INTRODUCTION GENERALE
1
D'après le dictionnaire Petit
Larousse1, le terme littérature
renferme une double acception. Elle est d'abord l'ensemble des oeuvres
écrites ou orales auxquelles on reconnaît une finalité
esthétique. Elle désigne ensuite les oeuvres littéraires
considérées du point de vue du pays, de l'époque, du
milieu où elles s'inscrivent, du genre auquel elles
appartiennent2.
La littérature évolue avec la société
qui l'engendre. C'est dans ce sens que Mme de Staël s'écrit :
« La littérature est l'expression de la
société, à chaque société correspond une
littérature »3.
Ainsi, le XX ème siècle qui a
été frappé par plusieurs tragédies a connu une
crise profonde des valeurs morales, sociales et religieuses. Cette crise s'est
répercutée sur les arts et la littérature.
En effet, les deux Guerres Mondiales et attentats ont
infligé à l'homme une conscience douloureuse, des blessures
morales et spirituelles suscitant un pessimisme.4
Ce pessimisme outrancier favorise dans les écrits une
culture du négatif et une volonté de déviation. La
majorité des écrivains de ce siècle s'insurgent contre les
règles établies et sont animés d'une fureur
1 Le Petit Larousse illustré, Paris,
Larousse, 1998, p. 606.
2 Op.cit.
3 Mme de Staël, De la
littérature, Paris, Gallimard, 1900.
4Mme NGOU Honorine, Les révélations
littéraires, du XX ème siècle,
Séminaire de Licence, UOB, 2002- 2003, cité par.
3
barbare. C'est l'avènement du nihilisme qui
désigne la négation de la tradition et de toute valeur. Cette
rupture avec les Anciens marque en effet l'explosion et l'expansion de la
modernité.
La majorité des écrivains du XX
ème siècle tels que Breton, Genette, Butor et
Céline sont caractérisés par un élan
d'anticonformiste.
L'écriture de Patrick Grainville s'inscrit dans cette
logique transgressive.
Patrick Grainville est particulièrement sensible
à la violence, à l'atrocité de la guerre, aux divers
attentats et aux catastrophes. C'est pourquoi son style est en marge des normes
établies.
1- Résumé du corpus
En une ouverture magistrale, le livre nous plonge en plein
enfer : explosions, calcinations, kérosène enflammé,
débris éparpillés, rien ne manque à ce début
de roman en forme de fin du monde.
« Un avion s'est écrasé dans une
cité proche de Paris, faisant 260 victimes. Voleur de voitures
peut-être traqué par la police. Jérôme profite de
l'atmosphère de fin de monde qui règne sur le quartier pour
s'emparer d'une des boites noires de l'avion et trouver refuge chez Romane.
Celle-ci vit seule dans une cité voisine et accepte d'héberger
l'étrange locataire. La ville plonge dans un mélange d'effroi et
d'effervescence médiatique. Spectacle auquel participent témoins
de l'accident et familles des victimes: Aiwala, un adolescent noir qui, comme
Jérôme, est obsédé par les noms des disparus; et
Lenny Croft, un affabulateur de haut vol, ou Pierre Damnaglia dont les
lettres
érotiques à sa femme sont retrouvées dans
les décombres. Ces mots de l'amour arrachés à la mort
diffusent une magie paradoxale au coeur même du deuil. Romane et
Jérôme vont se découvrir peu à peu, dans une
intimité semée de silence, de détours de
demi-vérités, jusqu'aux aveux échangés. Chacun
cache en effet sa boîte noire, comme celle qu'à volée
Jérôme : car l'avion et ses passagers sont la figure même du
destin, de ses envoûtements, de ses révélations
ténébreuses ou luxuriantes »5.
2- Formulation du sujet
Le traitement de la question de la fin du monde dans
la littérature française ne date pas d'aujourd'hui. Bien au
contraire, c'est une préoccupation qui a jailli depuis bientôt
plusieurs siècles. L'expression fin du monde désigne
le moment supposé d'une destruction de l'univers, de la Terre, ou de
la seule humanité6. On retrouve ce thème dans de
nombreuses religions, philosophies et mythologies. C'est également un
thème très utilisé dans l'art et la fiction. Son
étude est l'eschatologie.
Bien évidemment, notre préoccupation n'est pas
celle de l'eschatologie bien qu'elle ne lui soit pas totalement
étrangère, mais plutôt consiste à Lire la fin du
monde dans Le jour de la fin du monde, une femme me cache7
de Patrick Grainville, suppose ici qu'il faut faire ressortir dans ce roman
toutes les indices se rapportant à la fin du monde selon Grainville.
5
http://www.revueanalyses.org
6 Les Saintes Ecritures, Traduction du monde nouveau,
Watchtower, Bible, 1995.
7 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.
De plus, il nous semble judicieux de relever la portée
du titre de notre corpus de base ; Le jour de la fin du monde, une femme me
cache8. OEuvre dont le titre a une dimension expressive et
agressive et crée un effet de choc au lecteur.
Lorsque nous nous referons au titre de l'oeuvre la
portée antithétique apparait directement de par l'expression
fin du monde traduit déjà la pensée de l'auteur.
La fin du monde dans notre corpus a plusieurs pans. Elle se lit d'une part,
à travers le crash de l'avion, puis les personnages et leurs parcours
dans l'oeuvre, enfin à travers les écrits.
3- Délimitation du sujet
Cette étape de notre travail consiste à
définir les limites de notre question. Toutefois, il convient de
signaler que l'oeuvre de Grainville, à savoir Le jour de la fin du
monde, une femme me cache, n'a jamais fait l'objet de travaux sur le
thème au sein de notre Département.
C'est par souci d'originalité que nous avons choisi ce
contemporain aussi prolixe.
On nous reprochera sûrement le fait de n'avoir choisi
qu'une seule oeuvre romanesque pour ce travail de recherche.
Une étude portant sur plusieurs textes nous aurait
contraints à une analyse sommaire, superficielle de chaque texte, ce qui
ne nous aurait pas permis d'apprécier la richesse et la finesse de
différentes oeuvres du corpus.
8 Op. cit.
5
Or, la recherche thématique pour exister doit plonger
dans les profondeurs, doit traverser l'épaisseur du texte afin de
reconstituer la complexité des structures de signification qui y sont
mises en procès.
4- Problématique
A cette étape de notre travail il est question de
signaler l'orientation de notre recherche. Jérôme est un ancien
voleur de voiture repentit. Bouleversé par les affres de la vie,
souhaite qu'il y ait une catastrophe afin de détruire la Terre et tous
ses maux, puis subitement, un avion vient s'écraser non loin de lui et
créant une atmosphère de fin du monde dans une banlieue
Parisienne.
L'oeuvre de Grainville est ambigüe en ce sens qu'elle
nous entraine à partir des ressentiments d'un personnage,
Jérôme vers les alcanes d'une fin du monde décrite par
Grainville. Pour lui, le remède du mal existentiel serait une
éventuelle fin du monde, enfin qu'après elle, il y est une
nouvelle génération saine. Grainville se situe donc en marge du
monde contemporain, auquel il reproche son manque de pragmatisme.
5- Hypothèse de recherche
L'oeuvre de Grainville nous introduit dans un univers chaotique,
catastrophique et de malheurs.
Ainsi de l'articulation problématique de la principale
notion qui ponctue notre recherche à savoir, lire la fin du
monde fait référence à la déchéance,
à la désolation, aux différentes incohérences
existentielles des personnages dans le texte ainsi que, les différentes
formes
d'écritures relevées dans l'oeuvre. Trois
étapes ponctueront cette recherche, dont voici les grandes lignes ;
D'abord, en faisant parler le texte, nous présenterons
les indices thématiques de la fin du monde. Ensuite, nous examinerons la
toile de fond à travers l'analyse du discours. Enfin, la
poétisation de la fin du monde dans l'oeuvre.
Avant de commencer, qu'il nous soit permis de faire quelques
remarques sur le choix du thème. Ainsi, si nous avons retenu la fin
du monde, ce n'est nullement pour en faire l'apologie. Simplement, nous
pensons qu'il n'y a pas de sujet tabou et surtout les maux existentiels nous
l'ayant permis, nous le traitons avec les mêmes appréhensions que
nous aurions eu en face d'un autre sujet. Si tout au long du
bégaiement qui va suivre, certains de nos propos tendaient
à identifier en nous un partisan de la fin du monde, il ne
s'agira sûrement que d'une mauvaise maîtrise de notre outil de
travail : le français.
Au vu de la multiplicité des métaphores
obsédantes, ressort une récurrence chez Grainville le
désir d'une écriture rivée vers les catastrophes. Ainsi,
quelques interrogations pourront nous édifier davantage sur la
question.
- Quelles sont les caractéristiques de la fin du monde
?
- Comment la fin du monde se donne t-elle à lire dans
l'oeuvre ?
- Comment la fin du monde est-elle poétisée dans
l'oeuvre ?
Telles seront les quelques interrogations auxquelles nous
devons
répondre tout au long de notre travail.
7
6- cadre méthodologique
Le but de toute investigation thématique est la
recherche de l'architecture du sens9sous-entendu un
système structuré de signes ; aussi, notre travail devra-il
laisser apparaître dans une large mesure les traits relatifs à la
fin du monde dans l'univers romanesque. Mais le risque ne demeure t-il pas de
tomber dans le "réductionnisme" de certains critiques qui, au nom sans
doute d'un certain positivisme ou réalisme historique, n'hésitent
pas à ramener le texte contemporain à sa seule
référence ? Une oeuvre romanesque ou poétique ne saurait
pourtant en rien restituer un précis d'histoire.
L'analyse thématique telle que nous projetons de la
pratiquer ici cherche à rétablir une sorte d'équilibre
entre ces différents pôles descriptifs. Si nous reconnaissons la
nécessité d'investir le signe littéraire de sa valeur
intrinsèque de "signe vide", c'est-à-dire ouvert à un sens
pluriel, non fermé sur un sens unique et non indexé sur une
réalité extérieure mais plutôt psychique, nos
investigations pourront quelque fois être socioculturelles du signe
littéraire, car une écriture véhicule aussi d'une certaine
manière un référent culturel qui ne peut être
qu'extérieur au signe.
Si l'oeuvre ne peut pas être le reflet direct de la
réalité, elle est néanmoins la représentation
fantasmée. Les rapports qui se tissent entre la réalité
fictive d'un texte et la réalité objective sont
nécessairement des rapports de correspondance.
De plus, le texte narratif ne saurait en aucune façon se
ramener à sa seule littérarité. Il est investi d'un
pouvoir second qui l`institue en objet
9 Groupes d'Entrevernes, op.cit., p. 8.
de communication. La communication doit être prise ici
dans le sens de transmission d'un message d'un émetteur à un
récepteur10. Car ce qui caractérise en propre le
discours littéraire, c'est bien le fait qu'il postule toujours une
intention de signifier11 .
La critique thématique s'est partiellement
constituée en réponse au thématisme et à ses
problèmes. Attachée au nom de Jean-Pierre Richard, elle a
reçu sa meilleure définition dans l'introduction de L'Univers
imaginaire de Mallarmé (1961). Il y a pour Richard une
manière proprement critique d'envisager les thèmes de la
littérature. La psychologie doit se subordonner à
l'herméneutique des thèmes internes à une oeuvre. Ainsi
considérés, ces thèmes permettent une
interprétation dite « totalitaire », et qui fonctionne au
niveau de la sensation, de l'appréhension intellectuelle et du
système d'écriture.
La critique de Jean-Pierre Richard est bel et bien une
poétique, prenant appui sur une analyse transversale de faits
récurrents. Une semblable ambition générale commande le
recours à une science de l'esprit. Or celle-ci se constitue
essentiellement à partir de deux ensembles élaborés dans
le premier demi-siècle, la clinique (dont la psychanalyse et la
psychologie française avec Bachelard, et, par lui, Bergson) et la
phénoménologie.
Nous retrouvons dans la critique thématique la question
de la conscience créatrice. Il y est bien question des perceptions de
l'auteur et de l'imaginaire de Mallarmé ou Proust. On se concentre sur
un sujet qui doit beaucoup à la monade de Husserl. Son inconscient
s'exprime aussi, et voilà l'apport de la psychanalyse. Est valable tout
ce qui aide le lecteur
10 J. Courtès, Initiation à la
sémiotique narrative et discursive, Paris, Hachette
Université, 1076, p. 33.
11 Charles Boulon, La signification : Contribution
à une linguistique de la parole, Paris, Klincksieck, 1979, p.
155.
9
à reconstituer l'unité de l'esprit qui
écrivait. Le thème répété « signale
l'obsession » « ici comme ailleurs », affirme Richard. La
perspective unitaire est donc soutenue par la scansion thématique. Non
seulement il n'est « point de contradictions » dans les grandes
oeuvres comme celle de Mallarmé, mais le thème est « un
principe concret d'organisation » de cette conscience écrite;
« autour [de lui] aurait tendance à se constituer et à se
déployer un monde ».
En d'autres termes, et sans échapper à la
tautologie, le thème est posé dans un univers textuel, il est
l'axe d'un univers littéraire. Le foisonnement, les différences
dans la répétition sont arasées au profit d'un
élément organisateur. Du moins dans son projet, Richard rejoint
en ce sens le structuralisme : « La critique peut s'assigner pour
tâche de vaincre, pas à pas, l'apparent désordre de
l'oeuvre. ».La thématique offre une vision globale, unifiée,
ordonnée et rationalisée des textes, dont elle rend la
stratification interne (perception, réflexion, poétisation).
La diversité des approches sera l'un de nos principaux
soucis. Nous voulons aborder ce texte sans présupposés, car
recherche ainsi que l'assure Greimas, n'a de sens que si elle permet de
découvrir ce que l'on n'a pas cherché et prévu à
l'avance, une quête dont seul le parcours peut être entrevu, mais
dont l'objet de valeur est à constituer, une épreuve dont l'issue
n'est pas certaine12.
Notre travail est précisément une quête vers
les formes multiples de la présence du sens et les modes de son
existence13.
12 Greimas, avant-propos à Les enjeux de la
sémiotique, op. cit., p. 6.
13 Greimas, Du sens, Paris, seuil, 1970, p.
17.
PREMIERE PARTIE
10
LES INDICES THEMATIQUES DE LA FIN DU MONDE
CHAPITRE PREMIER
LA VISION DE LA FIN DU MONDE SELON
GRAINVILLE
Soulignant que le roman est un art, un genre littéraire
qui exprime une vision du monde, une conception de la vie et de l'existence
(temps, espace, histoire, identité...) Elle évolue, se transforme
et s'adapte.
L'expression fin du monde dans un premier temps
pourrait être définie comme étant une apocalypse.
Grainville quant à lui utilise cette expression pour peindre les
imperfections, les maux et déboires, et catastrophes observées
dans la société.
Dans cette partie, il nous revient d'étudier quelques
éléments de fond se rapportant à la thématique de
la fin du monde dans ce roman.
Nous nous intéresserons d'abord, à la vision du
monde selon Patrick Grainville à travers les personnages. Ensuite, aux
signes avant- coureurs de la fin du monde. Enfin, à l'esthétique
de la fin du monde dans l'oeuvre.
12
1.1.1. La fin du monde, vue à travers les
personnages de Jérôme, Dolorès et Romane.
Si le sens d'une oeuvre, passe avant tout par l'étude
textuelle. Greimas14 dit que le sens d'une oeuvre est
donné à travers le parcours des personnages, et leurs relations
dans le texte. Mais avant tout, nous devons procéder à leur
étude.
Le roman dans sa composition et dans sa narration,
présente des personnages qui participent à l'histoire
narrée par l'auteur. De ce fait dans Le jour de la fin du monde, une
femme me cache15, l'étude de la fin du monde passe donc
intrinsèquement par la présentation conceptuelle des personnages
autours desquels la fin du monde se donne à lire.
Dans Le jour de la fin du monde, une femme me cache,
la manifestation de la fin du monde est perceptible à travers le
parcours et le comportement de ceux-ci. Parmi ces personnages certains vivent
dans l'incapacité de dire ce qu'ils voient et ce qu'ils savent.
Condamnés à parler et voir pour eux-mêmes, leur solitude et
frayeurs face, non seulement au dégoût qu'ils ont désormais
de la vie, mais aussi les horreurs du crash de l'avion les contraint au
radotage, au silence et donc à une fin du monde. La fin du monde est
alors liée aux différentes expériences. C'est le cas de
Jérôme, Dolores et Romane qui chacun à sa manière a
côtoyé le pire.
Ce point est très particulier en ce sens que Patrick
Grainville commence par nous présenter un tableau de ressentiments de
différents personnages qui constituent des pôles d'attractions de
notre récit-objet.
14 - Cours de Linguistique textuelle, Licence,
2007-2008
15 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001
À travers un style d'écriture simple, l'auteur
rappelle les différents passés mélancoliques de ses
personnages fictifs qui constitueraient de facto une fin du monde. De
manière générale ; la fin du monde peut être
définie comme une catastrophe effrayante qui évoque l'apocalypse.
Or, hormis cette définition conventionnelle de la fin du monde, la voit
de plusieurs manières.
Pour une meilleure étude des figures actorielles, il
nous semble intéressant de l'envisager sous l'angle d'un couplage. La
binarité s'impose en effet comme une règle de construction dans
ce récit.
Les personnages de Jérôme et de Dolorès
sont peints par l'auteur ici pour illustrer l'intention première de
celui-ci. Il les peint dans le but de faire ressortir à travers non
seulement leurs actes, mais également leur séparation, un
sentiment de fin du monde.
Ceci étant, Jérôme est l'incarnation
même d'un être voué à un destin si l'on peut dire
insignifiant. Rien n'a d'importance pour lui. Il a mené une vie de
vagabond.
Et le fait d'avoir assisté à un meurtre pendant
qu'il exerçait sa profession de voleur de voitures accompagné de
son complice Hervé qui attise encore plus son dégout total
à la vie au même titre que sa séparation d'avec
Dolorès.
Dolorès qui signifie : douleur, sera la première
à le conduire à une remise en question de sa propre personne.
Cette fin du monde relève de prime abord d'une rupture du
personnage de Jérôme avec Dolorès.
14
Ainsi, le récit romanesque fonctionne comme un univers
fermé. Il est la représentation d'un monde avec ses lois, ses
exigences déterminées ; cet univers de fiction est peuplé
des personnages qui y évoluent. Parmi ces personnages, il y en a
toujours un qui, placé au centre du récit sert de prétexte
à l'auteur pour exprimer ses idées.
C'est à cette exigence littéraire que
répond par exemple Sony Labou Tansy, lorsqu'il parle de Nitu Nadou au
centre de son roman pour illustrer la situation d'un honnête homme au
sein d'une société impitoyable et corrompue9
C'est aussi à cette même exigence qu'obéit
Patrick Grainville en plaçant Jérôme et Romane au centre de
son ouvrage.
Jérôme, fils unique d'un personnage nominé
par l'auteur sous le vocable de mon «Mon Père
»10, se démarque cependant du héros
ordinaire par le degré de puissance et de présence qui lui est
imprégné par l'auteur et qui le caractérise dans le
texte.
Jérôme orphelin de mère dès sa
prime enfance, ayant perdu des repères, excelle dans le vol de voitures
accompagné de son complice Hervé. Après un meurtre commis
lors de l'un de leurs cambriolages, Jérôme se sent comme
happé par une sorte de malaise inénarrable qui le conduit au bord
de l'évanouissement, vers un désir profond inexorablement vers la
mort. Il n'éprouve plus la moindre envie de vivre. Et souhaite une fin
du monde.
9 LABOU TANSI, SONY, L'ANTE PEUPLE,
édition du Seuil, 1965
10 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme me cache, édition du Seuil, page 20 ; 2001
Ajouté à sa rupture d'avec Dolorès, il
reste perplexe. Il est soumis par ces faits marquants qui le tiennent sous un
climat de fin du monde qu'il désir tant. Jérôme
apparaît comme un être tourmenté en perpétuelle
recherche de soi.
Face au personnage de Jérôme, le lecteur peut
être aussi gêné qu'intrigué par la nature
particulière de cet actant intra diégétique et en
même temps fuyant, insaisissable.
« J'ai téléphoné à mon
père dès le lendemain de ma fuite. Il connaît ma vie de
vagabond »11
Jérôme être instable, ayant le
pré-sentiment qu'il était désormais suivi par des
policier, va commencer par paniquer et va finir par abandonner son appartement
prenant l'essentiel de ses affaires pour une destination inconnue.
L'auteur-narrateur utilise nombre de procèdes en vue
d'accéder à une peinture efficiente d'une fin du monde dans le
corpus. Aussi parlerons-nous de Romane.
Personnage métaphorique de l'oeuvre dans la mesure
où, c'est par elle que Jérôme retrouvera le goût
à la vie. S'agissant de ce personnage, la fin du monde se traduit par la
déception dont elle a été victime.
Ce qui est sûr à travers ce roman, l'auteur cherche
à toucher sensibilité du lecteur ; ceci étant, Grainville,
à travers ce personnage qui
11 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 20.
16
est Romane, met sur la sellette l'épineuse
inquiétude de la condition humaine.
Romane, jeune femme aux longs cheveux noirs12. Elle
est professeur d'Anglais dans un collège à Cergy. Tout comme
Jérôme, elle aussi a été victime d'une forte
déception.
Déjà toute jeune elle avait eu une aventure avec
un homme qui l'avait engrossé puis ce dernier avait sans ambages
nié cette grossesse. Face à cela, elle s'était vue
obligée de s'en débarrasser.
Suite à cette déception, elle éprouvait
désormais une sorte de dégoût de la vie.
Tout comme Jérôme, Romane subit une rupture
qualifiée de trahison et celle-ci met un terme à son goût
à la vie. Elle va jusqu'à commettre un crime passionnel,
délibéré. Ici cette trahison constitue une fin du monde en
soi ; en ce sens que son ex amant au départ ne lui avait pas dit qu'il
était marié. Or, elle avait totalement confiance en lui, qui n'a
pas hésité de la tromper après l'avoir en grossie.
« Et Romane a commencé son lent
récit... Juste avant de me connaître, elle avait un amant sans
véritable amour. Une dépendance assez froide. Elle était
tombée enceinte, le lui avait avoué. Il avait soudain
révélé qu'il avait une autre femme, qu'il l'aimait, qu'il
était marié avec elle, qu'il ne voulait pas gâcher sa vie.
C'est ce trivial «gâcher sa vie» qui blessa, humilia Romane.
Elle se détacha
12 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 17, op.
Cit.
immédiatement de l'enfant futur. Elle avorta sans
pleurer. »13
Grainville peint un personnage totalement affligé,
meurtri et indigné. Il nous présente là un personnage plus
ou moins naïf aveuglé par un amour fictif sans issue voir
humiliant.
Chaque personnage se présente finalement comme une
figure spécifique devant marquer d'une empreinte singulière le
mouvement général du récit. Pour être exhaustif, des
approches diverses doivent aussi pouvoir rendre compte du mécanisme
ludique qui règle les différents types de rapports mis en
procès dans le récit.
1.1.2 : Définitions de la violence : Une analyse
multiple de la notion de violence
Selon Lucien MEHL16
,
Le pluriel du mot définition dans l'intitulé de
ce point laisse entendre qu'y seront proposées plusieurs
définitions de la violence. Pour justifier cette pluralité, mieux
vaut éviter d'entreprendre une analyse scolastique (au sens non
péjoratif de cet adjectif) de la notion de définition,
fût-ce en cherchant l'inspiration chez Socrate, Descartes et Leibniz. Il
ne s'agit pas de donner des définitions formelles du concept de
violence. Mais plutôt d'en évoquer les différents aspects
en recourant successivement à trois voies d'analyse:
linguistico-sémantique, historique et systémique.
13 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme me cache édition du Seuil, page 227
16 Conseiller d'Etat honoraire, Président
d'honneur de l'AFSCET. E-mail :
lucien.mehl@wanadoo.fr
18
Pour progresser dans la connaissance de la notion de violence,
il est utile de la rapprocher d'autres notions qui lui sont connexes ou sous-
jacentes. C'est ainsi que les mots qui désignent d'une part la force et
d'autre part la violence, deux notions proches mais distinctes, ont, assez
fréquemment, dans plusieurs langues, actuelles ou anciennes, des racines
communes, remontant le plus souvent à un lointain. Les mots qui
désignent la violence expriment, en général, un abus ou
une exacerbation de la force, un passé outre à celle-ci.
Violence, viol, violer, violation viennent du latin
violare, lequel signifie porter atteinte, attaquer, transgresser,
profaner, déshonorer. Les dérivés latins de viol,
violence, tels que violencia, violatio, etc., ont le
même sens que leurs dérivés français. Les mots de
cette famille suggèrent bien qu'une atteinte illégitime ait
été portée à quelqu'un, quelque chose, qu'une
limite a été franchie, qu'il y a eu transgression, mot qu'il
convient de rapprocher d'agression. La violence ne doit pas pourtant être
identifiée au mal ou regardée simplement comme une
catégorie du mal, notion qui a une portée à la fois
différente et plus large. Elle doit aussi être distinguée
de l'agression qui, étymologiquement, signifie que l'on va vers autrui
(ad-gredior), avec une attitude plus ou moins exigeante ou menaçante,
mais non nécessairement violente. Elle doit aussi être
distinguée de la force, la violence étant l'usage
illégitime de la force. Comme l'avait relevé Conrad
Lorenz17, qui a étudié en profondeur le comportement
animal et humain, la vie animale, y compris humaine et même
végétale, ne se maintient qu'avec un certain niveau
d'agressivité. A cet égard Lorenz développe des
conceptions proches de celles de Darwin18, du Struggle for life
: concurrence et compétitivité
17 Ethnologue autrichien Histoire et
Sociologie Né le 07 novembre 1903 Décédé
le 27 février 1989.
18 Naturaliste, scientifique né en 1809.
entre espèces; comportements prédateurs,
notamment pour la recherche de la nourriture. Même chez les
végétaux, certaines espèces cherchent à
étendre leur localisation et leur influence sur leur environnement,
voire en l'envahissant. Cependant la vie ne se maintient pas seulement par
l'agressivité. Il existe des cas de symbioses ou de coopérations
entre espèces animales; entre espèces animales et
végétales (les abeilles et la pollinisation). La vie sexuelle
comporte des traits d'agressivité, parfois violents, notamment chez les
mammifères ; mais, en général, cette agressivité
est maîtrisée, donc limitée; elle comporte aussi des
attitudes de séduction: parade nuptiale chez les oiseaux. Il faut noter
que plusieurs langues, mais non toutes, distinguent la force et le pouvoir; en
latin, vis pluriel vires, la force est distinguée de
potestas, autorité, pouvoir.
L'étymologie et le rappel des évolutions
sémantiques offrent des éléments de perspective
historique. Il convient maintenant de présenter, par quelques exemples,
un bref aperçu des comportements de violence, tels qu'ils apparaissent
dans l'histoire, qui montre l'intérêt de la méthode
historique, souvent indispensable pour expliquer le présent, voire pour
tirer des enseignements du passé et pour imaginer l'avenir. On donnera
ensuite quelques exemples de l'analyse systémique appliquée
à la violence, démarche qui a souvent le mérite d'aider
efficacement à la préparation et à la prise de
décision dans des situations complexes se rapportant à la
violence. Pour ce faire, dans notre récit-objet, la violence est
observable à travers les faits relatés par le narrateur.
En revanche, notre récit-objet décrit une autre
sorte de violence. Il peint une violence drue, funeste, accablante,
meurtrière. Il s'agit d'une brutalité qui ne saurait
trouvée d'adjectif adéquat : l'avion qui se crash dans une
banlieue de Paris, plus précisément à Nanterre faisant
260
20
morts et plongent ainsi la cité dans un deuil total.
Explosions, crépitement etc. Et faisant plusieurs sans abris.
On ne saurait lire la fin du monde dans le jour de la fin
du monde, une femme me cache sans relever toute la symbolique qui se
dissémine derrière la violence catastrophique qui culmine
à Nanterre ; entre la cité des sources et celle des merles
théâtre de la catastrophe.
« Le roulement et la violente averse de l'orage
avaient diminué. Alors, dans un crachat formidable, le ciel à
éclaté. Une explosion jaillie du coeur du monde. »19
La violence se lit également comme un indice de la fin
du monde. On s'accordera que, de la faute commise par Jérôme et
son complice Hervé ; le meurtre du propriétaire de la Mercedes
qu'ils avaient volé est une sorte de violence.
Ce passage est très illustratif en ce sens qu'il peint
la violence de l'explosion de l'avion lors du crash. Le roulement de la
violente averse de l'orage ; Grainville voudrait ici montrer la dimension
exagérée de cette explosion. L'endroit où l'avion s'est
écrasé.
Hormis cette violence, nous assistons également à
ce que l'auteur qualifie de violence barbare : des rapines et autres
agissements négatifs.
« Des rituels en somme rallumés par le
tonnerre de l'avion, une violence hors normes, une barbarie du destin.
»20
19 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache édition du Seuil, page 9. op.cit..
20 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache édition du Seuil, page 79. op.cit..
Ces quelques indices mettent en exergue la thématique
de la fin du monde dans ce récit-objet. La fin du monde est donc
liée aux personnages et à la violence existentielle. Mais comment
la fin du monde est-elle poétisée dans Le jour de la fin du
monde, une femme me cache ?
22
CHAPITRE DEUXIEME
LES SIGNES AVANT-COUREURS DE LA FIN DU MONDE
Abordant ce chapitre deuxième, il y va sans dire que
dans presque la quasi totalité des drames, des signes avant-coureurs
sont observables.
On entend par signes avant-coureurs, des signes
précurseurs, annonciateurs d'un évènement à
venir.
Pour ce qui concerne notre récit-objet, Grainville, au
début de son roman, le personnage narrateur annonce ce qui va arriver
à travers la première phrase.
« C'était avant la fin du monde. »20
Cette expression "fin du monde" qui nous fait froid dans le
dos met déjà le lecteur comme d'aucuns le diraient dans le bain.
Nous sommes dans une situation où le narrateur-auteur de notre
récit-objet prédit un évènement funeste, tragique.
Le lecteur a une idée de ce qui pourrait arriver : une catastrophe, un
cataclysme etc..
Cela nous conduit à dire qu'il y a eu effectivement
la fin du monde et que l'auteur-narrateur l'affirme. Cette
manière d'énonciation nous le relate à l'imparfait. C'est
pour dire qu'au moment de la narration, la fin du monde s'était
déjà produite.
20 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 7.
I. 2.1. Les données temporelles
Dans un texte, le temps du déroulement des actions est
une donnée majeure en cela qu'il participe de la dynamique et de la
structuration de l'intrigue. Le jour de la fin du monde, une femme me cache
de Grainville dont la thématique est constituée par la fin
du monde manifeste cela par le fait que la plupart des actions se
déroulent à des moments précis.
En effet, Jérôme dans la description de la
chronologie des événements rompt d'avec Dolorès un mois
avant la catastrophe.
« Un moi avant la catastrophe, j'avais rompu avec ma
femme. C'avait été déjà la fin du monde. Je me suis
retrouvé vide et nu. Sans doute m'étais-je secrètement
initié à l'extinction des choses.»21
Nous voyons ici comment Grainville, à travers
Jérôme annonce qu'il s'était déjà
préparé à la fin du monde quelque temps avant. Comment une
séparation pourrait-elle constituée une fin du monde en soit.
Pour l'auteur, une rupture pourrait être considérée Comme
une fin du monde en ce sens qu'elle affection le coeur.
C'est comme dirait d'aucun ; elle ou il m'a brisé
le coeur. Ce n'est peut-être pas quelque chose de physique d'abord,
mais plutôt sentimental.
L'encrage temporel s'avère aussi digne
d'intérêt dans la manifestation de la fin du monde dans le texte
par la récurrence des unités phrastiques telles que :
21 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 8.
24
« Plus tard, à la télé, j'ai vu
des familles, des survivants, pleurer devant les
décombres.22»
Là encore, le lecteur n'est pas surpris par ce qui
arrive; c'est-à-dire cette catastrophe qui selon certaines personnes
dans l'oeuvre, la voit comme une fin du monde. Jérôme reste
stoïque imperturbable face à ce tapage médiatique sur le
crash de l'avion de air France.
Ou
« Tout était déjà accompli,
irrévocable dans cette soirée de mars, et presque apaisé.
L'Orque s'accolait contre l'énorme tour. »23
Une fois de Grainville libre ici le mois du crash et la
période de la journée ; cette soirée de mars ; le
crash s'est précisément passé au mois de mars et en
soirée.
Nous pouvons dire que Grainville essaie de représenter
fidèlement les faits dans les moindres détailles.
Ou encore
« Sorte de reste, de relique, d'obélisque
graffité de ténèbres mais rosi, irisé, par les
tendres rayons de mars et du soir. »24
22 Idem.
23 Idem. Page 11.
24 Ibidem. Page 11.
Le mois de mars revient à nouveau. A bien observer,
nous remarquons qu'au mois de mars il y a des tendres rayons au coucher du
soleil, le soir.
Puis
« Vers quinze heures, elle me quitte. »25
Ici, il serait aléatoire de vouloir dissocier dans une
sorte d'opération théorique la personne de l'auteur de celle du
narrateur. Les deux instances se confondent désormais dans l'acte unique
et ultime de la narration.
C'est parce que la mémoire de l'auteur physique et
concret est encombrée d'une foule de détails diffusés au
cours de son existence que le narrateur peut nous décrire ses
scènes. Le narrateur ne devient alors qu'une sorte de mémoire
seconde chargée de restituer, non pas les réflexions, mais le
vécu existentiel de l'écrivain. L'opération de retour en
arrière qu'illustre le récit ne saurait ainsi déborder le
cadre existentiel de l'auteur lui-même.
Nous assistons à un tassement progressif de la
donnée temporelle. Cela est dû à la nature
particulière de la mémoire humaine, à son
incapacité à restituer fidèlement et entièrement
les évènements trop éloignés dans le temps. L'enjeu
du récit étant de monnayer un temps dans un autre
temps26, la restitution sera désormais fonction de
l'éloignement ou du rapprochement de l'évènement
narré par rapport au moment de la narration. En d'autres termes, la
précision du récit sera
25 Ibidem. Page 61.
26 Christian Metz, Essai sur la signification au
cinéma, Paris, Klincksiek, 1968, p. 27, cité par Nicolas MBA ZUE
dans sa thèse de docorat.
proportionnelle à la durée qui sépare les
évènements de l'acte narratif qui les réactualise.
L'analyse des données temporelles nous a permis ainsi
de cerner la fin du monde et ses différents corolaires, à quelle
période le crash a eu lieu dans la mesure où elle contribue
à l'élucidation de celle-ci dans l'oeuvre. Du moment que les
actions se déroulent majoritairement le soir, on voit alors une
volonté chez l'auteur-narrateur de captiver le narratairelecteur.
Mais les indications temporelles qui jalonnent notre
récit-objet n'ont pas pour seul but de nous indiquer la chronologie
évènementielle. Elles se chargent aussi d'une intention
rhétorique certaine. Comme tel, leur fonction est de marteler le texte
narratif, mais surtout la conscience du narrataire-lecteur pour qui ces jalons
mnémotechniques27 servent à la fois de repères
taxinomiques et de points de référence.
Toutes ces indications temporelles concourent à donner une
base de vérité au message narratif.
Le romancier est ainsi davantage soucieux de la
réalité existentielle qu'il doit décrire le plus
fidèlement possible. Les indications dans Le jour de la fin du
monde, une femme me cache répondent à ce souci de
description exacte.
« Le lendemain, au petit déjeuner, elle s'est
détournée de n'avoir revu le chat. Je lui ai avoué que je
l'avais donné à Hervé. »
27 Mémorisation.
26
28
« Le lendemain, au petit déjeuner »
Grainville nous spécifie avec exactitude le déroulement de la
scène. Mais, est-il obligé de le faire ?
L'ambition est finalement claire : transcrire la
réalité telle qu'elle a été vécue. Les
indications temporelles de notre texte-objet tendent à nous exprimer ce
réel historique vécu et fidèlement conservé par la
mémoire de notre narrateur-auteur.
I. 2.2 : La pertinence du phénomène
affabulatoire
Le phénomène affabulatoire faisant partie des
sept péchés capitaux est très récurrent dans notre
récit-objet. Patrick Grainville peut être considéré
comme un avant-gardiste en ce sens qu'il restitue exactement les faits de la
société. Le mensonge, la calomnie, font partie intégrante
des signes avant-coureurs de la fin du monde dans la Bible.
La quasi-totalité de ses personnages a, de près
ou de loin flirté le mensonge. Partant de Jérôme, Lenny
Croft, Aiwala, Bani, ou Romane, le constat demeure le même. Des petits
mensonges par ici, des gros mensonges par là, etc.
Grainville peint une société en déclin
progressif. De part sa description des faits on a l'impression que cette
société est vouée à une destruction totale. Et
donc, lui faisant partie de cette société, voudrait qu'un
évènement libérateur surgisse afin de mettre fin à
toutes les imperfections de l'Homme.
Jérôme, auteur-narrateur de notre roman, est de
prime abord celui- là qui utilise le mensonge pour se libérer de
son complice et ami Hervé ;
car celui-ci en volant un véhicule a par inadvertance
enfreint une des règles très capitale : Ne jamais tuer.
Jérôme ne désire plus rencontrer
Hervé son co-équipier voleur et se sert d'un précepte
capital, qui consistait à ne jamais tuer lors de leurs opérations
le plus souvent nocturnes. Il ne cesse de le lui jeter à la face
à chaque fois que ce dernier désire le rencontrer.
« Je ne sais pas. Laisse-moi réfléchir.
De toute façon, c'est fini. Le boulot, c'est fini ; Hervé, je te
l'ai déjà dit, il y a un mois, après ta faute...On pouvait
plus continuer. Il se tait. Sa faute. Il remâche son regret. Il a fichu
tout par terre ».28
Nous observons un autre cas de figure plus flagrant, celui de
Lenny Croft un affabulateur de haut vol. Il se fait passer pour le frère
d'une des passagères de l'avion. Or cette dernière n'était
autre qu'une fille de joie, qui lui vendait ses services, à qui il
était tombé passionnément amoureux. On a affaire à
un véritable mythomane de grande envergure. Il n'hésite pas
à passer dans les médias, et est désormais l'avocat des
parents des victimes du crash de l'avion.
I.2.3. Le crash de l'avion une
tragédie
« Il y avait pour tous les goûts... Deux cent
quarante cas différents qu'on pouvait regrouper par catégorie,
ventilé sur des listings, selon l'âge, le sexe, l'origine. Des
Japonais, des Italiens, des Allemands, des Hollandais, des Chinois,
28 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 38.
des Américains, des Français, des Anglais,
des Zaïrois, des Sénégalais... Tous les pays étaient
là dedans, des échantillons du monde entier... »29
Comme sus-indiqué tout au début de notre
travail, nous avons là une fois de plus des indices qui nous montrent le
caractère globalisant de ce crash. Faisant appel à l'histoire, il
y a que le 11 septembre 2000 reste une date historique avec la destruction des
deux tours jumelles aux Etats-Unis.
Aussi, pouvons -nous établir un parallélisme entre
le crash décrit dans notre récit-objet.
Contemporain, Grainville, se fait à coeur joie le
transcripteur des évènements de son siècle.
Pour donner plus de force à sa description, Grainville,
nous livre le répertoire des victimes du crash.
A bien scruter ce répertoire, nous remarquons une
multiplicité de nationalités ; des français, des anglais,
des asiatiques, des africains etc.
L'indentification des cadavres se fait désormais
à travers des fragments d'os, de peaux, de vêtements, des
rapprochements s'opèrent avec les photos des victimes.
29 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 25
30
CONCLUSION PARTIELLE
Au terme de cette première partie, nous pouvons retenir
que les personnages évoluent dans un univers chaotique.
Nous pensons qu'à travers les indices
thématiques que nous avons pu déceler, l'auteur montre avec
précision une catastrophe endeuillant plus des 260 familles.
Enfin, Grainville témoin attentif de ces
différents bouleversements qui ne cessent de survenir de jours en jours
n'a pas hésité une fois de plus à nous interpeller la
dessus.
DEUXIEME PARTIE L'ANALYSE DU DISCOURS
Le discours a ses unités, ses règles, sa
"grammaire" : au-delà de la phrase et quoique composé uniquement
de phrases, le discours doit être naturellement l'objet d'une seconde
linguistique30.
30 Roland Barthes, " Introduction à
l'analyse structurale des récits", in Communication 8, 1966,
p.3
32
CHAPITRE TROISIEME : LA TRANSMISSION
DU MESSAGE NARRATIF
La présente partie, qui s'intéresse à la
matérialité superficielle ou apparente du texte narratif englobe
deux aspects que sont la narration (l'énonciation) et le signifiant
discursif (l'énoncé).
Le projet sémiotique étant la recherche des
conditions d'existence de la signification-ici littéraire,
c'est-à-dire l'appréhension du sens sous- entendu au
système structuré des signes textuels dans le cadre d'une
sémiotique littéraire ou textuelle, la prise en compte de la
narratologie comme pratique d'investigation permet d'interroger le texte
littéraire à partir de ses constituants immédiats.
|
S'interroger sur la narrativité d'un texte, c'est
à la fois chercher à comprendre dune part le mécanisme de
production qui le fait naitre et la fonde en tant que discours, et d'autre part
les règles de distribution et ses éléments internes.
Ces deux aspects seront envisagés dans les deux sous
chapitres qui suivent. Comme toute pratique analytique au sens
étymologique de décomposition/restructuration, l'analyse
narratologique révèlera sous la calme horizontalité
des syntagmes successifs, le système accidenté des choix et des
relations paradigmatiques. Si son objet est de bien éclairer les
conditions d'existence(de production) du texte, ce n'est donc pas, on le dit
souvent, en réduisant le complexe au simple, mais au contraire
en
faisant apparaître les complexités
cachées qui sont le secret de la
simplicité31 .
II.3.1. L'instance narrative
Les faits qui composent l'univers narratif sont divisés
en deux niveaux : le premier niveau, extra textuel concerne les relations
auteur- lecteur : un second niveau, entre le narrateur et le narrataire. Notre
étude concerne l'examen de ces deux niveaux
II.3.2-Le statut du narrateur
Dans son "Discours du récit", Genette nous dit qu'une
|
Situation narrative, comme tout autre, c'est un ensemble
complexe dans lequel l'analyse, ou simplement la description, ne peut
distinguer qu'en déchirant un tissu de relations étroites entre
l'acte narratif, ses protagonistes, ses déterminations spatio-
temporelles, son rapport aux autres situations narratives impliquées
dans le même récit, etc.32.
La complexité de la texture du récit
n'étant pas susceptible d'être saisie globalement au niveau du
discours critique, ce n'est pas par fractionnements et déchirements que
l'analyse doit chercher à faire parler le texte. Les principes
narratologiques que nous abordons dans le
|
31 Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil,
1972, p. 165.
32 Ibid., p. 227.
présent chapitre doivent nous amener à
interroger directement les différents éléments du
dispositif narratif. Comme pour premier élément de ce dispositif,
l'instance narrative. Prévenant la confusion qui est souvent faite d'une
part entre l'instance narrative et l'instance d'écriture,
c'est-à-dire le narrateur et l'auteur, et d'autre part entre le
destinataire du récit(ou narrataire) et le lecteur de l'oeuvre, Genette
pose clairement que la situation narrative d'un récit de fiction ne
se ramène jamais à sa situation
d'écriture33. Le narrateur est ainsi un rôle
purement fictif qu'il convient de distinguer soigneusement de la personne
physique qui assume l'acte concret d'écriture. Mieke Bal l'assimile au
"it "anglais34, qui est l'instance la plus impersonnelle de
la conjugaison anglaise, ce qui de ce fait le décharge des racines
existentielles de la personne humaine à laquelle certains critiques ont
quelque fois tendance à l'assimiler35.
Dresser un statut du narrateur, c'est élucider le
problème de la "voix" dans le récit, c'est-à-dire
répondre à la question "qui parle ? ". Si l'instance narrative ne
saurait être assimilée à la personne physique de l'auteur,
grammaticalement pourtant, il ne se conçoit de narrateur qu'à la
première personne, et Genette affirme à ce propos :
|
En tant que le narrateur peut en tout instant
intervenir comme tel dans le récit, toute narration est,
par définition, virtuellement faite à la première
personne
34
33 Ibid., p. 226.
34 Mieke Bal, Narratologie, Paris, Ed.
Klincksieck, 1977, p. 31.
35 Une investigation narratologique d'un
récit ne saurait se concevoir sans un repérage préalable
de ses instances. La critique traditionnelle, pas trop réductrice,
passait directement de l'auteur au personnage, ce qui n'allait pas sans une
certaine confusion au niveau de l'interprétation globale de l'oeuvre
littéraire : à partir de l'auteur, on essayait d'expliquer le
personnage, et vis-versa. Une simplification abusive de la
réalité textuelle ou narrative conduisait sans contexte une
lecture/interprétation biographique de l'oeuvre littéraire.
Celle-ci n'était plus qu'un prétexte qui permettait au critique
de retracer l'histoire personnelle de l'auteur. La grande innovation de la
narratologie a été de voir dans le fait textuel une
hiérarchie de niveaux théoriques identifiable et autonomes.
pour désigner l'un de ces personnages. On
distinguera donc ici deux types de récits : l'un à narrateur
absent de l'histoire qu'il raconte, et l'autre au narrateur présent
comme personnage dans l'histoire qu'il raconte. Je nomme le premier type, pour
des raisons évidentes, hétérodiégétiques et
le second homodiégétiques36.
Le narrateur est donc nécessairement un "je",
c'est-à-dire une première personne, même s'il raconte une
histoire à la troisième personne. Le "il"
diégétique est justement prise en charge par un "je" narrant ne
saurait finalement se confondre, ni avec le personnage fictif impliqué
dans le récit, ni avec le "Je" écrivant qui n'est autre que la
personne physique et biologique de l'auteur.
Concernant Le jour de la fin du monde, une femme me
cache, il ne fait aucun doute que la relation qui lie narrateur et la
diégèse est une relation
hétérodiégétique, ce qui institue d'emblée
un certain rapport de domination/subordination entre eux. Ce type de relation,
le plus courant dans la narration littéraire, constitue presque la
marque, le masque, de la fiction romanesque, à l'instar du passé
simple et du "il" dont parle Barthes dans son Degré zéro de
l'écriture37. La relation
hétérodiégétique permet en effet au narrateur de
poser entre son récit une ligne de démarcation qui l'oblige
à présenter les faits dans leur "objectivité". Cette
frontière pourtant n'est jamais étanche, imperméable,
hermétique. De multiples indices, telles que les métalepses
narratives, rendent compte
36 Gérard Genette, op. cit., p. 252.
37 Roland Barthes, "L'écriture du roman", in
Le degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1953 et
1972 pp.25-32.
de fréquentes interférences et instruisions du
narrateur dans le monde clos de l'histoire.
Le narrateur, que nous avons défini comme une instance
neutre, est en principe "indépendante" de la personne physique de
l'auteur. Cependant, en l'absence d'un narrateur nommément
désigné dans le texte narratif, il arrive que la personne de
l'auteur remplisse la fonction de narrateur. C'est ce qui justifie l'expression
" narrateur-auteur" que nous avons employée jusqu'ici et que nous
continuerons à utiliser. Les deux instances sont tellement
imbriquées l'une dans l'autre qu'on ne saurait indéfiniment les
différencier. Le narrateur peut être tout au plus un
intermédiaire entre la personne de l'auteur et le récit.
Le narrateur formant donc un tout invisible, son statut de
première personne par conséquent reste fixe. Les problèmes
de changement de narrateurs, ou tout simplement de délégation du
droit narratif, résultent en réalité du changement de
niveaux narratifs.
Si tout narrateur est d'abord intra narratif dans ce sens
qu'il est en premier chef concerné par l'acte de narration, la
délégation de son droit narratif à l'un des
délocuteurs constitue un indice supplémentaire, en plus des
métalepses narratives qui dénote sa présence dans le
récit.
Le jour de la fin du monde, une femme me cache est un texte
à "vision avec"38, c'est-à-dire un récit
à focalisation interne où le narrateur (Jérôme) est
égal au personnage central. Il sait autant que le personnage est
présent comme personnage dans l'histoire qu'il raconte.
Jérôme a un statut homodiégétique et est aussi
intradiégétique parce qu'il est le personnage principal de Le
jour de la fin du monde, une femme me cache.
|
36
38 Jean Pouillon, Temps et roman distinguait
trois types de vision : la vision par derrière, la vision avec est celle
où le narrateur sait autant que le personnage.
La cession de la parole à l'un des personnages
témoigne d'un changement de niveau, le narrateur intra
diégétique [devenant] extra diégétique par rapport
au nouveau récit, formé par le discours direct,
hypo-diégétique, dont le personnage-sujet devient le
narrateur.39
En dépit d'une différence de dénomination
chez Genette et Bal40", le changement de narrateur signifie bien
passage d'un niveau à l'autre. Comme dans tout texte narratif, la
narration dans notre récit est alternativement prise en charge par le
narrateur et par les personnages diégétiques. Le premier niveau
narratif sera assuré par le narrateur lui- même, et le second
niveau, au discours direct, par les personnages. Sur le plan discursif et
modal, cela se concrétise par la présence de deux modes narratifs
: le récit d'événements et le récit de paroles.
En dehors de ces considérations théoriques, la
distinction des deux niveaux narratifs révèle un fort
déséquilibre au niveau de notre récit. Le second niveau
qui concerne les micro-récits, c'est-à-dire les récits
dans un récit, est nettement moins fourni que le premier. Pour en
être convaincu, il convient de distinguer soigneusement discours dialogue
et micro récit, car tout échange de paroles- entre deux ou
plusieurs personnages-ne constitue pas nécessairement un micro
récit. Celui-ci doit conter une histoire, ce qui suppose un début
et une fin.
|
39 Mieke Bal, op. cit., p. 35.
40 Pour Genette, " tout événement
raconté par un récit est à un niveau
diégétique immédiatement supérieur à celui
où se situe l'acte producteur de ce récit", sera alors
métarécit tout récit dans le récit, et
métadiégétique l'univers de ce second récit. (Voir
Figure III, P. 238-239). Bal rejette l'utilisation du préfixe
"méta-" et préfère celui de "hypo-" : hypo-récit,
hypo-diégétique ; concernant les rapports hiérarchiques
entre récit et hypo-récit, le terme
supérieur de Genette est remplacé par celui de
dépendance (Voir Narratologie, p. 35.)
Comme tout récit, le micro-récit doit être
quasi autonome- toute proportion gardée et doté d'une armature
architecturale propre. Malgré une intense activité communicative,
le niveau "méta-diégétique" (ou
"hypo-diégétique") reste sous alimenté dans notre
récit-objet. Tout se passe comme si les personnages restaient
rivés à la réalité immédiate.
Et Romane a commencé son lent récit... Juste
avant de me connaître, elle avait un amant sans véritable amour.
Une dépendance froide. Elle en était tombée amoureuse, le
lui avait avoué. Il avait soudain révélé qu'il
avait une autre femme, qu'il l'aimait, qu'il était marié avec
elle, qu'il ne voulait pas gâcher sa vie41.
Ce micro-récit est très illustratif en ce sens que
nous voyons là Romane qui raconte à Jérôme le
malheur qui lui était arrivé. Elle avait, aveuglée par
l'amour donné son coeur à quelqu'un qui, lui avait un engagement
conjugal : il était marié.
Finalement, Grainville aime peindre des situations plus ou
moins contradictoires. Et ce sont ces situations qui sont
l'élément catalyseur aux divers agissements des personnages dans
ce récit-objet.
38
41 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 277.
CHAPITRE QUATRIEME : LES FONCTIONS DU NARRATEUR
Considérons dès lors les fonctions que
Grainville assigne au narrateur et au narrataire dans Le jour de la fin du
monde, une femme me cache42.
II. 4. 1. La fonction narrative
Il n'y a pas de récit sans narrateur. Raconter une
histoire consiste pour Jérôme (narrateur) à mettre en place
les conditions de sa recevabilité et sa lisibilité.
Jérôme, omniprésent dans la trame narrative, est
l'organisateur et le régisseur de l'énonciation de l'histoire ;
ainsi, pour justifier une accélération de la narration ;
Jérôme dit ;
« Un moi avant la catastrophe, j'avais rompu avec une
femme. Ca avait été déjà la fin du monde. Je me
suis retrouvé vide et nu. Sans doute m'étais-je
secrètement initié à l'extinction des
choses.43»
Jérôme régente la présentation de
l'énoncé narratif :
42 Idem.
43 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 008.
40
« Plus tard, à la télé, j'ai vu
les familles, des survivants, pleurés devant les décombres. Moi,
je n'ai pas eu des regrets. Pas une larme pour le quartier44
».
A coté de ces interventions de caractère
anaphorique, on rencontre des observations métadiégétiques
qui indiquent des abandons, des ruptures des choix narratifs, qui marquent des
transitions ou qui annoncent tout simplement de nouveaux
événements.
II. 4. 2. La fonction de régis
Cette fonction permet à Jérôme de marquer
ou de désigner les articulations, les connections de l'organisation
interne de Le jour de la fin du monde, une femme me cache ; elle lui
permet en fait de structurer son récit ; ainsi la phrase introductive du
texte :
« Tout était déjà accompli,
irrévocable dans cette soirée de mars, et presque apaisé.
L'Orque s'accolait contre l'énorme tour. 45»
Jérôme règle ainsi le rythme et le
débit du récit en ménageant les
accélérations, des ralentissements et des reprises.
44 Idem.
45 Ibid., p.11.
II. 4. 3. La fonction de communication
Dans notre récit-objet cette fonction est observable
lorsque le narrateur (Jérôme) sollicite l'attention de son
interlocuteur immédiat.
En face du narrataire, Jérôme la fonction de
guide : dans la narration, il s'interrompt pour expliquer le sens de telle ou
telle pratique que le narrataire est censé de pas connaître.
La fonction de communication est souvent vue comme le souci de
dialogue du narrateur et de la transformation de l'autre. Toutes les
traductions intra textuelles de noms de personnes de choses n'ont d'autre but
que d'instruire le narrataire des éléments sur des faits
existentiels.
II.4. 4. La fonction testimoniale
On parle de fonction testimoniale lorsque le narrateur rend
compte de soi-même. La fonction d'attestation détermine
l'orientation du message sur le narrataire. Elle rend compte de la part que le
narrateur attache à l'histoire qu'il raconte ou du rapport qu'il
entretient avec elle :
«J'ai fini par me mettre à quatre pattes. Je
n'osais pas me lever. J'ai avancé ainsi. J'ai ressenti un plaisir
mêlé
42
d'angoisse. Je n'avais plus envie de me redresser jamais.
»
Cette fonction peu donner lieu à une autre fonction
appelée fonction idéologique. Ainsi, dans notre
récit-objet ; celui qui parle dans cet extrait n'est autre que
Jérôme. Il y a là une relation étroite entre le
narrateur et le personnage de Jérôme.
II. 3. 5 Les Fonctions du Narrataire
Le narrataire est quelqu'un qui entend de plus, si l'ont peut
dire, la surdité même des personnages qui parlent avec lui. Il est
aussi « l'espace où s'inscrivent sans qu'aucune ne se perde
toutes les citations dont est faite une écriture.46
»
Les fonctions du narrataire sont multiples et ont
été répertoriées par Gérard Prince dans son
« introduction à l'étude du narrataire 47»
- Le narrataire constitue un relais entre le narrateur et le
lecteur.
- Il aide à préciser le cadre de la narration.
- Il sert à caractériser le narrateur et met en
relief certains thèmes.
46 BENVENISTE Emile, Problèmes de
linguistique générale. Op. Cit. p. 72-80.
47 Gérard Prince, cité par Tzvetan
TODOROV dans « qu'est-ce que le structuralisme ? » in
Poétique, Paris, Gallimard, 1972, p. 59.
En ce qui concerne le narrataire, il semble que sa nature et
sa fonction dans Le jour de la fin du monde, une femme me cache ne
peuvent être perçus que par la déduction à travers
le discours de Jérôme. Le moins que l'on puisse dire, est
qu'à cet égard le narrataire jouit de la part de
Jérôme d'une attention constante qui se matérialise au
début du roman.
CONCLUSION PARTIELLE
Au terme de la deuxième partie de notre travail, nous
retiendrons que la fin du monde est perceptible à travers les
différentes fonctions du narrateur dans l'oeuvre de Grainville.
|
Enfin, après cette réflexion menée sur
les fonctions du narrateur dans notre corpus, il nous revient d'aborder la
dernière partie consacrée à la poétique de la fin
du monde dans ; Le jour de la fin du monde, une femme me cache ; de
Patrick Grainville.
TROISIEME PARTIE DE L'ECRITURE AU
MYTHE DE L'AUTEUR
44
La création littéraire apparaît
désormais comme une expérience, ou même une pratique de
soi, comme un exercice d'appréhension et de genèse au cours
duquel un écrivain tente à la fois de se saisir et de se
construire.
Pourquoi même écrire si ce n'est, comme disait
Rimbaud, pour changer la vie, pour découvrir un monde où nous
soyons vraiment au monde? On a donc vu dans l'écriture une
activité positive et créatrice à l'intérieur de
laquelle certains êtres parviennent à coïncider pleinement
avec eux-mêmes.
En effet, L'élaboration d'une grande oeuvre
littéraire n'est rien d'autre que la découverte d'une perspective
vraie sur soi-même, la vie, les hommes. Et la littérature est une
aventure d'être.
L'écriture cathartique de Grainville est pour lui un
exutoire pour purifier sa conscience et se débarrasser du trauma
causé par les atrocités du crash ; d'où la révolte
contre le mal. De là il ressort une thématique obsessionnelle
dans laquelle se dessine le mythe personnel de l'auteur. Il y a chez Grainville
la récurrence à un passé dépravé, au vide,
à un manque voire à la perte.
CHAPITRE CINQUIEME : LA FIN DU MONDE DANS L'OEUVRE
Après avoir vu les différentes descriptions
de la fin du monde, nous soulignons dans ce chapitre la
thématique que l'on retrouve dans la plupart des oeuvres de Grainville.
Il a un style d'écriture à lui ; l'écriture de la perte,
une obsession dans la description des lieux dans le récit, et une
référence sans cesse aux mythes anciens. Dans ce chapitre nous
nous appuierons essentiellement sur l'écriture, le lieu du crash et les
références mythologiques auxquelles Grainville fait allusion dans
le texte.
III.5.1. l'écriture de la perte
Grainville à travers une écriture que nous
pourrons qualifier d'impressionniste, nous édifie sur son oeuvre. Il dit
ceci au sujet de son écriture :
« Mon écriture est plutôt impulsive,
instinctive mais retravaillée, élaborée après
relecture. J'aime la cadence la sonorité les longs mouvements aussi bien
que les rythmes hachés, les éclaires. Cette
spontanéité va de pair avec un travail
prémédité sur le plan, les masses les chapitres
burlesques, épiques. J'adore avoir rendez vous avec une scène que
j'ai prévue, par exemple la moitié du roman. [...] J'aime qu'un
roman soit un volume. Un navire bourré de choses. L'Arche de NOE, et le
radeau de la Méduse.
46
L'Éros et la mort. L'Épiphanie et le
naufrage. Un roman est un arbre que j'ai admiré et photographié
dans le monde entier. [...] Arbres cosmiques, telluriques et luxuriants,
symphoniques et redondants. Arche ou arbre : c'est le roman. Le tronc de la
déflagration des branches. »48
Pour rester dans la perte, dans cette notion de vide,
Grainville maintient que c'est ce qui lui paraît être la clé
la plus importante qui ouvre la compréhension de son oeuvre.
A travers cette citation, nous voyons, le côté
grand étalage de mots, grand débordement carnavalesque, dans une
écriture qui fait le paon, qui fait la roue et qui veut épater,
qui veut arborer. Le ressort de ces masses, de cet excès, c'est le
manque, c'est une angoisse de la perte. C'est le manque qui devient alors le
moteur de l'apparition de masses, de plis et de toutes ces choses.
On a l'impression que Grainville a l'aire d'être une
espèce de super Bacchus, animant le langage, s'en régalant, sans
voir que cette boulimie cache quand même un affolement, une panique.
D'ailleurs, nous pouvons dire le dieu Pan, lui-même a quelque chose
d'effréné, de fou.
À l'origine de l'écriture de Grainville, il y a
quelque chose de plus tragique. Il y a une séparation. Il a écrit
un roman sur ce sujet, L'Orgie, la neige, où il montre le
rapport au sein originel, au sein maternel, avec une
48 Revue littéraire Humanité 2008.
expérience de l'enfance qui est l'histoire d'une
relation un peu difficile... sa mère était... Enfin, il y avait
un problème, sa mère ne s'était pas aperçue qu'il
mourait à son sein, parce qu'il n'arrivait pas à téter, il
n'arrivait pas à se nourrir. Il était devenu complètement
jaune et des amis le lui ont dit. Cela lui a été rapporté
plus tard et l'a beaucoup frappé. Par divers biais, ce roman familial
racontait l'histoire de cet enfant, en train de mourir au sein de sa
mère.
Il y a ce refus de s'impliquer dans une relation qui le
mettrait en rivalité avec sa mère. De plus, il idéalise
son père. Ce trouble risque, il le sent bien, de le conduire sur un
chemin dangereux qu'il ne maîtriserait plus. C'est cela qu'il craint, il
ne veut pas tomber dans un univers qu'il ne pourrait plus contrôler. Mais
le héros me semble tout de même beaucoup plus concerné par
cette question du vide. En même temps, tout être envisagé
sous l'angle du désir est pris dans la logique de la perte. Si nous
n'avions rien perdu, nous ne pourrions rien désirer, nous serions dans
un grand bain rayonnant, placentaire et paradisiaque.
Donc, la perte c'est le ressort du désir même.
Mais de cette perte, c'est vrai, il y a des gens qui en font leur deuil
facilement, qui subliment, qui trouvent des substituts, et d'autres qui, au
fond, n'acceptent pas la frustration, qui n'acceptent pas la castration. Aussi,
à travers le langage (qui est pour lui le langage du poète)
sémiotique, sensoriel, loin de la définition saussurienne de
l'arbitraire du signe, l'écrivain cherche à contredire cette
contingence des signes. Chez lui, il y a un déni de la perte; il se
manifeste à travers un langage luxuriant, organique, à multiples
facettes, comme une espèce de ventre verbal ou de phallus où tout
s'unit. C'est une manière de ne jamais accepter le langage comme
48
séparation. Il sait qu'il ne devrait pas, que l'on
signifie à travers lui, qu'il a ses règles. Mais dans le langage
poétique qu'il revendique, c'est un langage qui se veut comme
équivalent du monde objectif; mais bien subjectif avec ses rythmes, ses
pulsions, ses sonorités, des métaphores. C'est une manière
de créer une sorte de lui monde, et donc, par le style, de refuser la
loi de séparation. C'est pourquoi, dans ses romans, il y a ce
balancement entre les personnages qui acceptent la séparation et ceux
qui n'acceptent pas. Mais, en ce qui le concerne, le bonheur d'écrire
vient de cette recherche d'un narcissisme originel où l'on est fondu au
tout, avant toute séparation!
Tout n'est pas un jeu dans le langage (les jeux dans leur
aspect formel, acrobatique, ne l'intéressent pas même s'ils sont
à la mode) mais bien une nécessité pour lui. Les jeux sur
les codes du langage, il n'a pas assez de distance pour les jouer. Et encore,
ce sont des jeux où l'on escamote le corps à corps avec le
langage. Non, son rapport au langage est pulsionnel, il est affectif. C'est cet
aspect oral, organique, qui est intéressant pour lui. Il lui faut du
vivant, il faut que sa phrase ne soit pas tout à fait rationalisable, il
faut qu'elle roule des matériaux polysémiques. Il l'envisage
comme un magma. Selon Grainville une phrase trop minimale ne pourrait pas lui
venir à l'esprit, ces phrases peuvent dégager, dans certains cas,
beaucoup de présence comme une aura, elles réverbèrent
tout ce qu'elles ne disent pas, le non-dit se cristallise dans le peu qui est
dit. Il ne peut pas, il faut qu'il ballait tout le champ des possibles, et
là il est très à l'aise, car il récupère
enfin sur ce fameux manque. Il le remplit et il le déplie. Il faut que
ce soit affectivement fort, il ne peut pas prendre de distance avec le langage,
c'est très physique, finalement.
Contrairement à certains écrivains, Grainville
à un style d'écriture plutôt violent, il ne ménage
pas son lecteur, il décrit les scènes telles quelles, il n'a pas
besoin de quelques tournures que ce soit ; cela nous le voyons dans une bonne
partie de sa narration. Il décrit le crash de l'avion dans les moindres
détailles en spécifiant au tant que faire se peut comment l'avion
s'est-il retrouvé au sol, les dégâts causés par cet
accident de manière spontanée et soignée.
L'Atlantique et les amants, son nouveau roman,
procède du même parti pris esthétique que Le jour de la
fin du monde, une femme me cache.
Ainsi, Grainville orchestre avec une rigueur inattendue, au
fil des thèmes qui s'enlacent et se répondent, rencontres
improbables, coïncidences invraisemblables, laissant la magie du
récit opérer jusqu'à ce que le sens s'impose. D'ailleurs
il suffit d'attendre : les dernières catastrophes montrent que la
réalité se rapproche dangereusement de la fiction.
L'invraisemblable n'est que l'avance de l'art sur le vrai.
Nous pouvons tout de même relever quelques passages
poétiques illustratifs :
«Ca l'a rendu folle, cette nuit sans nuit, cette
lumière qui n'en fini pas [...] C'est, oui ce soleil qui ne voulait pas
mourir, qui ne se couchait jamais. L'infini vous angoisse tout à coup.
L'extase est trop forte. On a
50
peur de la facilité, de l'immortalité dans
l'étendue sans fard du bleu miraculeux49»
Nous voyons à travers ce passage, comment Grainville
utilise les mots. Sorte de chorégraphie, ce roman de Patrick Grainville
est un long poème lyrique nourri de toutes les mélancolies
humaines.
Grainville, bien que décrivant un instant tragique, y
met une touche poétique. Cette nuit sans nuit ; nous renvoie au
moment du crash de l'avion. On n'avait pas l'impression que le temps
s'était arrêté, tellement il y avait du monde, tous
bougeaient de partout sur le lieu de l'accident. Il y avait, des policiers, des
journalistes, des médecins, des voleurs des spectateurs etc. .Tous
constataient avec amertume ce triste spectacle.
Cette lumière qui n'en fini pas [...] C'est, oui ce
soleil qui ne voulait pas mourir, qui ne se couchait jamais ; cette
expression métaphorique renvoie directement à
l'explosion qui s'est produite, l'éclat, l'éclat produite par
l'explosion.
L'infini vous angoisse tout à coup. L'extase est
trop forte. On a peur de la facilité, de l'immortalité dans
l'étendue sans fard du bleu miraculeux ; l'infini ici
renvoie directement à la mort ; de même que la
facilité, de l'immortalité. Ce on pronom
impersonnel employé par l'auteur renvoie directement à
l'être humain refusant de mourir comme disait un grand homme : «
la mort cette grande faucheuse»50.
49 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 58.
50 Expression extraite du discours du Président
Léon MBA à son retour de France alors qu'il sortait d'une
hospitalisation.
En parcourant la production littéraire de Grainville on
constate que la fin du monde y occupe une place importante, car il aborde de
façon récurrente, ce mystère dans la plupart de ses
oeuvres.
A part Le jour de la fin du monde, une femme me cache,
où la fin du monde est assez bien représentée aussi
bien sur le plan formel que dans l'action des personnages, d'autres de ses
oeuvres peignent elles aussi un « mystère à découvrir
» c'est le cas dans L'Orgie, la neige, pour ne citer que ces deux
oeuvres.
III.5. 2 La fin du monde chez d'autres auteurs
La fin du monde semble être l'une des thématiques
principales des oeuvres de Grainville, notamment Le jour de la fin du
monde, une femme me cache, l'Orgie, neige, la main
blessée.
Toutefois, nous retrouvons également cette
thématique chez d'autres écrivains à savoir :
Le poète Jean Grosjean, par exemple, qui, dans
un recueil de poèmes de 1962 significativement intitulé
Apocalypse peint l'univers et son mystère sacré
centré sur la présence absence d'un dieu dont l'existence se
révèle dans la vie changeante du monde. On retrouve dans ce texte
une intuition Gidienne qui mêle à une vision poétique du
Monde des références au Christ qui ouvre le champ de
l'interprétation théologique.
Puis,
52
Pierre Emmanuel, grand poète chrétien
engagé dans la Résistance durant la seconde guerre mondiale, qui
évoque dans Tu, en 1978, un cauchemar qui lui restitue
l'atmosphère affreuse des camps nazie, camps de la honte qui lui font
douter de l'homme et de ses progrès. Dans ce cas précis, nous
avons à faire à une forme d'utilisation politique du texte qui
aboutit sur une méditation spirituelle.
Enfin, l'examen de la poétique de la fin du monde dans
le texte de Grainville nous amène à comprendre cette
thématique à travers aussi d'autres époques de la
littérature. Par conséquent, la fin du monde pourrait être
considéré comme un élément de
littérarité en cela qu'elle est un invariant dans le vaste champ
de la littérature.
CHAPITRE SIXIEME : L'ESTHETIQUE DE LA FIN DU MONDE DANS
L'OEUVRE
La fin du monde est certes représentée à
travers les personnages et leurs actions, ou encore à travers les
éléments textuels, mais ici, nous pouvons également dire
que les thèmes utilisés par l'auteur sont aussi évocateurs
dans l'univers de la fin du monde.
En effet, il faudrait signaler que fort de notre constat les
thèmes de la rue, des reporters des psychologues renferment donc cette
onde de mystère que l'auteur a voulu représenter dans son
discours. Toutefois, nous irons plus loin pour connaître les
réelles motivations de l'auteur dans le choix de cette esthétique
qu'est entre autre la fin du monde.
III.6.1. La scène comme lieu de
théâtralisation des faits narratifs51 : les rues,
les reporters et les psychologues.
La définition de la scène, ou du moins
l'énumération de ses caractéristiques fondamentales, nous
l'emprunterons à Lintvelt dans son Essai de typologie narrative
:
51 La scène apparaît dans le "discours
du récit" de Genette dans le chapitre consacré à la
durée narrative. Avec le récit sommaire, l'ellipse temporelle et
la pause descriptive, elle constitue l'une des formes canoniques du
tempo romanesque. Mais ce qui intéresse davantage
Genette, c'est le rapport temporel qui régit discours et histoire.
Ainsi, entre la "vitesse infinie qui est celle de l'ellipse, ou un segment nul
de récit correspond à une durée quelconque d'histoire" et
la "lenteur absolue qui est celle de la pause descriptive, ou un segment
quelconque du discours narratif correspond à une durée
diégétique nulle", se situe la scène, qui "réalise
conventionnellement l'égalité de temps entre récit et
histoire "et le récit sommaire, "forme à mouvement variable qui
couvre avec grande souplesse de régime tout le champ compris entre la
scène et l'ellipse" (Figure III, op. cit., p. 128, 129).
54
La scène, souvent pratiquée dans les points
culminants d'un roman se caractérise par :
a) Présentation complète. La scène
décrit les événements romanesques dans tous leurs
détails et rapporte in extenso le discours des acteurs ;
b) Présentation visualisée.
Grâce à la présentation complète, la
scène crée l'illusion d'une représentation directe, se
déroulant, pour ainsi dire devant les yeux du
lecteur52.
Toutes scènes combinent généralement deux
types de discours : le récit d'événements et le
récit de parole chez Genette53, scène
d'événements non verbaux et du discours des acteurs chez
Lintvelt54. Au-delà de ces subtilités
langagières, le fait important qui doit retenir notre attention est le
principe du détail de la scène, ce qui nous permet de l'analyser
sous les deux angles de la synchronie et de la diachronie.
La rue est définie comme étant « une voix
publique aménagée dans une agglomération entre les maisons
ou les propriétés »55. C'est le thème
utilisé tout au long de l'oeuvre de Grainville afin de mieux
représenter la fin du monde. Toutes les actions se passent dans la
rue.
En effet, tout au début du texte, l'auteur-narrateur
fait un long discours au sujet de la rue, et plus précisément des
rues de Nanterre qu'il va d'ailleurs citer, et même personnifier. Mais
ici, l'auteur passe par ce long discours pour arriver à un fait, c'est
que, c'est dans la rue que le
52 Jaap Lintvilt, Essai de typologie
narrative, Paris, Librairie José Corti, 1981, p. 50.
53 Gérard Genette, op. cit., p. 186, 189.
54 J. Lintvelt, op. cit., p. 50.
55 - Encyclopédie, Larousse, 1996, p
1240
mystère va débuter dans l'esprit de
Jérôme d'une part, et du lecteur d'autre part.
Les rues ne renferment pas une pointe de mystère,
l'auteur les utilise afin de les présentées comme étant
elles aussi des témoins privilégiés de la catastrophe, car
voyant, connaissant, entendant tout, puisqu'elles appartiennent à tout
le monde. Les rues assistent à tout ce qui se passe, elle voit le
déroulement du crash et des vols. Nous avons ce passage :
« Parmi les autres civières qui circulaient,
recueillaient les blessés, les habitants de la cité. Un ado
coincé sous des gravats avait été amputé sur place
les deux jambes. »56
C'est dans la rue que l'on observait tous ces faits, les gens
circulaient ; faisaient des va-et-vient dans tous les sens. C'est
également dans la rue que l'on a amputé les deux jambes à
l'ado, qui coincé par la carlingue de l'avion ne pouvait sortir.
De même le jeu des reporters est très important
dans le texte de Grainville, il se base dessus pour faire vivre le
mystère du début jusqu'à la fin de l'oeuvre.
«... La télé n'en finissait pas, sur
toutes les chaines, de montrer les images du premier soir et la nuit, du
lendemain matin... Des colonnes de cercueils en
56 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 22 L. 20.
56
matières plastique, stéréotypés,
gris cahotaient, zigzaguaient, ondulaient entre les décombres.
»57
A travers donc l'action des reporters, une pléthore
d'hypothèses sortaient. Les reporters avaient pour objectif de montrer
au monde entier ce qui s'était réellement passé le soir du
crash.
En effet, les reporters jouent un important rôle dans
l'esthétique du crash en ce sens qu'ils sont sans cesse à
l'affût des informations. Par exemple, la liste des passagers du Boeing
qui s'est écrasé. Nous avons également divers interviews
effectuées. C'est eux que le narrateur utilise afin de nous
édifier quant aux différentes confrontations qu'ont la compagnie
aérienne Aire France et les compagnies d'assurance, mais
également avec les parents des victimes. Nous avons ce passage :
« Les avocats des familles, de Boeing et Air France
se disputaient l'immense énigme, les assureurs qui oubliaient la mort
n'évaluaient qu'un nombre de victimes, des passagers, de clients, de
sièges... »58
Toutes ces informations nous sont données par des
journalistes ou encore des reporters.
En plus, les psychologues, dans notre corpus ont
occupés une place de choix dans la question qui fait l'objet de notre
étude. Face à une telle horreur. Il y avait des corps sans vie
sur le théâtre du crash, les psys comme Grainville les
nomment, avaient pour rôle, d'écouter les traumatisés du
crash.
57 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 22-23.
58 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 46. L 6.
« Les psys allaient s'en donner à coeur joie.
Car ils étaient vénus, toute une antenne, un cabinet
spécial, une vraie cohorte installée dans une tour voisine. Ils
recevaient les traumatisés, se les disputaient [...] aussi.
»59
Le rôle des psychologues étaient très
important. Non seulement ils recevaient des traumatisés du crash, ils
avaient également pour objectif ; le rétablissement psychique de
ces derniers. Et ces grâce à eux que les journalistes ou reporters
étoffaient leurs article ou bulletin d'informations.
III. 6.2. L'inceste : Aiwala et Bani ou le mythe d'Isis
et d'Osiris.
Aiwala est un jeune Africain de nationalité
Camerounaise, ex-élève de Romane. Comme Jérôme, il
entre en possession de la seconde boîte noire de l'avion qui contenait
des paramètres susceptibles d'informer sur l'origine du crash de
l'avion.
Ainsi, à travers ces écrits, Grainville
n'hésite pas une fois plus à nous ressortir un de ces nombreux
indices qui appartiennent à l'univers de la fin du monde. Grainville
nous entraine une fois de plus dans les alcanes de son univers imaginaire en
peignant une relation incestueuse entre un frère : Aiwala et sa soeur
Bani ; il dénonce avec vigueur ce fait hautement interdit par la
société, quand bien même certaines personnes pourraient
apporter des avis contraires.
59 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 52-53.
58
« La première fois que j'ai couché avec
ma soeur, après l'amour elle m'a tout dit... qu'elle avait caché
le trésor d'Alba dans l'Arche où elle
travaille.»60
Nous avons là une confession faite par Aiwala à
Jérôme et Romane lors d'une conversation.
Ceci étant, à travers cette
révélation Grainville peint un fait qui a existé dans la
mythologie gréco-latine : le mythe d'Isis et Osiris.
«Le mythe est une histoire vraie qui s'est
passée au commencement des temps et qui sert de modèles aux
comportements humains »61.
En imitant les actes exemplaires d'un dieu ou d'un
héros mythique, ou simplement en racontant leurs aventures, l'homme des
sociétés "archaïques"(d'oralité) se détache du
temps profane et rejoint magiquement le grand temps, le temps sacré
(mythes, rêves, mystères).
Le mythe est une tradition sacrée, une
révélation primordiale. Claude Lévi-Strauss pense que son
interprétation se développe de façon nébuleuse sans
jamais rassembler de manière durable ou systématique la somme
totale des éléments dont elle tisse la substance.
En effet, le terme mythe étant délicat, nous ne
pouvons le définir sans nous perdre en conjectures.
60 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme cache, édition du Seuil, 2001.page 241.
61 Selon Mircea Eliade.
Notons tout de même, qu'il est question dans le sujet
qui nous concerne d'un mythe de situation qui se réfère à
des actes qui présuppose une réalité absolue, extra
humain.
En effet le narrateur éprouve le désir de mourir
comme Orphée, pour mourir et faire renaître un corps nouveau. Le
narrateur éprouve la volonté de pousser jusqu'à l'outrance
la violence des passions ou la force des caractères.
Aussi, permettez nous de faire un bref rappel historique du mythe
osirien.
Il existe plusieurs versions du mythe osirien, dont la plus
récente nous fut transmise par Plutarque. Fils de Geb et de Nout,
époux d'Isis, Osiris fut roi d'Égypte.
« En effet, Geb, au soir de sa vie, aurait donné
en partage le monde à ses deux fils, Osiris et Seth. À Osiris la
Terre Noire d'Égypte, à Seth, le stérile, les Terres
Rouges, les déserts qui entourent le Double Pays.
|
La légende fait d'Osiris et d'Isis, son épouse,
des souverains bienfaiteurs. Osiris enseigna aux humains les rudiments de
l'agriculture et de la pêche, tandis qu'Isis leur apprit le tissage et la
médecine. Pendant ce temps, Seth régnait sur les contrées
désertiques et hostiles ainsi que sur les terres
étrangères. Jaloux de son frère, il projeta son
assassinat. Pendant un banquet en l'honneur d'Osiris, Seth offrit à
60
l'assistance un magnifique coffre, jurant de le céder
à celui qui l'emplirait parfaitement. Quand vint le tour d'Osiris, qui
fut le seul à y parvenir, Seth fit refermer et sceller le coffre, tandis
que ses complices chassaient les invités et tenaient Isis à
l'écart. Seth jeta le coffre dans le Nil, qui l'emporta dans la
Méditerranée. Osiris mourut noyé et c'est pour cela qu'il
est souvent représenté le visage de couleur bleue ou verte.
Après l'assassinat de son époux, Isis se mit
à la recherche de son corps. Elle le retrouva à Byblos, au Liban,
d'où, après maints stratagèmes, elle le ramena en
Égypte pour l'enterrer et le pleurer. Seth finit par découvrir le
tombeau, sortit le corps du caveau et le dépeça en quatorze
morceaux qu'il dispersa dans le Nil. Isis, l'épouse et veuve
fidèle, retrouva les lambeaux du corps de son bien-aimé, sauf le
phallus, avalé par un poisson. Elle le reconstitua en argile, puis elle
entreprit de rassembler le corps meurtri de son défunt mari, avec l'aide
de sa soeur Nephtys. Elle embauma le cadavre, assistée par Anubis, lui
redonnant une dernière étincelle de vigueur. Lorsqu'il fut
ranimé temporairement par Isis, qui lui insuffla la vie, Osiris put la
féconder. Elle lui donna un fils, Horus, « Le vengeur de son
Père », qui combattit son oncle Seth dans des joutes interminables.
Le tribunal des dieux finit par trancher : Horus entra en possession de son
héritage et occupa le trône d'Égypte, comme Pharaon,
après lui.
Reconstitué par les rites de l'embaumement, Osiris
devint la première momie, Ounen-Néfer («
L'éternellement beau ») car protégé de la
putréfaction, et revint à la vie telle la terre d'Égypte
elle-même après chaque inondation. Devenu le dieu des morts et le
Seigneur de l'au-delà, il transforma son royaume en champs fertiles, les
champs d'Ialou.
Depuis il préside le tribunal divin pendant la
pesée du coeur, avec l'aspect que nous lui connaissons, les bras
croisés sur la poitrine, portant la couronne Atef, momifié et
gainé dans un linceul de lin ne laissant paraître que sa
tête et ses mains nues qui tiennent les insignes de sa royauté sur
le monde des « Occidentaux ». « Juge suprême des
âmes », il accorde aux défunts la vie éternelle ou au
contraire la leur refuse et les condamne au néant.
À l'origine, Osiris était vraisemblablement un
dieu de la fécondité, personnification du renouveau
végétal, par opposition à Seth le stérile. Son
aspect funéraire dérive sans doute d'Andjety, divinité
locale de Bousiris, à laquelle il emprunte les attributs tels que le
Heka et le Nekhekh, symboles du pasteur, et insignes de pharaon, protecteur de
son peuple. Par un syncrétisme fréquent dans la religion
égyptienne, il fut aussi identifié au dieu chacal d'Abydos,
Khenty-Imentyou, « Celui qui est à la tête des Occidentaux
»»62.
Osiris est donc le dieu du renouveau, celui qui renaît
éternellement. Il est aussi la personnification de la terre fertile du
delta et des champs cultivables, le garant de l'équilibre du monde la
Maât - et des cycles naturels : mort et renaissance, sécheresse et
fertilité, disparition et réapparition de l'étoile
Sothis.
On a pu identifier d'autres sépultures d'Osiris dont
celle de Gizeh, récemment découverte, celle de Philae, sur une
île voisine du grand temple d'Isis, celles de Dendérah et de
Karnak. D'autres encore sont
62
62 Wikipédia.
attestées par les historiens antiques comme
Hérodote, qui en a visité une à Saïs.
Ainsi, Osiris, c'est un dieu qui est détruit comme
Vulcain, il est mutilé. Dans une version, le Dieu Seth s'acharne sur
lui. Ces morceaux sont éparpillés, perdus, et Isis va les
reprendre et les réunir. Isis est là pour recomposer, bouturer,
faire renaître ce corps perdu, morcelé. Isis, c'est
l'écriture. C'est ce qu'il y a de plus beau comme métaphore de la
littérature, avec son mythe solaire, la présence du Nil, sa
fécondité et tous ces tombeaux qui le bordent. Osiris, ce dieu
blanc, gardien des tombeaux, a le visage vert, symbole de résurrection.
Cela le touche beaucoup. Sans faire du Caillois et établir les liens
syncrétiques entre Shiva, Dyonisos, Quetzacoatl, etc., on voit tout de
même qu'il y a des dieux qui se ressemblent.63
Ainsi, les personnages d'Aiwala et de Jérôme sont
la représentation même des personnages mythiques que sont Isis et
Osiris. C'est dire que l'auteur-narrateur affectionne les
références mythologiques.
III. 6.3. La symbolique des arbres de vie ou le mythe
d'Atys et de Cybèle
Grainville, nous plonge une fois de plus dans un univers
mythique. Dans notre corpus, l'auteur peint une société qui,
après un crash d'avion, va chercher à immortaliser victimes de
l'accident en les personnifiant, en plantant des arbres ; qu'elle qualifiera
« d'arbres de vie ».
63 Wikipédia.
« J'avais entendu parler du projet. Mais il se
réalisa plus vite que prévu. Le conseil régional avait
décidé de planter deux cent soixante arbres dans la cité
des sources, manière de compenser le sacrifice par une forêt de
vie »64
Pour Grainville, ce crash d'avion est un sacrifice et que
chacun de ces arbres représente une victime ; Dans son autofiction
Grainville fera référence au mythe d'Atys et de Cybèle.
Nous voyons chez ce contemporain, une volonté manifeste
d'établir un parallélisme, entre les faits du passé, et
ceux du présent.
Un bref rappel historique du mythe d'Atys et de Cybèle
nous permettra de mieux cerner la ressemblance faite par l'auteur lorsqu'il
fait allusion, aux arbres plantés dans la cité des Merles.
Divinité de Phrygie, importée en Grèce et
à Rome, personnifiant la nature sauvage. Présentée comme
la Grande Mère, la Mère des dieux ou encore la Grande
Déesse.
Varron décrit la déesse phrygienne en donnant
d'abondants détails sur sa représentation : Portant un tambourin
signifiant qu'elle est le disque terrestre, des tours en couronne ornant sa
tête symbolisant les villes qui lui sont vouées, assise et
accompagnée d'un lion, symbolisant ainsi l'immuabilité de son
règne sur le muable et le sauvage. Varron en fait la déification
de la terre.
|
64 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin
du monde, une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 200
Horace se fait l'écho d'un clergé eunuque
servant la déesse65 Ces prêtres s'appelaient
Galles, du nom d'un fleuve de Phrygie selon Pline66. La castration
de ces prêtres trouve sa justification première dans les liens qui
unissent Cybèle à Atys Les amours entre Cybèle et Atys
sont évoqués par de nombreux poètes dont Catulle
67et Ovide. Ce dernier présente Attis comme le favori de la
déesse qui prit la forme d'un arbre lorsqu'il mourut68. Cette
mort eut lieu dans des conditions atroces puisqu'il fut rendu fou et
s'émascula.
Une comparaison d'Attis et de Cybèle avec Adonis et
Vénus s'impose, surtout au regard des fêtes du printemps
célébrées en l'honneur d'Attis ou d'Adonis. Cybèle
fut aussi assimilée à Cérès.
Fille du Ciel et de la Terre, Cybèle incarne
l'énergie enfermée dans le sol arable, la source de toute
fécondité. Son char tiré par des lions est signe de sa
maîtrise sur la puissance vitale et pour illustrer son pouvoir sur les
cycles biologiques, elle est représentée parmi les fleurs, assise
sous l'arbre de vie, ceinte d'une couronne d'étoiles à sept
branches et d'un croissant de lune.
64
65 (Satires I, 02. )
66 (L.V, 22)
67 (Poèmes, 63)
68 (Métamorphoses X, 104)
CONCLUSION PARTIELLE
Au terme de ce pan de notre travail, il ressort par
l'écriture de l'auteur, son mythe et son engagement. Grainville est un
auteur qui a pour leitmotiv la peinture des maux de la société.
De ce fait dans Le jour de la fin du monde, une femme me
cache69, les personnages Grainvilliens sont enclins au
désespoir et à la déchéance. Son écriture
porte un aspect cathartique en cela que nous retrouvons l'engagement de
l'auteur.
L'oeuvre à cet effet est un exutoire pour se
débarrasser du trauma des désastres qui ne cessent de se produire
d'où cette thématique obsessionnelle qui mine sa production.
69 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 200
66
CONCLUSION GENERALE
Le jour de la fin du monde, une femme me
cache70 présente un univers en adéquation entre
le moral des personnages, leur environnement et le sort final de ces
personnages. La nature et tout ce qui l'entoure crée un climat qui
annonce les malheurs que rencontrent les personnages Grainvilliens. Elle influe
sur la psychologie des personnages.
L'évolution de la lecture que le personnage de
Jérôme fait de la fin du monde dans le jour de la fin du
monde, une femme me cache71 est intéressante en ce sens
qu'elle résume, d'une certaine manière, l'histoire de la
réception de ce texte, telle que nous avons essayé de l'observer
à travers quelques exemples significatifs. Au début du roman, ce
personnage utilise le crash de l'avion en le situant à la lumière
d'une actualité troublée marquée par une violence
extérieure.
Mais au fur et à mesure que les reporters,
Jérôme, Romane, Aiwala, aire France et la compagnie d'assurance
alimentaient les conversations au sein du groupe et au sein des familles des
victimes, la portée idéologique du texte de ce que l'on pourrait
nommer de fin du monde lui paraît de moins en moins
significative. Jusqu'au jour où il s'aperçoit que le crash
d'avion est une réalité existentielle. Cette
intériorisation, Victor Hugo mais aussi et surtout Rimbaud, Claudel et
Gide, à sa manière, l'ont mise en oeuvre. Ils sont passé
de l'expression d'un conflit humain et
70 Patrick GRAINVILLE, le jour de la fin du monde,
une femme me cache, édition du Seuil, 2001.page 200
71 Op. cit.,
68
collectif à celle d'un conflit intime et individuel ou,
pour ce qui est de Gide, à une énergie créatrice.
Ainsi, Ce retournement, de la lecture de la fin du monde, peut
s'expliquer assez simplement par l'évolution de l'histoire
littéraire elle- même qui est marquée par un certain
individualisme, au bon sens du terme, en tous les cas dans le sens non
péjoratif du terme. A partir du milieu du XIXème siècle en
effet, la littérature devient une sphère autonome
d'activité. Les sociologues de la littérature expliquent assez
bien ce phénomène. Ils montrent comment, en particulier, le
marché des produits littéraires se développe à
cette époque, faisant vivre un nombre d'écrivains importants, qui
cessent donc, à partir de ce moment-là d'être
dépendants de quelque pouvoir que ce soit.
Le narrateur met l'accent sur le crash de l'avion qu'il
considère comme étant une fin du monde ; ensuite sur des meurtres
et vols, enfin sur des faits contre nature ; tel que le rapport incestueux
qu'Aiwala entretien avec sa soeur Bani, et l'excès de mensonge qui
existe ici et là. Face à de tels agissements, il est très
important de dire que le comportement des Hommes face à une telle
catastrophe pourrait être qualifié de pas commode.
C'est en tenant compte de toutes ces apories que nous avons
retenu la démarche thématique de Jean Pierre Richard. C'est aussi
grâce aux multiples autres approches que nous avons été
à mesure de faire ressortir les caractéristiques de la fin du
monde Grainvillienne. Le choix de cette démarche se justifie pour nous
parce qu'elle parait
cohérente dans la catégorie définie telle
que l'immanence textuelle. Car le sens est émanant au texte et seul le
texte détient son sens.
Enfin étant donné que la fin du monde peut
être perçue de diverses manières, mais nous nous sommes
appesanti uniquement sur les écrits de Grainville pour mieux discerner
sa conception singulière de la fin du monde. Quant bien même
d'autres peuvent la dépeindre autrement, mais nous nous sommes
passé du hors texte pour éviter tout contresens de notre
problématique quand bien même nous nous sommes servi d'autres
approches afin de mieux ressortir certain points importants de notre
problématique.
Pour ce qui est des perspectives, nous allons nous
référer à l'oeuvre de Jean-Luc Lagarce qui aborde quelques
années plus tôt dans son oeuvre ; Juste la fin du monde.
Juste la fin du monde est écrit par un homme qui se savait
condamné. Sans doute faut-il être proche de la mort pour avoir ce
souci obsessionnel de la justesse des mots. Chez Lagarce, il ne s'agit pas
d'une quelconque coquetterie de langage. C'est constitutif de son
écriture, exigeante, précise, absolument pas naturaliste. Cette
exigence de la forme transcende cette histoire de famille et lui confère
un caractère universel propre à toutes grandes oeuvres
littéraires. Comme dans l'oeuvre de Grainville celle de Lagarce parle
aussi de la fin du monde. Ainsi la fin du monde sur le plan physique se fait
par rapport au crash de l'avion. C'est le fait que ce crash ait causé la
mort de plus de 260 victimes dans une banlieue parisienne qui déclenche
la fin du monde morale chez Jérôme, Romane, Aiwala etc.
La fin du monde dans la Bible, c'est aussi l'apocalypse.
L'Apocalypse est le dernier livre de la Bible chrétienne. C'est une
révélation sur la fin du monde
Si le personnage de Jérôme étonne par son
caractère antithétique et insaisissable, il se démarque
aussi par la force et l'existence avec lesquelles il domine le récit.
Cette caractéristique du héros Grainvillien
constitue l'originalité de son ouvrage : il est difficile sinon rare de
trouver une oeuvre qui décrive et analyse avec autant vigueur.
70
GLOSSAIRE
Ce glossaire est nécessairement succinct. Pour des
définitions plus détaillées, le lecteur voudra bien se
reporter aux ouvrages cités en référence.
Actant/acteur : L'actant chez Greimas se
conçoit comme une classe d'acteurs. A ce titre, il relève
plutôt d'une syntaxe narrative, tandis que l'acteur, lui reste
reconnaissable au niveau du discours? particulier où il
se trouve manifesté.72
Analepse : Anachronie narrative se traduisant
par u retour en arrière. L'analepse se définit toujours par
rapport à un récit? premier sur lequel elle se
greffe ou dans lequel elle s'insère. Sur le plan temporel, Genette la
considère comme un récit ?second qui reste
subordonné au récit? premier dans la syntaxe
narrative73.
Diégèse : la diégèse
est l'autre terme pour désigner l'histoire. C'est l'univers
événementiel ou spatio-temporel désigné par le
récit.
Discours : Le discours se définit
à la fois comme le résultat d'une performance
(réalisé par un locuteur donné) et comme ·le
résultat(ou l'opération) de la concaténation de
phrase·74. Cette deuxième définition, qui
apparente le discours du texte ou à l'énoncé narratif, est
celle qui apparaît dans la plupart des occurrences de ce terme.
72 Voir : -Sémantique structurale,
Paris, Larousse, 1966, p. 175
- « Les actants, les acteurs et les figures», in
Sémiotique narrative et textuelle, ouvrage collectif
présenté par Claude Chabrol, Paris, Larousse,
1973,pp. 161-176.
73 G. Genette, Figure III, Paris, Seuil,
1972, p.
74Voir : Greimas et Courtes, op. cit., p. 87.
Générateur de texte : Mots ou
groupe de mots sui se répètent dans le texte. Les
générateurs tissent un réseau de redondances qui donnent
sa cohérence sémantique au texte narratif. Ils élaborent
pour ainsi dire l'architecture signifiante du récit
littéraire.
Intertexte : C'est l'ensemble
constitué par les textes (écrits ou oraux), les
référents politique, historique ou socio-culturel qui forment la
texture de l'oeuvre littéraire.
Littérarité :
Caractéristiques propres au texte littéraire et qui
permettent de le distinguer de toute autre production. La recherche des
conditions de littérarité permet d'éviter entre autres
l'explication biographique de l'oeuvre littéraire.
Métalepse narrative: Définie
par Genette comme une intrusion du narrateur ou du narrataire
extradiégétique dans l'univers
diégétique·75, la métalepse narrative
désigne tout segment discursif n'ayant aucune valeur
diégétique en soi, mais trahissant la seule présence du
narrateur dans l'histoire qu'il génère. Elle relève du
seul discours du narrateur par opposition au discours des personnages.
Métaphore/métonymie :
Métaphore et métonymie font parti des figures du discours qui
donnent à la fois son charme et sa vigueur-persuasive ou didactique-au
texte narratif. La métaphore opère par assimilation totale entre
deux termes dont un seul se trouve manifesté. Elle consiste à une
substitution lexicale qui modifie nécessairement le sens du
lexème présent. La métonymie quant à elle juxtapose
les lexèmes qui entrent en relation. Elle assimile à partir d'un
point de ressemblance les deux réalités évoquées
par les termes coprésents. Il s'agit donc d'une
75G. Genette, op. cit., p. 244.
72
assimilation partielle, d'une relation partielle, d'une relation
par contiguïté, d'un rapport contextuel.
Micro-séquence : La plus petite
unité fonctionnelle de l'analyse structurale. La micro-séquence
représente une unité d'action identifiable et nommable lors de la
décomposition/déconstruction de l'univers romanesque. Barthes la
considère comme le ·grain le plus fin du tissu narra
tif·76.
Narrateur/narrataire : Narrateur et
narrataire sont les deux protagonistes de la communication littéraire.
Instance fictive (et neutre) qui assume l'acte de narration ou
d'énonciation, le narrateur ne saurait se confondre avec la personne
physique de l'auteur. Son corollaire, immédiat est le narrataire,
instance-toujours fictive- à laquelle est adressé le message
narratif. Lui aussi est nécessairement présent ou virtuel dans
l'acte de narration auquel il est étroitement lié.
Récit : Nous proposons nous proposons
ici deux des trois définitions qu'en donne Genette77 :
a) Enoncé narratif, discours oral ou écrit qui
assume la réaction d'un événement ou d'une série
d'événements. Ce sens apparente le récit au texte.
b) Succession d'événements, réels ou
fictifs, qui font l'objet de ce discours, et leurs diverses relations
d'enchaînement, d'opposition, de répétition. Le
récit devient alors synonyme d'histoire, de diégèse.
76 R. Barthes, op. cit., p. 14.
77 G. Genette, op. cit., p. 71.
Référent :
Réalité non linguistique à laquelle renvoie le signe. Le
référent est extérieur au signe et n'entretient aucun
rapport direct avec celui-ci.
Rhétorique : La rhétorique est
à la fois l'art du bien parle et l'art du discours efficace. Elle
témoigne d'une utilisation intentionnelle des éléments du
discours. Elle se propose de toucher, d'émouvoir, de persuader, de
convaincre le destinataire du discours littéraire.
Scène/sommaire : la scène et le
sommaire sont les deux formes canoniques de restitution de l'action
romanesque.
a) La scène se charge de reporter/restituer dans le
détaille certains faits ou actions de la trame narrative. Elle
réalise de ce fait une sorte d'égalité entre le temps
d'histoire et le temps du récit.
b) Le sommaire quant à lui résume les faits
dont il doit prendre compte. Il opère pour cela une condensation des
faits et une compression du temps d'histoire.
Sémiotique/sémiologie : Si
initialement sémiotique et sémiologie ont des visées
similaires, se proposant toutes deux l'étude du signe en
général, il faut bien reconnaître qu'elles ne recouvrent
plus guère le même espèce de définition. La
sémiologie nous dit Barthes, · a pour objet tout
système de signes, quelle qu'en soit la substance, quelles qu'en soient
les limites·78. Puis que la sémiologie constitue
l'englobant des systèmes de significations, la sémiotique dans
désignera les englobés(ou systèmes particuliers) de cette
science générale des signes.
78 R. Barthes, Présentation de
Communication, n°4, Paris, Seuil. 1964, p. 1.
Signe : Le signe est la combinaison d'un
concept (signifié) et d'une image acoustique (signifiant).
L'unité du signe réside dans l'indissociabilité du
signifiant et du signifié, dans la relation de solidarité
réciproque(ou fonction sémiotique qui les lie.
Syntagme/paradigme : Syntagme et paradigme
sont les deux axes du langage. L'axe syntagmatique, ou horizontal,
représente l'axe des combinaisons. C'est la chaine linéaire qui
enchaine bout à bout les différents éléments
manifestés dans l'énoncé. L'axe paradigmatique, ou
vertical, représente l'axe des substitutions. Il désigne la
·classe d'éléments susceptibles d'occuper une
même place dans la chaine syntagmatique, ou ensemble
d'éléments substituables les uns aux autres dans un même
contexte·79.
Texte : Ensemble structuré de signes
se caractérisant par une autonomie, un contenu sémantique
homogène et une clôture. Le texte est autonome dans ce sens qu'il
a un début et une fin. Mais le texte quelquefois peut être pris
dans le sens de ·corpus·, d'où l'expression
·texte-objet·. Quant à l'emploi de ·texte
narratif·, se trouve privilégiée ici l'activité
énonciatrice qui donne forme et existence au texte.
74
79 Greimas et Courtès, op., p. 267.
Patrick Grainville Ecrivain français et
critique littéraire Né à Villers-sur-Mer en
1947
BIOBIBLIOGRAPHIE
Après une enfance non loin de Deauville, Patrick
Grainville devient agrégé de lettres et professeur de
français. Il est également critique littéraire et membre
du jury Médicis. Son premier roman 'La Toison' sort en 1972,
suivi de 'La Lisière' en 1973 et de 'L'Abîme' en
1974. En 1976 il obtient le prix Goncourt pour 'Les Flamboyants'. Il
est aussi l'auteur de 'La Diane rousse' (1978), 'Les Forteresses
noires' (1982), 'L' Orgie, la neige' (1990) qui obtient le prix
Guillaume le Conquérant, 'Le Lien' (1996), 'Le Tyran
éternel' (1998), 'Le Jour de la fin du monde, une femme me
cache' (2001) et 'La Joie d'Aurélie' (2004). Dans 'La
Main blessée', publié en 2005, le héros ne peut plus
écrire, malgré toutes sortes de traitements. Un roman dans le
style foisonnant typique de Grainville, une écriture folle, un univers
délirant où il mêle femmes, chevaux, Eros et
écriture. Patrick Grainville habite Maisons-Laffitte et est professeur
de français au lycée de Sartrouville, un métier qui, selon
ses propres dires, lui garde les pieds dans la réalité. Ses
envolées lyriques lors de ses participations récurrentes à
l'émission de Bernard Pivot lui ont valu une certaine
notoriété. En 2008, Patrick Grainville écrit
'Lumière du rat', un roman plein de fantaisie,
d'érotisme et d'humour.
76
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CORPUS DE BASE
Grainville(P.), Le jour de la fin du monde, une femme me
cache, Points, 2002.
I- CORPUS GENERAL DE L'AUTEUR
- La Toison, Gallimard, 1972
- La Lisière, Gallimard, 1973
- L'Abîme, Gallimard, 1974
- Les Flamboyants, prix Goncourt,
Seuil, 1976 et « Points », n° P195
- La Diane rousse, Seuil, 1978 et
« Points », n° P838
- Bernard Louedin, Bibliothèque
des arts, 1980
- Le Dernier Viking, Seuil, 1980 et
« Points », n° P1210 - L'Ombre de la
bête, balland, 1981
- Les Forteresses noires, Seuil 1982 et
« Points », n° P839
- La Caverne céleste, seuil,
1984 et « Points Roman», n° R 246
- Le Paradis des orages, Seuil, 1984 et
« Points », n° P24 - L'Atelier du
peintre, Seuil, 1988 et « Points », n° P420
- L'Orgie, la neige, Seuil, 1990 et
« Points Roman », n°
R421
- Colère, Seuil, 1992 et «
Points Roman », n° R615
- Egon Schiele, Editions
Flohic, 1992, réédité sous le titre de
l'Ardent Désir, Editions Flohic, 1996
- Georges Mathieu(en collaboration),
Nouvelle Editions française, 1993
- L'Arbre-Piège, Seuil,
1993, « Petit », n° PPT57
- Les Anges et les Faucons, Seuil
et « Points », n°P203
- Richard Texier, La Différence,
1995, réédité revue et augmentée 1999
- Le Secret de la pierre noire,
Nathan, 1995
- Le Lien, Seuil, 1996, et
« Points », n° P338
- Le Tyran éternel,
1998 Seuil, et « Points », n° P620 - Les Singes
voleurs, Fleurus, 2000
- Le Rire du géant, Fleurus,
2000
- La Joie d'Aurélie,
Seuil, 2004, et « Points », n° P1311
- Le Nu foudroyé (en
collaboration avec Lucien Clergue et Gérard Simoën) Actes Sud,
2004
- Les Princes de l'Atlantique, (en
collaboration avec François Rousseau), Fitway, 2005
- La Main blessée, Seuil,
2006
- Lumière du rat, Seuil, 2008
II- AUTRES OEUVRES SUR LE THEME
- Les Saintes Ecritures, Traduction du monde nouveau, Watchtower,
Bible, 1995.
III- OEUVRES CRITIQUES ET METHODOLOGIQUES
78
Benacle, H, 1998, Guide des idées
Littéraires, Hachette, Paris.
Brunel, Pierre, 1974, L'évocation des Morts et la
descente aux enfers, « Homère Virgile Dante Claude,
»Paris, Sedes.
Berguez, D, 1990 Introduction aux méthodes
critiques, Bordas. Tadié, J, Y, La critique littéraire au
XXè siècle.
Genette, (G), 1982, Palimpsestes, Paris, seuil, p.
20.
Michel Arrivé, 1982, La sémiotique
littéraire, In sémiotique, l'école de Paris,
Paris, Classiques Hachette, 145 p.
J. Courtés, 1076, Initiation à la
sémiotique narrative et discursive, Paris, Hachette
Université, p. 33.
Charles Boulon, 1979, La signification : Contribution
à une linguistique de la parole, Paris, Klincksieck, p. 155.
Greimas, avant-propos à Les enjeux de la
sémiotique, op. Cit. p. 6. Greimas, 1970, Du sens, Paris,
seuil, p. 17.
Christian Metz, 1968, Essai sur la signification au
cinéma, Paris, Klincksiek, p. 27, cité par Nicolas MBA ZUE
dans sa thèse de doctorat.
Jaap Lintvilt, 1981, Essai de typologie narrative,
Paris, Librairie José Corti, p. 50.
Roland Barthes, 1966, " Introduction à
l'analyse structurale des récits", in Communication 8,
p.3
Gérard Genette, 1972, Figures III, Paris, Seuil,
p. 165.
Mieke Bal, 1977, Narratologie, Paris, Ed. Klincksieck,
p. 31.
79
Roland Barthes, 1953 et 1972, "L'écriture du
roman", in Le degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil,
pp.25-32
Jean Pouillon, Temps et roman 1997 Gallimard
(Editions)
BENVENISTE Emile, Problèmes de linguistique
générale, 1, 1966, Paris, Gallimard.
Gérard Prince, 1972, cité par Tzvetan TODOROV dans
« qu'est-ce que le structuralisme ? » in Poétique,
Paris, Gallimard, p. 59.
IV- DICTIONNAIRE
Micro Robert, Paris, Hatier, 1998.
V- MOTEURS DE RECHERCHE
http://www.revueanalyses.org
http://www.google.com
http://www
wikipédia.com
80
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE
DEDICACE
REMERCIEMENTS
EXERGUE
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE : LES.INDICES THEMATIQUES DE LA FIN DU MONDE
10
CHAPITRE PREMIER : La vision du monde selon Grainville .11
1.1.1. La fin du monde, vue à travers les personnages de
Jérôme, Dolorès et Romane 12 1.1.2. Définitions
de la violence : Une analyse multiple de la notion de
violence 17
CHAPITRE DEUXIEME : Les signes avant- coureurs de la fin du monde
22
I. 2. 1. Les données temporelles ..23
I. 2. 2. La pertinence du phénomène affabulatoire
27
I. 2. 3. Le crash de l'avion une tragédie ..28
CONCLUSION PARTIELLE .29
DEUXIEME PARTIE : L'ANALYSE DU DISCOURS .31
CHAPITRE TROISIEME : La transmission du message narratif 32
II. 3. 1. L'instance narrative 33
II. 3. 2-Le statut du narrateur .33
|
CHAPITRE QUATRIEME : Les Fonctions du Narrateur ..39
II. 4. 1 La fonction narrative
|
39
|
II. 4. 2. La fonction de régis
|
40
|
II. 4. 3. La fonction de communication
|
.41
|
II. 4. 4. La fonction testimoniale
|
41
|
II. 4. 5. Les Fonctions du Narrataire
|
.42
|
TROISIEME PARTIE : De l'écriture au mythe de l'auteur
|
44
|
CHAPITRE CINQUIEME : La fin du monde dans l'oeuvre
|
..45
|
III. 5. 1. L'écriture de la perte
|
.45
|
III. 5. 2. La fin du monde chez d'autres auteurs
|
.51
|
CHAPITRE SIXIEME : L'esthétique de la fin du monde dans
l'oeuvre.. .53
III. 6. 1. La scène comme lieu de
théâtralisation des faits narratifs : les
rues, les reporters et les psychologues
III. 6. 2. L'inceste : Aiwala et Bani ou le mythe d'Isis et
d'Osiris
|
..53
.57
|
III. 3. 4. La symbolique des arbres de vie ou le mythe d'Atys et
de
|
|
Cybèle
|
62
|
CONCLUSION PARTIELLE
|
..65
|
CONCLUSION GENERALE
|
.66
|
GLOSSAIRE
|
70
|
BIOBIBLIOGRAPHIE
|
..75
|
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUE
|
.76
|
TABLE DES MATIERES
|
80
|
|