0. Problématique
Dans son livre Israël et la Sagesse, G. Von Rad
commence par dire que « nul ne vivrait un seul jour sans de sensibles
désagréments, s'il ne pouvait se laisser diriger par une vaste
connaissance empirique. Ce savoir tiré de l'expérience lui
enseigne à comprendre ce qui se passe dans son entourage, à
prévoir les réactions des proches, à engranger ses propres
forces au bon moment, à distinguer l'événement
exceptionnel de l'habitude, et bien d'autres choses encore »1(*). L'homme en tant qu'être
social est de facto appelé à une quête de vie
relationnelle harmonieuse. Cette quête de vie, qui se forge au milieu des
aléas d'une expérience finie, peut acquérir un
caractère obligatoire, dès lors qu'elle est favorable à
tout le peuple ou encore à une grande partie de la communauté.
Le savoir sur lequel se fonde l'harmonie de la vie commune d'un peuple peut,
dans la suite, non seulement être élevé au rang du
patrimoine langagier collectif à ce peuple, mais aussi se
matérialiser dans une culture littéraire toujours susceptible
d'être réinterprétée à nouveau frais pour une
vie sociale plus dynamique. Ainsi, ce patrimoine est parfois
désigné du nom de culture, de tradition ou encore de sagesse
commune. En ce sens, nous pensons que tous les peuples sont parvenus à
une synthèse de la « sagesse ». Notre choix de
la Sagesse de Salomon, trouve sa justification dans le contexte d'un
travail de théologie : il manifeste le besoin de partir de la
« tradition biblique »2(*) pour retrouver l'expérience fondamentale du
salut offert par Dieu en Jésus-Christ. De même que la
Sagesse commence, progresse et finit avec la crainte (entendons par là
l'amour) de Dieu, de même le Livre de la Sagesse s'ouvre sur une
invitation à l'amour de la justice en Dieu (Sg 1,1), la source de toute
Sagesse. La Sagesse est un don de Dieu. Elle est la meilleure compagne que
l'homme puisse apprivoiser. Avec un ton quelque peu philosophique, celui d'un
homme qui a su se mettre à l'école du Seigneur, l'auteur nous
présente l'expérience d'un homme apaisé, conscient des
responsabilités qu'il a envers ses semblables. L'auteur convie ses
lecteurs à reconnaître ce que représente
concrètement la Sagesse. Après plusieurs reprises
mentions (Sg 1, 4-6 ; 3, 11), dans les premières pages de l'ouvrage qui
porte son nom, la Sagesse va faire l'objet d'une longue présentation
à partir du chapitre 6, notamment dans ses caractéristiques, sa
source de provenance et les fruits qu'elle est à même de procurer
à l'expérience humaine. Sg 6,22 pose clairement la question
à laquelle l'auteur s'engage, avec toute audace, à donner une
réponse: « Mais qu'est-ce que la Sagesse et quelle est son origine
? Je vais l'annoncer sans vous cacher les mystères » (6,22). Dans
l'exposé qui nous est proposé, un élément
surprend : la conception du pouvoir qui intervient à
plusieurs reprises sous la plume de l'auteur. L'usage réguler du concept
du pouvoir défit assez celui des politiques du monde actuel où le
pouvoir a perdu sa juste valeur d'être un don de Dieu. Il est plus
utilisé comme un moyen efficace pour dominer les multitudes.
L'enseignement de la Sagesse dévoilé ici, ne peut, en aucun cas,
laisser insensible celui qui vit sous le regard du Dieu-vivant, d'autant plus
que nous sommes dans une époque où le pouvoir conduit souvent le
peuple dans l'obscurantisme et la mort. Or, dit saint Irénée de
Lyon, « La gloire de Dieu c'est l'homme vivant ; la vie de
l'homme, c'est de contempler Dieu ». Pourtant, se servir, être servi
sont les nouveaux paradigmes qui règlent la conduite des nos
politiques3(*).
Aujourd'hui, le pouvoir est le plus souvent utilisé comme un instrument
d'oppression, au détriment de la tâche idéale et
éminente tâche qui lui revient en propre, à savoir oeuvrer
au plus grand bien du peuple. L'exercice du pouvoir semble fausser des
perspectives. Telle est la réalité du drame politique, tendon
d'Achille d'une Afrique appelée à se restructurer. Le
problème qui nous préoccupe est en réalité le
problème de la société africaine dont nous voulons
être le porte-parole en tant que jeune théologien Africain.
Lorsqu'on vit sur la terre africaine et que l'on partage le vécu
quotidien de ce peuple, on n'a plus besoin d'être un visionnaire ou de
fournir un effort exceptionnel pour se rendre compte du dysfonctionnement
de l'appareil politique. Ce dysfonctionnement perpétue
l'injustice, la pauvreté et le non respect de la dignité de la
personne humaine en tant qu'elle est « imago
Dei ». Dans un continent où la vie est reconnue comme
valeur primordiale, l'on ne peut pas ne pas s'étonner du clivage qui
sépare les différentes couches sociales. Les pauvres sont
à la merci des puissants (6,6). Ceux-ci jouissent du pouvoir et des
biens de la création, tandis que ceux-là croupissent dans une
misère dévitalisante. Un clivage radical qui s'étend des
plus petites organisations sociales aux plus grandes instances
étatiques. L'abus de pouvoir érigé en système de
gouvernement ouvre la porte à des pratiques qui font fi de tout ce qu'il
y a d'honorable en l'Homme.
Pourtant, qu'on le veuille ou non, la personne humaine est et
reste la finalité ultime de toute organisation sociale. Le livre de
la Sagesse nous permet de rencontrer un homme dont la vision politique
nous interpelle. Le Roi Salomon, tel qu'il est décrit dans la
deuxième partie du Livre de la Sagesse, notamment en Sg 6,1- 7,
21, aiguise notre conscience critique, face à la mauvaise gouvernance
dont l'Afrique actuelle est victime. L'exercice du pouvoir tel qu'il le
présente dans le Livre de la Sagesse, doit libérer la
conscience. Il nous fait découvrir que la situation politique actuelle
est loin d'être une fatalité, mais tout simplement la
conséquence d'un manque. Voilà pourquoi la démarche que
nous entreprenons doit être un effort assidu de retour vers les
vrais fondamentaux du pouvoir, qui invitent au service et à la promotion
de l'humain par la bonne gouvernance.
· 1. Question et
méthodologie de la recherche
Le point de départ de notre investigation est un
constat, celui de la contradiction entre la pratique et les principes
fondamentaux concernant l'origine et la signification du pouvoir, tels qu'ils
sont esquissés en Sg 6,1- 7,1-21. L'écart va bien au-delà
de celui qui peut exister entre « ce qui est et ce qui devrait
être ». La discordance est peut-être la
conséquence d'un monde qui a perdu le sens de l'écoute et veut
tracer lui-même la ligne de son devenir au lieu de se laisser instruire
par la Sagesse créatrice de Dieu. De fait, il y a une tentation de
vouloir verser dans l'idolâtrie du pouvoir. Devant la
réalité des abus du pouvoir dans la gestion politique du monde
actuel, en particulier en Afrique, une question se pose avec
acuité : « Comment l'exercice du pouvoir peut-il, de
manière consciente et réfléchie, rendre une juste
espérance au peuple d'Afrique qui fait confiance à ses dirigeants
politiques » ? Autrement dit, comment le pouvoir venant de Dieu
(6,3), exercé par différents chefs temporels, peut-il concourir
à la ré-confection du tissu politique africain qui doit
sauvegarder la primauté de la valeur essentielle qu'est la vie ?
Telle est la question sous-jacente à ce travail, qui se veut avant tout
une herméneutique du sens du « pouvoir »
dont l'intuition « s'origine » dans Sg 6,1 -
7,1-21. La méthode herméneutique est avant tout
« un art d'interpréter », selon Fr.
Schleiermacher4(*). C.
Geffré précise : « des tâches de
l'herméneutique [sera ici] de discerner les éléments
fondamentaux de l'expérience [biblique] et de les dissocier des langages
dans lesquels cette expérience s'est traduite. Ce travail risqué
d'interprétation n'est possible qu'à partir de notre situation
historique et de notre expérience actuelle de l'existence
humaine »5(*). Il
nous semble en effet que l'on ne peut pas lire cette péricope de la
Sagesse de Salomon (6, 1 - 7, 21) et insensible à la situation
existentielle de l'Africain qui est non seulement image divine, mais aussi
« une image politique », appelé à vivre dans
la société.
· 1.1. La Thèse
Les souverains des peuples aiment trônes, sceptres,
richesses, santé, beauté, que seul la Sagesse tient dans ses
mains, dans une mesure incalculable (7, 11-12). L'origine de tout pouvoir est
en Dieu (6,3), et seul le désir de la Sagesse conduit à la
royauté et fait régner à jamais (6,17-21). Une multitude
de sages est le salut du monde, un roi sensé fait la stabilité du
peuple (6,24). Tous les rois sont nés parmi les soucis, aucun roi ne
connut d'autre début d'existence (7,4). Voilà pourquoi, dit le
roi Salomon, j'ai prié et l'intelligence m'a été
donnée (7,7). Au vrai, Dieu est le seul dirigeant de son peuple, qu'il
confie aux différents rois (6,4), auxquels il demandera des comptes
(6,5).
La Sagesse place l'Homme au centre de son interpellation. Au
vu des défaillences dans l'exercice du pouvoir dans l'Afrique actuelle,
une prise de conscience du sens profond (originaire) du pouvoir est
requise. On doit mettre en place une éducation qui restaure à
l'exercice du pouvoir son sens de service et de la promotion de la
dignité humaine. Sg 6,1- 7,21 peut en constituer un texte de base.
Seule l'écoute de la Sagesse (6,1) qui est la mère de tous les
biens (7,12), et le fruit d'une passion peut donner à l'Afrique le
respect de l'homme, en tant qu'image de Dieu, et lui rendre, par le biais de
ses dirigeants, la joie de vivre conformément à ses valeurs
fondamentales.
On peut affirmer que le pouvoir que Dieu donne aux
différents rois répond à une aspiration noble : outre
la bonne gouvernance (priorité à laquelle convoque l'exercice du
pouvoir), l'exercice du pouvoir veut être le chemin qui conduit à
la sanctification des rois temporels oeuvrant au nom du Roi éternel. La
quête de la Sagesse révèle et régénère
des valeurs humaines qui contribuent à la construction d'une
communauté pacifique. Il s'agit pour nous, de retrouver les vrais
repères et la signification du pouvoir, pour rebâtir cette Afrique
et lui donner une attitude et des dispositions
« anthropo-christiques ». Il faut donc repartir de la
Sagesse, pour laisser éclore une Afrique heureuse.
· 1.2. Notion préliminaire à la lecture du
Livre de la Sagesse
Une première approche adoptera la perspective
diachronique de la critique historique. Autrement dit, le livre sera soumis au
crible d'une critique succincte des sources, des formes et de la
rédaction. Il s'agira de traiter de l'originalité du titre du
livre, de sa date de rédaction, de l'auteur, du milieu culturel dans
lequel le livre a été écrit, de son unité
littéraire et de sa canonicité. Ces différentes
informations nécessaires pour introduire la démarche
épistémologique que nous nous proposons ici. Une
herméneutique qui tient compte des fondamentaux existentiels du pouvoir
à l'heure actuelle ne peut se passer de
« l'enveloppement » historique de cette tradition.
Autrement dit, l'herméneute actuel a besoin de s'enraciner dans la
tradition, afin d'en rendre compte d'une manière plausible et dynamique.
Ainsi, comme un serpent se rajeunissant par sa mue, l'interprète actuel
apprend à revivifier sa tradition dans ses éléments
positifs. Un effort d'actualisation créatrice de ce qui est actualisable
est nécessaire, tout en restant fidèle aux fondamentaux de la
révélation.
Rappelons d'abord que le titre Le livre de la sagesse
vient de la Vulgate (Liber Sapientiae)6(*). Le titre original est sophia salomonos. L'on
a cru Longtemps que l'original avait été écrit en grec,
jusqu'à ce que l'on ait retrouvé quelques fragments en
hébreu7(*). Mais il
est commode de continuer à dire que le livre nous a été
« transmis » en grec. Le texte complet de l'original
hébreu ne nous est pas accessible8(*). Toutefois, les caractéristiques et la
structure littéraire du livre donnent à penser que l'original
était bien en grec. La Sagesse de Salomon a été
écrite peu avant ou pendant le premier siècle avant notre
ère9(*). Cette
hypothèse se base sur le fait que le livre manifeste une connaissance de
la traduction grecque des prophètes dans la Septante. En
outre, on a constaté que le livre a les mêmes visées que
l'oeuvre de Philon d'Alexandrie (-20 +54): elle se présente comme une
apologie de la tradition juive dans le milieu égyptien. Cette
communauté de points de vue fait dire à certains que ces ouvrages
auraient été écrits pendant la même période,
vers 30 Av JC. Concrètement, le livre veut défendre la
tradition juive contre la séduction de la culture
étrangère, en l'occurrence, de la culture grecque10(*). En raison de son
évocation répétée de la Sagesse, le fait penser
à Salomon. L'auteur s'adresse à un auditoire juif : il
connaît l'histoire et la tradition d'Israël. (2, 1-10). Pour
lui, on peut accéder à la sagesse du monde à partir de la
culture juive, sans passer par la culture grecque (7, 17-20). Toutefois,
à la lecture du livre, un constat s'impose : l'auteur
témoigne d'une grande maîtrise de la philosophie et de la
rhétorique grecques. Ce constant a conduit à mettre en doute que
Salomon serait réellement l'auteur d'un tel livre qui évoque si
étrangement certains thèmes de la pensée grecque et ses
procédés d'argumentation. Les chercheurs font alors une
distinction entre l'auteur fictif et l'auteur réel du livre. En ce sens
Salomon ne serait qu'un auteur fictif. Au sujet de l'auteur réel :
M. Gilbert admet qu'il est inconnu11(*), C. Larcher donne expose hypothèses, qui
renvoient toutes à la littérature du judaïsme
hellénisé12(*). M. Gilbert soutient que le milieu culturel du
Livre de la sagesse est celui de la diaspora juive d'Alexandrie. En
effet, même s'il n'est cité et transmis que par les
chrétiens, précise-t-il, ce livre est certainement issu du
judaïsme. Ses nombreuses allusions à l'Egypte, en particulier dans
l'évocation de l'Exode (Sg 10, 15 - 19,21), incitent à penser
qu'il fut rédigé dans la métropole portuaire du delta du
Nil.13(*) Le
livre de la sagesse n'est pas une collection de maximes sur tous les
sujets, assemblées sans souci de continuité logique. Il s'agit
d'une composition ordonnée autour d'un thème essentiel : les
justes rétributions de la providence divine selon les mérites des
hommes14(*).
L'unité est établie par la réflexion
théologique15(*),
contrairement au livre de Job, où la discussion aborde plusieurs points
de vue, qui sont exposés tour à tour, et sont tous
partiels ; aucun ne semble satisfaire pleinement. C. Larcher va plus loin.
Il démontre cette unité littéraire à travers
différentes particularités linguistiques et
procédés stylistiques qui caractérisent la manière
de composer de l'auteur16(*). Certains chercheurs mettent l'accent sur
quelques différences littéraires présentes dans le livre
et le considèrent comme un livre composite. Ils estiment la
première (1-5) et la deuxième partie (11-19) n'ont pas le
même style. De toute évidence, l'oeuvre a été
rédigée en grec et n'est en rein la traduction d'un original
sémitique : la fréquence des mots composés, ainsi que
des procédés littéraires tels que la paronomase (14, 11
bcd) l'allitération ou l'assonance (6, 10a) renforcent cette
affirmation17(*). Le genre
littéraire du livre est celui de l'éloge ou du discours
protreptique, exhortatif. Le Livre de la sagesse n'est pas reconnu par
les Juifs et les Protestants. Il appartient plutôt au canon
deutérocanonique, reconnu au Concile de Trente (en 1546). Trois
manuscrits différents, à savoir le codex A : Alexandrie
(cinquième siècle)18(*) ; le codex B : Vaticanus
(quatrième siècle) et le codex C : Sinaïticus
(quatrième siècle) sont les plus anciens témoins de son
ancienneté.
· 2.
Délimitation du travail
Les différentes opinions concernant la subdivision du
Livre de la Sagesse s'accordent pour y trouver trois grandes parties, à
savoir (1) la condition humaine éclairée par la destinée
différente des justes et des impies. Autrement dit, le sort final des
justes et des impies montrera la sagesse des uns, la folie des autres (Sg
1-5) ; (2) La Sagesse divine vient au secours de l'homme pour l'aider
à atteindre sa fin. Salomon exhorte les rois
à la
Sagesse (Sg 6-9) ; et (3) l'histoire privilégiée d'un peuple
saint, aux prises avec des adversaires idolâtres, illustre le sort
différent réservé aux justes et aux impies, et
éclaire divers aspects de la Providence divine. (Sg 10-19)19(*). Selon cette organisation du
livre, Sg 6, 1 - 7, 21 fait partie de la deuxième partie du Livre de
la Sagesse : Salomon y exhorte les rois à la Sagesse. Mais, la
Sagesse est accessible à tous. L'auteur s'engage à en
révéler au grand jour les mystères, et en quoi ces
mystères s'opposent au secret des mystères grecs. La multitude
des sages assure le salut du monde (Sg6, 24). La Sagesse
présentée sous les traits de Salomon vient souligner le fait que,
par sa naissance et même par sa mort, il est exactement comme tous les
humains20(*) ; il
n'est pas un être divin. Seule la Sagesse l'emporte sur tous les biens,
la richesse, le pouvoir, la culture et même la vertu, qui font une grande
personnalité. Sa supériorité lui vient de ce que la
Sagesse est à la de tous les biens.
Notre travail sera développé en trois chapitres,
à savoir : quelques fondamentaux de
l'expérience du pouvoir en Sg 6, 1 - 7,21; de la conscience
anthropologique selon Sg 7, 1-6 à l'examen africain de la
dignité de l'homme et une approche de la Sagesse pour la promotion de la
culture du bien commun.
CHAP. I.
QUELQUES FONDAMENTAUX
DE
L'EXPÉRIENCE DU POUVOIR EN Sg 6, 1 - 7, 21
Au principe de la Sagesse, il y a bien sûr la crainte du
Seigneur (Pr. 9,10). Il s'agit en réalité, d'un profond amour de
Dieu qui me meut et maintient dans la fidélité à la
volonté divine. Une fidélité qui me vient par
l'écoute que je garde de l'instruction que le Sagesse enseigne. L'amour
de l'instruction de la volonté par l'écoute est une disposition
nécessaire que nous voulons considérer comme préalable au
discernement des fondamentaux de l'expérience du pouvoir que nous
entreprenons ici. Par les fondamentaux de l'expérience du pouvoir, nous
entendons faire ressortir, à travers la péricope bien
précise de Sg 6, 1- 7, 21, les éléments originels, mieux
existentiels qui nous disent : quelles sont les bonnes attitudes à
tenir en ce qui concerne le pouvoir21(*). Les fondamentaux du pouvoir dont il est question ici
font partie du grand héritage culturel de la tradition
judéo-chrétienne. L'interprétation dynamique qui en est
faite n'est possible qu'à partir de notre situation historique et de
notre expérience actuelle de l'existence humaine et surtout
chrétienne.
Deux grands points seront développés à ce
propos : de l'écoute à la Sagesse du pouvoir(1).
L'écoute attentive de la volonté de Dieu qui présuppose
fidélité à sa parole conduit le roi à régner
de manière sage, c'est-à-dire en un homme dont la prise des
positions reflète le jugement divin (6, 4) ; et Sagesse, un
mystère Dévoilé(2). Le concept de
« mystère » renvoyant généralement
à quelque chose de voilé, voire d'énigmatique, ou encore
à quelque chose dont l'intelligibilité est placée de
« l'autre côté » de l'entendement humain.
Parler de la Sagesse comme d'un « mystère
dévoilé » renvoie tout de même au fait qu'il
subsiste toujours des traces sapientiales dans le dynamisme du vécu
concret. C'est pourquoi le sage appelle à se laisser envelopper par le
mystère même de la Sagesse, qui est élucidé
à travers l'expérience d'un homme fondamentalement semblable
à nous.
Notre approche biblique tiendra compte de l'Homme. Nous
veillerons constamment à conjuguer dimension qui est nécessaire
à notre compréhension. Plus simplement, notre approche
présente le pouvoir comme un don de Dieu. Selon le Livre de la
Sagesse de Salomon, toute autorité digne de ce nom, trouve sa
source première en Dieu.
· 1. De
l'écoute à la Sagesse du pouvoir
· 1.1. Les rois doivent
prêter l'oreille à la Sagesse (Sg 6, 1-11)
Au début de cette deuxième partie du livre,
l'auteur reprend avec plus de solennité, l'apostrophe initiale (1, 1-
15). En même temps, il introduit le thème premier, celui de
l'écoute : il s'agit d'un acte essentiel de gouvernement. L'auteur
s'adresse aux rois d'égal à égal et les invite
à « écouter », à prêter
l'oreille. L'écrivain se situe résolument en maître de
sagesse. Avec une remarquable audace, il remet les rois à leur
place : le pouvoir n'est pas sans conséquences pour eux, et n'est
pas le fruit d'une génération spontanée : c'est une
allégation de la souveraineté divine. Les rois doivent se mettre
à l'écoute de Dieu de qui vient toute la puissance qu'ils
incarnent sur la terre22(*). Dieu a le souci continuel de veiller à
l'ordre établi par les grands de ce monde. S'il est vrai que Dieu a
placé des rois en tête de son peuple, il est tout aussi vrai que
c'est Dieu lui-même qui gouverne à travers les différents
rois. Voilà pourquoi l'on devait gouverner le peuple de Dieu avec
crainte et tremblement.
Les rois doivent avoir le regard tourné vers le
Seigneur. Se laissant ainsi instruire, ils peuvent, à leur tour, guider
les peuples selon les voies du Seigneur. Il sied aussi de savoir que viendra le
temps où des rois devront rendre des comptes à Dieu23(*). De même que le Seigneur
fait confiance aux rois avec une grande magnanimité, les plaçant
en tête de son peuple, avec tous les honneurs possibles, de même
leur jugement sera sévère si ces derniers se moquaient du peuple.
Tout pouvoir vient de Dieu24(*) (para kuriou), le seul Seigneur de l'univers
(6, 3). Et le jugement divin s'exercera avec rigueur25(*) à l'égard des
grands (6,5). Son jugement sera sévère. « Le souverain de
tous ne reculera devant personne (...), sa providence est la même pour
tous » (6, 7). Dieu a fait l'humble et le puissant et il veille
pareillement sur tous (Pr 22,2 ; 29,13). Conscient de ce qui attend les
gouvernants, l'auteur offre ses services, non seulement à ceux qui ont
de lourdes responsabilités, mais aussi à chacun de nous: l'auteur
veut nous apporter son aide pour que nous apprenions la Sagesse, et atteignons
la rectitude morale et religieuse sans trébucher (6, 9).
Les commentateurs qui situent le Livre de la Sagesse
dans les premières décennies de l'occupation romaine en
Égypte signalent que les précisions Sg 6,1-2 pourrait viser cette
« grande puissance » du moment26(*). Il est vrai que Sg 6,1-11 manifeste une certaine
admiration pour la puissance avec laquelle les rois imposent leur
autorité sur toutes les terres conquises. Mais il ajoute d'emblée
qu'un tel pouvoir peut avilir l'humain. Et quand on se souvient que c'est Dieu
qui accorde le pouvoir, on ne peut qu'admirer la confiance que Dieu accorde
à ses créatures. La tentation qui guette toujours les hommes est
de « s'auto-diviniser » et d'instituer un culte
idolâtrique dont il serait l'objet. Néanmoins, un roi choisi en
toute légitimité selon les règles, n'est plus un homme
ordinaire à proprement parler ; il est l'instrument
privilégié, au regard des humains, par lequel leur est
communiquée la volonté divine.
Par son ascension au trône, le roi occupe une position
sociale très complexe et même paradoxale : il n'est ni sur
terre ni placé dans les hauteurs. Les ovations et éloges du
peuple l'élèvent en dignité et le font assoir dans une
sphère dont il maîtrise mal les règles. Cette situation a
conduit, à différents moments de l'histoire politique du
monde27(*), beaucoup de
rois et de gouvernants à leur propre ruine. C'est pourquoi disposition
à l'écoute de la volonté divine est essentielle dans tout
exercice de gouvernement. Il s'agit, en fait, d'un discernement continuel, en
toute ouverture, pour juger selon le droit et dans le respect de la loi selon
la volonté de Dieu pour son peuple (Sg 6,4).
· 1.2. La Sagesse brille et ne se flétrit pas (Sg
6, 12-21)
L'homme doit être en mesure de la recevoir, car non
seulement elle se donne en libation à qui veut la boire, mais aussi se
fait hôte de qui veut rester auprès d'elle. La soif de
désirer la Sagesse doit accompagner chacun de nos pas, dans nos
activités quotidiennes sous le regard du Seigneur. La Sagesse apparait
enfin comme la voie véritable que doit suivre l'homme
égaré. Elle est un « ange gardien » et
restaure la vie en surabondance là où la mort menace. La Sagesse
est ce à quoi l'homme aspire profondément sans peut-être la
connaître. L'auteur invite à l'ouverture du coeur, pour accueillir
ces valeurs supérieures que patronne la Sagesse : cette disposition
d'âme crée déjà une certaine affinité avec
elle, la rend plus proche et la fait « discerner »29(*) .
La quête de la Sagesse doit nous habiter. Elle doit
être présente en nous, et nous donner la disposition d'une
âme assoiffée qui a pour seul breuvage la volonté de Dieu.
A partir du v. 17, commence une argumentation en forme de sorite30(*), type de raisonnement que les
stoïciens affectionnaient 31(*)(du grec soros : tas, monceau,
accumulation). Il s'agir selon Aristote,32(*) d'une suite de syllogismes agencés de telle
sorte que l'attribut de chaque proposition devienne le sujet de la suivante
jusqu'à la conclusion qui a pour sujet, le sujet de la première
proposition et pour attribut, l'attribut de l'avant-dernière.
Ainsi : tout A est B, or tout B est C, or tout C est D, or tout D est E,
donc tout A est E. L'argument est valable si les mots ont même valeur ou
signification et si aucune des prémisses n'est fausse ou douteuse.
En voici un exemple classique:
|
Verset 17-19
|
- Tous les hommes sont des mammifères
- (Or) tous les mammifères sont des
vertébrés
- (Or) tous les vertébrés sont des animaux
- (Or) tous les animaux sont des êtres vivants
- Donc tous les hommes sont des êtres vivants
|
- Car son commencement, c'est le
désir très vrai de l'instruction
- (Or) l'amour, c'est l'observation de ses lois,
- (Or) l'attention aux lois, c'est la garantie de
l'incorruptibilité
- (Or) l'incorruptibilité fait qu'on est près de
Dieu
- Dernier vers: Donc le désir de la sagesse conduit
à la royauté
|
|
Comme raisonnements les sorites fonctionnent par inclusion ou
attribution successives. Bien que l'auteur de la Sagesse évite
la répétition littérale des mêmes mots et de la
conclusion, il prend soin cependant de joindre dans sa conclusion la notion
initiale au prédicat de l'avant-dernière proposition. Aussi le
rapport établi entre termes successifs, en est un de conséquence
interne, qui fait penser justement à cette logique stoïcienne,
constate C. Larcher33(*).
Il s'agit de démontrer que la recherche de la Sagesse assure la
royauté, démonstration à laquelle des rois ne
sauraient rester insensibles. Pour C. Larcher, l'auteur a donc voulu signifier
à la fois que le désir de la Sagesse est un commencement, et un
commencement « très vrai, authentique, sûr,
certain », quand il amène celui qui veut être instruit
de tout ce qui la concerne à se soumettre à l'éducation
qu'elle patronne ou dispense34(*). Tel est l'enseignement traditionnel des sages :
pour eux, la Sagesse et la pratique de la justice garantissent la
stabilité d'un trône (Pr 16, 12 ; 20,28), autrement dit, un
pouvoir prospère sous le regard de Dieu. C'est à travers un
discernement continuel, lucide, toujours tendu vers la quête inassouvie
des dons divins que la Sagesse se dévoile à ceux qui la
désirent.
La Sagesse est bienveillante, elle est l'objet d'amour :
l'observation de ses lois garantit l'incorruptibilité : plus que le
savoir-vivre, elle donne accès à Dieu. Voilà pourquoi les
rois doivent honorer la Sagesse. Il ne suffit pas de la tenir en estime ;
il faut reconnaître effectivement son excellence lui rendre hommage par
une soumission entière à ses enseignements et à son
influence35(*). Ce n'est
qu'ainsi que les princes pourront conserver leur pouvoir. La Sagesse est le
vrai début et le sommet dans tout désir du pouvoir dont le
Seigneur est la source. Plus qu'une vaine gloire, une élévation
humaine, la Sagesse fait siéger auprès du Seigneur, et procure au
roi le trône éternel, le sommet de toute aspiration des dirigeants
de la terre.
· 3. Vers la Sagesse du pouvoir
Il s'agit ici d'une reprise de l'affirmation de Sg 6, 3,
à savoir tout pouvoir vient de Dieu. Si nous admettons que Dieu est au
commencement de toutes choses, il serait absurde de ne pas reconnaître
qu'il est fondement de tout pouvoir. Notre Dieu est un Dieu de l'ordre, et
l'ordre conduit à Dieu. Egal en bonté envers toutes ses
créatures, les humains en particulier, Dieu poursuit son oeuvre de
création en collaborant pleinement avec les hommes et les femmes de
bonne volonté. Le pouvoir que Dieu accorde aux rois, nous l'avons
souligné, répond à une aspiration profonde : Dieu
nous a créés pour le bonheur. Aussi couronne-t-il des rois afin
qu'ils soient, sous son regard, de vrais régulateurs dans
l'accomplissement du « déjà-là » de ce
bonheur, en rendant possible l'épanouissement général des
peuples.
La vision de l'homme qui se dégage du Livre de la
Sagesse, ne reconnaît pas en lui l'origine du pouvoir : Le
pouvoir est un don du créateur. L'homme, c'est Dieu qui l'a
façonné depuis le sein maternel. L'homme n'est pas le fruit du
hasard. Dieu se soucie de lui et prend continuellement soin de lui. L'homme
doit obéissance à Dieu son créateur, qui est la lampe de
ses pas. Dieu a un projet pour ses créatures, projet auquel il fait
participer toute la création. La création, qui, toute
entière converge vers « le bien ultime ». Ce bien
n'est pas utopique ; il est un « projet » à
réaliser hic et nunc dans l'ordinaire de nos activités,
c'est-à-dire, dans la gestion de nos pays, villes et cités, comme
le préconise la théologie de l'espérance de Moltmann.
En effet, Moltmann36(*) maintient que l'eschatologie concerne
« l'avenir ultime », contrairement aux auteurs qui font de
la réalité eschatologique un
déjà-là, éternellement présent, au
détriment de la force opératoire dans l'histoire présente,
de l'avenir promis par Dieu. Seulement cette force opératoire doit
infléchir le cours de l'histoire et investir toute la vie des croyants.
Ainsi, tout divorce entre la foi et l'engagement dans le monde de Dieu et la
terre des hommes, entre la théorie et la praxis, sera
évité. L'eschatologie concerne en même temps un
« déjà là »,
« un pas encore », et confie à l'homme la
responsabilité, sous le regard de Dieu de continuer à travailler
pour un monde meilleur37(*). Une attitude de prière et d'humilité,
à l'instar de celle du roi Salomon, nous permet d'accéder
à la Sagesse qui nous guide dans la réalisation de ce projet, et
nous comble déjà de bonheur, en prélude à la
réalisation des promesses eschatologiques.
La Sagesse, il faut la rechercher, car elle se laisse trouver
par ceux qui la désirent. La Sagesse est présente en nous, mais
elle est en nous comme un édifice à construire, un don à
faire fructifier sous le regard de Dieu. La Sagesse imprime en nous le
désir de la réussite et le désir d'accomplir le bien. Dans
une cohérence profonde de soi avec soi, la Sagesse nous unifie en nous
identifiant à Dieu. Comme un être qui tâtonne dans
l'incertitude, l'homme peut manquer de Sagesse et faire un mauvais choix qui le
conduit sur le chemin de la perdition. Il peut être l'objet d'une crise
spirituelle qui lui fait remettre tout en question. Confusion et
obscurité s'ensuivent au sujet de nombreuses questions existentielles,
notamment celle du pouvoir qui nous occupe ici. L'affirmation que tout pouvoir
vient de Dieu peut, sans l'ombre d'un doute, prêter à
équivoque. Mais sa mise en question a souvent pour origine un
désir malsain de se dérober du regard de Dieu38(*). Une telle dérobade
peut être imputée soit aux rois soit aux peuples.
De la part des rois, elle peut naître de leur
volonté de puissance. Des graves dictatures du genre de celles dont le
monde actuel nous livre le spectacle, en sont la conséquence. Quand
c'est le peuple qui refuse de reconnaître que l'origine du pouvoir est en
Dieu, une anarchie mortelle peut s'en suivre. L'histoire politique mondiale en
donne de nombreux témoignages. Par contre, quand il est mené sous
le regard de Dieu, le jeu politique peut contribuer au bonheur du peuple tout
entier. Les fruits tangibles en sont la paix, au-delà de la seule
absence de guerre et la bonne gouvernance, avec tout ce qu'elle apporte, avant
tout l'établissement d'une société juste.
Notre vie, inévitablement, est traversée de
tensions : nous devons faire des choix, établir des
priorités. Ces tensions ne peuvent être résorbées
pae ce que nous percevons à l'aide de nos organes sensoriels, à
savoir les yeux, les oreilles, la peau, la langue, le nez. Bref, la tension est
toujours-et-déjà-là, nous devançant dans notre
détermination. Pourtant le discernement et la bonne gestion du pouvoir
et de nos personnes restent possibles. L'Homme n'est pas le prisonnier de son
monde, mais reste ouvert à la transcendance. Dans toute entreprise, la
Sagesse sous le regard de Dieu est la condition d'efficacité. Il n'est
pas étonnant que l'histoire politique ait constamment remis en question
le principe que le fondement du pouvoir est en Dieu39(*). Aujourd'hui encore la
question est posée avec acuité. Les différentes
démocraties, plus au moins déguisées, du 21e s,
préfèrent se confier au pouvoir des armes.
Les abus de pouvoir, dans la gestion politique des choses du
monde actuel, nous confrontent à la question de savoir : quel est
le socle vitalisant sur lequel se fonde le pouvoir aujourd'hui ? Serait-ce
sur le consensus40(*)
humain ? Le Livre de la Sagesse de Salomon nous rappelle que le
véritable fondement du pouvoir est en Dieu, qui nous préserve de
toutes les perversions qui ont pour cause, le manque des repères dans
l'exercice du pouvoir. Ces perversions ont élu domicile dans le
fonctionnement de l'appareillage politique africain. Fonder le pouvoir
autrement qu'en Dieu n'en augmente aucunement l''emprise. Au contraire,
reconnaître que Dieu est la source de tout pouvoir est une exigence
fondamentale pour un monde qui s'épuise dans une quête de paix
sans repères divins qui lui sont fournis.
· 2. Sagesse, un
mystère dévoilé
· 2.1. Salomon décrit la
Sagesse (Sg 6, 22-25)
Ayant indiqué ce que le désir de la Sagesse peut
procurer à l'humanité, l'auteur se propose d'en dire plus sur ce
qu'elle est en elle-même. Il énonce son intention en des termes
particulièrement prometteurs : «Je remonterai jusqu'au principe de
son existence, j'exposerai au grand jour la connaissance de sa
réalité » (6, 22). Il ne craint pas de recourir au mot
« mystère ». La vraie question ici se pose en d'autres termes:
« comment la Sagesse est-elle née ? » avec le
sous-entendu « en moi ». Le développement qui suit,
en effet, n'expose en rien la genèse de la Sagesse elle-même en
tant qu'entité divine (Pr 8, 22), mais montre plutôt comment
l'auteur l'a acquise. La naissance de la Sagesse et son évolution
restent un mystère. Autrement dit, Salomon a conscience qu'il s'agit
d'une réalité qu'on ne peut aborder qu'avec recueillement.
Notre effort de dire la Sagesse doit lui-même se laisser
instruire à l'école de la Sagesse : nous devons suivre le
chemin qu'elle nous trace. Un vrai pèlerinage sur les pas de la Sagesse
peut jeter quelques lumières sur le chemin qu'il nous faut suivre. La
trace de la Sagesse nous permet d'en savoir quelque chose. Sa trace nous
révèle une présence dans l'absence. Mais la question
persiste : par où est-elle passée, la Sagesse ? Plus
précisément, la route de sa pérégrination nous
est-elle intérieure ou extérieure ? Retrouver les traces de
la Sagesse dans l'expérience existentielle des hommes de bien est
indispensable à tout exercice du pouvoir. Une révolution qui est
en réalité une renaissance de la tradition doit être
fondée sur le roc, s'il veut assurer l'avenir radieux du peuple.
Toutefois, ce ne sont pas des considérations générales sur
la Sagesse qui nous sont offertes, mais un témoignage personnel. La
Sagesse est au fondement de toute bonne gouvernance terrestre41(*) : seul un roi
avisé assure le bien-être de son peuple (6,24).
· 2.2. Salomon n'était qu'un Homme (Sg 7,
1-6)
C'est le roi Salomon qui est supposé parler, comme cela
est précisé dans la suite du texte, v. 5ss surtout 9, 7-8. Il
sait que, pour obtenir la Sagesse, il faut prier. C'est là l'idée
essentielle du livre (8, 20). Il commence par une profonde prise de conscience
de sa dimension finie, conscience qu'il manifeste en faisant allusion à
sa propre naissance. Car c'est dans de tels moments qu'on en vient à
considérer toute l'humanité sur un pied d'égalité
(cf. 2 Mac 7, 28). Ce rappel souligne aussi le fait que c'est de l'ordinaire
que Dieu crée l'extraordinaire.
Cette vision des choses est assez forte pour que de nos
jours, on puisse encore y trouver un fondement de
« l'égalité naturelle entre les humains ». La
conscience devrait se laisser nourrir par ce « fondement
anthropologique », dans tout exercice du pouvoir. Ce fondement est
d'autant plus fort qu'il ne renvoie pas seulement à ce moment
originaire, initial, mais qu'il se prolonge aussi dans une vision
téléologique. Autrement dit, l'égalité des Hommes
se manifeste aux deux bouts de notre vie. Lorsque nous naissons, comme lorsque
nous retournons à la poussière. C'est pourquoi la volonté
de puissance, la perversion dans l'exercice du pouvoir, est un leurre, tant il
est vrai qu'aucun roi n'a débuté autrement dans l'existence (Sg
7, 5).L'humanité de l'Homme a sans cesse besoin de se ressourcer en Dieu
pour donner aux apports intersubjectifs leur juste dimension.
La Sagesse acquise par la conscience d'être
créé à l'image de Dieu (Gn 1, 27), dans une
communauté d'Hommes créés, nous confronte en même
temps à un devoir, celui de la reconnaissance de « l'autre
comme soi-même ». Il s'agit d'un appel intérieur auquel
une créature raisonnable et sensée est supposée ne pas se
dérober. Hors de cette conscience, l'Homme n'est qu'ignorance de son
essence, et donc en tourment perpétuel. Telle est la situation du
méchant, qui ne se soucie pas de la communauté humaine ;
telle est la situation de l'inassouvi qui se cherche hors de lui-même.
L'impunité de la part des hommes le soumet à des peines plus
terribles devant Dieu (Sg 6, 5). Comme le souligne Bossuet, la primauté
de l'état des rois leur attire une primauté dans les
supplices42(*).
· 2.3. La Sagesse émane de l'inspiration Divine
(7, 7-21)
La Sagesse vient au-devant de ceux qui la cherchent
(6,12-16) : encore faut-il la chercher. Salomon demanda à Dieu
la chose la plus belle et la plus grande, celle que Dieu a le plus de plaisir
à donner et l'homme le plus de profit à recevoir. Il ne demanda
ni l'or, ni l'argent ni quelque autre richesse, comme un homme, jeune encore,
aurait jugé opportun de se voir attribuer, mais il voulu obtenir un
esprit saint et un juste discernement pour bien conduire le peuple de Dieu.
Salomon s'était décentré, grâce à un amour
vitalisant pour le peuple. Sa requête plut à Dieu qui lui donna en
plus de ce qu'il avait choisi, toutes les autres choses qu'il n'avait pas
évoquées : richesse, honneur et victoire sur ses
ennemis43(*). La Sagesse
est à l'origine de toute vertu et de toute science. D'un être qui
n'est que poussière, que peut-on espérer de bon ? Conscient
de sa finitude, Salomon a trouvé son inspiration auprès de
Créateur. A genoux devant le Seigneur, Salomon est comblé d'un
esprit de Sagesse, ce bien qu'il estime plus noble que toutes les richesses,
plus précieux que toutes les prières précieuses
réunies.
De fait, la Sagesse possède un éclat qui ne
connaît point d'usure, et dont les reflets
régénèrent tous les biens. La Sagesse est ce bien qui
semble insignifiant en lui-même à moins que l'on se mette à
l'écoute du Seigneur, mais qui donne accès à tous les
autres biens. C'est un bien véritable qui se diffuse à travers
toutes les expériences humaines, mais ne s'épuise jamais. La
Sagesse travaille au rassemblement des fils et filles de Dieu de par le monde
entier. C'est dans un esprit de Sagesse que l'humanité est
appelée à cohabiter et la Sagesse se révèle enfin
comme la trace de Dieu au milieu de son peuple . Dieu étant
lui-même au centre de son unité. La Sagesse rappelle à
l'Homme sa profonde humanité et le replace dans les dispositions
requises, pour trouver sa paix en Dieu tout en travaillant pour un monde plus
humain. Par la prière de Salomon, le Seigneur apprend aux rois que rien
ne leur manquera dès lors qu'ils auront la Sagesse, et qu'elle seule
leur attire tous les autres biens.44(*) Selon 1 R 5, 9-14, la Sagesse accordée
à Salomon ne concernait pas seulement les sciences morales et
religieuses mais aussi les sciences naturelles et physiques. L'auteur du livre
ne méprise pas les sciences profanes, fussent-elles d'origine
grecque : « constitution du monde » et «
activité des éléments » sont des conceptions
prises à la physique des Grecs. D'après Flavius
Josèphe45(*), Dieu
accorda à Salomon l'art de combattre les démons, pour le bien et
la guérison des hommes46(*). « La Sagesse, artisan de
tout » : le mot technitis, appliqué à la
Sagesse, rappelle le rôle qui lui est donné dans la
création, selon Pr 8, 30.
Par la notion de Sagesse, l'ensemble du réel est saisi
dans une profonde unité, liée au projet du Créateur. La Sg
7, 15-21 expose la conception d'un univers où il n'existe pas de
séparation entre un domaine purement technique ou « profane »,
et un autre qui relèverait de la démarche
« religieuse »47(*). Dieu est le seul guide des sages. Il n'y a de sage
qui ne se reconnaisse en Dieu. La Sagesse est un pur don de Dieu. Un don
accompagné de l'empreinte de l'humilité de sorte qu'il ne peut
pousser l'homme à s'enorgueillir. C'est Dieu qui donne la connaissance
de toutes les choses créées. Il en va ainsi de la connaissance du
cosmos (faune et flore y comprises) Dieu est le maître de ce qui
déjà connu et de ce qui st encore inconnu, du visible et de
l'invisible.
Conclure
Au terme de notre relecture de Sagesse 6,1 -7, 21, relecture
qui a fait ressortir les fondamentaux possibles du pouvoir et montré que
seule la recherche de la Sagesse assure la vraie royauté, et
ainsi « redoré » le sens du pouvoir (Sg 6, 1-11)
terni par une politique dévitalisante, nous voulons rappeler
ceci : Tout pouvoir vient du Très Haut (6, 3). Les rois doivent
à toujours avoir le regard tourné vers le Seigneur. Se laissant
instruire par Dieu, ils peuvent à leur tour guider les peuples. Le
jugement divin s'exercera avec rigueur à l'égard des grands
(6,5). « Le souverain de tous ne reculera devant personne (...), sa
providence est la même pour tous » (6, 7).
Conscient de l'importance de ces vues, qui doivent s'imposer
aux gouvernants, l'auteur offre ses services, non seulement à ceux qui
ont de lourdes responsabilités, mais aussi à chacun de nous: par
ses paroles, l'auteur veut nous apporter son aide pour que nous apprenions la
Sagesse, la « mère », la génitrice de toute
vertu et que nous ne trébuchions pas (6, 9). La tâche du roi lui
impose une grande responsabilité devant le Seigneur. C'est une fonction
que l'homme honnête n'accepterait du Créateur qu'avec crainte et
tremblement. Pour quiconque recherche la Sagesse, la puissance et la grandeur,
loin d'être des instruments de domination et d'oppression, devraient
permettre d'établir l'ordre tel que voulu par le Seigneur depuis les
origines. Le seul appui de l'homme et le fondement de toute bonne gouvernance
se trouvent dans l'observance de la volonté du Seigneur.
Voir en Dieu l'origine du pouvoir amène à une
profonde prise de conscience, que nous qualifions « de conscience
anthropologique ». Par l'écoute continuelle de la Sagesse
créatrice se forge en l'humain cette conscience de
« Homo imago-Dei », qui lui dit à tout
moment : « tu es mon fils, aujourd'hui, je t'ai
engendré ». Dès lors que l'humain se reçoit
comme créature, il ravive en lui non seulement la conscience que son
être au monde est un don, mais aussi la disposition à rendre
grâce, par une ovation individuelle et communautaire, à
l'éternel donateur, le Dieu de gloire.
La conscience anthropologique qui caractérise les
convictions politiques du roi Salomon fait de l'humain un éternel
adorateur Père et lui donne le courage de se tourner contre tout attrait
d'idolâtrie. L'absolutisation du pouvoir est une tentation qui, de
manière continue, frappe à la porte de la conscience humaine. La
conscience anthropologique par contre, qui est en nous comme une disposition
originaire et divine, se renouvelle sans cesse, dans chaque cadre social. Don
venant d'en haut, la conscience anthropologique est la chose la mieux
partagée parmi les humains et elle leur permet de réaliser une
harmonie horizontale dans leur vivre ensemble. Au fond, le Livre de la
Sagesse circonscrit l'exercice du pouvoir dans le cadre de cette
conscience anthropologique qui en appelle à la reconnaissance de l'autre
comme soi-même, image d'un Autre suprême qui est Dieu.
C'est dans ce sens que le chapitre suivant veut
réaliser « l'enveloppement » de cette prise de
conscience pour un développement qui met en lumière la grandeur
anthropologique. Une telle prise de conscience de la condition humaine à
la dignité de l'Homme, nous l'élaborons dans le cadre culturel
africain. Une conviction la sous-tend, à savoir que l'exercice du
pouvoir qui se veut au service de l'humain, doit, pour son bon fonctionnement,
revisiter la grandeur de l'homme en tant qu'il est par essence image de Dieu et
par conséquent un être social.
CHAP. II.
DE LA CONSCIENCE ANTHROPOLOGIQUE SELON Sg
7, 1-6
A L'EXAMEN AFRICAIN DE LA DIGNITÉ
DE L'HOMME
Au départ du présent chapitre, un principe doit
être admis, à savoir que si l'Homme est reconnu à sa juste
valeur, les aberrations politiques seront de moins en moins nombreuses. Mais le
roi Salomon nous convie à un exercice plus noble encore qui doit
mener à la profonde connaissance de soi. La démarche
qu'il nous invite à entreprendre doit nous conduire à une
connaissance toujours plus approfondie du mystère qu'est l'homme. La
voie la plus appropriée, c'est la voie de la Sagesse qui l'amène
lui-même à reconnaître : « Je suis, moi aussi,
un homme mortel, pareil à tous, un descendant du premier être
formé de la terre. J'ai été modelé en chair dans le
ventre d'une mère, où, pendant dix mois, dans le sang j'ai pris
consistance, à partir d'une semence d'homme et du plaisir, compagnon du
sommeil. A ma naissance, moi aussi j'ai aspiré l'air commun, je suis
tombé sur la terre qui nous reçoit tous pareillement, et des
pleurs, comme pour tous, furent mon premier cri. J'ai été
élevé dans les langes et parmi les soucis. Aucun roi ne connut
d'autre début d'existence : même façon pour tous
d'entrer dans la vie et pareille façon d'en sortir » Sg
7,1-6. Ce n'est pas seulement sa condition mortelle qui retient son
attention : le roi Salomon veut insister sur le fait qu'il est strictement
humain (anthropos), rigoureusement et foncièrement égal
ou encore de même nature que tous les hommes. Salomon met en
lumière cette égalité en se référant
à la tradition biblique48(*) il renvoie ainsi à l'ancêtre commun de
l'humanité par l'usage du mot apogonos (né ou issu de).
La tradition transmise dans le récit de la
création (cf. Genèse), pose l'archétype
de l'humanité dans une relation d'analogie avec le
Créateur : l'homme est créé à l'image de Dieu
(Gn 1, 27). Cette expression ne prend tout son sens que dans le mystère
du verbe incarné (GS 22). Dès lors que la condition humaine est
reçue et vécue comme un don, c'est-à-dire dans
l'acceptation de soi comme un être de fragilité mais ouvert
à la transcendance, cela devient plus intéressant. Car l'homme
n'est pas tout simplement un roseau qui pense mais il est aussi et surtout
un être capable de Dieu. Ainsi, la condition humaine plus qu'une
déficience, elle est la trace même du Créateur en l'Homme.
Le Créateur étant le seul principe de la dignité de
l'Homme créé à l'image de Dieu, le Dieu le plus noble qui
puisse exister. Ce chapitre sera développé autour de trois grands
points, à savoir la question de la spécificité de la
dignité « supérieure » de l'Homme ; la
dignité de l'Homme dans l'enseignement social de l'Eglise et le principe
de vie au fondement de la dignité de l'Africain.
· 1. La question
de la spécificité de la dignité
« supérieure » de l'Homme
L'Homme possède quelque chose de noble, qui fait de lui
une espèce spécifique parmi tant d'espèces qui existent
dans la nature. « En vérité, l'homme ne se trompe pas
lorsqu'il se reconnaît supérieur aux éléments
matériels et qu'il se considère comme irréductible, soit
à une simple parcelle de la nature, soit à un
élément anonyme de la cité humaine. Par son
intériorité, il dépasse en effet l'univers des
choses : c'est à ces profondeurs qu'il revient lorsqu'il fait
retour en lui-même où l'attend ce Dieu qui scrute les coeurs et
où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de
Dieu » (GS 14). De plus en plus, l'Homme s'affirme par sa
capacité d'organisation sociale. Il a mis en place, pour communiquer,
un outil efficace qu'est le langage articulé. De plus « ... il
jouit de deux prérogatives exclusives et propres à sa
nature : l'intelligence et la volonté libre. Grâce à
l'intelligence, il comprend l'univers et se comprend, étend son
activité aux horizons illimités de l'esprit, sur la voie des
domaines matériel, biologique, scientifique, esthétique, moral,
religieux. [...], il accède non seulement à l'univers sensible,
mais aussi au monde intelligible : il perçoit les valeurs
transcendantes de vérité et de justice »49(*). L'Homme est jusqu'à
nos jours, la seule créature qui se questionne au sujet de sa propre
existence et pose aussi les conditions de possibilité de l'existence
d'un Être suprême : Dieu. « ... L'homme est et
demeure l'être de la transcendance, c'est-à-dire l'étant
auquel l'infini de la réalité, disponible et silencieuse, se rend
durablement présente comme mystère. C'est par là que
l'homme est fait pure ouverture à ce mystère, et c'est ainsi
qu'il est posé devant lui-même comme personne et
sujet »50(*).
La question afférente aux bases de la dignité de l'Homme peut
se poser à plusieurs niveaux. Pour Axel Kahn51(*), d'un point de vue dualiste,
religieux, tout est simple : si l'Homme a été
créé à l'image de Dieu, la question de sa dignité
supérieure est évidente. L'évidence s'impose aussi si de
tout le règne vivant, l'on venait à reconnaitre à l'Homme
seul le fait de posséder une âme (question très
débattue en philosophie). Mais dans une approche moniste et
laïque la question est, en revanche d'une extrême complexité.
Du point de vue, de la vision évolutionniste, l'Homme serait
l'égalité de tous les êtres vivants qui dériveraient
d'une cellule originelle apparue sur la terre il y a environ 3,8 milliards
d'années. Dès lors, la question de la
spécificité de la dignité
« supérieure » de l'Homme se se pose :
Pourquoi, s'il est vrai que tous les êtres vivants sont issus d'une
même cellule originelle (cf. le mot apogonos), certaines
pratiques seraient-elles moralement applicables et sont de fait
appliquées à d'autres êtres vivants, mais
deviendraient-elles illégitimes dans leur application à
l'Homme ? La réponse à cette question fait l'objet d'un
discernement chez Axel Kahn. Il souligne, outre les capacités
intellectuelles, de créativité, l'aptitude au sens moral,
technique et langagier dont jouit l'Homme, le rôle de la
société, mieux de « l'humanisation ». Il
reprend aussi l'affirmation de Karl Marx, à savoir que
« l'Homme est le monde de l'Homme »52(*). Toutefois cette affirmation
ne doit pas amener à la négation de l'individu dans sa
communauté. La capacité qu'a l'être humain de se poser
lui-même la question de sa dignité et de ses droits, en conscience
et en raison, constitue un fondement essentiel de la dignité de l'Homme.
Cette capacité d'auto-projection et d'auto-détermination, comme
sujet de droits et de dignité, se concrétise soit en
« promesse » soit par « transfert ».
Dans l'ordre de la promesse, cette capacité prend en compte le cas de
l'embryon, du foetus, du nouveau-né et, pourquoi pas, du
« non-encore-né » dans certaines cultures. La
promesse veut tout simplement dire que le foetus et l'embryon, qui n'ont pas de
capacité directe de revendiquer leur dignité et leurs droits sont
cependant en attente de le faire, ils en sont la promesse. Dans l'ordre du
transfert, la capacité se révèle au niveau de
l'intersubjectivité, quand les relations ou les traitements
infligés à un alter ego sont perçus comme
l'expression de soi comme être de dignité et de droits.
Au-delà de la recherche des bases de la dignité
de l'Homme, l'une ou l'autre perspective, l'on se rend bien compte que l'Homme
reste une énigme, mieux un mystère! La présence de l'Homme
dans le monde est, en réalité, une trace de la présence
divine dans laquelle toute dignité repose. C'est justement cette
dignité d'essence, en tant qu'elle est fondamentale, et va
au-delà du périssable que procurent les contingences
existentielles53(*), qui
fait l'objet de notre quête dans ce chapitre. Cette dignité, nous
voulons la relire à travers l'être de l'Africain en tant qu'il est
« un homme venant de Dieu ». Il s'agit là d'une
affirmation qui est explicitement formulée dans la tradition africaine.
A ce propos, Bujo écrit: « Dieu est un postulat qu'on ne
remet pas en question, bien qu'on le mentionne assez rarement. On sait une fois
pour toutes qu'il est premier et sans lui rien ne se fait et ne
subsiste54(*)». A
partir de là, les traditions africaines appellent à l'admiration
de la merveille qu'est l'homme. Mais avant d'approfondir ce point, qu'en est-il
de la conception de la dignité de l'homme par le magistère de
l'Église ?
· 2. La
dignité de l'Homme dans l'enseignement social de l'Église
Nous voulons, avant d'entrer dans le vif du sujet,
éclaircir le concept de dignité humaine selon la vision de
l'Église. Qu'entend-on par « dignité
humaine » ? La dignité inhérente à la
personne humaine ne se définit qu'à partir de la conception
même que l'on se fait de l'Homme55(*). Le modèle de l'Homme que l'Église
propose à partir de la révélation est riche de sens. Non
seulement l'homme a été « créé à
l'image de Dieu mais aussi Dieu l'a institué seigneur de toutes les
créatures terrestres pour les dominer et s'en servir » (GS
12). L'homme de la révélation chrétienne est tiré
de la solitude dès la création. Il est fondamentalement
« un être avec » malgré le mystère du
mal qui l'affecte tant comme individu qu'à travers lui, dans les
structures sociales qu'il institue. Le péché est le signe de
la profonde misère au coeur même de la sublimité de la
vocation humaine (GS 13). L'Homme est considéré dans son
ensemble, il est vraiment un, il est son corps et son âme (GS14). Il est
en même temps esprit et intelligence, capable de découvrir
l'invisible et rechercher l'amour de l'absolu (GS 15). L'homme est donc une
conscience libre, responsable des actes dont il devra se justifier devant Dieu
(GS17) qui est la visée ultime de sa vie (GS 18). En ce sens,
« Tous les hommes, doués d'une âme raisonnable et
créés à l'image de Dieu, ont même nature et
même origine ; tous, rachetés par le Christ, jouissent d'une
même vocation et d'une destinée divine : on doit donc, et
toujours davantage, reconnaître leur égalité
fondamentale » (GS 29). Van Parys56(*) définit la dignité comme un sentir
« personnel » qui peut s'exprimer de manières bien
différentes. Ce sentir est présent et actif chez tous les hommes
et chez toutes les femmes de notre temps, savants comme illettrés. Que
ce sentir s'exprime dans la politesse ou les manières de table, dans
l'attitude face au pouvoir ou au corps social, dans le refus de l'oppression ou
dans la revendication sociale, il n'est pas d'Homme en possession de
lui-même chez qui ce sentir ne s'exprime.
Dès lors, la dignité en laquelle on croit,
implique non seulement le refus de toute différence naturelle entre les
personnes unies dans l'image de la « famille humaine » mais
aussi l'égalité des droits, qui découle directement de
cette égalité originaire. Dans la pensée de l'Eglise comme
dans le Préambule de la Déclaration Universelle des Droits de
Homme, l'on retrouve les traces de la sagesse qui jaillissait
déjà de la conscience du roi Salomon qui se reconnaissait en tant
que foncièrement égal ou encore identique de nature à tous
les hommes (Sg 7,1-6).
· 3. Principe de
vie au fondement de la dignité de l'Africain
Les bases de la dignité supérieure de l'Homme
ainsi posées, « la dynamique qui promeut la Dignité
humaine n'est pas à chercher dans les tâtonnements
intellectuels des idéologues, ni dans les violences politiques et
militaires. Il est à chercher dans l'exemple du meilleur des hommes, qui
est aussi - qu'ils le sachent ou non- l'Amour dont ils sont tous
issus »57(*).
Nous disons qu'en Afrique, l'Homme est porteur d'une richesse
inaliénable. Une richesse dont l'estime fait l'unanimité de
tous : la vie. Il s'agit d'une vie qui va au-delà du
phénoménal. Elle tend vers extrémités de l'infini
de la réalité disponible et à espérer. Autrement
dit, la vie comme valeur primordiale des Africains ne saurait se réduire
aux simples faits de respirer, de marcher, de manger etc. Elle est plus que ses
différents attributs. La vie est une réalité dans laquelle
l'Africain entre et sort sans que celle-ci ne s'épuise. La vie est
à situer au-delà de « l'être et le
temps », dans le déroulement existentiel des
sociétés noires. Si la vie est une
réalité dans laquelle l'on entre, il faut admettre que la vie
précède l'individu. Celui-ci prend part à cette vie
pendant son séjour sur la terre. La vie est une réalité
continue à laquelle l'Africain communie sans cesse, même
après son séjour sur la terre. La vie intègre toutes les
autres réalités, y compris les réalités cosmiques.
C'est en ce sens que, considérant l'héritage culturel des peuples
de l'Afrique subsaharienne, au-delà de toutes différences, (que
ce soient des facteurs psycho-biologiques, de milieu, de la production
matérielle ou de la conception du monde) Elungu souligne que la valeur
commune à tous ces peuples est celle de la vie. « La vie
qui est mienne est aussi fondamentalement ma vie après ma mort, elle est
ma vie dans le clan, ma communion substantielle avec les ancêtres, les
« vivants », et ceux à venir qui sont les miens,
elle est aussi ma participation aux autres vies de l'univers naturel, aux
autres réalités ou forces, elle est enfin mon union à la
source de vie, le Père de tout, Dieu»58(*). Dans cet ensemble complexe
que constitue la vision africaine de la vie, la dignité humaine est
forcement liée à toutes les actions mutatis mutandis qui
contribuent à l'accroissement de cette vie. Voilà pourquoi, la
dignité humaine est reconnue dans les milieux africains. Une vie en
péril, quelle qu'en soit la nature, suscite
« l'empathie » de tous.
En effet, la dignité humaine, du fait qu'elle est
liée à la vie, et parce que la vie est la valeur la plus noble
pour les Africains, elle ne laisse personne indifférente. L'on a beau
souligner le caractère émotionnel (Senghor) de l'Africain ;
mais en réalité, il s'agit d'un « sentir »,
d'une « intuition » beaucoup plus humaine que l'on ne le
pense. Merleau Ponty, en tant que phénoménologue existentialiste,
a bien su articuler le concept de « chair »59(*). Pour lui, toute
l'humanité est tissée de la même
« chair » qui, fondamentalement, nous porte dans un
« sentir commun ». Il n'est pas du tout inexact que la
tradition africaine a trouvé le fondement de la dignité humaine
dans cette « chair africaine » qui n'est autre chose que la
vie. L'intuition, en Afrique, est que la vie possède une extension qui
dépasse la perception, même si dans l'ontologie africaine60(*)on en a souligné le
caractère hiérarchique. La réinterprétation de la
valeur de la vie nous semble être le point sensible par lequel il faut
« sensibiliser » la conscience des hommes politiques noirs
en général et africains en particulier.
Pour nous, la vraie métanoia politique ne
peut resurgir que d'une profonde prise de conscience des pratiques aberrantes
qui corrompent petit à petit la res publica. Il s'agit donc
bien d'une question urgente. Mais quand la corruption s'habille splendides,
l'homme qui se couche sur l'or, boit et mange à son aise, peut ne pas se
rendre se rende bien compte de la progression du mal. Le déguisement du
démon en ange de lumière surprend parfois. Lorsque le goût
du vin cesse de plaire seulement la langue pour se saisir aussi de la raison et
du coeur de l'Homme, le mal est fait. L'intention première, avons-nous
dit, n'est pas de protéger la dignité humaine contre les
violences politiques et militaires. Cependant la pratique de la politique, sur
la terre africaine, et le traitement dévitalisant infligé
à l'Homme réduisent l'humain à l'état d'objet, et
partant, attaque aussi sa dignité. Avant que l'ivresse ne brouillent nos
jugements, entreprenons une évaluation de la dignité de
l'Africain qui se manifeste dans quelques aspects de sa culture, à
savoir la communauté, l'hospitalité et la croyance à
la survie. Il s'agit de montrer, en spirale, comment la valeur de la vie
fait partie intégrale et constante de l'héritage culturel de
l'Africain.
· 3.1. Communauté et dignité humaine
Dans une étude récente, Bujo précise
quelques sont les caractéristiques de la communauté
traditionnelle africaine. Il s'agit d'une communauté
tridimensionnelle, faite des vivants, des morts et des
non-encore-né. « Selon cette conception, la
communauté, contrairement à la société, est un tout
organique qui n'est pas basé sur un contrat quelconque, mais est
plutôt un lien plongeant ses racines dans une alliance qui, elle,
opérationnalise généralement une réalité
fondée sur une origine commune soit naturelle, soit
symbolique »61(*). Après avoir ainsi dépeint la
communauté, il déplore le fait qu'il n'est pas rare qu'on entende
critiquer l'influence, qu'en Afrique, le groupe exerce sur les individus, aux
dépens, dit-on des droits humains. Il rappelle que l'idéal de la
tradition africaine, à savoir que la morale est essentiellement
basée sur les relations interpersonnelles, n'est pas à confondre
avec les manquements qui doivent être corrigés à corriger
à la lumière de l'idéal lui-même. L'approche de la
liberté en Afrique doit se démarquer par rapport aux
schèmes de la conception occidentale qui ont leur propre histoire. Si en
Occident, la liberté est vue dans l'autodétermination hautement
personnelle de chaque individu (telle qu'elle s'opère dans la
problématique kantienne, qui est reprise dans la défense de
droits humains), l'éthique négro-africaine exalte
l'épanouissement de l'individu dans un véritable
« processus qui se déploie à travers
l'interdépendance entre individu et communauté, laquelle comprend
non seulement les morts et les non-encore-nés, mais aussi le cosmos et
Dieu lui-même »62(*). Autrement dit, la liberté individuelle non
intégrée dans la communauté n'atteint jamais le niveau
d'une liberté communautaire. Celle-ci devait offrir un garde-fou contre
les dictatures qui s'imposent aujourd'hui dans le monde.
La dignité humaine est toujours et déjà
liée à l'individu en tant que personne avant d'être une
dignité collective. « La tradition se préoccupe de la
personne humaine en tant que multiplicité intérieure
appelée à s'ordonner et à s'unifier, comme à
trouver sa juste place au sein des unités plus vastes que sont la
communauté humaine et l'ensemble du monde vivant. Synthèse de
l'univers et carrefour des forces de vie, l'homme est ainsi appelé
à devenir le point d'équilibre où se conjoindre, à
travers lui, les diverses dimensions dont il est porteur»63(*). Dès lors, l'on peut se
poser la question de savoir comment discuter de la dignité humaine dans
une société où tout le monde est conscient de la
primauté de la communauté sur l'individu ? Les auteurs
s'accordent pour dire que dans la société africaine, c'est la
communauté qui détermine l'individu. Certes, mais il est tout
aussi vrai que l'individu n'y reste pas inactif. Chaque individu qui,
grâce à ses efforts soutenus par la communauté
entière, c'est-à-dire celle des vivants et des morts, arrive
à réussir dans la vie, contribue en même temps à
l'augmentation de la force vitale de sa communauté. Il s'ensuit que
toucher à la vie, à la dignité d'un individu, c'est
toucher à la dignité de sa communauté. Sans pour autant
être instrumentalisé, l'Africain est en réalité
débiteur de la valeur de la vie, de la dignité de sa
société. Encore que la notion de
« société » en Afrique est très
éclatée, il est tout à fait possible de discuter de la
dignité de l'individu dans la société. La
société « en soi » ou encore tout simplement
à but « sociétariste » peut ne pas être
réellement africaine. L'homme comme individu reste en amont et en aval
des projets communautaires. Les objectifs que poursuit la société
visent tout d'abord à protéger l'homme en qui la vie atteint son
expression suprême. La société offre un cadre à
cette vie. Comme fondement de la dignité humaine, la vie est une
responsabilité et dans ce sens, il est du devoir de la communauté
de veiller à son bon déroulement.
Il est évident que l'individu qui vient à la
vie, y entre par la famille. Celle-ci s'inscrit dans le cadre assez plus large
de la parenté, dans laquelle les modalités de vie sont
régies par des modèles établis en bon fils et bonne fille
de sa famille, de son clan l'individu s'y laisse instruire etc. Dès
lors, il devient responsable de l'héritage culturel qui l'a
façonné. C'est lui qui a formé sa conscience et sa
personnalité. Cette « conscience », est un
condensé des connaissances et de savoir-vivre, n'est que la
participation toujours dynamique de l'individu à la conscience
collective de sa société. Autrement dit, dans la
société africaine, la complicité
« individu-communauté » reste déterminante
dans l'appréciation de la dignité humaine. L'individu est
l'ambassadeur de la conscience communautaire dont il exprime le
caractère propre par des actes concrets. Nous en analysons un aspect
dans notre présentation du concept de
« l'hospitalité ».
· 3.2. L'Hospitalité africaine et la
dignité humaine
L'Africain est un être de conscience ; il prend en
compte l'existence de l'autre. Mieux, en l'Africain il y a la conscience de
« l'autre comme soi-même ». Cela suppose tout d'abord
une profonde connaissance de soi-même comme être spécifique,
différent des autres. Il s'agit de dépasser le simple fait d'une
nature où les oiseaux de même plumage cohabiterent de
manière pacifique, pour aller à la
« co-naissance » des aspirations les plus
élevées qui amènent les hommes à la coexistence.
L'Africain communie, dès le sein maternel, au sens de la dignité
humaine. Ce sens de la dignité lui est inculqué ensuite par son
éducation et aussi par le monde avec lequel il est en constante
communion.
L'hospitalité africaine n'a pas son fondement dans
l'émotion, moins encore dans un amour sentimental. L'hospitalité
est l'une des vertus hautement estimées par les Africains. Elle trouve
son fondement dans « l'être » africain, qui est tout
d'abord un « être avec » selon les mots chers au
Père Matungulu64(*). C'est parce qu'au fond de lui, il reconnaît la
présence de la vie que l'Africain est disposé à communier
avec l'étranger comme avec un alter ego. Chez l'Africain la vie
n'est ni passion, ni naïveté. Elle est l'élément
mobilisateur et déterminant dans l'agir et la connaissance de l'Homme.
En elle, l'être et l'avoir s'embrassent. Et puisque l'agir ne peut
être séparé du savoir, chez l'Africain,
l'hospitalité s'impose, comme une obligation incontournable.
L'hospitalité suppose, outre l'intercommunication
vitale (intersubjective), et la reconnaissance de l'autre comme soi-même
dans sa dignité humaine, un dessaisissement total de soi. Dans
l'hospitalité, l'hôte fait place à l'autre avec qui il
partage son humanité. En termes bibliques on dira « qu'il
grandisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30).
L'hospitalité est une valeur importante pour l'homme africain. Elle est
en fait, un savoir vivre qui façonne le quotidien de l'Africain, et
prend forme dans la vie sociale. Tout aussi légitimement, une lecture
plus large du sens de l'hospitalité africaine peut être
faite: elle peut être saisie comme une disposition intérieure en
l'homme, qui trouve son fondement dans la conception de la
« vie » commune à tous les Africains. En ce sens,
l'hospitalité dépasse largement le simple cadre de relations
humaines.
L'hospitalité africaine est plus qu'une
disposition : elle se prolonge dans une attitude d'ouverture à
l'égard de toute la création et de tout le cosmos. C'est pourquoi
l'Africain se sent constamment lié à la création, dans
laquelle il perçoit le prolongement de son être. Le sens du
concept de « dignité » dans la vision africaine,
trouve son fondement dans « cette vie » à laquelle
et les humains et les autres créatures participent à
différents degrés. La personne humaine, comme
synthèse de l'univers et carrefour des forces de vie, situe sa
dignité autrement qu'elle ne le fait pour d'autres créatures.
« La personne est et [reste] un ordre dans un ordre ; elle est
une relation d'être et de vie au monde, une vie reçue,
participée à partir d'une même source. Elle n'est pas en
dehors du monde, elle n'est pas seulement dans le monde, elle est
tissée, fabriquée, faite du monde, dont cependant elle est
à la fois archétype et centre »65(*). La spécificité
du mode de compréhension de la dignité humaine en Afrique, donne
aussi l'Africain un sens propre de sa responsabilité face à la
gestion du cosmos. Là encore, soulignons-le, c'est une question qui se
pose à l'homme et par l'homme.
En posant des questions écologiques, et en cherchant
des réponses, l'Africain ne fait que manifester son souci de
préserver l'autre en lui-même, c'est-à-dire la vie dans son
caractère englobant. La nature a bel et bien une
« dignité », qui n'est pas égale à la
dignité humaine mais qu'il faut respecter. L'humain, tout en restant la
fin de la création, est tout d'abord un participant, qui prend part
à la « vie commune » qui régit l'univers
africain. De cette vie lui vient sa dignité spécifique, et elle
se prolonge même après son passage sur la terre.
· 3.3. Croyance à la Survie et la Dignité
Humaine
Bien des questions se posent à propos de ce que
l'Africain entend par la vie. S'il est vrai que l'Africain croit à la
continuité de la vie après la mort, pourquoi est-il constamment
en lutte contre toute force contraire à la vie ? La vie, dans son
expression actuelle, vaut-elle tellement plus qu'une vie prolongée dans
le monde invisible ? Certes, selon les conceptions ontologiques africaines
les forces peuvent entrer en lutte. Elles peuvent s'affaiblir mutuellement. Le
monde des initiés cherche à influencer l'issue de la lutte. Il
tient compte de l'existence de forces maléfiques qui ont pour objectif
de réduire la force vitale des autres, peut-être jusqu'à
l'anéantissement de ses expressions actuelles, dans la mort. Mais la
croyance à la survie reste très ambigüe. Elle peut signifier
que les forces maléfiques n'ont pas le pouvoir de réduire
à néant la vie qui anime les vivants et les morts. Si tel est le
cas, on comprend le message véhiculé par la
vénération des morts en Afrique. Même chez les morts l'on
trouve encore la chose la plus fondamentale : la vie. Nous avons
montré comment la dignité humaine a son fondement dans la vie. En
ce sens, la croyance en la vie après la mort ne fait qu'affirmer que la
vie et la dignité humaine sont plus fortes que la mort. La valeur
suprême de la vie, dans les conceptions africaines, est ainsi rendue
manifeste nous aurions pu la poser dès le départ :
même après la mort, la dignité humaine ne cesse pas de
s'imposer.
Lorsqu'on entreprend l'analyse des forces, il ressort
clairement que certains les morts disposent de plus de forces vitales que les
vivants. Les ancêtres peuvent intervenir directement dans la vie de ceux
à qui ils ont donné vie. Ils peuvent prolonger leur existence
à travers tel ou tel symbole de la vie : un arbre, une
rivière, une colline, qui sont invoqués en cas de
problèmes. L'Africain n'aurait aucun recours aux morts, aux
ancêtres s'il n'avait aucune croyance en la survie et s'il ne croyait pas
à la communion des vivants et des morts. Croire en cette communion est
une expression de la dignité de la vie, qui possède un
caractère permanent.
Conclure
Nous voulons conclure cette réflexion en rappelant ce
qu'a été la démarche poursuivie : partir de la
« conscience anthropologique » exprimée dans Sg 7,
1-6 pour justifier la dignité humaine telle qu'elle est perçue en
Afrique. Pour ce faire, il nous a paru opportun d'aller au-delà de
l'intuition première que l'homme a droit au respect, intuition qui se
retrouve dans toutes les cultures. En Afrique, nous avons retrouvé les
éléments justificateurs de la dignité humaine dans ce que
les Africains considèrent comme la valeur la plus fondamentale : la
vie. Notre analyse a été focalisée autour de trois
dimensions de la vie, à savoir la communauté,
l'hospitalité et la survie, qui toutes mettent en lumière la
dignité humaine. Il ressort de notre analyse que dans la
société africaine, la complicité
« individu-communauté » reste déterminante
dans l'appréciation de la dignité humaine ; en effet,
toucher à la vie, à la dignité d'un individu, c'est
toucher à la conscience anthropologique de sa communauté.
L'hospitalité n'a sa justification que dans l'intercommunication vitale,
signe de la reconnaissance de l'autre dans sa dignité humaine.
Toutefois, le concept de dignité n'est pas dernier, puisqu'il trouve son
fondement dans « cette vie » à laquelle et les
humains et les autres créatures participent tous, à
différents degrés.
L'humain qui achève la création, est tout
d'abord un « participant », celui qui prend part à
une « vie commune », à la Sagesse qui englobe tout
l'univers africain. L'Africain n'aurait aucun recours aux morts, s'il
n'avait aucune croyance en la survie et s'il n'y avait pas en lui la foi
à la communion des vivants et des morts.
Mais que nous demande le Seigneur lorsqu'à travers le
Livre de la Sagesse de Salomon, il nous dit :
« prêtez l'oreille vous qui dominez sur les
multitudes » ? Quel est son message hic et nunc?
Certes, la Sagesse est animée d'une puissance révélatrice.
Elle est présente dès le commencement, quand le créateur
s'en sert pour réguler toutes choses. C'est la même Sagesse qui,
de manière dynamique, nous parle aujourd'hui à travers notre
tradition africaine. Nous avons montré que la tradition africaine
permet de trouver le fondement de la dignité humain dans ce que nous
avons désigné du nom de « chair africaine ».
Une réalité qui nous donne un sentir commun d'humanité et
n'est autre chose que la vie. La vie serait-elle l'autre non de la Sagesse en
Afrique ? Ecouter la vie lui parler, c'est pour l'Africain,
s'écouter soi-même, dans sa conscience anthropologique, dans son
essence la plus profonde! La vie constitue pour l'Afrique ce
« locus » endogène du renouvellement de sa
« conscience anthropologique ». N'y a-t-il pas un effort
à faire pour revisiter sa propre culture, qui est un don de Dieu et un
lieu de rencontre authentique avec le Christ qui est Africain dans ses
membres66(*) ?
Lorsque l'analyse du sens de la communautaire africain, de la signification de
son hospitalité, et de sa croyance à la survie, redynamise la
« conscience anthropologique » africaine, et fait prendre
conscience de la grandeur et de la dignité humaine qui sont
exprimée dans la conception de la vie, l'on comprend mal les
aberrations suicidaires des gouvernants africains. Quel diagnostic porter
sur le ratage de l'exercice du pouvoir en Afrique? Écoutons-nous
suffisamment la Sagesse divine, en nous et à travers notre
tradition ? Le troisième chapitre voudrait à cette question.
Nous croyons que l'Afrique a besoin d'une nouvelle impulsion pour
réinventer une culture du bien commun, et revitaliser l'Afrique. La
Sagesse peut nous l'offrir et nous aider à rendre à l'Homme la
conscience anthropologique que Dieu lui a donnée à l'origine. La
conscience anthropologique telle qu'entendue ici, soulignons-le, n'est pas
infaillible. Mais elle est, sans cesse rachetée et
récréée, à l'image du Christ, l'homme-Dieu, le seul
parfait.
CHAP. III.
UNE APPROCHE DE LA SAGESSE POUR
LA PROMOTION DE LA CULTURE DU BIEN
COMMUN.
Le présent chapitre voudrait suivre le fil de la
Sagesse tel qu'il traverse différentes cultures et les entraîne
vers la réalisation complète de leur visée ultime. S'il
est vrai que la Sagesse devance ceux qui la désirent, en étant la
première à se faire connaître (Sg 6, 13), alors la Sagesse
éprouvée peut bien se dire « culture ». Elle
est toujours dynamique et ouverte à la volonté divine.
Voilà pourquoi, se passionner pour la Sagesse, c'est la perfection du
discernement (Sg 6, 15). Celui-ci cherche le juste milieu et y trouve une vertu
divine. La Sagesse circule continuellement en quête de ceux qui sont
dignes d'elle, elle leur apparaît avec bienveillance sur leurs sentiers
et, dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre
(Sg 6, 16) pour les amener à réaliser la volonté divine.
Elle veut que l'homme soit heureux et s'accomplisse dans la pleine
révérence, la louange et le service du créateur67(*) à travers ses
semblables créés à l'image de Dieu (Gn 1, 27). Pour donner
corps à l'oeuvre de la Sagesse, et la présenter comme le ferment
de toute culture, pour le bien être intégral de l'humain, nous
traiterons de deux grands points, à savoir : la culture comme
trace de la Sagesse et la réinvention de la culture du bien
commun.
· 1. La Culture comme trace de la Sagesse
Dans Pour une éthique de la culture68(*), G. Defois, cherchant à
définir la culture, prend conscience de la complexité de la
question. Le sens que l'on donne au concept peut être coloré par
différentes approches, philosophiques, ethnologiques, sociologiques,
historiques ou politiques. Nous disons avec lui que : « Nous ne
prétendons pas en donner une expression exhaustive comme si nous
pouvions caractériser définitivement ce que tant d'autres
s'épuisent à délimiter dans les confrontations et
controverses multiples »69(*). Pour lui, la notion de la culture doit tenir compte
de toute l'activité humaine notamment de l'histoire, de la transmission
du savoir commun ethnographique, technique, économique,
esthétique, artistique, langagier, religieux70(*), etc. Nous proposons
ici une approche définitionnelle de la culture qui ressort de
l'expérience de vie d'un peuple. Il s'agit d'une expérience de
quatre décennies à travers lesquelles nous voulons déceler
la trace, mieux la présence de la Sagesse. Il s'agit de
l'expérience de l'Eglise de la RD Congo en tant qu'elle est aussi corps
social, et partant, en interaction avec les autres systèmes sociaux. Ce
choix nous est facile parce qu'il nous fait séjourner dans notre propre
culture71(*).
Le mot « culture » est employé,
en s'inspirant de l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi
(n°20). Elle invite à une évangélisation profonde des
cultures et ne se contate pas d'adapter des éléments
décoratifs. Le vocabulaire de l'inculturation ayant été
officiellement adopté étant officialisé par Paul VI, il
devient possible pour l'évangile de véritablement s'incarner dans
la vision du monde d'un peuple. Toutefois, l'usage fait du mot
« culture » se prête encore à une lecture
individualiste du phénomène. Le mot
« culture » est considéré comme un
aréopage (Ac 17, 16-34) parmi tant d'autres, vers lesquels il convient
d'orienter l'activité missionnaire de l'Eglise (Centesimus
annus n°37). Il faut rendre à la culture son sens
collectif. C'est ce qui se produit dans l'expression « groupes
culturels » qui désigne des entités où se
manifeste le caractère social de l'homme, qui ne renvoie donc pas
seulement au cadre étatique.
En ce sens, la culture désigne l'ensemble des valeurs
communes par lesquelles un groupe s'identifie. Vue comme une construction
sociale qui s'élabore au cours de l'histoire, la culture comprend toute
l'activité humaine. D'elle dépend le sens que l'Homme ou la
société donne à ses comportements : chaque culture a
sa manière d'aborder la question du sens de l'existence. Chacune offre
une lecture d'ensemble de la vie. C'est dans ce sens que Jean Paul II parle
d'une culture de la mort (Centesimus annus n°39), d'une
culture du totalitarisme (Centesimus annus n°42), d'une
culture de la paix (Centesimus annus n°51). La culture prend la
forme d'une force historique, qui est toujours incarnée (Paul VI). La
culture est l'alma mater qui enracine l'Homme dans son contexte, et
définit la langue, l'histoire, les positions qu'il adopte devant les
événements fondamentaux de l'existence, tels la naissance,
l'amour, le travail... La culture est en constant dialogue avec le social.
Dans les deux premières décennies de quatre que
nous analysons ici (de 1956 à 1976), le mot
« culture » est repris justement dans le cadre de
l'indépendance avec un soubassement de vrai retour à
l'authenticité. Le mot « culture » n'a que le sens
d'une vie raisonnable, dont l'homme doit jouir dans ce cadre nouveau
(épargne, assurance sociale, repos dominical, loisir convenable), etc.
Au niveau des relations humaines, la « culture »
désigne tout le domaine social, qui peut constituer un obstacle à
la nécessaire collaboration de tous à la prospérité
matérielle et spirituelle du pays72(*)). Le défi est pour les chrétiens de
promouvoir la loi de la charité, un climat de confiance et d'entraide,
afin d'éviter « des chocs violent »73(*) dans un monde où des
cultures diverses existent côte à côte.
L'Eglise du Congo est à l'aube de
l'indépendance. Le mot « culture » dans ce contexte,
est employé pour appeler les chrétiens à la
réappropriation de l'évangile. L'Eglise est animée du
souci de christianiser les cultures, et de permettre au Christ s'incarner dans
chaque peuple. Le problème est que la présentation du message
évangélique est faite par des missionnaires
imprégnés de la culture occidentale. La rationalité qui
gouverne leur action n'est pas toujours africaine. La
« culture » se révèle ici comme un mode
de vie. On ressent le besoin de retrouver les modes de pensée et
d'expression propres au peuple Congolais dans les domaines du culte, de la
liturgie, de la prédication, de l'organisation architecturale, et de
l'art religieux, de la vie monastique et de la manifestation sociale de la vie
religieuse.
Une prise de conscience s'y manifeste du désarroi
spirituel causé par la brusque introduction d'une culture nouvelle et le
bouleversement des structures collectives traditionnelles. On déplore
une sorte d'aliénation, qui n'a pas aidé l'homme à
réaliser son unité interne, car il est écartelé
entre deux cultures. La rencontre entre la culture et rationalité
occidentale d'une part et la tradition africaine74(*)d'autre part, crée un
problème. Ceux qui se sont crus investis d'une mission civilisatrice ont
abusé de la bonne volonté des populations : ils ont
cédé à la tentation de faire une tabula rasa des
valeurs constitutives de la vision du monde africain. Dans ce contexte,
l'Eglise affirme avec force que tous les peuples et toutes les cultures se
valent, et contribuent, par leurs apports originaux et irremplaçables
l'enrichissement de la famille humaine75(*). « La culture » reste un moyen de
socialisation.
L'Eglise est au service du monde76(*). La
« culture » est considérée comme une richesse
à évangéliser. Les cultures qui se rencontrent sont
considérées comme le soubassement sur lequel le peuple de Dieu,
ferment irremplaçable de la paix et de l'unité fraternelle entre
les Hommes, doit s'appuyer. La communion des cultures peut aider à
trouver la solution aux problèmes du monde. Pour y parvenir, la foi,
dans la charité, la patience et la persévérance doivent
être des sources d'inspiration. La connaissance de la culture est
recommandée, comme un des éléments qui contribue à
donner une réponse adéquate aux problèmes du monde. La
hiérarchie de l'Eglise au Congo a vu la population
ébranlée par les secousses sociales et culturelles. Le
clergé doit relever ce défi. Il y parviendra en s'appuyant sur la
culture, qui est comme le véhicule de la promotion sociale
authentique de la population. Dans le domaine culturel, la
généralisation de l'esprit scientifique et technique doit aller
de pair avec la formation intégrale de l'humain. La culture est ici
envisagée comme un ensemble des connaissances à divulguer
pour former l'Homme77(*).
L'Eglise est libre par rapport à toutes les cultures.
Mais elle doit collaborer à la promotion culturelle et sociale de tous
les habitants du pays. L'Assemblée va plus loin dans sa conception de la
« culture » lorsqu'elle l'envisage dans le contexte de la
relation Etat-Eglise : l'Etat national et politique est tenté de
s'appuyer sur un droit religieux et culturel, comme il fit pendant la monarchie
en Israël sixième (siècle Av. JC78(*)). Mais une telle conception de
la culture pourrait conduire à l'installation d'une culture dominante,
puisque appuyée par l'instrument politique. Le droit à la
liberté religieuse et de confession serait alors étouffé,
et une cohabitation pacifique rendue difficile. L'Eglise ne s'identifie
à aucune structure culturelle, politique, économique. Mais doit
tâcher de s'inculturer dans chaque Eglise particulière.
S'il est vrai que le christianisme transcende toutes les
cultures et civilisations, il est tout aussi vrai que le christianisme
intègre dans son message tout ce qu'il y a de valable dans chaque
culture. Il s'agit d'une intégration qui suppose une étude
approfondie, de la culture en question d'une part, et d'autre part, du message
chrétien pour distinguer ce qui est essentiel et accidentel.
« La culture » congolaise est l'ensemble des valeurs de
pensée et le génie d'organisation qui sont propres à notre
Eglise particulière. L'Eglise du Congo peut être
légitimement fière d'être parmi celles qui ont le plus fait
pour l'intégration du christianisme dans la culture locale79(*). Mais parmi les
effets de l'incarnation de la vie chrétienne dans une culture, la
continuité et une rupture doivent être pris en
considération. Il y a continuité en ce sens que le converti au
christianisme partage l'expérience traditionnelle
concrétisée dans des coutumes, des rites et d'autres pratiques de
sa culture qui peuvent être considérés à juste titre
comme du travail accumulée. Il y a rupture par le changement des
motivations profondes et de l'axe principal de référence, qui
désormais, se trouvent dans le Christ.80(*) Du point de vue culturel, le Congolais actuel (le
discours date de 1972) est un homme écartelé entre sa
personnalité culturelle et les apports étrangers :
d'où la recherche de l'authenticité, l'effort pour le redevenir
soi-même.
L'Eglise tient compte de la rénovation et de
l'intégration culturelle qu'a connues le pays, dans le but de retrouver
son identité. L'Eglise collabore à cette quête par la
revalorisation du patrimoine ancestral du Congo. On cherche désormais
à « africaniser le christianisme », qui doit
participer à l'effort pour penser et expliquer en langage africain son
expérience du chrétien (doctrine et vie), dans l'expression
théologique et symbolique. Le souci de l'africanisation s'étend
à tous les domaines, notamment celui des structures de gouvernement et
des genres littéraires africains dans la prédication et dans la
liturgie. On cherche aussi à revaloriser les traditions qui demandent la
solidarité, le partage, la vie commune, l'hospitalité, etc. La
« culture » doit arriver à une assimilation du
christianisme, en concrétisant son expression noire.
L'expression « patrimoine culturel »
désignant l'ensemble des valeurs que l'on doit valoriser. En tant que
chrétiens, les fidèles doivent trouver comment intégrer
leurs valeurs dans leur vie. La participation à la vie du Christ ne peut
se faire par procuration. Elle doit être assumée par chacun, par
tout ce qu'il est en lui-même et dans son enracinement socio-culturel.
Toutefois, la foi n'est pas à confondre avec la culture,
c'est-à-dire, avecle mode de vie, de penser et d'agir dans lesquels une
civilisation a pu l'incarner81(*). Puisque le prêtre séculier, vit au
milieu du peuple, connaît son langage et qu'il est pétri de sa
culture, il doit être le premier à définir les traits
particuliers qu'une Eglise particulière doit rendre.
De 1977 à 1998 (les deux dernières
décennies de notre analyse), le concept de culture est davantage
axé sur la collaboration entre Eglise et Etat dans le domaine de
l'éducation. En 1985 le message des évêques se
présente plutôt comme une exhortation moralisatrice, une apologie
plus qu'une lecture prophétique des événements. Car le
pouvoir est devenu de plus en plus exigeant : Il veut que tous soient
formés à la fierté culturelle, et prêts à
collaborer à différentes manifestations culturelles. L'Eglise
cependant considère les loisirs comme un des moyens mis à la
disposition de tous pour acquérir une culture intégrale :
elle veut promouvoir une détente saine de l'esprit et du corps, et
l'établissement de relations fraternelles entre les hommes de toutes
conditions. Pour elle, veiller à la dimension culturelle, fait partie
intégrante de la formation de l'Homme à l'image de Dieu. Les
valeurs spécifiques de sa culture ancestrale sont prises en
compte : elles font partie du patrimoine spirituel de l'humanité.
Les valeurs culturelles authentiques sont désormais synonymes de tout ce
qui a été réalisé en 25 ans d'indépendance
(à l'heure où nous écrivons, on dira cinquante ans
d'indépendance). On célèbre ainsi l'unité du
pays, le sens patriotique, le retour à la terre avec la volonté
de la valoriser par l'habitat, l'agriculture et l'élevage, la
promouvoir de la femme, la liberté.
L'attention se porte sur « les facteurs culturels
du développement ». La « culture »
désigne désormais toutes les réalités sociales. Il
est plus question d'organisation de la vie sociale et de l'autorité, du
système éducatif, de la recherche scientifique, des services de
santé, de la sécurité sociale, de la crise
économique, de la poursuite du bonheur (bien) commun82(*). Après l'irruption de
la modernité dans nos pays, nos traditions ancestrales sont
corrodées. Il s'avère nécessaire d'organiser une
éducation à partir du milieu culturel, pour assurer le respect et
la protection du patrimoine. Le prêtre doit s'appliquer à
connaître les conditions de son peuple pour travailler à
l'amélioration et au relèvement culturel de son peuple83(*).
Dans le contexte de la reconstruction, que nous avons
tantôt signifiée par le concept de
« ré-confection ». Le mot
« culture » revient dans le cadre précis des options
politiques : les reformes dans le système politique doivent
promouvoir les vraies valeurs culturelles de notre peuple. Il s'agit de
sauvegarder les droits fondamentaux et les libertés inhérentes
à la dignité de l'homme, une distribution juste de la production,
la construction d'une économie autocentrée au profit de
l'économie nationale. La crise culturelle, qui a été
générale dans la nation, est déplorée. Nos
élites n'ayant pas réussi à promouvoir une
« synthèse culturelle », autrement dit
« la sagesse commune de vie », parce que l'ancienne colonie
maîtrisait leur culture, c'est celle-ci qu'ils nous ont proposée,
en lieu et place de la nôtre. Ainsi, on on insiste sur « la
culture politique » dans le contexte post conférence nationale
souveraine (1993), en vue de concevoir et surtout d'exercer le pouvoir
politique dans le cadre institutionnel qui prévoit que l'accès au
pouvoir doit passer par la voie des urnes84(*). Le premier synode pour l'Afrique a mis en
évidence les valeurs chrétiennes et culturelles susceptible de
donner un souffle nouveau à la mission de l'Eglise, confrontée
à un monde « sécularisé ».
Après le constat de la faillite de la deuxième
République, le pays s'est doté d'un nouveau projet de
société enrichissant son patrimoine
« culturel » : tels des actes, des résolutions,
la loi fondamentale de transition et des institutions voulues
démocratiques. « La culture » prend ici le sens
d'un patrimoine, établi par un travail laborieux et qui doit être
préservé à tout prix. Il en va de l'épanouissement
de toute la nation. La culture renvoie aussi à une éthique
fondée sur des valeurs chrétiennes dont l'Eglise est la
gardienne. L'ensemble des valeurs ainsi reconnues doivent sauvegarder les
particularités culturelles des différentes régions qui
composent le pays.
Après avoir examiné les différentes
composantes de la culture à travers ces quatre décennies de la
culture congolaise (1956-1998), il est difficile de formuler une
définition de la culture. « Disons simplement qu'elle est un
ensemble de symboles, d'images de représentations et de langages par
lesquels un peuple dit ce qu'il est, développe ses activités
pratiques et théoriques, promeut ses institutions et régule ses
relations en termes de communication et d'appartenance »85(*). En ce sens, la culture est
pour nous la trace d'une Sagesse s'incarnant toujours davantage en l'homme en
tant qu'il est un être social et appelé à sa pleine
réalisation.
La culture est le fruit des efforts de réalisation de
soi de tous ceux qui sont animés par des projets, par une mémoire
et une ouverture à la transcendance. La culture comprend toute
l'activité humaine. Elle est donc « l'universel » du
sens que l'homme ou la société donne à son
éthos : la manière d'aborder la question du sens de
l'existence fait la culture. Il s'agit d'une lecture d'ensemble de la vie
où tout l'humain est engagé, dans la mesure où il veut
humaniser le monde. La culture prend aussi à son compte la promotion du
bien commun de la société.
· 2. La
réinvention de la culture du bien commun
· 1. Notre approche du bien commun
Le bien commun comme nous l'entendons, va au-delà du
« bien de la communauté » (cette somme des biens
privés et publics, matériels et moraux pour la
prospérité d'une société donnée) et s'ouvre
à la « communauté du bien » (cette forme
universelle) c'est-à-dire un bien qui dépasse la simple
satisfaction des besoins des membres dans une communauté encore close et
les adjoint, dans leur désir de l'être universel qui est en
l'Homme plus profond encore que tout désir égoïste. Au
niveau de l'universel, la prospérité que procure la
communauté du bien transcende les simples jouissances de l'avoir
collectif (le bien de la communauté) et comble ce désir qui vit
au plus intime de chaque individu, et le constitue en personne. A ce niveau,
on ne saurait plus dire de façon simpliste que
« l'intérêt général prime
l'intérêt particulier ». Tous et chacun, en tant que
communauté, doivent se mettre au service les uns des autres, pour le
plus grand bien de tous et de chacun. C'est pourquoi toute autorité qui
nie et viole les droits d'un individu se nie et se détruit
elle-même86(*), tous
étant constitués par « la même chair87(*) ». Le bien commun
est essentiellement un bien moral qui « demeure commun car
indivisible et parce qu'il n'est possible qu'ensemble de l'atteindre, de
l'accroître et de le conserver »88(*). Au-delà du
débat concernant le libéralisme, qui considère que la
liberté individuelle établit une tension continuelle entre les
principes universels et les intérêts particuliers, nous voulons
saisir le bien commun selon la perspective du magistère de l'Eglise, qui
conjugue la dialectique entre la personne humaine en tant qu'individu et la
communauté comme lieu de sa socialité éthique.
C'est dans ce sens que Léon XIII écrit : « Le
Bien est le principe créateur et l'élément conservateur de
la société... ce Bien commun est après Dieu, dans la
société, la loi première et
dernière »89(*). Pour Jean XXIII, le bien commun est
« l'ensemble des conditions sociales permettant à la personne
d'atteindre mieux et plus facilement son
épanouissement »90(*). S'efforçant de maintenir l'équilibre
entre société et individu, Jean XXIII considère que le
bien commun « embrasse l'ensemble des conditions de vie en
société qui permettent à l'homme d'atteindre sa perfection
propre de façon plus complète et plus
aisée »91(*). Selon ces différentes approches, le bien
commun réunit « tout ce qui existe d'institutions, des
règles juridiques et administratives, d'habitudes de vie et de
pensée qui font que les biens spirituels et temporels de la
communauté sont attribués à chaque groupe et à
chaque personne »92(*). C'est pourquoi, la réinvention de la culture
du bien commun en Afrique doit établir un équilibre qui englobe
tout ce qui perfectionne la nature humaine, l'achève, l'épanouit.
Il s'agit d'aller au-delà de toute vision matérialiste qui
pourrait « transformer le bien commun en simple bien-être
socio-économique, privé de toute finalisation transcendante,
c'est-à-dire de sa raison d'être profonde »93(*).
· 2. Vers la Sagesse du bien commun
Nombreux sont ceux qui voudraient se soustraire au noble
devoir de veiller à la bonne gestion de la res publica. Il
s'agit d'une fuite de responsabilité politique qui se traduit souvent
par une évasion langagière du genre : « on n'est
pas là pour faire de la politique ». Cette attitude se
prolonge dans une méfiance quelquefois injustifiée à
l'égard de l'autorité. Une dérobade s'ensuit parfois
implicite, qui révoque l'appartenance à une identité qui
est caractéristique de l'Homme : « celle d'être un
être social par essence », comme nous l'avons montré
dans les chapitres précédents. Cette dérobade qui, en
réalité, est une démission, voire une négation de
son identité profonde, se répercute et s'extériorise dans
une fuite ou encore dans l'abandon de ses responsabilités politique.
C'est si, déjà la communauté était
abandonnée à son sort.
Dans l'Afrique actuelle, au visage multiforme et fort
contrasté, une Afrique désunie et affaiblie par de graves
injustices, une telle attitude ne peut qu'étonner. La prise en charge de
la responsabilité politique est une question de vie ou de mort en
Afrique; ce n'est pas une question nouvelle l'histoire nous
révèle que de nombreux empires et royaumes africains se sont
distingués par leur engagement remarquable dans la gestion de la
cité. On peut citer le royaume Congo94(*), l'empire Lunda, l'empire Mandeng, le royaume Akan,
le royaume de Monomotapa, l'empire Zoulou95(*) et j'en passe. L'histoire suivant son cours, ces
empires et royaumes puissants ont été confrontés avec la
civilisation occidentale. Malheureusement, il s'est avéré que
cette confrontation eut un effet dévorant contrairement à ce que
préconise aujourd'hui S. Huntington dans le cadre des relations
internationales96(*).
De cette rencontre violente la tradition africaine est sortie
perdante. L'âme de la tradition africaine c'est-à-dire le
dénominateur commun de sa culture au-delà de toute
diversité a été engloutie par la marée coloniale,
si bien que, jusqu'à nos jours, s'il venait à manquer un peu de
sel importé (dans sa forme actuelle), même dans nos villages les
plus éloignés des centres, l'on ne pourrait plus avaler sa
nourriture97(*). Ceci
montre jusqu'à quel point l'organisation africaine fut
ébranlée.
A vrai dire, l'époque coloniale aurait pu
mériter de la « reconnaissance » de la part
l'Afrique si elle ne s'était pas caractérisée par une
multitude de violences, et au dénigrement de
« l'âme » africaine. Elle aurait eu droit à la
reconnaissance, parce qu'elle aurait pu être un
« nouveau » point de départ. Les systèmes
politiques aurait pu épargner à l'Africain de rester
l'éternel élève d'un maître dont il ne peut se
défaire. C'est là la conséquence de la violence
exercée par un pouvoir instrumentalisé qui est tout à fait
le contraire du pouvoir de la Sagesse, que seul Dieu accorde (Sg 6,3). Sans
verser dans la nostalgie d'un paradis perdu, la présente
réflexion veut mettre en lumière l'exigence naturelle qui
s'impose à l'Homme africain : c'est dans la cité que
l'Homme doit vivre en vue de réaliser son bien-être. Ce
bien-être, dans la société, ne peut voir son
accomplissement que dans un cadre éthique où la poursuite du bien
commun demeure la norme qui doit façonner l'exercice du pouvoir. Le bien
commun n'est pas à rechercher dans la contemplation d'une
« forme immuable d'un bien cosmique», afin d'y conformer
son éthos ici bas. Le bien commun nous semble être
revêtu de brillante (Sg 6, 12) étoffe de la Sagesse, la
génératrice de tous les biens (Sg 7, 12). L'écoute de la
Sagesse permet de percevoir des évidences qui sont propres à
l'espèce humaine, notamment dans le don du discernement pour le bien
commun.
Or, c'est là parfois le tendon d'Achille de la
sphère politique africaine. Nos systèmes politiques ont
ignoré ou négligé la valeur du bien commun et se sont
voilé la face, plutôt que de reconnaître la splendeur de la
Sagesse (6,12). Le bien commun, qui est la raison d'être ultime des
instances politiques, a été désacralisé et
banalisé. L'homme politique africain abhorre l'austérité
qu'exige la quête du bien commun, et se réfugie dans des pratiques
illégales, qui le détournent de l'appel et de l'idéal que
son métier lui propose: la réalisation du bien commun. La
perte du sens sacré intrinsèque au bien commun affecte nos
communautés politiques dans toutes leurs dimensions. Car s'il est vrai
que le caractère du politique (comme vision d'une société)
et de la politique (comme ensemble d'actions concrétisant le politique)
d'une communauté doit se jauger par rapport au bien commun, alors il est
tout aussi vrai que la perte du sens du bien commun dans une communauté
politique représente une option suicidaire pour la communauté
entière.
En réalité, cette perte de sens
déshumanise la communauté politique, et la rend incapable de
répondre à sa vocation en tant que communauté d'Hommes.
Des conséquences néfastes s'ensuivent, faisant obstacle au plus
grand épanouissement de la vie de toute la communauté. Outre les
conditions liées à son histoire, il sied de se demander si la
perte du sens de bien commun ne serait pas la cause profonde des misères
qui bloquent le décollage du développement africain ?
L'Afrique a de donner à la culture du bien commun un nouvel élan.
La réinvention de l'Afrique, et une réorganisation politique
digne de ce nom, inspirées par la Sagesse divine, dépendent d'une
prise en charge du bien commun par les Africains et pour l'Afrique. Comment y
parvenir ? Notre réflexion distingue deux voies, à
savoir : l'éducation comme disposition à la Sagesse du
bien commun et l'organisation institutionnelle en vue du bien commun.
· 2.1. L'éducation comme disposition à la
Sagesse du bien commun
Une bonne politique, avons-nous souligné, doit
s'efforcer de réaliser le bien-être général de toute
la communauté. Au-delà de toutes les différences
individuelles la communauté comme une seule personne, est portée
par cette aspiration à un épanouissement commun. La
communauté parviendra à réaliser ses aspirations profondes
en s'organisant de manière appropriée. Elle devra se doter d'une
autorité qui portera haut l'idéal de toute la communauté.
Toutefois, il est bon de souligner que la réussite de la gestion de
« la chose publique » n'est pas le seul devoir de
l'autorité. Tout le peuple est appelé à mettre la main
à la pâte pour la réalisation d'une meilleure
communauté politique.
Voilà pourquoi nous nous inspirons de ceux qui ont
pensé l'organisation politique à partir de son noyau le plus
restreint qu'est la famille (notamment Aristote). C'est en prenant appui sur
cette petite entité de la communauté humaine que la marche vers
la construction de la communauté politique idéale peut prendre
élan. C'est dans la famille d'abord que le sens du bien commun doit
être inculqué aux futurs citoyens. Il n'est pas aisé
d'élever les Hommes des simples passions égoïstes au sens
idéal du bien commun. Pourtant, le bien commun, dans toute sa noblesse,
demeure la raison d'être ultime d'une communauté politique. Le
bien commun est le phare qui éclaire la bonne marche d'une
communauté politique. La conformité au bien commun protège
la communauté politique de tout égarement irrationnel dans la
gestion étatique.
La recherche du bien commun est donc ce qui motive l'action de
la communauté politique. Eduquer au bien commun c'est alors,
entraîner le peuple à assimiler le sens du bien commun tel que
décrit ci-dessus. Toute éducation demeure exigeante.
Etymologiquement, ex-ducere signifie conduire hors de ;
éduquer le peuple au sens du bien commun veut dire le conduire hors,
mieux l'arracher de l'obscurité des passions naturelles comme
l'égoïsme, le narcissisme à outrance, etc. Pour lui donner
le sens noble de l'intérêt universel ou politique, (le sens
de ce bien qui dépasse la simple satisfaction des besoins des membres
dans une communauté encore close et les rejoint dans leur désir
de l'être universel qui est en l'Homme plus profond encore que tout
désir égoïste). Il faut y mettre suffisamment de temps et
les moyens nécessaires. Une analogie à l'allégorie de la
caverne de Platon traduit bien ce que nous voulons montrer : le bien
commun est comme le soleil dont les rayons sont nécessaires à la
bonne marche de la politique communautaire. Comme les rayons solaires
éblouissent ceux qui sortent de l'obscurité de la caverne pour
arriver à la lumière de la vérité,
l'éducation, l'initiation à la montée vers le sens du bien
commun fait violence à nos sens, ces envies de « l'humain trop
humain » qui nous trompent souvent. L'importance du bien commun exige
qu'une telle éducation soit permanente. Si brèf que soit le
séjour de l'Homme sur terre, l'éducation au sens du bien commun
ne doit jamais être interrompue, car aucun mortel n'est le possède
pleinement. L'éducation scolaire sera prolongée dans la vie
courante et l'organisation institutionnelle de la société fera
régner une conscience politique plus capable d'assumer ses
responsabilités.
· 2.2. L'Organisation institutionnelle en vue du bien
commun
Nous avons reconnu, ci-dessus, la nécessité
d'une autorité, au sein de toute organisation politique.
L'autorité, nous semble-t-il, remplit son contrat dans la mesure
où son action réalise l'idéal que poursuit la
communauté toute entière. Il s'agit d'une tâche
délicate dont dépend le destin de toute communauté qui a
pour vocation de cohabiter, en vue de réaliser ses aspirations
profondes : vivre son humanité et atteindre son bien-être.
Toutefois, l'autorité qui incarne cet idéal, n'est pas un Dieu.
L'idéal qu'est le bien commun doit prendre appui sur une instance qui
est capable de soumettre à sa loi et l'autorité et le peuple.
Dans le contexte actuel, cette instance ne peut être que le cadre
constitutionnel dans lequel l'idéal, mieux la sagesse d'une
société politique donnée se trouve exprimé. C'est
cet idéal que nous désignons ici par le concept de
« bien commun ». L'idéal du bien habite chaque
membre d'une société en tant qu'il est humain, quel que soit le
taux de criminalité, de corruption qui y prévaut. Même
lorsque les hommes sont en lutte les uns avec les autres, au point d'en arriver
à un anéantissement mutuel, cette lutte
« s'inscrit » dans l'économie d'une quête du
bien-être. Pour tant le bien être qui s'acquiert dans et pour la
communauté éthique reste possible.
Seul un cadre éthique peut mettre à jour et
cultiver ce qu'il y a de noble dans l'Homme, pour l'orienter vers une fin plus
noble encore, telle que la recherche du bien commun dans une
société politique. C'est dans un cadre éthique que l'homme
découvre qu'il vaut mieux réaliser son épanouissement avec
l'autre, plutôt qu'à son dépens, car nul ne peut être
réduit à n'être qu'un moyen, sans valeur propre. L'homme
est un être profondément social, qui porte en lui l'idée du
bien. Dans un cadre institutionnel, cette idée peut être
développée pour que se réalise l'idéal de la
communauté politique. En ce sens, aucun homme ne peut espérer
trouver son accomplissement dans une société où tout le
monde vit dans la misère. On ne voudrait pas ici se faire l'avocat d'un
nivellement social, par une répartition égale des biens ce n'est
pas cela la pensée de l'Eglise98(*). Il s'agit plutôt d'établir une
société où les libertés et les droits fondamentaux
de tous sont respectés. Un cadre institutionnel qui se base sur une
éthique du bien commun, et en fait une culture commune, offre à
l'Afrique en quête de développement la voie de salut.
Conclure
Nous ne voudrions pas conclure cette réflexion sans
rappeler ce qui l'a motivée : la mauvaise gestion de la chose
publique dans l'Afrique actuelle. Cinq décennies après les
indépendances, les structures politiques d'Afrique sont loin
d'être rassurantes. Si elles ne sont pas restées statiques, elles
ne se sont pas donné pas les moyens nécessaires pour une
indépendance réelle. Les dirigeants africains se distinguent
surtout par leur mauvaise gestion. Ils hypothèquent et aliènent
les ressources de leurs pays, pour ne servir que des intérêts
individuels et égoïstes. Le continent, laissé à
lui-même, ressemble à un champ de bataille où les petits
sont engloutis par les plus puissants. Les violations des droits fondamentaux
n'étonnent plus personne. Un jugement inexorable s'exercera sur les gens
haut placés ; au petit, par pitié, on pardonnera mais les
puissants seront examinés puissamment (Sg 6, 5-6).
Une question se pose avec acuité : Outre les
conditions liées à son histoire, la perte du sens du bien commun
ne serait-elle pas la cause profonde des misères qui bloque le
décollage du développement africain ? S'il en est
ainsi, il nous semble que la réinvention de l'Afrique, pour une
réorganisation politique digne de ce nom, demeure corrélative
à une culture efficace de la prise en charge personnelle du bien commun
par les Africains et pour les Africains. Voilà pourquoi nous avons
lancé deux appels : l'éducation au sens du bien commun dans
tout son caractère austère et une forte organisation
institutionnelle où le cadre éthique guidé par le sens
sacré de la constitution donnerait une nouvelle poussée à
la ré-confection du tissu politique des Etats modernes en terre
africaine. Nous soulignons le caractère inachevé de cette
réflexion que nous voudrions bien voir se poursuivre.
Conclusion Générale
Au terme de notre travail, une réflexion
enracinée dans le Livre de Sagesse de Salomon, une conviction
s'impose : toute marche humaine d'un point vers un autre doit être
parsemée de repères. Autrement, on se perd. Le Livre de la
Sagesse de Salomon nous en indique un, qui peut revitaliser notre approche
existentielle. Telle est la fonction première du message de Sg 6, 1 - 7,
21 : Salomon y exhorte les rois à la Sagesse du pouvoir. Nous avons
laissé ce message rencontrer notre vécu réel. En jeune
théologien Africain, nous avons laissé la Sagesse de
Salomon nous interpeller et provoquer une conversion du regard face
à l'exercice du pouvoir sur la terre africaine. La cécité
du regard dont nous sommes parfois victimes, tellement nous sommes
habitués aux dysfonctionnements presque structurels de l'appareil
politique, a fait place à la découverte du sens originaire du
pouvoir : le Livre de la Sagesse nous a montré qu'il
doit être au service du peuple sous le regard de Dieu (Sg 6, 4). Nous
avons voulu en appeler à la réhabilitation de l'humain qui doit
être au centre de toute activité politique. Le Livre de la
Sagesse nous a aidés à revisiter les éléments
fondamentaux du pouvoir, qui doivent être respectés pour parvenir
à une bonne gouvernance. Ayant établi en Dieu l'origine de tout
pouvoir (Sg 6,3), l'écoute continuelle de l'instruction divine doit
faire naître dans le coeur du roi l'estime de la Sagesse. Seule la
Sagesse permet au au roi d'exercer son pouvoir d'une manière
appropriée, et d'être assuré de l'incorruptibilité,
qui rend proche de Dieu (Sg 6, 18-19). Seule la Sagesse maintient, de
manière continuelle, le roi dans « une conscience
anthropologique » (Sg7, 1-6), et lui rappelle la présence de
l'autre, image de Dieu, foncièrement un « alter
ego » qu'il doit pourtant gouverner. La conscience
anthropologique qui détermine l'exercice du pouvoir a été
mise en exergue et présentée comme la leçon principale de
notre premier chapitre. Elle a ensuite servi de fil conducteur au
deuxième chapitre. Nous sommes partis de la « conscience
anthropologique », telle qu'elle est proposée par le roi, qui
Salomon se reconnaissait entièrement égal à tous les
mortels, pour penser la dignité de l'Homme dans notre culture africaine.
Pour ce faire, nous avons jeté un pont entre la conscience de la
condition humaine offerte en Sg 7, 1-6 et la dignité humaine. L'Homme
étant au-delà de sa condition humaine, donc fragile, un
être de transcendance et capable de Dieu. Bref, l'image du
Créateur, principe de sa dignité. Un passage basé
essentiellement sur la « conscience anthropologique ».
L'homme africain participe à la dignité supérieure de
l'humain, mais trouve aussi dans sa propre culture des éléments
qui le caractérisent d'une manière spéciale, à
savoir la communauté, le sens de l'hospitalité et la croyance
à la survie. En présentant ainsi de manière
systématique ces divers éléments, nous arrivons à
répondre à la question qui a motivé dès le
début de cette étude : comment les dirigeants
politiques peuvent-ils, de manière consciente et
réfléchie, redonner une juste espérance au peuple
d'Afrique par leur manière d'exercer le pouvoir ?
Voilà pourquoi, dans le troisième chapitre, nous avons
jugé bon de procéder à une lecture de la Sagesse, telle
qu'elle se manifeste dans différentes cultures et les amène
à la réalisation complète de leurs aspirations profondes.
C'est pourquoi nous avons entrepris une étude concrète du concept
« de culture » dans Eglise et
Société, le discours socio-politique de l'Eglise catholique
du Congo (1956-1998), tome 1 « Textes de la conférence
épiscopale ». Il s'agissait de retrouver les traces de la
Sagesse dans la réalité d'une culture et d'y introduire un
ferment qui pourrait contribuer à la réinvention de la culture du
bien commun, entendu comme un bien qui dépasse la simple satisfaction
des besoins des membres d'une communauté encore close et les rejoint
dans leur désir de l'être universel qui est en l'Homme plus
profond encore que tout désir égoïste. Comme on peut
le constater, une herméneutique du pouvoir, en Afrique, inspiré
de Sg 6, 1 - 7, 21, invite fondamentalement à une disposition profonde
d'écoute. Il s'agit d'écouter l'instruction du Seigneur dans
l'exercice du pouvoir. Seule l'écoute de la Sagesse divine
façonne en moi la conscience anthropologique et me dispose à
l'écoute continuelle de l'autre pour cheminer avec lui vers le bonheur
que Dieu accorde aux Hommes. Tous sont appelés par vocation à
vivre dans une cité organisée.
Table des
matières
Bibliographie.
* Livres en rapport avec la Sagesse
- BIBLE DE JERUSALEM.
- TOB.
- ACFEB, La Sagesse Biblique de l'Ancien au Nouveau
Testament, Paris, Cerf, 1995.
- BOSSUET (J. B.), Politique tirée des propres
paroles de l'Ecriture sainte. Paris, Dalloz, 2003.
- Cahier Évangile n° 28, les pages 18
à 42 consacrées aux relations entre Sagesse et Royauté.
- D'HORME (E.) Dir. La Bible l'Ancien Testament.
Tome I, Gallimard, 1956.
- --//--//--//---- (E.) Dir. La Bible l'Ancien
Testament. Tome II, Gallimard, 1959.
- DUBARLE (A. M.), Les Sages d'Israël, Paris, Cerf,
1946.
- GILBERT (M.), Les cinq Livres des Sages. Paris,
Cerf, 2003.
- JOSEPHE (Fl.), Antiquité Juive. Volume
IV : Livres VIII et IX, Paris, Cerf, 2005.
- LARCHER (C.), Etudes sur le Livre de la Sagesse,
Paris, Librairie Lecoffre, 1969.
- --//--//--//---- (C.), Le Livre de la Sagesse ou La
Sagesse de Salomon. Tome I, Paris, Librairie Lecoffre, 1983.
- --//--//--//---- (C.), Le Livre de la Sagesse ou La
Sagesse de Salomon. Tome II, Paris, Librairie Lecoffre, 1984.
- RÖMER (Th.), Introduction à l'Ancien
Testament, Labor et Fides, Genève, 2004, Contribution de Thierry
Legrand, pp. 655-672.
- VON RAD (G.), Israël et la Sagesse.
Genève, Labor et Fides, 1970.
* Autres livres
- BALANDIER (G.), Au Royaume de Kongo, du XVIè au
XVIIIè Siècle, Paris, Hachette. 1965.
- BUAKASA Tkm, Lire la Religion Africaine. Bruxelles,
Noraf, 1988.
- BUJO (B.), Introduction à la théologie
africaine, Fribourg, Presse Universitaire, 2008.
- --//--//- (B.), Dieu devient homme en Afrique Noire,
Kinshasa, Paulines, 1996.
- DEFOIS (G.), Pour Une Ethique de la Culture, Paris, Le
Centurion, 1988.
- DE SAINT MOULIN (L.) ET GAISE N'GANZI (R.), Eglise et
Société. Le discours socio- politique de l'Eglise
catholique du Congo (1956-1998), tome 1 « Texte de la
conférence épiscopale », Kinshasa, Faculté
catholique, 1998.
- ELUNGU (P.E.A.), Tradition africaine et
rationalité moderne, Paris, L'Harmattan, 1987.
- FESSARD (G.), Autorité et bien commun,
Paris, Aubier, 1944.
- GEFFRE (C.), Croire et Interpréter. Le
tournant herméneutique de la théologie, Paris, Cerf,
2001.
- --//--//---- (C.), Un nouvel Age de la
théologie, Paris, Cerf, 1972.
- HUNTINGTON (S.), Le Choc des Civilisations, Paris,
Odile Jacob, 1997.
- JEAN XIII, Mater Magistra.
- JEAN XIII, Pacem in Terris.
- JEAN XXIII, Meter et Magstra.
- JEAN PAUL II dans Sollicitudo Rei Socialis.
-VATICAN II, Gaudium et spes.
- Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise.
Avant propos de Mgr. J. Ch. Descubes, Paris, Cerf, 2006.
- KAHN (K.), Et l'Homme dans tout ça ?
Plaidoyer pour un humanisme moderne, Paris, Nil, 2002.
- Les Annales de l'Académie d'éducation et d'Etudes
Sociales (A.E.S), Immigration et bien commun, Paris,
François-Xavier de Guibert, 2005-2006.
- MATUNGULU OTENE, Etre avec pour vivre vrai.
Essai d'une spiritualité bantu. Lubumbashi, Saint-Paul Afrique,
1982.
- MERLEAU PONTY (M.), Le visible et l'invisible,
texte établi et édité par C. Lefort, Paris, Gallimard
1964.
- MOFOLO (Th.), CHAKA. Paris, Gallimard, 1940.
- RAHNER (K.), Traité fondamental de la foi.
Introduction au concept du christianisme, Paris, Le Centurion, 1983.
- TEMPELS (P.), La Philosophie bantoue. Paris,
Présence Africaine, 1965.
- SCHLEIERMACHER (Fr.), Herméneutique, trad.
Et Introd. de Marianna Simon, avant- propos de Jean Storobinski, Genève,
Labor et Fides, 1987.
- VAN PARYS (J.M.), Dignité et droit de
l'homme. Recherches en Afrique, Kinshasa, Loyola, 1996.
* Articles
- BREUVART (J. M.), « Le
concept philosophique de la dignité humaine » dans
Le supplément. Revue d'Ethique et théologie
morale, n°191 (1994), pp.99-129.
- DE DECKER (H.), « Quelque réflexions sur
Justice et Paix ». Dignité humaine en Afrique.
Hommage à Henry De Decker. In Cahier de l'UCAC, n°1
(1996), Yaoundé, Presses de l'UCAC, p. 61-63.
- HAMPATE BA « La Notion de la Personne en Afrique
Noire » dans Acte du Colloque International sur La Notion de
Personne en Afrique Noire. G. Dieterlen, Dir., Paris, Harmattan, 1993,
pp.181-192.
- GILBERT (M.), « Sagesse de Salomon (ou Livre de la
Sagesse » in Dictionnaire de la Bible. Supplément.
Tome XI, Paris-VI, 1991.
- MUDIJI MALAMBA GILOMBE, « Interpellation
culturelles et éducation morale de la jeunesse », in Etude
des Moralistes Zaïrois. Actes de la deuxième rencontre des
moraliste Zaïrois de Kinshasa du 11 au 16 novembre 1985, pp. 129-139.
- SEVAISTRE (O.), « Nation et bien
commun », dans Le Supplément, Revue d'Ethique et
Théologie, n° 167 (1988) pp. 59-65.
* 1 _ G. Von Rad,
Israël et la Sagesse, Genève, Labor et Fides, 1970, p.
9.
* 2 _ Au regard de la foi
catholique, après la définition du Concile de Trente, le Livre de
la Sagesse fait partie des Ecritures sacrées et canoniques.
Néanmoins il n'a pas toujours été considéré
comme tel dans certains milieux ecclésiastiques, enclins à
accorder une autorité moindre ou à réfuter tout
caractère sacré aux
« deutérocanoniques », à savoir
l'Ecclésiastique ou Siracide, la Sagesse, Baruch, Judith, Tobie, le
premier et le second livre des Maccabées, les sections grecques des
livres d'Esther et de Daniel. Aussi diverses confessions chrétiennes,
surtout protestantes, le rangent-ils délibérément parmi
les « Apocryphes » de l'AT. Cf. C. Larcher, Etudes sur
le Livre de la Sagesse, Paris, Librairie Lecoffre, 1969, pp. 11-84.
* 3 _ En affirmant ceci, nous
sommes pleinement conscients des efforts individuels de certains dirigeants
dans la visée d'un monde plus humain.
* 4 _ Fr.
Schleiermacher, Herméneutique, trad. et Introd. de Marianna
Simon, avant-propos de Jean Storobinski, Genève, Labor et Fides, 1987,
p. 104.
* 5 _ C. Geffré,
Croire et Interpréter. Le tournant herméneutique de
la théologie, Paris, Cerf, 2001, p. 17.
* 6 _Cf. l'introduction au
Livre de la Sagesse dans la Bible de Jérusalem, Paris, Cerf,
1995. Maurice Gilbert dit encore que ce livre, que la tradition latine appelle
aussi « Livre de la Sagesse », a été
écrit directement en grec et nous parvient dans la Septante. Cf. M.
Gilbert, Les cinq Livres des Sages, Paris, Cerf, 2003, p.227.
* 7 _ Le livre n'a pas
été découvert parmi les manuscrits de la Mer Morte et,
à ce jour, il ne subsiste aucun exemplaire ni même aucun fragment
de la Sagesse de Salomon en langue hébraïque ou araméenne.
Plusieurs études ont cependant cherché à démontrer
l'existence d'un original sémitique (hébreu ou araméen
(cf. Margoliaouth et Zimmermann) derrière tout ou partie du livre. Les
résultats de ces recherches ne se sont pas révélés
convaincants. Cf. Thomas Römer, Introduction à l'Ancien
Testament, Labor et Fides, Genève, 2004, p. 656 (Contribution de
Thierry Legrand).
* 8 _ A ce propos, C.
Larcher offre une étude minutieuse des différentes
hypothèses formulées à propos de la langue originale du
livre de la Sag, depuis le 18èmes. à nos jours. Le
problème est posé d'abord à partir des chap. 1-5, puis des
sections entières des chap. 6 et 8, enfin par les chap. 9 et 10. Il
conclut que l'auteur a pu connaître certains écrits
hébraïques et s'en inspirer pour rédiger telle ou telle
partie du livre. Mais, pense Larcher, le livre donne l'impression d'une
composition suivie où se mêlent d'une façon indissociable
les composantes d'une même personnalité littéraire. Il est
contre-indiqué de prendre l'une ou l'autre partie du livre et de la
ramener telle quelle à un prototype hébreux. De nombreux versets
ou développements n'ont pu être pensés et écrits
qu'en grec. Cf. C. Larcher, Le Livre de la Sagesse ou La Sagesse de
Salomon. Tome I, Paris, Librairie Lecoffre, 1983, pp.91-95.
* 9 _ A. M. Dubarle, Les
Sages d'Israël, Paris, Cerf, 1946, p.188. Pour C. Larcher, le
problème de la date du livre, souvent confondu avec celui de sa
composition, a reçu dans l'histoire de l'exégèse des
solutions diverses. Pour lui, les hypothèses s'échelonnent depuis
la fin du 3e s av. J.-C. jusqu'au milieu de 2e s de notre
ère. Lui-même estime que l'ensemble du livre a été
rédigé au cours des trente dernières années avant
notre ère. L'ordre actuel correspondrait à la succession
chronologique de sa composition. Un même auteur en serait le responsable.
Cf. Op., cit., pp. 142-161. Pour M. Gilbert ce dernier livre de notre
AT, a probablement été écrit au début de la
domination romaine sur l'Egypte. Il faut dater la rédaction au lendemain
de la victoire navale d'Octave, le futur empereur Auguste, à Actium en
31 avant notre ère. Cf. Cf. M. Gilbert, Les cinq Livres des Sages,
Paris, Cerf, 2003, p.228.
* 10 _ A ce propos, la
Bible de Jérusalem note que l'oeuvre du philosophe et la
Sagesse de Salomon sortent du même milieu et elles ne peuvent
pas être très éloignées dans le temps bien que
n'ayant pas d'interaction directe. Cf. Introduction au Livre de la Sagesse dans
la Bible De Jérusalem, Paris, Cerf, 1995.
* 11 _ M. Gilbert, Op.,
cit., p.227.
* 12 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome I. Paris, Librerie
Lecoffre, 1983, pp.125-139.
* 13 _ Cf. M. Gilbert,
Les cinq Livres des Sages, Paris, Cerf, 2003, p.227-228.
* 14 _ A. M. Dubarle, Les
Sages d'Israël, Paris, Cerf, 1946, p.187.
* 15 _ M. Gilbert, Les
cinq Livres des Sages, Paris, Cerf, 2003, p.228.
* 16 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome I, Paris, Librerie
Lecoffre, 1983, pp. 100-101.
* 17 _ . Cf. Th. Römer,
Op., cit., pp. 656 (Contribution de Thierry Legrand).
* 18 _ Selon M. Gilbert et
C. Larcher, en 1962, J. Ziegler a donné la meilleure édition
critique actuelle de Sg. Les manuscrits B (Vaticanus), C (Sinaiticus), du IV e
s. et A (Alexandrinus), du Ve s. représentent à son avis,
l'état ancien du texte. Cf. M. Gilbert, « Sagesse de Salomon
(ou Livre de la Sagesse) » in Dictionnaire de la Bible.
Supplément. Tome XI, Paris-VI, 1991, pp. 58-61. C. Larcher,
Etudes sur le Livre de la Sagesse, Paris, Librairie Lecoffre, 1969,
pp. 30-84.
* 19 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome I. Paris, Op.,
cit., 1983, pp. 120-123; A. M. Dubarle, Les Sages d'Israël,
Paris, Cerf, 1946, p. 190.
* 20 _ Cf. M. Gilbert,
« Sagesse de Salomon (ou Livre de la Sagesse » in
Dictionnaire de la Bible. Supplément. Tome XI, Paris-VI, 1991,
pp.107-108.
* 21 _ En morale, on parlerait
en termes de repères.
* 22 _ L'auteur semble
penser ici moins à une pluralité de souverains se partageant la
terre, qu'à une autorité s'exerçant, par des
représentants divers (dikastai), jusqu'à
l'extrémité du monde connu. Il s'agit d'une allusion à la
puissance romaine que les Juifs connaissaient et qui paraissait de plus en plus
comme une puissance mondiale. Cf. C. Larcher, Le Livre de la Sagesse ou La
Sagesse de Salomon. Tome II, Paris, Librairie Lecoffre, 1984, p. 402.
* 23 _ Ibid.,
p.339.
* 24 _ La doctrine de
l'origine divine du pouvoir était affirmée déjà
sous différentes formes par l'Ecriture, en particulier par Pr
8,15-16 ; Dn 2,37 ; 1Ch 29, 12 ; Si 10, 4. L'idée que
l'autorité exercée par des hommes provient de Dieu est reprise
aussi dans le N T, toutefois dans un contexte différent, par exemple
dans le fameux passage de Rm 13, 1 : « Il n'y a d'autorité que par
Dieu et celles qui existent sont établies par lui ». Par ailleurs
Luc 22, 24-27 propose aux disciples du Christ une manière de vivre qui
ne soit pas calquée sur celle des rois des nations qui « agissent
en seigneurs », mais qui s'inspire, au contraire, de l'exemple de celui
qui s'est mis « à la place de celui qui sert ».
* 25 _ J. Bénigne
Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture
sainte, Paris, Dalloz, 2003, pp. 102-103.
* 26 _ M. Gilbert, Op.,
cit., pp.227-228.
* 27 _ Cf. Le Prince
de Machiavel.
* 28 _ On pourrait à
ce niveau dire de la Sagesse qu'elle est le chemin, la vie, la lampe de nos
pas.
* 29 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome II. Paris, Op.,
cit., pp.418-419.
* 30 _ Il s'agit d'un
raisonnement souligne C. Larcher qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans l'AT
même pas en Os 2, 23-24 qui en donne l'air. Il diffère aussi
du climax de Rm 5, 3-5 et de l'inclusion de 1P 1,5-7. Cf. C. Larcher, Op.,
cit., p. 426.
* 31 _ Cf.
Sénèque, Ad Lucilium, lettre 85.
* 32 _ Cf. Aristote,
Metaphy. 1, 3,11, etc.
* 33 _ C. Larcher, Le
Livre de la Sagesse ou La Sagesse de Salomon. Tome II. Op., cit.,
1984, pp.418-419.
* 34 _ Ibid., p.
427.
* 35 _ C. Larcher, Op.,
cit., p. 432.
* 36 _ C'est ainsi que Claude
Geffré comprend la théologie de l'espérance de
J. Moltmann. Cf. C. Geffré, Un nouvel Age de la
théologie. Paris, Cerf, 1972, pp.104-112.
* 37 _ Cf. Contemplation pour
parvenir à l'amour. Exercices Spirituels n° 230.
* 38 _ Dans l'histoire de
la Bible nous savons bien que les sujets doivent au roi une entière
obéissance (Sg 6,6 ; Dt 17, 12 ; Rm 13, 1-2). Il n'y a qu'une
exception à l'obéissance qu'on doit au roi, c'est quand il
commande contre Dieu (Mt 22,21 ; 1P 2,13 ; Eph 6,5 ; Col 3,
22).
* 39 _ Telle la thèse
contractuelle qui a constitué l'arsenal argumentaire du politique
classique du 16ème siècle (Cf. Hobbes,
Machiavel...)
* 40 _ La question ne
voudrait pas mettre en branle tous les travaux de grands théoriciens de
l'éthique du dialogue du 20e s. Nous sommes bien conscient de
leur contribution dans la gestion politique mondiale. La question se pose
plutôt au niveau de ce qui imprime le caractère sacré
à un tel « consensus » qui ne devrait une simple
factualité.
* 41 _ J. Trublet (Dir.)
ACFEB, La Sagesse Biblique de l'Ancien au Nouveau Testament. Cf. la
contribution de Damien Noël « Quelle sotériologie dans le
livre de la Sagesse ? », Paris, Cerf, 1995, pp.188-196.
* 42 _ J. Bossuet,
Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte,
Paris, Dalloz, 2003, pp. 102.
* 43 _ F. Josèphe,
Antiquité Juive. Volume IV : Livres VIII et IX. Paris,
Cerf, 2005, p. 10.
* 44 _ J. Bossuet,
Op.,cit., p. 106.
* 45 _ Cf. J. Flavius,
Antiquités juives, Paris, Cerf, 2005, volume IV Livre
VIII, 2.5.
* 46 _ Ibid., p.
16.
* 47 _ A. M. Dubarle o.p,
Les Sages d'Israël, Paris, Cerf, 1946, pp. 197-202.
* 48 _ Selon la tradition
biblique l'homme reste un tout vivant (corps- âme) animé de
nefesh, ou ruah qui l'ouvre à la relation à Dieu son
créateur (Gn 2,7). Dans le NT, psyché ou encore
anima, l'âme, désigne l'unité vitale de l'homme et
ce qui fait vivre la chair. Tandis que pneuma (spiritus), esprit
désigne ce par quoi l'homme reste docile à Dieu, vit de Lui et
inaugure la vie éternelle. Soma (corpus), corps, ou sarx
(caro), chair désignent aussi l'homme et ont leur sens par rapport
à la vie morale. Cf. Le cours d'Anthropologie théologique
donné à l'ITCJ par le Prof. R. Kazadi, 2008-2009.
* 49 _ Mudiji Malamba
Gilombe, « Interpellations culturelles et éducation morale de
la jeunesse », in Etudes des Moralistes Zaïrois. Actes
de la deuxième rencontre des moralistes Zaïrois de Kinshasa du 11
au 16 novembre 1985, pp. 129-139.
* 50 _ K. Rahner,
Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du
christianisme, Paris, Le Centurion, 1983, p.49.
* 51 _ A. Kahn, Et l'Homme
dans tout ça ? Plaidoyer pour un humanisme moderne,
Paris, Nil, 2002, pp. 63-69.
* 52 _ Cf. A. Kahn, Et
l'Homme dans tout ça ? Op., cit., p.68.
* 53 _ Cf. Jean -Marie
Breuvart « Dignité humaines des souffrants » dans
Le supplément. Revue d'Éthique et théologie
morale, n°191 (1994), pp. 99-129, traitant du « concept
philosophique de la dignité humaine » dans son
évolution historique.
* 54 _ B. Bujo,
Introduction à la théologie africaine, Fribourg, Presse
Universitaire, 2008, p.128.
* 55 _ Cf. H. De Decker,
« Quelque réflexions sur Justice et Paix ».
Dignité humaine en Afrique. Hommage à Henry De Decker.
In Cahier de l'UCAC, n°1 (1996), Yaoundé, Presses de
l'UCAC, pp. 61-63.
* 56 _ J.M. Van Parys,
Dignité et droit de l'homme. Recherches en Afrique,
Kinshasa, Loyola, 1996, pp. 24-27.
* 57 _ J. M. Van Parys.
Op., cit., p. 5.
* 58 _ Elungu P.E.A.,
Tradition africaine et rationalité moderne, Paris, L'Harmattan,
1987, p. 23.
* 59 _ M. Merleau
Ponty, Le visible et l'invisible, texte établi et
édité par C. Lefort, Paris, Gallimard 1964, p.302.
* 60 _ P. Tempels, La
Philosophie bantoue, Paris, Présence Africaine, 1965.
* 61 _ B. Bujo,
Introduction à la théologie africaine, Fribourg, Presse
Universitaire, 2008, p.141-145
* 62 _ Ibidem.
* 63 _ HAMPATE BA
« Notion de Personne en Afrique Noire » Cf. Acte du
Colloque International sur La Notion de Personne en Afrique Noire. G.
Dieterlen, Dir., Paris, Harmattan, 1993, pp.181-192. La même conception
de la personne a déjà été développée
chez Buakasa. Cf. Lire la Religion Africaine, Bruxelles, Noraf, 1988,
pp. 15-25.
* 64 _ Cf. Matungulu Otene,
Etre avec pour vivre vrai. Essai d'une spiritualité
bantu, Lubumbashi, Saint-Paul Afrique, 1982.
* 65 _ Buakasa Tkm,
Lire la religion africaine, Bruxelles, Noraf, 1988, p. 21.
* 66 _ Jean Paul II,
cité par Bujo. Cf. B. Bujo, Dieu devient homme en Afrique
noire, Kinshasa, Paulines, 1996, p. 7.
* 67 _ Cf. Exercices
Spirituels n° 23, le Principe et fondement, où Ignace de
Loyola souligne que « L'homme est créé pour louer,
révérer et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son
âme, et les autres choses sur la face de la terre sont
créées pour l'homme, et pour l'aider dans la poursuite de la fin
pour laquelle il est créé ».
* 68 _ G. Defois, Pour
une éthique de la culture, Paris, Le Centurion, 1988.
* 69 _ Idid., p.
8.
* 70 _ Idid, pp.
11-14.
* 71 _ Cette
expérience, nous lisons à travers Eglise et
Société. Le discours socio-politique de l'Eglise
catholique du Congo (1956-1998), tome 1 « Textes de la
conférence épiscopale ». A travers, ce document de 495
pp, le mot « culture » apparaît constamment. Pour
arriver à une lecture plus précise de la conception de la culture
qui s'y dégage, nous avons jugé bon de restaurer les
différents emplois du mot « culture » dans leur
contexte tel qu'utilisé dans le livre. Pour ce faire, nous nous sommes
laissé guider par le plan même du livre. Nous avons noté
que le livre se développe autour de onze différents chapitres qui
sont portés par une introduction générale. C'est à
travers ces différentes articulations du livre dans ses grandes parties
que nous avons retrouvé les différents sens du mot
« culture ». Il s'agit d'un effort de fidélité
à l'esprit du texte même des évêques du Congo.
* 72 _ Idid., p.
57.
* 73 _ Ainsi, Samuel
Huntington dans son livre, Le Choc des Civilisations, citant Vaclav
Havel, « The new Measure of Man », New York
Times, 8 juillet 1994, p. 27; Jacques Delors, «Questions Concerning
Europan Security», discours, Institut international d'études
stratégiques, Bruxelles, 10 septempbre 1993, p. 2, réaffirme que
« les Conflits à venir seront provoqués par des
facteurs culturels plutôt qu'économiques ou
idéologiques ». Cf. Samuel P. Huntington, Le Choc des
Civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997.
* 74 _ Cf. Elungu P.E.A,
Tradition africaine et rationalité moderne, Paris, L'Harmattan,
1987.
* 75 _ Cf. Léon de
saint Moulin et Roger Gaise N'ganzi, Eglise et Société.
Op., cit., pp.83-85.
* 76 _ Ibid., pp.
115-146.
* 77 _ Ibid., p.
142.
* 78 _ Ibid., pp.
154-155
* 79 _ Cf. les
réalisations dans le domaine théologique et liturgique qui sont
bien connues.
* 80 _ Léon de saint
Moulin et Roger Gaise N'ganzi, Eglise et Société.
Op., cit., pp. 164-167.
* 81 _ Ibid.,
p.224.
* 82 _ Ibid., pp.
293-304.
* 83 _ Ibid., pp.
317-331.
* 84 _ Ibid.,
pp.408-426.
* 85 _ G. Defois, Pour une
éthique de la culture, Paris, Le Centurion, 1988, p. 14.
* 86 _ G. Fessard,
Autorité et Bien Commun, Paris, Aubier, 1944, pp. 51-66 ;
Cf. Les Annales de l'Académie d'éducation et d'Etudes Sociales
(A.E.S), Immigration et bien commun, Paris, François-Xavier de
Guibert, 2005-2006, pp. 205-207.
* 87 _ Merleau Ponty Le
visible et l'invisible, Op., Cit., p. 302. Le concept de
« chair » chez M. Ponty renvoie au fait que, toute
l'humanité est tissée de la même
« chair », « un tissu commun » qui,
fondamentalement, nous porte dans un « sentir
d'ensemble ».
* 88 _ Cf. Compendium de la
doctrine sociale de l'Eglise, n° 164.
* 89 _ Léon XIII, le
3 mais 1892. Cité par Gaston. Fessard. Cf. G. Fessard,
Autorité et Bien Commun, Paris, Aubier, 1944, p.52.
* 90 _ Jean XXIII,
Mater Magistra, n°65.
* 91 _ Jean XXIII,
Pacem in Terris, n° 58 ; Vat.II, GS., n°26.
* 92 _ Sevaistre, Olivier,
« Nation et bien commun », dans Le Supplément,
Revue d'Ethique et Théologie Morale, Volume 41, n° 167 (1988),
pp. 59-65.
* 93 _ Les Annales de
l'Académie d'éducation et d'Etudes Sociales (A.E.S),
Immigration et bien commun. Op., Cit., pp. 206-207.
* 94 _ G. Balandier, Au
Royaume de Kongo, du XVIè au XVIIIè Siècle, Paris,
Hachette, 1965.
* 95 _ Cette conception du
pouvoir que se faisaient les « Maîtres » est
illustrée par l'explication de Chaka lorsqu'il rebaptise son clan du
nouveau nom de « Amazoulou , clan du ciel». C'est parce
que, dit-il, « je suis élevé ! tenez, je ressemble
à ce grand nuage où gronde le tonnerre : ce nuage personne
ne peut l'empêcher de faire ce qu'il veut. Mais aussi je regarde les
peuples et ils tremblent et celui que je viens frapper ne se relève
plus, tel Zwidé. Zoulou ! Amazoulou ! ». cf. Thomas
Mofolo, CHAKA, Paris, Gallimard, 1940, p. 171.
* 96 _ Résumant les
six parties de son livre, Le Choc des Civilisations, S. Huntington en
arrive à la conclusion suivante : « Nous éviterons
une guerre généralisée entre civilisations si, dans le
monde entier, les chefs politiques admettent que la politique globale est
devenue multicivilisationnelle et coopèrent à préserver
cet état de fait. » cf. Samuel P. Huntington, Le Choc des
Civilisations, Op., cit., pp. 17-18.
* 97 _ C'est ce genre de
transformation que note Elungu Pene lorsqu'il voit la tradition africaine
perdante dans sa rencontre avec la rationalité moderne, et qu'il
l'invite à la vie de la raison. cf. Elungu P.E.A, Tradition
africaine et rationalité moderne. Paris, L'Harmattan, 1987,
pp.153-182.
* 98 _ Il est
nécessaire de rappeler encore une fois le principe
caractéristique de la doctrine sociale chrétienne: les biens de
ce monde sont à l'origine destinés à tous. Le
droit à la propriété privée est valable et
nécessaire, mais il ne supprime pas la valeur de ce principe.
Sur la propriété, en effet, pèse «une
hypothèque sociale», c'est-à-dire que l'on y discerne, comme
qualité intrinsèque, une fonction sociale fondée et
justifiée précisément par le principe de la destination
universelle des biens. Cf. Jean Paul II dans Sollicitudo Rei Socialis,
n° 42.
|
|