· Conclusion et Perspectives
Une grande partie du territoire Marocain est soumise à
un climat aride à semi-aride. En conséquence, les ressources en
eau sont limitées et subissent une forte exploitation sous l'effet des
changements environnementaux dus essentiellement aux périodes de
sécheresse et à la croissance des besoins en eau. C'est le cas de
la région de Tensift où l'accroissement démographique
très fort des villes et l'extension des périmètres
irrigués et ainsi que le développement du tourisme sont à
l'origine d'une grande mobilisation des ressources hydriques. C'est donc vers
une optimisation de la gestion de l'eau qu'il faut tendre. Ce travail de
thèse s'inscrit dans ce contexte global de caractérisation des
ressources hydriques de la région de Tensift mené dans le cadre
du projet de recherche franco-marocain SUDMED. Ce projet, coordonné par
le CESBIO et l'UCAM, a été lancé en 2002 avec l'appui des
organismes régionaux chargés de la gestion des ressources
hydro-agricoles (ORMVAH et ABHT). La région d'étude principale de
ce projet est le bassin versant semi-aride du Tensift autour de la ville de
Marrakech, région où les enjeux relatifs à la gestion de
la ressource hydrique sont particulièrement forts.
Notre travail s'est focalisé sur les sous bassins
versants de la chaîne montagneuse du Haut Atlas de Marrakech. Grâce
à ses hautes altitudes, cette chaîne constitue une barrière
orographique naturelle face aux masses d'air chaud venues du Sud (Sahara) et
reçoit plus du triple des précipitations habituellement
enregistrées en plaine. Ces grandes altitudes représentent le
principal facteur qui contrôle les variations des paramètres
climatiques (température et précipitations). Une part importante
des précipitations tombe sous forme neigeuse et constitue un manteau qui
reste stocké temporairement avant d'être libéré dans
les cours d'eau et participer ainsi à soutenir les étiages. Ces
montagnes constituent donc un château d'eau pour la région et sont
aussi la principale zone de production des ressources hydriques.
La problématique abordée au cours de cette
thèse consiste en une meilleure caractérisation des ressources en
eau disponibles en montagne et en particulier l'apport de la fonte des neiges
aux débits. Pour cela, nous avons utilisé une approche
méthodologique combinant les données issues des images satellites
et les données mesurées in situ lors des compagnes de
mesures et collectées par les stations météorologiques.
Ces données ont été utilisées pour calibrer et
valider les différents modèles appliqués au cours de cette
étude.
Les images satellites basse résolution issues des
capteurs MODIS et VEGETATION nous ont permis de cartographier les surfaces de
neige dans le Haut Atlas. Les cartes de neige produites à la base d'un
indice de neige modifié sont utilisées pour décrire la
variabilité spatio-temporelle de l'enneigement dans le Haut Atlas et en
particulier sur les cinq sous bassins versants les plus actifs hydrologiquement
dans la région de Marrakech (Nfis, Rheraya, Ourika, Zat et R'Dat). Ces
cartes d'enneigement ont permis de quantifier les variations temporelles du
taux d'enneigement d'un bassin versant à un autre, selon l'exposition et
par tranche d'altitude. La chute de neige commence généralement
aux mois d'octobre ou novembre et la fonte totale se fait au mois d'avril ou
mai avec des périodes de fonte au milieu de la saison. Les altitudes qui
reçoivent plus de neige sont supérieures à 2600
mètres et les premières neiges tombent sur les altitudes
supérieures à 3800 mètres et persistent jusqu'à la
fin de la saison. On a classé les cinq sous bassins versants en deux
catégories : deux bassins (Ourika et Rheraya) dont le
fonctionnement a une forte composante nivale, se caractérisant par des
surfaces neigeuses maximales importantes (60 à 80% de l'aire totale) et
des périodes de présence de neige qui dépasse parfois cinq
mois, et les bassins de Zat, R'Dat et Nfis à la composante nivale moins
marquée, avec des surfaces neigeuses maximales qui ne dépassent
pas 60% et des périodes de présence de neige comprises entre un
et quatre mois. Les versants orientés vers le Nord reçoivent plus
de neige par rapport aux versants orientés vers le Sud. Les taux de
variations de l'enneigement sont comparables avec les données
hydro-climatiques disponibles sur la région (précipitation,
hauteurs de neige, température et débit à l'exutoire). Ces
informations sont un indicateur de qualité pour le suivi des ressources
hydriques neigeuses et peuvent renforcer de manière significative les
réseaux d'observation hydro-climatiques et aider à la
spatialisation de la pluie en haute montagne semi-aride.
Ces cartes d'enneigement constituent la seule information
disponible pour analyser les résultats des modèles de fonte via
une simulation des surfaces de neige. Afin de valider ces modèles
à l'échelle du bassin versant, une meilleure spatialisation des
paramètres climatiques est nécessaire. Vu la faible
densité du réseau hydro-climatique dans notre zone et la
complexité de la topographie, les méthodes d'interpolation
classiques sont difficiles à appliquer. Pour cela, nous avons
développé un modèle de spatialisation de la
température de l'air (MSPAT). La bande thermique des images
Landsat ETM+ a été utilisée pour calculer les
températures maximales de l'air dans tous les pixels pour chaque image
ETM+. Cette information est utilisée pour caractériser la
variation spatiale de la température de l'air en fonction des facteurs
topographiques (altitude, pente et exposition) et l'angle
d'élévation solaire. A partir de cela, nous avons
initialisé le modèle MSPAT à l'échelle temporelle
en utilisant les données enregistrées dans une station
météorologique de référence. Les résultats
obtenus par les deux modèles MSPAT et le gradient d'altitude (GRAD) sont
similaires à l'échelle des stations météorologiques
disponibles. Tandis qu'à l'échelle du bassin versant de Rheraya,
dont le relief est très contrasté, les modèles sont
évalués par les surfaces de neige (SCA) estimées. Ces
dernières sont comparées avec les SCA calculées à
partir des données MODIS. Les résultats montrent que le
modèle MSPAT améliore significativement les simulations des
SCA.
Comprendre les processus de fonte et d'accumulation des neiges
à l'échelle locale constitue une étape intéressante
vers une modélisation des débits à l'échelle du
bassin versant. La seule station nivale dont on dispose dans la région
est la station d'Oukaimden localisée à 3200 mètres
d'altitude. Celle-ci comprend des instruments de mesures des différents
paramètres nécessaires à une modélisation de fonte
des neiges à un pas de temps semi-horaire (température et
l'humidité de l'air, vitesse du vent, rayonnement solaire global, cumuls
de précipitations et de hauteur de neige). La qualité de ces
données peut être qualifiée de bonne sauf pour les
relevés de hauteur de neige et de cumul de précipitations qui
présentent des artefacts, qu'il convient de corriger. En plus des
mesures continues de la station nivale, des mesures ponctuelles des
densités et des hauteurs de neige on été effectuées
durant la saison 2007/2008 au sommet d'Oukaimden à environ 3200m
d'altitude. Ces données ont été utilisées pour
calibrer le modèle de transformation des hauteurs des neiges en
équivalent en eau par un modèle simulant l'évolution
temporelle des densités.
Deux types de modèle ont été
utilisés pour étudier les processus de la fonte des neiges dans
la station d'Oukaimden. Il s'agit d'un modèle à base physique de
bilan d'énergie (ISBA-ES) et de plusieurs modèles simples de type
degré-jour. Pour ces derniers, nous avons testé trois formules
largement utilisées pour obtenir le facteur de fonte ; la relation
empirique de Martinec, la relation linéaire
suggérée par Kuustisto et la relation intégrant
le rayonnement comme facteur de fonte « RAD ». La
calibration des modèles a été effectuée avec les
données de l'année 2007/2008 et la validation sur les autres
saisons. Les résultats des simulations des équivalents en eau
(SWE) à l'échelle locale montrent que la formule
Kuustusto est plus efficace que les deux autres modèles
degré jour. Ces résultats sont comparables avec ceux obtenus par
le modèle ISBA-ES. Ce dernier reproduit bien les équivalents en
eau pour les saisons à longue période hivernal où le
manteau neigeux subis plus de transformation (exemple des deux saisons
2003/2004 et 2007/2008). Les densités de la neige sont globalement bien
simulées avec une surestimation à la fin du mois de
février 2008 due à la forte quantité d'eau liquide
contenue dans le manteau neigeux. Les albédos modélisés
par ISBA-ES sont surestimés par rapport à celles
enregistrées dans la station météorologique et surtout
dans les périodes de faibles hauteurs de neige où la fraction sol
peut influencer la réflexion des rayonnements. ISBA-ES nous a permis de
mieux comprendre l'interaction des processus d'ablation de neige dans le Haut
Atlas. Les pertes par sublimation constituent une part non négligeable
d'eau, variant de 16 à 37%. Le phénomène de sublimation se
produit d'une manière stable le long de la saison. La libération
des eaux par le processus de la fonte se fait pendant des courtes
périodes.
A l'échelle locale, le modèle ISBA-ES est plus
efficace pour caractériser les processus influençant la dynamique
et l'état du manteau neigeux. En raison de la difficulté à
spatialiser certaines données d'entrée d'ISBA-ES, notamment le
vent et l'humidité, il est très difficile d'utiliser ce
modèle pour évaluer la fonte à l'échelle
régionale. Dans ce contexte, les modèles degré-jour,
basés sur des variables climatiques plus facilement spatialisables
(température et rayonnement) restent privilégiés pour
estimer la variabilité spatiotemporelle de la fonte. La comparaison des
différentes formules à l'échelle du bassin versant de
Rheraya, montre que l'utilisation du taux de perte due à la sublimation
obtenue par ISBA-ES dans la station nivale améliore les surfaces de
neige simulées. On conclue aussi qu'une calibration d'un modèle
simple à l'échelle local n'est pas nécessaire pour une
application à l'échelle spatiale. La formule de Martinec
est performante pour générer des SCA (surface de neige) dans
notre zone. Cette formule est d'ailleurs celle utilisée par le
modèle hydrologique Snowmelt Runoff Model « SRM »
souvent appliqué à des fins opérationnelles.
Les surfaces des neiges obtenues par la
télédétection et celles simulées par le
modèle degré-jour simple ont été utilisées
à l'entrée du modèle SRM. La performance de ce
modèle a été analysée au niveau des cinq sous
bassins versants atlasiques. En générale, les simulations sont
bonnes pour les sous bassins versant de Rheraya et Ourika où les
processus nivaux sont importants et les données
hydrométéorologiques sont relativement disponibles. De l'autres
coté, les simulations des débits sont moins efficaces pour les
sous bassins de Nfis, Zat et R'Dat où la neige joue un rôle moins
important dans le bilan hydrologique. Les réponses rapides des
débits générées par des événements
pluvieux à caractère torrentiel non mesurés par les
stations météorologiques sont mal simulées par SRM.
L'utilisation des surfaces de neige issues de la
télédétection améliore la prédiction des
débits par rapport aux surfaces simulées par le modèle
degré-jour. Cela est peut être expliqué par les
précipitations tombées aux hautes altitudes et difficiles
à enregistrer par le manque de stations de mesures. Ce type
d'événement peut être vu par les satellites sous forme
d'extension neigeuse. En utilisant les surfaces neigeuses issues de la
télédétection à l'entrée du modèle
SRM, nous avons montré qu'environ 25% des ressources hydriques
écoulées depuis les versants nord du Haut Atlas de Marrakech sont
proviennent de la fonte des neiges.
La voie de recherche initiée dans cette thèse,
qui n'avait d'ailleurs pas été employée jusqu'à
présent au Maroc, a débouché sur des résultats qui
sont primordiaux pour les gestionnaires des ressources en eau du bassin versant
de Tensift. Nous avons mis en évidence l'intérêt d'utiliser
les données de télédétection pour estimer l'apport
des eaux de fonte de neige aux débits à l'exutoire des bassins
versants du Haut Atlas de Marrakech. Ainsi, nous avons attaché, au cours
de cette thèse, beaucoup d'importance au caractère
opérationnel du travail. Les images satellite basses résolution,
nécessaires pour cartographier l'extension du manteau neigeux, sont
accessibles gratuitement. Cette information est utilisable à
l'entrée de plusieurs modèles hydrologiques comme SRM,
utilisée dans ce travail. Les modèles de fonte utilisés
ont été adaptés aux caractéristiques de notre
région concernant la faiblesse du réseau d'acquisition des
données hydro-climatiques. Cette démarche méthodologique
peut être appliquée dans des bassins versants montagneux non
jaugés. Nous espérons que la méthodologie
développée ici pourra être mise en oeuvre dans d'autres
sous bassins versants montagneux du Maroc à caractère nival.
En perspective de ce travail et pour une connaissance
approfondie du cycle hydrique et plus particulièrement la relation fonte
des neiges et débits, il reste certainement des voies de recherche
à explorer. Une prospection plus détaillée à
l'échelle spatiale et temporelle de la dynamique du manteau neigeux par
l'utilisation d'autres produits satellitaire à haute résolution
et haute répétitivité, par exemple les données du
capteur FORMOSAT (<10m de résolution et revisite de quatre jour) sera
envisagée. Ces données seront utilisées afin
d'améliorer l'estimation des surfaces d'enneigement à l'aide d'un
modèle de fonte. Le suivi à long terme des surfaces
enneigées prend également toute son importance pour
évaluer l'impact des changements climatique sur la ressource en eau
(évolution de la distribution des précipitations sous forme
liquide et solide).
La disponibilité des données in situ et
ses qualités représentent une limite de ce travail. Pour une
meilleure connaissance des processus d'ablation des neiges à
l'échelle du bassin par un modèle physique, nous recommandons
à la mise en place des stations météorologiques à
différentes altitudes représentatives du bassin. Ainsi que la
mise en place d'un système de mesure des quantités de neige
tombées qui permet de quantifier le taux de fonte et de sublimation
(coussin à neige, pluviomètre à pesée,
lysimètre à neige...). Vu la nature irrégulière des
précipitations, parfois torrentielles, et la géomorphologie
(hautes altitudes, pentes élevées..), de la région, la
section et les lits des oueds se modifient plusieurs fois dans une saison. Dans
ce contexte, l'entretien des sections de mesure des hauteurs d'eau dans chaque
station hydrologique est prioritaire. La fréquence des jaugeages des
débits des Oueds des différents bassins versants avec un pas
court et régulier sont également un point intéressant dans
des études de modélisation hydrologique.
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