouri, op. cit.
* 62 _ Article 25
C.P.C : « Sauf dispositions légales contraires, il est
interdit aux juridictions de connaître, même accessoirement, de
toutes les demandes tendant à entraver l'action des administrations de
l'Etat et autres collectivités publiques ou à faire annuler l'un
de leurs actes ».
* 63 _ C.S.A, 20 mai 1996,
Ammouri, op. cit.
* 64 _ C.S.A 19 septembre
1996, Inous, REMALD, n° 47, 2002.
* 65 _ ROUSSET M.,
Consécration et évolution de la notion de la voie de fait
dans le contentieux administratif, op. cit. p. 18.
* 66 _ C.A.S, Inspection
générale des Forces auxiliaires c/ Bousfir, ROUSSET M,
Contentieux administratif marocain, 2001, p. 106.
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