L'"arbitralisation" de la cour internationale de justice: une étude critique( Télécharger le fichier original )par Pierre Barry NJEM IBOUM Institut des Relations Internationales du Cameroun - Diplome d'Etudes Supérieures Spécialisées 2010 |
SECTION 2L'INDÉPENDANCE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE. Conceptualisée311(*), consacrée312(*) et matérialisée313(*) , l'indépendance314(*) de la Cour est un élément déterminant et structurant du caractère judiciaire de la Cour. Si elle peut être d'une certaine façon sous-entendue dans l'éloignement du siège de la Cour315(*) de celui de l'Organisation316(*) dont elle est un organe, elle est plus évidente au travers de la visée téléologique de la Cour. Juchée sur son piédestal de droit (international) la Cour adopte une posture transcendantale d'un souverain qui administre d'une façon juste et idyllique ses administrés317(*). Posture louable et idoine d'un juge impartial. Mais cette vue pourrait être en réalité relativisée318(*) sûrement du point de vue de l'impartialité à certains égards des juges de la Cour, mais pas du point de vue de l'autonomie de la Cour. Celle-ci est apparente dans le procédé (B) que la Cour utilise pour rendre son verdict de même l'est-elle dans la mécanique de fonctionnement de la Cour (A).
PARAGRAPHE 1L'autonomie institutionnelle de la Cour. La Cour affiche une véritable indépendance vis-à-vis des parties à l'instance (A), et certains éléments déterminants ont été prévu pour asseoir l'indépendance des juges dans leurs fonctions (B). A- indépendance vis-à-vis des parties à l'instance. Comme relevé précédemment, l'indépendance de la Cour ne s'entend pas ici à l'égard du système onusien tout entier, mais répondant à la problématique développée dans cette partie, elle s'entend à l'égard principalement des parties et d'une certaine façon des autres organes de l'ONU. S'arrêtant sur cette question le Juge Guillaume affirmait que « l'indépendance d'une juridiction est fonction non seulement des modalités de nomination des juges et de leur statut, mais encore des conditions dans lesquelles est organisée et fonctionne la juridiction en cause319(*) ». Dans cette hypothèse comme le rappelle fort opportunément l'article 4 du Statut de la Cour, elle est composée de juges élus par le Conseil de sécurité et par l'Assemblée générale des Nations Unies. Si les juges sont des nationaux des États et sont présentés par eux, ils n'en sont pour autant pas des représentants au sein de la Cour320(*), ils n'en sont pas plus des avocats de leurs Etats. Une étude de M. Suh portant sur la période 1922-1967 relevée par Gilbert Guillaume montre que - dans environ 1/6e des cas, le juge national a voté, avec la majorité de la Cour, contre son propre pays ; - dans 2% des cas, il a voté contre son propre gouvernement, alors que la majorité de la Cour était favorable à ce gouvernement321(*) ; Les juges de la Cour sont donc indépendants des États quand bien même ils en sont des nationaux. De plus certaines mesures ont été prises pour conforter cette indépendance. B- incompatibilités et inamovibilité éléments d'indépendance des juges de la Cour. Un autre élément à retenir dans l'affirmation d'une indépendance des juges est sans nul doute les incompatibilités prévues avec cette fonction. Ainsi au-delà du voeu formulé à l'entrée en fonction322(*), l'assurance d'une impartialité des juges est synthétisée dans les articles 16323(*) et 17324(*) du Statut de la Cour. Dans la pratique des juges ont dû à certains moments refuser de siéger dans certaines affaires325(*). En plus de cette indépendance des juges de la Cour assurée également par leur inamovibilité ainsi que par les immunités et privilèges dont ils jouissent326(*), l'indépendance institutionnelle de la Cour se traduit comme l'a dit précédemment le juge Guillaume par le fonctionnement de la Cour. Dans cette perspective la Cour est régie par un Statut327(*) et fonctionne selon un Règlement qu'elle a adopté328(*). De même qu'elle élabore des instructions de procédure, des résolutions visant sa pratique en matière judiciaire, adressant même des notes aux États concernant la préparation des pièces de procédure329(*). Elle n'est donc pas « un tribunal arbitral constitué par l'accord spécial des parties en vue de statuer sur un différend particulier, mais une institution préétablie par un acte international qui en définit la compétence et en règle le fonctionnement 330(*)». C'est dire que les parties en litige ne peuvent décider de moduler à leur guise toute la mécanique de cette charpente. Plus encore et participant également à démontrer cette autonomie de la Cour, celle-ci élit son Greffier331(*) - dont la candidature est présentée par les membres de la Cour - et peut pourvoir à la nomination de tels autres fonctionnaires qui seraient nécessaires332(*), le Greffier étant responsable devant la Cour333(*). Mais ce n'est pas tout. A l'interne comme à l'international « à l'autonomie institutionnelle du judiciaire répond [...] son autonomie méthodologique »334(*). * 311 Cela peut paraître de la nature judiciaire de la Cour - et non par exemple arbitrale ou politique - qui l'éloigne des parties litigantes, mais aussi du fait que la Cour soit placée en tant qu'organe principal des Nations Unies au même rang que les autres organes de l'Organisation notamment le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale. Article 7 de la Charte des Nations Unies. * 312 Voir par exemple l'Article 2 du Statut de la Cour. * 313 Voir titre A et B infra. * 314 Loin de nous l'idée d'une indépendance absolue de la Cour vis-à-vis de l'ONU, puisque comme un cordon ombilical des liens indéfectibles relient la Cour à cette organisation. Nous retiendrons à titre d'exemple le financement du fonctionnement de la Cour (article 33 du Statut), ou encore l'article 94 de la Charte, l'article 77 du Règlement, les articles 4 à 12 du Statut etc. * 315 La Haye (Pays-Bas). * 316 New-York (Etats-Unis d'Amérique). * 317 Un bon roi Salomon en somme. * 318 Voir dans la première partie, Chapitre I - Section II - Paragraphe I - B. * 319 Gilbert Guillaume, « l'indépendance des membres de la CIJ » in la cour internationale de justice à l'aube du XXIeme siècle, le regard d'un juge, Paris, Pedone 2003, 343 p. à la page 117. * 320 Même si l'on peut relativiser cette idée avec l'institution du juge ad hoc au sein de la Cour et aussi la présence continuelle depuis la création des juges ayant la nationalité des États membres permanents du Conseil de sécurité. * 321 SUH, `'Voting Behaviour of National Judges in International Courts», American Journal of International Law, 1969, pp.63-224; cité par Gilbert Guillaume op. cit. à la page 119. * 322 Article 20 du Statut de la Cour qui dispose : « tout membre de la Cour doit avant d'entrer en fonction, en séance publique, prendre l'engagement solennel d'exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute conscience ». * 323 Article 16 : « 1. Les membres de la Cour ne peuvent exercer aucune fonction politique ou administrative, ni se livrer à aucune autre occupation de caractère professionnel.2. En cas de doute, la Cour décide ». * 324Celui-ci prévoit que « 1.les membres de la Cour ne peuvent exercer les fonctions d'agent, de conseil ou d'avocat dans aucune affaire. 2. ils ne peuvent participer au règlement d'aucune affaire dans laquelle ils sont antérieurement intervenus comme agents, conseils ou avocats de l'une des parties, membres d'un tribunal national ou international, d'une Commission d'enquête, ou à tout autre titre. 3. en cas de doute, la Cour décide» * 325 C'est ainsi que se sont déportés le juge Lauterpacht dans l'affaire Nottebohm (1955), le juge Jessup dans celle du Temple de préah Vihéar (1962), Sir Zafrullah Khan dans la Barcelona traction (1964) , Sir Robert Jennings sur le recours en révision de la Tunisie dans le différend l'opposant à la Libye (1982) ; de même en est-il du juge Keba Mbaye qui avait participé aux efforts de médiation de l'OUA dans l'affaire opposant le Burkina Faso au Mali avant que la Cour soit saisie(1986), du juge Bedjaoui dans l'affaire Guinée-Bissau/Sénégal où était contestée une sentence arbitrale à laquelle l'intéressé avait concouru (1991). Voir Gilbert Guillaume « l'indépendance des membres de la CIJ » op. cit. à la page 115. * 326 Gilbert Guillaume « l'indépendance des membres de la CIJ » op. cit. à la page 116. Voir au sujet de l'inamovibilité des juges l'article 18 du Statut de la Cour et au sujet des immunités et privilèges l'article 19 du Statut. * 327 Art. 1er du Statut de la Cour. * 328 Art. 30 du Statut de la Cour. * 329 Documents consultables sur le site de la Cour. http:// www.icj-cij.org * 330 Affaire Nottebohm (Lichtenstein c. Guatemala), Exceptions préliminaires, C.I.J. 1953, Rec. 111 à la p. 119. * 331 Art.22 par.1 du Règlement. * 332 Art.25 par. 1 du Règlement. * 333 Art. 26 par. 3 du Règlement. * 334 Francois OST, « Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de justice » dans Philippe Gérard, Michel Van de Kerchove et Francois Ost, (dir.), Fonction de juger et pouvoir judiciaire : transformations et déplacements, Bruxelles, publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1983, 447 p. à la p. 57. cité par Fouret et Prost op. cit. à la page 205. |
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