Les établissements pénitentiaires pour mineurs: l'identité des personnels en question( Télécharger le fichier original )par Olivier CHEVRIER école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse - chef de service éducatif PJJ 2007 |
Les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs : L'identité des personnels en question. « En face de vous, il y a des éducateurs, Des gens qui trafiquent avec la population pénale, Méfiez-vous d'eux » Discours tenu à l'École Nationale De l'Administration Pénitentiaire dans les années 1970-801(*) IntroductionEn réponse à une délinquance des mineurs toujours en évolution, étroitement liée à l'état du moment de la société, la politique criminelle en direction des jeunes oscille entre une réponse pénale plus ou moins ferme, mais elle conserve toujours une préoccupation éducative. Aujourd'hui, l'Administration Pénitentiaire (A.P) et la Protection Judiciaire de la Jeunesse (P.J.J) s'allient pour élaborer un nouvel outil de prise en charge des mineurs auteurs récidivistes d'infractions pénales : les établissements pénitentiaires pour mineurs (E.P.M). L'A.P avait depuis longtemps la préoccupation d'améliorer la prise en charge des jeunes détenus. Dans cette optique, il était apparu nécessaire de créer au sein des maisons d'arrêt des quartiers pour mineurs afin d'éviter la promiscuité d'avec les adultes. La PJJ n'était pas étrangère à ce dispositif, soit dans le cadre d'un suivi éducatif préexistant à une incarcération, soit par l'intervention continue d'éducateurs en quartier mineur2(*). La différence majeure de ce nouveau projet institué par la loi3(*) est la perspective d'un travail conjoint de prise en charge au quotidien d'un groupe de jeunes détenus sous l'égide commune d'un surveillant et d'un éducateur de la PJJ. Selon Jean-louis Daumas, responsable du dossier E.P.M à la direction de la P.J.J : « Pour la première fois, il y aura pour les mineurs incarcérés, une présence éducative continue d'adultes, de 7h30 à 21h30 4(*)». Bien que le fonctionnement de ces E.P.M ne soit pas encore défini dans des modalités détaillées, leurs directions comme celles des autres prisons relèvera de l'administration pénitentiaire seule. L'organisation de la journée relèvera quant à elle de la responsabilité de la P.J.J. Au-delà, il s'agit de s'interroger sur ce partenariat entre deux administrations du Ministère de la Justice et sur ce qu'il peut renvoyer aux uns et aux autres sur leur identité professionnelle. Dans cette approche, il est indispensable de s'éloigner de toute polémique que pourrait susciter la mise en place de ce nouvel outil de politique pénale5(*). Le débat ne porte pas ici sur le concept de « peine-éducative ». Ce travail se veut avant tout non partisan, et vise le plus objectivement possible à évaluer une nouvelle perspective de travail. Autrement dit, que suscite cette orientation de la justice des mineurs et comment répondre aux questionnements qui émergent ? On pressent d'ores et déjà que c'est la question de la formation des personnels encadrants qui est en jeu (celle des éducateurs amenés à travailler en E.P.M mais aussi celle des surveillants de ces nouveaux quartiers mineurs). Dans cette perspective, plusieurs problématiques viennent aussitôt à la réflexion : - Que suscite professionnellement cette volonté de travailler ensemble ? Comment mettre en commun ou en synergie deux savoirs, deux expériences institutionnelles voire deux identités professionnelles sur un même sujet : à savoir la prise en charge des mineurs délinquants. - Comment orienter la formation pour assurer un réel travail partenarial ? Et comment répondre à l'enjeu de l'émergence d'une adaptation de l'identité professionnelle de chacun ? Mais avant d'aller plus loin dans la démonstration, il est nécessaire de faire un bref rappel historique des modèles pénitentiaires6(*) et des fonctions de la peine afin de cerner au mieux dans quelle perspective se situe la mise en place des E.P.M. Historiquement, l'idée générale était de faire de la prison l'instrument par excellence de la politique pénale. Aujourd'hui, on se rend compte que la prison ne peut être qu'un instrument résiduel de la politique répressive. Face à ce constat, comment situer la mise en place des E.P.M ? Cette institution restera-t-elle une réponse exceptionnelle à la récidive ou bien connaîtra-elle un glissement vers un recours plus systématique à la détention des mineurs ? A partir de la révolution de 1789, la politique répressive aidée en cela par les philosophes des lumières adopte l'idée selon laquelle la privation de la liberté individuelle est le levier par lequel il faut agir pour limiter la criminalité. C'est la naissance de la prison comme recours à la lutte contre la délinquance. En 1826, est imaginé le modèle pennsylvanien ou philadelphien caractérisé par l'emprisonnement cellulaire de jour comme de nuit. L'idée est de produire un isolement total du condamné (avec l'aide par exemple du port d'une cagoule pour éviter tout moyen de communication entre détenus). A partir de 1816 et jusqu'à la moitié du 19ème siècle, c'est le modèle auburnien (initié à New York) qui est privilégié. Les détenus travaillent en commun la journée avec pour règle absolue celle du silence et la nuit, celle de l'isolement. C'est à cette période que les colonies pénitentiaires sont créées. Entre la fin du 19ème siècle et jusqu'à la moitié du 20ème siècle, le modèle de Norfolk (en Angleterre) est expérimenté. Ce régime dit progressif ou « irlandais » repose sur le principe selon lequel : « celui qui à la clef de la porte la mets dans la serrure ». En fait, il correspond à la mise en place d'un système de points de bonne conduite qui vient contrebalancer le passif du détenu. En France, les années 1945-50 connaissent la réforme Paul AMOR. La philosophie du projet repose sur le principe que la prison doit être un instrument de correction, tendant d'abord à l'amélioration et à l'instruction de l'individu. Puis, avec la réforme pénale de 1958, on tend finalement vers un régime progressif. Les permissions de sortie, la libération conditionnelle, la semi-liberté sont mises en place. Cependant, depuis 1975, il y a un abandon du système progressif pour les longues peines, et c'est finalement le système auburnien qui domine. Quant aux courtes peines privatives de liberté, c'est en principe le système philadelphien qui devrait être privilégié, mais au vu de la surpopulation carcérale, il n'est pas appliqué dans les faits (emprisonnement cellulaire adouci). Pour se faire une idée encore plus précise sur la question des E.P.M, il convient de rappeler brièvement quelles sont en criminologie et à plus forte raison en pénologie, les fonctions attribuées classiquement à la peine privative de liberté. Sachant que ces fonctions donnent à leur tour naissance à plusieurs modèles de pénalité. Ces fonctions sont la rétribution, la prévention générale et spéciale, la neutralisation et la restauration7(*). Ces rappels effectués, ils permettent déjà de mettre en perspective l'orientation actuelle de la politique pénale à l'encontre des mineurs, et d'aborder la problématique choisie : En quoi les E.P.M influent-ils sur la notion d'identité professionnelle ? Qu'est-ce qui est en jeu sur cette question dans le partenariat entre la Protection Judiciaire de la Jeunesse et l'Administration Pénitentiaire au sein des E.P.M ? Une hypothèse de réflexion consiste à s'interroger sur ce que suscite cette volonté de travailler ensemble ? C'est la question de la formation des personnels qui est amenée à être étudiée. Il s'agira donc dans une première partie de mettre en lumière l'existence d'une prise en charge différentielle des mineurs délinquants à l'A.P et à la P.J.J à partir de mon expérience professionnelle. Puis, à partir de mon expérience d'intervention à l'E.N.A.P, j'esquisserai la perspective d'un travail en partenariat. Enfin, dans la dernière partie, je tenterai d'élaborer un modèle de formation initiale pour les agents des E.P.M. * 1. C. Carlier, Les surveillants au parloir, éd. De l'atelier, coll. Champs pénitentiaires, 1996, 191 p., p. 112. * 2. L'intervention continue d'éducateurs de la P.J.J auprès des mineurs incarcérés a débuté en 2003. * 3. Loi d'Orientation et de Programmation pour la Justice du 9 septembre 2002 dite LOPJ. * 4. Journal Le Monde du 13 septembre 2005. * 5. Sur cette notion V. Que sais-je de Christine LAZERGES. * 6. J-P.DELMAS SAINT HILAIRE, Cours de science pénitentiaire, Faculté de droit de Bordeaux, 1992. V. aussi B. BOULOC, Pénologie, Précis Dalloz, éd. Dalloz, 1991, 401 p. * 7. G. HOUCHON, Cours de pénologie, Université de Louvain, 1995 |
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