Section 2 : la flexibilité de la
dichotomie public/privé
Si l'unique argument permettant de justifier la distinction
entre le domaine public et le domaine privé est la présence d'une
seule raison finaliste, c'est-à-dire la satisfaction de
l'intérêt général, il est alors permis de douter de
l'existence d'une telle raison, dès lors que l'on veut bien
considérer que tous les biens des personnes publiques servent comme on
vient de montrer, l'intérêt général d'une
manière ou d'une autre.
Avec la crise du droit administratif dont la source et la
manifestation la plus nette sont justement la crise de la notion de service
public, la frontière entre public et privé est devenue peu
étanche. En effet, en raison de la participation, de plus en plus
grande, des particulier à la gestion des services publics, alors qu'ils
constituent auparavant la chasse gardée de l'administration, la
définition de ces derniers devient vague et ne correspond plus à
la théorie pure du service public.
Dans la mesure où la théorie du domaine est
étroitement liée à la notion de service public - pierre
angulaire du droit administratif - il n'y a donc aucune raison pour qu'elle
puisse échapper au désordre qu'affecte le droit administratif.
Mais au delà de la notion de service public, c'est au
fond que toute l'instance juridique datant du XIXème siècle qui
se trouve affectée à partir du moment où la base
socio-économique, sur laquelle le droit s'était construit, a subi
de profonds changements. On peut lire dans ce sens sous la plume de Jaques
Caillosse que «la logique d'hybridation gagne les bases de la summa
divisio de l'ordre juridique classique ». L'aspect le plus apparent
dans cette crise est l'affaiblissement de la division droit public/droit
privé, conséquence logique du changement de la nature de l'Etat
devenu, à cause de certaines crises économiques, plus
interventionniste. Les conséquences de cette perturbation des
équilibres du droit ont rendu presque inopérants les concepts
classiques ; ils sont devenus inadaptés à une
réalité économique et juridique devenue désormais
instable. Les concepts domaniaux sont naturellement touchés par ce
mouvement des remises en cause des notions juridiques que l'on croyait pourtant
immuables. Pour éviter qu'elles ne soient en décalage ou que
celui-ci ne s'accentue avec la réalité qu'ils entendent
régir, ces notions et au premier rang de la domanialité publique,
ont sans doute besoin d'être reconsidérées en vue de les
adapter aux réalités économiques nouvelles.
C'est la réalité impliquant une certaine
imbrication entre les règles de droit public et celles du droit
privé que certains auteurs ont pu parler de
« publicisation » du droit privé et de
« privatisation » du droit public. Ceci tient, d'une part,
à l'application de plus en plus fréquente des règles de
droit public dans les relations contractuelles, alors qu'elles sont
fondées normalement sur le principe de l'autonomie de la volonté,
et la soumission, d'autres part, des services, entreprises, et contrat de
l'administration aux règles du droit civil et du droit commercial. C'est
sans doute, ce qui a fait dire à Luc Saidj que « l'Etat ayant
considérablement élargit son champ d'activité, le droit
public se privatise, et ce d'une manière absolument
généralisée. Aussi devient-il difficile de distinguer
nettement entre le public et le privé ».
On ne peut donc, se railler à l'idée d'une
antinomie générale des concepts de droit public et du droit
privé. L'interpénétration des règles des deux
ordres juridiques est tout aussi présente dans la gestion et
l'organisation des biens domaniaux. Ces interpénétrations rendent
compte de la complexité des situations en présence, elles
conduisent à douter de la valeur scientifique de la distinction
bipartite domaine public/domaine privé incitent à rechercher s'il
ne faut pas la dépasser.
C'est justement sur la base de ces observations que certains
auteurs, en France notamment, se sont demandés s'il n'est pas
préférable de l'abandonner et d'adopter la conception unitaire du
domaine (échelle de la domanialité).
La préservation de cette subdivision droit public/droit
privé n'est que transitoire, elle est en quelque sorte un vestige de
l'ancien droit appelé sans doute à disparaitre. Cette division
tranchée apparait comme un obstacle beaucoup plus qu'elle ne facilite
l'élaboration d'un droit véritablement adapté à la
société actuelle.
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