Ecole des Hautes Etudes Internationales
Le détroit de Malacca,
Enjeu asiatique et mondial majeur
Arnaud Ménindès
Sous la direction de Jerome Baloge
2009-2010
SOMMAIRE
Introduction ...............................................................................5
Première partie : Le Détroit de
Malacca, un espace polyfonctionnel mettant en contact des acteurs aux
intérêts divergents face à des risques divers et
nombreux
10
I) La superposition
des intérêts dans le détroit
11
A) Un axe stratégique pour nombre de puissances
mondiales
11
1) L'importance économique : le
détroit jugulaire des échanges mondiaux
11
a) L'importance du détroit dans le
flux de ressources énergétiques
12
b) L'importance du détroit dans le
flux des autres ressources
14
2) L'importance
militaro-stratégique : la redécouverte des enjeux de
sécurité global dans le détroit
15
a) Le regain d'importance du détroit
pour les Etats-Unis depuis 2001
16
b) Le détroit, fermoir du
« collier de perles » chinois
19
B) Une importance asymétrique pour les Etats
riverains
22
1) L'utilisation internationale :
l'importance du secteur portuaire
23
a) Singapour, acteur dominant
24
b) Les stratégies des
challengers : Thaïlande, Indonésie et Malaisie
27
2) L'utilisation locale et nationale du
détroit : une mer intérieure
30
a) Le détroit, un espace de
contact
31
b) Les triangles de croissance :
stratégie de développement ou entérinement des rapports de
force économiques ?
34
II) Les risques
inhérents au détroit et la déficience de leur gestion
40
A) Un statut juridique acquis à l'issue d'une
longue opposition
40
1) L'hésitation et l'opposition quant
à la qualification de Malacca en tant que détroit maritime
international
40
a) Des intérêts divergents
entre les trois Etats riverains
40
b) Les risques liés à cette
incertitude
43
2) Un statut finalement défini par la
convention de Montego Bay
44
a) Régime
44
b) Incertitudes persistantes
47
B) Des risques sécuritaires accrus
49
1) La piraterie : constance et
renouveau
49
a) Une menace venue de « la
banlieue du miracle asiatique »
51
b) Insuffisance des stratégies de
réponse des Etats riverains
55
2) Le terrorisme : présent et
impalpable
57
a) Causes du risque terroriste en Asie du
Sud-est
57
b) Réponses apportés par les
Etats du détroit
59
Deuxième partie : Une insuffisante
coopération induisant l'implication subtile d'acteurs
extérieurs
62
I) Une intervention
extérieure difficile
63
A) Une intervention vécue comme une offense
à la souveraineté nationale
63
1) L'opposition à une intervention
privée
63
a) L'offre de sécurité
privée dans le détroit de Malacca.
63
b) Une action soumise aux critiques
65
2) Une présence américaine
incontournable mais limitée par des facteurs nationaux
68
a) Un partenariat prudent dans la lutte
anti-terroriste
69
b) Une opinion publique musulmane
opposée à des liens trop forts avec Washington
71
B) Des initiatives régionales encore trop
rares
73
1) La crainte d'une domination chinoise
73
2) L'inadaptation de l'ASEAN
76
II) Le Japon,
l'acteur extérieur le plus dynamique et le mieux accepté
78
A) Un acteur étrangement légitime
78
1) Le poids de l'histoire
allégé
78
a) Une occupation moins traumatisante que
dans l'Asie du Nord Est
78
b) De la crainte à l'admiration
82
2) Une présence dans le
détroit de longue date
83
a) Un Etat usager responsabilisé
84
a) Le positionnement stratégique du
Japon
86
B) Formes et performances de l'intervention
japonaise
88
1) L'amélioration des conditions de
navigation dans le détroit : une priorité.
89
a) L'action du Malacca Strait Council
89
b) Une stratégie de
« capacity building »
93
2) Une promotion de la
coopération
96
a) L'impulsion du Japon dans la mise en
place de structures de coopération dans le détroit
96
b) Les modifications induites par le recours
à des mécanismes multilatéraux
98
Conclusion :
.........................................................................................101
Bibliographie :
..............................................................................................103
Introduction
Le détroit est depuis la géographie antique un
espace revêtant une importance capitale. Celui de Gibraltar est dans la
tradition romaine rapportée au mythe d'Hercule qui y aurait
érigé des colonnes, « les colonnes
d'Hercule », symbolisant la limite entre le monde civilisé et
l'inconnu et plus largement la limite du monde, au-delà de laquelle
régnait l'incertitude. Dans un style figuré, les colonnes
d'Hercule désignent même la limite extrême au-delà de
laquelle la pensée ne peut plus rien concevoir1(*). Aujourd'hui, à
l'ère de la globalisation, le détroit, loin d'être une
limite, est plutôt le point de départ de nombreuses
réflexions d'ordre géopolitique. Il n'est plus la fin mais le
début de la conception géographique du monde maritime. Jean
Claude Lasserre, éminent géographe français parle
même à leur sujet de « porte océane »
faisant basculer le détroit d'un statut de limite à celui de
passage.
Le détroit, dans son acceptation géographique,
désigne un bras de mer resserré séparant deux mers, deux
océans ou une mer et un océan. Si le détroit sépare
il a surtout comme principal intérêt de faire se rejoindre deux
zones géographiques. Ainsi dans l'optique de la navigation maritime il
présente une importance primordiale et est souvent un point de
concentration de tensions politiques et stratégiques.
Le détroit de Malacca ne fait pas exception à
cette définition générale. C'est en effet un passage
particulièrement exigu, situé entre la côte occidentale de
la péninsule malaisienne et la côte orientale de l'île
indonésienne de Sumatra. D'un point de vue purement géographique
on distingue deux détroits. En premier lieux, le détroit de
Malacca lui-même s'étend sur 800 km, le long de la côte
orientale de l'île de Sumatra. Sa largeur est comprise entre 320 et 50
km. En second lieux on distingue le détroit de Singapour qui
sépare l'île de Singapour des îles Riau en Indonésie,
celui-ci est beaucoup plus étroit et certains passages ne font que 2,8
km de large. Dans la suite du travail, à défaut de
précisions complémentaires, on se référera au
détroit de Malacca et de Singapour sous l'appellation unique de
détroit de Malacca. Le détroit relie deux mers, celle d'Adaman
à l'ouest et celle de Chine méridionale à l'est et plus
largement relie l'océan Indien à l'océan Pacifique. Il ne
constitue cependant pas le seul passage entre ces deux espaces. Il existe
d'autres détroits entre les îles indonésiennes (parmi
lesquels les détroits de Lombok et de la Sonde). Le détroit de
Malacca est néanmoins le plus court passage pour les navires qui relie
l'Europe (via le canal de Suez) ou le Moyen Orient à l'Asie et
l'Extrême Orient. Ainsi son contournement par le détroit de Lombok
rallonge d'environ quatre jours le temps de navigation d'un navire qui doit
passer de l'océan Indien à l'océan Pacifique, augmentant
proportionnellement les coûts de transport. De ce fait le détroit
de Malacca s'est imposé comme l'une des voies de navigation mondiales
majeures. Ce sont annuellement plus de 50,000 navires qui y transitent2(*) ce qui représente environ
20% du trafic maritime mondial. Au niveau du trafic pétrolier, ce sont
environ 33% du trafic mondial qui y passe. Mondialement le détroit de
Malacca est le deuxième détroit le plus fréquenté
au monde après le Pas de Calais. Le canal de Suez (621 millions de
tonnage par an) et de Panama (267 millions) sont loin derrière Malacca
(2764 millions)3(*).
La situation des Etats qui lui sont riverains est très
diverse. A son extrême sud, se trouve la cité Etat de Singapour,
l'un des NPI (Nouveau Pays Industrialisé) asiatique les plus
prospères. Elle fait désormais partie des Etats les plus
industrialisés au monde et son économie repose sur le secteur
tertiaire (banque, assurance, ...). Elle est fortement dépendante du
détroit afin de garantir son statut de cité globale,
majoritairement tournée vers le commerce international. Plus au nord, la
Malaisie est un Etat certes moins développé mais qui
d'année en année s'affirme comme économiquement dynamique.
Elle concentre une grande partie de ses activités industrielles sur la
côte riveraine du détroit de Malacca et ses ports sont en pleine
expansion. Elle partage avec l'Indonésie la caractéristique
d'être un pays majoritairement musulman, mais cette dernière ne
lui est en rien égale au niveau du développement
économique ou humain. Elle est souvent perçue comme le parent
pauvre du détroit car elle est l'Etat le moins développé
en contact direct avec le détroit. On peut enfin en dernier lieu citer
la Thaïlande pour qui le détroit, bien que riverain de ses
côtes est un espace périphérique dans lequel elle n'a
développé que peu d'activité et dans lequel elle n'est que
peu impliquée. Pour cela, lorsque dans la suite du travail il sera
question des Etats riverains, on désignera Singapour, la Malaisie et
l'Indonésie principalement.
La position stratégique du détroit sur les
principales routes maritimes mondiales implique son utilisation par de nombreux
acteurs extérieurs. Le premier historiquement et en terme de volume est
le Japon, pour qui le détroit est la principale voie de passage des
importations pétrolières. La Chine ensuite, de par sa croissance
exponentielle est elle aussi dépendante du détroit pour son
alimentation en énergie fossile. La Corée du Sud et Taiwan,
à des échelles moindres, se trouvent dans la même
situation. Pour les Etats Unis, bien que le détroit ait un
intérêt commercial significatif, sa principale vocation est
militaro stratégique puisqu'il permet le passage de la VIIe flotte
déployée dans le Pacifique.
Ces deux catégories d'Etats, utilisateurs et riverains
du détroit, se trouvent néanmoins confrontés aux
mêmes problèmes. La piraterie, activité traditionnelle dans
les mers du sud est asiatique a suivi la même évolution que le
trafic dans le détroit, c'est-à-dire une véritable
explosion et ceci tout particulièrement depuis la fin des années
1990. Avec l'accroissement des intérêts en jeu, elle est devenue
un enjeu majeur dans le détroit. Parallèlement depuis le
début des années 2000, l'ombre du terrorisme a commencé
à planer sur les eaux du détroit. Il serait en effet une cible de
choix pour des terroristes désirant paralyser le monde occidental ou
allié à l'Occident. Ces menaces sont, à l'image de celles
auxquelles sont confrontés les Etats du XXIe siècle, purement
transnationales.
Elles nécessitent donc une réponse
coordonnée des Etats qu'elles concernent. On pense bien
évidemment à leur énoncé que la réponse la
plus logique devrait être donnée par une action concertée
des trois Etats riverains du détroit. Ceux-ci subissent cependant un
manque cruel d'entente qui est autant dû à des
intérêts divergents qu'à des querelles gravées dans
l'histoire régionale. Et alors que le sentiment
d'insécurité se diffusait dans le détroit, le manque de
coopération des trois principaux Etats riverains est apparu comme un
danger qui à terme pourrait boucher une artère vitale du commerce
mondial.
Il a donc été tentant pour les puissances
utilisatrices du détroit de Malacca de s'impliquer dans la zone. Un
nombre de facteurs militaient en faveur de cette présence
extérieure. Les Etats Unis comme le Japon sont des Etats puissants
économiquement qui sont en mesure de concevoir une stratégie
efficace de réduction des risques. La Chine elle-même, qui a
développé un ambitieux plan de modernisation de ses forces
armées pourrait s'impliquer dans la zone efficacement. Mais si dans une
optique mondiale, ces interventions pourraient être
bénéfiques, elles ont bien souvent été
vécues par les Etats de la région comme une menace à leur
souveraineté.
Le détroit de Malacca est donc une aire
géographique où se mêlent intérêts
régionaux, nationaux et internationaux. Ces intérêts
entrent facilement en contradiction les uns avec les autres mettant à
jours des conflits d'usage qui peuvent déboucher sur la compromission de
l'un d'entre eux. Face à ces risques les puissances internationales
utilisatrices du détroit, au premier rang desquels on trouve les
Etats-Unis, le Japon et la Chine ont compris que leur intervention était
nécessaire au maintien de la bonne organisation du détroit. En
parallèle, le caractère international du détroit rend
indispensable la coopération et le dialogue entre les trois Etats
riverains du détroit. Mais entre ces trois pays la coopération ne
va pas d'elle-même. Tout d'abord parce que leurs intérêts
divergent quant à l'utilisation qu'ils font de cet espace,
c'est-à-dire internationale (basée sur les flux commerciaux le
traversant) ou régionale (les activités que les entreprises ont
développées sur les rives ou dans les eaux du
détroit : pêche, tourisme, aquaculture,...) ensuite du fait
de l'inégalité de leur puissance et de leur niveau de
développement. Pourtant cette coopération est indispensable. Sans
celle-ci il est à craindre des risques sécuritaires,
environnementaux qui pourraient compromettre ou mettre en péril la
santé économique ou la défense d'autres Etats, parfois
fort éloignés géographiquement. Cet entrelacement des
intérêts met en évidence la double voire triple nature du
détroit de Malacca : tout d'abord zone d'activité locale
pour de entreprises implantés au niveau régional, ensuite enjeu
national de coopération entre trois Etats qui doivent gérer
l'exploitation en commun de ressources naturelles présentes, enfin enjeu
mondial en tant qu'artère principal du commerce mondial en expansion qui
plus est. Il est donc capital de se demander si malgré l'appartenance
territoriale du détroit à un nombre limité d'Etat, il est
possible de leur laisser à eux seuls la gestion d'un espace aussi
crucial pour un nombre important d'Etats y ayant des intérêts. La
question est d'autant plus importante qu'au sein de ce groupe d'Etats, tous
n'ont pas le même niveau de développement et que la gestion
souveraine et séparée de la portion de territoire
dépendant de chaque Etat peut aboutir à un développement
à plusieurs vitesses de l'espace. Au contraire la gestion d'un
détroit d'une telle importance ne nécessite t elle pas une
coopération internationale ? Mais cette idée posée et
acceptée, de quelle coopération parle t on ? Quelle peut
être sa forme ? Quelle nombre d'Etats peuvent ou doivent y
participer ? Doit-on la confier à une organisation
préexistante ou en former un ad hoc ? Ces questions, loin
d'être tranchées, restent en continuel suspens et les jeux de
pouvoir régionaux, malgré une intégration croissante
restent présent et empêchent parfois une coopération
approfondie. Au-delà de l'ensemble régional, ces
hésitations laissent donc la place à l'ensemble des autres
acteurs mondiaux, qu'ils soient étatiques ou transnationaux. Dans
l'état actuel des choses leur intervention parait indispensable et
appelée des voeux mêmes de certains Etats riverains du
détroit, notamment Singapour. Mais si le principe parait
acceptée, nombre de questions restent en suspens quant à la forme
et à la provenance de cette intervention ? L'intervention directe
et unilatérale (toute mesure gardée bien entendue) d'un Etat a
l'avantage de la cohérence mais l'inconvénient de la
négation des principes les plus élémentaires des relations
entre Etats. L'intervention extérieure doit-elle donc se limiter
à une aide aveugle sous la forme de dons et d'aide publique au
développement ? Se doit-elle d'exiger des contreparties au risque
d'être taxée d'interventionniste ? Doit-elle avoir pour but
final l'autonomie des pays récipiendaires ? Doit-elle au contraire
promouvoir une coopération régionale au risque de s'exclure
sur le long terme d'une aire où ses intérêts vitaux sont en
jeu ? En somme, par quelles nécessités et selon
quelles normes les Etats dépendant d'un espace aussi stratégique
que le détroit de Malacca peuvent-ils intervenir afin de
pérenniser leurs intérêts ?
Afin de répondre à ces multiples interrogations,
il sera intéressant de s'attarder d'abord sur les facteurs qui font du
détroit de Malacca un espace important internationalement et soumis
à de nombreux risques (première partie). A l'issu de cet examen
il sera étudié la stratégie d'intervention des acteurs
extérieurs au détroit ainsi que les limites auxquelles ils se
trouvent confrontés (deuxième partie)
Première
partie : Le Détroit de Malacca, un espace polyfonctionnel mettant
en contact des acteurs aux intérêts divergents face à des
risques divers et nombreux
I) La
superposition des intérêts dans le détroit
Le détroit étant une
interface entre la mer et les terres émergées, il met en
superposition plusieurs intérêts à des échelles
différentes. Bien sûr le détroit a une importance vitale
pour les puissances économiques mondiales pour lesquelles il constitue
une artère du commerce international, mais il revêt aussi une
importance, parfois peu relié à l'utilisation internationale de
l'espace, pour les Etats riverains.
A) Un axe stratégique pour
nombre de puissances mondiales
Le détroit a une double
importance pour les puissances mondiales : économique et
commerciale d'abord, militaire et stratégique ensuite.
1) L'importance économique : le
détroit jugulaire des échanges mondiaux
Le détroit de Malacca est l'une des voies maritimes les
plus empruntées au monde, une voie incontournable du commerce mondial
car le plus court chemin entre l'océan Indien et Pacifique. La
mondialisation économique a eu pour effet de multiplier les
échanges internationaux qui passe à 90% par voie maritime.
Passage entre deux espaces cruciaux du système économique
international, le détroit de Malacca est devenu un point
névralgique des routes commerciales mondiales pour les ressources
énergétiques mais aussi pour l'ensemble des autres biens
a) L'importance du détroit dans le flux de
ressources énergétiques
Le pétrole est la ressource énergétique
la plus utilisée au monde. Selon l'Agence Internationale de l'Energie,
le pétrole fournissait en 2007 32.84% des besoins
énergétiques de la planète contre 27.93 pour le charbon
et 22.93% pour le gaz4(*).
Le détroit de Malacca est à mi-chemin entre deux zones
clés de l'économie de l'énergie : à l'ouest se
situe les plus grandes ressources pétrolières du monde, à
l'est le groupe de pays le plus consommateur de pétrole au monde. Rien
d'étonnant alors, à ce que le détroit soit l'une des voies
de passage privilégiées de commerce pétrolier.
Le Moyen-Orient reste à l'heure actuelle une zone
clé de la scène pétrolière, selon les sources,
L'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, l'Irak et l'Iran
qui composent la région possèdent entre 57% et 66% des
réserves mondiales de pétrole, soit 120,4 milliards de
tonnes5(*). Un pays domine
les autres dans ce cadre géographique : l'Arabie Saoudite. Le
royaume possède en effet environ 30% des réserves
avérées de la région, soit environ 36,1 milliards de
tonnes6(*).Si aujourd'hui
seul 27% du pétrole brut mondial y est produit, l'étendue des
réserves conjuguée à l'explosion de la demande
réserve à la région une place de choix à l'avenir.
Cette prévision est corroborée par la facilité de
l'extraction : le cout de production du baril de brut y est le plus bas du
monde. En 2003, la production régionale a été de 1,1
milliards de tonnes, soit la production la plus importante au monde et sur ce
volume environ 775 millions ont été destinés à
l'exportation.
Le continent asiatique absorbe à lui seul environ 60%
des importations pétrolifères moyen orientales. Il compte trois
des cinq premiers consommateurs de pétrole : la Chine (7,86% de la
consommation mondiale), le Japon (5,05%) et la Corée du Sud
(2,37%)7(*). Ces Etats sont
dans des situations bien différentes les uns des autres
La Corée du Sud ou le Japon ont un secteur industriel
particulièrement développé et actif mais ne disposant
quasiment pas de ressources énergétiques8(*). Pour soutenir leur
activité économique ces pays ont fait le choix du pétrole
qui représente 43,1% de la consommation énergétique du
Japon et 39,3% de celles de la Corée du Sud (contre une moyenne de 37,3%
pour les pays de l'OCDE9(*)).Leurs principaux fournisseurs sont les pays du Moyen
Orient. Pour reprendre l'exemple du Japon, les importations de pétrole
en provenance du golfe arabo-persique représentent 87% des importations
totales de pétrole. Nombre de pays du Moyen Orient compte parmi leurs
premiers clients des pays asiatiques : le Japon, la Corée du Sud et
la Chine sont respectivement les deuxième, troisième et
quatrième consommateurs du pétrole saoudien et le Japon suivi de
la Chine sont les deux premiers consommateurs du pétrole iranien. La
Chine se trouve cependant dans une situation de dépendance bien
différente. L'empire du milieu est en effet l'un des principaux
producteurs de pétrole au monde. Jusqu'à la fin des années
1980, le pays est auto suffisant, s'appuyant sur ses larges gisements
situés dans le nord, le nord est et l'ouest du pays, au point
d'être même exportateur. Mais dans les années 1990 la
situation se renverse : 1993 marque l'entrée de la Chine dans le
groupe des pays importateurs de pétrole. Plusieurs facteurs expliquent
cette situation. D'une part la stagnation de la production de pétrole,
d'autre part la forte augmentation de la consommation, due à l'explosion
de la croissance10(*). Malgré la forte part que conserve le
charbon dans la consommation totale d'énergie de la Chine (65% en 2003)
et sa relative stabilité prévue à l'avenir, la part du
pétrole n'a cessé d'augmenter depuis 20 ans au point d'atteindre
25% en 2003. (augmentation de 80% des importations entre 2000 et 2005) Face
à ce besoin, les pays du Moyen Orient jouent un rôle clé.
La région fournit environ 45% des importations totales de la Chine et
ses trois premiers fournisseurs sont l'Iran (dont elle est le deuxième
débouché), l'Arabie Saoudite et Oman. A l'heure actuelle la
dépendance chinoise vis-à-vis des importations
pétrolières atteint environ les 50%, auxquelles il faut ajouter
les importations en provenance d'Afrique que Pékin semble vouloir
augmenter.
Le détroit de Malacca qui sépare les deux
régions est donc au coeur des échanges
énergétiques. Environ 80% du pétrole à destination
du Japon transite par cette voie. Pour la Chine, ce chiffre
s'élève à 60% environ. Les Etats asiatiques, importateurs
du pétrole moyen oriental sont donc particulièrement
préoccupés par la viabilité du transport dans cet espace.
Et l'échec des stratégies de contournement (création d'un
canal dans l'isthme de Kra, différents avec la Russie plus
tournée vers ses échanges avec l'Europe,...) renouvelle la
préoccupation asiatique
Principaux flux pétroliers en 2003 (en millions
de tonnes)11(*)
b) L'importance du détroit dans le flux des
autres ressources.
Les flux traversant le détroit ne se limitent pas au
commerce du pétrole. L'Asie est depuis plusieurs décennies
déjà un acteur central du commerce mondial. Le maintien du Japon
comme puissance importatrice et exportatrice, l'expansion aujourd'hui sans
limites de la Chine sont autant d'arguments qui militent pour une place majeure
de l'Asie dans le commerce mondial.
Les flux de biens passant par le détroit de Malacca
sont ceux ayant pour origine ou destination les pays d'Europe. Ils passent par
le détroit de Malacca puis continuent leur route par le canal de Suez
afin de rejoindre les grands ports français, anglais ou encore
hollandais.
Le commerce de produits agricoles est le premier flux à
prendre en compte. La Chine est un pays où la production agricole est
conséquente. Elle est le premier producteur de blé et de riz et
le deuxième de mais. Elle s'est donc imposée comme un exportateur
majeur de biens agricoles et l'Europe reçoit à hauteur
de ??? % ses exportations
Le Japon, et dans une moindre mesure la Corée, se
trouvent dans une situation inverse. Le Japon dont le taux
d'auto-approvisionnement n'est que de 42%, se trouve dans l'obligation
d'importer une masse considérable de biens agricoles. Sur la
totalité de ses importations, l'Europe représente une part
significative avec 12,4% des importations agricoles totales12(*). Au total ce sont 30% des
importations alimentaires du Japon qui transitent par le détroit de
Malacca en provenance de l'UE ou de l'Inde. La qualification du détroit
comme d'un intérêt vital reprend ainsi son sens premier.
Ensuite les flux de bien industriels se doivent d'être
analysés pour comprendre l'intérêt stratégique du
détroit de Malacca. Pour la Chine, le Japon et la Corée, l'Europe
représente un débouché et une source d'approvisionnement
importante. Elle représente 20,5% des exportations et 12,4% des
importations de la Chine ; 11,6% des importations et 15,3% des
exportations japonaises ; 11,3% des importations et 14,9% des exportations
sud coréennes13(*)
(tout bien confondus). La part des importations en provenance de Chine dans le
total des importations de produits manufacturés de l'UE
s'élève à 6,2% et dans certains secteurs la part est
beaucoup plus importante comme dans celui des vêtements où les
importations chinoises représentent 17,9% du total. Et la production
chinoise, en augmentation constante et à des prix souvent plus
compétitifs que ceux pratiqués par les entreprises occidentales
sont promis à un développement accru dans les prochaines
décennies. Sur ce flux de marchandises, une majeure partie passe par la
voie maritime qui est la voie la plus rapide pour atteindre l'Europe
comparée à la voie terrestre traversant la Russie.
A l'issue de l'examen des indicateurs économiques des
puissances asiatiques, il est d'évidence que le détroit de
Malacca a un rôle de la plus haute importance pour ces économies
accomplies ou en devenir. La tendance déplaçant le centre de
gravité des activités économiques mondiales de l'Occident
vers l'Asie ne peu que renforcer cette dépendance.
2) L'importance militaro-stratégique : la
redécouverte des enjeux de sécurité global dans le
détroit
Si le détroit de Malacca est une voie de passage
majeure économiquement parlant, ce n'est pas là sa seule
importance. Nombre de puissances l'envisagent comme la clé de voute de
la stabilité politique dans la région. Parmi celles-ci, deux en
particulier retiennent l'attention : les Etats-Unis et la Chine, pour des
raisons bien différentes
a) Le regain d'importance du détroit pour les
Etats-Unis depuis 2001
L'intérêt des Etats-Unis pour le sud est
asiatique et pour le détroit de Malacca n'ont pas été
constant au cours des cinquante dernières années. Jusqu'aux
années 1950 la région attire surtout l'indifférence. La
guerre du Vietnam (1959-1975) se trouve être le premier moment dans
l'histoire contemporaine où la région du sud est asiatique
devient une priorité pour les Etats-Unis. Cette volonté
d'endiguement de l'influence soviétique conduit à une plus grande
présence américaine. Celle-ci se trouve
matérialisée par la multiplication des facilités
militaires dans la région. Outre celles localisées dans
l'archipel des Ryu-Kyu (Japon) et en Corée du Sud, les Etats-Unis
possèdent alors deux bases aux Philippines14(*), disposent de facilités
en Thaïlande15(*) et
à Singapour ainsi que d'une base aérienne à Darwin en
Australie, certes plus lointaine mais importante stratégiquement. Afin
de permettre un ravitaillement de leurs troupes et un libre passage de leur
VIIe flotte, la sécurité du détroit de Malacca est
déjà une priorité car ne disposant alors pas de flotte
basée dans l'Océan indien, le commandement militaire
américain y détachait des navires de la VIIe flotte pour des
patrouilles régulières.
La défaite au Vietnam a pour conséquence un
déclin de la présence militaire américaine. L'implantation
survit cependant aux années 1970, la VIIe flotte du Pacifique restant un
élément stabilisateur dans la région qui, jusqu'en
199516(*) doit autant
répondre aux risques du Pacifique qu'à ceux de l'Océan
Indien. Et cette zone à l'ouest du détroit de l'archipel
indonésien va au cours des décennies suivantes comportait un
certain nombre de situations préoccupantes (Bangladesh en 1971, guerre
du Kippour en 1973, crise afghane en 1980 et surtout première guerre du
golfe en 1991) auxquels les Etats Unis vont devoir répondre. Pour toutes
ces opérations, les Etats-Unis sont contraints d'utiliser la VIIe flotte
qui, stationnée dans le Pacifique, doit, pour rejoindre ces
théâtres d'affrontements, traverser les détroits
indo-malais, détroits de Lombok et de Malacca en tête. La libre
circulation en leur sein ainsi que leur sécurité sont donc
dès cette période un objectif de l'armée américaine
afin de s'assurer une rapidité d'intervention ainsi que d'un soutien
logistique. La zone est cependant reléguée au rang de
priorité secondaire par l'administration américaine, notamment
à partir de 1991 et de l'implosion de l'URSS. Fait
révélateur, les bases américaines de Subic Bay et de Clark
Field aux Philippines sont fermées en 1992 à la demande de
Manille sans grande opposition des Etats Unis. Cette indifférence
cessera bientôt dans la tragédie des attentats du 11 septembre aux
Etats Unis.
2001 va ainsi marquer un renouveau de la position
américaine vis-à-vis du sud-est asiatique. Cette mise en
lumière de la région aura, à la différence des
années 1960 où les regards étaient focalisés sur la
péninsule indochinoise, comme point central le monde malais et
indonésien et en son centre le détroit de Malacca. En 2001 donc,
au lendemain des attentats du 11 septembre, si l'attention internationale est
focalisée sur l'Asie centrale et plus précisément sur
l'Afghanistan, une autre partie de l'Asie va bientôt attirer l'attention
des politiques américaines et il s'agit de l'Asie du Sud Est. La
région a en effet sous l'effet de plusieurs facteurs conjuguées
vu se développer une montée du radicalisme religieux qui se
trouve au bord d'exploser, notamment aux Philippines, en Thaïlande mais
aussi en Malaisie et en Indonésie. Cette montée du radicalisme
est telle qu'au lendemain de la défaite des talibans, nombre de hauts
responsables des organisations islamistes clandestines implantées en
Asie centrale ont pu trouvé refuge dans ces pays. Les Etats-Unis
engagés dans une guerre globale contre le terrorisme ne peuvent donc
plus se permettre d'ignorer la région et en 2002 l'Asie du Sud Est est
érigée au rang de second front de la guerre contre le terrorisme,
après le Moyen Orient bien entendu.
La montée en force des préoccupations
américaines concernant le détroit ont beaucoup à voir avec
la présence du passage stratégique qu'est le détroit de
Malacca dans la région. Il constitue en effet avec le port de Singapour,
siège des intérêts des grandes entreprises occidentales
dans la région, la cible idéale à viser pour tout groupe
voulant porter préjudice à la puissance américaine,
à ses alliés dans la région et au camp occidental dans sa
puissance économique. Les attentats de Bali en 2002 sont venus rappeler
que la région était une source de dangers
La seconde guerre du Golfe déclenchée en 2003 et
la formation d'une coalition comprenant nombre d'alliés asiatiques et
océaniens. En premier lieu on trouve l'Australie et la Nouvelle
Zélande. Suivis ensuite par le Japon qu'il peut être surprenant de
retrouver au rang des contributeurs. La constitution japonaise, à son
article 9, contraint à n'entretenir qu'une force d'auto défense
ne pouvant se déployer à l'étranger qu'en cas de menace
directe des intérêts japonais. La parade juridique fut double.
D'une part il fut assuré que les troupes japonaises limiteraient leurs
actions à des tâches humanitaires et de logistique, d'autre part
il fut « prouvé »par le gouvernement de Junichiro
Koizumi que la détention par l'Irak de Saddam Hussein d'armes de
destruction massive était une menace directe à la
sécurité du territoire et de la population japonaise. Dans une
moindre mesure, la Corée du Sud, les Philippines ou encore Taiwan
fournirent des troupes à la coalition. Le chemin emprunté par les
marines nationales de ces pays situés dans la zone Pacifique doit
forcément suivre un tracé traversant le détroit de Malacca
afin de rejoindre le terrain des opérations irakiennes situé dans
la zone de l'Océan Indien. De même les bases américaines du
Pacifique (Okinawa, Corée du Sud, ...) et qui furent en partie
réquisitionnées pour des opérations militaires ou de
soutien logistique devaient elles aussi faire emprunter le détroit
à leurs bâtiments. Le recentrement de la stratégie
américaine sur la guerre en Afghanistan depuis l'arrivée à
la Maison Blanche du Président Obama ne change en rien l'utilisation du
détroit dans la stratégie militaire américaine
étant donné que le terrain afghan situé en zone
océano-indienne nécessite lui aussi une traversée du
détroit afin d'être rejoint par les alliés de
Washington.
La montée en puissance de la Chine,
économiquement et militairement, la rend capable d'exercer un rôle
de plus en plus important sur la région et d'en devenir progressivement
la puissance dominante au point de contester aux Etats-Unis leur rôle de
gendarme régional. Cette perspective inquiète les officiels
américains qui refusent d'être relégué au rang
d'influence secondaire et subordonnée à Pékin. L'Asie du
Sud Est ne peut et doit pas échapper au contrôle de Washington car
cela aboutirait à une trop grande incertitude économique et
sécuritaire17(*).
Lawrence Spinetta, commandant de l'US Air Force a ainsi pu plaider pour une
plus grande implication et une multiplication des moyens militaire,
aériens notamment, afin de contenir ce qui peut être ressenti aux
Etats-Unis comme la menace militaire chinoise L'Asie du Sud Est est donc une
région de plus en plus importante et pourrait bien être à
l'avenir le théâtre d'une lutte d'influence
américano-chinoise18(*).
b) Le détroit, fermoir du « collier
de perles » chinois
La montée en puissance de la Chine est un
élément incontournable dans l'étude des relations
internationales contemporaines. Crainte, idéalisée,
déformée, sur ou sous estimée, elle n'en est pas moins une
réalité. Si cet horizon peut parfois sembler lointain vu d'Europe
ou d'Amérique, il est le présent en Asie et plus
particulièrement dans le sud est de la région. Au contraire des
Etats-Unis qui viennent d'être évoqués, Pékin n'est
pas une puissance extérieure au sud est asiatique qui, pour elle, est
une zone d'influence et d'intérêt traditionnelle. L'histoire des
rapports entre ces deux espaces le démontre largement. Malgré une
première influence historiquement menée par l'Inde, la Chine a
toujours considéré les sultanats ou royaumes du sud est asiatique
comme des débouchés commerciaux et un arrière pays
où elle pouvait exercer une lourde influence. Ces interconnexions
anciennes sont encore aujourd'hui visibles par la large représentation
de la diaspora chinoise dans les pays de la région et notamment
Singapour à dominante ethnique chinoise. La guerre froide et la
transformation du pays en puissance communiste va renouveler
l'intérêt pour cette région située à son sud.
Le soutien aux Viêt-minh lors de la guerre d'Indochine puis au Cambodge
face au Vietnam lors de la guerre de 1978 renforce l'influence chinoise
sur la région Concernant le détroit de Malacca dans l'ère
contemporaine, la Chine émet des positions quant à son
utilisation dés 1971. Elle va en effet soutenir la Malaisie et
l'Indonésie à l'encontre de Singapour dans leurs efforts
conjoints de limitation du trafic international et notamment militaire par la
principale voie de communication entre l'Océan Indien et Pacifique.
Cette position et ce soutien ne sont que peu dictés par le désir
de bonnes relations avec les deux Etats mais surtout par le désir de
gêner la stratégie américaine, soviétique ou
japonaise par l'opposition à l'internationalisation des détroits.
Cette ligne de conduite vis-à-vis du détroit, liée
à la peur de l'encerclement du territoire par des forces militaires
ennemies et la vulnérabilité face à la maitrise des mers
soviétique ou américaine, s'avérera bientôt
contraire aux ambitions militaro-stratégique de l'Empire du Milieu.
Les années 1990 marquent le renforcement de
l'Armée Populaire de Libération (APL), peu
développée jusqu'alors. Le budget officiel de la défense
augmente plus vite que le PIB (13% contre 9%) à partir de 1989 ce qui
signifie donc que la Chine utilise une part croissante de ses ressources
économiques dans la défense. Et le mouvement s'est
particulièrement accéléré depuis le plan de Jiang
Zemin, les dépenses militaires passant de 30 milliards de dollars en
2005 à 45 milliards en 2007. Si l'on en croit les propos de Michel
Masson, général du corps aérien de l'armée
française et ancien directeur du renseignement militaire, la marine est
devenue un élément essentiel et prioritaire du
développement militaire chinois19(*). Et cette force, si elle est destinée à
être projetée dans le monde entier en fonction des
intérêts chinois de plus en plus disséminés sur la
planète20(*), est
plus directement promise à assurer la sécurisation du sud-est
asiatique notamment grâce au « collier de perles »
L'expression, employée pour la première fois en
2004 par Booz-Allen-Hamilton, une firme contractante du Pentagone dans un
rapport interne du Département de la défense américaine
à l'intention du Secrétaire à la Défense Donald
Rumsfeld, condense en elle seule les craintes de montée en puissance de
la force militaire maritime chinoise en Asie et plus généralement
dans le monde21(*). Elle
désigne la constitution par Pékin d'un ensemble de bases
militaires navales, de ports et de facilités octroyés par des
Etats tiers, localisés sur une aire géographique allant du
détroit d'Ormuz et des côtes orientales d'Afrique aux côtes
sud du territoire chinois en passant par les rives de l'océan Indien.
Le dessein de ce collier apparait assez évident une fois
étudié son tracé. Suivant la route empruntée par
les pétroliers en provenance du Moyen Orient et à destination de
la Chine, il a pour but principal et premier de sécuriser
l'alimentation en pétrole de l'Empire du Milieu et de sa vigoureuse
économie en l'absence de voie de contournement crédible et
suffisante et de fournisseurs alternatifs assez importants et
décidés22(*). Le PCC prit donc la décision de
résoudre le « dilemme de Malacca »23(*) à des fins de
sécurité et d'invulnérabilité aux pressions
américaines.
La composition du collier démontre de façon
probante l'importance du détroit pour Pékin qui a, au gré
d'alliances, d'accords et d'efforts, réussi à l'encercler
à l'ouest comme à l'est. A l'est tout d'abord, l'île
d'Hainan, part du territoire chinois est en sorte la dernière perle du
collier qui ne peut bien sûr pas être contestée car sur le
territoire chinois mais dont le développement récent incarne
l'intérêt pour les zones situées au sud du territoire
chinois. On compte ensuite la base aérienne de l'île Woody et
celle, navale cette fois, localisée à proximité des champs
pétroliers off shore en Mer de Chine du Sud. Mais c'est à l'ouest
du détroit que l'effort d'implantation a bien entendu été
le plus grand. La Thaïlande, la Birmanie, le Sri Lanka, les Maldives, le
Bangladesh et le Pakistan ont, à la suite d'accords bilatéraux de
sécurité, mis à la disposition de Pékin les
infrastructures de certains de leurs ports. La Chine a de ce fait pu
déjouer l'influence que pouvait avoir New Delhi sur certains de ces pays
(Sri Lanka, Maldives et Bangladesh surtout) mais s'est aussi attirée les
critiques pour le soutien apporté à des régimes
très critiqués. On pense ici bien sûr à la junte
militaire de Pyinmana
Le collier de perles chinois24(*)
Cette expansion vers l'Asie du Sud Est, fortement
médiatisée aux Etats Unis et dans l'ensemble de l'Asie
grâce au concept accrocheur de collier de perle a suscité le doute
vis-à-vis de la capacité de Pékin à assurer un
« développement pacifique », promis par Hu Jintao.
Et les nations du sud est asiatique, notamment celles ayant un contentieux
territorial maritime avec la Chine25(*) s'inquiètent de l'augmentation de la force de
frappe chinoise et de sa désormais omniprésence. Face à
ses suspicions la Chine reste dans le déni le plus total, arguant de
l'inscription des accords bilatéraux dans le cadre de la
coopération économique normale, du
« développement harmonieux » et de la
« coexistence pacifique » et dénonçant la
volonté occidentale de la diaboliser. S'il parait difficile de croire
à de simples coïncidences, il est nécessaire de remettre sur
le long terme les relations bilatérales de la Chine avec chacun de ces
Etats détenteurs d'une perle du collier. Comme le note Olivier
Zajec26(*), assez
sceptique vis-à-vis du concept, celles ci, bien souvent
antérieures à la constitution même de bases militaires
chinoises en terre étrangère, répondent à des
préoccupations diverses.
Quoi qu'il en soit, la préoccupation de balancement de
l'influence américaine dans la région semble destinée
à l'emporter sur les autres et à dominer la suite des relations
bilatérales entre la Chine et les Etats d'Asie du Sud-est et du Sud
présentant un avantage géostratégique pour Pékin.
Si la position catastrophiste américaine de 2006 semble
particulièrement pessimiste vis-à-vis de la faculté de la
Chine à assumer un développement militaire non menaçant,
il ne peut être nié que la Chine ne pourra tolérer à
l'avenir et à l'aune de sa puissance en perpétuelle croissance,
de voir son arrière pays méridional dominé par une
puissance extérieure et ses intérêts vitaux soumis aux
aléas des décisions politiques de la Maison Blanche et du
Pentagone. Dans cette optique, le détroit de Malacca sera
forcément un point d'appui incontournable de la Chine.
B) Une importance
asymétrique pour les Etats riverains
Les Etats riverains du
détroit ne perçoivent pas le détroit de la même
manière que les puissances mondiales qui en sont utilisatrices. Pour
certains, cette utilisation est source d'activités et contribue à
leur dynamisme économique. Mais au-delà, pour ces mêmes
Etats, le détroit est un espace historique de vie et d'activités
qui entre parfois en contradiction avec l'utilisation internationale de
l'espace.
1) L'utilisation internationale : l'importance du
secteur portuaire
Le commerce a toujours été une des
activités principales dans le détroit de Malacca pour des raisons
évidentes de positionnement géographique. Il fut d'abord
encouragé par les commerçants en provenance du Moyen Orient qui
par ce biais répandirent les croyances musulmanes dans la région.
L'essor de sultanats puissants et tournés vers le commerce à
partir des XVe et XVIe siècles démontrent bien de
l'ancienneté du commerce dans la région. Mais le secteur
portuaire atteint son importance actuelle avec l'établissement des
empires coloniaux, spécialement l'empire britannique, le détroit
étant en son sein un point de passage entre deux parties de l'empire sur
lequel le soleil ne couchait pas. Aujourd'hui encore celui-ci domine dans un
environnement mondialisé où le transport maritime a
explosé. Il est aujourd'hui la voie privilégiée pour le
transport des marchandises et du pétrole. Son volume est passé de
550 000 millions tonnes en 1950 à 5,5 milliards en 2002, 90% du
commerce mondial empruntant la voie maritime27(*). Au sein de ce contexte favorable, la zone asiatique
occupe une place de choix. Prédite comme futur moteur économique
du monde, l'Asie est d'ores et déjà le coeur du transport
maritime mondial. En effet, environ 50 % du tonnage de la flotte marchande
mondiale passe dans les eaux territoriales appartenant à un pays d'Asie.
Le trafic conteneurisé, outil privilégié du transport
multimodal aujourd'hui favorisé, en particulier, offre l'exemple du
poids de l'Asie : 42,2% des conteneurs manutentionnés dans le monde
le sont en Chine, à Singapour, à Taiwan, en Corée du Sud,
en Malaisie, aux Philippines, en Thaïlande et en Indonésie en 1997
(contre 21,7% en UE et 16,4% dans l'ALENA)28(*). Autre indicateur de l'importance de l'Asie, parmi
les dix premiers opérateurs mondiaux pour le transport de conteneurs,
six sont asiatiques dont le singapourien APL au 8e rang mondial soit
3,4% du trafic mondial. La carte des grands ports mondiaux révèle
aussi cette prédominance asiatique : sur les vingt premiers
terminaux conteneurisés, douze sont asiatiques et le premier
s'avère être Singapour avec 24,8 millions d'EVP (Equivalent Vingt
Pieds, unité de mesure des conteneurs) environ de débit par an en
2006, malgré la domination des grands ports chinois (Hong-Kong,
Shanghai, Shenzen)29(*).
Cette place du port de Singapour montre l'importance du détroit dans le
transport maritime asiatique et explique la raison du développement des
secteurs portuaires dans les autres pays riverains, malgré des
situations fort différentes
La prédominance de l'Asie dans le transport
maritime conteneurisé
a) Singapour, acteur dominant
« Une grande et noble cité » ainsi
est décrite Temasek, la future Singapour, par Marco Polo au XIIIe
siècle. Dés cette époque la fréquentation du port
par des commerçants en provenance d'Arabie, de Chine ou d'Inde, est
avérée par les historiens. Son âge d'or est atteint au
siècle suivant lorsque, province du puissant sultanat de Melaka dominant
les autres par son contrôle des détroits malais et des routes
commerciales, elle devint le centre de gravité des échanges
régionaux et l'objet de convoitise des puissances voisines puis
européenne. En 1511, la chute du sultanat aux mains des portugais puis
des hollandais en 1641 et enfin des anglais. S'ensuit deux siècles
d'affrontement entre royaumes locaux électrisés par la nouvelle
donne européenne. L'instabilité tend à réduire
l'importance du commerce et Singapour se marginalise peu à peu. La
fondation d'un comptoir britannique par Lord Stamford Raffles en 1819 marque le
début de l'importance du port moderne. Il devient le point de sortie des
ressources de l'arrière pays malaisien. L'ouverture du canal de Suez en
1869 place le détroit de Malacca sur la route la plus courte entre
l'extrême Orient et l'Europe, décuplant l'activité. Pendant
ce XIXe siècle prospère, la population chinoise
(représentant les ¾ de la population totale) a
développé ses propres réseaux commerciaux
indépendant de ceux contrôlés par les colonisateurs et
très compétitifs vis-à-vis d'eux. En un siècle
Singapour a finalement écrasé ses rivaux du détroit
(Malacca, Georgetown) et de la région (Manille, Saigon,...)
L'indépendance qui survient en 1965 marque une nouvelle
étape de développement. La politique industrielle et commerciale,
forgée par Lee, va s'efforcer de renforcer les liens avec les grandes
puissances industrielles occidentales (Royaume Uni d'abord puis le reste de
l'Europe et l'Amérique du Nord). Cette intégration de Singapour
au « système monde », son acquisition d'un statut de
« cité globale », selon le terme de S.Rajaratnam,
ministre des affaires étrangères de 1965 à 1980, ne fit
que rendre son rôle de port mondial plus proéminent. D'abord parce
que le pays est une puissance exportatrice et importatrice de premier plan. Son
commerce extérieur est en valeur, équivalent à celui de
l'Espagne ou à celui de l'Australie et de la Nouvelle Zélande
combinées30(*).).
Dés lors le raccordement aux routes maritimes commerciales et la
modernisation du port a été dans l'histoire économique
contemporaine du pays un point primordial. Mais le marché
intérieur étant par essence très limité, le port de
Singapour a en parallèle développé une activité de
transbordement, c'est-à-dire de réexportation des
importations, qui représente aujourd'hui 90% du trafic
conteneurisé entrant dans le port et dans laquelle il est passé
leader mondial. Ces deux activités ont hissé le port au rang des
premiers mondiaux
Les chiffres prouvent mieux que les mots cette
centralité. Chaque année, ce sont environ 140,000 navires qui
fréquentent le port, soit environ 400 millions de tonnes de marchandises
manutentionnées. Sur celles-ci, trois cinquièmes sont
conteneurisées. Singapour a en effet été à la
pointe de la globalisation des plateformes logistiques et du transport multi
modal. Le conteneur est l'élément de base de ce
phénomène. Il permet le raccordement rapide du transport maritime
aux autres voies de transports, terrestres cette fois. La qualité des
services offerts par les infrastructures est de loin considérée
comme la meilleure en Asie. Pour cela, Singapour est devenu le premier terminal
conteneurisé au monde en 2005 et le deuxième pays
développant de telles activités parmi les pays en
développement, loin derrière la Chine et devant la Corée
du Sud ou Taiwan. En sus, un tiers du trafic est représenté par
les produits pétroliers, soit 150 millions de tonnes d'hydrocarbures en
200731(*)
Au regard de ces données, on comprend bien que le
secteur portuaire est vital dans l'économie nationale. Car loin de se
limiter aux services de manutention, il induit toute une gamme
d'activités créatrices d'emplois et de revenus. Ceci est en lien
avec la transformation des grands ports en plateformes logistiques. Ce secteur
dont le but est d'amener un produit du fabricant au consommateur, regroupe
quatre fonctions : le transport en lui-même, l'entreposage, la
distribution et la gestion de l'information. Les compagnies de transport
s'adaptant à la demande de leur client de chaine logistique transparente
minimisant les risques, l'attente et les coûts. Or ces chaines s'appuient
sur des systèmes d'information très pointus ainsi que sur de
hautes technologies capables de planifier la production, de gérer les
commandes, de prévoir les demandes. A côté, les
sociétés de transport, comme les sociétés
importatrices et exportatrices nécessitent des assurances pour leurs
navires, pour les premières, et pour leurs marchandises pour les
secondes, ainsi que l'intervention de services bancaires. Dans ce contexte
renouvelé du transport, Singapour apparait comme bien armée pour
répondre à la demande mondiale. Son niveau d'éducation est
élevé, ses activités de recherches et développement
dans les hautes technologies dépasse celui de la plupart des pays
européens et son secteur bancaire et des assurances est depuis longtemps
développé. Sur ces acquis, la cité-Etat a
développé son statut de port mondial. En outre l'ensemble de ces
activités relèvent de la sphère des services et sont donc
adaptées à l'économie singapourienne de part leur faible
consommation d'espace et de main d'oeuvre.
L'ensemble de ces secteurs, lié directement ou non
à l'activité portuaire représente une part substantielle
de la richesse de Singapour qui, en cas de chute précipiterait
l'ensemble de l'économie dans la récession et la crise. Du point
de vue industriel, la cité-Etat a été
dépassée en ce qui concerne la fabrication de navires par le
Corée du Sud et par la Chine. Mais, fortement dynamisée par les
investissements dans l'industrie pétrolière, Singapour est
devenue le troisième centre de raffinage au monde et ce secteur
représente à lui seul 32% de la production industrielle. Les
services cependant sont plus cruciaux pour l'économie singapourienne,
ils représentent en effet 66% du PIB. Le secteur financier, fortement
lié aux activités de trading induites par la fonction
commerciale de la ville et qui englobe le secteur bancaire, le secteur des
assurances et les activités des entreprises d'investissement,
représente 15% du PIB du pays et emploie 5% de sa population active.
Loin d'être exhaustif, ce rapide portrait des secteurs en rapport avec
l'activité portuaire démontre son incorporation à
l'économie globale du pays.
Cette importance induit une ligne politique et des
priorités bien particulières. Singapour est un fervent militant
du libre-échange du niveau international qui constitue, si on ose dire,
le fond de commerce de son économie. La cité-Etat multiplie les
accords de libre échange avec ses partenaires, et agit pour la
levée des barrières douanières au sein des organisations
internationales économiques comme l'OMC et, surtout pour la libre
navigation sur les mers. Cette préoccupation l'a mise en contre courant
vis-à-vis de l'Indonésie et la Malaisie qui se sont en effet
longtemps opposés à la qualification du détroit comme
international qui aurait limité leur souveraineté sur les eaux
territoriales. Singapour au contraire, depuis son indépendance, est un
farouche partisan à la libre circulation sur le détroit dans un
double souci de favoriser son commerce extérieur mais aussi de permettre
l'intervention de puissances extérieures dans les eaux afin d'assurer la
sécurité d'une zone risquée. Car la sécurité
du détroit est une deuxième préoccupation en lien direct
avec l'activité portuaire. L'Etat est cependant incapable d'assurer la
sécurisation du détroit du fait de l'étroitesse de ses
eaux territoriales. Il doit donc faire appel à des puissances
extérieures dont l'action n'est que peu souhaitée par les deux
autres Etats riverains.
Si à l'échelle continentale, le port de
Singapour est en voie d'être dépassé par celui de Hong-Kong
avec lequel il se dispute la place de premier port mondial, mais aussi par ceux
de Shanghai, Shenzen (Chine), Kaoshiung (Taiwan) ou Pusan (Corée du
Sud), il demeure à l'échelle du détroit et même
à l'échelle subrégionale du sud est asiatique
écrasant pour ses concurrents malaisiens, thaïlandais,
indonésiens ou philippins.
b) Les stratégies des challengers :
Thaïlande, Indonésie et Malaisie
Face à cette position de force de la cité Etat
méridionale, les autres Etats riverains du détroit ont
adopté des stratégies bien différentes les uns des autres,
liés à leur développement économique, à
leurs aspirations politiques et à leur implication dans les
activités propres au détroit.
Il est possible de regrouper la Thaïlande et
l'Indonésie, en partie tout du moins, car ils partagent une
stratégie commune. Le sud de la Thaïlande et la côte
orientale de l'île de Sumatra ont ceci en commun d'être des zones
périphériques au sein de leur territoire national. Les ports de
ces espaces sont donc bien peu développés : Belawan et
Songkhla, dont le trafic en conteneurs ne dépasse pas 0,2 millions d'EVP
à l'année32(*), n'ont pas une importance suffisante pour justifier
une escale des grands navires internationaux. Ils profitent donc de ce
raccordement aux grandes routes maritimes internationales via Singapour et sans
avoir à en assumer l'intégralité des coûts.
L'Indonésie dispose cependant d'une différence
de taille vis-à-vis de la Thaïlande. Elle dispose entre ces
nombreuses îles de deux détroits, ceux de Lombok et de La Sonde
qui constituent des alternatives au passage par le détroit de Malacca.
Le premier est déjà utilisé par les super tankers qui ne
peuvent transiter par la voie la plus courte offerte par le passage via
Singapour du fait de leur trop grand gabarie inadapté aux eaux peu
profondes de Malacca. D'un point de vue un peu cynique, on peut imaginer
qu'incidemment, la fermeture, le blocage ou la dégradation des
conditions de navigation auraient pour effet d'augmenter le trafic dans ces
détroits entièrement contrôlés par Jakarta. Les
préoccupations en matière de sécurité sont donc
bien moins importantes pour l'Indonésie qu'elles ne le sont pour
Singapour ou même pour la Malaisie.
Situation des détroits de la Sonde et de
Lombok
Celle-ci se trouve en effet dans une situation bien
différente. Dans une perspective historique, il faut se rappeler que la
Malaisie et Singapour ont pendant longtemps été gouvernés
par la même administration (Londres puis pendant deux ans par le
gouvernement fédéral de Kuala-Lumpur).
Le premier Etat a depuis, assez mal supporté la
domination de son ancienne province dans le secteur portuaire et surtout son
ravalement au rang d'acteur secondaire. Ses ports, comme celui de Penang
notamment, sont en effet obligés de passer par la plateforme de
Singapour pour pouvoir commercer (Singapour réexporte prés de 90%
des exportations par conteneur de Penang33(*)).
Kuala-Lumpur a donc dans les dernières
décennies, multiplié les efforts dans le but de se
détacher de cette dépendance et a notamment engagé une
politique de modernisation des infrastructures de Penang et Port Klang.
Au fil des années les ports malaisiens ont finalement
réussi à s'imposer comme alternatives au hub méridional et
ceci pour une raison simple : leur compétitivité. La haute
technologie du port de Singapour surpasse ses rivaux régionaux, d'autant
plus malaisiens. Mais celle-ci a un coût financier : le port de la
cité Etat est devenu l'un des plus chers au monde. S'il reste
incontournable dans le trafic d'hydrocarbures en raison de ses infrastructures,
le trafic de marchandises a, dans une certaine mesure, migré vers les
ports malaisiens. L'armateur français CMA a quitté Singapour pour
port Kelang, quant à Maersk (10% du trafic conteneurisé à
Singapour) et Evergreen, ils se sont installés à Tanjung Pelapas.
A l'arrivée, les ports malaisiens ont connu
dernièrement une forte augmentation de leur activité. Port Klang
est passé d'un trafic de 5,2 millions d'EVP en 2004 à 6,3 en
2006, devenant le 11e port de conteneurs en Asie. Le même
ordre d'évolution a pu être observé à Tanjung
Pelapas et dans une moindre mesure à Penang
La suprématie de Singapour dans le
système portuaire du détroit34(*)
2) L'utilisation locale et nationale du
détroit : une mer intérieure
L'importance internationale du détroit de Malacca tend
souvent à faire oublier qu'il n'est pas uniquement une voie maritime
internationale. Il est avant tout, un espace lié aux Etats qui lui sont
riverains et qui y ont développé des activités
économiques locales pouvant se trouver être en contradiction avec
les intérêts du secteur portuaire. Soit qu'elles aient
été historiquement présentes dans la zone, ou bien
qu'elles se soient récemment développées, elles peuvent
entrer en contradiction avec l'intensité de l'activité portuaire.
Au-delà, c'est aussi un espace de peuplement assez uni
ethnologiquement.
Cette pluralité de contacts entre les Etats et les
régions infra étatiques au sein du détroit a poussé
les pouvoirs publics centraux ou locaux à envisager des
stratégies communes de développement économique et de
coopération internationale ou interrégionale. Celles-ci sont
désormais matérialisées par deux « triangle de
croissance ».
a) Le détroit, un espace de contact
La surpuissance du port de Singapour, pourrait faire oublier
que le détroit de Malacca est une zone économique de prime
importance pour toute une variété de secteurs qui profitent des
routes maritimes internationales ou qui au contraire les subissent. Ces
préoccupations concernent surtout la Malaisie qui concentre sur la rive
occidentale de la péninsule une grande proportion de ses
activités économiques. En face l'Indonésie semble avoir
quelque peu abandonné le développement économique de la
côte orientale de l'île de Sumatra. Cet inégal
développement entre les deux rives génère cependant
d'autres flux, parfois informels
Sur les 26 millions d'habitants de la Malaisie, environ les
trois quart d'entre eux se concentrent sur la bande littorale (d'environ 30
à 80 km) de la côte occidentale de la péninsule. Cette
forte concentration de population sur la côte entraine une forte
concentration des activités économiques et la présence de
plusieurs secteurs d'activité vitaux pour le pays. La pêche est
très développée dans la zone. Les eaux du détroit
de Malacca représentent prés de 43% des captures halieutiques du
pays, dans une mer territoriale pourtant bien plus réduite que celle
bordant la côte orientale de la péninsule ou les provinces
malaisiennes de Bornéo. Il s'agit donc d'un « espace
vécu maritime, complété d'un espace vécu
littoral », pour reprendre l'heureuse expression de Vincent Herbert,
car le secteur emploie plus de 30.000 hommes. Leur regroupement au sein de
villages de pêcheurs crée un réel attachement à
cette activité traditionnelle. Au contraire de l'Indonésie
cependant, où le secteur de la pêche dans le détroit est
artisanale et familial, la Malaisie a su développer un secteur moderne
et complet allant de la capture des ressources halieutiques à la vente
en gros en passant par la transformation et la conservation. D'autres secteurs
ont rencontré une croissance exponentielle sur la rive occidentale de la
péninsule malaisienne. En premier lieu l'aquaculture qui depuis les
années 1980 a reçu le soutien appuyé des pouvoirs publics
et du secteur privé avec environ 300 millions d'euros investis entre
1996 et 2000, a une production de l'ordre de 100 000 tonnes par an.
Soucieuse de se tourner vers le tertiaire et d'exploiter son potentiel
touristique, la Malaisie a également fourni un grand effort dans la
construction de stations balnéaires destinées aux
clientèles locales ou étrangères Si le
développement du tourisme a permis un enrichissement du pays, il a
cependant pu entrainer, tout comme l'aquaculture, des conflits avec les
populations locales de par les expropriations qu'ils ont pu entrainé.
Conjugué à la constitution d'une marine de pêche exploitant
à grande échelle, ce phénomène a pu avoir comme
effet d'accentuer la précarité des petits exploitants.
Plus largement, l'ensemble des activités qui viennent
d'être évoquées, ont accentué la réticence de
la Malaisie à l'égard d'une intensification du trafic
conteneurisé dans le détroit déjà fort
conséquent. Malgré le développement de son propre secteur
portuaire, la diversification des activités dans le détroit rend
les pouvoirs publics particulièrement sensibles aux risques
environnementaux et sécuritaires. Le risque de pollution,
inhérent au trafic maritime incessant menace directement l'exploitation
des ressources halieutiques qui deviendrait inconsommables paralysant par
là même une part importante des 9,4% représenté par
l'agriculture en proportion du PIB35(*). Le secteur touristique ne supporterait pas non plus
l'endommagement du patrimoine par la pollution mais en outre, les risques de
piraterie et surtout de terrorisme de plus en plus mis sur le devant de la
scène médiatiquement inquiètent. L'importance mondiale du
détroit du fait de son positionnement sur les routes maritimes attirant
l'attention d'un terrorisme voulant frapper les intérêts
occidentaux, rend Kuala-Lumpur très sensible aux projets de
contournements par l'isthme de Kra ou par un oléoduc au Myanmar.
L'Indonésie qui a jusqu'à présent
été peu mentionnée dans ce tableau des activités
dans le détroit est en retrait. La côte orientale de l'île
de Sumatra est assez délaissée. Les eaux bordant le versant
occidental sont en effet riches en pétrole et Jakarta, qui souhaite
profiter de la manne pétrolière pour s'imposer comme puissance
régionale, se concentre sur leur exploitation. Ainsi le secteur
indonésien de la pêche dans le détroit est à ce
point limité, qu'alors que la Malaisie et la Thaïlande sur exploite
leurs ressources au point d'avoir presque saturé les
possibilités, les eaux bordant Sumatra sont encore très riches et
attirent les appétits des voisins. S'agissant de l'aquaculture, le
manque d'investissement empêche le réel développement d'un
tel secteur à Sumatra comme dans le reste du pays. Enfin, Jakarta a par
le passé privilégié des régions jugées plus
sûres tel Bali36(*)
pour son industrie touristique au détriment de Sumatra où les
risques provoquée par l'activisme du mouvement indépendantiste
d'Aceh auraient pu être compromettantes. Tout comme pour le secteur
portuaire, l'Indonésie est donc en retrait vis-à-vis des
intérêts du détroit.
Si elle est dans retrait dans l'exploitation économique
des eaux et des rives du détroit, l'Indonésie occupe toutefois
une place prépondérante dans l'évolution des flux
illicites traversant de part en part le détroit. En premier lieu de par
son importance, on trouve l'immigration observée entre les trois Etats
riverains. Celle-ci répond à deux logiques. Elle s'inscrit
d'abord dans l'unité ethnique qui existe de part et d'autre du
détroit. Celui n'est devenu une frontière que récemment
avec l'occupation coloniale. Auparavant, la péninsule et la partie
occidentale de l'archipel étaient unies par leur appartenance conjointe
au monde malais. Les puissances coloniales elle mêmes vont encourager les
migrations, notamment Londres confrontée au manque de main d'oeuvre dans
la péninsule.
Les indépendances successives des trois Etats vont
quelque peu modifier la donne migratoire dans la région. Chacun se
développe désormais en toute indépendance ce qui aboutit
à creuser des fossés profonds entre les capacités
économiques et les niveaux de vie des trois Etats riverains. Alors que
Singapour et la Malaisie bénéficient d'un développement
économique fort, l'Indonésie reste à la traine. Ainsi les
PIB (2007) par habitant de Singapour et de la Malaisie s'élèvent
respectivement à 49.700.USD et 13.300.USD contre tout juste
3.400.USD en Indonésie. Le haut taux de chômage en
Indonésie, et le manque de main d'oeuvre en Malaisie accentuent d'autant
plus le phénomène. Son ampleur est cependant difficile à
mesurer par l'absence de chiffres officiels. Le passage illégal du
détroit a de plus développé un secteur économique
sous-terrain de passeurs à proximité des îles Riau et du
port de Tanjung Balai du côté indonésien et dans une
multitude de petit ports de pêche du côté malaisien37(*), chacun
récupérant environ 250.USD par immigrant, ce qui en fait un
secteur très rentable dans des pays où le salaire ouvrier est aux
alentours de 100.USD. La récession qui a frappé la Malaisie
depuis 1997 a cependant poussé Kuala-Lumpur à ouvrir les yeux sur
ce phénomène et à prendre des mesures de restriction des
migrations. Cependant, leur principal résultat a été
d'ériger le sujet en pomme de discorde avec Jakarta, du fait du mauvais
traitement lors des renvois au pays et de la dégradation des conditions
de vie des travailleurs indonésiens dans la péninsule
Au-delà de l'immigration clandestine, d'autres flux
illicites sont à signaler. Tout d'abord, la pêche clandestine
exercée par les pêcheurs en provenance du sud est thaïlandais
dans les eaux malaisiennes qui est cependant en net recul suite à une
coopération accrue entre Bangkok et Kuala-Lumpur. Ensuite les flux de
contrebande qui suivent les mêmes routes que ceux de l'immigration et
concerne les produits interdits à l'exportation (rotin, bois brut) dans
le sens Indonésie-Malaisie et les articles électroménagers
et électroniques neuf ou d'occasion dans le sens
Malaisie/Singapour-Indonésie.
Les flux commerciaux licites sont tout aussi présents
autour du détroit. Si dans une première partie de
l'après-seconde guerre mondiale, ils ont d'abord pris la forme
d'alimentation de Singapour en produits agricoles et matières
premières par la Malaisie et surtout l'Indonésie38(*) (de par ses ressources
pétrolières), ils tendent à se diversifier. Ainsi la
Malaisie et l'Indonésie qui ont longtemps eu des économies trop
similaires pour se compléter voient leurs échanges
s'élargir. La Malaisie reçoit ainsi 4% environ des exportations
indonésiennes (pétrole notamment) et un peu moins de 6% des
importations indonésiennes proviennent de la péninsule.
Désirant à l'avenir relativiser la domination de Singapour dans
les échanges commerciaux réalisés au sein du
détroit, Jakarta et Kuala-Lumpur envisagent à leur actuelle un
approfondissement des relations bilatérales au-delà du cadre de
l'ASEAN. Une conférence devrait se tenir au mois d'octobre 2010 afin de
décider d'une baisse de certains tarifs douaniers et d'encouragements
aux investissements malaisiens en Indonésie39(*).
b) Les triangles de croissance : stratégie
de développement ou entérinement des rapports de force
économiques ?
Le détroit ne peut donc pas se résumer à
l'accumulation des territoires de chaque Etats. Nombre de flux les transcendant
structurent les rapports entre ceux-ci et Singapour, Jakarta et Kuala-Lumpur
s'avèrent dépendant du territoire de leurs voisins afin de
promouvoir son utilisation de l'espace à des fins stratégiques et
surtout économiques. On se souvient des inquiétudes de Lee Kwan
Yew et de la classe politique singapourienne au moment de l'indépendance
de la cité Etat face au manque d'espace pouvant compromettre le
développement industriel. Divers stratégies et politiques inter
régionales sont donc venus répondre à ces
préoccupations de l'ancienne Temasek et bientôt au désir
de la Malaisie et de l'Indonésie de profiter du succès de la
cité sinisée. Les « triangles de croissance »
apparaissent aujourd'hui comme la stratégie la plus complète de
réponse aux dépendances transfrontalières.
Il existe un paradoxe saisissant dans la stratégie de
développement économique singapourienne. Ses dirigeants ont
toujours privilégié les rapports de la cité Etat avec les
grandes puissances mondiales, éloignés géographiquement,
alors que celle-ci est fortement dépendante de son environnement
immédiat. La province de Johore, à l'extrême sud de la
Malaisie, frontalière de Singapour, assure la moitié de
l'approvisionnement en eau tandis qu'entre 1980 et 1990, un quart des
investissements dans la province proviennent de la cité Etat. Elle est
aussi un lieu de délocalisation privilégié pour une
économie qui privilégie désormais en son territoire les
activités de haute technologie. Or si toute dépendance est un
pari risqué pour un Etat, elle l'est d'autant plus pour un micro Etat
qui n'a aucune source alternative d'approvisionnement. Les planificateurs
singapouriens vont donc rapidement chercher une solution à ce danger
d'étouffement de la ville. Dés les années 1970, les zones
d'expansion de Singapour en dehors de ses frontières sont choisis, il
s'agit en toute évidence de la province de Johor en Malaisie et des
îles Riau (Batam et Bintan en tête car séparés de
seulement quelques dizaines de kilomètres de l'île de Singapour).
On assiste à un afflux des investissements, des usines d'entreprises
singapouriennes ainsi que de banlieues d'habitation (à Johore surtout).
Mais c'est en 1989 que Goh Chok Tong, vice premier ministre singapourien, va
mettre en place et expressément nommer le triangle de croissance.
Officiellement, cette organisation territoriale du sud de la péninsule
malaise et de ses îles limitrophes doit être un moyen d'intensifier
les rapports entre les trois provinces appartenant à trois Etats
différents : Singapour, l'Etat de Johore en Malaisie et les
îles Riau en Indonésie, d'où le surnom de triangle SIJORI.
Dans les faits, loin d'être un triangle, SIJORI est plus un couloir entre
Singapour et ses provinces frontalières et les relations sont bien plus
bilatérales que trilatérales. Le triangle a pour vocation de
stimuler la croissance de Singapour par la délocalisation
d'activités consommatrice de main d'oeuvre et d'espace et de stimuler
celle de l'Indonésie par la création d'un pôle d'attraction
des investissements dans une région excentrée et jusqu'alors peu
développée.
Le triangle de croissance SIJORI
Sur ce point le triangle est une réussite : les
investissements privés dans l'archipel des Riau sont multipliés
par quatre dans les cinq premières années d'existence du
triangle, 75,000 emplois sont crées, de 3000 touristes singapouriens par
an dans les années 1980, on atteint les 30,000 par an dans les
années 1990, principalement sur l'île de Bintan40(*). L'île de Batam s'est
quant à elle convertie dans le secteur industriel notamment dans le
raffinage du pétrole. Mais derrière le vernis du miracle
économique, une situation bien plus mitigée est à mettre
en évidence. L'espace est directement géré par le pouvoir
central à Jakarta et non par les autorités provinciales et
municipales, provoquant ainsi une méconnaissance des
réalités de terrain. Le résultat sur le tissu social est
catastrophique : la construction en masse de résidences secondaires
de bord de mer pour les habitants de la ville Etat a chassé de leur
habitat traditionnel les pêcheurs de l'île vers l'intérieur
des terres, les coupant ainsi de leurs outils de travail, et a entrainé
une crise urbaine par manque de logement pour les locaux. Les créations
d'emplois n'ont en outre pas permis la reconversion des pêcheurs ou la
baisse du chômage au sein de la population locale, les nouveaux emplois
étant réservés à une main d'oeuvre en provenance
directe de Sumatra et Java aux qualifications bien supérieures. Enfin la
dépendance à l'égard de Singapour est désormais
totale, l'économie des îles Riau n'ayant aujourd'hui plus aucun
lien avec celle du nord de l'archipel : les matières
premières nécessaires aux entreprises majoritairement
électroniques proviennent des importations effectuées par
Singapour et les services financiers utilisés sont bien plus ceux de
l'île Etat que ceux de l'Indonésie.
Du côté de Johore, le triangle n'a fait
qu'intensifier des rapports anciens. Deux tiers des capitaux singapouriens
investis en Malaisie le sont désormais dans cet Etat, deux ponts relient
l'île au continent, 25,000 travailleurs font tous les jours le trajet
entre Johore et Singapour, 7,5 millions d'excursionnistes profitent chaque
année de la province méridionale malaisienne et le flux
d'exportations alimentaires malaisiennes à destination de Singapour va
en s'intensifiant. Johore est maintenant le deuxième Etat le plus riche
de la Malaisie après le Selangor entourant la capitale Kuala-Lumpur. Le
principal bénéfice tiré du triangle au niveau des
relations Johore-Singapour a cependant été l'élimination
du pouvoir central de Kuala Lumpur. Singapour a en effet profité de la
forme fédérale de la Malaisie pour passer directement des accords
avec l'Etat fédéré de Johore qui a lui gagné en
autonomie vis-à-vis d'un pouvoir central. Le fonctionnement du triangle
est ainsi complètement désinstitutionnalisé et
confié aux acteurs privés afin d'éviter un quelconque
recours juridique de la part du gouvernement fédéral. Ce dernier
a dénoncé depuis sa création ce projet dans lequel il
n'est qu'une instance secondaire. Kuala Lumpur voit en effet l'un de ses Etats
les plus riches s'éloigner progressivement de son giron pour entrer dans
celui de Singapour qui exploiterait le sud de la péninsule. La
mésentente entre la province et le gouvernement fédéral
est de plus accentuée par l'évolution de la composition ethnique
de l'Etat qui réunit une part croissante de la diaspora chinoise en
Malaisie.
Le pouvoir central malaisien n'est cependant pas resté
inactif devant cette menace et a décidé de riposter avec la
création de son propre triangle de croissance qui sur bien des points
diffère de celui mis en place sous l'égide de Singapour.
Opposé, il l'est déjà dans sa localisation puisque le
premier ministre Mahatir décide de sa réalisation dans le nord de
la péninsule en 1991. Il regroupe ainsi quatre Etats septentrionaux de
la péninsule (Perlis, Perak, Kedah et Penang, cinq provinces
méridionale de la Thaïlande (Satun, Songkhla, Pattani, Yala et
Narathiwat) ainsi que les deux provinces du nord de l'île de Sumatra en
Indonésie (Sumatra Nord et Aceh). Penang en est le point dominant.
Opposé, il est ensuite dans les objectifs qui sont de développer
dans chacun des pays des provinces périphériques en mal
d'activités économiques. Dans ce cadre Penang doit jouer le
rôle moteur. Opposé, le triangle l'est enfin dans son
fonctionnement puisqu'il est piloté par des accords inter
gouvernementaux entre Kuala-Lumpur, Bangkok et Jakarta ainsi que par une
assistance de la Banque Asiatique de Développement. On voit bien ici la
volonté du gouvernement malaisien de ne pas voir s'échapper un
autre Etat moteur économique.
Dans les faits, on a assisté à une division du
travail micro régionale. Le triangle IMT-GT a d'abord permis de
désengorger la banlieue industrielle de Penang en délocalisant
les usines vers les Etats limitrophes, Kedah en tête. Il a ensuite
encouragé le recours à l'importation de produits agricoles et
halieutiques en provenance de Sumatra41(*) aux prix bien plus compétitifs que ceux
produits en Malaisie. Cela a également entrainé le
développement d'un secteur agro-alimentaire autour de la ville
indonésienne de Medan (province d'Aceh). Du côté de la
Thaïlande, le triangle a désenclavé une région
très excentrée et l'a intégré aux infrastructures
énergétiques, logistiques et industrielles du nord de la
Malaisie. Le sud de la Thaïlande est désormais aussi bien
relié au nord de la Malaisie qu'à Bangkok et son économie
est en lien direct avec le port de Penang42(*). Le sud de la Thaïlande et le nord de
l'île de Sumatra n'ont quant à eux que peu de liens. Par bien des
égards la situation de fait du triangle IMT-GT rappelle donc celle du
triangle SIJORI dans le sens où l'organisation spatiale doit permettre
au port de Penang une évolution vers une économie plus tertiaire
et donc à terme vers une compétitivité accrue
vis-à-vis du pôle singapourien.
Les triangles de croissance SIJORI (au sud) et IMT-GT
(au nord)
Les triangles de croissance qui structurent l'activité
économique dans l'espace du détroit de Malacca sont donc
paradoxaux dans l'optique des liens qu'ils ont pu tisser entre les
différents Etats riverains. On peut affirmer d'une part qu'ils ont
entrelacé les économies locales, rendant dépendants et
complémentaires des territoires qui avaient été
séparés par les frontières modernes issues de
l'époque coloniale. Mais à l'inverse, ils ont pu être
à la source de désaccords entre la Malaisie et Singapour et
surtout témoins de l'émancipation de l'Etat
péninsulaire.
II) Les
risques inhérents au détroit et la déficience de leur
gestion
La navigation dans le
détroit de Malacca est soumise à de nombreux risques. Dans la
première partie du XXe siècle, l'incertitude quant au statut
juridique de l'espace laissait planer l'ombre d'une limitation du trafic par
certains Etats riverains. Si aujourd'hui ce statut semble fixer, les
activités de terrorisme et les menaces terroristes couplées au
manque de prise en charge par les Etats riverains menacent la
sécurité des navires en transit dans ce passage maritime.
A) Un statut juridique acquis
à l'issue d'une longue opposition
Situé sur des routes
maritimes majeures, la qualification du détroit de Malacca comme
détroit maritime international semble logique. Il s'est cependant
longtemps heurté aux positions de certains acteurs. La convention de
Montego Bay a, dans les années 1980 et 1990, permis un consensus sur le
sujet.
1) L'hésitation et
l'opposition quant à la qualification de Malacca en tant que
détroit maritime international
Le statut juridique longtemps flou du détroit de
Malacca a été, pendant une longue période débutant
avec l'accès à l'indépendance des Etats qui lui sont
riverains, une source de tension régional et international . Chacun des
trois était en effet tenté de se replier sur les
intérêts propres qu'il retirait de cet espace maritime en omettant
son caractère international et l'importance qu'il pouvait
présenter pour des puissances extérieures.
a) Des intérêts
divergents entre les trois Etats riverains
Parvenus à l'indépendance, l'Indonésie,
la Malaisie et Singapour ont très rapidement exprimé un
intérêt pour la délimitation de leurs eaux territoriales
dans l'espace exigu du détroit.
Voulant asseoir leur statut d'Etats indépendant et
surtout souverains, l'Indonésie décide en 1960 d'étendre
ses eaux territoriales à 12 nautiques de manière
unilatérale. En 1969, la Malaisie décide de ne pas être en
reste et fait de même avec les siennes. Le problème apparait
à ce moment même car ces deux Etats veulent nationaliser leur
partie du détroit. Celui-ci étant très resserré
à son extrême sud, aucune portion de haute mer ne survit. Ainsi,
le détroit est entièrement contrôlé par deux Etats
qui, étant souverains sur leurs eaux peuvent décider de leur
fermeture ou tout du moins y exercer leur compétence de maintien de la
sécurité et imposer de strictes règles à suivre
pour les navires y transitant. Singapour dans ce jeu mené par ses deux
voisins se retrouvait dans une position difficile, elle qui dépend
économiquement du passage dans son port. La déclaration
tripartite du 16 novembre 1971, loin de calmer le problème aboutit
plutôt à son institutionnalisation. Par celle-ci les Etats
riverains déclarent qu'ils sont les uniques responsables de la
sécurité dans leurs eaux et qu'ils peuvent donc, en accord avec
les principes d'un droit international de la mer alors peu
développé, prendre les mesures de leur choix afin de l'assurer.
Plus important par cette déclaration, Kuala Lumpur et Jakarta
affirmaient que les détroits de Malacca et Singapour ne constituaient
pas des détroits internationaux malgré leur utilisation
internationale. Ainsi seul un droit de passage inoffensif était reconnu
aux navires battant un pavillon étranger. Celui-ci est défini de
manière assez floue par la Convention de Genève de 1958, alors en
vigueur en droit de la mer, comme « un passage ne portant pas
atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité
de l'Etat côtier »43(*). Cette large définition laissait un grand
pouvoir d'interprétation aux Etats, alors presque libres d'interdire
à tout navire le passage dans leurs eaux territoriales. Une
deuxième convention en date du 24 février 1977 permit d'adopter
un système de séparation du trafic afin de mieux le
réguler ainsi que de mesures permettant d'éviter la pollution
mais ne régla pas l'épineux problème du statut juridique
du détroit.
Des intérêts très contradictoires
présidaient à la position de chaque Etat riverain. Singapour tout
d'abord, de par sa nature de grand port international qui lui fournissait et
lui fournit toujours une part majoritaire de sa richesse, ne pouvait supporter
de voir le détroit soumis au bon vouloir de ses voisins malaisiens et
indonésiens. Elle devint donc la grande promotrice de la liberté
de navigation. Selon elle tout navire devait avoir le droit de transiter par le
détroit. L'opposition au passage des bâtiments militaires, pour
des raisons de souveraineté et de défense nationale et aux
pétroliers pour des raisons environnementales ne trouvaient ainsi aucun
écho à ses oreilles. Sa volonté de devenir un grand
terminal pétrolier ainsi que son alliance avec les Etats-Unis
expliquaient logiquement cette position. En outre, les revendications de ses
voisins sur leurs zones économiques exclusives, concept alors non
théorisé, lui faisait craindre la fin de l'accès à
des ressources qui lui étaient nécessaires.
La Malaisie qui comptait déjà alors nombre
d'activités économiques concentrées sur la rive
occidentale de la péninsule ne pouvait supporter les risques
environnementaux inhérents aux activités de transport maritime.
En outre, le faible développement de ses infrastructures portuaires dans
les années 1970, la laissait assez indifférente au concept de
liberté de navigation. Bien mieux, la perspective de gêner le
développement économique de son petit voisin méridional
était réjouissante pour Kuala-Lumpur qui envisageait en sus la
mise en place d'un paiement de droit de passage aux navires ne s'arrêtant
pas dans un port malaisien ou indonésien et se dirigeant donc vers
Singapour44(*).
La position de l'Indonésie enfin est à mettre en
perspective avec sa promotion du concept d'Etat archipel. Composée de
13 667 îles et îlots, l'Indonésie voulait faire
pleinement entrer les eaux qui séparaient les différentes parts
de son territoire émergé sous l'autorité totale de sa
souveraineté. Supprimer toute part de haute mer lui permettait en effet
d'exploiter exclusivement les ressources halieutiques mais surtout
énergétiques qui s'y trouvaient. Cette position fut
affirmée par trois textes unilatéraux successifs (en 1957, en
1960 et en 1962). Cette conception extensive des eaux territoriales, ne pouvait
évidemment pas toucher le détroit de Malacca bordé par
trois Etats différents. Mais il permettait un contrôle total de
Jakarta sur ses propres eaux. A partir de celles-ci et des détroits de
Lombok et de la Sonde, l'Indonésie souhaitait faire concurrence au
détroit de Malacca et à la puissance portuaire de Singapour, en
offrant une route exempte de risques juridiques et où les risques
sécuritaires pourraient être gérés de manière
cohérente par les autorités d'un seul Etat. Des projets de ports
à Cilacap et de terminal pétrolier sur l'île de Lombok
seraient venus compléter ce dessein et aurait fait du passage dans
l'archipel indonésien la voie la plus sûre et la plus
compétitive vers l'extrême orient, à défaut
d'être la plus courte.
Ces positions apparaissent, jusqu'en 1982 avec
l'achèvement de la troisième convention des Nations Unis sur le
droit de la mer, inconciliables et les accords tripartites se limitent à
des questions assez secondaires. Les questions de sécurité dans
le détroit sont laissées de côté, accroissant encore
un peu plus les risques d'un transit par le détroit de Malacca.
b) Les risques liés
à cette incertitude
La situation très incertaine au niveau juridique du
détroit de Malacca a entrainé des réactions et
inquiétudes diverses de la part des acteurs étatiques ou
privés l'utilisant.
En premier lieu des utilisateurs du détroit on peut
compter les entreprises et compagnies de transport privés. Pour ces
acteurs majeurs du commerce international, le flou juridique constituait un
risque énorme dont les conséquences se mesuraient en termes de
pertes financières. Le passage par le détroit de Malacca est
alors, comme il l'est aujourd'hui, un gain de temps pour rejoindre
l'extrême orient ou dans l'autre sens, le Moyen Orient ou l'Europe. Il
est donc une voie obligée dans un souci de compétitivité.
Dans le contexte d'un contrôle total de cette voie de passage par un
Etat, l'autorisation à le franchir peut être arbitraire et il
existe dés lors un risque pour l'acteur privé de se retrouver
immobilisé et de ne pas pouvoir livrer la cargaison dans les temps, ce
qui peut amener à des pertes financières colossales. En outre,
l'attitude de la Malaisie, inquiétée par les risques
environnementaux, notamment de marée noire, a eu pour conséquence
l'exigence d'une assurance adéquate pour les pétroliers en
transit. Celle-ci augmente fortement les coûts d'un passage par Malacca.
Le peu de coopération entre les trois Etats riverains a enfin pour
conséquence une faible maitrise des risques sécuritaires qui sont
autant d'aléas que l'entreprise doit prendre en compte et qui alourdisse
l'addition du transport.
Pour les Etats qui ont un intérêt principalement
commercial dans le détroit : Japon et pays du Golfe arabo-persique;
les inquiétudes sont assez similaires et sont fortement liées
à la peur d'affaiblissement de leur puissance exportatrice ou au
contraire d`insécurité de l'approvisionnement.
Mais le contexte des années 1960 et 1970 est celui de
la guerre froide et plus particulièrement dans la région de la
guerre du Vietnam. Les voies maritimes d'Asie du Sud-est et notamment le
détroit de Malacca, ont donc une importance stratégique
énorme pour les deux géants : URSS et Etats Unis. Le
détroit est alors un moyen primordial de déploiement de leur
puissance militaire leur permettant de soutenir leur allié dans ce
conflit dérivé. La promotion par Jakarta et Kuala Lumpur du droit
de passage inoffensif entrave donc leurs stratégies respectives
puisqu'il oblige à demander à l'Etat sur les eaux territoriales
duquel le bâtiment militaire doit passer, l'autorisation avant de s'y
déployer. Celui-ci peut accepter ou non ce passage. L'appartenance des
deux pays au mouvement des non alignés à cette époque peut
faire craindre à une opposition systématique. Dans les faits, les
conséquences n'en seront pas si graves puisque les Etats Unis vont
signer avec chacun des Etats riverains des accords lui permettant un libre
passage sous réserve de signalement aux autorités portuaires
nationales.
Le seul Etat qui, dans ce contexte, va fortement appuyer la
position malaiso-indonésienne sera finalement la Chine qui craignant un
encerclement par le grand frère russe, avec qui la rupture est depuis
longtemps consommé ; ou par les Etats-Unis, approuve la restriction
du passage des navires militaires.
2) Un statut finalement
défini par la convention de Montego Bay
La convention de Montego Bay, pierre angulaire du droit de la
mer contemporain, est le fruit d'âpres négociations qui ont
duré plus de huit années. Au coeur de celles-ci on retrouve deux
thèmes qui touchent directement les problèmes juridiques de la
région du sud-est asiatique : le détroit international et la
question des eaux archipélagiques. La ratification de la
troisième conférence de l'organisation des nations unies sur le
droit de la mer (UNCLOS III selon l'acronyme anglais) va marquer la
clarification du statut juridique du détroit de Malacca. Cependant,
malgré les efforts déployés par les trois Etats riverains,
des problèmes restent en suspens.
a) Régime
La convention de Montego Bay se veut capable d'instaurer un
nouvel ordre maritime mondial. Il s'agit de faire oublier l'échec assez
retentissant de la deuxième convention (1960) des Nations Unies sur le
Droit de la Mer, et dans une moindre mesure, celui de la première
(1958). Avec l'accès à l'indépendance de l'ensemble des
anciennes colonies, les problèmes de délimitations des
frontières se sont faits de plus en plus nombreux. En outre, les
déclarations unilatérales de délimitations de zones
économiques exclusives (ZEE), notamment par les Etats d'Amérique
du Sud riverains de l'océan Pacifique, et d'extension des eaux
territoriales obligent la communauté internationale à mettre en
place un nouveau cadre juridique accepté par tous.
Le premier point sur lequel les Etats réunis pour les
travaux préparatoires parviennent à s'accorder est l'extension
des eaux territoriales à douze miles nautiques, comme l'Indonésie
et la Malaisie s'en étaient fait promotrices. Cependant cet accord
même pousse les différents acteurs en présence à
régler un autre problème, celui des détroits servant au
commerce international qui pour beaucoup se trouvent complètement
englobés dans les eaux territoriales des Etats riverains à cause
de ce nouveau cadre.
La convention va commencer par catégoriser les
différents types de détroit. Ce faisant elle va clarifier ce que
l'on entend par détroit international. Dans un sens assez strict, on
peut dire qu'est international un détroit qui est bordé par deux
Etats ou plus. Mais dans un sens plus large, celui qui sera retenu par la
convention de Montego Bay, le détroit international fait
référence à un détroit utilisé pour la
navigation internationale. C'est donc avant tout un détroit qui relie
une partie de la haute mer ou des zones économiques exclusives d'un
Etats à une autre partie de haute mer ou de zones économiques
exclusives. Dans ce cadre élargi de nombreux détroits entrent
dans cette définition, y compris le détroit de Malacca.
Le statut juridique de ces détroits est régi par
l'article 37 de la convention. Le point central de celui-ci, celui qui
représentait une source d'opposition est celui du type de passage qui y
est autorisé. Sa définition est le fruit d'un consensus assez
général, dans lequel transparait cependant la puissance des
grandes puissances. Celles-ci, du fait des pressions qu'elles vont exercer vont
ainsi faire reconnaitre par les Etats riverains le droit de passage inoffensif
pour tout navire à travers ces passages maritimes particuliers. Ce droit
de passage en transit sans entraves concerne désormais tous les navires
et aéronefs (article 38 UNCLOS III) ce qui indifférencie le
régime entre flotte militaire et commerciale. On voit bien ici l'effet
des pressions conjointes des Etats-Unis et de l'URSS qui dans ce domaine
étaient poussés par le même intérêt de
permettre une mobilité optimale à leurs flottes respectives. La
réserve de suspension de ce droit de passage pour des raisons
sécuritaires, introduit par UNCLOS I (1958), est supprimé par
UNCLOS III, même pour une brève période. En outre, les
Etats riverains du détroit et donc chargés de la
sécurité de navigation en son sein sont dans l'obligation
d'avertir les Etats concernés de tout danger présent dans le
détroit et dont ils ont connaissance.
Montego Bay maintient cependant la responsabilité de
l'Etat riverain dans la gestion des risques sécuritaires. Les eaux du
détroit sont toujours des eaux territoriales et l'Etat a le droit d'y
exercer ses prérogatives de souveraineté. Ils peuvent ainsi
contraindre les utilisateurs à n'utiliser que les routes maritimes et
à respecter les schémas de séparation du trafic dont ils
ont convenus. De ce point de vue, les intérêts des Etats riverains
du détroit de Malacca ne sont pas remis en cause et les accords des
années 1970 qui organisaient le passage par le détroit restent en
vigueur.
Schéma de séparation du trafic et aide
à la navigation dans le détroit de Malacca
Une autre garantie apportée aux Etats riverains, et
dans le cas du détroit de Malacca une assurance aux
préoccupations de la Malaisie est la prise en compte des risques
environnementaux dans l'organisation du transit dans le détroit.
Contrairement à Singapour qui jusque dans les années 1990 et dans
une moindre mesure encore aujourd'hui, était prête à
permettre la navigation dans le détroit à tout prix, la Malaisie
a exprimé lors des discussions sur la UNCLOS III son
intérêt pour voir des règles strictes s'appliquer aux
usagers potentiellement dangereux du détroit. L'article 39 (2)
prévoit que, exerçant leur droit de transit, les navires sont
obligés d'obéir aux règles et pratiques internationales
généralement acceptées de prévention des risques
environnementaux. Cette disposition a permis à la Malaisie, comme
à d'autres Etats riverains de détroits internationaux de mettre
en place des réglementations concernant le transit des pétroliers
ou des navires transportant des produits chimiques dangereux, telle l'exigence
d'une assurance adéquate. Cette règle implique d'autant plus les
Etats économiquement usagers du détroit qu'en cas de non respect
des règles de l'Etat côtier ayant entrainé des dommages
pour celui-ci, l'Etat dont le navire en question porte pavillon est reconnu
comme internationalement responsable (article 42 (5) UNCLOS III)
En définitif, la convention de Montego Bay, qui est
rentrée en application le 16 novembre 1994 avec l'obtention des soixante
ratifications nécessaires à son entrée en vigueur, a
permis de satisfaire les intérêts des Etats usagers et de
Singapour, qui voient grâce à l'assurance de la liberté de
navigation dans le détroit, leur puissance économique
confortée. Les Etats riverains eux, malgré leur renoncement
à l'intégration pleine et entière des eaux du
détroit à leur territoire nationale trouvent des
compensations : ils restent souverains quant à l'organisation de la
navigation et quant à la prévention des risques
sécuritaires et environnementaux. En outre, la reconnaissance via UNCLOS
III du concept d'eaux archipélagique défendu par Jakarta
constitue une avancée bien plus importante pour l'Indonésie que
les renoncements dans le détroit de Malacca qui reste avant tout un
espace périphérique.
b) Incertitudes persistantes
Malgré l'avancée indéniable
constituée par la convention de Montego Bay et le statut juridique de
détroit international de Malacca désormais pleinement acquis
certaines incertitudes demeurent.
La première est un différent frontalier qui
continue à opposer l'Indonésie et la Malaisie au nord du
détroit, c'est-à-dire dans la part la plus large du couloir
maritime. La Malaisie revendique qu'une part de ce que le droit international
désigne comme étant sa zone économique exclusive,
grossièrement située dans un triangle ayant pour sommet
l'île de Perak, fasse partie de ses eaux territoriales (voir carte
ci-dessous). L'Indonésie quant à elle réclame plus d'eaux
territoriales que la convention de Montego Bay ne lui en accorde. Si ces
revendications en désaccord avec le droit de la mer ne sont que de
faible amplitude et ne concerne pas la zone la plus sensible du détroit
(le sud où le passage est étroit), elles maintiennent cependant
un certain flou. Et ce flou peut entraver l'exercice du droit de poursuite
chaude (prévu à l'article 111 d'UNCLOS III et qui sera approfondi
dans la sous partie suivante). Les autorités d'un pays n'ont en effet le
droit de poursuivre un navire que sur leurs propres eaux territoriales ou dans
la haute mer ou zone économique exclusive d'un Etat tiers contigüe.
La méconnaissance des frontières maritimes dans un tel contexte
pourrait entrainer un différend entre les deux Etats et affaiblir la
coopération sécuritaire contre le risque de piraterie
notamment.
Les zones maritimes dans le détroit de Malacca
telles que revendiquées par les Etats riverains45(*)
Les zones maritimes dans le détroit de Malacca
en accordance avec le droit international46(*)
La seconde incertitude concerne justement la
coopération dans la gestion du détroit. La convention de Montego
Bay prévoit en effet à son article 43 que la gestion des
détroits internationaux doit être conjointe entre les
différents Etats qui en sont riverains. Or dans les années qui
suivent la ratification de la convention, les efforts de mise en commun des
outils de gestion du détroit, des outils de lutte contre les risques
sécuritaires ou environnementaux n'a été que peu
réalisée.
Cette carence fera l'objet de la partie suivante.
B) Des risques sécuritaires
accrus
Si les problématiques se
sont apaisées dans les années 1990, cette période a vu
l'explosion d'une menace plus diffuse mais tout aussi dangereuse : la
piraterie. En outre, les attentats du 11 septembre 2001 et l'émergence
de l'extrémisme islamiste fait désormais craindre un attentat
maritime de grande ampleur qui pourrait paralyser le commerce international.
1) La piraterie : constance et renouveau
La piraterie est une notion du droit de la mer bien connue du
grand publique. La littérature ou le cinéma s'en emparent depuis
maintenant des siècles, propageant une image romantique et aventureuse
de ces crimes et délits perpétrés en mer.
Pourtant, loin de ce folklore, la piraterie représente
un enjeu majeur du XXIe siècle concernant le droit de la mer mais aussi
les relations internationales en général. Dans un monde
globalisé, où prés de 80% du commerce s'effectue par voie
maritime, sa gestion constitue un défi pour les grandes puissances et
pour les Etats côtiers. Et le détroit de Malacca constitue
aujourd'hui, avec le golfe d'Aden, une zone clé.
Avant de s'intéresser plus précisément au
problème que représente la piraterie en Asie du Sud Est, il est
tout d'abord nécessaire de définir ce que l'on entend par ces
termes afin de comprendre, au-delà des mythes l'essence de cette
problématique. La circonscription juridique de la notion n'est pas
aisée, plusieurs interprétations officielles étant
disponibles. La première, chronologiquement et par ordre d'importance,
sur laquelle il est nécessaire de se pencher est celle donnée par
la convention de Montego Bay de 1982, aussi dénommée convention
internationale du droit de la mer, pierre angulaire de ce droit. Elle est
donnée à l'article 10147(*) qui est particulièrement restrictif
vis-à-vis de la notion. Il applique trois critères à ce
qui peut être désigné comme acte de piraterie. Le premier
est d'ordre spatial, pour être acte de piraterie, l'attaque doit avoir
lieux en haute mer, définie négativement par l'article 86 de la
même convention comme toute zone de la mer ne relevant pas de la
souveraineté d'un Etat, ou dans la zone économique exclusive
(ZEE) d'un Etat, soit « la zone située au-delà de la
mer territoriale et adjacente à celle-ci, d'une largeur maximale de 200
miles, où l'Etat côtier exerce des compétences en
matière de gestion des ressources biologiques ou non biologiques,
d'installation d'îles artificielles, de recherche scientifique marine et
de protection de l'environnement »48(*). Le deuxième veut qu'il y ait la
présence de deux navires. Le troisième impose que l'acte soit
guidé par des motifs privés. Cette définition exclut donc
bon nombre de forfaits. Tout d'abord ceux occurrent dans les eaux
territoriales, qui faute de pouvoir être compris dans la notion de
piraterie, sont dénommés banditisme maritime par l'organisation
Maritime Internationale, dépendante des Nations Unies et appliquent donc
la convention de Montego Bay. Le second critère exclut quant à
lui les actes de mutineries à bord des navires et le troisième
les actes de terrorisme, nécessairement guidés par des motifs
d'ordre politique. Cette définition a donc tendance à amoindrir
l'importance de la piraterie en excluant nombre d'actes de violences maritimes.
Dans le détroit de Malacca par exemple, seules 19 attaques sur les
quarante et une enregistrées lors du premier trimestre 2004 ont eu lieu
en haute mer49(*). Les
rapports de l'OMI déforment donc la réalité du risque de
piraterie.
Le Bureau Maritime International (BMI), organisme de la
Chambre Internationale de Commerce, a donc recours à une
définition cofondant la piraterie et le banditisme maritime dans le sens
que leur donne l'OMI. Pour lui, la piraterie consiste en « tout acte
d'abordage contre un navire avec l'intention de commettre un vol ou tout autre
crime et avec la capacité d'utiliser la force pour l'accomplissement de
cet acte ». La définition englobe donc aussi les simples
tentatives d'abordages. Il s'agit donc de faire particulièrement
attention aux sources lorsqu'il est question de consulter les statistiques
relatives à la piraterie afin de savoir à quelle
définition il est fait référence. Dans l'analyse qui
suivra, la définition du BMI sera privilégiée dans un
souci de globalité de l'approche.
S'il est en tout cas un point sur lequel se rejoignent ces
approches fort différentes, c'est le poids du sud est asiatique et en
particulier du détroit de Malacca et des eaux indonésiennes dans
le phénomène de la piraterie dans le monde depuis la fin des
années 1990. En 2000, sur les 469 attaques ou tentatives d'attaque de
navire répertoriées dans le monde, 242 avaient eu lieu en Asie du
Sud Est, dont 75 dans le détroit de Malacca et cinq dans le
détroit de Singapour50(*). En 2009, suite aux efforts des Etats riverains et de
puissances extérieures, sur les 406 incidents de piraterie et vol
armé en mer reportés, seuls deux avaient eu lieu dans le
détroit de Malacca et neuf dans celui de Singapour51(*). La responsabilité de
chaque acteur dans cette baisse fera l'objet des parties suivantes.
Malgré la diminution du volume des attaques, le problème reste
crucial dans la région et ne peut être considéré
comme réglé.
L'ampleur du phénomène répond à
plusieurs ordres de facteurs. On compte tout d'abord ceux d'ordre
géographiques ou historiques qui inscrivent l'activité comme
« naturelle » ou tout du moins logique dans l'environnement
du détroit. Ceux d'ordre socio-économiques ou
politico-stratégiques peuvent quant à eux expliquer la
recrudescence de ces actes depuis vingt ans. Enfin l'insuffisance de la
réponse des Etats riverains à ces actes explique le peu
d'évolution de la situation.
a) Une menace venue de « la banlieue du
miracle asiatique »52(*)
La piraterie dans le détroit est loin d'être le
fruit du hasard. Sa présence historique et sa recrudescence
contemporaine sont à attribuer à un ensemble de facteurs qui,
conjugués les uns aux autres, rendent sa présence logique.
Au premier ordre des facteurs explicatifs se trouve la
géographie de cet espace maritime. Le détroit est par nature
étroit car limité par deux rives. Dans le cas de Malacca,
l'étroitesse est une caractéristique majeure, la largeur
étant comprise entre 37 et 74 km.
A l'extrême sud, dans le détroit de Singapour,
certains passages entre des ilots ne dépassent pas les 14 km. La
présence des ces îlots et de ces passages resserrés sont
très favorables à la prospection par les pirates de leurs cibles
potentiels ainsi qu'à la rapidité de l'abordage du navire. Les
multiples mangroves et îlots inhabités constituent aussi de
parfaits repères pour les criminels qui les utilisent comme base pour
leurs actes.
En outre, la faible profondeur (entre 25 et 50 mètres)
due notamment aux nombreux bancs de sable, oblige les navires à une
navigation très prudente et donc assez lente. Ceci facilite d'autant
plus les actes de piraterie.
Largeur du détroit à différents
points53(*)
Ces caractéristiques géographiques permettent de
mettre à jour l'ancienneté de cette activité dans le
détroit. Elle est cependant tout autant due à la fonction
historique de voie de commerce du détroit. Jusqu'à la
colonisation européenne, la piraterie entretient avec l'organisation
politique de l'espace un lien très fort. Les royaumes puis sultanats
sont alors de véritables thalassocraties qui fonde leur pouvoir sur le
contrôle des eaux les bordant et qui usent de la piraterie comme moyen de
contrainte vis-à-vis de navires de commerce voulant éviter leurs
ports. La piraterie constitue alors pour certaines communautés la source
première de revenus et celle-ci est politiquement et socialement
acceptée. Les colonisateurs eux-mêmes vont subir l'action des
pirates pendant tout le temps de leur présence dans la zone,
malgré une accalmie certaine du à leurs nombreux efforts. On peut
donc inscrire la piraterie comme une activité
« traditionnelle » dans le détroit. Cependant
limiter l'explication de sa résurgence à ces facteurs historiques
conduit à une approche assez déterministe et occulte les
explications d'ordre socio-économiques et politiques, primordiales dans
la compréhension du phénomène
On a en effet constaté une certaine diminution de la
piraterie durant la guerre froide, suivie d'un rebond correspondant plus ou
moins à l'implosion du monde soviétique au début des
années 1990. Cette simultanéité ne peut être
attribuée au simple hasard. La fin de la guerre froide marque
l'entrée dans un monde dé bipolarisé et donc sujet
à l'incertitude et aux tensions. Plus précisément, en Asie
du Sud-est, la fin de la guerre froide a pour conséquence un retrait
partiel de la présence militaire américaine, notamment navale, et
donc une baisse des patrouilles en mer. Les pirates profitent de cette
sécurité déficiente pour reprendre leurs activités.
Ceux-ci sont d'autant plus motivés que le détroit est devenu une
artère majeure du commerce internationale ce qui a augmenté le
nombre de navires l'empruntant et donc le nombre de cibles potentielles. Et ces
cibles plus nombreuses sont en outre plus intéressantes car elles
appartiennent à des entreprises riches qui vont être plus enclines
à verser de larges sommes d'argent afin de préserver leur
précieuse cargaison. Mais au-delà de la richesse occidentale,
l'expansion asiatique a aussi son rôle à jouer dans le retour de
la piraterie. Certes l'Asie a connu un essor économique sans
précédant mais celui-ci s'est fait à des vitesses bien
différentes. L'Indonésie ne connait pas la même opulence
que Singapour ou même que la Malaisie ou la Thaïlande. La
nécessité des populations entraine l'envie vis-à-vis des
riches voisins et, parfois, le passage à l'acte criminel. Plus frappant
encore, les régions indonésiennes qui ont pu profiter du
dynamisme singapourien, îles Riau et Batam en particulier, ont
laissé une large frange de leur population sur le bas chemin du
développement. L'arrière pays insulaire de la cité Etat
est en effet dans une situation sociale et urbaine explosive54(*) : les bidonvilles
côtoyant les riches villas d'été des gens de la ville se
sont multipliés et en leur sein vit une population pauvre spectatrice du
miracle économique asiatique. Celle-ci quand elle ne survit pas
grâce à la prostitution, se tourne vers la piraterie pour subvenir
à ses besoins.
A partir de l'énoncé de ces causes de la
piraterie contemporaine, il est possible de dresser une carte de la piraterie
dans le détroit. Comme il est logique de le penser, celle-ci provient
de la côte orientale de l'île de Sumatra et est le fait de
populations locales. Il ne faut cependant pas croire dans la
spécialisation extrême de cette activité. S'il existe bien
des groupes spécialisés dans la piraterie, un nombre non
négligeable de ces actes est dû à des pêcheurs ou
à des conducteurs de bateau-taxi qui complètent leurs faibles
revenus par des actes de piraterie. Les réseaux de piraterie sont eux
bien plus organisés. Leur mode opératoire est souvent le
même. L'attaque survient de nuit, souvent sans lune lorsque la
visibilité est mauvaise, et est menée à partir de la
côte ou d'îlots à l'endroit où le détroit est
le plus étroit, c'est-à-dire dans sa part méridionale, et
donc dans les eaux territoriales de l'un des trois Etats riverains. A bord d'un
bateau très léger et rapide, au nombre de sept ou huit et
simplement armés de machettes, ils abordent le bateau par
l'arrière, y grimpent à l'aide de grappins et subtilisent le
coffre, molestant au passage le capitaine ou les membres d'équipage en
cas de résistance. Bien souvent, l'équipage est ligoté
avant leur retour vers leur « port d'attache » afin que
celui-ci ne signale pas immédiatement l'acte. Cette stratégie
s'avère efficace car les forces de l'ordre arrivent bien souvent
plusieurs heures après le départ des criminels. Il est aussi
à noter les vols à quai qui sont comptabilisés dans les
statistiques du BMI.
Cette activité illicite a entrainé
l'émergence de zones de non droit, notamment sur l'île de Batam
où prostitution et jeux d'argent illégaux permettent aux pirates
de dépenser leur butin, dans l'indifférence au mieux, mais plus
souvent avec l'aval de la police indonésienne locale, notablement
corrompue.
La piraterie est donc une menace très sérieuse
pour les Etats riverains et notamment pour Singapour et la Malaisie, toutes
deux économiquement très dépendantes du détroit. Un
accroissement des risques sécuritaires s'avère très
néfaste à leurs activités. En premier lieu, le transport
maritime. Dans un secteur où la logique de chaine logistique veut que la
durée du trajet et sa sécurité soit assuré, la
persistance de la piraterie est un handicap majeur. Toute attaque pirate
signifie une perte de temps de par l'enquête qui doit être
menée par les autorités locales. Les sociétés
d'assurance, en premier lieux desquels la Lloyds, mesurent les risques du
trajet emprunté par un navire et en fonction de ceux-ci, voient à
la hausse ou à la baisse les primes qui doivent leur être
versées. La classification du détroit comme zone à
risques, comme cela a été le cas en 2005, aurait donc pour
conséquence d'accroitre les coûts d'assurance et donc de retirer
l'avantage compétitif que peut détenir la voie la plus courte
entre l'océan Indien et Pacifique. Dans un tel scénario, les
ports de Singapour, Penang, Port Klang ou Tanjung Pelapas verraient leur
fréquentation chuter et les économies nationales en seraient
profondément affectées. Le tourisme aussi, en plein
développement surtout du côté malaisien ne peut souffrir de
l'image de « nid à pirates ».
Face à ces intérêts impérieux, la
réponse des Etats riverains du détroit devrait être forte.
Or, c'est aujourd'hui la faiblesse qui prévaut.
b) Insuffisance des stratégies de
réponse des Etats riverains
Dans la déficience avérée de gestion du
risque sécuritaire dans le détroit de Malacca, une explication
blâmant l'Indonésie pour son inaction est
privilégiée. Quoi que probante, elle s'avère être un
peu simpliste et c'est aujourd'hui le manque de coopération qui est mis
en évidence.
Parent pauvre du détroit, l'Indonésie est
classiquement considérée comme le noeud du problème
maritime qu'est la piraterie. Deux phénomènes en lien direct avec
la pauvreté viennent expliquer cette explication : d'une part le
manque de moyens, d'autre part la corruption des autorités.
Le manque de moyens est une cause évidente. Selon
l'enquête d'Eric Frécon55(*), la marine locale ne dispose que de huit navires
ayant moins de dix ans. Les capacités de poursuite de ces forces
s'avèrent en outre très limitées. Depuis quinze ans
environ, ils ont été supplantés par les pirates en termes
de technologie. Il est vrai que la sécurisation des eaux bordant la rive
orientale de Sumatra n'est pas une priorité pour Jakarta qui est
déjà bien occupé par les turbulences induites par la
province d'Aceh au nord de l'île mais aussi par l'avènement de
prétentions du même genre en Papouasie Occidentale.
La corruption en second lieu s'avère presque plus
dangereuse. La police locale protège souvent les pirates dans les
repères de l'île de Batam, percevant une somme d'argent en
échange de leur silence et de la fermeture de leurs yeux. Pire, encore,
ces forces de l'ordre censées faire respecter la loi, sont parfois
eux-mêmes à l'origine d'actes de piraterie. Selon Eric
Frécon encore, de nombreuses victimes ont témoigné avoir
été arraisonnées par des hommes en tenue militaire.
La Malaisie et Singapour se sont souvent retranchées
derrière cette incapacité indonésienne pour justifier de
la piraterie dans la zone. Cette explication un peu simpliste a, il est vrai
l'avantage, de garantir l'image de marque des deux Etats qui apparaissent comme
victimes d`un phénomène qu'ils ne peuvent que subir. Cependant,
étant plus capables que leurs voisins d'assurer la
sécurité dans le détroit, la responsabilité
d'envisager des stratégies plus globales de réponse aux risques
leur revient. Et cette responsabilité n'a longtemps pas
été assumée.
Les pirates en effet ne sont pas de simples
« têtes brulées » commettant
aveuglément leur forfait. Ils ont parfaitement conscience des vides et
lacunes juridiques leur permettant de se maintenir. L'article 111 de la
convention de Montego Bay est la principale niche dans laquelle repose la
piraterie. Celui-ci prévoit que la chaude poursuite56(*) cesse dés lors que le
navire pris en chasse par les autorités d'un Etat rentre dans les eaux
territoriales d'un autre. Dans le contexte du détroit de Malacca
où les eaux territoriales des trois Etats se jouxtent, il est
aisé pour les pirates de commettre leur crime dans les eaux de la
Malaisie par exemple avant de fuir vers celles de l'Indonésie, semant
ainsi rapidement leurs poursuivants.
Jusqu'à présent les réponses à ce
problème de taille n'ont été que sporadiques. Face
à ce risque typiquement transnational, les Etats se sont paradoxalement
repliés sur leur souveraineté nationale et sur le principe selon
lequel ils sont les seuls à disposer de « l'usage
légitime de la force » sur leur territoire. Certes des
exercices de patrouilles conjointes ont pu être mis en place57(*), mais le manque de
volonté et d'enthousiasme des autorités, couplé à
leur trop grand espacement dans le temps les ont rendu inefficace. Le
renouvellement de ces accords en 2004 avec les patrouilles conjointes aux trois
Etats dénommés MALSINDO ou la mise en place de la
stratégie « Eyes in the Sky » de patrouilles
aériennes ont eu le même manque d'effets sur le volume d'actes de
piraterie.
Le mot d'ordre de la coopération entre les trois Etats
est bien plus la coordination que la coopération. La coopération
signifierait une mise en commun profonde des moyens de lutte contre la
piraterie dans le détroit. Or actuellement, seule une coordination est
à l'oeuvre. Elle permet un échange d'informations et quelques
patrouilles communs via les initiatives qui viennent d'être
citées. Mais elle ne règle pas le problème profond de la
lutte contre la piraterie, celui de la chaude poursuite. Les patrouilles des
gardes côtes restent donc bloquées par l'entêtement
souverainiste des trois Etats riverains grâce auquel la piraterie peut
prospérer.
2) Le terrorisme : présent et
impalpable
a) Causes du risque terroriste en Asie du
Sud-est
Le terrorisme est un phénomène qui touche
l'ensemble de l'Asie du Sud-est et non les seuls pays riverains du
détroit. Si les facteurs qui expliquent la radicalisation islamiste dans
la sous région sont applicables à l'Indonésie, celle-ci en
présente certains beaucoup plus particuliers. En outre le terrorisme
dans le détroit est virtuellement bien plus dangereux et ses
conséquences plus globales.
Le sud-est asiatique a vu se développer une
montée du radicalisme religieux qui se trouve au bord d'exploser,
notamment aux Philippines, en Thaïlande ainsi qu'en Malaisie et en
Indonésie. Cette montée du radicalisme est telle qu'au lendemain
de la défaite des talibans lors de la courte phase d'affrontement
traditionnel, nombre de haut responsables des organisations islamistes
clandestines implantées en Asie centrale ont pu trouvé refuge
dans ces pays. Les raisons pour un tel développement sont diverses. Tout
d'abord ce sont des Etats fortement touchés par la crise
économique de 1997 au cours de laquelle la bulle spéculative
asiatique avait explosé ce qui avait paralysé le
développement des économies et sociétés de ces pays
toujours relativement pauvres (avec des situations cependant bien
différentes selon les pays et même selon les régions
composant ceux-ci). Ensuite ces Etats sont dans leur grande majorité
incapables de faire respecter la loi et l'ordre sur l'ensemble de leur
territoire du fait notamment du mal développement. Enfin la politique
discriminatoire mené par certains Etats à l'égard d'une
minorité musulmane est source de radicalisation régionale. On
peut citer à titre d'exemple l'attitude de Bangkok à
l'égard des populations musulmanes du sud du pays ou celle de Manille
vis-à-vis des musulmans vivant dans la province de Mindanao en proie
à un mouvement autonomiste très actif. Ces traitements
inégalitaires ont logiquement tendance à radicaliser ces
populations et à favoriser l'apparition de groupements clandestins
extrémistes. En outre, ils ont un effet de radicalisation sur l'ensemble
des populations des Etats de la région qui s'insurgent, à juste
titre contre la discrimination exercée par l'Etat58(*). Pour ces raisons, l'Asie du
Sud-est est un terreau prometteur pour un groupement extrémiste tel
Al-Qaida et ses nombreuses mouvances qui ont trouvé un grand écho
à leurs thèses anti occidentales dans ces pays.
La plupart de ces explications s'appliquent dans le cas de
l'Indonésie qui est à l'heure actuelle le pays sur lequel se
concentrent les craintes de dérives d'un islam radicalistes. Ce statut
est cependant surprenant. Cet Etat archipélagique présentait en
effet l'image d'un pays pluri confessionnel, exemple typique des promoteurs
d'un islam modéré et pacifique. Les facteurs du changement de
situation sont nombreux. L'armée, qui traditionnellement depuis
l'indépendance assurait un rôle de contrôle de la
société aussi sécuritaire que politique, vit se
développer les luttes intestines entre fraction opposée au
régime de Soeharto et celles prônant le radicalisme- les
« généraux verts »- stratégiquement
soutenues par le pouvoir dictatorial. En difficulté, Soeharto s'appuya
ainsi sur des thèses de plus en plus radicales et permit une
montée en puissance des mouvements qui les promouvaient. Lorsque vint la
crise économique de 1997, on eut tôt fait d'accabler la
communauté chinoise (4% de la population), qui il est vrai
détenait une part importante de la richesse du pays. Plus
profondément encore des conflits interconfessionnels
éclatèrent entre chrétiens, accusés de longue date
de prosélytisme et musulmans dans la région du Sulawesi et des
Moluques. La chute du régime de Soeharto en 1998 et la période de
transition qui s'en suivit furent logiquement marqués par une faiblesse
du politique grâce à laquelle les mouvements extrémistes
enclins au terrorisme purent prospérer.
Ces mouvements étaient il est vrai préexistants.
Déjà lors de la lutte contre les colons néerlandais, des
groupes de résistance imprégnés d'un certain radicalisme
étaient apparus. Malgré leur mise au pas par le pouvoir central
de Jakarta, ils survirèrent et purent mener des luttes contre les
guérillas communistes ou même contre la dictature. Mais la
réelle menace terroriste n'émergea que plus tard, dans le courant
des années 1970. Les organisations terroristes contemporaines furent
d'abord favorisés par la montée en puissance du
prosélytisme saoudien, qui doté d'importants moyens depuis le
choc pétrolier de 1973, put largement s'implanter et développer
ses thèses extrémistes et anti occidentales en Indonésie.
Nombre de jeunes indonésiens et plus largement de jeunes gens d'Asie du
Sud Est furent ainsi formés sur le terrain afghan dans le contexte de
l'invasion soviétique et furent incités au djihad dans leur pays
d'origine. De cette expérience initiatique émana la Jemaah
Islamiyah en 1993, qui depuis les attentats de Bali en 2002 et de l'hôtel
Marriott à Jakarta en 2003, concentre les inquiétudes
occidentales. Lié à Al Qaeda de par leur origine afghane
conjointe, son influence à travers la région du Sud-est asiatique
est un danger. Si on ne peut prêter à la Jemaah Islamiyah un
rôle de coordination régionale, il est avéré que
l'organisation est implantée sur les deux rives du détroit de
Malacca et dans l'île de Singapour. La Malaisie est depuis les
années 1980 un lieu de recrutement de la nébuleuse où les
thèses d'Etat islamique trouvent de plus en plus d'écho.
Singapour, elle, vit depuis 2000 déjà dans la perspective d'un
attentat terroriste qui ne proviendrait non pas de sa propre communauté
musulmane modérée, mais bien de la nébuleuse de la Jemaah
Islamiyah. L'arrestation en 2002 de trente sept membres du réseau, a
démontré son implantation dans la cité Etat. On a pu aussi
prouver et heureusement déjouer à temps la commission d'attentats
visant des intérêts occidentaux, américain surtout. Car
Singapour est la cible prioritaire pour les attentats du fait de
l'intérêt et des liens politiques qui la lie au monde
occidental.
Le scénario envisagé par les services de
renseignement serait catastrophique. Il consisterait à transformer un
méthanier ou un navire transportant du pétrole en bombe flottante
et à la projeter sur un autre ou sur les infrastructures portuaires.
Dans un tel scénario, outre les pertes humaines et matérielles
colossales, le détroit pourrait rester fermé pendant des mois et
paralyser le commerce international
Cette éventualité est d'autant plus probable
qu'un rapprochement entre les pirates et les intégristes a pu être
observé. Les « banlieues du miracle économique
asiatique », îles Riau, côte orientale de Sumatra et la
pauvreté mêlé de frustration y régnant constituent
le terreau de la piraterie comme de l'embrigadement au terrorisme. Et les
volontaires au djihad semblent s'inspirer des techniques pirates afin de
planifier leurs actions. Un mélange entre ces deux activités,
bien que forcément purement pragmatique, est néanmoins un des
pires scénarios qui puisse être imaginé.
b) Réponses apportés par les Etats du
détroit
Comme dans le cadre de la lutte contre la piraterie, la
réponse donnée par les Etats riverains du détroit peut
apparaitre asymétrique et à l'arrivée insuffisante
Allié traditionnel des Etats-Unis et cible
première du terrorisme dans le détroit, Singapour s'est
engagé dés 2001 dans la guerre contre le terrorisme. Le
gouvernement ainsi que les services de sécurité de la cité
Etat ont ainsi multiplié les stratégies de lutte contre ce
risque. Ainsi la coopération entre les différentes agences de
sécurité nationale a été grandement
améliorée, effaçant la démarcation entre
sécurité intérieure et extérieure, via
l'établissement du Homefront Security Center, du Joint
Counter-Terrorisme Centre et du National Security Secretariat qui ont mis en
place des exercices d'opération contre terroriste. La
sécurité de la frontière avec l'Etat de Johore a aussi
grandement été améliorée. Au niveau de la
sécurité maritime, Singapour a été l'un des
premiers Etats au monde à strictement appliquer les exigences du code
International Ship and Port Security (ISPS) et de la Convention SOLAS (Safety
of Life at Sea) mises en place l'OMI qui permettent un meilleur contrôle
du mouvement, de la provenance et respect des consignes de
sécurité des navires et de leur équipage. La marine
nationale singapourienne escorte ainsi les navires à risques, tels les
tankers transportant du pétrole lors de leur passage dans les eaux
territoriales.
Malgré l'exemplarité
de ces mesures, celles-ci pourraient s'avérer bien insuffisantes.
Singapour ne maîtrise en effet qu'une part très limitée des
eaux du détroit et sans une coopération et un effort sur les deux
rives, les risques d'une attaque perdurent.
Du côté
indonésien en effet les réponses apportés sont loin
d'avoir été suffisantes et ceci pour plusieurs raisons. La
principale est le manque de moyen du secteur militaire, ce qui rappelle la
théorie de l'Etat faible qui, de ce fait, ne peut que se laisser se
développer les risques. L'armée indonésienne ne compte que
30,000 hommes, qui plus est assez mal équipés59(*). Mais surtout, on compte en leurs
rangs nombre de généraux éprouvant une certaine sympathie
voir convertis aux thèses radicalistes notamment au sein des Kopassus,
les forces spéciales de l'armée de terre chargées de la
lutte anti-terroriste. Leurs liens sont établis avec le Bureau
Indonésien pour la Propagation de la Foi (Dewan Dakwah Islamiyah
Indonesia, DDII), considéré comme la matrice de l'islam radical
contemporain, on peut donc sérieusement s'interroger sur l'aptitude de
l'armée à mener des enquêtes et des collectes
d'informations sur les organisations illégales et dangereuses
liées au terrorisme. Mais au-delà des piètres outils mis
à la disposition de la lutte anti terroriste indonésienne, le
gouvernement doit aussi compter avec des contraintes politiques. L'opinion
publique indonésienne, de plus en plus acquise aux thèses
radicales populistes, accepte en effet difficilement la participation des
autorités politiques à une lutte globale contre le terrorisme qui
a tendance à stigmatiser chaque jour un peu plus l'islam aux yeux du
monde. La popularité de certains « guides
spirituels » radicaux, la grande médiatisation de leurs
positions, oblige le gouvernement à agir à une ampleur
très mesurée dans la lutte contre le terrorisme.
De ce fait la coopération régionale dans la
lutte contre le terrorisme reste à un niveau insuffisant. Malgré
la coopération accrue entre les forces armées de
l'Indonésie et de la Malaisie, les partages d'informations plus
fréquents, chacun de ces deux Etats restent dans une position assez
timide. Le parti du premier ministre malaisien, l'Umno, est lui-même
politiquement menacé par le Parti Islamique de Malaisie (PAS) qui, bien
que ne pouvant être qualifié d'extrémiste, a amené
la place de l'Islam dans l'organisation de l'Etat sur le devant du débat
politique et accuse régulièrement le parti au pouvoir de trahison
vis-à-vis des musulmans pour l'accabler. Dans une préoccupation
purement politiste, le premier ministre Najib Tun Razak ne peut donc se
permettre d'afficher une trop grande détermination dans la lutte contre
le terrorisme. Des initiatives mettant en contact les trois pays ont pourtant
été prises, mais calquant celles prises à l'encontre de la
piraterie, ou se greffant tout simplement sur elles, elles s'avèrent de
nouveau insuffisantes.
Deuxième
partie : Une insuffisante coopération induisant l'implication
subtile d'acteurs extérieurs
I) Une
intervention extérieure difficile
Le déficit de
coopération entre l'Indonésie, la Malaisie et Singapour oblige
à une prise en charge des risques par les utilisateurs du
détroit. Cependant celle-ci se heurte aux impératifs de
souveraineté des Etats riverains ainsi qu'à une
intégration régionale trop faible.
A)
Une intervention vécue comme une offense à la souveraineté
nationale
Le manque de réponse des Etats du sud est asiatiques
face aux risques présents dans le détroit de Malacca est une
source d'inquiétudes pour tous les acteurs, étatiques ou non, qui
tirent de celui-ci des avantages. Soucieux de sécuriser leurs
intérêts, ils ont été tentés d'intervenir
directement dans la zone. Parmi eux, les acteurs économiques
privés et les Etats Unis ont tenté d'apporter leur contribution
à l'édification d'une stratégie de réponse aux
risques. Tous deux cependant, pour des raisons différentes, se sont vus
opposer la désapprobation des Etats riverains.
1)
L'opposition à une intervention privée
L'émergence d'une offre de sécurité
privée dans le détroit de Malacca est la preuve manifeste que la
sécurité n'y est pas pleinement assurée et que les efforts
conjoints des trois Etats ne sont pas suffisants. Dans un
calcul « coûts/avantages » propre aux
entreprises, les compagnies utilisatrices du détroit
préfèrent faire appel à des sociétés de
sécurité. Celles-ci ont profité de la niche crée
par l'inaction des Etats pour développer une activité qui
s'avère lucrative. Les résultats ne sont cependant pas
forcément au rendez vous et cette offre rencontre l'opposition des Etats
riverains du détroit, Indonésie et Malaisie en tête.
a) L'offre de sécurité privée
dans le détroit de Malacca.
La privatisation de la sécurité est un
phénomène qui touche l'ensemble du monde et notamment les zones
particulièrement soumises aux risques telles l'Irak ou l'Afghanistan
où l'action des sociétés de sécurité
privée a attiré l'attention internationale. L'Asie du Sud Est
n'est pas en reste dans ce phénomène.
Il s'agit d'abord de définir ce que l'on entend par
sociétés de sécurité privée car le terme
recouvre un nombre d'entreprises assez grand et aux services souvent fort
différents.
On se réfère souvent au terme de mercenaires
lorsque l'on évoque ces sociétés. Celui-ci désigne
« un soldat qui sert à prix d'argent, et pour un conflit
ponctuel d'un gouvernement dont il n'est pas ressortissant », et il
porte en lui une connotation péjorative. Il ne convient que très
partiellement aux sociétés employées par les compagnies de
navigation lors de leur passage dans le détroit de Malacca.
Grossièrement, on peut différencier trois types
de services offerts par ces sociétés de sécurité
oeuvrant dans le détroit.
Tout d'abord on peut citer, celles qui ne sont pas
armées et qui ont un rôle de communication et de
préparation aux risques de sécurité. Elles emploient
principalement des consultants qui vont indiquer les routes les moins
risquées, les natures des risques, la façon d'y répondre
en cas d'attaque,...
Ensuite on peut compter les sociétés proposant
des services de sécurité embarquées non armés.
Ceux-ci consistent en un suivi satellite des navires ou en une offre de
repérage de la cargaison ou du navire éventuellement
dérobés. Ces compagnies proposent aussi des systèmes
d'alerte des autorités plus performants et rapides.
Enfin, la dernière catégorie est celle posant le
plus de problèmes, celle des sociétés de
sécurité armées. Ces services sont le plus souvent
employés par les compagnies dont les navires transportent des cargaisons
dangereuses ou précieuses, tels les produits pétroliers. Leurs
prestations sont diverses. Elles incluent une surveillance du navire par des
escortes de vedettes sur les points les plus dangereux du détroit. Elles
peuvent aussi consister n une surveillance aérienne du navire par des
hélicoptères. Le coût de ces services est très
varié et peut aller de 10,000 à 100,000 dollars60(*) . Leur coût financier
doit donc être motivé par de grands intérêts
pécuniaires concernant la cargaison à bord. Les hommes de ces
compagnies sont bien souvent d'anciens membres des forces anti terroristes ou
des forces spéciales des armées locales ou
étrangères ayant donc une grande connaissance soit du terrain
soit des méthodes à employer en cas d'attaque. Armés de
fusils M-16 ou d'autres armes, ces sociétés sont souvent bien
mieux équipées que les gardes côtes locaux. Elles sont
aussi la plupart du temps détenues par des capitaux étrangers,
principalement britanniques (comme l'Anglo-Maritime Service Ltd ou Sandline
International), hollandais (Satellite Protection Service) américaines ou
suisses.
Leur rôle est avant tout dissuasif. Les
sociétés hissent ainsi sur les navires qu'ils protègent un
pavillon indiquant leur présence et leurs patrouilles
régulières. En cas d'approche d'un navire suspect, elles vont les
sommer d'arrêter leur progression. Si finalement, ces navires
n'obtempèrent pas, les agents de sécurité vont
sécuriser l'équipage en le regroupant dans un lieu sûr du
navire. En cas d'échec de toutes ces mesures dissuasives et donc
d'abordage du navire par des criminels, les agents doivent d'abord et dans la
mesure du possible utiliser des techniques de neutralisation des attaquants
basées sur les arts martiaux et le combat au corps à corps,
d'autant plus si les pirates ne sont armés, comme cela est bien souvent
le cas, que de machettes et d'armes blanches. L'utilisation des armes à
feu ne doit intervenir qu'en dernier recours et dans un contexte de
légitime défense face aux attaques.
Tel est du moins le discours officiel de ces
sociétés afin de s'assurer une bonne image publique. Les
exigences et les contreparties financières offertes par certaines
entreprises ainsi que certaines circonstances, exceptionnelles ou non, peuvent
faire basculer l'action de ces sociétés vers une
sécurité plus « musclée ». Ce risque
de dérive a été un des éléments à
l'origine de la désapprobation des Etats riverains du détroit de
Malacca.
b) Une action soumise aux critiques
La piraterie, tout comme le terrorisme, sont des risques non
conventionnels pour les Etats. Ces risques particuliers ont la
spécificité, au contraire de ceux émanant d'autres Etats
ennemis, de remettre en cause la forme étatique même.
Déjà pour Cicéron, le pirate est « l'ennemi
commun à tous » animé par des pulsions anarchiques et
ne désirant donc pas établir son autorité sur le
territoire de l'Etat mais le détruire et revenir à une loi du
plus fort61(*). Le
terroriste, malgré ses motivations politiques, a, à court terme,
l'objectif de créer un sentiment d'insécurité
généralisé, propre à la désorganisation.
Ces deux phénomènes sont donc des défis
pour l'entité étatique qui se trouve menacée. Dans ce
cadre, l'apparition d'acteurs privés luttant contre ces menaces, bien
loin de constituer une solution, est bien plus un signe du succès de
l'entreprise des pirates. En effet par l'emploi de société de
sécurité, le monde économique conteste la propension de
l'Etat à assurer la sécurité, ce qui est pourtant une
fonction régalienne primaire. Pour reprendre la formule consacrée
de Max Weber, l'Etat détient en effet « le monopole de la
violence légitime ». L'éventualité d'une
intensification de la sécurité privée est donc une menace
directe à la souveraineté de l'Etat.
Cette problématique de la souveraineté nationale
et de sa remise en cause n'est certes pas propre aux Etats riverains du
détroit de Malacca. Dans un monde où écoles, transports,
services de poste ou de distribution d'électricité sont de plus
en plus détenus par le secteur privé, c'est un défi
lancé à l'ensemble des Etats du monde. Il acquiert cependant dans
le détroit une portée accrue du fait que le domaine de la
sécurité est une chaise gardée traditionnelle de l'Etat et
du fait que ces Etats longtemps soumis au joug de la colonisation accordent une
importance particulière au respect de leur souveraineté.
La multiplication récente des activités de
sécurité privée dans le détroit a donc reçu
un accueil très froid de la part des Etats riverains du détroit.
La désapprobation vise en particulier et à vrai dire quasi
exclusivement les sociétés dont les agents de
sécurité sont armés. Comme il a déjà
été dit, ils le sont bien souvent mieux que les gardes
côtes locaux. En outre la Malaisie et l'Indonésie appliquent une
législation très stricte concernant le port d'armes à feu
illégal qui est considéré comme une grave offense à
l'Etat et peut être puni de lourdes peines de prisons.
Rappelant cette réalité, le ministre malaisien
des affaires étrangères a publiquement exprimé son
inquiétude vis à vis de cette tendance et des risques qu'elle
comporte. S'il est vrai que les agents de sécurité privée
ne représentent pas la majorité des sociétés ayant
des activités dans le détroit, ce sont bien eux qui ont
attiré l'attention des gouvernements et opinions publiques locales. De
nombreux risques ont pu être évoqués afin de justifier
l'interdiction de ses sociétés.
Le premier est celui de l'inéluctable escalade de
violence qu'induirait le recours à des sociétés
privées de sécurité utilisant des armes à feu.
Sachant que les navires sont de mieux en mieux protégés, les
pirates pourraient à leur tour s'armer plus lourdement afin de
déjouer ce rempart de M-16. Les conséquences d'un armement des
acteurs légaux ou illégaux du détroit bien loin de
diminuer les risques les augmenterait, en limitant peut être le nombre
d'attaques mais en augmentant les victimes de celles-ci. Le risque d'erreur est
aussi assez élevé. Les pirates du détroit ne sont pas
aisément repérables, se faisant souvent passer pour d'innocents
pêcheurs jusqu'à l'imminence de l'attaque. Dérivant vers la
paranoïa, ces sociétés, obsédées par le
risque, pourraient menacer l'activité du secteur halieutique
traditionnel et surtout la vie des hommes y travaillant. En outre le fait que
des pirates soient en réalité des membres des gardes côtes
des Etats riverains (Indonésie surtout) pourrait amener à des
accidents diplomatiques en cas de neutralisation de ces hommes certes corrompus
mais appartenant aux forces de l'ordre.
Accepter le recours à la sécurité
privée serait ensuite un terrible désaveu vis-à-vis des
forces de l'ordre locales que les gouvernements ne peuvent se permettre. Ils
ont besoin d'elles pour améliorer la sécurité dans le
détroit et, plus généralement, aucun pouvoir politique ne
peu survivre en se mettant à dos sa police ou son armée. En
Indonésie plus particulièrement, cette dernière est depuis
l'accession à l'indépendance un fort contre-pouvoir.
Pour toutes ces raisons, la Malaisie et l'Indonésie ont
remis à l'ordre du jour des législations nationales et des normes
de la convention de Montego Bay préexistantes. Cette dernière,
comme il a été vu, n'autorise que le passage inoffensif dans les
eaux territoriales d'un Etat et la Malaisie et l'Indonésie sont donc
internationalement fondées à empêcher le passage par leurs
eaux de navires n'étant pas pacifiques. En Malaisie, le Private Agencies
Act de 1971 a mis en place toute une série de dispositions limitant le
passage des navires de sécurité privée dont Kuala Lumpur
peut user aujourd'hui pour limiter l'activité des
« mercenaires ». La position de Singapour sur la question
est comme bien souvent différente de celle de ses voisins. Elle est
marquée par une profonde ambigüité : les
activités de sécurité privée armées sont
interdites à l'intérieur de sa juridiction mais la
cité-Etat abrite les sièges d'au moins cinq de ces
sociétés qui ont été identifiées comme
armant leurs agents. Et le gouvernement se garde bien de retirer leurs
agréments à ces sociétés, pourtant demandé
par Jakarta et Kuala Lumpur. Dans les faits, Singapour interdit donc ses
activités sur son territoire mais a plutôt tendance à les
encourager implicitement dans les eaux de ses voisins qu'elle suspecte souvent
d'inefficacité dans la lutte anti terroriste et anti piraterie. Elle ne
peut en effet que soutenir à mots couverts une activité qui
sécurise le passage par le détroit et dynamise son secteur
portuaire.
L'efficacité de ces services est pourtant à
remettre en question. Si les positions indonésiennes et malaisiennes
peuvent être catastrophistes, et surtout avoir la néfaste
conséquence d'amalgamer sécurité armée et non
armée, jetant l'anathème sur la sécurité
privée dans son ensemble ; l'efficience des ses
sociétés est de l'aveu même des professionnels du monde
maritime, plutôt mitigée. Cité par Eric
Frécon62(*), un
responsable français d'une société de transports maritimes
basée en Insulinde, le recours aux sociétés de
sécurité privée peut être à l'origine de
complication juridiques et administratives car étant souvent non
officielles, ces missions de protection peuvent dégénérer
et entrainer des poursuites émises par les autorités locales ou
par d'autres entreprises au cas où leurs intérêts seraient
touchés au cours d'éventuels échanges de tirs.
Malgré cela, l'activité de
sécurité privée est en plein essor dans le détroit.
Les Etats riverains, déjà incapables de lutter contre la
piraterie n'ont souvent aucun moyen pour vérifier si les agents à
bord des navires sont armés ou non. Si les sociétés
évaluant les risques ou augmentant la sécurité à
bord des navires sont une part normale du « risk
management », l'action, surmédiatisée, de celles
employant des armes à feu pourrait détruire l'image du secteur
tout entier. Le para militaire ne peut constituer une réponse au risque.
Il est à l'heure actuelle plutôt à l'origine de nouveaux
risques. Il est surtout trop contingent et n'assure qu'une
sécurité très partielle dans le détroit. La
sécurité pour être viable se doit d'être
assurée par des acteurs étatiques.
2) Une présence américaine
incontournable mais limitée par des facteurs nationaux
Superpuissance mondiale, les Etats Unis sont un acteur qui ne
peut être écarté dans aucune zone géographique.
L'Asie du sud est ne fait pas exception. Comme il a déjà
été dit, après plus d'une décennie de retrait de la
sous région, les Etats Unis sont revenus sur le devant de la
scène. Et Washington s'est dit particulièrement inquiet des
risques sécuritaires planant sur le détroit de Malacca. Pour le
gouvernement fédéral, la priorité est donnée depuis
la présidence G.W Bush sur le terrorisme, mais la piraterie est aussi
considérée car elle est potentiellement un facteur aggravant et
une menace pour les intérêts économiques américains.
Dans ce contexte, pourquoi les Etats Unis ne pourraient ils
prendre la tête de la gestion des risques sécuritaires ? Si
leur présence est incontournable, elle est cependant limitée par
des divergences tactiques et idéologico-religieuses.
a) Un partenariat prudent dans la lutte
anti-terroriste
Au lendemain du 11 septembre 2001, l'Asie du Sud Est renait
comme priorité pour le gouvernement américain. Le retour des
Etats Unis est officialisé par une conférence entre des officiels
américains et les dix pays membres de l'ASEAN en novembre 2001. La
réaction des Etats riverains du détroit sont différentes.
Singapour, fidèle allié, assure son profond soutien à
l'Amérique dans sa lutte contre le terrorisme. L'Indonésie et la
Malaisie ont des réactions plus mitigées mais pour des raisons
différentes.
La Malaisie prend une part active dans la lutte contre le
terrorisme tout en évitant d'être trop associé à
Washington qu'elle critique alors pour son intervention en Afghanistan. Elle
s'emploie donc à prouver qu'elle peut mener la lutte anti terroriste
sans une intervention directe de troupes américaines sur son sol.
La position indonésienne, si elle s'adosse en partie
sur les mêmes bases, est spécifique. Depuis les incidents violents
qui avaient éclaté au Timor Oriental et dans l'archipel des
Moluques, les Etats Unis suspectent l'armée indonésienne de
s'être livrée à des crimes de guerre. Le Congrès a
donc fait voté en 1999 une loi interdisant la coopération entre
l'armée américaine et indonésienne. Depuis lors les
relations entre les deux pays ne se sont pas régularisées sur le
plan militaire. La première étape de l'administration Bush sera
donc de prouver que, sans aide américaine, l'armée
indonésienne ne peut évoluer et répondre efficacement au
risque terroriste. En attendant Washington coopère largement avec la
police.
Les premiers temps de cette coopération anti terroriste
sont couronnés de succès. Les Etats Unis ont annoncé leur
intention de se limiter à des échanges d'informations, à
un financement des forces militaires, à des entrainements conjoints
destinés à former les troupes locales à la lutte anti
terroriste. L'approche est donc avant tout coopérative.
La stratégie de sécurité nationale de
2002 vient cependant remettre en cause ce bilan provisoire. Les Etats Unis s'y
expriment en faveur d'action préemptives contre des Etats
« voyous » afin de préserver au maximum les
intérêts américains. La déclaration de guerre contre
l'Irak en 2003 viendra confirmer la crainte des Etats d'Asie du Sud Est.
Ceux-ci se sentent directement visés, en particulier l'Indonésie
qui sait que Washington s'intéresse de prés au réseau de
la Jemaah Islamiyah qu'elle considère être le noyau coordinateur
du terrorisme en Asie du Sud Est. Elle sait aussi que la Maison Blanche lui
reproche son manque de réponse à ce risque. Ce faisant les Etats
Unis apportent une réponse basée sur la manière forte
alors que l'Asie du Sud Est s'était prononcée en faveur d'une
réponse à base de coopération, d'éradication de la
pauvreté, d'amélioration de l'information et
d'éducation.
Si la coopération dans la lutte anti terroriste
continue, elle se fait de plus en plus discrète et les Etats d'Asie du
Sud Est, à l'exception notable de Singapour, refusent désormais
d'être associés aux Etats Unis lors d'opérations trop
médiatisées. La nouvelle ligne de conduite américaine
constitue en effet une menace directe à leur souveraineté et une
remise en question de leur habilité à gérer leurs
problèmes internes.
Lorsque le problème de la piraterie se fit plus
important, les Etats Unis n'étaient donc pas dans une position leur
permettant d'apporter leur aide et leur support logistique. En 2004, face
à la multiplication des risques, le commandement de la septième
flotte américaine pour l'Asie et le Pacifique ainsi que le
secrétaire à la défense, Donald Rumsfled, fit ainsi la
proposition d'effectuer des patrouilles le long des côtes du
détroit avec des Marines à leur bord. Celles-ci devaient
s'effectuer dans le double cadre de la lutte contre le terrorisme et de
l'initiative régionale pour la sécurité maritime.
Singapour, toujours à la recherche d'un moyen de sécuriser sa
source principale d'activité se déclara en faveur du projet de
son grand allié. Au contraire, les deux autres Etats riverains y
opposèrent un refus catégorique. Kuala Lumpur et Jakarta le
voyaient comme une atteinte manifeste à leur souveraineté et peut
être une première étape à une intervention massive
et directe dans leurs enjeux de sécurité intérieure. Les
Etats Unis, à l'issue de cet épisode, sont donc apparus comme
décrédibilisés comme régulateur de la zone et
ébranlé dans leur perspective de répondre aux défis
du deuxième détroit le plus fréquenté au monde.
Il peut être opposé aux années de
présidence Bush, le renouveau apporté par Barack Obama. Le
nouveau président américain est résolument tourné
vers l'Asie et a refermé la page des réponses armées aux
défis sécuritaires. Cependant, les cicatrices de
l'interventionnisme américain sont loin d'être encore
refermées et il faudra surement plus de deux années de
présidence plus progressive pour faire oublier l'épisode irakien.
En outre, les menaces d'affrontement, direct ou indirect, avec la Chine sont
devenues plus présentes. Il s'agit donc maintenant de s'assurer de
ménager les deux superpuissances entre lesquels ils se retrouvent
coincés. Si le soutien des Etats Unis dans certains dossiers
(contentieux des Spratleys et Paracels) est indispensable, la Malaisie,
l'Indonésie et Singapour ne peuvent s'offrir le luxe de froisser
Pékin dont ils dépendent économiquement. Confier la
sécurité du détroit à Washington serait un
mouvement bien trop fort, susceptible de déclencher une crise d'ampleur
internationale, allant à l'encontre des trois Etats riverains du
détroit.
b) Une opinion publique musulmane opposée
à des liens trop forts avec Washington
La participation à la lutte contre le terrorisme
acquiert dans les pays musulmans d'Asie du Sud Est une dimension
supplémentaire qui vient entraver son bon déroulement. Les
gouvernements se trouvent en effet confrontés à une part de
l'opinion publique, animée par des groupes de pressions
résolument opposés à un alignement sur la politique de
Washington. Cependant, ce discours anti américain n'est pas seulement
à imputer à la confession religieuse de l'Indonésie et de
la Malaisie
A l'exception de Singapour, les Etats riverains du
détroit sont à forte dominante musulmane. Plus de 50 % de la
population malaisienne et 88% de la population indonésienne sont de
cette confession. Si l'opposition entre pays musulmans et alliance politique
avec les Etats Unis ne peut s'appliquer dans tous les cas (l'Arabie Saoudite
est un précieux allié avec les Etat Unis), elle convient
partiellement à la situation en Asie du Sud Est.
L'image des Etats Unis, au cours de la guerre contre le
terrorisme, s'est considérablement détériorée. Cela
tient à divers facteurs qui ne peuvent être analysés en
profondeur dans la cadre de cette étude, mais au nombre desquels on peut
citer l'alliance inconditionnelle avec Israël et les guerres
préemptives contre des Etats suspectés de déstabilisation
de l'ordre international. Surtout, la communication de l'administration Bush
à propos du phénomène terroriste a pu souvent être
perçu comme hasardeuse et a crée un amalgame entre terrorisme et
islam.
Dans ce contexte, l'alliance avec les Etats Unis a
été vécue négativement par une population qui,
confrontée à l'accusation de l'Occident s'est replié sur
des positions plus conservatrices. De ce fait, les partis politiques musulmans
ou islamistes ont accentué leur discours anti-américain et ont
simultanément gagné en audience. Comme le note Romain Bertrand,
on a assisté à une progressive « islamisation du
débat public » qui a cristallisé l'anti
américanisme. L'islam est devenu un thème de campagne majeur dans
ces pays et a désormais bien plus à voir avec le politique
qu'avec le religieux.
En Malaisie, l'islam est depuis les années 1980 un
argument que se renvoient les différentes factions politiques. Elles
s'adonnent souvent à une compétition équivalente à
mesurer laquelle respecte au mieux les principes de la charia. Le premier
ministre Mahatir Mohamad, responsable de la modernisation économique et
sociale de son pays, a ainsi, tout au long de sa carrière essuyé
des critiques vis-à-vis de son trop grand progressisme. Le thème
« d'Etat islamiste » est ainsi devenu un thème de
campagne de prédilection et l'une des attaques favorites à son
encontre, la seule réellement porteuse face à un bilan
très positif économiquement. Sentant que ce domaine était
son point faible l'Umno (le parti de Mahatir Mohamad) s'est emparé de ce
thème et a déclaré que la Malaisie était d'ores et
déjà un Etat islamiste. Le flou de la définition a permis
une surenchère sur le sujet et a confronté l'Unmo au Parti
Islamique de Malaisie (PAS). Ce dernier s'avère être de plus en
plus apte à confisquer le pouvoir à un Unmo comme le
démontre les élections législatives de 2008 où le
parti au pouvoir depuis l'indépendance a enregistré la plus
sévère défaite de son histoire. Le PAS reproche
très fréquemment à l'Umno ses accointances avec les Etats
Unis dans la lutte contre le terrorisme et la perte de souveraineté que
cela engendre. Afin de conserver le pouvoir, le gouvernement malaisien actuel
se doit don d'adopter une position médiane vis-à-vis de
Washington, et pour contrecarrer l'islamisation rampante du débat
publique, le Premier ministre actuel, Najib Tun Razak, se doit parfois de
donner le change en critiquant les Etats Unis. Il répond ainsi à
une rhétorique de refus de l'impérialisme populaire depuis la
guerre froide et l'entrée de Kuala Lumpur dans les camps des
non-alignés. Pour ces raisons, la Malaisie ne peut confier aux Etats
Unis un rôle trop important dans la sécurité du
détroit de Malacca.
En Indonésie, le discours anti américain
répond lui aussi au statut de bouc émissaire qui a
échoué à l'Islam sous l'ère Bush. Mais elle est
aussi liée à la condamnation politique de Washington des
agissements de l'armée lors des événements des Moluques ou
de l'accession à l'indépendance du Timor Oriental. Comme en
Malaisie, le parti au pouvoir se trouve de plus en plus menacé par des
partis aux convictions musulmanes assez extrémistes qui peuvent d'autant
plus s'adonner à la surenchère qu'ils ne participent bien souvent
pas aux coalitions gouvernementales au niveau national ou même local. La
simple évocation d'une coopération accrue avec Washington dans la
lutte contre le terrorisme déclenche une levée de boucliers qui
empêche Jakarta de s'impliquer en profondeur.
A l'arrivée, les Etats Unis, bien qu'impliqués
sur le terrain sud est asiatique, peuvent difficilement augmenter leur poids
dans la sécurisation du détroit de Malacca car ils obligent les
gouvernements à s'adonner à un jeu d'équilibrisme qui peut
politiquement être fatal.
B)
Des initiatives régionales encore trop rares
Devant l'acceptation assez difficile de l'aide
américaine par les pays riverains du détroit, on peut supposer
que les Etats de la région, riverains ou non, aient réagi dans la
gestion des risques du détroit. Cette partie de l'Asie comporte en effet
deux super puissances en devenir, l'Inde et le Chine. En outre, une structure
régionale, l'ASEAN s'est formé depuis les années 1960 et
peut sembler la plus à même pour répondre aux
différents défis de la navigation maritime.
Avant d'explorer plus profondément les actions de la
Chine et de l'ASEAN, il convient de se pencher sur l'Inde. De prime abord le
pays peut sembler être un acteur vital dans la zone. Culturellement
d'abord, l'Asie du Sud Est est de peuplement indien et historiquement les
royaumes indiens ont eu une forte influence sur le détroit de Malacca.
La colonisation par le Royaume Uni, puis la stratégie de non alignement
impliquant une non interférence dans les affaires internes des Etats
étrangers, ont cependant par la suite partiellement coupé New
Delhi de l'Asie du Sud Est. Si aujourd'hui l'Inde est revenue dans le jeu
international et si son aura est croissante, elle est aussi devenue un grand
allié des Etats Unis. On a pu ainsi remarquer qu'au niveau du
détroit de Malacca, elle s'est la plupart du temps greffée aux
opérations américaines. Elle se livre par exemple à des
patrouilles communes avec la marine américaine (200 patrouilles communes
en 2002) (63(*)). L'Inde est donc
surtout à envisager comme un soutien, certes majeur, des Etats Unis dans
l'action de sécurisation du détroit mais non comme un acteur
pleinement autonome.
1) La
crainte d'une domination chinoise
Il en va différemment de la Chine bien entendu. Le
détroit de Malacca est comme nous l'avons vu un espace qui, dans sa
stratégie de « collier de perles », est devenu
d'une importance stratégique significative. Grace à sa flotte
présente à l'est et à l'ouest du détroit, le pays
est désormais à même de bloquer le passage par le
détroit.
Dans une optique plus positive ce renforcement militaire
pourrait être un outil efficace pour assurer la sécurité du
passage dans le détroit. Mais la République Populaire ne semble
pas très impliquée dans ce problème régional. Elle
voit surtout l'Asie du Sud Est comme une zone militairement stratégique
où elle souhaite défendre ses intérêts.
Et ces intérêts sont souvent en contradiction
avec ceux des pays d'Asie du Sud Est, aboutissant à un climat de
méfiance vis-à-vis de l'implication du géant
septentrional.
Le contentieux le plus important et handicapant pour des
relations apaisées entre Pékin et ses voisins du sud est celui
concernant les iles Spratleys, un groupement d'îlots et de rochers
situés en mer de Chine méridionale. Elles ont une grande
importance essentiellement pour la richesse des sous-sols maritimes adjacents
en pétrole et gaz. Elles sont à l'heure actuelle
réclamées par plusieurs Etats. La République Populaire de
Chine tout d'abord affirme sa possession historique de l'archipel depuis
plusieurs millénaires et de surplus leur annexion (mais non leur
occupation) en 1909. Taiwan par conséquent les réclame aussi. Le
Vietnam s'appuie sur leur possession par le colonisateur français pour
affirmer qu'elles font partie intégrante de son territoire. A partir des
années 1950, ce sont les Philippines qui affirment leur pleine
juridiction sur celles-ci sous prétexte de leur occupation par ses
ressortissants. Enfin dans, s'appuyant sur le concept de plateau continental
mis à jour par la convention de Montego Bay, la Malaisie et Brunei vont
à leur tour revendiquer la souveraineté sur celles-ci.
Malgré les efforts d'instances internationales et régionales
(ASEAN en premier lieu), un règlement pacifique de la question est
encore impossible à l'heure actuelle. La Chine a plusieurs fois
tenté d'imposer par la force sa souveraineté sur les îles
en déployant des forces armées, en modernisant sa flotte ou
encore en effectuant des patrouilles aériennes. De ce fait l'implication
de Pékin dans le détroit de Malacca est peu souhaitée par
la Malaisie. Faire du détroit un espace où la
sécurité est confiée de fait à la Chine permettrait
un meilleur encerclement des îles et donc une défaite de Kuala
Lumpur dans le contrôle des ressources en hydrocarbures. En outre la
manière assez « musclée » dont le
gouvernement chinois a usé pour tenter de régler la question ne
laisse rien présager de bon en cas de différent à propos
du détroit de Malacca. Pour ces raisons, la Chine est vu comme un acteur
menaçant en Asie du Sud Est et son implication dans le détroit
est peu souhaitée par la majorité des acteurs en
présence.
Mais, les Etats d'Asie du Sud Est ont-ils réellement le
choix ? Les forces militaires de la Chine sont d'ores et
déjà postées autour du détroit et ont donc
virtuellement la possibilité d'agir sur la sécurité de la
zone. La tactique de Pékin sur les problèmes de piraterie et de
terrorisme n'est cependant que peu volontariste. L'Empire du Milieu est
lui-même confronté au phénomène du crime en mer dans
les eaux qui bordent ses côtes méridionales. Et à l'heure
actuelle, les actes de piraterie en mer de Chine méridionale sont plus
importants en nombre que celles survenant dans le détroit de Malacca.
Pékin n'est donc que peu intéressé par les risques dans le
détroit, ayant comme priorité ses propres eaux. En outre,
l'abaissement de la sécurité dans les eaux bordant le port de
Singapour pourrait être bénéfique pour les ports de Hong
Kong et Shanghai qui sont des concurrents directs. Les ports chinois pourraient
ainsi se démarquer de leur rival du sud en arguant de leur plus grande
fiabilité.
Enfin un investissement de grande ampleur de la Chine dans les
problématiques sécuritaires du détroit est peu probable
pour des raisons purement financières. La Chine, malgré sa
position de deuxième puissance économique mondiale, est toujours
un pays dont le développement humain et le revenu par habitant sont
assez faibles64(*). Or une
lutte efficace contre le phénomène de la piraterie et du
terrorisme implique comme il a été vu une aide au
développement et un financement des infrastructures locales. L'aide
publique au développement chinois reste donc assez faible, étant
elle-même un Etat récipiendaire majeur de l'aide internationale.
Sur ce volet, la Chine est donc bien peu capable de rivaliser avec l'action des
Etats Unis ou du Japon qui ont de plus grands moyens et une plus grande
expérience dans l'aide vers l'Asie du Sud Est. Il semblerait d'ailleurs
que Pékin soit plus intéressé par une aide et donc un
renforcement de son influence vers l'Afrique.
En définitif, la Chine semble encore destinée
à ne voir dans l'aire du détroit de Malacca qu'un verrou ou
plutôt un passage pour ses forces militaires. Son implication dans la
sécurisation de la zone ne se fait qu'incidemment et souvent par le
biais d'organisations multilatérales tel le ReCAAP qui sera
étudié plus profondément dans les parties suivantes. A
l'avenir cependant, si la Chine devient vraiment cette nouvelle super puissance
que certains prédisent, elle devra être plus impliquée dans
les problématiques de sécurité maritime du détroit,
et pour améliorer son image et ainsi paraitre moins menaçante
mais aussi pour ne pas perdre le contrôle de sa voie d'approvisionnement
en pétrole.
2) L'inadaptation de
l'ASEAN
Face aux volontés chinoises
et américaines, les pays d'Asie du Sud Est ont tout intérêt
à développer des structures régionales et des accords de
coopération afin de rester maitres de leur aire géographique. On
peu d'abord penser à l'ASEAN, l'Association des Nations du Sud Est
Asiatique qui est une organisation régionale plutôt ancienne et
qui donc pourrait être un moyen de mutualiser les efforts de
contrôle total du détroit. Elle semble cependant aujourd'hui mal
adaptée à la situation. En parallèle, la pression
internationale a poussé les trois Etats riverains du détroit
à des actions concertés qui bien qu'intéressantes, sont
largement insuffisantes.
L'ASEAN (ou ANASE si l'on utilise le sigle français)
est l'organisation régionale la plus importante en Asie du Sud Est. Elle
est crée en 1967 par la Thaïlande, la Malaisie, l'Indonésie,
Singapour et les Philippines qui sont rejoints en 1984 par Brunei puis dans les
années 1990 par les Etats communistes d'Asie du Sud Est (Vietnam en
1995, Laos et Myanmar en 1997 puis Cambodge en 1999). Son objectif premier est
de permettre la coopération et le dialogue sur les questions
économiques ou culturelles. Elle a également pour ambition de
rapprocher les Etats fondateurs dans leur volonté de non-alignement dans
le contexte de la guerre froide.
Si durant la guerre froide, les initiatives de l'ASEAN
permettent une coexistence pacifique avec les voisins communistes ainsi qu'une
position claire vis-à-vis du conflit cambodgien, les années 1990
voient un affaiblissement de la structure dans sa gestion des questions
politiques et sécuritaires. Celui-ci est dû à des facteurs
de plusieurs ordres.
La chute du bloc communiste diminue dans un premier temps
l'importance des questions de sécurité en Asie du Sud Est.
L'ASEAN décide donc de se concentrer sur les questions
économiques. Ceci est matérialisé par la mise en place de
l'AFTA (ASEAN Free Trade Area) qui à compter de 1991 puis surtout de
2001 permettent un abaissement significatif des droits de douane. L'ASEAN
devient donc une organisation à vocation fortement économique et
donc moins tournée vers la gestion des questions sécuritaires
La crédibilité de l'association devient en
parallèle chancelante. En effet l'ASEAN s'avère incapable
d'apporter une réponse coordonnée à la crise
économique de 1997 qui va fortement affaiblir ses Etats membres. La
communauté internationale va donc devant cette incapacité, se
détourner de l'organisation régionale qui va se trouver
marginalisée. La crise économique a aussi pour effet de
réduire les moyens des Etats membres les plus importants (comme la
Thaïlande et la Malaisie) qui contribuent donc moins au fonctionnement de
l'organisation qui voit ses moyens d'action se réduire. En outre
l'élargissement au Vietnam, au Laos, au Myanmar et au Cambodge dans les
années 1990 génère un important coût et beaucoup
d'initiatives vont alors viser à faire rattraper le retard
économique de ces nouveaux membres.
Lorsque dans les années 2000, les problèmes
sécuritaires (piraterie et terrorisme) refont surface, l'ASEAN apparait
ainsi comme une organisation obsolète à laquelle il ne peut
être fait confiance. Il va donc s'agir de promouvoir et de mettre en
lumières les défis sécuritaires trop longtemps
abandonnés. Ce n'est qu'en 2003 que l'ASEAN met en place une
communauté de sécurité qui bien qu'étant
décrite comme l'un des trois piliers de l'organisation, n'est encore que
balbutiante. La première réunion des chefs des agences de
sécurité des différents pays membre n'a eu lieu qu'en
septembre 2010 et la réalisation totale de la coopération
politique et sécuritaire au sein de l'ASEAN n'est prévue qu'en
2015. Il faut en outre ajouter qu'au niveau mondial, l'engouement pour
l'intégration régionale s'est quelque peu essoufflé,
notamment depuis la panne dans la construction européenne depuis 2005.
Cet ensemble de facteur forme ainsi un contexte peu favorable à la prise
en charge de la sécurité maritime par l'ASEAN. Si dans les
discours et notamment en 2003 lors du sommet qui a vu la création de la
communauté de sécurité, la piraterie et surtout le
terrorisme ont été désignés comme des points
prioritaires de l'ASEAN, les échanges se sont limités à
des déclarations de bonnes intentions et à des constatations de
l'amélioration de la sécurité maritime qui ne peuvent
être mis au crédit de l'organisation elle-même.
L'ASEAN ne trouve une réelle efficacité que
lorsqu'elle est épaulée par d'autres puissances. Son financement
repose tout d'abord beaucoup sur les aides américaines et japonaises. En
outre les décisions les plus importantes en matière de
sécurité maritime, notamment celles touchant au capacity building
des agences de garde côte ou de contre terrorisme, ont été
prises lors des sommets entre l'ASEAN et le Japon, la Chine et la Corée
du Sud. A l'heure actuelle l'ASEAN est donc une organisation qui n'est pas
initiatrice mais seulement réceptive des politiques de
sécurité.
II) Le
Japon, l'acteur extérieur le plus dynamique et le mieux
accepté
Il va être choisi dans cette dernière partie de
s'appesantir sur le cas de l'intervention japonaise dans le détroit de
Malacca. Ceci pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce qu'elle est ancienne
et a surmonté certains facteurs historiques. Ensuite parce qu'elle
parait être la plus efficace et la plus adaptée aux
réalités politiques sécuritaires locales
A) Un acteur étrangement
légitime
Au regard du passé du
Japon, il peut paraitre étrange que cet acteur soit si bien
accepté dans la région. Cette acceptation s'explique par une
occupation particulière durant la seconde guerre mondiale. En outre,
dans l'après seconde guerre mondiale, le Japon a été le
premier Etat à s'impliquer dans les problématiques de
développement des pays d'Asie du Sud Est et de navigation dans le
détroit, ce qui a forgé son image positive
1) Le
poids de l'histoire allégé
L'implication du Japon dans la gestion du détroit de
Malacca ne peut être considérée comme naturelle ou
prévisible. Certes, l'Empire du Soleil Levant est une puissance
économique de la première importance dont la viabilité
économique dépend fortement du flot continu d'importation de
matières premières (pétrole notamment) transitant sur les
routes maritimes internationales. Mais c'est aussi, pour reprendre l'expression
maintenant consacrée, un géant économique doublé
d'un nain politique tant la force de son économie n'a d'égal que
sa faible implication dans les grands dossiers internationaux. Son alignement
quasi permanent sur les positions américaines a ainsi pu être vu
par nombre d'observateurs comme la preuve d'un certain pusillanime. Il n'en
reste pas moins que le Japon est une puissance asiatique, donc certainement
plus proche culturellement des nations riveraines du détroit
pourrait-on arguer. Certes le Japon est une puissance régionale, mais
elle n'est pas n'importe laquelle. Elle traine derrière elle le fardeau
du souvenir des atrocités commises par l'armée impériale
durant la seconde guerre mondiale alors qu'elle occupait une grande partie des
Etats du continent asiatique, Malaisie, Indonésie et Singapour compris.
Dés lors, il apparait bien difficile de dire pourquoi l'aide et la
coopération avec le Japon apparaissent plus acceptables aux yeux des
Etats riverains du détroit que celle des Etats Unis ou de la Chine.
a) Une occupation moins traumatisante que dans l'Asie
du Nord Est
L'intérêt du Japon pour l'Asie du sud est et
pour le détroit de Malacca n'intervient pas inopinément au moment
de la montée en puissance économique de l'archipel. Il remonte
à quelques décennies plus tôt et revêt une forme bien
plus violente et hégémonique. Les idéologies
imprégnant le militarisme japonais des années 1930, telle celle
du clan Tosei-ha proche des hauts cercles militaires et de certains membres de
la famille impériale, n'ont jamais caché leur volonté de
créer une grande Asie sous domination japonaise. Le premier ministre
japonais, le prince Konoe annonce dés 1940 vouloir rendre l'Asie aux
asiatiques et donc la débarrasser des anglais, présent notamment
en Malaisie et à Singapour, des hollandais, présent dans
l'actuelle Indonésie et des français présent en Indochine.
Le 1er aout 1940 est crée la sphère de
coprospérité incluant selon les plans de l'armée
l'ensemble de l'Asie du Sud est. La débâcle française de
1940, entrainant le quasi abandon de l'Indochine, ouvra grand la porte à
l'armée impériale. Consécutivement à l'attaque de
Pearl Harbor le 7 décembre 1941, le Japon impérialiste lance une
offensive de grande ampleur sur l'ensemble de l'Asie. Le 15 février 1942
Singapour et la Malaisie tombent puis le 6 mars 1942, l'armée
hollandaise, bien affaiblie depuis l'occupation allemande de la
métropole européenne, capitule à Batavia (actuelle
Jakarta). L'occupation de ces territoires durera jusqu'au 15 aout 1945, date de
la chute du Japon.
L'Asie du sud est et donc les Etats riverains du
détroit de Malacca se retrouvent donc sous le joug japonais pendant la
seconde guerre mondiale. Cependant, si aujourd'hui les relations entre le Japon
et l'Asie extrême orientale (Chine et Corée) restent
crispées sur l'héritage sanglant de la seconde guerre mondiale,
celles avec les Etats d'Asie du sud-est semblent nettement plus chaleureuses,
ceux-ci accueillant volontiers l'aide nippone. De même aucune
protestation n'a émané des gouvernements indonésiens,
malaisien ou singapourien lors des visites controversées de l'ancien
premier ministre Junichiro Koizumi au sanctuaire Yasukuni de Tokyo où
sont notamment honorés des criminels de guerre. Dés lors pourquoi
les relations des nations d'Asie du Sud Est ne sont elles pas nourries de
ressentiments, pourtant légitimes, vis-à-vis du passé
impérialiste ?
Plusieurs raisons peuvent éclairer cette
différence de relations. Tout d'abord, il faut inscrire les rapports
nippo-asiatiques sur le long terme. Le Japon entretient des relations
étroites avec la Corée et la Chine depuis des siècles et
au cours de ceux-ci le Japon a maintes fois envahi la Corée, l'empire du
milieu et celui du soleil levant se sont livrés à nombre de
guerres se soldant par la victoire de l'un ou l'autre pays. Si on osait une
comparaison avec le continent européen, on songerait aux antagonismes
profonds qui jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale
émaillaient les relations de la France avec l'Allemagne ou l'Angleterre.
Au contraire, les relations du Japon avec l'Asie du Sud Est avant la seconde
guerre mondiale sont peu développés du fait notamment de la
distance géographique plus importante séparant les deux
régions et de l'isolationnisme japonais qui perdurera jusqu'en 1868.
Autre argument chronologique, l'occupation japonaise en Asie du sud est dure
moins de 4 ans alors que la Corée est annexée de 1910 à
1945 et que l'occupation, certes partielle, de la Chine commence en 1931 avec
l'invasion de la Mandchourie.
Mais la durée de l'occupation ne permet pas à
elle seule de mesurer son caractère traumatique, l'appréciation
psychologique est cruciale sur ce point. Et ici aussi nombre de
caractéristiques font différer les expériences du sud est
et du nord est asiatique. Quand le Japon envahit la Corée, il envahit un
Etat autonome et non colonisé, il bat donc les populations autochtones.
Lors de l'invasion progressive de la Chine, il met à genoux un pays qui
bien que non exempt de rapports de domination avec l'Europe n'est pas pour
autant colonisé. C'est en outre « l'Empire du
milieu », c'est-à-dire dans l'idéologie chinoise, le
pays au centre du monde. En Asie du sud est la situation est totalement
différente, la Malaisie (Singapour compris) et l'Indonésie sont
toutes deux colonisées, respectivement par l'Angleterre et la Hollande.
Et l'armée impériale va fortement jouer sur ce qui pourrait
presque être considéré comme un malentendu. Le Japon se
présente aux yeux de la population et des mouvements anti colonialistes
locaux comme le libérateur des populations asiatiques opprimées
par l'homme blanc. Ainsi le choc de l'invasion nippone est perçu
beaucoup moins violemment et certaines populations telle celle de la Birmanie
vont même chaleureusement accueillir les troupes. Bien rapidement
cependant, les illusions des locaux fanent quand bien loin d'apporter la
liberté et l'auto-détermination initialement promises, les
japonais ne font que devenir de nouveaux colonisateurs. Mais occupé par
une guerre qui s'enlise avec les Etats-Unis, le Japon ne peut occuper
complètement et efficacement les régions comme la Corée et
la Chine.
Si la Malaisie et Singapour sont annexés, surtout pour
la maitrise du détroit de Malacca et donc sous tutelle directe du
pouvoir central japonais, l'Indonésie, sans être
déclarée indépendante comme les Philippines, dispose d'une
certaine autonomie. En effet, un parti unique est crée, le parti Putera
avec à sa tête le futur libérateur, Sukarno. La raison en
est purement pragmatique : le Japon a besoin des ressources, notamment
énergétiques de l'Indonésie pour poursuivre l'effort de
guerre et ne peut se permettre une occupation totale du pays par manque de
moyens matériels. Il va donc s'appuyer sur les autochtones qui, bien que
victimes d'humiliations et d'un commerce à des termes
particulièrement mauvais qui va appauvrir l'économie nationale,
vont être plutôt épargnés. Ainsi les croyances
musulmanes de la population indonésienne vont être plutôt
respectées par l'occupant. Sur l'ile de Java, dés 1943, un
conseil consultatif des indonésiens musulmans est crée avec le
soutien du Japon. En Malaisie, les sultanats sont gardés bien que
vidés de leur pouvoir. Ainsi lorsque les japonais se retirent en 1945,
bien que la situation en Asie du Sud Est soit catastrophique, les groupes de
résistance nationale se sont renforcés, soit par la collaboration
soit par la résistance au nouvel occupant, et se sont tant
implantés qu'ils rendront la recolonisation
éphémère et finalement impossible. Dans l'histoire de ces
pays, l'occupation japonaise, malgré les exactions qu'elle a pu
entrainées, est aussi une période de transition qui va affaiblir
les colonisateurs et finalement mener à l'indépendance. Il est
ainsi compréhensible que l'attitude parfois révisionniste, ou
tout du moins indifférente vis-à-vis des événements
terribles engendrés par l'occupation, des gouvernements japonais
successifs soit peu ou pas vécue comme une offense par les gouvernements
et opinions publiques du Sud Est asiatique.
Cette analyse souffre cependant d'une exception notable.
Singapour a longtemps eu une attitude similaire à la Chine ou à
la Corée vis-à-vis du Japon. Les raisons en sont nombreuses et
répondent autant à des considérations factuelles que
psychologique. Il faut d'abord considérer que la prise de Singapour par
les japonais fut une bataille violente, bien plus que la conquête de
l'Indonésie ou de la Malaisie. Singapour était dans la
stratégie britannique la principale base militaire en Asie du sud-est,
le point à partir duquel Londres voulait défendre ses
intérêts dans la région. C'était en effet, comme
c'est toujours le cas aujourd'hui, un lieu stratégique du fait du
contrôle que la ville permettait d'avoir sur le passage maritime entre
l'océan indien et pacifique, c'est-à-dire entre l'Inde et
Hong-Kong, possessions britanniques. Ainsi le plus gros des forces armés
britannique se trouvaient à l'extrême sud de la péninsule
malaise en 1941 et les japonais se concentrèrent particulièrement
sur l'attaque de cette ville au moment de la conquête de l'Asie. La ville
fut bombardée à plusieurs reprises et à son large, la
bataille navale décisive dans la chute de ce point stratégique
fut menée. Il faut ensuite considérer la perception japonaise de
l'ennemi durant la seconde guerre mondiale. Alors que les malais ou les
indonésiens étaient vus comme des peuples inférieurs et
inaptes à l'indépendance et donc ne représentant que peu
de danger, les chinois, ethnie majoritaire à Singapour, étaient
depuis au moins 3 décennies pour le militarisme japonais et depuis des
siècles dans les esprits des dirigeants japonais les ennemis
régionaux principaux. Dés lors un effort particulier de
contrôle de la population fut entrepris par les forces d'occupation,
effort d'autant plus efficace du fait de la petite taille du territoire. Cet
effort se trouva néanmoins confronté à une
résistance active de la population chinoise structurée par des
associations et des partis politiques préexistants. Le succès des
ces guérillas fut sans conteste et à la fin de la guerre
celles-ci maitrisaient de vastes territoires aux abords et à
l'intérieur de Singapour. Dans l'esprit singapourien il existe ainsi une
mémoire de résistance à l'ennemi et donc une
définition des forces armées japonaises en tant qu'ennemi bien
plus forte que dans le reste de l'Asie du sud-est. Il faut en outre noter que
la désorganisation et le pillage économique induits par
l'occupation dégrada considérablement les conditions de vie de la
future cité-Etat. Contrairement aux ruraux malais qui pouvaient subvenir
à leurs besoins grâce à de petites exploitations agricoles
familiales, l'isolement géographique et le caractère urbain de
Singapour entrainèrent une sous nutrition et un rationnement constant
durant l'occupation. Ces années de souffrance et de pauvreté
furent donc en général plus dures pour la population que dans le
reste des territoires occupés. Cette cicatrice psychologique marqua la
société singapourienne pendant l'après guerre et notamment
sa classe politique dont les membres furent en part actifs dans les
guérillas de résistance. Ainsi le premier chef de gouvernement
singapourien, Lee Kuan Yew, véritable figure tutélaire dans
l'ordre politique national, éprouva durant toute sa longue
carrière (1959-1990) à la tête du gouvernement un
ressentiment et une méfiance vis-à-vis de ce qui était
alors devenu la puissance économique dominante de la
région65(*). Il
exprima aussi publiquement des reproches à un premier ministre japonais
ayant visité le sanctuaire Yasukuni.
b) De la crainte à l'admiration
Mais si dans l'immédiat après guerre, les
dirigeants de ces Etats nouvellement indépendants gardèrent une
certaine rancoeur ou méfiance vis-à-vis de l'ex occupant, le
Japon sut améliorer son image dans la seconde moitié du XXe
siècle. Comme le note Anthony L. Smith66(*), le Japon et l'Asie du Sud-est trouvèrent
rapidement des objectifs communs. Ceux-ci sont de deux natures :
politiques et économiques.
Dans le volet politique, il faut remarquer que la principale
crainte de ces Etats nouveaux nés dans les années 1960 et 1970
(parfois jusque dans les années 1980 et 1990) fut la menace communiste.
Dans chacun des trois Etats riverains du détroit, des partis communistes
très actifs et des guérillas infligèrent une pression
constante sur les gouvernements et menacèrent la stabilité ainsi
que le développement économique. Dés lors, malgré
le non-alignement officiel de l'Indonésie et de la Malaisie, ces Etats
durent s'accommoder d'une certaine coopération avec les Etats-Unis,
soucieux d'endiguer l'expansion communiste dans la région afin
d'éviter un deuxième Vietnam. Le Japon, dans cette optique
était, en tant qu'allié des Etats-Unis, dans le même camp
que les pays d'Asie du Sud-est car lui aussi fortement anti-communiste et
essayant de contrer la montée en puissance de l'extrême gauche.
L'ASEAN est crée notamment dans ce but en 1967 avec le soutien
appuyé du Japon : elle permettait d'unifier l'Asie du Sud-est non
communiste. Mais les intérêts mutuels du Japon et de l'Asie du
sud-est étaient bien plus importants dans le domaine économique,
et la création de l'ASEAN en est d'ailleurs le témoin. Dans son
expansion économique, le Japon s'aperçut bien rapidement, que le
manque de matières premières serait un obstacle à la
réussite. Et l'Asie du Sud-est s'avéra être le fournisseur
le plus proche et le plus pratique pour le Japon. Forte de ressources
énergétiques certes moins conséquentes que le Moyen-Orient
mais plus proche géographiquement, l'Indonésie allait devenir un
partenaire important du commerce extérieur japonais. Ainsi l'Empire du
Soleil Levant est le premier acheteur des exportations indonésiennes
(17,28% de celles-ci lui sont destinées) et un peu moins de 9% des
importations indonésiennes sont en provenance du Japon67(*).
La peur du Japon militariste est bientôt balayée
par la fascination du miracle économique. Le pays, anéanti au
lendemain de la seconde guerre mondiale réussit en à peine 20 ans
à devenir l'une des premières puissances mondiales en terme
économiques. Les pays du Sud Est se mettent à observer
attentivement le schéma de croissance nippon qui a fait en outre des
émules : la Corée du Sud ou encore Taiwan qui l'ont suivi
sont eux aussi devenus des pays industrialisés prospères.
L'Indonésie et surtout Singapour et la Malaisie vont lorgner sur ce
développement et mettre en place des politiques pour se rapprocher de
l'Empire du soleil levant. Le cas le plus intéressant est la politique
« Look East » engagée par Kuala Lumpur visant
à lier la péninsule au boom économique nippon et suivre
son exemple de réussite économique. Même Lee Kuan Yew ne
put s'empêcher de reconnaitre la réussite japonaise, lui qui avait
un ambitieux projet d'industrialisation pour son pays.
2) Une présence dans le détroit de
longue date
Muées par une admiration induite par le succès
économique les relations entre le Japon et l'Asie du Sud Est ne
restèrent pas exemptes de suspicions à l'encontre de l'ancien
occupant. Si le passé militariste pouvait occasionnellement les animer,
ce fut bien plus souvent la crainte d'une hégémonie
économique et d'un capitalisme sauvage qui les firent survivre. La
Japon, en tant qu'utilisateur principal du détroit a donc dû
prendre en charge les responsabilités qui lui incombaient. Ce faisant il
s'est imposé comme légitime pour intervenir dans les
problématiques du détroit.
a) Un Etat usager responsabilisé
Usager, le Japon l'est à plusieurs échelles. Il
est d'abord « usager » des économies d'Asie du Sud
Est qui sont autant une source d'approvisionnement qu'un débouché
pour l'industrie nippone. Ce rôle a pu être à l'origine de
tensions. Le Japon est connu dans l'après seconde guerre mondiale, et
dans une certaine mesure encore aujourd'hui pour avoir une politique
extérieure assez pragmatique, guidée quasi exclusivement par ses
intérêts économiques. Le gouvernement fait d'ailleurs
savoir que ses principaux intérêts dans la région sont les
sources d'approvisionnement en matières premières, les
débouchés économiques et le détroit en tant que
voir de passage obligée. Face à cela la Malaisie et surtout
l'Indonésie craignent un impérialisme d'un nouveau genre
où l'Empire du Soleil Levant, n'agissant que par intérêt,
mettra en position de dépendance ses voisins du sud. Pour ces pays,
engagés dans le mouvement des non alignés et dans une politique
d'industrialisation par substitution des importations, cette situation est
inadmissible. Les suspicions enflent, allant jusqu'à des manifestations
anti japonaises lors de la visite du premier ministre Tanaka en 1974. Afin
d'éviter la compromission de ses intérêts dans la
région, le premier ministre Fukuda dessine une nouvelle ligne de
conduite du Japon en Asie du Sud Est que l'histoire retiendra sous le nom de
« Doctrine Fukuda ». Celle-ci est axée sur trois
point : (1) Le Japon rejette tout rôle militaire et est
déterminé à contribuer à la paix et à la
prospérité en Asie du Sud Est, (2) le Japon fera de son mieux
pour consolider la relation de confiance mutuelle basée sur une prise en
compte profonde de la situation des uns des autres (3) le Japon sera un
partenaire égal de l'ASEAN et de ses Etats-membres et coopérera
en soutenant leurs efforts propres, tout en forgeant une relation de
compréhension mutuelle avec les Etats d'Indochine, et contribuera de
plus à l'édification de la paix dans toute l'Asie du
Sud-est68(*). Le but de
cette stratégie est avant tout de rassurer les Etats du Sud Est
asiatique de la crainte d'un Japon basant ses relations sur ses propres
intérêts matériels uniquement et d'inclure dans celles-ci
des objectifs de développement et de rapprochement culturel. Ainsi Tokyo
améliore son image dans la région ce qui lui permet à
l'avenir de pouvoir proposer et agir pour la sécurité et la
navigation dans le détroit sans être taxé de pur
opportunisme.
Usager, il l'est surtout dans le détroit de Malacca
dont il est le principal utilisateur.
Comme nous l'avons vu, le Japon est fortement dépendant
du détroit dans ses importations pétrolières et dans ses
exportations. Selon l'Ocean Policy Resarch Foundation, les navires appartenant
à des compagnies japonaises représentent environ 0,75 milliard
M /T sur les 4 milliards totales transitant chaque année69(*). Cet important trafic, s'il
engendre des retombées économiques positives pour les Etats
riverains, est aussi à l'origine de problèmes d'ordre
sécuritaire et environnementaux, ainsi que de coûts
économiques.
Nous avons déjà traité des risques de
piraterie et de terrorisme dans le détroit, mais rappelons que ceux-ci
sont alimentés en partie par l'intensité du trafic dans le
détroit. Ils obligent les Etats riverains à multiplier les
opérations de sécurité civile ou militaire fort couteuses.
La forte activité maritime japonaise induit aussi de nombreux
contentieux d'ordre environnementaux. C'est en effet du pétrole qui
transitent par le détroit et comme les tragédies de l'Erika ou du
Prestige en France nous le rappelle le risque de marée noire est
toujours présent et à même de créer des remontrances
à l'encontre du pays auquel appartient la société à
l'origine du drame70(*).
Dans le cadre du détroit, certains navires appartenant à des
compagnies japonaises ont étaient à l'origine de vives
polémiques plaçant Tokyo dans l'embarras. Le Showa Maru fait
naufrage en 1975 et déverse 7700 tonnes de pétroles dans les eaux
du détroit. Il est suivi par le Nagasaki Spirit en 1993 qui,
après avoir été détourné, entre en collision
avec un autre navire provoquant le déversement de 13 000 tonnes
d'hydrocarbures. En 1992 le périple de l'Akatsuki Maru qui transportait
du plutonium de Cherbourg à Yokohama a mis à jour les enjeux
environnementaux présents dans le détroit. L'ensemble des Etats
riverains et une part significative de la communauté internationale
s'était alors opposé au passage du navire prétextant des
risques nucléaires. Ces événements, par leur ampleur et
leur retentissement au sein de l'opinion publique cachent cependant la
réalité de la pollution marine, la plus fréquente
étant celle produite par l'écoulement des eaux usées
servant au nettoyage du bateau et qui contiennent en forte quantité des
substances toxiques.
L'ensemble de ces problèmes a fait apparaitre la
responsabilité du Japon dans l'entretien de l'environnement du
détroit. La multiplication de ceux-ci aurait pu entrainer une
détérioration de l'image du pays dans la région, ce qui
pourrait mettre en péril l'utilisation du détroit par l'archipel
extrême oriental. Il fut donc très tôt décidé
par le Japon de s'impliquer dans la sécurisation du passage maritime.
Parallèlement, la prise de conscience des Etats riverains de leur
incapacité à assurer seul la sécurisation et la gestion de
leur « bien commun » va amener à une acceptation de
l'aide étrangère et même à son appel. Le
déclic est complet en 2005 lorsque la compagnie d'assurance Lloyd's
décide de classer les détroits de Malacca comme zone à
haut risque. La conférence tripartite qui suivra, à Batam outre
le regret exprimé vis-à-vis de cette classification, va, pour la
première fois, voir l'aide des Etats usagers formellement
acceptée par les riverains, en accord avec la convention de Montego Bay
qui prévoit que les Etats usagers doivent participer aux couts et aux
initiatives d'entretien des voies de navigation internationales qu'ils
traversent. En tant que première utilisateur, le Japon doit
naturellement s'investir, mais en quoi est-il plus légitime que
d'autres ?
a) Le positionnement stratégique du
Japon
Premier utilisateur du détroit, il apparait logique que
le Japon soit investi dans la gestion. Mais des facteurs, cette fois non pas
historiques mais touchant les alliances présentes du pays s'opposent
à cet investissement nippon dans la zone.
Il est ici bien sûr question de l'alliance militaire
entre le Japon et les Etats Unis. Celle-ci est matérialisée par
le traité de Washington par lequel le Japon reconnait le géant
d'Amérique du Nord comme le principal défendeur de l'archipel.
Dans les faits, la politique extérieure japonaise s'est toujours
inscrite dans l'approbation des décisions du secrétariat d'Etat,
surtout pendant la période de la guerre froide où pour se
prémunir des voisins communistes (URSS et Chine), Tokyo comptait sur la
force de frappe nucléaire américaine et le caractère
dissuasif qu'elle induisait. Dés lors comment les Etats riverains du
détroit de Malacca ne voient ils pas l'intervention nippone comme une
intervention américaine déguisée ?
La différence de traitement tient essentiellement
à des considérations de politique intérieure du Japon. Le
Japon est limité dans sa capacité à intervenir
militairement à l'extérieur de son territoire par l'article 9 de
sa constitution dans lequel le pays abandonne tout rôle militaire
international. De ce fait Le japon ne peut proposer des patrouilles de sa
flotte militaire dans les eaux territoriales étrangères et ne
peut participer à une coopération purement militaire.
Malgré un débat interne vis-à-vis de la pertinence de cet
article au sein du monde politique japonais, l'opinion publique s'affirme
toujours dans sa majorité comme approuvant de principe. Les Etats d'Asie
du Sud Est se voient donc beaucoup moins menacés par l'intervention
japonaise qui est obligatoirement moins interventionniste et qui ne peut
compromettre gravement la souveraineté de l'Indonésie ou de la
Malaisie. En outre, le Japon a en Asie depuis une quarantaine d'années
une politique de démarcation vis-à-vis de l'allié
américain car il a bien compris que pour s'imposer il devait apparaitre
moins soumis à l'hégémonie de son puissant partenaire.
Dans cette optique l'alternance survenue à la tête de l'Etat
après les élections de septembre 2009 et l'arrivée au
gouvernement du Parti Démocrate du Japon (PDJ) emmené par Yukio
Hatoyama a été vécue positivement. Ce parti est beaucoup
moins partisan d'une alliance inconditionnelle avec Washington. Pour preuve,
l'un de ces thèmes de campagne a été la relocalisation des
bases américaines d'Okinawa, objet d'une intense controverse du fait des
nuisances qu'elles entrainent pour la population locale et des questions de
souveraineté qu'elles soulèvent71(*).
Le caractère pragmatique de la diplomatie japonaise est
un autre élément apprécié par des pays qui
acceptent mal l'interventionnisme sur des questions de politique
intérieure. Le Japon, malgré sa constitution idéaliste (du
fait de son rejet de la guerre), est dans ce contexte bien différent des
Etats Unis qui peuvent être considérés comme moralisateur
et « droit de l'hommiste ». La position du gouvernement
Koizumi vis-à-vis de la situation dans la province d'Aceh est
révélatrice. Depuis plusieurs décennies, cette
région située au nord de Sumatra connait un mouvement
indépendantiste avec lequel Jakarta est réfractaire à la
négociation. Sa gestion du dossier a même pu connaitre des
épisodes de grande violence via des opérations militaires
destinées à écraser le Free Aceh Movement. Cette
région est d'un intérêt primordial pour Tokyo du fait de sa
proximité avec le détroit. Sa déstabilisation pourrait
marquer une recrudescence de l'insécurité dans les eaux la
bordant et même la survenance de nouveaux actes terroristes. Cependant le
gouvernement japonais s'abstient souvent de condamner la violence de
l'Indonésie, et bien que se prononçant pour le règlement
pacifique de la question (Tokyo a accueilli des conférences de
négociations en 2002), il est avant tout en faveur de
l'intégrité territoriale de l'Indonésie aux dépens
parfois des impératifs affairant aux droits de l'homme. Cette position
est tout autant dictée par la peur du Japon de voir l'émergence
d'un Etat encore plus inadapté à répondre aux défis
du détroit que par la volonté de non interférence dans les
affaires internes indonésiennes. Elle lui vaut une certaine confiance de
Jakarta qui le voit désormais comme un acteur moins pressant que les
Etats Unis.
Compter sur le Japon est donc un moyen de diversifier la
dépendance des pays riverains vis-à-vis des Etats Unis et de la
Chine qui à l'avenir pourrait se disputer le contrôle de la zone.
Le Japon par son attitude se place lui aussi dans la course à
l'influence sur l'Asie du Sud Est qu'il craint de voir entièrement
englobé dans l'aire d'influence de l'Empire du Milieu.
B) Formes et performances de
l'intervention japonaise
Fort d'une intervention globalement bien accepté par
les Etats riverains, le Japon a su, au cours des cinquante dernières
années, s'imposer comme le principal fournisseur d'aide dans le
détroit de Malacca. Grace à des compétences technologiques
que les Etats riverains ne possédaient pas. Cette assistance a
historiquement pris deux formes : l'une basée sur des organismes ad
hoc de coopération contrôlés par le pouvoir politique
nippon, l'autre sur une aide bilatérale visant à
développer les capacités des pays d'Asie du Sud Est.
On note toutefois depuis une quinzaine d'années une
intégration galopante dans la région ce qui a poussé le
Japon à opter pour une promotion de la coopération qui ne va pas
sans poser de nouveaux défis à la coopération.
1) L'amélioration des conditions de navigation
dans le détroit : une priorité.
Tokyo a très tôt mis en place des politiques et
des organismes visant à apporter des outils de navigation indispensables
à une navigation sécurisée dans le détroit et
à une réponse aux risques. Parallèlement, le gouvernement
a fait de l'Asie du Sud Est l'un des principaux récipiendaires de son
aide public au développement.
a) L'action du Malacca Strait Council
Le premier problème auquel fut confronté le
Japon fut l'absence de réglementation de la navigation maritime dans le
détroit. La croissance exponentielle du trafic couplée à
la délimitation hasardeuse des voies de passage présageaient de
risques d'accidents et même de blocage du détroit.
Le gouvernement japonais décide donc en 1969 de
créer un organisme qui sera à l'avenir en charge
d'améliorer les conditions de navigation dans le détroit :
le Malacca Strait Council (MSC). Bien que d'initiative gouvernemental, le
Conseil se veut surtout être un regroupement des différents
acteurs économiques japonais ayant des intérêts dans le
transport maritime international. Son financement marque bien cette dimension.
L'Etat japonais n'a contribué qu'à hauteur de 5% aux
activités mises en place par le conseil alors que les associations des
différents secteurs industriels intéressés par la
situation dans le détroit sud est asiatique (assurance, distributeurs de
pétrole, constructeurs et opérateurs de navires de commerce) y
ont contribué à hauteur de 12%. Son principal financement vient
de la Nippon Foundation (à 74%) qui est une association privée
à but non lucratif qui, en dehors de sa promotion de l'éducation
ou de la santé publique, est spécialisée dans le transport
maritime. Il est à noter que la fondation a souvent été
taxée de nationaliste du fait du passé trouble de son fondateur,
Sasakawa Ryoichi, et de son financement des partis ultra nationalistes
japonais. Mais l'origine des fonds du MSC n'a jamais posé de
problèmes ou de débat parmi les Etats riverains du
détroit, preuve du peu de contentieux entre le Japon et l'Asie du Sud
Est vis-à-vis du passé militariste. La Nippon Foundation permit
donc dans le MSC une passerelle entre le gouvernement (elle a toujours agi en
coopération avec les gouvernements successifs) et le secteur
privé de l'industrie maritime dont Sasakawa faisait partie en tant
qu'organisateur de course de bateaux à moteur. En fait, la course de
bateau est l'un des seuls sports sur lequel il est permis de parier au Japon et
ce grâce au lobbying de Sasakawa qui selon certains aurait promis en
échange un soutien appuyé au secteur de la marine marchande. On
peut donc supposer que le gouvernement japonais a utilisé la Nippon
Foundation comme un moyen indirect d'intervenir dans le détroit, tout en
prenant en compte les attentes des acteurs privés.
La première tâche du MSC entre sa fondation et
1975 fut de réaliser des relevés hydrographiques afin de
permettre la réalisation d'un schéma de séparation du
trafic. Il fallait en effet connaitre la profondeur des eaux du détroit
pour définir quelles étaient les chemins les plus praticables
pour les navires de grande dimension en transit. C'est principalement
grâce à ces relevés que put être établit la
convention du 24 février 1977 qui met en place l'organisation de la
navigation dans le détroit.
Parallèlement, dés sa fondation, le MSC veille
à développer des moyens de navigation modernes que les Etats
riverains ne peuvent pas financer. En tout, jusqu'à aujourd'hui ce sont
environ 45 aides à la navigation, soit la quasi-totalité des
aides présentes dans le détroit, que le MSC a offert aux trois
Etats riverains (principalement à l'Indonésie et ensuite à
la Malaisie). Celles-ci consistent en des phares, des balises et des
bouées lumineuses qui permettent un meilleur repérage des
côtes et des routes maritimes dans le détroit. A partir de 2008,
un fond spécial, le Navigational Aid Fund, a été
crée afin de centraliser les fonds destinés à l'entretient
et à l'installation de ces infrastructures. La Nippon Foundation,
à l'origine de l'initiative, contribue à hauteur de un tiers du
budget du fonds72(*).
Enfin, afin d'apparaitre comme un acteur
responsabilisé, le Japon, via le MSC et le Nippon Foundation, contribue
au fonds de lutte contre la pollution marine, destiné à
dédommager les acteurs publiques et privés victimes d'une
éventuel marée noire ou d'autres risques environnementaux.
Le Japon, avant même la mise en place de la convention
de Montego Bay en 1994, était donc déjà un Etat usager
participant à la gestion et aux coûts de l'utilisation
internationale du détroit de Malacca. Cette participation traditionnelle
lui vaut d'être encore aujourd'hui le leader dans l'amélioration
des conditions de navigations dans le détroit
Page suivante : Carte des aides à la
navigation offertes par le Malacca Strait Council73(*)
b) Une stratégie de « capacity
building »
A partir des années 1980, avec la ratification de la
convention de Montego Bay notamment, les problèmes de
délimitation des frontières maritimes entre les trois Etats
riverains du détroit ont tous plus ou moins été
réglés et l'organisation du trafic fut aussi achevée. Mais
les années 1990 virent la recrudescence des actes de piraterie et les
années 2000 l'intensification de la menace terroriste. Le Japon,
déjà implanté dans la zone continua donc son action en se
concentrant sur ces nouvelles menaces à la libre circulation dans le
détroit.
L'une des principales sources d'inquiétude dans la
sécurité maritime dans le détroit est, comme il a
déjà été vu, le manque de moyens des pays
riverains, et surtout de l'Indonésie à même de
répondre efficacement à ces défis. Outre le manque de
moyen financier il existe en outre un manque de moyens techniques et
technologiques, en somme une absence d'expertise dans le domaine de la lutte
contre la piraterie et le terrorisme. Ne pouvant intervenir directement dans le
détroit, le Japon a été l'un des pionniers à
développer une stratégie de capacity building principalement
destiné à combler les lacunes indonésiennes.
On peut définir le capacity building comme une
assistance fournie à des entités telles les
sociétés des Etats en voie de développement qui ont besoin
de développer des compétences et une expertise ou de
développer celles-ci afin de s'adapter aux impératifs d'un nouvel
ordre. C'est donc un processus par lequel les Etats récipiendaires de
l'aide développent leur autonomie dans la gestion des risques. Elle
passe donc tout d'abord par une identification des besoins par l'Etat
lui-même qui doit avoir ainsi un horizon, un objectif de performances.
L'aide apportée peut prendre des formes différentes. Tout d'abord
le développement des ressources humaines via l'équipement
matériel, la formation, le partage de l'expertise et de l'information.
Ensuite, il peut s'agir de la mise en place d'organisation élaborant des
structures de management et des procédures. Enfin l'amélioration
du cadre législatif et institutionnel peut une part de la
stratégie de capacity building.
L'action du Japon en Indonésie a suivi ce modèle
afin de fournir des moyens d'assurer la sécurité maritime tout en
respectant la souveraineté de l'Etat. Dans sa forme d'abord, l'aide
japonaise n'est accordée par le JICA qu'après dépôt
d'un dossier à l'initiative donc du pays nécessitant une
assistance. L'Indonésie a donc du d'abord élaborer son propre
projet de sécurité maritime avant de recevoir les fonds
d'aide.
L'aide japonaise prit d'abord la forme d'un soutien
appuyé à la création en 1972 puis surtout aux actions du
Bakorkamla ou Indonesian Maritime Security Coordinating Board. Son rôle
est de coordonner l'action de différents ministères
(défense, intérieur, communication, finances, justice) afin de
proposer des réponses globales au risques sécuritaires maritimes
et d'éviter un émiettement des ressources. Le Bakorkamla est
aussi un interlocuteur unique pour les institutions japonaises qui centralise
la stratégie de capacity building dans le domaine maritime.
Les gardes côtes sont bien sur à la tête de
la lutte contre les dangers en mer et l'aide japonaise a beaucoup visé
ce corps. Anciennement raccordés à l'armée, leur
appartenance aux forces de police permet désormais l'intervention
japonaise. Ainsi, les gardes côtes japonais ont formés leurs
homologues indonésiens aux méthodes de lutte contre la piraterie
par des entrainements communs de formations aux techniques modernes de lutte
contre l'insécurité en mer. L'aide japonaise est même
allé plus loin, elle a aussi consisté en l'amélioration de
moyens des petits pêcheurs afin d'augmenter leurs revenus et ainsi de les
détourner des activités illégales.
Le Japon a en outre fourni des navires pouvant aller à
une grande vitesse afin de permettre la poursuite de pirates de mieux en mieux
équipés. En 2006 par exemple trois navires ont été
offerts aux gardes côtes indonésiens. Mais l'annonce faite par le
ministère des affaires étrangères est claire
vis-à-vis de l'aire géographique où ceux-ci doivent
être déployés. Il est prévu que c'est uniquement
pour assurer la sécurité du détroit de Malacca que ces
navires doivent être utilisés. Ceci va à l'encontre des
priorités indonésiennes qui préféraient les
déployer dans les détroits de Lombok et de la Sonde où les
intérêts de Jakarta sont plus grands mais où la
sécurité n'est pas parfaite non plus. L'Indonésie
accueille cependant ces dons et demande même leur accroissement qui dans
certains cas est limité par l'impossibilité légale du
Japon à financer des programmes militaires
Au niveau du transfert technologique, le Japon a aidé
à la mise en place d'un suivi en temps réel des navires dans le
détroit et partage les informations obtenues grâce à ses
satellites. Il oeuvre aussi à l'amélioration du droit maritime
national.
Ces stratégies mises en place en Indonésie ont
été reprises dans une moindre mesure en Malaisie. S'il est
difficile de mesurer les effets de ces aides, puisque complétés
par d'autres stratégies locales et d'autres programmes internationaux,
il est néanmoins certains qu'elles ont joué un rôle
significatif dans la diminution constante des actes de piraterie depuis
2003.
L'Empire du soleil levant s'est aussi investi dans la lutte
contre le terrorisme dans l'Asie du Sud Est. A plusieurs reprises, Al Qaeda a
menacé le pays d'attaques terroristes du fait de son alliance avec les
Etats Unis et de sa participation à la guerre en Irak et en Afghanistan.
Le Japon, qui dés le lendemain des attaques du 11 septembre 2001 a suivi
les Etats Unis dans la guerre contre le terrorisme, inscrit son action en Asie
du Sud Est sur celle des américains en grande partie. Mais du fait des
contraintes nationales empêchant la collaboration militaire, le Japon a
dû se spécialiser dans l'aide civile. Ainsi l'entrainement
conjoint fourni aux gardes côtes met de plus en plus l'accent sur les
mesures de contre terrorisme. Celles-ci englobent un contrôle accru des
exportations afin d'intercepter les livraisons d'armes ou d'explosifs. L'aide
japonaise à la lutte contre le terrorisme passe aussi par une
amélioration des cadres juridiques. Afin de mieux surveiller les
mouvements de criminels et terroristes, des systèmes d'identification
aux frontières par empreinte digitale ont été mis en
place. Au-delà d'un suivi de la ligne de conduite américaine
l'action du Japon contre le terrorisme est le reflet d'une certaine autonomie
et d'une complémentarité par rapport aux moyens militaires plus
classiques. Elle reste cependant minime par rapport aux efforts
américains et nécessiterait un approfondissement pour être
réellement significative.
L'aide japonaise bilatérale aux pays s'adapte donc aux
contraintes politiques locales. Ne pouvant envisager un déploiement
militaire direct, elle respecte l'impératif de respect de la
souveraineté territoriale sur lequel les pays riverains du
détroit ne veulent faire aucune concession. Visant à
développer les capacités propres de chaque Etat, elle s'inscrit
sur un long terme et éclaircit plus l'horizon du détroit qu'une
patrouille maritime exercée par une puissance étrangère.
Les Etats riverains appellent à une plus grande implication du Japon
dont l'action est parfois jugée insuffisante, mais les contraintes
budgétaires actuelle de l'archipel, durement touché par la crise
économique, pourraient bien au contraire finir par réduire
l'aide. Il faut pourtant continuer sur le long terme cette politique au risque
de voir s'essouffler les efforts de modernisation des structures de
sécurité maritime locale.
2) Une promotion de la coopération
Si la stratégie de capacity building mise en place par
le Japon est indispensable, elle reste insuffisante. En effet, puisque
bilatérale, elle n'épouse pas le caractère pluri national
propre au détroit. Les efforts déployés par l'aide
japonaise risquent donc d'être vain. Les Etats riverains se renforcent
mais utilisent leurs moyens chacun sur leur territoire et ne mettent donc pas
en place une stratégie de réponse transnationale, plus
adaptée pour enrayer les risques de piraterie et de terrorisme.
Le Japon a assez tôt été conscient de
cette déficience et a en conséquent multiplié les
initiatives visant à promouvoir la coopération en Asie du Sud Est
et plus précisément dans l'aire du détroit de Malacca.
La première approche multilatérale que le pays a
suivie a été via les organisations internationales
déjà existantes. Le Japon n'ayant pas de force militaire apte
à se déployer à l'étranger, il a investi dans ces
structures afin de s'assurer de la sécurité de son environnement.
Il est ainsi l'un des premiers contributeurs financier à l'Organisation
Maritime International et dans le cadre d'UNCLOS, il a mis en avant les
problèmes posés par la piraterie maritime. Cependant devant le
manque de moyen d'action de l'organisation, le Japon a mis en place et promu
une coopération multilatérale dans le détroit de
Malacca.
a) L'impulsion du Japon dans
la mise en place de structures de coopération dans le
détroit
La coopération lancée par le Japon dans la zone
du détroit de Malacca a d'abord pris pour base les organisations
pré existantes.
Elle s'est ainsi greffée sur les dispositions prises
par l'OMI qui a un rôle essentiellement normatif. Le code ISPS (Code
international sur la sûreté des navires et des installations
portuaires) adopté par l'OMI en 2002 et entré en vigueur en 2004
qui s'applique à tous les Etats membres de la convention SOLAS (qui
compte 158 Etats parties) vise à faire converger les normes de
sécurité maritime et portuaire et est, pour cette raison d'une
grande importance pour le Japon. Le pays s'est donc intéressé de
prés à sa mise en place par les Etats asiatiques. En mars 2005,
Tokyo a ainsi organisé le second sommet entre le Japon et l'ASEAN sur la
sécurité maritime et la lutte contre la piraterie afin de
contrôler l'avancement de l'application de ces normes par les Etats du
sud est asiatique. Cette conférence qui s'est depuis
répétée a conduit à la mise en place d'entrainement
commun et de coopérations avec l'ASEAN et la Corée du Sud et la
Chine.
De concert avec l'APEC (la Coopération Economique pour
l'Asie Pacifique), le Japon a organisé une réunion des chefs
d'agences de garde côte en 2004 à Tokyo afin de partager le savoir
faire de ces propres forces et d'harmoniser les conditions juridiques d'action
dans l'aire asiatique. Cette réunion a particulièrement pour
objectif d'améliorer la lutte contre le terrorisme.
Ces actions restaient cependant dans un cadre assez
général et ne permettaient pas une prise en compte assez grande
des intérêts du Japon dans le maintien de la
sécurité en mer. Il s'agissait en effet d'accords visant à
l'instauration et au respect de normes internationales et non de structures
aidant directement les Etats à mutualiser leurs efforts dans la lutte
contre la piraterie.
C'est pour cette raison que le Japon décida de mettre
en place un organisme régional chargé de la
sécurité maritime. Il s'agit de l'accord de coopération
régional sur la lutte contre la piraterie et le vol armé contre
les navires en Asie, le ReCAAP (acronyme de Regional Cooperation Agreement on
Combating Piracy and Armed Robery against Ships in Asia) qui fut
finalisé le 11 novembre 2004 à Tokyo et qui est entré en
fonction en 2006 à Singapour où le siège de l'organisation
se trouve. Comme le nom de l'organisation l'indique, son champs d'action va de
la piraterie (en haute mer donc) au vol armé (dans les eaux
territoriales) et englobe ainsi la majorité des risques dans le
détroit. Le ReCAAP est composé de deux entités :
l'Information Sharing Centre (ISC) et le Governing Council qui se réunit
une fois par an afin de donner les grandes lignes d'action. L'ISC a trois
piliers de fonctionnement : l'échange d'information entre les Etats
contractants, la facilitation de la coopération opérationnelle
entre les Etats, l'analyse des courants d'attaque et la promotion du capacity
building. Dans les faits l'ISC permet une amélioration significative en
cas d'attaque d'un navire. Les autorités de gardes côtes recevant
un appel d'urgence d'un navire attaqué transmet automatiquement un
rapport à l'ISC. Mis au courant de la situation dangereuse, l'ISC
transmet lui-même aux autorités nationales des informations
supplémentaires sur l'attaque grâce à la base de
données dont il dispose. Dans le même temps il va alerter les
autorités des Etats les plus proches de la situation de détresse
du navire ce qui va permettre celles-ci d'alerter leurs propres gardes
côtes ainsi que les navires navigants dans leurs eaux territoriales ou
à proximité du danger présent.
Ainsi grâce à ce mécanisme, la
coopération entre les différentes autorités maritimes de
chaque Etat sont facilités. En outre, l'information sur la
sécurité maritime dans toute la région asiatique est
mutualisée en un seul point ce qui améliore les connaissances et
des Etats et des acteurs privés utilisateurs du transport maritime.
Cette initiative du Japon, la plus importante jusqu'à
présent dans le domaine de la sécurité maritime en Asie,
souffre cependant de faiblesses qui nuisent à sa pleine
efficacité. L'acte constitutif du ReCAAP a été
signé par seize Etats (Bangladesh, Brunei, Cambodge, Chine, Inde,
Indonésie, Japon, Corée du Sud, Laos, Malaisie, Myanmar,
Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Vietnam) mais elle n'a
été ratifiée que par quatorze Etats. La Malaisie et
l'Indonésie n'ont en effet toujours pas ratifié la convention.
L'explication de ce refus est à trouver encore une fois
du côté de la souveraineté. Le ReCAAP portant dans son
appellation même sa préoccupation pour les actes criminels
intervenant dans les eaux territoriales, les deux Etats riverains du
détroit de Malacca ont vu dans la structure de coopération une
menace à leur autorité sur leurs eaux.
L'intérêt du ReCAAP dans le détroit est
donc fortement affaibli. Les ministères concernés malaisien et
indonésien ont cependant affirmé leur volonté de
coopération avec la structure, ce qui n'a pas été
contredit jusqu'à aujourd'hui dans les faits. Mais n'étant pas
gravé dans le marbre, la participation de Kuala Lumpur et Jakarta est
contingente du contexte politique et de la volonté des gouvernements
successifs.
b) Les modifications induites
par le recours à des mécanismes multilatéraux
La mise en place du ReCAAP, ainsi que les différentes
stratégies d'aide multilatérale que le Japon a lancé ou
auxquelles il a contribué ont modifié le déploiement de
son aide dans la région du détroit de Malacca ainsi que
l'attitude des Etats riverains. Mais outre un renforcement de la
coopération indispensable à l'enrayement des risques de
navigation maritime, le recours au multilatéralisme impose un nouveau
cadre d'action à l'aide japonaise et donc de nouveaux défis.
Comme il a été vu précédemment, le
Japon est limité dans son aide extérieure au développement
par sa propre constitution qui l'empêche d'apporter une aide militaire.
Ceci constitue un frein majeur à l'aide stratégique aux Etats
riverains du détroit de Malacca qui ont besoin d'améliorer les
capacités de leurs forces armées. Le passage de l'aide japonaise
par le ReCAAP permet désormais de contourner en partie ce
problème. En effet le gouvernement japonais qui est l'un des
contributeurs majeurs du ReCAAP donne une contribution globale au ReCAAP et
celui l'utilise ensuite dans ses stratégies de capacity building qui
peuvent comporter une aide militaire aux Etats membres qui la
nécessitent. Ainsi l'aide japonaise vers l'Asie du Sud Est peut
désormais englober une aide militaire impossible de manière
bilatérale.
Mais ce nouveau schéma de distribution de l'aide
japonaise peut aussi soulever de nouveaux problèmes. L'aide
bilatérale est toujours le biais par lequel l'aide japonaise est la plus
efficace et la mieux distribuée. En effet la longue présence du
Japon sur la scène du détroit de Malacca lui a appris à
connaitre les besoins et les risques de ce milieu. Le passage par le ReCAAP,
structure jeune et plus globale peut se traduire par une réduction de la
qualité de l'aide. Il semble en effet que le ministère des
affaires étrangères japonais ait décidé de
déployer sa stratégie de capacity building par le ReCAAP ce qui
pourrait à terme détourner des enjeux propres au détroit.
D'un côté le Japon peut de façon anticiper réduire
son aide bilatérale et la transposer au niveau multilatéral du
ReCAAP ce qui aurait pour risque de moins toucher l'Indonésie qui ne
fait pas pleinement partie de cette structure. Le caractère
régional de la structure peut aussi atténuer la
coopération avec d'autres puissances extérieures comme les Etats
Unis et l'Australie qui agiront séparément au risque d'une
incohérence de l'aide extérieur aux acteurs du détroit.
Enfin les Etats d'Asie du Sud Est peuvent aussi utiliser les fonds
alloués par le ReCAAP pour développer la sécurité
dans des zones où leurs priorités sont plus grandes. Dans le cas
de l'Indonésie ou de la Thaïlande, pour lesquels le détroit
de Malacca est un espace périphérique, la tentation est grande
d'orienter l'aide vers des zones plus stratégiques nationalement. Il
s'agit donc de ne pas donner trop tôt la priorité à la voie
multilatérale au risque de rendre l'aide en direction des Etats
riverains moins qualitative.
Le pari de l'intégration dans des structures
régionales en Asie du Sud Est est risqué pour le Japon. Si en
entrant dans des structures régionales, le pays peut être plus en
phase avec la réalité locale, il peut aussi voir son leadership
dilué. En effet, comme il a été démontré, le
Japon a été le pionnier de l'amélioration de la
sécurité maritime en Asie du sud est. En faisant passer son aide
dans des structures plus globales, il est à craindre que sa voix soit
plus faible. Il ne pourra en effet décider des priorités
auxquelles doit s'atteler le ReCAAP sans l'accord des autres membres. Et il
faut avoir à l'esprit que la Chine siège à l'instance
décisionnelle du ReCAAP et peut vouloir promouvoir son propre
réseau portuaire au détriment de Singapour et de la Malaisie.
Conclusion
Comme il a été démontré tout au
long de ce travail, le détroit de Malacca est au coeur du système
monde d'une importance vitale. Il est mêlé de prés ou de
loin à de nombreuses problématiques d'ordre économique,
militaire ou stratégique.
Le problème de sa gestion doit donc d'être
géré de manière globale même s'il ne faut pas
compromettre les intérêts des Etats riverains. Dans un monde de
plus en plus globalisé, il est logique que les Etats qui
dépendent du commerce maritime pour l'alimentation de leur
économie s'impliquent dans l'assurance de sa sécurité.
Mais comme ailleurs dans le monde, les problématiques globales se
heurtent aux intérêts nationaux. La gestion du détroit est
donc l'un des nombreux points de confrontation de l'intérêt
national et international. Le rôle autonome de l'Etat y est menacé
car faisant face à des dangers d'ordre transnationaux, il ne peut
développer une stratégie seul. Dans ce cadre, et ayant le droit
international de leur côté (notamment la convention de Montego
Bay), les puissances mondiales sont fondées à intervenir dans le
terrain du détroit.
Coincé entre la Chine au nord et la flotte
américaine, le détroit ne doit cependant pas tomber dans la
sphère d'influence unique de l'un de ces deux Etats, au danger de
compromettre la liberté de navigation dans la région. Dans cette
optique, le Japon semble être un acteur plus neutre. Certes il est
allié aux Etats Unis mais Tokyo a bien compris qu'il ne pouvait
désormais plus uniquement compter sur l'appui de Washington et qu'il
devait forger sa propre politique étrangère. Son aide à la
navigation dans le détroit de Malacca est donc bien une façon
pour le pays d'étendre son influence sur une Asie du Sud Est qui
pourrait à l'avenir être englobée dans la sphère
d'influence chinoise. Sa volonté d'améliorer la
coopération régionale lui permet de développer une image
moins hégémonique que celle de Pékin et donc de se placer
en aide conciliante. Il est donc à souhaiter que, malgré la crise
économique et les difficultés financières auxquelles fait
face le Japon, il persiste dans son aide aux pays riverains du détroit
tout en promouvant une coopération régionale. Le détroit
pourrait être une chance pour le Japon d'être un géant
économique et politique.
L'amélioration récente des conditions de
navigation, et notamment la chute du nombre d'actes de piraterie, ne doit pas
faire oublier que l'Indonésie, la Malaisie et Singapour n'ont pas
réussi à s'entendre en profondeur sur l'instauration de
structures à même de lutter contre les risques de navigation. Les
accords réalisés entre ces trois Etats sont toujours contingents
de leurs relations diplomatiques mouvementées.
Il y a donc fort à parier que le détroit de
Malacca ne pourra pas être géré de façon autonome
par les Etats qui en sont riverains et qu'il restera une zone où les
interactions nationales globales vont se multiplier et laisser émerger
une organisation permettant un contentement des diverses parties. Dans ce cadre
les Etats puissants et influents dans la zone, en l'absence d'organisations
internationales efficaces, devront continuer équilibrer leur action
entre leur propre intérêt et le respect des prérogatives
souveraines des Etats de la région. Dans ce jeu, le Japon pragmatique
est bien positionné.
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* 1 Schmidt, Joel,
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* 2 NTS Centre, August 2009.
Maritime Predations in the Malacca Straits: Treading New Waters. Singapore:
RSIS, p. 11
* 3 Ocean Policy Research
Foundation, 2004
* 4 U.S. Energy Information
Administration / Annual Energy Review 2009
* 5 BP statistical review,
2004
* 6 ibid
* 7
http://www.unites.uqam.ca/ERE-UQAM/planetedortaugaz/activite-petrole.htm
* 8 Le taux d'autosuffisance
énergétique du Japon n'est que de 19%, Rapport d'information du
Sénat, Japon, l'archipel des paradoxes, 2008-2009
* 9 Bilans
énergétiques des pays de l'OCDE, 2009
* 10 Le taux de croissance
annuel moyen passe de 4,3% en 1970-1980 à 7,6% en 1980-1990 puis
à 8,5% en 1990-2005, la croissance chinoise étant responsable
d'environ 12,5% de la croissance du PIB au niveau mondiale entre 1995 et 2004,
Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales, base de
données Chelem
* 11 Source :
http://www.planete-energies.com/contenu/petrole-gaz/transport-petrole/tanker-petrolier.html
* 12 Statistiques du
commerce international 2006, OMC
* 13 Chiffres pour 2007,
Annuaire statistique du commerce international 2007, Nations Unies
* 14 Base aérienne de
Clark Field et base navale de Subic Bay
* 15 Sur la base
aérienne d'Utapao, et dans les ports de Bangkok et de Pattaya
* 16 Les menaces de l'Irak
de Saddam Hussein sur le Koweït finissent de convaincre les
autorités militaires américaines de la nécessité
d'une flotte permanente dans l'océan indien. Le 1er juillet
1995, le retour de la Ve flotte, célèbre entre 1942 et 1947 pour
avoir joué un rôle décisif dans le dénouement de la
guerre du Pacifique est officialisé afin de répondre aux
défis sécuritaires posé les pays du Proche Orient, de la
corne de l'Afrique, de la mer Rouge, du golfe persique ainsi que sur une partie
de ceux de l'océan Indien. Son siège est installé le jour
même à Bahreïn.
* 17Selon le commandant
Lawrence Spinetta de l'US Air Force dans sa these intitulée The
Malacca dilemma, countering China's «string or pearl» with land-based
air power, 2006 «the United States cannot cede control of the
region's strategic waterways without incurring immeasurable risk to vital US
interests»
* 18 Freedman, Michael,
Obama renews focus on Southeast Asia, 9 novembre 2009, Newsweek
* 19 « La Chine a
des intérêts stratégiques maritimes aussi bien
économiques que sécuritaires qui plaident en faveur d'un
développement de sa puissance navale », Michel Masson
interrogé par Barthélémy Courmont, La Chine
puissance militaire du XXIe siècle in Monde Chinois, n°18,
été 2009
* 20 Comme le prouve
l'opération au large des côtes de la Somalie en 2009 afin de
lutter contre les risques de piraterie menaçant notamment son
approvisionnement en pétrole.
* 21 Le rapport en question
fut révélé par le Washington Post en janvier 2005 suite
à une fuite du secrétariat à la défense et suscita
une grande suspicion de la part des officiels et de l'opinion publique
américaine vis-à-vis de la montée en puissance de la Chine
en tant que puissance militaire de la part du monde politique américain
et plus généralement occidental.
* 22 Le projet d'un pipeline
entre la Russie et la Chine ayant finalement échoué après
que Tokyo fut entré et eut remporté le projet, modifiant en
conséquence son trajet au profit du territoire japonais et au
détriment de Pékin. Quant au projet de canal à travers
l'isthme de Kra, il est peu souhaité par Bangkok qui ne souhaite pas
couper géographiquement l'extrême sud de son territoire en proie
aux revendications indépendantistes de la population largement
musulmane.
* 23 Selon l'expression
même de Hu Jintao, secrétaire général du PCC
* 24 Source : Spinetta,
Lawrence, « The Malacca Dilemma, Countering China's
« string of pearls » with land based air power, 2006,
p8
* 25 Philippines, Malaisie
et Vietnam à propos des Paracels et des Spratleys sur lesquels
Pékin ne cesse de revendiquer sa souveraineté
«indiscutable»
* 26 Zajec, Olivier,
Actualité et réalité du «collier de
perles» in Monde Chinois n°18, été 2009
* 27 Géopolitique et
géostratégie des mers et océans, Diplomatie
Hors-série n°2, aout-septembre 2007, Aerion, p30
* 28 Containerisation
International Yearbook, 1999
* 29 Etude sur les
transports maritimes 2007, CNUCED, ONU
* 30 Konnick (De),
Rodolphe, Singapour, La cité-Etat ambitieuse, 2006, Belin,
p53
* 31 Demange, Jean-Marie
(dir), L'essentiel d'un marché : Singapour 2009/2010,
2009, UbiFrance
* 32 Natahalie Fau,
Intégrations Régionales en Asie Orientale, 2004, Les
Indes Savante, carte p301
* 33 Natahalie Fau,
Intégrations Régionales en Asie Orientale, 2004, Les
Indes Savante, p 305
* 34 Source Nathalie Fau,
2003
* 35 CIA World Fact Book,
2009
* 36 Leur
sûreté est bien entendu à fortement relativiser depuis les
attentas de 2002 à l'encontre de stations balnéaires
* 37 Les rapports de la
police malaisienne en ont estimé 150 d'après Nathalie Fau
* 38 chiffres
* 39 Indonesia, Malaysia
expect trade to reach 15$ billions, 20 aout 2010, The Jakarta Post
* 40 Données de
Nathalie Fau et Yoslan Nur dans Le pari des triangles de croissance SIJORI
et IMT-GT, Hérodote, n°88, p 126
* 41 200 000 tonnes par
an selon Nathalie Fau, Intégrations Régionales en Asie Orientale
,2004 p 310
* 42 A titre d'exemple, 30%
des exportations de caoutchouc du sud de la Thaïlande transitent par
Penang, contre 36% par Bangkok
* 43 Article 14 § 4 de
la Convention de la Convention de Genève
* 44
Géostratégie de la Mer de Chine Méridionale, 1999,
L'Harmattan, p111
* 45 Intitute of Defence and
Strategic Studies, An agenda for action : Safety and Security in the
Malacca and Singapore Straits, p10
* 46 Ibid
* 47 Article 101 UNCLOS
III : Définition de la piraterie : On entend par piraterie
l'un quelconque des actes suivants :a) tout acte illicite de violence ou de
détention ou toute déprédation commis par
l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef
privé, agissant à des fins privées, et dirigé :
i) contre un autre navire ou aéronef, ou contre des
personnes ou des biens à leur bord, en haute mer;
ii) contre un navire ou aéronef, des personnes ou des
biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat;
b) tout acte de participation volontaire à
l'utilisation d'un navire ou d'un aéronef, lorsque son auteur a
connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef
est un navire ou aéronef pirate;
c) tout acte ayant pour but d'inciter à commettre les
actes définis aux lettres a) ou b), ou commis dans l'intention de les
faciliter.
* 48 Définition de
Philippe Vincent dans Droit de la Mer, 2008, Larcier, p91
* 49 Frecon, Eric,
L'Asie-Pacifique des crises et des violences, 2008, PUPS, p103
* 50 Ong-Webb, Graham Gerard
(éd), Piracy, Maritime Terrorism and Securing the Malacca
Straits, 2006, ISEAS Publishing, p 9-12
* 51 International Chamber
of Commerce, International Maritime Bureau Piracy Reporting Centre, rapport de
2009 sur internet
* 52 Expression d'Eric
Frécon dans L'Asie-Pacifique des crises et des violences, 2008,
PUPS, p 123
* 53
* 54 Cf supra
* 55 L'Asie-Pacifique,
des crises et des violences, 2008, PUPS, p117
* 56 Traduction de hot
pursuit
* 57 En 1992 par
l'Indonésie et Singapour avec la création d'un système de
surveillance commun, la même année entre la Malaisie et
l'Indonésie avec la mise en place du Maritime Operation Plan Team
* 58 Facteurs
énoncés par John Gershman dans le numéro de juillet-aout
2002 de Foreign Affairs
* 59 La Fin de l'Innocence,
2006, IRASE-Les Indes Savantes, p 54
* 60 The Indonesian
Quarterly, vol 35 n°3, third quarter 2007, p250
* 61 Heller-Roazen,Daniel,
L'Ennemi de tous; le pirate contre les nations, 2009, Seuil
* 62 Thése La
Réaction des Etats est-asiatiques face au défi de la piraterie
sur les mers de l'après guerre froide, IEP Paris, p285
* 63Fau, Nathalie, Le
détroit de Malacca : porte océane, axe maritime, enjeux
stratégiques
http://geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/transv/mobil/MobilScient4.htm
* 64 6600 dollars par an par
habitant en 2009 soit le 128e rang mondial, CIA World Factbook
* 65 Il déclara
notamment « For me and those of my generation, the deepest and
strongest imprint the Japanese left on us was the horror of the occupation
years » Lee Kwan Yew, Singapore Story (Singapore : the Strait
Times Press, 1998)
* 66 Japan's relations with
Southeast Asia, Japan in a dynamic Asia, Lexington Books, 2006
* 67 Chiffres de 2009, CIA
World Fact Book
* 68 Traduction personnelle
des axes de la doctrine Fukuda telle que décrite dans Sueo Sudo, The
International Relations of Japan and Southeast Asia, Routledge, 2003. En
voici la version originale :» (1) Japan is committed to peace, and
rejects the role of a military power;(2) Japan will do its best to consolidate
the relationship of mutual confidence and trust based on "heart-to-heart"
understanding with the nations of Southeast Asia;(3) Japan will cooperate
positively with ASEAN while aiming at fostering a relationship based on mutual
understanding with the countries of Indochina and will thus contribute to the
building of peace and prosperity throughout Southeast Asia»
* 69 Chiffres de 2004
* 70 La marée noire
dans le Golfe du Mexique causée par BP, société
britannique en est un exemple frappant.
* 71 La négociation
menée par le premier ministre Hatoyama avec les Etats Unis a finalement
échoué, ce qui fut l'une des causes de sa démission le 8
juin 2010
* 72
http://www.nippon-foundation.or.jp/eng/news/20090731AidstoNavigation.html
* 73 Source : Brochure
du Malacca Strait Council
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