INTRODUCTION GENERALE
Depuis le siècle des Lumières, la philosophie
moderne s'est trouvée partagée entre deux courants principaux de
pensée, à savoir le rationalisme et l'empirisme. Pour les
définir de manière sommaire, l'un a tendance à
privilégier et surestimer le rôle de la raison et l'autre à
tendance inverse, récuse la raison en s'attachant à
l'expérience sensible. Et au XIXème siècle,
l'évolution exponentielle sur le plan scientifique, et les changements
brusques de la société influenceront plusieurs penseurs et
philosophes. A la seconde moitié du XIXème
siècle, un autre courant de pensée naîtra, ayant pour
« père« KIERKEGAARD. Ce courant de pensée appelé
Existentialisme est comme le définit VERNEAUX : « une
réaction contre le rationalisme en général et
précisément contre le rationalisme absolu tel qu'il parut chez
HEGEL »1(*).
Contrairement à l'empirisme qui rejette la raison au
profit de l'expérience sensible, l'existentialisme kierkegaardien
rejette la fameuse pensée abstraite, logique et objective ; il
refuse tout système rationnel visant à expliquer l'univers. C'est
pourquoi KIERKEGAARD dira : « vous aurez beau dire tout ce
que vous voudrez, moi je ne suis pas une phrase logique de votre
système. J'existe, je suis libre. Je suis moi un individu et non pas un
concept [...] Aucun raisonnement ne peut ni expliquer, moi, ma vie, les choix
que je fais, ma naissance, ma mort »2(*). Pour le philosophe danois, ce
qu'il y a de mieux à faire, pour toutes les disciplines philosophiques
et en particulier pour le rationalisme, c'est d'avoir pour sujet d'étude
l'existence humaine dans sa réalité concrète et non les
concepts qui ne traitent que de choses abstraites, au point d'affirmer comme
HEGEL que le rationnel est réel et le réel rationnel. Car comme
le déclare l'auteur des Miettes philosophiques :
« Pour l'existant, d'exister est le
suprême intérêt, et l'intérêt à
l'existence est la réalité. Ce qu'est la réalité ne
se laisse pas exprimer dans le langage de l'abstraction. La
réalité est «interesse» entre l'unité
hypothétique de la pensée et l'être. L'abstraction traite
de la possibilité et de la réalité, mais sa conception de
la réalité est fausse interprétation, car le plan sur
lequel nous sommes n'est pas celui de la réalité, mais celui de
la possibilité [...] Tout savoir sur la réalité est
possibilité ; la seule réalité dont un être
existant ne se borne pas à avoir une connaissance abstraite est sienne
propre, qu'il existe ; et cette réalité constitue son
intérêt absolu. L'exigence de l'abstraction à son
égard est qu'il se désintéresse pour qu'il puisse savoir
quelque chose ; l'exigence de l'éthique, qu'il s'intéresse
infiniment à l'existence »3(*).
Face donc à cette manière d'aborder ou de
considérer l'homme, une vive critique existentialiste du rationalisme
naîtra au XIXème siècle ; critique qui aura
pour métronome le philosophe danois Sören Aabye KIERKEGAARD. Cette
critique, il faudra le remarquer, sera abordée de manière
différente selon qu'on soit un existentialiste athée ou un
existentialiste théiste.
Le problème que nous voulons au cours de ce travail
étudier est de montrer les limites de la pensée rationaliste par
rapport à la question de l'homme en tant qu'existant ; car user de
la raison juste peut-il permettre d'aborder l'homme comme cela se doit ?
Et l'existentialisme qui critique le rationalisme ne présente-t-il pas
lui aussi des manquements par rapport à la question de l'existant ?
Sans toutefois se désintéresser à la question de
l'existant, elle l'envisage plutôt comme un élément du
monde et d'un point de vue objectif et surtout abstrait, alors que la
pensée existentielle s'attache principalement et peut être
même de manière exclusive à l'homme et vise à
pénétrer sa subjectivité et son individualité. Au
cours de notre travail, et usant de la méthode analyco-critique, nous
présenterons tout d'abord les différentes approches conceptuelles
des deux courants, la critique que KIERKEGAARD mène face aux
rationalistes, et grâce à laquelle de part sa vision existentielle
de la condition humaine, nous pourrons aboutir à un humanisme
intégral.
D'une part, nous essayerons à partir des
différentes approches conceptuelles de montrer comment chaque courant
s'est formé, ce qui le définit et quelle fut son évolution
au cours des siècles. Nous présenterons d'abord le rationalisme
qui est une doctrine qui pose la raison comme seul moyen pouvant nous conduire
à une connaissance vraie, puis nous montrerons qu'au cours des
siècles il s'est développé sous l'égide de grands
philosophes à l'instar DE PLATON, DESCARTES, et bien d'autres. Nous
procèderons de la même manière aussi pour la
présentation de l'existentialisme qui est une doctrine qui prône
le retour à l'existant, et qui, au cours de son évolution a
été portée au plus haut niveau par des philosophes tels
que KIERKEGAARD, SARTRE, HEIDEGGER, et JASPERS.
D'autre part, après la présentation de cette
approche conceptuelle, au cours de laquelle nous aurons exposé les
différentes doctrines, nous montrerons en quoi consistera la critique
kierkegaardienne du rationalisme pour qui, il ne saurait avoir un
système d'existence, et qui trouvera des abus dans sa
considération de l'existant ; abus qui conduira l'homme en
s'enfermant dans la raison, sans lui laisser une fenêtre par laquelle
entrera la moindre lumière. Et enfin nous essayerons en dernier ressort
de relever quelques limites inhérentes à l'existentialisme ;
car prônant le retour de toute discipline à l'essentiel
c'est-à-dire à l'existant, l'existentialisme a laissé
derrière lui quelques aspects importants de la dimension humaine, tel
que l'aspect communautaire de la vie de chaque existant ou sa relation avec la
divinité. Et la reconquête de ces éléments
oubliés nous amènera à faire un dépassement de
l'existentialisme afin de tomber dans un humanisme intégral qui prend en
compte de manière intégrale la condition humaine.
Pour mener à bien ce travail, nous conduirons cette
critique sous l'égide d'un seul philosophe existentialiste à
savoir KIERKEGAARD qui sera épaulé de manière secondaire
par les positions défendues par d'autres philosophes
existentialistes.
CHAPITRE I
CONCEPTUALISATION DE DEUX
COURANTS :
RATIONALISME ET
EXISTENTIALISME
Le rationalisme se définit de plusieurs
manières selon qu'on est dans le domaine épistémologique,
historique, théologique, moral ou que l'on appartienne à un
courant allant à l'encontre de celui-ci.
Rationalisme, du latin rationalis,
c'est-à-dire raisonnable, doué de raison, dérive du mot
rationnel qui montre l'appartenance d'une chose à la nature de la
raison, qui est conforme à elle. Du mot rationnel dérive aussi
raison qui vient du latin ratio.
La « raison est la faculté de juger propre
à l'homme et commun à tous les hommes »4(*). Cette faculté
est unique et propre aux hommes en ce sens que seul l'homme « a
la puissance de bien juger, de distinguer le vrai d'avec le faux qui est
proprement ce qu'on nomme le bon sens »5(*). Et c'est cette
capacité de juger, de raisonner qui le distingue des animaux et fait de
lui, comme le dit Aristote, « un animal
raisonnable ». C'est dans le souci d'éclairer,
d'expliquer et d'élargir cette notion de la raison qu'on a pu aboutir au
rationalisme.
I.1. APPROCHE
CONCEPTUELLE DU RATIONALISME
I.1.1. Approche pluridisciplinaire
I.1.1.a.
Définition épistémologique
Au plan épistémologique, on peut définir
le rationalisme comme une doctrine qui pose la raison comme indépendante
de l'expérience sensible et qui affirme que la raison est innée,
a priori, immuable chez tous les hommes. Elle est cette
capacité de connaître, d'établir la vérité et
de n'admettre dans le domaine cognitif que l'autorité unique de la
raison. C'est pourquoi Emile GOBLAT affirme : « Il faut
aller vers la vérité avec la seule
intelligence »6(*).
I.1.1.b. Définition
théologique
Le rationalisme est défini selon la théologie,
comme la doctrine qui récuse toute révélation et tout ce
qui relève du surnaturel pour n'admettre que la raison. Il ne permet la
crédibilité de ce qui concerne la foi et les dogmes religieux,
que ce que la lumière de la raison tient pour satisfaisante. Car, comme
le dit André GIDE, « la foi comporte un certain
aveuglement où se complaît l'âme croyante; quand elle
échappe aux entraves de la raison, il lui semble qu'elle bat son plein.
Elle n'est que dévergondée »7(*). Toute
révélation que nous pouvons avoir et qui ne peut être
explicitement expliquée et prouvée, par la raison, n'a pas de
place dans la connaissance et ne peut être objet d'étude.
I.1.1.c. Définition
morale
La morale définit le rationalisme comme une doctrine
selon laquelle les principes et les maximes dans la conduite morale sont
posés a priori par la raison par opposition à
l'hédonisme, l'eudémonisme ou l'utilitarisme.
Au vu de toutes ces différentes définitions du
concept rationalisme, nous devons rappeler que, comme tous les mots se
terminant en « isme », le rationalisme,
de par sa texture, nous permet de voir l'expression d'une certaine majoration
du rôle de la raison dans la vie de l'homme. Exagération de la
raison suite au débat l'opposant à l'empirisme qui récuse
la raison en s'attachant à la seule expérience.
En remontant à l'origine du rationalisme, nous verrons
que ce courant bien que prenant forme à partir de la controverse
l'opposant à l'empirisme, est bien plus ancien et a des racines
lointaines auxquelles nous allons nous attarder dans une étude
historique quoi que concise et sommaire.
I.1.2. Evolution
historique
Notre étude historique commence par les philosophes
antiques qui, bien que plusieurs historiens identifient le début du
rationalisme avec René DESCARTES. Nous voulons par là montrer que
la tendance à vouloir tout rationaliser ou ramener à la raison ne
date pas de la période moderne ou contemporaine, mais bien avant.
I.1.2.a. La période
antique
Avant de passer en revue ces périodes, il serait bon de
parler de la philosophie grecque où le rationalisme se dessinait
déjà et avait donné naissance à deux mouvements
à savoir : l'éléatisme et le stoïcisme.
L'éléatisme est la doctrine qui affirme
l'identité absolue de l'être et l'impossibilité du devenir
et du mouvement. Ses principaux penseurs sont PARMÉNIDE et ZÉNON.
Pour PARMÉNIDE, la voie de l'expérience n'est qu'un chemin
parsemé d'erreurs. C'est pourquoi il affirme que seule la raison conduit
le sage vers « le coeur de la vérité qui forme un
beau cercle »8(*). La première vérité que
PARMÉNIDE fait poser à la raison est le principe
d'identité : « L'être est, le non être
n'est pas »9(*). C'est de là que PARMÉNIDE
déduit une métaphysique moniste niant de manière radicale
le changement et le devenir des êtres, affirmant l'immobilité et
l'unité des êtres.
L'attitude intellectuelle visant à placer la raison et
les procédures rationnelles comme source de la
connaissance
remonte à la
Grèce
antique, lorsque sous le nom de
logos, elle se
détache de la pensée mythique et, à partir des sciences,
donne naissance à la
philosophie.
Disciple de SOCRATE, PLATON à travers sa théorie
des idées est l'un des précurseurs du rationalisme qui a le plus
influencé les philosophes rationalistes. Dans le rationalisme
platonicien qui est rangé dans le cadre de l'idéalisme, nous nous
contentons d'indiquer trois points principaux :
· Au-delà des choses sensibles
PLATON ne voit dans la sensibilité qu'une
pseudo-connaissance ne donnant accès qu'à la
réalité sensible, matérielle et changeante du monde. Se
fier à l'expérience sensible, c'est être comme des
prisonniers enfermés dans une caverne qui prennent les ombres qui
défilent sur la paroi faiblement éclairée, pour la
réalité même. En effet, l'exercice des mathématiques
nous apprend à nous détacher de nos sens et à exercer
notre seule raison, préalable nécessaire à la dialectique
philosophique. La connaissance du réel est connaissance des Idées
ou essences, réalités intelligibles et immuables, et cette
connaissance est rationnelle. Il y a en ce sens un rationalisme platonicien.
· La démarche de PLATON
Il part du sensible et en déduit la valeur de la
sensation ainsi que de l'intelligence. C'est pourquoi, pour lui, autant vaut
l'objet, que vaut la connaissance que j'en prends. De là, voulant
définir la raison, il dira qu'elle est la faculté qui saisit
intuitivement les idées « nous »,
qui rattache une idée à une autre ou qui rapporte telle
idée à une chose concrète
« dianoïa ». Il tient de même
à rappeler que si la raison est intuitive ou discursive, elle se
définit toujours par son objet.
· Raison déterminée par son objet
Pour PLATON, toute raison déterminée par son
objet est contemplative. Il le dit parce que les choses de ce monde ne sont
visibles que dans la lumière du soleil, les idées ne sont
intelligibles que dans celles du bien. C'est pourquoi PLATON trouve que la
raison contemple ce que, « à
peine », elle peut
« voir ». D'où elle s'oriente vers
Dieu.
Après ce bref aperçu des origines lointaines du
rationalisme avec les présocratiques et les philosophes de la
période antique, nous passons à une période où ce
courant a véritablement fait tache d'huile : il s'agit de la
période moderne.
I.1.2.b. La période
moderne
I.1.2.b.a René DESCARTES
Dans la période moderne, le rationalisme est apparu
avec René DESCARTES où il a revêtu un aspect plus ou moins
pur, car il fera de l'ego cogito le sujet d'une raison pure. DESCARTES
fait du sujet pensant, le sujet d'une raison neuve. Dans son élan
rationnel, le père du rationalisme admet deux limites à la
raison : d'une part la raison est limitée par le Dieu infini
qu'elle ne peut comprendre et dont elle est résignée à
affirmer l'existence justement parce qu'elle dépasse son
entendement ; et d'autre part, par le mélange de l'âme et du
corps que le penseur considère comme étant deux substances
distinctes, unies réellement et substantiellement. Mais le
problème qui se pose est celui de la distinction et de l'union ; et
cette antinomie ne peut être levée. Suite à ces
considérations, DESCARTES dira dans une de ses correspondances avec la
princesse ELISABETH : « il ne semble pas que
l'esprit humain soit capable de concevoir bien distinctement et en même
temps la distinction d'entre l'âme et le corps et leur union, à
cause qu'il faut pour cela les concevoir comme une seule chose et ensemble les
concevoir comme deux, ce qui se contrarie »10(*). D'où l'unité de
l'homme qui est un fait irrationnel, un mystère.
Entre ces deux limites, se déploie la juridiction du
cogito qui met en doute et qui élimine d'abord les choses
sensibles puis les idées conçues à la manière de
Platon. L'auteur du doute méthodique le pratique avec pour
objectif de mettre en exergue les vérités indubitables à
partir desquelles on pourra fonder un système de pensée solide et
cohérent. Pour cela, DESCARTES se donne pour principe de douter :
« Non que j'imitasse pour cela les sceptiques qui doutent pour
douter, et affecte d'être toujours
irrésolus... »11(*) ; mais un doute en vu d'aboutir
à cette vérité indubitable. C'est en ce moment que se
déploie en nous le doute que nous prenons conscience de notre existence,
pense DESCARTES. D'où sa célèbre formule
« Je pense donc je suis »12(*). De cette formule, il
dira « Je suis précisément parlant une
chose qui pense c'est-à-dire un esprit, un entendement, ou une
raison ».
L'homme se distingue de tous les autres êtres par la
raison. Si tel est le cas, quelle est la place du corps? Se plaçant dans
la perspective du doute méthodique, DESCARTES fait de la
pensée une substance différente, mais séparable du corps.
Des considérations qui précèdent, il aboutit à un
type de pensée qui l'isole de son corps, d'autrui et même du
monde. Cela résume bien une vision rationaliste de l'être humain
et, jusqu'à un certain point de la vie même de DESCARTES.
Sa morale est subdivisée en deux secteurs :
provisoire et définitive. La morale provisoire a pour but de vivre le
mieux possible pendant que l'entendement sera livré au doute. C'est
pourquoi dans la quatrième maxime de sa morale provisoire, il dira
« Employer toute ma vie à cultiver ma raison, et avancer
autant que je pourrai en la connaissance de la vérité, suivant la
méthode que je m'étais prescrite »13(*). Dans la
première maxime, la morale définitive voudrait que
« l'homme tâche toujours se servir le mieux
possible de sa raison pour connaître la bonté de Dieu,
l'immortalité de l'âme... »14(*). Il poursuivra dans
la seconde maxime en demandant que l'homme « ait une constante
résolution d'exécuter tout ce que sa raison lui conseillera,
sans que ses passions ou ses appétits l'en
détournent »15(*).
Avec René DESCARTES, le rationalisme connaît une
expansion fulgurante. Il sera repris par bon nombre d'autres grands philosophes
qui essayeront de dépasser sa conception de la raison à
plusieurs niveaux.
I.1.2.b.b. Baruch
SPINOZA
Philosophe d'origine juive, SPINOZA a une doctrine
rationaliste à la fois simple et plus subtile. Son cadre conceptuel et
sa technique logique, il les puise dans le système cartésien.
Chez SPINOZA le but de la vie, est le bonheur, et la condition pour l'atteindre
est la réforme de l'entendement, c'est-à-dire la
découverte d'une méthode capable de nous faire connaître la
vérité sur toutes choses. SPINOZA commence d'abord par classer
les divers types de connaissance :
· Au plus bas degré est la connaissance par
témoignage, par « ouï-dire »
ou par signe. C'est ainsi que nous connaissons la date de notre naissance.
Au dessus se situe l'expérience de la perception vague,
c'est-à-dire la perception sensible d'un objet singulier. Elle est
caractérisée par le fait qu'elle présente des faits bruts,
dispersés, sans lien intelligible et tirant des conséquences sans
prémices. Elle ne peut donc s'élever plus loin que dans l'ordre
des opinions. Ces deux types sont réunis sous le nom de connaissance du
premier genre.
· La connaissance du deuxième genre est de l'ordre
de la démonstration ou de la déduction, conçue sur le
modèle des mathématiques. Elle saisit l'essence des choses et
l'explique par des principes prochains. C'est pourquoi, SPINOZA dit
que les démonstrations « sont les yeux de
l'âme par lesquels elle voit et observe les
choses »16(*).
· L'intuition constitue la connaissance du
troisième genre. De là SPINOZA déduit tout de Dieu. Il
exprime parfaitement sa position quand il dit : « Les
scolastiques partent des choses, Descartes part de la raison, moi je pars de
Dieu »17(*). C'est de cette affirmation que
découlera son panthéisme, car si Dieu crée le monde
librement, on peut, par analyse du monde, remonter à Dieu comme à
sa cause ou raison d'être, mais la démarche inverse sera
impossible.
Chez SPINOZA la vérité est une
propriété de l'idée et non du jugement. L'idée est
en acte et la connaissance sensible est passive. La clarté de
l'idée est la vérité même. La vérité
consiste en une démonstration intrinsèque, c'est-à-dire le
rapport de l'idée à l'entendement. Pour lui, vérité
signifie intelligibilité.
Dans sa psychologie, SPINOZA fait une déduction de la
nature humaine ou d'une métaphysique de l'homme. Sa psychologie repose
sur deux propositions évidentes, à savoir « L'homme
pense ». Il ne dit pas que « Je
pense » car ce serait un simple fait, une
vérité contingente. Mais lorsqu'il
dit « l'homme pense »,
c'est là une vérité nécessaire et qui peut
être érigée en axiome.
Par son corps, l'homme est un mode de l'étendue divine,
et par son âme, un mode de la pensée divine. Pour SPINOZA, entre
le corps et l'âme il n'y a aucune interaction ; il n'y a pas union
mais identité. L'âme et l'idée du corps existent en
acte.
I.1.2.b.c. Gottfried
Wilhelm LEIBNIZ
Dans son rationalisme, LEIBNIZ a une idée directrice
nettement cartésienne, car il prend à son compte l'idée
d'une mathématique universelle, sous le nom d'Art combinatoire.
Son but est d'assurer l'unité de l'esprit dans le domaine
spéculatif et sur le plan pratique, de créer des esprits
au-dessus des différences rationnelles, même sur le plan
religieux.
La théorie de LEIBNIZ sur la connaissance peut
être répartie en deux catégories. L'une concerne la
pratique de l'art de penser, qui a un caractère beaucoup plus logique,
et l'autre détermine les conditions, l'origine et la nature de nos
connaissances. Comme métaphysicien, il ne sera pas satisfait des
doctrines qui ramènent l'être à la logique, le réel
au possible, la métaphysique étant pour lui la science des
principes premiers et qui prime sur les mathématiques.
Dans sa logique, LEIBNIZ distingue deux types de
vérité, à savoir les vérités
nécessaires, contingentes et deux principes correspondants : le
principe d'identité et celui de raison suffisante. Les
vérités nécessaires, comme les théorèmes
mathématiques, concernent les sciences. Le principe qui les régit
est le principe d'identité ou de contradiction ce qui veut dire que
toute proposition est une proposition identique où le prédicat
est inclus dans le sujet. Il trouve que toute pensée rigoureuse doit se
développer comme la pensée mathématique par une cascade
d'équation. A bien voir, il est le premier logicien à avoir
assimilé le principe de contradiction au principe d'identité.
Les vérités contingentes concernent les
faits. Ce sont des jugements d'existence et le principe qui les gouverne
est le principe de raison suffisante. Ce principe pose que rien n'arrive sans
qu'il y ait une raison suffisante, c'est-à-dire qui permet d'expliquer
a priori pourquoi les choses sont allées ainsi plutôt
qu'autrement. De là on peut appliquer à Dieu le principe de
raison suffisante qui devient une sorte de preuve ontologique. Car le
rationalisme moderne repose sur le postulat métaphysique selon lequel
les principes qui sous-tendent la réalité sont identiques aux
lois de la raison elle-même. Ainsi en est-il du principe de raison
déterminante (ou de raison suffisante) que LEIBNIZ, dans les Essais
de théodicée, formule de la manière suivante :
« c'est que jamais rien n'arrive, sans qu'il y ait une cause ou du
moins une raison déterminante, c'est-à-dire quelque chose qui
puisse servir à rendre raison a priori, pourquoi cela est existant
plutôt que non existant, et pourquoi cela est ainsi plutôt que de
toute autre façon »18(*). S'il n'est rien qui ne soit ni n'arrive sans cause,
il n'est rien dès lors qui ne soit, en droit, intelligible et explicable
par la raison.
L'essentiel de la métaphysique de LEIBNIZ se
ramène à trois points :
· La théorie des possibles
Il distingue des degrés dans la possibilité.
Pour qu'une essence soit possible, il faut qu'on tienne compte de tous les
autres possibles auxquels elle est liée, que LEIBNIZ appelle ses
compossibles. Pour lui, les possibles tendent à l'existence plus ou
moins dans la mesure de la perfection.
· La théorie de l'optimisme
Ce que nous pouvons retenir de son optimisme c'est que le
monde est bon, quoiqu'il ne soit pas le meilleur et qu'avec les
éléments dont il est formé, il ne pouvait pas être
mieux organisé. C'est pourquoi il dira :
« Comme il y a une infinité
d'univers possibles, dans les idées de Dieu, et qu'il ne peut en exister
qu'un seul, il faut qu'il y ait une raison suffisante du choix de Dieu qui le
détermine à l'un plutôt qu'à l'autre. Et cette
raison ne peut se trouver que dans la convenance ou les degrés de
perfection que ces mondes contiennent, chaque possible ayant droit de
prétendre à la mesure de la perfection qu'il enveloppe. Et c'est
ce qui est la cause de l'existence du meilleur, que sa sagesse fait
connaître à Dieu, que sa bonté le fait choisir, et que sa
puissance le fait produire »19(*).
De son optimisme ou principe du meilleur,
découlent plusieurs conséquences métaphysiques. D'abord,
le principe de continuité car la nature ne fait pas de saut. Le
principe des indiscernables c'est-à-dire il ne doit avoir aucune chose
identique sinon l'une des deux serait de trop, inutile, sans raison suffisante.
C'est pourquoi le fait que les êtres soient en nombre infini
résulte du principe de continuité. Et si ces êtres sont
hiérarchisés, cela relève du principe des indiscernables
puisqu'il ne saurait avoir deux êtres de même degré.
· La théorie de la substance
LEIBNIZ définit la substance comme une unité de
force, un point métaphysique ou une monade inétendue, donc
indivisible de la nature psychique. Pour lui, il n'y a pas de commencement ni
de fin pour la substance ni dissolution ni composition. En créant
l'univers, Dieu a réglé une fois pour toute l'activité des
substances de telle sorte que leurs phénomènes se correspondent.
La monade est un miroir du monde vivant car elle est à la fois finie et
infinie. Infinie, parce qu'elle reflète l'univers entier, finie parce
qu'elle le reflète sur un point de vue particulier. De là il
définit l'espace comme l'ordre coexistant et le temps comme l'ordre des
successifs.
Dans sa psychologie, deux idées essentielles retiennent
notre attention : celle de la théorie des idées
innées et de la liberté comme spontanéité.
L'innéisme est la doctrine selon laquelle les idées en nous
précèdent l'expérience. Comme le pensait
déjà PLATON, si nous n'avions pas déjà en nous
l'idée d'égalité, par exemple, nous ne pourrions pas
découvrir que deux choses sont égales. Cette notion de
l'innéisme, LEIBNIZ la tient de Descartes qui affirme :
« je considère qu'il y a en nous certaines notions
primitives, qui sont comme des originaux, sur le patron desquels nous formons
toutes nos autres connaissances »20(*).
Après l'exposé de cette doctrine rationaliste de
l'antiquité en passant par le moyen-âge et le temps moderne, il
ressort que la raison a pris une place tellement importante dans la vie et le
langage de l'homme que l'essentiel a été oublié : L'
EXISTENCE. L'existence a été oubliée en ce sens que les
concepts laissent de côté l'individualité et l'existence
des choses. Pourtant qu'il n'existe que des individus. Par cette manière
d'aborder l'existant, le rationalisme laisse une faille entre la pensée
abstraite et le réel. On a beau assembler les concepts, on ne rejoint
pas le réel ; on l'enserre peut être plus près, mais
son individualité échappe toujours à l'esprit. L'homme ne
peut pas être déduit. Il est un mystère pour notre esprit.
Il ne peut être envisagé comme un objet et dans une essence
d'animal raisonnable, mais plutôt dans son individualité
concrète, qui peut seulement être décrite. Ainsi pour de
nombreux penseurs, il est urgent de revenir à cette existence humaine
qui, à cause des systèmes spéculatifs a perdu sa place
dans la vie de l'homme.
I.2. APPROCHE CONCEPTUELLE DE
L'EXISTENTIALISME
Face au constat de l'oubli de l'existence au profit de la
raison durant les premiers siècles jusqu'aux temps modernes, beaucoup de
penseurs vont se lever pour déplorer cette attitude. Cette
révolte des philosophes face au primat de la raison va donner naissance
à un courant qu'on nommera au début du 20ème
siècle l'existentialisme. Ce courant sera : « une
pensée existentielle -qui- s'attache principalement, sinon même
exclusivement, à l'homme, et vise à pénétrer sa
subjectivité [...] son individualité, son
existence. »21(*).
I.2.1. Définition du
concept existentialisme
D'un point de vue philosophique, le mouvement existentialiste
ne se caractérise pas par une très grande unité. Il est
difficile de donner d'une manière incontestable les
caractéristiques d'une philosophie existentialiste. De plus, ceux
à qui on accole l'étiquette la refusent parfois, et affirment
que : « -leurs- tendances philosophiques ne
peuvent pas être classées comme philosophie
existentielle »22(*).
Pourtant, les penseurs existentialistes s'accordent
généralement sur un certain nombre d'idées. Avant de
désigner un système philosophique particulier, on utilise le mot
existentialisme pour parler d'une manière d'aborder la
réflexion et le questionnement philosophique qui s'enracine dans
l'existence concrète.
L'existentialisme s'oppose à l'effort de
systématiser rationnellement l'existence humaine. Si l'esprit humain
peut construire un système rationnel pour expliquer notre
réalité, les existentialistes considèrent
généralement qu'un tel effort est inutile, car la pensée
ne peut jamais correspondre entièrement à la
réalité. Il ne peut donc y avoir de système de l'existence
satisfaisant. C'est pourquoi ils préfèrent des attitudes
intellectuelles qui permettent de ressortir le caractère riche, souvent
ambigu et paradoxal de notre vécu. Ainsi, à leurs yeux,
l'expérience vécue, possède une valeur plus
élevée que la théorie. À partir de là, ces
philosophes établissent une distinction entre l'action éthique et
l'action esthétique. L'action éthique vise à transformer
notre réel, tandis que l'action esthétique conduit à poser
un jugement sans chercher à modifier quoi que ce soit dans la
réalité. Évidemment, les existentialistes critiquent
fortement ceux qui essayent de tenir le réel à distance.
Selon les existentialistes, notre existence semble
indéfinissable. Le monde dans lequel on vit est absurde et n'offre
à l'humain aucune valeur supérieure. Dans l'ensemble, à
l'intérieur du mouvement existentialiste, on considère que
l'existence humaine a un caractère paradoxal, voire contradictoire et
contingent. C'est dans ce contexte qu'ils s'interrogent habituellement sur la
liberté, sur la responsabilité et sur un possible bonheur. De
là nous pouvons tirer cette définition et dire que
l'existentialisme est un courant philosophique plaçant au coeur de sa
réflexion, l'existence individuelle, la liberté, et le choix
personnel. Ils sont trois points fondamentaux sur lesquels se fonde cette
doctrine pré-moderne car il serait « enfantin [...]
de croire que la philosophie dite existentialiste est le produit d'une
génération spontanée [...], apparue toute
formée »23(*).
A vrai dire, l'existentialisme remonte aux origines de
l'humanité. On pourrait soutenir que c'est un mouvement de pensée
religieuse dans son fond, mais laïcisé de nos jours. C'est l'une
des « idées chrétiennes devenues
folles » selon l'expression de Chesterton. Il s'ensuit
que la source première de cette doctrine est la bible ; aussi
« l'appel de Socrate opposant aux rêveries cosmogoniques
des physiciens d'Ionie l'impératif intérieur du connais-toi
toi-même »24(*), en est un.
Lorsque nous parcourons les livres tel que celui de
Job ou de l'Ecclésiaste, nous nous apercevons que la
vie humaine nous est présentée sous deux formes : une vie
humaine heureuse et une autre malheureuse et misérable. Ce que ces deux
tendances apportent au monde ne sont pas des pensées spéculatives
abstraites, mais une doctrine de vie fondée sur les témoignages
d'hommes qui ont pu avoir une relation particulière avec Dieu :
« Moïse et les prophètes, les hérauts du Dieu
qu'ils ont vu ; dans le nouveau testament notre Seigneur
Jésus-Christ lui-même, le maître par excellence de la bonne
nouvelle, et saint Jean et Saint Paul sont témoins tous en un sens
large sans doute, mais vrai cependant, et profond sont
existentialistes »25(*). Bien qu'ils ne soient pas philosophes, ils
sont tout de même existentialistes parce qu'
« ils ne spéculent pas sur la nature des
choses, la valeur de la connaissance, les catégories, les essences et
les possibles. Ils ne cherchent pas à démontrer quoique ce soit,
pas même l'existence de Dieu. Ils ne forment pas des concepts clairs et
distincts. Ils ne construisent pas de système rationnel [...].Ils
témoignent de ce qu'ils ont vu. Ils placent au centre de leurs
préoccupations l'homme dans ses rapports avec Dieu. Ils apportent une
doctrine de l'existence humaine, c'est-à-dire, un ensemble de
vérité concrète, historique, sur l'origine, la condition
présente et la destinée de l'homme [...], appelé à
la vie éternelle et au bonheur du ciel »26(*).
Au moyen-âge, nous voyons aussi cet esprit
existentialiste à l'oeuvre chez d'autres grands savants à
l'instar de saint AUGUSTIN qui présente parmi les grands docteurs
chrétiens de l'époque, les traits les plus visibles de
l'existentialisme que nous décelons à travers ses Confessions
et dans son thème de l'inquiétude humaine.
De lui, nous retiendrons deux points :
· Dans sa devise « Me connaître, Te
connaître », l'évêque d'Hippone
trouve là l'essentiel de la vie de tout homme ; et tout ce qui peut
venir après à savoir la connaissance, l'explication des choses,
la science et la possession. « A quoi cela sert-il à
l'homme s'il vient à perdre son
âme ? ».
· Après avoir montré où se
trouve la connaissance primordiale et essentielle, c'est-à-dire me
connaître pour connaître Dieu, AUGUSTIN insère ainsi le
thème de l'inquiétude humaine qu'il exprime dans une formule
célèbre : « Tu nous as fait pour Toi Seigneur
et notre coeur est inquiet tant qu'il ne repose en
Toi ». Il trace ainsi les traits les plus profonds de
la condition humaine, l'état de malheur et l'angoisse
irrémédiable de l'homme qui sans Dieu ne peut plus espérer
au bonheur.
Plus près de nous, PASCAL est présenté
comme le précurseur direct de l'existentialisme en ce sens qu'il met au
centre de ses préoccupations l'homme comme individu concret, existant.
C'est pourquoi il dira que « nous ne nous contentons pas
de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous
voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire et nous nous
efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment
à embellir et à conserver notre être imaginaire et
négligeons la véritable »27(*). Dans les
Pensées, PASCAL affirme qu'une philosophie systématique
qui entend expliquer Dieu et l'humanité est une forme de vanité.
Il découle de cette attitude un rejet, au 17ème
siècle du rationalisme rigoureux de son contemporain DESCARTES car, il
trouve que ceux qui approfondissent trop les sciences s'inquiètent
à peine de l'homme, de sa vie, de sa mort28(*).
Comme école à proprement parler distincte de la
pensée chrétienne en général et augustinienne ou
pascalienne en particulier, l'existentialisme naît au Danemark dans la
première moitié du 19ème siècle et
KIERKEGAARD en est le père. Avec KIERKEGAARD, c'est toujours une
pensée profondément religieuse, s'insérant dans le cadre
de la théologie protestante. L'auteur danois fonde l'école
existentialiste en ce sens qu'il apporte le fond, les principes, les
idées sur lesquelles vivront ses successeurs. Mais pour avoir une
philosophie existentialiste, il faudra attendre la jonction entre la doctrine
de KIERKEGAARD et la méthode de HUSSERL à travers la
phénoménologie. Assemblage qui permettra de donner une forme
philosophique aux intuitions de KIERKEGAARD de sorte que de « la
jonction entre la doctrine de l'existence issue de Kierkegaard et la
méthode phénoménologique de Husserl, forme et fond
réunis, surgit l'école existentialiste »29(*).
I.2.2. L'école
existentialiste
L'école existentialiste se scinde en deux principales
tendances. Ces tendances selon HEIDEGGER, peuvent être appelées la
gauche et la droite. Ce qui les distingue c'est la position de chacune d'elle
par rapport à Dieu. La gauche se réclame athée
et la droite théiste ou chrétienne. De
là sortira une différence considérable dans la description
de l'homme.
I.2.2.1. L'existentialisme
athée.
Fondé sur une négation, l'athéisme est un
mot qui vient du grec a, qui signifie « non » et
théos qui veut dire « dieu », est
une doctrine ou attitude niant l'existence de Dieu. Il en sort de cette
doctrine que l'homme est abandonné à lui-même,
l'absurdité est la loi de son existence. Cet existentialisme aboutit
d'une manière à un pessimisme absolu. Il a pour maître
à penser plusieurs grandes figures de la philosophie à l'instar
de Martin HEIDEGGER et Jean-Paul SARTRE qui seront rangés parmi les
existentialistes.
I.2.2.1.a. Martin
HEIDEGGER
Le but de Martin HEIDEGGER est de constituer une ontologie
générale et de répondre à la question :
qu'est-ce que exister ? Pour cela, il propose de
réfléchir sur l'être humain -Dasein- qui est le
seul être capable de réfléchir et de s'interroger sur son
être. Il distingue deux types d'existence : l'existence banale et
l'existence authentique.
· L'existence banale
Ici l'homme n'est qu' un numéro interchangeable, une
sorte d'automate sans responsabilité -Das man - pour qui son
être se réduit à sa fonction sociale et qui
considère les choses comme des instruments, des ustensiles et est
dominé par le souci du pain quotidien. Pour Martin HEIDEGGER ce type
d'être vit mais n'existe pas.
· L'existence authentique
Cette existence se fait à l'aide de l'angoisse.
L'auteur du Sein und Zeit trouve que tous les hommes sont
angoissés mais certains la dissimulent, la repoussent et se cantonnent
dans l'existence banale. L'angoisse nous révèle la condition
humaine, l'étude de l'homme non pas sous une forme conceptuelle et
abstraite, mais concrète par une sorte d'expérience
métaphysique. Il suit de là quatre traits de l'existence humaine
à savoir :
-La déréliction ou exister ; c'est
être plongé dans un monde austère, écrasant et
menaçant dès notre naissance et abandonné.
- La mort ; de par ce
phénomène, l'homme est un être destiné à
mourir, un être mourrant. Cela non pas seulement suite à un
évènement biologique mais parce que c'est une structure
permanente propre à notre être. Pour Martin HEIDEGGER,
« ce n'est par aucune de ces manières de finir que l'on
peut adéquatement caractériser la mort en tant que fin de la
réalité humaine »30(*). La mort de l'homme ne rentre pas dans les
cadres de ses fins empiriques. Elle consiste en une restriction progressive de
ses possibilités et la seule attitude digne face à elle est la
résignation et l'acceptation du destin.
- La temporalité ou l'historicité est
un autre caractère de l'être humain. Pour Martin HEIDEGGER,
l'homme se temporalise car, la temporalité est notre manière
d'exister ; c'est une existence dispersée et esthétique.
L'homme est dans l'avenir et « en avant de
soi » car, il anticipe sans cesse le présent par ses
projets et il est dans le passé, « en arrière de
soi » par cette partie de lui-même qu'il ne peut changer.
D'où, pour lui, la temporalité est une double extase qui se fonde
sur le présent ou l'homme se fonde lui-même.
- La liberté. Il pense que la liberté
fonde l'essence même de l'homme. Elle consiste à transcender,
dépasser, la situation où nous nous trouvons soit en l'acceptant
soit en la réfutant. Cette liberté ne disparaît qu'à
la mort qui est la suppression de toutes nos possibilités. C'est
pourquoi chacun se fait librement et n'est rien d'autre que ce qu'il s'est
fait. Donc en raison de nos projets, nous sommes responsables du monde.
I.2.2.1.b. Jean-Paul
SARTRE
Figure de proue du courant de pensée existentialiste,
Jean-Paul SARTRE a fourni un effort considérable en vue de
définir précisément son concept fondateur. Il commence son
existentialisme en professant qu'il est athée lorsqu'il dit :
« il y a deux espèces d'existentialistes : les
premiers qui sont chrétiens [...], et d'autre part, les existentialistes
athées parmi lesquels il faut ranger Heidegger [...] et
moi-même »31(*). Définissant l'existentialisme, il
dira qu'il est « une doctrine qui rend la vie humaine possible et
qui, par ailleurs, déclare que toute vérité et toute
action impliquent un milieu et une subjectivité
humaine »32(*).
Le point de départ de sa philosophie est la
découverte de l'existence comme contingente. Elle se fait par une
expérience que SARTRE appelle l'en- soi et le pour-
soi.
L'en-soi est la caractéristique de toute chose, de
toute réalité extérieure à la conscience. Le
concept d'en-soi désigne ce qui est totalement soumis à la
contingence, c'est-à-dire tout ce qui est sans liberté et ce qui
n'entretient aucun rapport à soi. L'existence de tout en-soi est passive
en ce sens que, par exemple, une porte ne peut être autre chose qu'une
porte. Ce concept d'en-soi se rapporte donc aux choses matérielles parce
qu'elles existent indépendamment de toute conscience.
Le pour-soi désigne l'être de l'homme. Pourvu
d'une conscience qui fait de lui un être tout à fait particulier,
l'être humain se distingue de l'en-soi. Étant donné cette
conscience capable de se saisir elle-même, le pour-soi a comme principal
attribut une liberté absolue. Cette liberté n'est pas une absence
de contingence ou de limite, mais une possibilité infinie de choisir.
Contrairement à l'en-soi qui coïncide toujours avec lui-même,
le pour-soi, c'est-à-dire l'être humain, a conscience de
lui-même.
Le trait fondamental de l'analyse ontologique qu'on puisse
faire du pour-soi est que l'homme est dans un état de malheur
irrémédiable car, sa volonté de tendre vers l'infini et
nécessairement par ses moyens, est vouée à l'échec.
Le second trait caractéristique chez SARTRE est la liberté car
« l'homme est condamné à être libre.
Condamné parce qu'il n'est pas créé lui-même, et par
ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est
responsable de tout ce qu'il fait »33(*).Cela signifie que
l'homme n'est pas une chose mais un sujet ; il n'a pas une nature
définie d'avance, une essence toute faite. Il se fait en agissant.
L'homme est absolument libre. Il est le fondement de ses valeurs puisqu'il les
crée lui-même librement, et se donne un but à suivre. De
son principe moral suit cette invitation, « sois libre, n'abdique
en aucun cas ta liberté ».
Enfin, de part sa théorie de l'être pour-soi,
SARTRE va de l'expérience commune. Il trouve que se sentir
regardé engendre un sentiment de honte. Sentiment de honte en ce sens
que le regard me révèle autrui comme pour-soi, et devant
qui je ne suis plus qu'un objet, un en-soi. Et si je m'avise à
regarder à mon tour celui qui me regarde, cela fait place à une
lutte de deux consciences, de deux libertés chacune cherchant à
nier l'autre. Si on veut réconcilier les deux par le biais de l'amour,
SARTRE pense qu'il oscillera entre deux perversions : le sadisme et le
masochisme.
I.2.2.2. L'existentialisme
chrétien
I.2.2.2.a. Karl JASPERS
Médecin et psychiatre et titulaire de la chaire de
philosophie à Heidelberg, Jaspers est un philosophe théiste qui
tire son inspiration de KIERKEGAARD. Plus radical que HEIDEGGER dans son
existentialisme, il considère qu'aller au-delà de l'existence
humaine n'est pas son ambition et trouve que le domaine descriptif est toujours
inadéquat. Chez JASPERS, la philosophie consiste simplement à
être et non à parler de l'être ; à
éclairer « l'abîme de
l'être-moi ». Pour cela il choisit de partir de
l'être dans sa situation concrète.
Le point de départ de cette philosophie existentielle
est, chez lui, l'ego, une sorte de cogito, mais plus profond
que celui de DESCARTES qui se borne à poser la pensée. De
là il distingue deux types d'être : l'homme comme partie de
l'univers, comme objet, et l'homme comme sujet connaissant.
Pour JASPERS, le moi est un acte, un jaillissement de
l'être et ne peut être représenté par des concepts ni
exprimé par des mots car « il se dérobe de tout
savoir déterminé ». Il est plutôt
donné par une expérience intime et primitive ;
l'expérience parce qu'elle nous révèle le moi
comme liberté car, c'est une même chose de dire qu'il est acte et
qu'il est liberté. La liberté dont il parle, l'acte par lequel
j'existe, je suis moi, n'a ni cause ni raison. Et il définit la
liberté comme le principe du développement de l'être
humain. Il considère que l'existence est une sorte de tension entre deux
pôles ; elle s'enracine dans l'éternité et
s'épanouit dans le temps ; puisque sans le premier l'homme ne
serait qu'un anneau dans l'enchaînement des évènements du
monde et ne se développerait pas. Sans le second non plus il serait
immobile en lui-même et ne se développerait pas aussi.
Karl JASPERS trouve que le moi ne se réalise
pas seul, isolément, il n'est pas une monade puisque chacun a
besoin pour être lui-même de communiquer avec d'autres-moi. Il
s'agit là d'une relation ontologique unissant des moi
irréductibles ; et cette relation est l'amour. L'amour parce
que chacun se donne à l'autre en respectant l'originalité, la
liberté de l'autre. Ainsi le nous précède et
fonde le je et le tu.
I.2.2.2.b. Gabriel MARCEL
Gabriel MARCEL fait partie de ces auteurs qui refusent que
leur doctrine soit appelée existentialiste et préfère
plutôt l'appellation de doctrine socratique ou de socratisme
chrétien. Son intention philosophique est de « restituer
à l'expérience son poids ontologique »34(*). Dans son
existentialisme qui sera une sorte d'empirisme, parce que refusant les
systèmes et l'abstraction, MARCEL va élaborer une philosophie qui
considère l'être comme un mystère. Il considère le
rationalisme comme une déviation de la raison qui ne livre rien de
moins qu'«une raison ivre d'elle-même»35(*)
A la base de son existentialisme, il établit deux
distinctions entre être et avoir. Cet auteur a
constaté que très souvent, l'homme est identifié à
ce qu'il a or l'avoir n'est que de l'ordre du matériel. C'est
pourquoi MARCEL pense que l'avoir engendre une tendance à trois faces
que VERNEAUX nomme ainsi : « tendance à
asservir l'objet à le traiter comme un pur instrument, tendance à
s'asservir à l'objet, s'y attacher, s'y absorber, et tendance à
exclure autrui de la possession en le considérant comme un
privilège personnel »36(*). De là, la personnalité de
l'homme est réduite à son corps ou pire encore aux choses qu'il
possède. Or l'être transcende ce plan. Il est un
mystère.
Expliquant ce qu'est le mystère, Gabriel MARCEL tient
d'abord à lever l'équivoque en précisant que le
mystérieux ne doit pas être assimilé à
l'inconnaissable car, l'inconnaissable est la limite des problèmes
insolubles. Le mystère appartient à un plan transcendant qu'on
peut appeler méta-problématique. Il définit le
mystère comme « un problème qui empiète
sur ses propres donnés, qui les envahit et se dépasse par
là même comme simple problème »37(*). Distinguant alors le
problème du mystère, MARCEL déclarera
qu' « entre un problème et un mystère, il y
a cette différence essentielle qu'un problème est quelque chose
que je rencontre, que je trouve tout entier devant moi, mais que je puisse
même par là cerner et réduire- ou lieu qu'un mystère
est quelque chose en quoi je suis moi-même engagé, et qui n'est
par conséquent pensable que comme une sphère où la
distinction de l'en moi et du devant moi perd sa signification
initiale »38(*). De ces propos nous pouvons à la
suite de MARCEL dire que ce qui caractérise le mystère est tout
simplement le fait qu'on s'y trouve soi-même engagé et
impliqué. Le mystère ne peut être résoluble, il peut
seulement être reconnu et révélé ; d'où
l'homme n'est pas un problème, c'est un mystère.
I.3. PRELUDE CRITIQUE AU
COURANT RATIONALISTE
La critique que les existentialistes adressent aux
rationalistes est basée sur la manière dont l'homme est
abordé c'est-à-dire manière objective.
Les existentialistes s'opposent aux concepts de la philosophie
tels qu'on les rencontre chez PLATON, SPINOZA, DESCARTES et HEGEL. La
philosophie platonicienne telle qu'on la conçoit ordinairement est
à la recherche de l'idée en tant que quelque chose d'immuable,
SPINOZA veut accéder à une vie éternelle qui est
béatitude. En effet, le philosophe en général, depuis
PLATON veut trouver une vérité universelle valable pour tous les
temps, il veut s'élever au- dessus du devenir et opère ou pense
opérer avec la seule raison.
Cette philosophie rationaliste est conçue comme
l'étude des essences ; mais les existentialistes iront à
l'encontre de l'idée de l'essence prise dans ce sens39(*). Martin HEIDEGGER pense que
les objets, les instruments ont peut-être des essences, la table et la
statue ont une essence, mais le créateur de ces objets,
c'est-à-dire l'homme n'a pas une telle essence. Dans ses études,
HEIDEGGER cherche à savoir ce que c'est qu'une statue et il trouve
qu'elle n'est qu'une essence ; mais pour l'homme nous ne pouvons pas nous
demander ce que c'est, mais qui est ce ? Il suit de
là que l'homme n'est pas une essence mais une existence ; ou bien
selon la formule de HEIDEGGER, un être dont l' « essence est
dans son existence »40(*).
KIERKEGAARD pense que la formule de Descartes
« je pense donc je suis » ne
répond pas à la réalité de l'homme existant
car, « moins je pense, plus je suis » et
inversement. De tout ce qui précède nous devons remarquer que
la philosophie de Platon et de Descartes est une philosophie à la
recherche de ce qui est stable et universel.
Mais avec HEGEL, l'idée de stabilité sera
remplacée par l'idée du mouvement universel ; et seule
restera, cependant, l'idée de l'objectivité, de la
nécessité, d'universalité et de totalité des
philosophes classiques. De part son génie, HEGEL arrive à
maintenir à la fois l'idée de mouvement, et les idées
d'objectivité, de nécessité, d'universalité et de
totalité. De là, KIERKEGAARD s'oppose à HEGEL. Le
philosophe danois récuse l'idée de HEGEL d'avoir fait un
système car, trouve-t-il, il n'y a pas de système possible de
l'existence. Il refuse d'être considéré comme un moment tel
que le font les systèmes dans le développement de la
réalité. HEGEL pense qu'il n'y a qu'une seule
réalité véritable et pleine : c'est la
totalité rationnelle « parce que tout ce qui est
rationnel est réel ». Or cette totalité
c'est l'idée. A la recherche de l'objectivité qu'on retrouve chez
HEGEL, à la passion et au désir de totalité, KIERKEGAARD
va opposer l'idée de vérité comme subjectivité. Le
principal ennemi de l'auteur des Miettes philosophiques est celui qui,
à force de connaissances oublie ce que c'est qu'exister à
l'exemple du savant qui s'efforce d'aller vers la connaissance objective des
choses et pourtant qu' « il y a des choses qui ne
peuvent pas être comprises par un savoir »41(*).
Le système hégélien a tort d'expliquer
toutes choses. Les choses ne doivent pas être expliquées mais
vécues. Aussi au lieu de saisir une réalité objective,
universelle, nécessaire et totale, KIERKEGAARD dira que la
vérité est subjective, particulière et partielle, raison
pour laquelle il ne peut y avoir de système d'existence. Les deux mots
système et existence sont contradictoires. La pensée ne peut pas
atteindre l'existence réelle mais « seulement du
passé ou l'existence possible » parce que ces
existences sont opposées à l'existence réelle.
Si nous connaissons peu de choses au sujet de Socrate, c'est
précisément que SOCRATE est un existant. Notre ignorance à
son sujet est la preuve qu'il y a là quelque chose qui doit
nécessairement échapper à la science historique42(*). Exister objectivement ou
être dans la catégorie de l'objectif ce n'est plus exister c'est
être distrait de l'existence.
Dans son premier volume intitulé Weltorientierung
(l'orientation dans le monde) JASPERS expose sa philosophie qui constitue
un examen et une critique de la science car, pour lui, il y a deux grandes
théories philosophiques qui ont essayé en se fondant sur les
sciences, de nous donner une vue de l'universel d'une part le positivisme et
d'autre part l'idéalisme. Chacune de ces philosophies aboutit à
la négation de l'individu c'est-à-dire de l'existence. Elles
méconnaissent l'existence parce qu'elles veulent réduire les
choses à ce que nous pouvons concevoir.
Dans cette critique faite à la science, Jaspers pense
que « la science ne peut pas nous donner une vue totale et
réelle de l'univers, car il n' y a pas des sciences, et chacune d'elles
a ses postulats particuliers »43(*). Karl JASPERS reproche à ces
différentes sciences le fait qu'elles soient fondées sur les
hypothèses qu'elles ne démontrent pas et qui les rendent
multiples parce que chacune ayant ses hypothèses qui les séparent
des autres. En effet, chacune d'elles a un caractère spécifique
de part son objet et pourtant l'objet commun de toutes ces sciences devait
être l'homme. C'est pourquoi les sciences de la vie ne peuvent pas
être réduites aux sciences de la matière, ni celle de
l'âme et de l'esprit aux sciences de la vie. Dans tout cela il faudrait
que nous portions notre regard vers celui qui conçoit la science et qui
est l'existant. HEIDEGGER dans sa critique qu'il adresse aux sciences, constate
qu'elles sont fondées sur des présuppositions en tant qu'elles
laissent de coté l'existence, et se fondent sur l'opposition du sujet et
de l'objet et qu'elles se meurent dans un système de pure
représentation.
Gabriel MARCEL dans sa méditation sur les philosophes
néohégéliens tels que BRADLEY, BOSANQUEt
écrit : « Il n'y a pas de système de
l'ensemble du monde »44(*). Cette philosophie hégélienne
dominée par l'idée de l'absolu, amène Marcel à
penser qu' « il ne peut y avoir de savoir absolu sur le
réel, ni d'ailleurs sur nous-même »45(*). Nous sommes du
domaine du non qualifiable car, toute qualification qu'on puisse nous donner
est une qualification insuffisante ; c'est pourquoi il ne peut y avoir une
vérité sur l'homme et encore moins sur l'ensemble des choses.
Le rationalisme ne nie pas la rationalité humaine. Son
erreur réside dans le fait qu'il absolutise la raison. Le rationalisme
est abusif puisqu'il conduit l'homme à s'enfermer dans sa propre raison.
Il ne veut pas et ne tolère pas une autre fenêtre par où
puisse entrer la lumière. Sous les apparences d'une plus grande
largeur d'esprit, Le rationalisme en arrive à une étroitesse
d'esprit. Lorsque le rationalisme impose à l'homme la raison comme seule
source de connaissance, il refuse à ce dernier un dépassement qui
l'élèverait davantage. Le poids du rationnel est la grande
richesse de l'humanité. La dictature de la raison engendre une
grande pauvreté. A première vue, le rationalisme semble assurer
le royaume de l'homme, mais, en fait, il engendre le désarroi de
l'esprit. C'est pourquoi avec Sören KIERKEGAARD, nous allons essayer, tout
en montrant davantage les limites du rationalisme de voir comment sortir de ce
grand tourbillon dans lequel nous a mené cette doctrine de la raison, en
proposant les voies et moyens pour que l'homme puisse revenir à
l'essentiel, à l'existant.
CHAPITRE II
L'EXISTENTIALISME
KIERKEGAARDIEN
II.1. Remise en cause des
systèmes
Dans son ouvrage intitulé Post-scriptum aux miettes
philosophiques, Sören KIERKEGAARD sous le pseudonyme de Johannes
CLIMACUS, passe en revue les différentes méthodes qui peuvent
mener la réflexion philosophique jusqu'à la vérité
ou plutôt jusqu'à l'essence de la vérité. Il y
analyse l'insuffisance de la théorie du langage abstrait ; bref il
critique la pensée rationaliste.
II.1.1. La critique de
l'hégélianisme
De manière générale, toute étude
sur KIERKEGAARD ne peut éluder la critique qu'il fait du système
hégélien en particulier et de tous les systèmes en
général. Car c'est en opposition à HEGEL que sa position
se définit. KIERKEGAARD entreprend cette critique des systèmes
parce qu'il considère que « le malheur de notre
époque est qu'elle a appris trop de choses, et qu'elle en a
oublié d'exister »46(*). Mais, si la critique est formulée
contre les systèmes et le savoir absolu, elle atteint par ricochet toute
spéculation abstraite et tout usage de la raison en matière
religieuse.
De part ses études menées à
l'université, KIERKEGAARD a pris connaissance de la pensée
hégélienne et fut même séduit au départ par
sa dialectique. Mais dès 1841, il commence à s'en dégager
et la critique faite à ce dernier atteint son maximum dans le
Post-scriptum.
La thèse de KIERKEGAARD est qu' « il peut
y avoir un système logique, il ne peut y avoir un système de
l'existence »47(*) puisque le réel n'est pas formé de
concepts mais d'individus existant concrètement. Avec HEGEL, le
système commence avec l'immédiat. Mais l'auteur Des
Miettes philosophiques montre qu'il ne commence pas avec
l'immédiat, car celui-ci est atteint par la réflexion.
Une question se pose alors : « comment est ce que
j'arrête la réflexion pour atteindre le
commencement ? »48(*). La réponse que l'on peut donner est que la
réflexion, laissée à elle-même, continuerait
indéfiniment parce qu'elle a cette propriété remarquable
qu'elle est infinie. Ce qui veut dire qu'elle ne peut être
arrêtée par elle-même. Si elle s'arrête devant
l'immédiat, ce n'est pas en vertu de sa logique interne, mais
en vertu d'une décision librement prise. C'est pourquoi
« ce n'est que quand la réflexion est arrêtée
qu'on peut commencer, et la réflexion ne peut être
arrêtée que par quelque chose d'autre, et cette autre chose est
tout différent du logique car c'est une
décision »49(*).
L'autre revers du système est qu'il doit englober toute
vérité ; donc, être achevé sinon aucune de ses
parties ne tient. « Un système et un tout clos sont une
seule et même chose ; donc tant que le système n'est pas
fini, il n' y a pas de système »50(*). Voilà pourquoi le
problème est que le système philosophique est parfait et
achevé. Pour y entrer, il faut une décision libre qui est
antérieure et transcendante au système ; raison pour
laquelle ce système n'a rien de logique, car commençant en vertu
d'un acte libre. Dans sa volonté de nous montrer que le système
est quelque chose de jamais achevé, KIERKEGAARD dit :
« chaque fois que j'ai été sur le point de tomber
à genoux devant le système pour l'adorer, j'ai demandé
à l'un des initiés : « dis- moi est-ce tout
à fait terminé ? » Et j'ai reçu toujours la
même réponse : « Non, à vrai dire ce
n'est pas encore tout à fait fini ». Et, ainsi tout
était à nouveau remis à plus tard, le système et
la génuflexion »51(*). Nous nous apercevons dès lors que ce
qui nous est offert, ce n'est pas un système, mais l'effort de l'homme
vers le système, car le système est un tout uni et
achevé. De ce qui précède, nous pouvons affirmer que le
système philosophique est quelque chose qui reste toujours incomplet,
c'est-à-dire inachevé.
Pour KIERKEGAARD, la valeur réelle d'un système
d'idées logiques est nulle et il suit de là qu'un système
de l'existence est impossible parce que l'existence est ce qui sépare.
Elle sépare les choses les unes des autres et rend leur
individualité inconnaissable. Elle sépare les choses de la
pensée et les pose en soi hors de l'immanence. Cela signifie qu'on peut
bien confiner les concepts mais le réel n'est pas formé de
concepts ; il est constitué d'individus existant et leur existence
consiste en ce qu'ils sont posés chacun en soi, c'est-à-dire
à part des autres et en dehors de la pensée. Il apparaît
qu'aucun procédé dialectique ne peut synthétiser les
existants puisque le philosophe qui construit un système n'est pas
lui-même une idée de son système. Or, le philosophe est un
homme particulier existant ; mais qui se désintéresse de son
existence sous prétexte d'être objectif au point où il
arrive à comprendre tous les systèmes des sciences, sauf
lui-même. Pour l'exprimer, KIERKEGAARD recourt à l'image d'un
bâtisseur qui « élève une bâtisse
immense, un système universel embrassant toute l'existence et l'histoire
du monde, etc. Mais regarde- t-on sa vie privée, on découvre
ébaudi ce ridicule énorme qu'il n'habite pas lui-même ce
vaste palais mais une grange à côté, un chenil, ou tout au
plus la loge du concierge »52(*).
Le système universel qu'il soit celui de l'esprit selon
HEGEL, ou celui de l'humanisme selon MARX, a oublié dans sa dispersion
historico-universelle ce que signifie être un homme. La tâche que
KIERKEGAARD se propose est précisément l'inverse. C'est
l'individu qui est la vérité et non la raison, l'humanité
ou l'Etat, car l'individu est la seule réalité.
« Ce qui existe est toujours un individu ; l'abstrait
n'existe pas »53(*). L'existence désigne chez KIERKEGAARD la
réalité concrète de l'homme, non de l'homme en
général, mais de chaque individu.
Le système Hégélien serait admirable en
tant qu'expérience mentale, comme fiction abstraite ; mais, si nous
cherchons à le comprendre comme le vrai sens de la
réalité, c'est tout simplement comique54(*) ; ici apparaît un
thème récurrent tout au long de son oeuvre : l'ironie.
Celle-ci occupe dans la pensée la place que chez HEGEL correspondrait la
dialectique. KIERKEGAARD l'utilise comme un moyen pour détruire le
système hégélien. Il prétend par là
défendre la seule chose qui importe : l'existence et son
mystère. Dans l'idéalisme hégélien, la
liberté et l'individualité de la personne sont sacrifiées
à la nécessité et à l'universalité de
l'idée. La pensée en définitive est abstraite et
l'existence concrète ; c'est pourquoi la pensée ne pourra
jamais comprendre l'existence. La pensée du sujet existant n'est pas la
pensée objective du philosophe qui s'oublie lui-même mais la
pensée subjective, la réflexion sur le mouvement de sa propre
existence.
Par cette critique, le philosophe danois montre à quel
point toute spéculation abstraite laisse de côté
l'existence et ne peut donc ni la penser, ni l'expliquer ni la
démontrer. Ce refus ou ce rejet de la conceptualisation de l'existence
remonte à la période antique car « l'existence
correspond à l'individu qui, suivant l'enseignement de Aristote, est en
dehors de la sphère du concept »55(*).
Aborder ainsi l'existence ou la considérer de la sorte,
ne sera que le fruit de la pensée abstraite qui « je le
sais admire volontiers l'existence d'un artiste qui, sans s'interroger sur la
nature de sa condition humaine,[...] fait oublier l'homme pour
l'oeuvre »56(*).
II.1.2. La pensée
abstraite
La langue de l'abstraction ne mentionne, à vrai dire,
jamais ce qui constitue la difficulté de l'existence et de l'existant,
et donne encore moins d'explication. Si la pensée abstraite ne fait pas
ou n'arrive pas à la faire, c'est justement parce qu'elle est sub
specie aeterni, elle « ne tient pas compte du
concret, de la temporalité, du devenir propre à l'existence et de
la misère que connaît l'existant du fait qu'il est une
synthèse d'éternel et de temporalité, plongée dans
l'existence »57(*). Et conscients que la pensée est ce qu'il y a
de plus élevée, ces penseurs délaissent fièrement
l'existence aux hommes incultes.
Il est juste et bon de rappeler que penser abstraitement la
réalité et donner une réponse abstraite est plus facile
que de demander ce que signifie telle chose précise, et que de
répondre à cette question. Cela dit,
« l'abstraction ne tient pas compte de cette chose précise
mais la difficulté consiste précisément à la
rattacher à l'idéalité de la pensée en voulant la
penser »58(*). C'est pourquoi l'insuffisance de l'abstraction
ressort dans toutes les questions concernant l'existence. Elle commence par
écarter la difficulté en l'omettant et se vante par la suite de
tout expliquer. Prenant l'exemple de l'immortalité en
général, la pensée abstraite se trouve fière de
l'expliquer ; mais, quant à savoir si un existant particulier est
immortel, là se trouve la difficulté et l'abstraction n'a
guère de solution à donner. De là TISSEAU estime que
« la pensée abstraite m'aide ainsi, touchant mon
immortalité, en me tuant comme individu ayant une existence
particulière pour me rendre alors immortel ; elle me secourt
à peu près à la façon du médecin de Holberg,
dans la chambre de l'accouché, dont la drogue tua le malade, mais chassa
la fièvre »59(*). De cette façon, le penseur abstrait cesse
d'être homme.
La pensée fait abstraction de l'individualité
des choses, elle laisse de côté leurs caractères et leur
existence. Elle ne conçoit que des essences et les essences n'existent
pas, elles sont des possibles. Elle ne peut concevoir la réalité
que sous forme de possible seulement, d'où elle supprime cette
réalité en ce sens que « la réalité
ne se laisse pas exprimer dans le langage de l'abstraction, car les questions
qu'elle se pose et les réponses qu'elle y donne ne concernent pas
l'existence mais seulement les possibilités »60(*).
KIERKEGAARD, en prenant l`exemple du cogito
cartésien démontre que la pensée ne peut expliquer
l'existence. Dans le cas précis du cogito, le philosophe danois
pense qu'on peut repérer dans la déclaration de DESCARTES une
tautologie ou une contradiction. Une tautologie si l'on entend par Je
un homme particulier existant, et on obtiendrait
alors : je suis pensant, ergo je
suis ; mais si je suis pensant, ce n'est plus merveilleux que je sois
c'est déjà dit61(*) . Par contre, le cogito devient
contradictoire si le je signifie le je pur qui n'est personne
en particulier. Car alors, ce je ne peut avoir d'autre existence que
conceptuelle, et c'est une contradiction que de conclure de la pensée
à l'existence réelle, puisque la pensée supprime
l'existence et la transpose en possibilité. De là,
« qu'un penseur abstrait démontre son existence par sa
pensée, c'est une étrange contradiction, car dans la mesure
où il pense abstraitement, il fait abstraction précisément
du fait qu'il existe »62(*). KIERKEGAARD essaie de surmonter le cogito, ergo
sum de la philosophie moderne par un principe nouveau : credo,
ergo sum. L'existence authentique n'a pas sa racine dans la pensée
mais dans la foi. Je suis dans la mesure où je crois. Mais il faut noter
que chez KIERKEGAARD, credo et cogito s'opposent dialectiquement. La
pensée objective se désintéresse de la foi la quelle se
voit obligée de se réfugier dans la subjectivité.
D'où l'opposition chez KIERKEGAARD entre savoir objectivement et exister
subjectivement.
Considérons le rapport de la philosophie au
christianisme. KIERKEGAARD dans sa thèse tient d'abord à
préciser que le christianisme n'est pas une doctrine, mais plutôt
un message existentiel ; par conséquent, sa vérité
n'est pas objective parce que ne pouvant être démontrée ni
comprise. Il est pour la raison « le paradoxe
absolu ».
Quand l'auteur des Miettes philosophiques dit que le
christianisme n'est pas une doctrine, il ne prétend pas lui
dénier tout contenu doctrinal. Le christianisme n'est pas
« une doctrine qui veut être comprise
spéculativement [...] - mais - une doctrine qui veut être
réalisée dans l'existence »63(*). Par conséquent,
vouloir spéculer à son sujet est « un malentendu,
et si finalement on prétend l'avoir compris spéculativement,
alors on a atteint le maximum de malentendu »64(*).
Pour KIERKEGAARD, vouloir justifier le christianisme par la
raison est une entreprise qui relève du manque de foi. Ainsi,
KIERKEGAARD voit que le premier inventeur de la défense du christianisme
est un homme incrédule. En outre, si l'on parvenait à
démontrer la vérité du christianisme, on cesserait de
croire. D'où, prétendre avoir compris le christianisme c'est se
tromper car « si quelqu'un s'imagine qu'il le comprend, il peut
être tranquille qu'il se trompe »65(*). C'est ce qu'a fait HEGEL en
« médiatisant » et en intégrant le
christianisme à son système en lui reconnaissant certaines
vérités, mais qui, aussitôt, se trouvent
dépassées comme un moment provisoire de l'esprit. Or, cette
manière de faire est absurde car elle supprime ce qu'elle devait
comprendre.
L'intérêt suprême de l'homme dirions-nous
est d'exister concrètement. Mais cet intérêt ne le condamne
pas à cesser de penser ; tout au contraire il le porte à se
poser lui-même. Il donne donc une direction nouvelle ou plus largement un
nouveau « style » à sa pensée qu'on
peut appeler : la pensée subjective.
II.1.3. La pensée
subjective
Parlant de la pensée subjective, l'intention de
KIERKEGAARD est celle de réapprendre aux hommes ce que c'est
qu'être homme ou exister humainement. Cette volonté de KIERKEGAARD
se ressent dans cette phrase où il
déclare : « mon idée principale
était qu'à notre époque le développement du savoir
a fait oublier l'existence et l'intériorité, et que c'est par
là qu'on doit expliquer le malentendu entre la spéculation et le
christianisme. [...] Si l'on avait oublié ce que veut dire l'existence
humaine religieuse, on avait autant oublié ce que signifie exister
humainement ; c'est cela qu'il fallait donc
retrouver »66(*). C'est cette réflexion sur l'homme que
l'auteur des Miettes philosophiques appelle
« la pensée subjective ».
La question de la vérité fait également
partie de la préoccupation de KIERKEGAARD qui pense qu'il existe sans
doute une vérité objective. Pour lui l'important n'est pas de
connaître la vérité mais de la reconnaître et de se
l'approprier personnellement. Tel est le sens de phrase de Kierkegaard :
« la subjectivité est
vérité ». En ce sens, cette subjectivité
n'est nullement celle de Protagoras. KIERKEGAARD donne à voir que la
vérité objective est sans intérêt pour l'homme
existant s'il ne cherche pas à se l'approprier, à vivre dedans.
L'important pour l'homme n'est pas d'avoir une vérité, mais de
vivre cette vérité, d'être dans la vérité.
Dans la réflexion objective, la vérité est quelque chose
d'objectif et il s'agit de faire abstraction du sujet. Pour la pensée
subjective, la vérité est l'appropriation,
l'intériorisation, et l'approfondissement dans le sujet. Cela
apparaît parfaitement claire dans le cas de Dieu ; la
réflexion objective ne l'atteint pas car « Dieu
étant sujet n'existe qu'intérieurement pour la
subjectivité »67(*). Par contre, la réflexion subjective s'occupe
du rapport de l'individu à Dieu, et là, le comment l'emporte sur
le quoi. Cela signifie que la manière dont l'individu se rapporte
à Dieu peut très bien le mettre dans la vérité,
même quand il n'a pas une connaissance vraie du Dieu. Ainsi la
proposition hégélienne selon laquelle Dieu n'est essentiellement
que dans la pensée se transforme chez KIERKEGAARD en thèse selon
laquelle « Dieu n'existe que subjectivement et pour la
subjectivité d'une relation avec Dieu cas par
cas »68(*).
Le penseur subjectif a pour rôle de réapprendre
aux hommes ce que c'est qu'exister humainement, être homme ; car la
science, la philosophie, la raison et l'objectivité ont fait oublier
l'essentiel, le principal. Le philosophe danois prône une pensée
subjective pour aller à l'encontre des penseurs objectifs qui sont des
contemplateurs d'abstraction ; ils se tiennent dans un état de
distraction permanente à l'égard de leur propre existence. Ce qui
est contraire au penseur subjectif qui a son mode de pensée et ses
principales catégories.
II.1.3.a. Les modes de
pensée
· Le penseur subjectif pense
Dire qu'il ne pense pas sous prétexte qu'il ne pense
pas abstraitement, c'est un sophisme ; c'est présupposer qu'il n'y
a qu'un seul mode de pensée. Or, l'existence humaine comporte la
pensée car, « penser et exister ont été
posées ensemble dans l'existence par le fait qu'un homme qui existe est
un homme qui pense »69(*).
· Sa pensée est concrète
« Au lieu que la pensée abstraite a pour
tâche de comprendre abstraitement le concret, le penseur subjectif a pour
tâche de comprendre concrètement
l'abstrait »70(*). Cela s'explique par le fait que le penseur
abstrait détourne son regard des hommes concrets au profit de l'homme en
soi. Le fait d'être homme, le penseur subjectif le comprend
concrètement : être tel homme particulier existant. Nous
sommes amenés à dire que la pensée abstraite est une
pensée où il n'y a pas de sujet ; tandis que la
pensée concrète est celle-là où il y a un sujet
pensant et quelque chose qui est pensée. On peut donc dire à la
suite de KIERKEGAARD que « la tâche du penseur subjectif
consiste à se comprendre lui-même dans l'existence -et-
que son devoir est de se transformer en un instrument qui exprime l'humain dans
l'existence »71(*).
· La pensée subjective est passionnée
Tandis que le désintéressement de la
pensée abstraite l'amène à être objectif, la
pensée subjective est caractérisée par
l'intérêt infini que porte à l'existant, celui qui existe.
Le penseur subjectif pense tout en lien avec lui-même qui a un
intérêt infini pour l'existence. Il y a, comme dit KIERKEGAARD, un
« pathos existentiel » qui ne peut être
extirpé de la pensée. C'est dans cette logique que le philosophe
danois pense que « tous les problèmes d'existence sont
passionnés, car l'existence quand on en devient conscient donne la
passion. Réfléchir sur les problèmes en laissant de
côté la passion, ce n'est pas réfléchir du tout,
c'est oublier la pointe à savoir qu'on est soi-même un être
existant »72(*).
· La pensée subjective est dialectique
La dialectique que KIERKEGAARD prône n'est pas ou ne
peut être comprise, ni pensée au sens de HEGEL comme un processus
de médiation, mais en ce sens qu'elle affronte les contradictions
où l'homme réel se débat, et qu'elle maintient les
alternatives au point qu'on puisse voir clairement la nécessité
de choisir. « L'existence est une énorme contradiction
dont le penseur subjectif ne doit pas faire abstraction, mais dans laquelle au
contraire il doit rester [...]. Le penseur subjectif est un dialecticien en ce
qui concerne l'existence : sa pensée se passionne pour maintenir la
disjonction qualitative »73(*).
Loin d'être une doctrine qui annihile le rôle de
la raison dans l'existence humaine, l'existentialisme propose des
différentes catégories qui ne sont pas des éléments
intellectuels, objectifs, abstraits et universels comme chez ARISTOTE et KANT
mais des éléments concrets.
II.1.3.b. Les
différentes catégories existentielles
La notion de catégorie74(*) chez KIERKEGAARD est différente de celle
d'ARISTOTE75(*) et de
KANT76(*), en ce sens que
chez lui, les catégories sont des caractères concrets,
indispensables, incompréhensibles qui font l'individualité de
chaque homme. Ces caractères se trouvent chez tout homme, sauf chez
l'homme pris dans son essence universelle.
· Catégorie de l'unique
Chaque homme, en tant qu'individu, est unique. Unique en ce
sens que l'individu est un être distinct des autres êtres de sorte
qu'il ne peut y avoir au monde deux individus absolument identiques et
indiscernables. Chaque individu est strictement original et mène une vie
dont il ne peut se décharger sur les épaules des autres, car
personne ne peut vivre ni exister à la place d'autrui. Dans cette
catégorie, on peut voir de façon claire l'influence de la
pensée de PASCAL qui disait déjà qu' « on
vit seul comme on meurt seul ». C'est pourquoi la pensée
rationaliste ne peut jamais atteindre l'homme de manière complète
puisque étant d'une unité sans pareil et ayant des
caractères qu'on ne peut attribuer aux autres par un raisonnement
déductif.
· Catégorie du secret
Toute conscience forme un monde clos, un peu comme le
concevait LEIBNIZ au sujet des monades. Il est vrai que l'on peut
s'exprimer, se faire connaître dans une certaine mesure, mais tout ce
qu'on pourra dire de nous ou sur nous restera toujours incomplet. Voilà
pourquoi KIERKEGAARD publia la plupart de ses ouvrages sous des
pseudonymes ; car aucune d'elle ne l'exprime dans l'infini richesse de la
complexité de sa vie intérieure. C'est également la raison
pour laquelle le philosophe existentialiste propose qu'il faille abandonner le
projet de vouloir connaître l'autre puisque une telle connaissance sera
seulement de l'ordre de l'abstraction, de l'objectivité et laissera
échapper l'individualité qu'on cherche à explorer,
à saisir. Cependant, il y a la possibilité de transmettre un
message, ce qui ne sera possible que par une communication indirecte mais
concrète, existentielle c'est-à-dire qui permet d'attirer
l'attention de l'autre sur moi et sur sa propre existence.
· Catégorie du choix
Cette catégorie est caractérisée par la
liberté qui est essentielle pour l'homme. Elle résume en quelque
sorte les traits précédents en ce sens qu'elle décide du
présent, oriente l'avenir et constitue le moi. Le choix offre
la possibilité, face à une alternative de choisir l'un des
membres et d'en n'exclure l'autre. Cette catégorie permet de comprendre
que choisir quelque chose c'est se choisir soi-même. Ainsi, la
liberté consiste d'une part à se choisir c'est-à-dire
consentir à être ce qu'on est, à être soi-même,
et d'autre part à vouloir devenir ce qu'on n'est pas encore.
· Catégorie du désespoir et de
l'angoisse
Cette catégorie en quelque sorte est le
résumé de toutes les autres catégories. Le
désespoir est le sentiment d'échec qui fait partie de la
condition humaine parce que l'homme est un être fini. Et selon qu'il est
accueilli, il peut être sur le chemin du salut ou de la perdition.
L'angoisse quant à elle est liée à la liberté. Elle
est un tourment de la conscience devant ses possibilités et elle atteint
sa plus grande intensité dans la tentation où l'on désire
et redoute à la fois le même acte. Mais comme le possible n'existe
pas on peut dire que l'angoisse a pour objet le rien.
II.2. Angoisse et
désespoir
Dans l'existentialisme KIERKEGAARDIEN, l'angoisse et le
désespoir jouent un rôle très important dans les stades de
la vie. L'angoisse et désespoir ne comportent pas des aspects
négatifs, mais sont ou doivent être considérés comme
des moyens déclenchant une remise en question de notre manière
d'être ou de vivre afin de prendre conscience de nos limites et celui du
stade de vie dans lequel nous sommes pour aspirer à un stade meilleur.
Et cela de manière progressive jusqu' au stade religieux.
II.2.1. Angoisse
La réflexion sur l'angoisse faite par les philosophes
en général et chez KIERKEGAARD en particulier porte les
estampilles d'un vertige qui saisit la conscience quand elle est
confrontée au néant ou à sa liberté absolue. Et
chez KIERKEGAARD, « l'angoisse est celle de la liberté,
de la possibilité de choisir entre le bien et le mal sachant que le
péché originel met l'homme en situation de permanente
culpabilité »77(*). On ne trouvera donc pas d'angoisse chez l'animal
qui, par nature, n'est pas déterminé comme l'esprit.
L'existence kierkegaardienne est envisagée comme
vécu concret et subjectif, comme jaillissement irréductible aux
concepts. L'homme est la synthèse d'un corps et d'une âme. Mais il
existe un troisième élément qui est l'esprit. L'esprit est
en un sens une puissance ennemie car il trouble constamment le rapport de
l'âme et du corps. D'un autre côté, l'esprit est une
puissance amie soucieuse d'établir le rapport. L'esprit découvre
le conflit des puissances contraires, prend conscience de son existence, mais
cette existence n'est jamais claire, car elle est entravée par le
corporel. Dans l'homme, la conscience de soi n'est jamais achevée et
c'est pourquoi le sujet est dans un devenir incessant. L'homme est tension des
contraires incompatibles. Il doit s'occuper de son développement sans se
soucier de savoir s'il est utile aux autres. Etre individu pour KIERKEGAARD,
c'est avoir l'honnêteté et le devoir de penser par soi-même
le devoir de son existence et celle du monde ; c'est rester maître
du cours des choses sans se laisser enchaîner par lui. Quel est le
rapport de l'homme à cette puissance ambiguë ? Comment
l'esprit se rapporte-t- il à lui-même et à sa
condition ? L'esprit ne peut se débarrasser de lui-même ni
d'avantage s'emparer de lui-même, aussi longtemps qu'il est
extérieur à lui-même. L'homme ne peut non plus sombrer dans
le végétatif puisqu'il est par nature esprit ; il ne peut
fuir l'angoisse car il l'aime ; et ne peut à vrai dire l'aimer car
il la fuit78(*).
L'angoisse n'est nullement une faute, un fardeau, ou une souffrance. Si l'on
observe les enfants, on trouvera cette angoisse plus nettement
caractérisée comme une recherche du fantastique, monstrueux.
Cette angoisse est essentielle à l'enfant qu'il ne veut pas la
fuir ; elle a beau l'inquiéter, elle le captive pourtant de ses
doux tourments79(*).
L'angoisse est angoisse devant le mal où l'homme
découvre la possibilité du péché et c'est
l'angoisse devant le bien que le pécheur ressent quand il prend
conscience qu'il pourrait se libérer du péché.
« Quand on admet que l'interdiction suscite le désir, on
a un savoir au lieu de l'ignorance, car Adam a dû avoir une connaissance
de la liberté, puisque son désir était de s'en servir.
L'interdiction angoisse Adam parce qu'elle éveille en lui la
possibilité de la liberté »80(*). Puisque la liberté est
ancrée dans l'être de l'homme, chaque fois qu'un existant voit sa
liberté se restreindre, un certain sentiment d'angoisse naît en
lui, car comme le dit HEIDEGGER, « l'angoisse est le signe du
sentiment de notre condition humaine ».
Si face au péché on éprouve regret et
remords, l'angoisse n'apparaît que devant un possible
indéterminé, c'est-à-dire devant un futur. Etant
liée à l'existence, l'angoisse est donc un état affectif
où s'affrontent deux possibilités. Cet état produit par le
vertige de la liberté est lié au péché. C'est
l'état fondamental d'un être qui se voit condamné à
choisir mais qui ne sait quoi choisir. Nous pouvons observer cet état
chez l'esthéticien qui est constamment en face d'un choix : agir ou
ne pas agir. Le fond même de sa nature est l'angoisse qui ne se dissipe
jamais, pas même dans l'instant de la jouissance ; et cet
état d'esprit met l'existant dans un état
d'anxiété. Cet état d'anxiété fait en sorte
que « généralement, l'angoisse retombe à la
peur, c'est-à-dire à la crainte d'objets précis, qui en
même temps la détourne et nous rassure : car mieux vaut pour
l'homme commun un ennemi nommé, et visible que l'insaisissable horreur
qui se cache au fond de nous-même »81(*).
Pour KIERKEGAARD, l'angoisse permet de connaître comment
l'homme est arrivé au péché dans sa liberté tout en
brandissant le déterminisme. L'angoisse étant liée
à la liberté, l'homme est appelé à jouir de cette
liberté tout en sachant que celle-ci consiste tout d'abord à
s'accepter comme image de l'infini dans sa finitude. De cette synthèse,
l'homme s'ouvre à l'autre tout en étant soi-même en vue de
faire de la rencontre avec l'absolu. Toutefois, ce passage requiert un devenir.
Le devenir revêt un cachet particulier dans lequel la faillite fausse
l'essentiel qui veut conduire à l'existence non d'une manière
vide mais plein d'espoir. Pour Martin BUBER, « le souci et
l'angoisse de l'homme sont devenus de nature essentielle, chez Kierkegaard, en
tant que souci du rapport avec Dieu et l'angoisse se fait craindre de manquer
ce rapport ».82(*) Ce qu'il faudrait noter toutefois c'est que
l'angoisse contribue à ce que ce dernier se trouve en face de Dieu.
II.2.2. Le
désespoir
N'étant jamais pleinement ceci ou cela, étant
confondu en son milieu et en partie à tort par rapport à
lui-même, l'homme est déchirure et séparation du premier au
dernier jour de son existence. Synthèse de deux principes
opposés, le temporel et l'intemporel, de ce qui passe et ce qui dure,
lui-même volonté de durée, volonté d'absolu,
désireux de perfection, l'homme éveillé souffre et
connaît le désespoir. Le désespoir c'est toujours en
quelque sorte l'expérience de la limite : ce que je peux
être, je ne le suis pas, et ce que je suis, je ne le veux pas.
Chez KIERKEGAARD, il faut noter que, le désespoir n'est
pas un étant simple, mais une réalité aux dimensions
diverses. Le désespoir empirique, le mal de l'âme (ou de l'esprit)
se situe sur le même plan de la jouissance égocentrique dont il
est le châtiment ; il sonne la déception de nos
décisions. « Le désespoir n'est pas seulement cette
phosphorescence du néant »83(*). Car, s'il se détache
du désir et s'il exprime le gémissement de l'être, il
devient révélation négative de l'absolu, phase dialectique
de notre libération. « Désespère de toute
son âme et de toute sa force, [...] Qui désespère trouve
l'homme éternel »84(*).
La provocation du désespoir conduit à la
décision existentielle : « On ne peut
désespérer sans choisir un choix85(*). Le désespoir tient
dans la perspective existentielle la place que tient le doute méthodique
au départ de la réflexion cartésienne. Lui aussi, comporte
dans son épaisseur même, un ? ergo sum?, si l'on se prête
à rejoindre, par-dessus le désespoir fini, le désespoir
infini qui remplit notre néant de la plénitude de
l'appel »86(*).
Dans ses Pensées, PASCAL déclare que
« l'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire qu'il est
sot, il le croit ; et à force de se le dire à
soi-même, on se le fait croire »87(*). Il y a assez d'incertitude et
de désespoir au monde pour que la foi existentielle, et pour certains la
foi tout court, ne soit pas une assurance mais un pari88(*). Mais la foi prise en ce sens
n'est que désespoir pour cette foi. Sinon nous ne tirerons de notre
misère qu'une satisfaction sèche et sans douleur, qui ne
pousserait pas tant de cris.
En prolongeant la pensée de KIERKEGAARD, nous dirons
qu'il existe deux types de désespoir : un désespoir clos et
un autre ouvert. Le premier s'adresse à un refus et s'enveloppe d'un
repli égocentrique, une crispation du moi, un moi uni sur l'axe de la
revendication et de la possessivité. Il naît d'une
indisponibilité primitive où l'homme ne peut recevoir aucune
révélation de l'existence parce qu'on est
précisément plein de soi. Mais, dès qu'il est satisfait et
verse dans l'optimisme, ou submergé par la déception de
l'existence, il glisse au désespoir. Il faut noter que l'attitude est la
même dans les deux cas, où le monde est considéré en
face de soi comme un avenir inventoriable et comptable. L'optimiste est celui
qui compte sur l'avenir, le désespéré du fini est celui
qui ne compte plus sur rien, ni sur personne.
Toute la pensée de KIERKEGAARD pourrait s'organiser
autour de la doctrine des sphères. Il y a trois sphères
d'existence que l'auteur des Miettes philosophiques développe
dans son ouvrage intitulé Stades sur le chemin de la vie ;
il y décrit les étapes qu'il a lui-même parcourues.
II.3. LES SPHERES
D'EXISTENCE
Ces sphères traduisent le développement
spirituel de KIERKEGAARD. Le philosophe danois le fait suite à sa
jeunesse où il a mené une vie de dissipation et de jouissance. En
réalité, chaque stade définit un type d'existence
d'où l'on ne peut sortir que par un acte d'absolue liberté.
Voilà pourquoi sphère est le terme juste. Cette évolution
à travers les différents stades de la vie n'est pas la même
chez tous les hommes. KIERKEGAARD ne veut pas dire que « tout
homme suit la même évolution que lui, encore moins que tout homme
parcourt nécessairement les trois stades du seul fait qu'il vieillit. Au
contraire, sa thèse est que les stades sont comme des plans qui ne se
coupent pas, ou comme des sphères extérieures les unes aux
autres »89(*). Ce qui est contraire chez les rationalistes ;
car pour eux, toute vérité ou résultat obtenu est
applicable à tous les êtres et valable pour chacun. Cela est
établi en règle universelle. Chez l'auteur des Miettes
philosophiques les sphères sont extérieures les unes aux
autres, exclusive l'une de l'autre ; on se situe dans l'une ou dans
l'autre par la manière d'exister. C'est pourquoi toute la pensée
de KIERKEGAARD pourrait s'organiser autour de cette doctrine donc nous
esquisserons quelques traits.
II.3.1. La sphère
esthétique
KIERKEGAARD définit l'esthétique chez l'homme
comme « ce pourquoi il est immédiatement ce qu'il est, en
opposition à l'éthique, qui est ce pourquoi l'homme parvient
à être ce qu'il parvient à
être »90(*). De là, le développement chez
l'esthétique consiste simplement à une transformation de ce qu'il
est déjà.
La sphère esthétique est une sphère
caractérisée par une vie de jouissance et de
légèreté. Ceux qui s'y trouvent refusent de s'engager dans
une tâche sérieuse. Célibataires, ils vivent dans le
présent mais un présent n'ayant aucune grande portée. Ils
accueillent tout mais ne choisissent rien. Ils pourraient avoir pour
devise : le carpe diem d'Horace. Il faut noter que ceux qui
vivent dans ce stade de vie peuvent bien se représenter les deux autres
types d'existence, mais s'ils le font, ce sera juste pour jouir de ces vies et
non pour y rester. Tel est également le comportement des rationalistes
qui parlent de vie de l'être humain et de son existence sans
l'intégrer dans leurs modes de vie et dans leurs agirs quotidien. C'est
pourquoi l'ayant constaté, VERNEAUX dira à propos que
« toute spéculation abstraite et objective appartient
à ma sphère esthétique, puisque le spéculant
n'opère pas la réduplication, le penseur n'essaie de s'approprier
et de vivre la vie qu'il contemple »91(*). Donc pour KIERKEGAARD,
l'esthète n'existe pas, il n'est que possible. Cependant puisqu'il y a
pas de médiation entre les sphères d'existence, il y a une sorte
de préparation possible qui assure le passage d'une sphère
à l'autre. Ici c'est l'ironie qui assure le passage de la sphère
esthétique à la sphère éthique.
L'ironie est l'incognito de l'existence de la morale
dans l'existence dissipée. Elle consiste à conduire
l'esthète jusqu'au bout du désespoir pour lui permettre de
prendre conscience que la jouissance à laquelle il s'est consacré
ne peut le satisfaire, mais n'installe en lui que pur dégoût.
« L'ironie parait quand on rapporte sans cesse les
particularités du monde fini à l'exigence éthique infinie
et qu'on laisse éclater la contradiction »92(*). « L'ironie
pousse l'homme jusqu'au désespoir pour lui permettre de prendre
conscience que la jouissance à laquelle il s'est consacré, ne
peut le satisfaire, mais ne lui apporte que du
dégoût »93(*).Mais le désespoir qui naît, pense
KIERKEGAARD, n'est pas suffisant pour le convertir en une vie
meilleure puisque l'esthète peut se complaire dans son
désespoir.
II.3.2. La sphère
éthique
La sphère éthique est un stade où on
mène une vie sérieuse et entièrement vouée à
l'accomplissement du devoir. L'homme qui vit sur ce plan
« éthicien », selon les mots de
KIERKEGAARD, est en quelque sorte une personnification de la morale kantienne.
C'est l'homme kantien, l'homme du devoir.
Dans la vie éthique, l'homme entre en contact avec ce
qui est général, et renonce à être une exception. Il
ordonne sa vie à l'accomplissement du devoir. A la différence de
l'homme esthétique qui était ce qu'il était, l'homme n'est
pas, mais parvient à être. Là où, au sens strict, il
s'agit « d'une chose ou d'une autre », là
intervient l'éthique. L'esthétique n'était pas le mal,
mais l'indifférence : le choix entre le bien et le mal constitue
l'éthique.
L'homme qui s'y trouve est ordinairement marié,
honnête et juste ; il trouve dans cette droiture une certaine paix
intérieure et la joie d'une bonne conscience. L'éthicien
pourrait avoir pour devise : « cum pietate
filicitas ». Ce type d'homme existe de façon authentique
car il se choisit en accomplissant son devoir, c'est-à-dire en
s'appropriant le devoir, en adaptant à sa situation particulière
les obligations communes et en les assumant personnellement. C'est fort de ce
constat que VERNEAUX pense que « le devoir, en effet, n'est pas
pour lui une règle extérieure, il se l'est
approprié »94(*). Cette remarque de Roger VERNEAUX permet de voir que
le devoir tel que pensé par KIERKEGAARD ne peut être
assimilé au sens rationaliste du devoir qui se présente comme une
règle extérieure. Car, « la connaissance arrache
à l'homme la quiétude de la vie organique et lui propose un
triple réconfort : il est effrayé de son ignorance, elle lui
promet un savoir contraignant, valable sans réserve ; il est
livré à la multiplicité déroutante des
phénomènes, elle lui promet de maîtriser
l'indéfini ; il est perdu dans la pluralité des
hypothèses, elle lui promet l'unité du
savoir »95(*). Mais toutes ces promesses faites ne peuvent tenir
debout. Le savoir ne peut pas être contraignant. En ce sens, l'homme suit
une voie commune, il s'établit dans le général mais, en
même temps, il se pose et s'affirme comme individualité.
La sphère éthique cependant, se manifeste comme
un stade intermédiaire. L'homme éthique selon KANT, se rapproche
de Dieu dans la mesure où il obéit à la loi morale. Mais
face à cette éthique autonome tel que voulue par KANT,
KIERKEGAARD revendique le devoir absolu d'obéir à Dieu. Par
là il ne veut pas nier la valeur de la loi morale, mais la subordonne au
devoir absolu de l'homme d'obéir et de se rallier à Dieu. Ce
qu'il refuse c'est seulement une morale autonome ou immanente. De même
que l'ironie a assuré le passage de la sphère esthétique
à la sphère éthique, l'humour sera le moyen pour
l'éthicien de passer à la sphère religieuse.
L'humour a pour rôle d'inquiéter, de troubler la
paix que l'homme honnête trouve dans l'accomplissement de son devoir.
L'humour consiste à lui faire toucher du doigt, sur des cas concrets,
que « la morale ne règle pas tout, que l'homme se trouve
parfois dans une situation exceptionnelle où le devoir n'est pas
tracé et qui ne comporte pas de solution
raisonnable »96(*). Mais, bien que l'humour joue un rôle important
dans le passage, la conversion n'est pas assurée ; car si l'homme
sérieux refuse le saut, il s'enferme définitivement dans sa
sphère.
II.3.3. La sphère
religieuse
Cette sphère est celle où l'homme existe au plus
haut point, puisque la foi le met seul devant Dieu et pécheur. La vie
chrétienne est une vie d'amour pour KIERKEGAARD, une vie de
prière et de renoncement. L'amour est le principe et le ressort car tout
rapport d'intimité entre deux personnes concrètes se passe ou
s'accomplit par le biais de l'amour. Dieu se manifeste à ceux qui
l'aiment par l'amour qu'il leur manifeste et qui est non seulement son oeuvre
mais aussi sa présence. La prière n'est autre chose que cette
respiration d'âme. Elle ne consiste pas à rendre Dieu attentif
à nos prières, mais nous rendre attentif à la
volonté de Dieu. Mais l'homme rationaliste, suite à
l'anthropocentrisme moderne qui le pousse à éprouver une nouvelle
conscience de soi, se découvrant pour ainsi dire au sommet et au centre
de l'existence humaine ne cherche plus Dieu : il est Dieu lui-même.
Il refuse ce que les autres appellent la troisième dimension.
Cette troisième dimension est l'expression dernière de
l'intelligence ; elle touche la transcendance de Dieu et la
destinée ultime de l'homme. L'homme la rejette très souvent pour
croupir dans les deux premières dimensions qui traitent successivement
du corps et de l'âme dont l'expression significative est la
pensée. Mais ces deux premières dimensions ne font que limiter
son être. Depuis l'avènement du rationalisme, l'homme ne vit plus
qu'à la surface de lui-même ; en oubliant que le Dieu qu'il
rejette pour se réfugier dans la raison serait effectivement sa seule
ouverture vers la LUMIERE. Aveuglé par le rationalisme qui lui
présente un paradis artificiel, le penseur objectif va
préférer les lumières qui le limitent aux deux
premières dimensions de son être renfermé sur
lui-même. Cette lumière leur voile l'esprit et les amène
à ne pas cerner que « Dieu n'est pas seulement pour
l'homme une norme qui s'impose à lui et qui, en le dirigeant le
redresse : il est l'absolu qui le fonde, il est l'aimant qui l'attire, il
est l'Au-delà qui le suscite, il est l'Eternel qui lui fournit le seul
climat où il respire, il est en quelque sorte cette troisième
dimension où l'homme trouve sa profondeur »97(*).
Aimer Dieu, c'est l'écouter dans la prière et
l'adoration. Ainsi l'acte de la prière et l'acte de l'amour sont
identiques et tous deux identiques au renoncement. La devise pour qui vit dans
cette sphère pourrait être : Unum necessarium de
l'Evangile.
Il ressort de ces trois sphères trois types d'existence
définie chacune soit par une passion fondamentale, un
pathos : jouir, aimer, agir ; soit par une forme d'angoisse
devant le destin, devant la loi, le péché, soit par une grande
étape de l'histoire humaine : le paganisme, le judaïsme et le
christianisme.
Entre les différentes sphères, il n'y a pas de
rapport, pas de médiation, ni de pont permettant le passage d'une
sphère à l'autre. KIERKEGAARD pour remédier à ce
problème de médiation met en place une sorte de saut existentiel,
qui est caractérisé par la décision, le choix, et la
conversion du coeur. Par sa liberté, l'homme est capable de se
transcender, de rompre avec son passé et s'engager dans une existence
toute nouvelle.
Bien qu'il n'y ait pas de médiation entre les
sphères d'existence, il y a une sorte de préparation au saut de
l'esthétique à l'éthique, et de l`éthique au
religieux ; une sorte de dialectique existentielle. C'est un effort
concret, vital d'une part et d'autre part négatif. Il se
développe tout entier dans la sphère inférieure, et
consiste à le nier dedans, et à montrer expérimentalement
l'insuffisance, la vanité ; et c'est seulement par cette attitude
qu'il peut aspirer à la sphère supérieure. De là on
peut s'apercevoir que le passage de l'esthétique à
l'éthique est possible par le biais de l'ironie, et le passage de
l'éthique au religieux se fait par l'humour.
Cependant, la sphère religieuse a aussi une dialectique
interne qui entraîne le mystique toujours plus loin, plus haut, en lui
faisant éprouver l'impossibilité de s'arrêter jamais :
c'est l'Amour. C'est l'amour qui est même le sens de la vie
chrétienne, et le principe d'un perpétuel dépassement de
l'homme vers Dieu.
Toute grande philosophie comporte nécessairement une
critique de la connaissance ; que ce soit à titre de soubassement
ou de couronnement mais, ce qui importe c'est que, par ces critiques
s'opère un choix décisif qui est celui d'adhérer ou non
à cette pensée.
L'existentialisme ne dérobe pas à cette loi
puisque étant fondé sur la critique de la connaissance
objective ou de la raison en général. Comme nous avons
pu le montrer dans le chapitre précédent et dans ce chapitre, la
thèse critique fondamentale, commune à tous les existentialistes
est que « l'existant échappe à la pensée
abstraite et à la logique ; il est donc impensable, absurde et ne
peut être atteint, saisi, éclairé que par une
expérience concrète ou quelque espèce de
sentiment »98(*).
Avec KIERKEGAARD et plus tard avec les autres philosophes
existentialistes, nous avons essayé de redécouvrir contre HEGEL
et toute espèce de rationalisme, le caractère irréductible
de l'existence. Car l'erreur du rationalisme résidait dans le fait
qu'une place primordiale était accordée à la raison
absolue, au point de ne plus vouloir faire des existants des êtres
rationnels mais des êtres rationalistes. Et cela, en
oubliant qu'il y a une différence entre ces deux types d'êtres. Le
rationalisme en voulant faire des existants des êtres rationalistes, les
pousse à s'enfermer dans la raison, et par là même refuse
à ces derniers un dépassement qui les ferait grandir davantage.
D'où le rationalisme est une déviation de la raison.
Dans sa célèbre formule « tout ce
qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est
rationnel », HEGEL croyait pouvoir construire l'univers,
l'homme, l'histoire par le seul jeu de la dialectique. Mais ce que l'auteur de
La phénoménologie de l'esprit semble oublier c'est qu'un
système aussi agencé soit-il reste, toujours idéal et
n'atteint jamais le réel. A propos KIERKEGAARD a montré que le
concept est abstrait : il présente à l'intelligence un
objet universel, c'est-à-dire apte à se réaliser dans une
multitude indéfinie de sujets et laisse échapper l'existence et
l'individualité des choses ; voire rejette et repousse tout ce qui
est de l'ordre existentiel pour faire apparaître l'essence dans toute sa
pureté. Dans la critique qu'il fait au rationalisme, l'existentialisme
n'a jamais nié que nous ayons une idée de l'existence et de
l'individu mais, il nous fait comprendre par cette critique que cela ne nous
avance en rien ; car ces idées sont abstraites comme toutes les
autres. Or l'existence concrète est bien une limite :
« elle est une borne de la pensée abstraite, elle est
proprement impensable »99(*).
Cependant, comme toute réaction, l'existentialisme a
dépassé la mesure en exagérant les vérités
qu'il a retrouvées. Ainsi l'existentialisme prend une position fausse
dans l'ordre critique, sans avoir même posé ni discuté le
problème de la connaissance. De part ce regard
épistémologique fait sur le rationalisme par les existentialistes
et de part les limites, nous observerons du courant existentialiste que nous
allons essayer de voir comment cette étude pourrait être une
ouverture vers un humanisme intégral.
CHAPITRE III
POUR UN HUMANISME
INTEGRAL
III.1
Apports et limites de l'existentialisme
III.1.1. Apports de l'existentialisme
Cette critique que nous pouvons faire de prime abord sur le
courant existentialiste est qu'elle s'est fondée suite à la
déviance de certains courants philosophiques tels que le rationalisme
qui généralise et impersonnalise l'existant ; par là
même, fait de l'existant et de son existence une préoccupation
renvoyée aux calendes grecs voire même jamais pris en compte.
KIERKEGAARD s'oppose à la pensée pure qui est
totalement détachée du réel. Il ne suffit pas de penser de
façon rationnelle, de construire dans les concepts un univers pour qu'il
soit concret. L'existant ne se donne pas dans une pensée abstraite sans
relation avec le réel. Les philosophes existentialistes en
général et le philosophe danois en particulier posent le
problème du lien de la pensée et du vécu ; car
pensent-ils « à quoi sert une pensée, une
réflexion philosophique si elle ne peut m'aider à être,
à entrer et à vivre pleinement l'existence à laquelle je
suis appelé »100(*).
Il est inutile de construire un système par
l'agencement des concepts tel que le font les rationalistes. L'humanisme ne
peut être atteint ou compris de cette manière là.
L'existence n'a pas de système. Si un existant prétend en
construire un, il ne peut que ressembler à un homme qui construit une
belle tour dans laquelle il ne peut habiter lui-même. Or cette attitude
est contraire à celle du sage tel que SOCRATE. Ce dernier est le
prototype même de l'homme sage parce qu'il vit ce qu'il enseigne et c'est
dans le quotidien qu'il puise son enseignement. Il interroge les faits et les
personnes pour comprendre et non les concepts pour entrer en possession de la
connaissance. Et pour réaliser une telle vie je dois me tourner vers
l'éthique pour une sagesse de vie en vue du bonheur parce que
« l'éthique est ce par quoi il est ce qu'il
devient »101(*). Cela parce que chaque individu est original,
irremplaçable, ayant pour devoir de réaliser pleinement son
existence.
On peut dire que KIERKEGAARD a vu dans la
généralisation le monde du on : un monde où
l'individu n'a pas la place ; un monde où on ne parle que de masse.
Pour lui une telle attitude ne peut être justifiée que par le
sentiment de lâcheté car « c'est par
lâcheté devant l'existence que les hommes d'aujourd'hui veulent se
fondre dans la masse. Incapables d'être quelqu'un, par eux-mêmes,
ils espèrent être tout de même quelque chose par le
nombre »102(*). L'Etat est pour tous, c'est l'homme en
général, en masse qui prend le dessus, au point où les
individus singuliers sont sacrifiés, au mieux livrés à un
paradis chimérique ou sont réduit carrément à rien.
Paradis artificiel qui fait voir à l'homme que « le
malheur de l'homme vient de son absence de
connaissance »103(*). Mais toutes ces promesses ou ces images que nous
propose le rationalisme n'est cependant qu'illusion, car « dans
la pensée rationaliste, toute objectivité est perdue puisque
toute subjectivité est justifiable »104(*).
Pour l'auteur des Miettes philosophiques, l'accent
doit être mis en particulier sur le sujet existant. L'existant doit
lui-même trouver une vérité pour lui et non se laisser
dicter une méthode par le rationalisme car comme le pense FEYERABEND,
« toutes les méthodologies ont leurs limites et la seule
règle qui survit c'est : « tout est
bon« »105(*). Il doit trouver une vérité qui lui
est propre et qui puisse lui permettre d'affronter la réalité
quotidienne. Pour cela KIERKEGAARD réclame une pensée subjective,
ayant une valeur existentielle pour le sujet pensant. De là il s'agit de
trouver une vérité pour chacun, pour moi et pour toi. Et cette
pensée poussera KIERKEGAARD à affirmer que la subjectivité
est la vérité. Cette déclaration certes
exagérée fera voir à quel point ce philosophe cherche
à sauvegarder l'existant singulier. L'existence demande de la
passion ; car il faut avoir de l'intérêt pour l'existence
dans une envie toujours plus grande de réaliser pleinement cet individu
différent des autres dans le quotidien par des actes concrets.
Cette lutte acharnée contre le rationalisme va pousser
le philosophe danois à faire de vives reproches à l'église
protestante danoise qui pour lui se lance dans la spéculation
hégélienne. KIERKEGAARD pense comme nous l'avons dit lors de nos
précédents propos que le christianisme n'est pas une doctrine et
ne saurait se comporter comme telle car « le christianisme ne
peut être une doctrine au sens d'une spéculation philosophique ou
d'une idéologie tel que le système
hégélien »106(*). Mais il est un message existentiel. Pour cela, il
est pour un retour au radicalisme évangélique ou du moins
à un christianisme qui reflète l'enseignement du Christ qui est
un homme ayant vécu dans notre histoire.
De l'expérience de sa vie, KIERKEGAARD nous a
établit ou mieux a regroupé en trois tableaux les sphères
d'existence. Il nous a présenté comme premier tableau le lieu de
l'esthétique qui est un peu une tendance instinctive. Les instincts non
contrôlés prennent place et font de l'individu l'esclave des
jouissances. Sa fin son but c'est jouir. Ce type de comportement amène
KIERKEGAARD à dire que « l'esthétique est ce par
quoi l'homme est immédiatement ce qu'il est ; il est toujours
excentrique, il a toujours son centre à la
périphérie »107(*). La sphère éthique quant à
elle, décrit et montre ce que peut être une vie selon les normes
de l'éthique. Trouvant sa joie dans l'accomplissement des devoirs,
l'éthique pour l'éthicien ne saurait être une contrainte.
L'éthicien s'étant choisi lui-même, il est désormais
le centre de sa propre existence108(*). C'est pourquoi cette attitude est qualifiée
de cogito existentiel où connais-toi toi-même est
remplacé par le choisis-toi toi-même. Enfin et au plus haut point,
s'ouvre la sphère religieuse où le péché introduit
et met l'individu devant Dieu. L'existant se dépouille de manière
progressive et totale pour aller vers Dieu avec qui il effectue un voyage
mystérieux dans la foi ; d'où plus rien ne compte pour lui
et il se laisse conduire par celui qu'il cherche.
En somme, KIERKEGAARD réfute et avec raison valable le
rationalisme. Car pour lui, la spéculation pour la spéculation
n'a aucun lien avec une existence concrète. Il réclame une
vérité qui soit existentielle ; et pour cela veut que le
christianisme soit une religion de témoignage de vie. Il demande qu'il
soit un message existentiel, une communication vivante et non une
spéculation. En regroupant les trois sphères de l'existence, il
essaye de montrer les limites liées à une fin qui ne permet pas
un développement de tout l'homme. Cela en ce sens que
l'esthétique est trop proche ou mieux est dans la même
sphère que la spéculation point essentiel de la philosophie. Or
l'éthique donne un exemple de vie et le religieux au sommet de tout unit
l'homme à son créateur.
Cependant, la pensée de KIERKEGAARD renferme des
limites généralement liées à la réfutation
excessive de la théorie.
III.1.2. Limites de
l'existentialisme
Comme toutes les autres doctrines, loin d'être une
exception, l'existentialisme renferme quelques points ambigus qui demandent des
précisions. Notons d'abord la méfiance accentuée de ce
courant envers l'utilisation de la raison, et le rejet de la spéculation
philosophique. Enfin sa conception de la foi qui fait naître en nous un
certain nombres de réserves.
III.1.2.1. L'existentialiste
comme discipline philosophique
Nous constatons avec ce courant qu'une simple description de
l'existence de l'homme a fait d'elle une pensée philosophique. Mais
pourrait-on réduire la philosophie à un aspect descriptif ? Dans
sa critique contre HEGEL, l'existentialisme a raison car il n'est pas possible
de construire a priori une représentation du monde et une conception de
l'homme ; ceci en ce sens qu'il faut toujours partir de
l'expérience qui seule nous met en contact avec le réel.
Cependant, il faudrait remarquer qu'une simple description du concret est une
affaire de littérature. C'est pourquoi plusieurs critiques pensent que
le travail des existentialistes n'a rien de philosophique. Car ce qui
caractérise la philosophie c'est précisément de ne pas se
contenter des faits mais d'en tirer des idées par un travail
d'abstraction, de manière à pouvoir répondre à la
question : « qu'est ce que c'est » et
d'autre part d'en chercher l'explication, de manière à pouvoir
répondre à la question : « pourquoi
est-ce ? Pourquoi est- ce ainsi ? »109(*). Ce double effort
répond à un besoin humain inné en l'homme de vouloir
comprendre ce qui l'entoure.
III.1.2.3. Le rejet du
général et de l'universel
Par général ou universel, nous voulons parler
des concepts qui englobent un groupe d'individus. Par exemple un concept comme
l'être. KIERKEGAARD est particulièrement allergique aux
concepts qui généralisent. Mais dans sa pensée ou dans sa
réflexion comme nous pouvons le constater, il n'échappe pas
à ce genre de concept. Sa pensée à bien voir, n'est dans
son ensemble qu'une tentative d'universalisation où il essaye de
communiquer un message. Lorsqu'il parle d'existence il fait là sans le
savoir allusion au général ou à l'universel dont il
récuse l'usage.
Ainsi dans la catégorie de l'individu, à quoi
fait-il référence quand il parle d'individu ? Il ne fait
certainement pas référence à monsieur X ou madame Y ;
mais plutôt référence à moi, à toi, à
tous, pris de manière individuelle. La notion d'individu chez
KIERKEGAARD, dans son intention de séparer, fait d'une manière
inconsciente, une sorte de généralisation où chacun se
retrouve indexé d'une certaine façon. De là le terme
individu devient universel en ce sens qu'il désigne un
élément de chaque groupe d'êtres vivants.
La construction des sphères est aussi un exemple
frappant. Elle est frappante par le simple fait que partir d'une existence ne
suffit pas pour échapper à la spéculation
philosophique ; ce n'est pas une preuve qu'on n'use pas de la
spéculation. L'esthétique à des personnages comme Don Juan
ou le démoniaque sensuel ; le juif errant ou le
désespoir ; l'éthique a sa description de l'homme
idéal qui vit selon les normes sociales ; le religieux avec toutes
les descriptions que fait l'auteur sont des preuves qu'il use plus de
l'abstraction qu'il ne le pense. Mais abstraire ou faire appel à la
raison est-ce mentir ?
III.1.2.4. Le rôle mal
cerné de la raison et de l'abstraction
Ayant en éveil la vieille thèse conceptualiste
selon laquelle nos concepts n'ont aucune valeur réelle parce qu'ils sont
abstraits et n'expriment jamais adéquatement la réalité,
les existentialistes n'ont jamais voulu accorder la moindre valeur aux concepts
et à l'abstraction. Or les concepts ont toujours leur fondement dans les
choses et ce en raison de leur nature abstraite. Les concepts ne sont pas des
pures constructions de l'esprit ; ils ne sont pas formés a
priori ; ils sont tirés des expériences que leurs
présentent les individus, les existants. De là nous pouvons voir
que la question des concepts et de leurs valeurs dans le quotidien n'a pas su
être étudiée par les existentialistes. Car les concepts,
loin d'être le fruit de notre imagination, représentent certains
caractères du réel ; ce que les hommes ont de commun entre
eux : leur essence. En ces êtres concrets que sont
Médard, Olivier, Cyrille, il existe réellement des traits
fondamentaux commun qui font qu'ils soient précisément des
choses ; l'esprit les abstrait et c'est avec eux qu'il compose le concept
d'homme.
Cela va de même quant à la valeur de la raison.
La raison ne fait qu'appliquer le principe premier, et spécialement le
principe de raison suffisante110(*) pour expliquer les faits. Or à ce sujet,
l'existentialisme tient une position idéaliste. On pourrait même
être tenté de croire que l'existentialisme implique le
réalisme ; mais pas du tout. Et cela en ce sens que
l'existentialisme refuse de reconnaître la valeur ontologique de la
raison et des principes sur lesquels elle se fonde, parce que l'individu
existant est contingent.
De même, abstraire ne saurait être une
activité qui pourrait nuire à la reconnaissance de la valeur de
l'existant car faire abstraction, c'est prendre une partie d'un tout que l'on
étudie de façon séparée. Si l'on prend cela comme
une partie de l'élément, il n'y a pas d'erreur possible. Mais
l'erreur viendrait du fait qu'on veuille prendre la partie pour le tout car
comme le dit déjà saint THOMAS la partie n'est pas plus grande
que le tout et elle ne peut donner une information totale sur la chose
étudiée. D'où l'abstraction étant la base de toutes
connaissances, ne peut saisir que les caractères et les manifestations
d'un objet donné.
III.1.2.5. La
subjectivité est la vérité
Suite à la déclaration de KIERKEGAARD faisant
mention de la valeur de la subjectivité au détriment de
l'objectivité, il est juste de reconnaître que ce qui est
subjectif n'est pas nécessairement vrai et ce qui est objectif n'est pas
nécessairement faux. Ce qui est vrai pour moi peut l'être aussi
pour l'autre ; parce que nous participons à la même
existence, et nous pouvons avoir la même vision d'une chose. Mais aussi,
faudrait-il remarquer que ce qui est vrai pour moi peut être faux pour
l'autre et voir même faux dans la réalité ; car nous
pouvons tous être dans l'erreur, et la réalité est la seule
à être vraie. Et cela, parce que la vérité est
l'adéquation de la pensée et de la chose pensée111(*). Il suit donc qu'il y a une
vérité objective parce que ce que je dis correspond au
réel qui est là ; et que le sujet ne peut pas être le
centre de la vérité, le centre, l'infaillibilité.
Même si nous venions à admettre que dans sa pensée
subjective, KIERKEGAARD voulait parler d'une vérité qui a de la
valeur pour moi, il faudrait reconnaître que puisque le sujet
étant dans un univers, dans un monde il ne pourrait aller à
l'encontre des réalités de ce monde dans lequel il vit et ne doit
pour autant pas juger selon ce qu'il ressent, selon son état d'âme
du moment, mais selon la vérité des choses.
III.1.2.6. Le refus de la
métaphysique
L'une des faiblesses du philosophe danois qu'il faudrait
remarquer ici est celle du rejet de la métaphysique. KIERKEGAARD
réfute la métaphysique, car selon lui, elle ne traite que du
possible ; et est dénuée de sens comme le pense
WITTGENSTEIN. Les êtres métaphysiques n'existent pas ce n'est
qu'une évasion de l'esprit. Admettons que la métaphysique traite
du possible. Alors il est bon de faire de la métaphysique pour
étudier les possibles ; puisqu'elle étudie les possibles,
elle devient par ricochet la science des sciences, car aucune ne peut
être en dehors d'elle. Elle devient le fondement des sciences, le
fondement de tout savoir. Et cela de sorte que si j'arrive à faire
l'impossible, ce serait justement une preuve que mon impossible était un
possible mal cerné, mal analysé. C'est pourquoi il y a donc
intérêt à faire de la métaphysique, car elle permet
de savoir au plus haut degré les possibilités de l'existence.
III.1.2.7. Le rejet de
l'apologétique
KIERKEGAARD dans sa pensée chrétienne refuse la
défense du christianisme ; refuse l'apologétique. Il refuse
toute tentative de défense du christianisme car « vouloir
spéculer à son sujet est un malentendu et si finalement alors on
prétend l'avoir compris spéculativement, alors on atteint le
maximum du malentendu »112(*). Puisque, le christianisme n'est pas
« une doctrine philosophique qui veut être comprise
spéculativement »113(*). Mais refuser de défendre le christianisme,
n'est se pas une sorte d'apologétique que pratique KIERKEGAARD ? Il
propose cependant une défense mais à la manière des
apôtres à travers le témoignage évangélique.
Cette orientation de la défense ou ce type de défense qu'il nous
propose laisse simplement voir son refus de la spéculation dans le
domaine de la religion. Or il faudrait pourtant avoir en vue qu'une apologie
bien faite ne disperse pas l'existant, mais a une grande valeur car :
« de soi l'intention apologétique vécue dans son
authenticité spirituelle a pour effet non pas de falsifier, mais de
rectifier et de valoriser l'intention philosophique »114(*).
Ainsi une saine apologétique consistera en un effort de
maintient de la prédication du message évangélique dans la
pureté, pour préserver l'enseignement des apôtres des
déviations et des hérésies.
III.1.2.8. La question de la
liberté
Nous dirons que l'homme est libre, mais que sa liberté
n'est pas absolue, ni première ; elle dépend au contraire
d'un certain nombre de conditions qui la rendent possibles, et en même
temps la limite. D'abord, la liberté suppose la nature humaine. A
priori, l'idée de se créer soi-même au sens fort du
terme est absurde ; car il faudrait à la fois être (pour
créer) et ne pas être (pour se créer). L'homme au cours de
son existence se forme ou se développe mais il ne se crée jamais.
Cela parce que de part notre nature nous naissons déterminés,
ayant un certain tempérament, une hérédité etc. et
c'est à partir de là seulement qu'on peut exercer, cultiver notre
liberté. Cette liberté qui est un acte libre, volontaire suppose
l'intelligence qui vient subordonner la volonté ; car il faut pour
éveiller la volonté une idée du but à atteindre et
pour cela, il faut vouloir quelque chose que notre intelligence nous
présente comme possible à atteindre : « je
voudrais être Dieu, si c'était possible, mais je sais que ce ne
l'est pas, et par conséquent je ne le veux pas
réellement »115(*).
III.1.2.9. Sa conception de la
foi
A propos de la relation foi et raison, du moins pour certains
existentialistes chrétiens, la foi est comprise comme quelque chose
d'absurde, elle est une adhésion de la passion qui nous garde
fixé sur l'objet de la foi. L'objet de la foi importe peu pour
KIERKEGAARD mais seule l'intensité avec laquelle on croit qui importe.
Mais la foi envisagée de la sorte ne saurait être partagée
de tous. L'homme est un être libre doté d'une volonté qui
lui permet d'entrer en relation avec Dieu non pas en se comportant en
fidéiste au point de dire comme LUTHER « la raison est
contraire à la foi, il est impossible de faire accorder la foi avec la
raison »116(*) ou bien comme KIERKEGAARD « perdre la
foi pour gagner Dieu c'est l'acte même de
croire »117(*) mais plutôt de savoir unir les deux
réalités afin d'affirmer « la foi et la raison sont
comme deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever
vers la contemplation »118(*). Le pape JEAN PAUL II et même bien avant lui
d'autres penseurs se sont érigés en faux au sujet de la raison
comme obstacle à la foi. C'est pourquoi dans son encyclique le pape
abordant le problème nous dira qu' « il est illusoire de
penser que la foi, face à une raison faible, puisse avoir une force plus
grande ; au contraire, elle tombe dans le grand danger d'être
réduite à un mythe ou à une superstition. De la même
manière une raison qui n'a plus une foi adulte en face d'elle n'est pas
incitée à s'intéresser à la nouveauté et
à la radicalité de l'être »119(*). D'où le sacrifice de
la raison au sens strict du terme n'est pas possible et ne serait pas bon pour
une foi qui se voudrait solide. Le catéchisme de l'Eglise catholique
nous fait aussi comprendre à ce sujet que « dans la foi,
l'intelligence et la volonté humaine coopèrent avec la
grâce divine : croire est un acte de l'intelligence adhérant
à la vérité divine sous le commandement de la
volonté mue par Dieu au moyen de la
grâce »120(*).
La foi ne doit pas se borner comme le pensent les
existentialistes uniquement à ce qui est révélé car
nous devons comme le dit Saint AUGUSTIN repris par le pape JEAN PAUL II croire
pour comprendre et comprendre pour croire121(*). Puisque c'est uniquement par cette démarche
que nous pourrions atteindre de manière juste et consciente notre
désir de connaître et de contempler Dieu. De là nous
pouvons constater que la foi et la raison ne se contredisent pas ; ce qui
est vrai pour la raison ne peut être en contradiction avec la foi et ce
qui est vrai pour la foi, même si la raison ne peut pas l'expliquer reste
vrai. C'est pourquoi dans la foi il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne
de compte à savoir : l'intelligence, la raison, la volonté
et le tout soutenu par la grâce divine.
Pour finir nous pouvons dire que l'objet de la foi ici c'est
Dieu. Il y a donc pas de raison de dire que la foi est absurde, qu'elle est un
sacrifice de la raison car si je n'ai pas de raison de croire, si par mon
intelligence je peux avoir intérêt pour une chose, la foi ne peut
avoir le dernier mot. Quand l'intelligence et la raison ne participent pas
à l'acte de foi, il est possible de croire à n'importe quoi.
III.1.2.10. L'individu chez
KIERKEGAARD
Le philosophe danois a une conception individualiste de
l'homme. Dans sa pensée, il met l'accent sur l'individu et
néglige ou oublie presque la dimension communautaire de celui-ci. Cette
remarque se fait visible dans sa théorie des sphères d'existence
où l'esthète est présenté comme un homme seul
emporté par les passions du plaisir sensuel. Dans la sphère
éthique c'est encore l'homme seul devant le devoir, et le religieux qui
présente l'homme pécheur devant son Dieu. Il est certes vrai que
KIERKEGAARD parle de l'amour et de la charité, mais il met l'accent sur
l'individu, et l'autre pour qui le geste d'amour ou de charité est
posé, est oublié.
Il serait bien de mentionner que l'individu est un homme
appelé à vivre avec les autres. J'aime et je me sais aimé.
Je donne aux autres mes richesses et je m'enrichie des richesses des autres.
L'individu doit au lieu de vivre de manière close, entrer en relation
avec les autres. Car c'est seulement par cette ouverture aux autres que ma foi
deviendra un acte individuel mais vécu en communauté.
Dans l'effort pour une critique de la philosophie,
KIERKEGAARD s'affirme même sans le vouloir comme un philosophe. Il est
remarquable de voir jusqu'à quel point il utilise la spéculation
qu'il réfute de toutes ses forces. Sa conception de la foi reste
discutable ; et l'accent mis sur l'individu, le conduit à faire un
monde individualiste.
III.2. De l'individualisme au
personnalisme
Après ces manquements constatés à
l'égard de l'existentialisme, certains courants qui lui sont presque
dérivés tel que le personnalisme proposent une meilleure vision
de la personne humaine pour son épanouissement.
Certes KIERKEGAARD et les existentialistes prônent le
retour à l'existant, le retour à soi-même, mais dans ce
retour, on s'aperçoit que c'est l'individualisme qui est le plus
exalté. Le retour à l'essentiel c'est-à-dire à
l'existant, s'est converti en un rejet de l'aspect communautaire. Et pareille
attitude se verra être rejetée par le personnalisme pour qui il
est bon de faire un retour à l'existant qui avait été
oubliée au profit de la raison mais le plus important, et le plus urgent
pour notre monde, c'est le retour à la personne ayant un accent
particulier mis sur la relation communautaire et non sur l'individualisme.
Depuis plusieurs siècles, les jours consacrés
à la guerre sont plus longs que les jours consacrés à la
paix. La vie en société est une vraie guérilla permanente.
Là où l'hostilité s'apaise l'indifférence
s'installe ; l'amitié et l'amour semblent avoir perdu dans cet
immense échec de fraternité humaine. Pour les existentialistes
tels que HEIDEGGER et SARTRE, ce comportement s'expliquerait par l'emprise du
rationalisme sur l'existant qui crée en eux le désir de
posséder et de soumettre. Dans cette volonté de soumettre,
l'existant à soit le rôle de maître, soit le rôle
d'esclave. Une telle relation fait en sorte que le regard d'autrui me vole mon
univers, la présence d'autrui fige ma liberté et que son
élection m'entrave. Au point où l'amour serait devenu un
enfer.
Pour les existentialistes, la relation entre les personnes ne
doit pas s'établir par le biais de la raison mais seulement par le biais
de l'amour de la charité et de l'amour mutuel. Amour non pas compris au
sens Sartrien où vouloir que l'autre m'aime c'est le chosifier.
Cette attitude individualiste qui est un système de
moeurs, de sentiment qui pousse l'individu à vivre isolement et sans
défense, qui se laisse clairement dégager de la pensée de
KIERKEGAARD et d'autres existentialistes, sera l'antithèse du
personnalisme. Pour cela on opposera individu et personne.
III.2.1. Individu et
personne
Définis par plusieurs philosophes,
ces deux concepts qui de prime abord signifient la même chose, ont
été définis l'un et l'autre par Jean de la croix comme
étant : « la personne est une existence capable de se
détacher d'elle-même de se déposséder, de se
décentrer pour devenir disponible à autrui et l'individu un monde
clos, qui cherche à se séparer, à s'opposer, à se
faire centre et à revendiquer des sécurités
égoïstes, polémiques sans doute
nécessaires »122(*).
III.2.1.1. Individu
Comme on peut le constater, l'individu est le résultat
de l'individualisme ; qui le façonne en être
égocentrique, isolé, enfermé, et ayant une faible
appréhension de l'estime du prochain. Pour les individualismes
bourgeois, un homme n'existe que par rapport à ce qu'il a, par rapport
à son avoir. Un tel être pour Mounier est qualifié d'
« un homme qui a perdu le sens de l'être qui a perdu
l'amour ; chrétien sans inquiétude, incroyant sans passion,
il fait basculer l'univers de sa faible course vers l'infini autour d'un petit
système de tranquillité psychologique et
social »123(*). L'infini reste préoccupé par les
moyens et non par la fin des choses, il vit sans valeur, son souci majeur c'est
l'accumulation des biens. Cet individualisme pousse les individus bourgeois
à se comporter comme des hommes sourds et insensibles aux souffrances
des autres existants, et cela parce qu'ils vivent comme des monades niant toute
égalité et fraternité entre les hommes. Une telle attitude
se fait pressentir dans l'existentialisme à travers l'exaltation du
retour à l'existant comme valeur première de tout ce qui peut
être, mais le retour sur soi-même. Et Emmanuel MOUNIER, pour
s'opposer à cette considération de l'existant, présente la
personne à travers sa doctrine personnaliste comme le noeud ou le centre
de la société.
III.2.1.2. La personne
« Le premier souci de l`individualisme
était de centrer l'individu sur soi. Le premier souci du personnalisme
est de le décentrer pour l'établir dans la perspective ouverte de
la personne »124(*). Ce souci de MOUNIER nous montre que la personne
humaine doit être ouverte et disponible à tous. Vue sur cet angle,
la personne se montre déjà différente de l'individu parce
que susceptible d'amour. C'est pourquoi l'auteur de l'oeuvre intitulée
le Personnalisme n'hésite pas à la définir comme
un être spirituel constitué de telle matière et de
substance par son adhésion à une hiérarchie de valeurs
librement adoptées, assimilées et vécues par un
engagement responsable.
La personne à l'inverse de l'individu est
maîtrise et choix, elle est générosité. Or dans
l'individualisme rien n'a trait à l'ouverture ni à la
générosité. Lorsqu'on s'attarde sur les stades de vie nous
pouvons clairement nous en apercevoir. L'esthète fermé sur lui
n'a pour seul souci que de satisfaire ses plaisirs eudistes ;
l'éthicien loin de vouloir entrer en relation avec autrui trouve toute
sa satisfaction dans l'accomplissement du devoir ; et le religieux est
présenté seul devant Dieu avec ses péchés. Ce genre
d'individualisme ne permet pas l'émancipation de l'individu et le pousse
à annihiler son prochain. Cet individu qui est pourtant mon semblable
son alter ego, est l'autre qui me permet de connaître qui je
suis, qui m'aide à me découvrir. D'où la personne est
présence et engagement, elle est intégration par rapport à
l'individu qui n'est que dispersion.
En somme la distinction entre individu et personne constitue
une série de clarification qui doit nous aider à comprendre le
souci de MOUNIER : faire de l'individu une personne.
III.2.2. Personne comme
ouverture à soi et à l'autre
Selon MOUNIER, la personne se définit aussi comme
ouverture et communion. Etre essentiellement social, elle ne peut mener sa vie
qu'en entrant en relation avec son entourage. En effet que savons-nous de ceux
qui nous entourent, nos proches, ceux que nous côtoyons tous les
jours ? Nous vivons comme des étrangers ; maris et femmes,
enfants, tous, nous sommes fermés sur nous. Or, la présence de
l'autre dans l'univers n'est pas le fait du hasard. Selon la Bible,
Dieu nous dit qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul125(*) mais qu'il soit un
être social. Sans relation avec autrui, il ne peut vivre ni
s'épanouir. L'amour se réalise le plus profondément dans
le don de soi-même que la personne aimante fait à la personne
aimée ; relation que l'existentialisme sartrien trouve comme une
chosification de l'autre. De part la relation, la personne cesse de
s'appartenir pour entrer en relation avec l'autre et lui appartenir ;
renoncer à être indépendant et inaliénable.
« L'amour passe par ce renoncement guidé par la conviction
profonde qu'il mène non pas à un amoindrissement et un
élargissement, mais au contraire à un enrichissement et un
élargissement de l'existence de la personne, c'est comme une loi
d'«extase« sortir de soi-même pour trouver en autrui un
accroissement d'être »126(*).
L'autre est celui par qui nous nous découvrons et par
qui nous nous élevons. Il surgit au coeur de l'immanence comme au coeur
de la transcendance. La rencontre entre le je et le tu
ne facilite pas seulement un échange intégral, elle
crée aussi un univers d'expérience qui n'avait pas de
réalité hors de cette rencontre.
L'existant est extériorité, l'exercice
même de son être consiste en l'extériorisation, et aucune
pensée ne saurait mieux obéir à l'être qu'en le
laissant dominé par cette extériorité127(*). La conscience morale est
reconnaissance de l'autre et se définie par l'ouverture et le dialogue.
Ainsi, reconnaître l'autre c'est avant tout lui parler. Parler c'est
sortir de son enfermement sur soi, faire un mouvement vers l'autre et vers le
monde. Le point de départ de l'usage de la parole n'est pas le monologue
mais le dialogue ; car à quoi sert la parole si ce n'est pour
entrer en communication avec l'autre ? Chacun d'entre nous doit être
conscient qu'il n'est pas seul au monde et qu'il doit par conséquent
partager son existence avec les autres. Nous ne devons pas considérer la
présence d'autrui comme une situation conjecturelle ; mais les
autres sont ceux-là qui nous permettent de nous réaliser en nous
aidant à satisfaire nos besoins.
Ainsi pour goûter le bonheur, l'individu, le moi, doit
cesser de vivre comme une monade, mais il doit briser le cercle qu'il a
tracé autour de lui, dépasser ses limites pour envisager des
relations personnelles qui vont faire de lui une personne authentique. Dans mon
existence je dois considérer l'autre comme celui qui m'est
présent qui est avec moi, qui est quelqu'un pour moi, un alter
ego, et non un obstacle à mon épanouissement. Prenant le cas
de l'enfant, on se rend compte qu'il se découvre sujet de part sa
relation avec ses parents. Relation marquée par un amour sans cesse
renouvelé de la part des parents ; amour qui se veut ouverture
à l'autre sans calcul et qui traite l'autre comme un existant ayant les
mêmes chances et jouissant d'une même liberté.
En définitive, la personne n'est pas seulement dans le
cosmos, elle ne peut recevoir la vérité et la communiquer que si
elle est ouverture. Elle est une réalité qui n'existe que dans
ses relations avec les autres subjectivités. Elle a besoin des autres
pour s'assurer qu'elle existe ; pour se reconnaître, elle a besoin
d'être reconnue c'est-à-dire d'être acceptée et
aimée telle qu'elle est. Et une telle vision de l'homme, nous permet de
mener un humanisme intégral où l'homme est saisit en tant
qu'existant dans toutes ses composantes.
III.3. Vers un humanisme
intégral
Dans nos sociétés actuelles, nous nous
apercevons que prôner un humanisme intégral est d'une
nécessité sans précédent car, face à la
montée du capitalisme qui prône la recherche de
l'intérêt individuel au mépris des conditions humaines et
à un humanisme marxiste qui a pour erreur fondamentale l'exaltation de
l'athéisme comme seul fondement du bonheur, il est urgent d'aborder
l'homme dans toutes ses composantes en y incluant sa relation avec la
divinité. Loin de rejeter une philosophie sociale et politique,
l'humanisme que certains philosophes tel Jacques MARITAIN nous proposent, se
veut être une transformation substantielle. Et cette transformation se
fera seulement par l'instauration des structures sociales nouvelles et d'un
régime nouveau de vie sociale succédant au capitalisme, et
consubstantiel en « une montée des forces de foi,
d'intelligence et d'amour, jaillis des sources intérieures de
l'âme, un progrès dans la découverte du monde des
réalités spirituelles »128(*). C'est en cela seulement que
l'homme pourra vraiment entrer plus dans les profondeurs de sa nature sans
mutiler ni défigurer celle-ci.
III.3.1. Genèse d'un
humanisme
Avec la renaissance, la prise de conscience de soi a
dominé. cette émergence et ce développement de la
réflexivité, bon en soi, et parfaitement normaux, ont
été conduits cependant dans un esprit foncièrement
anthropocentrique, de sorte qu'avec le rationalisme, l'homme s'est donné
de lui-même une idée très fière soucieuse de son
indépendance et de son individualité. De cette manière de
faire il en résulte « un humanisme beaucoup plus attentif
à l'exaltation des valeurs individuelles qu'au respect des
réalités collectives- si bien qu'- à la limite on
estimerait que la société est un mal nécessaire -
dont -il faut s'accommoder comme le seul moyen d'accorder entre eux
les droits antagonistes et également respectables des membres d'un
même groupe »129(*). C'est ce souci de liberté d'autonomie et
d'intérêt individuel qui a inspiré constamment les
théories du capitalisme et caractérisé l'homme du
libéralisme bourgeois. Mais comme nous l'avons vu, cette vision ultra
individualiste et rationaliste de l'homme a été battue
sérieusement en brèche. D'abord par le processus de dissolution
de l'individualisme rationaliste qui s'est accentué avec le courant de
pensée que nous avons appelé l'existentialisme et qui - du moins
chez SARTRE - a fait de l'homme un être condamné à
être libre et à créer sa propre essence au coeur d'un monde
absurde, sans signification. Enfin ces dernières années, le
structuralisme, en proclamant la « mort de
l'homme » semblait vouloir porter à son terme cette lente
dégradation et, en même, saper les bases de tout humanisme
possible130(*).
En réalité, l'aspiration à l'humanisme
subsiste toujours bien qu'il ait toujours une tendance anthropocentrique. Mais
un humanisme anthropocentrique d'une nouvelle espèce peut être
conçu. Il ne pourra plus s'agir d'un humanisme individualiste classique
dans la mesure où les valeurs personnelles sont de moins en moins
reconnues. Comme MARITAIN nous le fait remarquer, dans son livre Humanisme
intégral, « la personne individuelle est mûre
pour abdiquer au profit de l'homme collectif'»131(*), de sorte que ce qui devrait
alors être significatif pour notre culture, au terme de la dialectique de
l'humanisme anthropocentrique, c'est que l'être humain continue de
revendiquer fortement sa souveraineté, non plus pour la personne
individuelle mais pour l'homme collectif132(*).
Mais le retour à la collectivité nous
amène dans un humanisme marxiste qui sans toutefois être identique
à l'anthropocentrisme, ne s'en est pas trop éloigné. Car
MARX proclame que le salut de l'homme s'accomplit « sans Dieu et
même contre lui, puisque ce n'est pas à la vision de Dieu, mais
à la domination de l'histoire que l'humanité est ultimement
destinée par un développement de la science, de la technique et
de l'organisation du travail »133(*). Et c'est seulement par « l'abolition
de la propriété privée et de la suppression de toute
aliénation -que- le communisme marquera le retour à
l'homme, à la vie humaine à travers l'émancipation de
l'athéisme »134(*). Ce sera fort de ces affirmations que MOUNIER dans
son Manifeste au service du personnalisme pensera que
« l'humanisme marxiste apparaît [...] comme la philosophie
dernière d'une ère historique qui a vécu sous le signe des
sciences physico-mathématiques, du rationalisme particulier et fort
étroit qui est issu, de la forme d'industrie, inhumaine,
centralisée, qui en incarne provisoirement des applications
techniques »135(*). Issu de l'humanisme bourgeois et se voulant une
réaction contre lui, l'humanisme marxiste en a gardé
profondément la marque sans pour autant s'en dégager.
Face à une considération aussi variante de la
condition humaine, quel peut être l'apport de l'humanisme qui se veut
intégral dans sa considération de l'homme.
III.3.2. Humanisme
intégral
Il faudrait rappeler que l'humanisme intégral que nous
proposons, en effet, ne serait rien s'il n'était le fruit d'un regard de
foi sur le mystère humain, un regard capable d'assurer, en le comblant
surabondamment et d'une manière inouïe, de ce qui dans l'homme
passe l'homme.
Si toute l'évolution de l'humanisme moderne est
allée dans le sens de l'anthropocentrisme, c'est-à-dire de
l'idée d'une nature humaine close sur elle-même et se suffisant
absolument à elle-même, l'humanisme exigé par le
christianisme, respectueux de l'homme dans la plénitude de ses
dimensions, est au contraire un humanisme décidément
théocentrique parce qu'il reconnaît que Dieu est le centre de
l'homme. Mais prôner le retour à l'humanisme théocentrique
ne saurait être pour autant comme certains risqueraient de le croire
être une reconstruction de la cité du moyen âge et affirmer
que l'humanisme médiéval était un modèle
achevé de l'humanisme chrétien. Puisque comme le montre si bien
MARITAIN, la cité médiévale était d'ordre sacral au
sens où elle entreprenait d'édifier « une image
figurative et symbolique du royaume de Dieu »136(*) alors qu'aujourd'hui
l'humanisme intégral est « une conception profane
chrétienne et non pas sacrale »137(*).
Le fait que certains philosophes réclament
l'avènement d'un humanisme nouveau qui soit théocentrique, ce
n'est pas qu'ils reprochent à l'humanisme classique et à
l'humanisme moderne leurs aspirations humanistes, mais
précisément parce qu'ils voient bien que leur anthropocentrisme
les a conduits finalement à des positions antihumaines quels que soient
les acquis culturels incontestables qu'ils ont légué et qu'il
faut à tout prix préserver. Par exemple à la grande
tentation moderne de la divinisation de l'homme et du refus de sa condition
créée, l'humanisme intégral oppose à cela
l'idéal d'une société personnaliste c'est-à-dire au
service de la personne comme image de Dieu.
La personne comme image de Dieu, tel est
précisément le fondement de l'humanisme intégral. Et en
cela toute la tradition chrétienne la voit dans les paroles de la
genèse : « Faisons l'homme à notre image,
selon notre ressemblance »138(*). De là, on peut comprendre qu'une telle
perspective débouche immédiatement sur l'humanisme non point
anthropocentrique, qui prétendrait réhabiliter la créature
en la coupant de Dieu et en la repliant sur elle-même, mais au contraire
un humanisme qui tient en compte la relation intime qui existe entre la
créature et son créateur.
L'humanisme chrétien ne peut être qu'un humanisme
personnaliste. A travers l'humanisme anthropocentrique et marxiste, nous avons
vu que l'homme contemporain a été imprégné d'une
dialectique qui s'inscrivait entre un pôle individualiste et un
pôle collectiviste où la personne humaine ne pouvait trouver son
accomplissement. Cependant, le véritable humanisme chrétien se
trouve exalté ici ; cela en ce sens qu'il a une idée
très élevée de la personne humaine au point d'en faire,
selon les mots de saint Thomas « ce qu'il y a de plus noble et de
plus parfait dans toute la nature »139(*).
Cette juste notion de l'homme comme personne qui est celle de
l'humanisme intégral implique en même temps qu'il est essentiel
à la personnalité de tendre à la communion ; qu'il
ait une vision des problèmes qui concernent le rapport de la
société avec la personne. Lorsque nous parlons ici de
société, c'est avant tout faire allusion à la
société politique, à la cité, mais bien entendu
aussi à la société familiale. Cependant, nous en tenant
uniquement à la société politique, nous nous demanderons
en quel sens celle-ci peut être dite une société de
personne.
Engagée tout entière dans la vie de la
cité, et comme telle faisant partie de la société, la
personne n'est pas engagée totalement dans la société
politique
« En vertu de tout ce qui est en elle et de
tout ce qui lui appartient. En vertu d'autres choses qui sont en elle, elle est
aussi toute entière au dessus de la société politique. Il
y a en elle des choses qui transcendent la société politique et
qui attirent au-dessus de la société politique l'homme tout
entier ; ce même homme tout entier qui est partie de la
société politique en vertu d'une autre catégorie. Je fais
partie de l'Etat en raison de certaines relations à la vie commune qui
intéressent aussi mon être entier ; mais en raison d'autre
relation, a des choses plus importantes que la vie commune, il y a en moi des
biens et des valeurs qui ne sont pas par l'Etat ni pour l'Etat et qui sont en
dehors de l'Etat »140(*).
De ces considérations qui précèdent, on
le voit, la tension qui caractérise la relation de la personne et de la
société provient précisément de ce que l'être
humain n'est pas seulement une individualité intégrée
à un groupe, mais aussi et surtout une personnalité dont la
source première et créatrice est l'être divin. La relation
entre la personne et la société doit être basée
comme le dit MARITAIN sur « le sens de la justice due à
tous les hommes et l'amour pour tous les hommes ; la vie extérieure
et tout ce qui en nous est un commencement naturel de la contemplation, la
dignité de la vérité dans tous les domaines et tous les
degrés, si humbles soient-ils, du savoir, et l'intangible
dignité de la beauté »141(*).
Ainsi la société politique doit être
subordonnée à la personne humaine puisque étant la valeur
suprême de tout ce qui puisse exister. C'est pourquoi l'humanisme
intégral nous propose une société politique qui doit
être subordonnée à la personne humaine, en vue non plus, de
la considérer comme la partie d'un tout, mais comme un tout. Et cela ne
peut être possible que par le développement et l'affermissement du
caractère moral des relations sociales. C'est pourquoi YVES FLOUCAT
pense qu' « une société qui veut être
véritablement humaine, personnaliste, c'est-à-dire au service des
personnes qui la constituent, se doit en effet de s'enraciner toujours plus
solidement dans ses fondements essentiels ; et ceux-ci ne sont autres que
la justice, avec le progrès dans l'égalité qui lui est
intrinsèque et à l'amitié ou la fraternité
civique »142(*).
Assurément, la justice et le droit sont indispensables
à toute société, mais comme des conditions
nécessaires au développement de l'amitié et de la
fraternité civique. Car une justice non assumée par
l'amitié serait alors comme le dit JEAN PAUL II dans son encyclique sur
La miséricorde divine : « la
rancoeur, la haine, et jusqu'à la cruauté » qui
perdrait le pas sur elle-même. Aussi bien l'expérience de notre
temps et du passé nous démontre ainsi que la justice ne se suffit
pas elle seule, et qu'elle peut conduire à sa propre négation, et
à sa propre ruine si on ne permet pas à cette force plus grande
qu'est l'amour de façonner la vie humaine dans ses diverses dimensions.
Et étant donnée la faiblesse de l'homme, seul l'amour et la
charité peuvent vivifier intérieurement, conforter et
surélever la dignité humaine pour lui donner une dimension
universelle.
Apparaissant ainsi à la fois et indispensablement
comme, personnaliste et communautaire et affirmant sans ambiguïté
le primat de la personne sur la communauté, l'humanisme intégral
permet de briser autant avec l'individualisme qu'avec divers collectivisme et
totalitarisme.
Loin d'être contre le progrès technique, et
indifférent devant la connaissance de plus en plus étendue que
l'homme peut connaître de l'univers matériel, l'humanisme
intégral exige cependant dans « le développement de
la technique et de la civilisation de notre temps marqué par la
maîtrise de la technique un développement proportionnel de la vie
morale et de l'éthique »143(*). Bien que l'humanisme
enseigne le primat absolu de la personne sur les choses, du spirituel sur le
matériel, il est soucieux de mettre le progrès technique au
service de la vie humaine, pour que l'homme devienne plus conscient de sa
dignité et de sa responsabilité en vers les plus démunis.
Humaniser la technique, c'est l'employer au service du progrès moral et
spirituel de l'homme, et non pas à ses instincts égoïstes ou
dominateurs. C'est montrer la priorité de l'éthique sur la
technique.
Ce que l'humanisme intégral voudrait des magnifiques
progrès que la science accomplit au coeur des derniers siècles,
est que science et sagesse soient dans une harmonie vitale et spirituelle.
CONCLUSION GENERALE
Le travail porté à notre étude qui
était celui de la critique existentialiste du rationalisme avait pour
but de montrer les limites du courant rationaliste face à sa
manière d'aborder et de considérer l'existant. Autrement dit, il
avait été question de montrer le primat de l'existence sur tout
objet ou sujet d'étude. Pour mener à bien ce travail, nous avons
voulu nous appuyer sur un philosophe à savoir Sören Aabye
KIERKEGAARD. Grâce à lui, nous avons élaboré notre
travail tout en nous appuyant également sur d'autres auteurs dont les
pensées pouvaient nous permettre de nourrir notre critique.
Notre travail s'est subdivisé en trois chapitres. Le
premier chapitre avait pour objectif de présenter de prime abord les
deux courants philosophiques afin de mieux cerner le noeud de la critique.
Durant cette étude conceptuelle des différents courants, nous
avons montré que ces courants n'étaient pas le fruit d'une
réflexion de notre époque. Utilisé déjà
depuis la période antique, le rationalisme comme nous l'avons vu a
toujours eu tendance à ramener tout à la raison, à vouloir
tout rationaliser. Pour tout rationaliste, la raison est la seule chose capable
de mener le sage et le savant à la vérité, et tout ce qui
ne relèverait pas de cette raison n'était que mensonge et
fausseté. Pour des philosophes comme PLATON, tout ce qui relevait
d'autre chose que de la raison, devait être considéré comme
pseudo-connaissance ou opinion. C'est pourquoi pour Descartes seul le sujet
pensant pourra prendre possession du monde par la science et la
technique ; limitant ainsi la valeur de l'existant à sa
capacité cognitive, au point où dans sa morale il donnera pour
recommandation d'employer toute sa vie non à cultiver la relation entre
existants mais à cultiver notre raison. Etant comme le catalyseur du
courant rationaliste, DESCARTES a été l'auteur de l'ascension
fulgurante de cette doctrine. Avec des penseurs rationalistes tels que SPINOZA,
le bonheur de l'homme se trouve conditionné par la réforme de
l'entendement à travers la découverte d'une méthode
capable de nous faire connaître la vérité sur toutes
choses. Et ce raisonnement le poussera à identifier le bonheur à
la vérité et la vérité à l'intelligence.
C'est fort de ces considérations de l'existant et de
son existence que l'existentialisme est né au XIXème
siècle mais ayant des origines visibles dans la période moderne
avec des philosophes tels que Pascal.
Subdivisé en deux courants principaux à
savoir : l'existentialisme athée et l'existentialisme
théiste, ce courant s'est formé pour s'opposer à l'effort
des rationalistes de systématiser l'existence humaine. Pour les
existentialistes, si l'esprit humain peut construire un système
rationnel pour expliquer notre réalité, les existentialistes en
général considèrent qu'un tel effort est inutile en ce
sens que la raison ne pourra jamais correspondre à la
réalité. Et pour HEIDEGGER seul l'angoisse pourra nous
révéler véritablement la condition humaine et non
l'étude de l'homme sous une forme conceptuelle et abstraite mais par une
sorte d'expérience métaphysique. Avec Karl JASPER le moi doit
apparaître comme un acte, un jaillissement de l'être et ne peut
être représenté par des concepts ni exprimé par des
mots car l'homme se dérobe de tout savoir qui viserait à le
déterminer.
Après cette représentation que nous avons faite
des deux courants, au second chapitre, nous avons fait une critique
existentialiste du rationalisme à la lumière du philosophe
danois. Par cette critique nous avons voulu mettre en lumière
l'importance ou mieux le primat de l'existence. Contre une philosophie qui se
veut systématique. Avec l'existentialisme nous avons proposé une
existence faite d'individu particulier. L'existentialisme s'est opposé
à toute spéculation creuse ne favorisant pas directement une
existence concrète au sens plein du mot. Car dans son approche de
l'existant, il ne montre jamais les difficultés de l'existant et de son
existence. C'est pourquoi face à tout ce qui concerne l'existant et ses
difficultés, la pensée abstraite se trouve butée. Dans sa
critique, KIERKEGAARD nous a montré que le rationalisme ne pourrait
jamais atteindre l'existant réel, confiner les concepts, car le
réel n'est pas formé de concept. En faisant appel à la
pensée subjective, l'intention de KIERKEGAARD est celle de
réapprendre aux hommes ce que c'est qu'être homme ou exister
humainement face à une pensée rationaliste qui a fait oublier
l'essentiel. En prônant la pensée subjective, KIERKEGAARD voulait
aller à l'encontre des penseurs objectifs qui sont des contemplateurs
d'abstraction et qui sont dans un état permanent de distraction à
l'égard de l'existence.
Cependant comme toute discipline, l'existentialisme n'a pas
été de reste en ce qui concerne les limites. Dans son effort de
critique du rationalisme, l'existentialisme a pris des positions discutables et
pouvant être remises en cause. En réfutant l'universel,
KIERKEGAARD l'emploie sans s'en rendre compte. Car en qualifiant des
êtres par un nom ou un terme tel que celui de l'existant, on se rend
compte qu'il l'utilise pour qualifier ou faire allusion à tous les
hommes. Sa conception de l'individu comme nous l'avons vu à travers ses
sphères d'existence, le pousse à prôner un individualisme
dans un monde où nous sommes appelés à vivre en communion
fraternelle. Et sa critique des concepts semble à un certain niveau
exagérée car les concepts, loin d'être le fruit de notre
imagination, représentent certains caractères du
réel ; ce que les hommes ont de commun entre eux : leur
essence. Il en va de même pour la raison qui ne fait qu'appliquer le
principe de raison suffisante pour expliquer les faits. La pensée
subjective que KIERKEGAARD nous a proposée semblait être
insatisfaisante en ce sens qu'elle nous éloignait de ce qui est vrai
pour nous conduire à prendre pour vraies des vérités
sujettes à nos sentiments et à nos états d'âmes
laissant de côté la vérité même des choses.
Pour finir, nous avons essayé à partir de sa
conception individualiste de montrer que l'existant saisit comme tel se saurait
être pris dans son ensemble puisque étant un être social, un
être de relation. Pour cela le personnalisme nous a permis de sublimer ce
manquement. Après l'avoir surmonté, nous nous sommes rendus
compte que pour avoir une considération entière de l'existant
dans toutes ses dimensions, il fallait prôner un humanisme
intégral. Prôner un humanisme intégral en ce sens qu'il est
le seul à prendre l'homme dans toute sa dimension à savoir dans
sa relation avec lui-même, dans sa relation avec autrui, et enfin l'homme
dans sa relation avec son créateur de qui il tient le mouvement
l'être et l'agir.
En somme, nous pouvons dire que de part cette critique
menée par l'existentialisme, nous avons pu voir que l'important pour
tout homme est de revenir à l'essentiel qui est l'existant
considéré dans toute sa dimension, et que le rationalisme nous a
fait perdre. Ainsi, l'humanisme intégral surgit comme dépassement
aussi bien du rationalisme que de l'existentialisme ; il se
présente comme promesse pour chaque existant créé qui ne
demande qu'à se transmuer en bonheur véritable.
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http://fr.wikipedia.org/wiki/Rationalisme.
TABLE DES MATIERES
Dédicace...........................................................................................i
Remerciements................................................................................ii
Sigles et
abréviations.....................................................................................iii
TABLE DES
MATIÈRES......................................................................................................67
* 1 _ R. VERNEAUX
Leçons sur l'existentialisme et ses formes principales, Paris,
Téqui, 1949, p. 10.
* 2 _ Idem.
* 3 _ S. KIERKEGAARD,
Post-scriptum aux miettes philosophiques, Paris, Gallimard, 1941, pp.
210-211.
* 4 _ L-M. MORFEAUX,
Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris,
Librairie Armand Colin, 1980, p. 303.
* 5 _ R. DESCARTES, Discours
de la méthode suivi des méditations, Paris,
Garancière, 1951, p. 29.
* 6 _ Ibidem, p.
306.
* 7 _ A. GIDE,
« Athéisme, l'homme debout », in
http/athéisme.free.fr/index.html.
* 8 _ PARMENIDE, cité par
R.VERNEAUX,, Epistémologie générale ou critique de la
connaissance, Paris, Beauchesne, 1959, p. 37.
* 9 _ Idem.
* 10 _ R. DESCARTES,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie moderne,
Paris, Beauchesne, 1963, p. 31.
* 11 _ R. DESCARTES,
cité par Jacqueline RUSS, Les chemins de la pensée.
Philosophie, Paris, Armand Colin, 1988, p. 139.
* 12 _ R. DESCARTES,
cité par Jacqueline RUSS, Les chemins de la pensée.
Philosophie, op. cit., p.146.
* 13 _ R. DESCARTES,
cité par R. VERNEAUX , Histoire de la philosophie moderne, op.
cit., p. 32.
* 14 _ Ibidem, p.
33.
* 15 _ Idem.
* 16 _B. SPINOZA, cité
par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie moderne, op. cit., p.
54.
* 17 _ Ibidem,
p. 55.
* 18 _ Cf. Wikipédia,
l'encyclopédie libre.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rationalisme.
* 19 _ G. LEIBNIZ, cité
par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie moderne, op. cit., p.
84.
* 20 _ Cf. Lettre à
ELISABETH du 21 mai 1643, in
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rationalisme.
* 21 _ R. VERNEAUX,
Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p.
15.
* 22 _R. VERNEAUX, Histoire
de la philosophie contemporaine, Paris, Beauchesne, 1960, p. 162.
* 23 _ R. VERNEAUX,
Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit ., P. 11.
* 24 _ E. MOUNIER, Le
personnalisme, OEuvre de Mounier, T.III, Paris, seuil, 1944-1950, P.
70.
* 25 _ R. VERNEAUX,
Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p. 12.
* 26 _ Idem.
* 27 _ PASCAL,
Pensées et opuscules, Paris, Hachette, 1946, p. 401.
* 28 _ Cf. E. MOUNIER, Le
personnalisme, OEuvre de Mounier, op. cit., p. 70.
* 29 _ R. VERNEAUX,
Leçons sur l'existentialisme, op. cit., p. 17.
* 30 _M. HEIDEGGER,
L'être et le temps, Qu'est ce que la métaphysique?.
Paris, Gallimard, 1964, p. 130.
* 31 _ J-P. SARTRE,
L'existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, 1976, p. 26.
* 32 _ Ibidem, p.
23.
* 33 _ J-P. SARTRE,
L'existentialisme est un humanisme, op. cit., pp. 29-30.
* 34 _ R. VERNEAUX,
Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p.
152.
* 35 _ G. MARCEL,
Être et Avoir, Paris, Aubier, 1935, p. 324.
* 36 _ R. VERNEAUX,
Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p.
152.
* 37 _ G. MARCEL, cité
par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
cit., p. 153.
* 38 _ Idem.
* 39 _ C'est-à-dire que
la propriété essentielle de ces essences ou de ces idées,
c'est essentiellement d'être stable. Cette pensée se trouve
fortifiée par l'idée de création telle qu'on la
conçoit au moyen âge.
* 40 _M. HEIDEGGER ,
cité par Jean WAHL, Les philosophies de l'existence, Paris,
Armand Colin, 1959, P. 21.
* 41 _ J. WAHL, op.
cit., p. 24.
* 42 _ Ibidem, p.
26.
* 43 _ Ibidem,
op. cit., p. 28.
* 44 _ J. WAHL, op.
cit., p. 29.
* 45 _ Idem.
* 46 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine,
op. cit., p. 23.
* 47 _ Ibidem, p.
29.
* 48 _ Ibidem, p.
23.
* 49 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine,
op. cit., p. 23.
* 50 _ Ibidem, p.
24.
* 51 _ Idem.
* 52 _ Ibidem, p.
25.
* 53 _ H. MARCUSE, cité
par E. VILANOVA, Histoire des théologie chrétienne, T.
III, Paris, Cerf, 1997, p. 441.
* 54 _ Idem.
* 55 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine,
op. cit., p. 25.
* 56 _ P.-H. TISSEAU et JEAN
BRUN, Kierkegaard, L'existence, Paris, P.U.F., 1962, p. 44.
* 57 _P.-H. TISSEAU et JEAN
BRUN, op. cit p. 11.
* 58 _ Ibidem, p.
12.
* 59 _ Idem.
* 60 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine,
op. cit., p. 25.
* 61 _ R. VERNEAUX,
Idem.
* 62 _ Idem.
* 63 _ R. VERNEAUX,
Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit. p. 26.
* 64 _ Idem.
* 65 _ Idem.
* 66 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine,
op. cit., pp. 26-27.
* 67 _ Ibidem, p.
28.
* 68 _ E. VILANOVA, op.
cit., p. 448.
* 69 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
cit., p. 27.
* 70 _ Idem.
* 71 _Idem.
* 72 _Idem.
* 73 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
cit., p. 27.
* 74 _ Il existe chez
KIERKEGAARD huit catégories existentielles mais nous ne
présenterons ici que quelques unes pouvant nous aider dans notre
critique du rationalisme.
* 75 _ Les catégories
chez Aristote sont des concepts, les concepts les plus généraux
sous lesquels se rangent tous les attributs possibles des jugements.
* 76 _ Chez KANT les
catégories sont des lois de l'esprit, permettant de lier les
phénomènes donnés dans l'expérience et par
là même les comprendre.
* 77 _ D. HUISMAN et M.- A.
MALFRAY, Les pages les plus célèbres de la philosophie
occidentale, Paris, Perrin, 1989, p. 389.
* 78 _ Cf. P.-H. TISSEAU et
JEAN BRUN, op. cit., p. 200.
* 79 _ Ibidem. pp.
200-201.
* 80 _S. KIERKEGAARD, Le
concept de l'angoisse, Paris, Gallimard, 1844, p. 83.
* 81 _ E. MOUNIER,
Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., pp.
96-97.
* 82 _ M. BUBER, Le
problème de l'homme, Paris, Montaigne, 1962, p. 76.
* 83 _ E. MOUNIER,
Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p.
108.
* 84 _ S. KIERKEGAARD, Ou
bien...Ou bien, Paris, Gallimard, 1843, p. 502.
* 85 _ Ibidem, p.
303.
* 86 _ S. KIERKEGAARD, Ou
bien...Ou bien op. cit., p. 504.
* 87 _ PASCAL, op.
cit., p. 502.
* 88 _ Le pari pascalien est le
moment le plus célèbre de l'apologie de PASCAL qui consiste
à faire désirer que la religion chrétienne soit vraie,
d'amener un incroyant à désirer, à croire.
* 89 _ R. VERNEUAX,
Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 30.
* 90 _ E. VILANOVA, op.
cit., p. 449.
* 91 _ R. VERNEUAX,
Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 31.
* 92 _ P.-H. TISSEAU et JEAN
BRUN, op. cit., p. 115.
* 93 _ Ibidem, p.
116.
* 94 _ Idem.
* 95 _ M. DUFRENNE, Karl
JASPER et la philosophie de l'existence, Paris, Seuil, 1947, p. 80.
* 96 _ R. VERNEAUX,
Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p.
42.
* 97 _ H. DE LUBAC, Le
drame de l'humanisme athée, Paris, Spes, 1950, p. 65.
* 98 _ R. VERNEAUX,
Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p.
174 .
* 99 _ Ibidem, p.
176.
* 100 _ G. MARCEL,
Être et Avoir, Paris, Aubier, 1935, p. 315.
* 101 _ E. MOUNIER,
Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p.
117.
* 102 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
cit ., p. 28.
* 103 _ Cf.
http://sites.rapidus.net/neturcot/textes/2000/critique.html.
* 104 _ Idem.
* 105 _ P. FEYERABEND,
Contre la méthode, Esquisse d'une théorie anarchiste de la
connaissance, Paris, seuil, 1979, p. 333.
* 106 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
cit., p. 26.
* 107 _ S. KIERKEGAARD,
Ou bien...Ou bien, op. cit., p. 474.
* 108 _ E. MOUNIER,
Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p.
117.
* 109 _ Cf.
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* 110 _ Cf. chapitre I, p.
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* 112 _ S. KIERKEGAARD,
cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op.
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* 113 _ Idem.
* 114 _ P. TOINET,
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1947-1951, P. 312.
* 141 _ J. MARITAIN,
L'homme et l'Etat, Paris, P.U.F., 1965, pp. 138-139.
* 142 _ Y. FLOUCAT,
Vocation de l'homme et sagesse chrétienne, op. cit.,
pp. 185-186.
* 143 _ JEAN PAUL II, La
miséricorde divine, Paris, Téqui, 1980, p. 77.
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