Les Etablissements
Pénitentiaires pour Mineurs :
L'identité des personnels en
question.
« En face de vous, il y a des
éducateurs,
Des gens qui trafiquent avec la population
pénale,
Méfiez-vous d'eux »
Discours tenu à l'École Nationale
De l'Administration Pénitentiaire dans les années
1970-801(*)
Introduction
En réponse à une délinquance des mineurs
toujours en évolution, étroitement liée à
l'état du moment de la société, la politique criminelle en
direction des jeunes oscille entre une réponse pénale plus ou
moins ferme, mais elle conserve toujours une préoccupation
éducative.
Aujourd'hui, l'Administration Pénitentiaire (A.P) et la
Protection Judiciaire de la Jeunesse (P.J.J) s'allient pour élaborer un
nouvel outil de prise en charge des mineurs auteurs récidivistes
d'infractions pénales : les établissements
pénitentiaires pour mineurs (E.P.M).
L'A.P avait depuis longtemps la préoccupation
d'améliorer la prise en charge des jeunes détenus. Dans cette
optique, il était apparu nécessaire de créer au sein des
maisons d'arrêt des quartiers pour mineurs afin d'éviter la
promiscuité d'avec les adultes. La PJJ n'était pas
étrangère à ce dispositif, soit dans le cadre d'un suivi
éducatif préexistant à une incarcération, soit par
l'intervention continue d'éducateurs en quartier mineur2(*).
La différence majeure de ce nouveau projet
institué par la loi3(*) est la perspective d'un travail conjoint de prise en
charge au quotidien d'un groupe de jeunes détenus sous l'égide
commune d'un surveillant et d'un éducateur de la PJJ. Selon Jean-louis
Daumas, responsable du dossier E.P.M à la direction de la P.J.J :
« Pour la première fois, il y aura pour les mineurs
incarcérés, une présence éducative continue
d'adultes, de 7h30 à 21h30 4(*)».
Bien que le fonctionnement de ces E.P.M ne soit pas encore
défini dans des modalités détaillées, leurs
directions comme celles des autres prisons relèvera de l'administration
pénitentiaire seule. L'organisation de la journée relèvera
quant à elle de la responsabilité de la P.J.J. Au-delà, il
s'agit de s'interroger sur ce partenariat entre deux administrations du
Ministère de la Justice et sur ce qu'il peut renvoyer aux uns et aux
autres sur leur identité professionnelle.
Dans cette approche, il est indispensable de s'éloigner
de toute polémique que pourrait susciter la mise en place de ce nouvel
outil de politique pénale5(*). Le débat ne porte pas ici sur le concept de
« peine-éducative ». Ce travail se veut avant tout
non partisan, et vise le plus objectivement possible à évaluer
une nouvelle perspective de travail. Autrement dit, que suscite cette
orientation de la justice des mineurs et comment répondre aux
questionnements qui émergent ?
On pressent d'ores et déjà que c'est la question
de la formation des personnels encadrants qui est en jeu (celle des
éducateurs amenés à travailler en E.P.M mais aussi celle
des surveillants de ces nouveaux quartiers mineurs). Dans cette perspective,
plusieurs problématiques viennent aussitôt à la
réflexion :
- Que suscite professionnellement cette volonté de
travailler ensemble ? Comment mettre en commun ou en synergie deux
savoirs, deux expériences institutionnelles voire deux identités
professionnelles sur un même sujet : à savoir la prise en
charge des mineurs délinquants.
- Comment orienter la formation pour assurer un réel
travail partenarial ? Et comment répondre à l'enjeu de
l'émergence d'une adaptation de l'identité
professionnelle de chacun ?
Mais avant d'aller plus loin dans la démonstration, il
est nécessaire de faire un bref rappel historique des modèles
pénitentiaires6(*) et
des fonctions de la peine afin de cerner au mieux dans quelle perspective se
situe la mise en place des E.P.M.
Historiquement, l'idée générale
était de faire de la prison l'instrument par excellence de la politique
pénale. Aujourd'hui, on se rend compte que la prison ne peut être
qu'un instrument résiduel de la politique répressive. Face
à ce constat, comment situer la mise en place des E.P.M ? Cette
institution restera-t-elle une réponse exceptionnelle à la
récidive ou bien connaîtra-elle un glissement vers un recours plus
systématique à la détention des mineurs ?
A partir de la révolution de 1789, la politique
répressive aidée en cela par les philosophes des lumières
adopte l'idée selon laquelle la privation de la liberté
individuelle est le levier par lequel il faut agir pour limiter la
criminalité. C'est la naissance de la prison comme recours à la
lutte contre la délinquance.
En 1826, est imaginé le
modèle pennsylvanien ou philadelphien caractérisé par
l'emprisonnement cellulaire de jour comme de nuit. L'idée est de
produire un isolement total du condamné (avec l'aide par exemple du port
d'une cagoule pour éviter tout moyen de communication entre
détenus). A partir de 1816 et jusqu'à la moitié du
19ème siècle, c'est le modèle auburnien
(initié à New York) qui est privilégié. Les
détenus travaillent en commun la journée avec pour règle
absolue celle du silence et la nuit, celle de l'isolement. C'est à cette
période que les colonies pénitentiaires sont
créées.
Entre la fin du 19ème siècle et
jusqu'à la moitié du 20ème siècle, le
modèle de Norfolk (en Angleterre) est expérimenté. Ce
régime dit progressif ou « irlandais » repose sur le
principe selon lequel : « celui qui à la clef de la
porte la mets dans la serrure ». En fait, il correspond à
la mise en place d'un système de points de bonne conduite qui vient
contrebalancer le passif du détenu.
En France, les années 1945-50 connaissent la
réforme Paul AMOR. La philosophie du projet repose sur le principe que
la prison doit être un instrument de correction, tendant d'abord à
l'amélioration et à l'instruction de l'individu. Puis, avec la
réforme pénale de 1958, on tend finalement vers un régime
progressif. Les permissions de sortie, la libération conditionnelle, la
semi-liberté sont mises en place. Cependant, depuis 1975, il y a un
abandon du système progressif pour les longues peines, et c'est
finalement le système auburnien qui domine. Quant aux courtes peines
privatives de liberté, c'est en principe le système philadelphien
qui devrait être privilégié, mais au vu de la surpopulation
carcérale, il n'est pas appliqué dans les faits (emprisonnement
cellulaire adouci).
Pour se faire une idée encore plus précise sur
la question des E.P.M, il convient de rappeler brièvement quelles sont
en criminologie et à plus forte raison en pénologie, les
fonctions attribuées classiquement à la peine privative de
liberté. Sachant que ces fonctions donnent à leur tour naissance
à plusieurs modèles de pénalité. Ces fonctions sont
la rétribution, la prévention générale et
spéciale, la neutralisation et la restauration7(*).
Ces rappels effectués, ils permettent
déjà de mettre en perspective l'orientation actuelle de la
politique pénale à l'encontre des mineurs, et d'aborder la
problématique choisie :
En quoi les E.P.M influent-ils sur la notion
d'identité professionnelle ? Qu'est-ce qui est en jeu sur
cette question dans le partenariat entre la Protection Judiciaire de la
Jeunesse et l'Administration Pénitentiaire au sein des E.P.M ?
Une hypothèse de réflexion consiste à
s'interroger sur ce que suscite cette volonté de travailler
ensemble ? C'est la question de la formation des personnels qui est
amenée à être étudiée. Il s'agira donc dans
une première partie de mettre en lumière l'existence d'une prise
en charge différentielle des mineurs délinquants à l'A.P
et à la P.J.J à partir de mon expérience
professionnelle.
Puis, à partir de mon expérience d'intervention
à l'E.N.A.P, j'esquisserai la perspective d'un travail en partenariat.
Enfin, dans la dernière partie, je tenterai d'élaborer un
modèle de formation initiale pour les agents des E.P.M.
1. Une prise en charge
différentielle des mineurs délinquants
Au cours des différents postes que j'ai occupés
ces dernières années (d'abord en foyer, à l'unité
éducative auprès du tribunal et enfin en milieu ouvert), des
constats me sont apparus entre la pratique de prise en charge des mineurs
délinquants en milieu pénitentiaire et celle
réalisée en unité d'hébergement à la P.J.J.
De cette expérience émerge a priori des questionnements sur la
viabilité d'un projet de travail en commun entre ces deux institutions.
En prison : De
« l'interdit » vers de la souplesse
Il s'agit en premier lieu de se départir des
représentations de chacun sur le travail de l'autre. Force est de
constater qu'il existe ici un point d'achoppement entre les deux types de prise
en charge, d'ailleurs mis en exergue le plus souvent par les mineurs
eux-mêmes. Combien de fois en effet a-t-on entendu dire de la bouche de
ces jeunes qu'ils préfèrent aller en prison que dans un
foyer ! Ou bien encore que le foyer, c'est la liberté et qu'on peut
y faire ce qu'on veut !
Ce discours est à prendre avec précaution. Bien
loin de marquer une incompétence des uns là où la prison
réussirait, il illustre au plus haut point la divergence entre le
traitement d'enfermement et la visée strictement éducative du
placement judiciaire.
La prison est d'abord une institution
« pesante ». C'est par définition un milieu
fermé, fait essentiellement d'interdits auxquels il est difficile de se
soustraire. Ainsi, la gestion du détenu se fait surtout et en fonction
de son comportement par l'octroi ou le retrait de droits
(télévision, placement mitard...). C'est la différence
essentielle avec un foyer d'action éducative de la P.J.J, basé
lui, non pas sur de l'interdit mais d'abord sur de l'autonomisation, qui peut
alors amener à des restrictions en cas d'échec dans des mises en
situation de responsabilisation du jeune.
Cette distinction aboutit certainement à des
conceptions professionnelles différentes du
« détenu » pour les uns et du « jeune
placé » pour les autres. Il s'agit bien là du souci
de faire coïncider deux représentations professionnelles distinctes
de l'adolescent difficile. Les deux administrations n'ont pas la même
vision des difficultés que pose le même jeune et cela en fonction
du contexte dans lequel ce dernier se trouve8(*).
B. Au foyer : De
« la souplesse » vers de l'interdit
Lorsqu'un adolescent arrive au foyer, il lui est remis un
règlement intérieur qui présente d'abord
l'établissement comme un lieu de vie pour lui et qui se termine par une
liste d'interdits.
En général il s'agit des grands
empêchements à une vie sociale en collectivité dite
« normale » : pas de drogue, d'alcool, d'armes. Il
existe aussi un refus de l'institution de relations sexuelles entre les
accueillis. Ici, l'accent est mis sur le fait que le jeune est d'abord mis en
position d'acteur. C'est à lui d'essayer de se saisir de
l'opportunité qui lui est donnée de
« repartir » sur des bases saines de vie en
société. L'éducateur est là pour le guider, lui
rappeler ou lui apprendre parfois les règles de vie. Dans ce contexte,
l'éducation repose d'abord sur la responsabilisation du jeune et sur son
autonomisation. Il devra par exemple rentrer à l'heure qui lui sera
donnée par l'éducateur au foyer. Certes, ce postulat n'est pas
simple pour un adolescent qui jusque là ne guidait sa vie que sur ces
envies. Il en est de même pour tout ce qui est de l'apprentissage
à différer un besoin.
Les règles existent donc au foyer, mais leur respect
repose aussi sur la parole donnée du jeune ou de l'éducateur. Ce
conception peut conduire sur certains points à une part importante
à la négociation ou à de la souplesse. L'essentiel ici et
à la différence du milieu carcéral, est l'absence du poids
de l'institution. Ainsi, la difficulté est inverse à celle qui se
pose en prison. En effet, en cas de non respect d'un interdit, il faudra pour
l'éducateur ou l'institution trouver des moyens de réinjecter de
l'interdit et de la loi dans un environnement proche de celui qui régit
la société en général. De là aussi tout un
cortège de gestion des conflits individuels ou de groupe plus
prégnant qu'en prison.
La perspective d'un travail
en partenariat9(*)
A partir de ces constats, on mesure toute
l'ambiguïté d'agir ensemble puisque les perspectives de travail ne
sont pas identiques. Ces méthodes engendrent ou bien alimentent des
représentations erronées sur le travail des uns et des autres.
A cela s'ajoute le corollaire des difficultés
rencontrées dans le quotidien professionnel de chacun.
Difficultés professionnelles du métier de surveillant10(*) (la routine carcérale,
le manque de considération, les contraintes de la surveillance et de la
sécurité...) et difficultés de l'éducateur (gestion
du groupe, relations avec les magistrats, les familles...) qui peuvent parfois
se recouper mais qui sont à l'origine de divergences de conceptions ou
de représentations sur le métier de l'autre. Il s'agit donc de se
demander si le dispositif des E.P.M risque d'amplifier ou au contraire de
diminuer ces incompréhensions.
Les apports d'une
expérience professionnelle éducative auprès des
surveillants à L'Ecole Nationale de l'Administration
Pénitentiaire (ENAP)
Depuis l'année 2006, j'ai effectué au total
trois interventions à l'E.N.A.P, auprès des promotions de
surveillants pénitentiaires. Deux pour la formation continue
d'adaptation au quartier mineur, et une pour la première promotion de
surveillants amenée à travailler en E.P.M.
Ici l'expérience de travail en hébergement est
à expliquer, et à valoriser. Elle apporte à ces personnels
à la fois une réassurance et permet un « passage de
relais » pour un « savoir faire
éducatif ». Cette rencontre a cautionné l'idée
qu'il existe beaucoup de représentations sur le métier de
surveillants, notamment les miennes. En effet, je pensais que j'aurai face
à moi des personnels en butte à l'éducatif. Mais grande
fût ma surprise, de voir à quel point ces derniers sont avides de
découvrir le métier d'éducateur et surtout d'en tirer des
enseignements sur les pratiques exercées en foyer.
Ces personnels sont majoritairement inquiets quant à un
mode de prise en charge qu'ils ne connaissent pas et susceptible de
générer des situations nouvelles pour eux. C'est par exemple
l'idée de « vivre avec » ou de « faire
avec » les détenus et même peut -être la crainte
d'avoir à gérer un collectif de jeunes sur des actions de vie
quotidienne. Mais, il existe aussi des préoccupations « toutes
pénitentiaires », comme celle de la peur du suicide. Comment
l'éducateur fait-il devant ce problème ? Est-ce une
situation courante dans sa pratique?
En cela, la possibilité d'expliquer notre métier
à partir de l'expérience de terrain et d'hébergement
permet de rassurer, de diminuer la « barrière »
entre surveillants et détenus, mais aussi de
« casser » les représentations éventuelles du
surveillant sur l'éducateur de justice. C'est l'occasion d'expliquer que
ce dernier n'agit pas toujours en faveur du jeune. Et qu'il est là aussi
pour rappeler la loi, travailler sur la culpabilité et sur le rôle
que chacun doit tenir en société. Comme le dit Fernand
Deligny11(*)
l'éducateur en hébergement « remplace les murs et
les barreaux ».
Au fond, la question essentielle posée par les
surveillants est bien celle du « savoir-être »
éducatif. Face à la difficulté pressentie à se
situer par rapport à une fonction nouvelle au sein des E.P.M, ces
personnels sont curieux de connaître le positionnement de
l'éducateur face à un groupe d'adolescents. En manque de
repères professionnels, leur question est la suivante : comment
faites-vous ? Les deux approches professionnelles sont-elles compatibles,
voire complémentaires ? Au foyer, le « vivre
avec » est un outil de la pédagogie, en est-il de même
pour un surveillant ?
C'est la question de la « dilution » des
rôles et des fonctions12(*) qu'il faut interroger. Ainsi, on peut
considérer que la distance entre le gardien et le détenu se
maintient parce qu'elle est « parasitée » par des
relations qui lui sont extérieures (avec avocat, éducateur,
famille...)13(*).
Le détenu se trouve en quelque sorte
« distrait » de ce face à face. Mais comment
envisager cet état de fait si le professionnel qui jusque là fait
tiers dans cette relation, est présent en permanence et constitue le
binôme du surveillant ?
Ce problème se retrouve dans la question de la distance
professionnelle entre les jeunes détenus et les surveillants. L'emploi
du vouvoiement par les surveillants est de rigueur dans la culture
carcérale alors que le tutoiement est généralement
employé par les éducateurs et participent de la culture PJJ en
hébergement. Comment alors se positionner sur cette question ?
Faut-il adopter la même ligne de conduite ? Ou bien cette
différence de distance risque-t-elle de créer dans les esprits
des mineurs une différenciation entre les professionnels? Et si
oui, cette dernière est-elle bénéfique ou non ?
Il y a en fait toute une nouvelle culture professionnelle
à élaborer, voire peut-être à réinventer avec
la préoccupation sous-jacente de se demander comment les mineurs vont
repérer les rôles de chacun. Autrement dit cette mixité
professionnelle imprimera-t-elle un changement dans les fonctions des uns
et des autres?
En tout état de cause, il s'agit d'échafauder un
« savoir-être » qui s'inspirera peut-être de
celui de l'éducateur mais qui devra s'en détacher pour
éviter la dilution des rôles. C'est là certainement l'enjeu
de la formation pour les surveillants. La construction d'une identité
professionnelle nouvelle.
La confrontation des
éducateurs au monde pénitentiaire
La question que pose sans doute un tel partenariat est celle
de savoir quelle conception l'éducateur donne à la peine. En
effet, dans la perspective historique de l'Education Surveillée devenue
en 1990 la Protection Judiciaire de la Jeunesse, ce
« retour » en prison pourrait a priori être
vécu professionnellement comme une sorte de retour en arrière.
Cependant lors des sessions de formation à l'ENAP, tout
le monde semble s'accorder sur l'idée que « nous allons tous
dans le même sens ». Cette clairvoyance à son
importance, puisque elle conditionnera de près ou de loin l'ensemble de
la vie en détention. En tout état de cause, au cas où les
points de vue seraient amenés à diverger sur cette question entre
le personnel éducatif et celui de surveillance, on peut se demander si
cela constituerait un obstacle au travail en commun au sein des E.P.M ?
Comment l'éducateur se positionnera-t-il face à
des problématiques carcérales qui pourront le choquer et pour
lesquelles il sera tenté de les analyser avec son éthique
professionnelle. Autrement dit, les notions d'éthique et de
déontologie sont elles les mêmes entre un surveillant et un
éducateur ? Je pense ici au quartier mineurs de la maison
d'arrêt de X... où sur la porte de la cellule d'un mineur
était affichée une étiquette marquée
« pointeur ». L'éducatrice alors en poste au sein de
cet établissement était persuadée que ce panneau avait
été écrit de la main d'un surveillant et de ce fait avait
alerté la direction de l'établissement. Ce qui évidemment
avait crée une tension palpable entre surveillants et éducateurs
au sein de la prison. Il faut gager et cela au regard du profil volontaire des
surveillants amenés à travailler au sein des E.P.M et du fait de
leur sensibilité éducative, que ce type de problème sera
peu prégnant.
Un second constat pourrait mettre à mal les
éducateurs. C'est celui lié à la constitution du groupe de
jeunes pris en charge au sein des E.P.M. En effet, dans les F.A .E de la
P.J.J, il existe les commissions d'admission.
Celles-ci permettent à l'équipe éducative
de constituer sur dossier le groupe de jeunes amené à vivre en
collectivité et cela en fonction des délits et des
problématiques de chacun. Or en E.P.M, il n'y a pas a priori ce
« choix » dans la constitution du groupe des détenus
alors que dans le même temps la vie collective se veut proche par
certains égards de celle qui existe en foyer (gestion en collectif des
moments clés de la journée : repas, lever, coucher). Il
existera donc un certain nombre de difficultés dans la prise en charge
quotidienne du groupe au vu des profils délinquants. Ce qui
nécessiterait par exemple un partenariat plus poussé avec le
service médico-psychologique de la détention (SMPR).
Ainsi, mettre en commun les compétences des
éducateurs et des surveillants, c'est aussi faire en sorte que ce
partenariat irradie par exemple sur les relations avec le SMPR ou les avocats
ou bien encore avec l'éducation nationale.
Enfin, comment se positionnera l'éducateur dans une
situation conflictuelle qui éclate en détention et comment cette
situation sera-t-elle gérée ? Sera-t-elle de la stricte
compétence de l'administration pénitentiaire ? Et comment
dans cette hypothèse, pourra réagir l'éducateur face
à une gestion des conflits qui sera peut-être moins basée
sur la négociation ?
3. L'identité
professionnelle en question
Comme cela a été
abordé précédemment, la volonté de partenariat
entre la P.J.J et l'Administration pénitentiaire influe
nécessairement sur la question du positionnement professionnel et donc
aussi sur celle de l'éthique14(*) et de la déontologie15(*).
Il faut prendre en compte ce
postulat. Pour cela, il est nécessaire de faire l'état des lieux
des formations initiales attenantes à chacune de ces professions pour
ensuite tenter d'élaborer une formation commune faisant corps dans une
éthique professionnelle partagée fondant une véritable
identité professionnelle conjointe, sans pour autant nier la part
d'identité respective de chacun.
A. L'Etat des formations
initiales à la P.J.J et à l' A.P
1. La formation initiale
à l' E.N.A.P16(*)
Le principal regret de la formation initiale à
l'ENAP annoncé est celui d'un trop peu d'approche psychologique.
Mais la philosophie générale est clairement
annoncée. Désormais, l'incarcération doit trouver un sens
éducatif. Il s'agit de lier la mission de garde avec celle
d'éduquer et d'accompagner. La prison devient un lieu où l'on
transmet aussi des valeurs sociales et éducatives.
D'ailleurs, la qualité de recrutement chez les
surveillants fait de ces derniers des personnels avides d'appréhender
globalement le problème de la délinquance et rejettent une image
qui ferait d'eux de « simples porte-clés ». En cela
l'administration pénitentiaire fait déjà un pas vers
l'éducatif et la sphère du travail social à proprement
dit.
2. La formation initiale
à la P.J.J
Il en va différemment de la P.J.J qui donne
l'impression d'une d'inertie. De sorte qu'il est annoncé sur le site
intranet du Centre National de Formation et d'Etudes (C.N.F.E) que la formation
initiale des éducateurs vise à inscrire ce métier dans
son cadre d'intervention judiciaire. Des stages très diversifiés
sont ainsi mis en place, en maison d'arrêt, en établissement
scolaire, en hôpital psychiatrique, et autres institutions. Une large
culture générale est de même appréciée afin
de favoriser l'esprit critique, et de confronter l'éducateur avec ses
représentations. D'ailleurs, de nombreux champs disciplinaires sont
abordés comme le droit, la philosophie, la psychologie, l'anthropologie,
etc.
L'objectif serait donc d'amener à croiser ces deux
formations dans le but d'en fonder une seule. Il serait souhaitable de
s'inspirer de la dynamique de la formation pénitentiaire, qui prend en
compte l'évolution de la politique pénale : le recours
à l'incarcération est parfois inévitable, mais il faut lui
donner une perspective de réinsertion. Mais il est aussi
nécessaire de puiser dans la formation des éducateurs cette
notion de brisure avec ses propres représentations. Tout en tenant
compte, cette fois au fait que la prison peut aussi faire partie du parcours
éducatif d'un jeune. Il faut s'intéresser à ce que
l'éducateur peut y apporter de son expérience et de son
savoir-faire au quotidien.
Le choix d'une formation
commune17(*)
Ce choix réside dans un souci prioritaire de
formation : celui de ne pas simplement faire côtoyer les promotions
d'éducateurs et de surveillants, mais au contraire de réaliser un
« brassage » de ces personnels venus d'horizons
différents.
L'objectif serait bien de construire une formation commune
afin de briser, de « casser » les représentations de
chacun sur le métier de l'autre. En effet une formation qui serait
dissociée et uniquement fondée sur de brefs échanges au
cours de sessions de formations théoriques ne pourrait pas atteindre cet
objectif.
Il serait donc souhaitable de réaliser des espaces
d'expériences, sur des séquences de stages par exemple. Il serait
judicieux d'organiser des stages en commun par binôme
surveillant/éducateur, dans un tribunal pour enfants, ou dans une
brigade des mineurs ou encore dans un service de pédopsychiatrie.
On pourrait aussi imaginer des stages adressés
uniquement en direction des surveillants, par exemple au sein
d'établissements d'hébergement à la P.J.J. Ainsi que des
stages de mise en situation des éducateurs en quartier mineur et
même pourquoi pas en uniforme. Ils seraient alors l'occasion de retours
et de confrontations entre les uns et les autres permettant d'apprendre
à connaître le métier de l'autre.
Conclusion
Le projet des E.P.M est louable dans son objectif de mettre en
commun des compétences professionnelles autour d'une même
préoccupation : celle de prendre en charge des mineurs
multirécidivistes pour lesquels la prison est devenue la réponse
pénale incontournable à un moment donné de leur parcours
et de créer un temps davantage éducatif que liberticide. Certes
ce grand projet implique un certain nombre de réajustements comme cela a
été exposé plus haut afin que les surveillants et les
éducateurs puissent travailler de concert.
Mais ce principe doit être salué car il s'inscrit
dans un courant de défense sociale18(*). Ce mouvement remet en cause les positions purement
rétributives du droit pénal et recherche à la fois la
protection de la société et celle de l'individu lui-même.
Pour cette raison, la défense sociale a choisi la voie de la
prévention, de la protection et du reclassement social. Il s'agit de
défendre la société par la réinsertion et
l'amélioration de l'homme. La prison n'échappe pas aux
préoccupations de ce mouvement. L'emprisonnement n'y est plus
perçu comme une fin en soi, mais elle est l'occasion d'exercer sur le
détenu une action visant à sa réinsertion.
Déjà dans les années 1950, la criminologie belge posait
cette question : « Comment espérer la
rééducation de nos jeunes caractériels s'ils ne sont
confiés qu'à des gardiens ?19(*) ». Et déjà, elle
prônait le principe d'intégrer dans le personnel
pénitentiaire un corps d'éducateurs « soigneusement
préparés à leur tâche 20(*)». Il nous incombe
donc aujourd'hui de concrétiser ce qui n'était en France
jusqu'alors qu'un voeu pieux.
Annexe
Tentative d'élaboration d'une formation initiale
pour surveillants et éducateurs en E.P.M
Tronc commun 1
Théorique et pratique
Intervenants de
« théorie »
Intervenants de
« terrain »
Stage court en commun :
En binôme (éducateur/surveillant) :
éducation nationale, psychiatrie, police, juge des
enfants...
Stage pour les surveillants à la
PJJ
en foyer d'hébergement.
Stage pour les éducateurs en
Maison d'arrêt en quartier
mineurs
Tronc commun 2
Confrontation des expériences dans les
stages.
Mise en rapport de ces constats avec la théorie
par un travail de réflexion écrit
et par travaux de groupe (déontologie par
ex)
Bibliographie
ANCEL Marc, La défense sociale, Ed. P.U.F,
coll. Que sais-je ?, 1ère éd., 1985, Paris, 127
p.
BOULOC Bernard, Pénologie, Précis Dalloz,
Ed. Dalloz, 1991, 401 p.
CARLIER Christian, Les surveillants au parloir, Ed. De
l'atelier, coll. Champs pénitentiaires, 1996.
DHUME Fabrice, Du travail social au travail ensemble, le
partenariat dans le champ des politiques sociales, éd. ASH, 2001, 206
p.
DE GREEF Etienne, Autour de l'oeuvre de, L'homme
criminel, Ed. Nauwelaerts, Louvain, 1956, 256 p.
DELMAS SAINT HILAIRE Jean-Pierre, Cours de science
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LE MONDE, Journal du 13 septembre 2005.
HOUCHON Guy, Cours de pénologie,
Université de Louvain, 1995.
LAZERGES Christine, La politique criminelle, Ed. P.U.F,
coll. Que sais-je ?, 1ère éd., Paris, 1987, 121
p.
MOREAU P.F, Fernand Deligny et les idéologies de
l'enfance, Ed. Retz, coll. Divergence, Paris, 1978, 207DICTIONNARE Le Petit
Robert, 1999.
Table des matières
Les Etablissements Pénitentiaires
pour Mineurs :
L'identité des personnels en
question
1
Introduction
1
1. Une prise en charge
différentielle des mineurs délinquants
4
A. En prison : De
« l'interdit » vers de la souplesse
4
B. Au foyer : De « la
souplesse » vers de l'interdit
4
2. La perspective
d'un travail en partenariat
5
A. Les apports d'une expérience
professionnelle éducative auprès des surveillants à
l'Ecole Nationale de L'Administration Pénitentiaire
(ENAP)-----------------------------5
B. La confrontation des éducateurs au monde
pénitentiaire
7
3. L'identité professionnelle
en question
8
A. L'Etat des formations initiales à la
P.J.J et à l' A.P
8
1. La formation initiale à l' E.N.A.P
8
2. La formation initiale à la P.J.J
9
B. Le choix d'une formation commune
9
Conclusion----------------------------------------------------------------------------------------------10
Annexe---------------------------------------------------------------------------------------------------11
Bibliographie-------------------------------------------------------------------------------------------12
Table des
matières-----------------------------------------------------------------------------------13
* 1. C. Carlier, Les surveillants au
parloir, éd. De l'atelier, coll. Champs pénitentiaires, 1996, 191
p., p. 112.
* 2. L'intervention continue
d'éducateurs de la P.J.J auprès des mineurs
incarcérés a débuté en 2003.
* 3. Loi d'Orientation et de Programmation
pour la Justice du 9 septembre 2002 dite LOPJ.
* 4. Journal Le Monde du 13
septembre 2005.
* 5. Sur cette notion V. Que sais-je de
Christine LAZERGES.
* 6. J-P.DELMAS SAINT HILAIRE, Cours de
science pénitentiaire, Faculté de droit de Bordeaux, 1992. V.
aussi B. BOULOC, Pénologie, Précis Dalloz, éd. Dalloz,
1991, 401 p.
* 7. G. HOUCHON, Cours de pénologie,
Université de Louvain, 1995
* 8. V. Diplôme Universitaire sous la
direction de Philippe Jeammet, Une approche psychopathologique et
éducative des adolescents difficiles.
* 9 F. DHUME, Du travail social
au travail ensemble, le partenariat dans le champ des politiques sociales,
éd. ASH, 2001,206 p., : « C'est une méthode
d'action coopérative fondée sur un engagement libre, mutuel et
contractuel d'acteurs différents mais égaux, qui constituent un
acteur collectif dans la perspective d'un changement des modalités de
l'action (faire autrement ou mieux) sur un objet commun (de par sa
complexité et/ou le fait qu'il transcende le cadre de l'action de chacun
des acteurs) et élaborent à cette fin un cadre d'action
adapté au projet qui le rassemble, pour agir ensemble à partir de
ce cadre ».
* 10. Ibid, p. 121.
* 11. P.F MOREAU, Fernand Deligny et les
idéologies de l'enfance, Ed. Retz, coll. Divergence, Paris, 1978,
207.
* 12. E. DE GREEF, Autour de l'oeuvre de,
L'homme criminel, Ed. Nauwelaerts, Louvain, 1956, 256 p.
* 13. C. CARLIER, op. cit.
* 14. Dictionnaire Le Petit Robert, 1999 :
« Science de la morale, qui concerne la morale ».
* 15. « Ensemble des devoirs
qu'impose à des professionnels l'exercice de leur
métier », Le Petit Robert, ibid.
* 16. V. C. CARLIER, Les surveillants au
parloir, op.cit..
* 17. V. Annexe, Tentative
d'élaboration d'une formation commune éducateurs
P.J.J/surveillants.
* 18. M. ANCEL, La défense sociale,
Ed. P.U.F, coll. Que sais-je ?, 1ère éd., 1985,
127 p.
* 19. S.C. VERSELE, Vers une
défense sociale criminologique et humaniste, in L'homme criminel,
hommage à Etienne De GREEF, op. cit, p. 227.
* 20. S.C VERSELE, ibid, p. 225.
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