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DEDICACE
A vous nos parents,
Charles GUEMDJE NADEHOUMAN et Odette MOKONYO DOROMAYE
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REMERCIEMENTS
Parvenu à la fin de notre second cycle de philosophie
à l'Université Catholique d'Afrique Centrale - Institut
Catholique de Yaoundé (UCAC-ICY), nous voudrions adresser ici nos
sincères remerciements à tous ceux et toutes celles qui, d'une
manière ou d'une autre, nous ont soutenu dans la réalisation de
ce travail. Nous nommons en premier lieu l'abbé Sosthène
Léopold BAYEMI qui, malgré ses absorbantes et écrasantes
tâches, s'est promptement rendu disponible pour diriger ce mémoire
; qu'il nous permette de dire que les mots nous manquent pour lui exprimer
notre satisfaction. Nous adressons aussi notre gratitude à l'abbé
Gabriel NDINGA, Doyen de la Faculté de Philosophie, de ladite
institution qui nous a initié à la pensée forte, à
M. Ernest-Marie MBONDA et abbé Michel KOUAM respectivement Vice-Doyen et
Coordinateur des études du second cycle de la Faculté de
Philosophie pour leurs précieux conseils et, par eux, tout le corps
professoral qui s'est investi sans réserve pour notre croissance
intellectuelle et humaine.
Nos profonds remerciements vont également à
l'endroit de tout le personnel du Service des (Euvres Universitaires et
Sociales (S.O.U.S.) et à la Coopération française sans
lesquels notre parcours philosophique à l'UCAC-ICY serait resté
inachevé.
A vous amis (es) philosophes de la faculté et camarades
de classe que nous voulons surtout appeler « compagnons de la quête
sapientielle », recevez ici toutes nos marques de gratitude pour vos
divers encouragements, vos édifiants conseils dans nos différents
moments d'épreuves.
Un merci aussi tout spécial au professeur Mme Sonia
RODRIGUÈS de la communauté des Guadix, pour avoir mis à
notre disposition sa bibliothèque personnelle pour la réalisation
de notre mémoire.
Enfin, vous tous et toutes, parents, frères et
s°urs dont le soutien matériel et l'attention particulière
portée à notre personne restent à jamais inestimables et
indescriptibles, retrouvez ici l'expression de nos sincères, filiaux et
cordiaux remerciements.
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INTRODUCTION GENERALE
La philosophie dans son ultime intentionnalité se
présente en tant qu'investigations archéologiques,
c'est-à-dire quête du fondement de l'existence humaine
(Archè). En remontant à ses origines égyptiennes
et grecques, on s'aperçoit que dans cette quête du fondement, elle
ne cesse de porter un regard particulier sur l'homme. Connaître l'homme
tel qu'il est, savoir d'où il vient et où il va, a toujours
été l'objet des préoccupations majeures de grands penseurs
qui ont la mesure de l'homme. En ce sens, l'être humain est toujours
placé au centre des recherches philosophiques. Dans cette perspective,
on pourrait dire que la philosophie se caractérise par son audace de
chercher les réponses les plus ardues aux questions essentielles et
existentielles qui se posent à l'homme. Elle ouvre à un monde
où les hommes organisent leur existence à partir des principes
qui ont un sens, non seulement parce qu'ils font sens pour eux mais surtout
parce qu'ils sont raisonnables. En tant que réflexion critique
centrée sur l'homme et sur tout l'homme, la philosophie nous oblige de
ne choisir pour nousmêmes et pour les autres que ce qui peut être
jugé acceptable et raisonnable au regard de l'humanité de
l'homme1.
Le parcours critique de différentes configurations des
systèmes philosophiques atteste que de l'Antiquité
égyptienne et grecque jusqu'à l'époque contemporaine, la
tâche de la philosophie consiste en l'effort de comprendre l'essence
(fondement) et le sens (signification et finalité) du réel. Mais
dans l'ensemble du réel, la réalité humaine occupe une
place centrale. D'où la pertinence du « connais-toi
toi-même» de Socrate. C'est pourquoi l'une des tâches
prioritaires de la philosophie a toujours été de penser l'homme
et en l'occurrence « l'humanité de l'homme »2.
Si telle est sa mission ou sa vocation fondamentale, la
philosophie devient par là même une anthropologie philosophique
d'une part, et une anthropologie ontologique d'autre part. En effet, il s'agit
de penser l'homme dans son rapport avec le monde, avec l'altérité
et surtout dans son rapport avec l'être. Cependant, un regard critique
posé sur l'histoire de la philosophie nous dévoile que l'homme
est abordé selon des perspectives
1 E.-M. Mbonda, « La philosophie ouvre à
un monde où les hommes organisent leur existence », in Tolle
lege, la catho telle quelle, N° 26 avril-juin 2006, éd. Ama,
Yaoundé (Cameroun), p. 13.
2 Idem.
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différentes, tantôt comme ego
transcendantal ou moi pur, tantôt comme autrui dont il faut se soucier
inconditionnellement et « asymétriquement ».
En effet, la modernité qui, du point de vue
philosophique, débute avec le cogito cartésien et plus
tard trouve son indépassable sommet dans l'ego transcendantal
husserlien, a déjà, depuis longtemps, commencé à
mettre fondamentalement en question la légitimité des structures
d'intelligence qu'elle a promues et qu'elle est en passe aujourd'hui d'imposer
à l'ensemble de la planète. Dans cette histoire, finalement
encore très courte des temps modernes, qui a vu la détermination
de l'homme, comme sujet, la fin du XVIIIè siècle en Allemagne, et
notamment avec Edmund Husserl (1859-1938) semblait marquer son
indépassable sommet. A partir de la deuxième moitié du
XXè siècle, le projet d'une problématique «
hétérologique » dont se réclament les nombreux
disciples d'Emmanuel Lévinas (1906-1995) renverse radicalement celui
d'une égologie, qui est parvenu à se maintenir comme idéal
philosophique dominant de Descartes à Husserl.
Entre la question du moi qui fut la question directrice de la
philosophie moderne de Descartes et Husserl, et la question de l'autre, qui
paraît ébranler aujourd'hui jusqu'au tréfonds l'ensemble de
la tradition philosophique, il y a en effet la question de l'être, que
Heidegger se propose de reposer à neuf. Certes, il n'est pas sans
importance que cette question ne soit pas présentée par lui comme
une question nouvelle de la philosophie, mais au contraire une question
laissée en suspens au commencement même de la tradition
philosophique occidentale et qu'il s'agit aujourd'hui de reprendre. Heidegger
se propose alors résolument de prendre part à la gigantomachie
déjà nommée par Platon en son temps. Il ne s'y
présente non pas en tenant de la philosophie existentielle, mais comme
celui qui le repose avec acuité et de façon fondamentale. Et pour
Heidegger, renouer avec la problématique ontologique, c'est s'attaquer
au problème anthropologique ; c'est s'intéresser à cette
sorte d'étant « qui est l'homme ». Cela se traduit par la
« rebaptisation » de l'homme sous le vocable de « Dasein »
tout au long de son ontologie fondamentale. Dès lors, il nous est
légitime de nous demander comment Heidegger se situe par rapport au
discours égologique des modernes dont Husserl reste le sommet
indépassable et la problématique «
hétérologique » de Lévinas et ses disciples. En
d'autres termes, « qui est le Dasein » dans l'ontologie fondamentale
de Heidegger ? Quel dépassement et quel déplacement Heidegger
opère-t-il par rapport
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aux discours égologique et hétérologique
en adoptant cette nouvelle appellation de l'homme ?
C'est donc dans le sillage de ces interrogations que nous
avons choisi de faire nos investigations en parcourant quelques-uns des
<< jalons >> de la pensée de Martin Heidegger touchant
à la question du statut attribuable à l'être humain au sein
de son ontologie fondamentale qu'il reconnaît d'ailleurs comme celle
ayant déterminé de bout en bout son << chemin de
pensée >>, à savoir la question de l'être. Dans ce
travail, nous nous efforcerons de montrer que la nouvelle approche
heideggérienne qui conduit l'auteur à abandonner les appellations
traditionnelles << homme >>, << sujet >> ou <<
conscience >> dans sa conception ontologique fondamentale pour le terme
de Dasein est précisément rendue nécessaire par la
tentative qui est la sienne de redécouverte de l'idée la plus
originelle de la philosophie, à savoir le souci de l'étant dans
sa totalité.
Ainsi, pour réaliser cette entreprise, nous nous
servirons d'une méthode spéciale. Il ne s'agira ni de la
démonstration, ni de l'interprétation, mais de la <<
monstration >>3 : la méthode
phénoménologico-analytique. En effet, cette méthode
phénoménologique entreprend de décrire les
phénomènes tels qu'ils se présentent par eux-mêmes.
Le phénomène est tout ce qui apparaît, de quelque
manière que ce soit. Dans notre optique, il sera question de laisser le
Dasein lui-même se manifester dans sa facticité. Ainsi, nous nous
attèlerons à décrire et à analyser le
problème anthropologique de Heidegger et notamment le statut du Dasein
dans son ontologie fondamentale.
Pour ce faire, nous avons organisé le travail en six
chapitres. Le premier intitulé << Les racines de la pensée
philosophique de Martin Heidegger>> consistera à montrer
l'influence que Kierkegaard et Husserl ont exercée sur Heidegger par
leur conception existentielle et phénoménologique de l'homme.
Dans le deuxième chapitre, nous entrerons dans le vif de notre sujet en
posant le problème anthropologique de Heidegger, au moyen de la
présentation de l'ek-sistence du Dasein comme une ouverture
ek-statique. Dans le troisième moment, notre effort consistera
à étudier le rapport du Dasein avec le langage existential afin
de montrer combien l'oubli de l'essence du langage constitue un << danger
suprême >> ou la << détresse par excellence >>
pour l'homme. Dans le quatrième chapitre, Heidegger nous conduira
à focaliser notre réflexion sur la mort du Dasein sous l'angle
ontologique ; il s'agira de montrer
3 M. Corvez, La philosophie de Heidegger,
PUF, Paris, 1966, p. 2.
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comment la mort, dans une perspective
phénoménologico-ontologique de Heidegger, se présente
comme le terme même de l'ek-sistence du Dasein. Enfin, les deux
derniers chapitres qui constituent en fait l'évaluation critique de
notre travail nous permettront de montrer d'une part les intérêts
ou la portée de la pensée anthropologique de Heidegger pour le
monde contemporain, et nous ferons ressortir les limites ou les
ambiguïtés dont souffre sa pensée d'autre part. Au cours de
cette évaluation, nous nous ouvrirons à d'autres perspectives :
métaphysique et hétérologique.
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CHAPITRE I :
LES RACINES DE LA PENSEE PHILOSOPHIQUE DE MARTIN
HEIDEGGER
Les thèmes existentiels qui sous-tendent la philosophie
de Heidegger sont fournis par la description des situations existentielles de
l'homme inaugurée par Kierkegaard et Husserl, pour ne citer que
ceux-là. Décrire, telle est l'orientation générale
de la phénoménologie dans laquelle viendra s'inscrire Heidegger
avec une perspective ontologique. Ce qui se montre est l'objet des
enquêtes phénoménologiques, encore que ce qu'il y a de plus
profond et de plus essentiel ne soit pas toujours ce qui se livre au premier
regard, mais soit même fréquemment recouvert ou voilé. La
phénoménologie bien comprise doit alors chercher à le
découvrir et à le dévoiler. C'est la tâche à
laquelle s'attellent les deux penseurs sus-mentionnés dont leur
influence sur le cheminement de la pensée de Heidegger sera
considérable. Kierkegaard et Husserl ont marqué de leur sceau
indélébile la pensée philosophique de Heidegger. Leur
influence est relative à la conception de l'existence et à la
méthode phénoménologique.
I.1. A la racine du terme existence : Kierkegaard,
le penseur de l'existence
Sören Kierkegaard, aux dires de ses commentateurs, s'est
voulu un « philosophe anti-philosophe »4. Il n'est pas un
philosophe systématique. Au triomphalisme hégélien du
système, il oppose le primat de l'homme existant. Pour lui, l'homme
existant ne reçoit pas sa signification de l'histoire universelle dans
laquelle il est situé. C'est l'homme existant seul qui compte en face de
la transcendance. L'existence, c'est l'irréductible, le non
catégorisable, le rapport intime et non conceptuel à la
transcendance. Contre la pensée abstraite et le système,
où tout apparaît sous la forme de la nécessité,
Kierkegaard fait surgir l'existence, discontinue, qualitative,
étrangère à la rationalité du concept, liée
à la subjectivité et à l'homme. Cette existence est
surtout perçue comme une tâche à accomplir.
4 D. Huisman et A. Vergez, Histoire des
philosophes illustrée par les textes.250 textes fondamentaux des
présocratiques à Hans Jonas, Nathan, Paris, 1996, p. 250.
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I.1.1. L'existence comme une tâche ardue
à accomplir
Nous ne pouvons élucider la complexité de la
pensée kierkegaardienne de l'existence sans faire au préalable
état d'une distinction essentielle : le danois dispose de deux concepts
pour expliquer le terme existence, à savoir Tilvaerelse et
Existents5. Le premier étant d'origine danoise et le
second d'origine latine. Dans sa perspective toute différente, la
pensée kierkegaardienne se meut à l'intérieur d'une
distinction qui donne au concept d'existence une dualité que le
français ne clarifie pas aisément. La proposition exprimée
par Kierkegaard << 1'homme est un existant >>6
est en effet indéterminée tant que l'on n'a pas
décidé s'il était existant au sens danois du terme ou dans
son acception latine.
Exister pour l'homme en un sens éminent ne se dit ni de
l'être, ni de la seule existence de fait qui convient en
général à toutes les réalités mondaines,
mais au mouvement qui le conduit vers l'existence à partir de son
existence de fait : << 1'homme est en ce sens le seul existant
à qui est impartie la tâche d'exister >>7.
Cette proposition signifie que l'homme ne se borne pas à constater qu'il
est ainsi et pas autrement, s'il peut se trouver comme existence et se
distinguer ainsi des autres réalités qui sont sans savoir qu'ils
sont, il ne peut devenir un existant ; il ne peut avoir son existence en propre
comme une tâche dans l'exigence d'avoir à être ce qu'il
est.
<< Exister, affirme Kierkegaard, ce n'est
rien du tout, et bien moins encore une difficulté. [...J Exister
vraiment, c'est-à-dire imprégner de conscience son existence que
l'on domine pour ainsi dire de la distance de l'éternité tout en
étant précisément en elle et encore dans le devenir : en
vérité la tâche est ardue >>8.
Mais comment l'homme est-il appelé à exister ?
Comment sera-t-il lui-même ? Pour le philosophe danois, la réponse
à cette question est sans équivoque. Il y a trois façons
fondamentales d'exister pour l'homme : existence esthétique, existence
éthique et existence religieuse.
5 O. Cauly, Kierkegaard, PUF, (coll.
«Que sais-je?»), Paris, 1991, p. 43.
6 S. Kierkegaard, L'existence. Textes traduits par
P.-H. Tisseau et choisis par J. Brun, PUF, Paris, 1967, p. 32.
7 Ibidem, p. 36.
8 Ibidem, p. 47.
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I.1.1.1.Le stade esthétique
Au stade esthétique, l'homme vit dans
l'immédiateté. Il ne s'est pas encore choisi en tant que moi. Il
vit dans et de l'extérieur, dans et du sensible, selon la devise:
<< il faut jouir de la vie ». Don Juan en est la figure
littéraire et musicale. Ce dernier vit dans le plaisir de l'instant,
sans pourtant parvenir à se satisfaire. Comme dans la réalisation
de cette forme d'existence l'homme dépend de l'extérieur,
c'est-à-dire de ce qui n'est pas en son pouvoir, le sentiment
fondamental de l'existence esthétique, bien qu'inavoué, se
révèle en effet comme désespoir à l'idée que
les conditions de cette existence pourraient lui être enlevées.
Aussi Don Juan est-il condamné à cumuler les conquêtes et
à courir après le temps. << Il paraît donc,
dit Kierkegaard, que toute conception esthétique de la vie est
du désespoir et que chaque individu qui vit esthétiquement est
désespéré, qu'il le sache ou non ».9
Son désir d'absolu échoue à trouver satisfaction dans le
plaisir. A cause de cette insatisfaction permanente liée à ce que
nous pouvons appeler le <<dilettantisme existentiel à
l'épicurienne », Kierkegaard préconise qu'il faut faire un
saut existentiel et qualitatif dans le stade éthique.
I.1.1.2. Le stade éthique
Le saut dans le stade éthique a lieu lorsque, dans son
désespoir, l'individu se choisit lui-même : << Puisque
je ne puis choisir absolument que moi-même ce choix absolu de
moi-même constitue ma liberté, et c'est uniquement par cet acte
que j'ai posé une différence absolue, celle entre le bien et le
mal. »10 Dans le stade éthique, il ne s'agit plus
ici de plaisir mais de devoir. La satisfaction recherchée est celle
procurée par le sentiment du devoir accompli, celle de la bonne
conscience.
L'existence éthique s'est choisie comme être-soi
et a ainsi gagné l'indépendance à l'égard de
l'extérieur, elle est la résultante d'une prise de
décision, et avec elle la vie acquiert sérieux et
continuité. Le temps est vécu dans la durée qu'assure la
fidélité à soimême et à ses engagements.
Aussi le mariage est-il pour Kierkegaard la décision éthique par
excellence. Pourtant ce stade n'est pas non plus capable de conduire à
un plein accomplissement. Car l'homme de l'existence éthique
reconnaît, à travers la possibilité de la faute, qu'il
n'est pas en possession des conditions d'une vie éthique
9S. Kierkegaard, L'existence, op. cit., p.
49. 10 Ibidem, p. 54.
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idéale, parce qu'il est dominé par le
péché. L'issue favorable de cette existence est d'accéder
au stade religieux.
I.1.1.3. Le stade religieux
Selon la conception chrétienne, l'homme, qui se
reconnaît pécheur, comprend qu'il ne peut se libérer seul
du péché. Dieu, et uniquement lui, permettra l'accès
à la vérité: le contenu de la foi est le paradoxe selon
lequel l'éternel est venu dans le temps, c'est-à-dire que Dieu
s'est fait homme.
Puisque Dieu a dû aller vers les hommes pour leur donner
la vérité, la preuve est établie que l'homme n'est pas en
mesure d'accéder par lui-même à la vérité, et
donc qu'il doit recevoir de Dieu la condition de ce dernier saut. Dans la foi,
l'homme se fonde sans réserve en Dieu. Kierkegaard récuse
radicalement toute tentative de rationalisation de la foi et, chez lui, le
sentiment religieux demeure l'expression du hiatus infranchissable entre nature
et esprit, temps et éternité.
En somme, pour le « penseur religieux », (car c'est
ainsi que la plupart des exégètes de ce philosophe danois le
nomment11), affirmer qu'il revient à l'homme de se
réaliser, c'est soutenir que la réussite de sa vie est la grande
affaire de toute existence. Cette existence humaine doit être
perçue comme une « tâche ardue », comme une
réalisation de soi de longue haleine qui doit s'inscrire dans le temps
et dans l'éternité. Ainsi, du stade esthétique au stade
religieux en passant par le stade éthique, la description de l'existence
chez Kierkegaard se présente comme « une
phénoménologie existentielle » dont la finalité est
de conduire l'homme à un saut existentiel qualitatif. Cette
phénoménologie inaugurée par Kierkegaard sera reprise par
Husserl, mais dans une tout autre perspective sur laquelle il convient de nous
y appesantir.
11J. Russ, Les Auteurs, les (uvres. La vie et la
pensée des grands philosophes. L'analyse détaillée des
wuvres majeures, Bordas, Paris, 1996, p. 313; D. Huisman et A. Vergez,
Histoire des philosophes illustrée par les textes, op.
cit., p. 251 ; O. Cauly, Kierkegaard, op. cit., p.14.
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I.2. De la réduction
phénoménologique à la primauté du
moi
pur : la substitution de l'égologie à
l'ontologie
Les 23 et 25 février 1929, Husserl prononce à la
Sorbonne de Paris quatre conférences tonitruantes qui, publiées
en 1931, vont former les Méditations
cartésiennes12, un titre, sans nul doute, inspiré
des Méditations de Descartes, considérées comme le
prototype de la prise de conscience philosophique. Ces conférences
sensationnelles, avant même leur publication, seront qualifiées
par l'auteur
d' uvre déterminante de son itinéraire
philosophique :
« Les Méditations cartésiennes,
déclare Husserl, seront l'°uvre majeure de ma vie, une
esquisse fondamentale de la philosophie qui me revient en propre, une
°uvre fondamentale de méthode et de problématique
philosophique. Mais le plus important est que je me sens appelé à
intervenir par là de manière décisive dans la situation
critique oil se tient aujourd'hui la philosophie allemande. »13
C'est donc en demeurant dans cette uvre majeure où
Husserl confronte sa pensée à celle de Descartes que nous
tâcherons de mettre en relief le caractère égologique de
son entreprise phénoménologique.
I.2.1. La réduction
phénoménologique
Les Méditations de Descartes constituent le prototype
du retour de l'homme sur lui-même, de la démarche orientée
vers le sujet. En effet, par le doute méthodique et universel, Descartes
s'efforce de nous arracher à l'objet pensé (toujours douteux)
pour nous révéler l'homme comme sujet pensant dont l'existence
est indubitable. Ce moment du cogito est aussi présent dans
l'itinéraire husserlien. Mais l'auteur des Méditations
cartésiennes substitue au doute cartésien le mot
épochè : la réduction
phénoménologique. Pour l'expliquer, nous avons choisi parmi de
nombreux passages de
l' uvre husserlienne, cet extrait de l'édition
française de notre livre de référence, les
Méditations cartésiennes où l'auteur s'exprime en ces
termes: «Par l'épochè phénoménologique, je
réduis mon moi humain naturel et ma vie psychique [...] à
mon
12 E. Husserl, Méditations
cartésiennes. Introduction à la
phénoménologie, traduction française par G. Peiffer
et E. Lévinas, Vrin, Paris, 1992.
13 Ibidem, p.10.
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moi transcendantal et phénoménologique.
))14 Autrement dit, je mets entre parenthèses le monde
objectif dans son ensemble et je m'abstiens ainsi de toute croyance
existentielle à son égard : je me saisis alors comme moi pur,
sujet ultime15. Entendu dans ce sens, nous dirons que par la
réduction phénoménologique, Husserl montre que la
phénoménologie est une philosophie orientée vers le sujet
; elle est une automéditation égologique. Nous sommes là
dans un changement radical de perspective, dans une redéfinition
même de la philosophie. Pour Husserl, le sens fondamental de toute
philosophie véritable est de libérer justement la philosophie de
tout préjugé possible pour faire d'elle une science vraiment
autonome, réalisée en vertu d'évidences dernières
tirées du sujet lui-même, et trouvant dans ces évidences sa
justification absolue. C'est une exigence qui appartient à l'essence
même de toute philosophie véritable. Opérer donc un retour
radical à l'ego transcendantal et faire revivre ensuite les
valeurs éternelles qui en jaillissent, tel « est du moins le
chemin qui a conduit à la phénoménologie
transcendantale »16. Ainsi, si la
phénoménologie consiste à revenir aux choses et à
les décrire, la meilleure des choses qu'il faudra prendre comme objet de
description, c'est l'homme en tant que moi pur. Husserl s'explique :
« Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra
une fois dans sa vie se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter
de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les
reconstruire. La philosophie - la sagesse - est en quelque sorte une affaire
personnelle du philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne,
être sa sagesse, son savoir qui, bien qu'il tende vers
l'universel, soit acquis par lui et qu'il doit pouvoir justifier dès
l'origine et à chacune de ses étapes, en s'appuyant sur ses
intuitions absolues )).17
En effet, dans la réflexion naturelle qui s'effectue
dans la vie courante, mais aussi en psychologie, c'est-à-dire dans
l'expérience psychologique de nos propres états psychiques, nous
sommes placés sur le terrain du monde, monde posé comme existant.
C'est ainsi que nous énonçons dans la vie courante : je vois
là-bas une maison ou encore je me rappelle avoir entendu cette
mélodie et ainsi de suite. Au contraire, dans la réduction
phénoménologique transcendantale, nous quittons ce terrain, en
pratiquant l'épochè universelle quant à
l'existence ou la non-existence du monde. On peut dire
14 E. Husserl, Méditations
cartésiennes, op. cit., p. 21.
15 J. Russ, Les Auteurs, les uvres, op.
cit., p. 387.
16 E. Husserl, Méditations
cartésiennes, op. cit., p. 22.
17 Ibidem, pp. 18-19.
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que l'expérience ainsi modifiée, mise hors
circuit comme le dirait Husserl, l'expérience transcendantale consiste
en ceci : nous examinons le cogito transcendentalement réduit
et nous le décrivons sans effectuer, par surcroît, que la position
d'existence que le moi naturel avait en fait spontanément
accomplie18. Husserl écrit plus loin :
« Ce qui a lieu ici peut aussi se décrire de
la façon suivante : si nous disons du moi qui perçoit le 'monde'
et y vit tout naturellement, qu'il est intéressé au monde, alors
nous aurons, dans l'attitude phénoménologiquement
modifiée, un dédoublement du moi ; au-dessus du moi
naïvement intéressé au monde s'établira en spectateur
le moi phénoménologique. Ce dédoublement du moi est
à son tour accessible à une réflexion nouvelle,
réflexion qui, en tant que transcendantale, exigera encore une fois
l'attitude 'désintéressée du spectateur,
préoccupé seulement de voir et de décrire de
manière adéquate. »19
Husserl a imaginé la réduction
phénoménologique pour soumettre la validité de notre
rapport au monde à un examen radical. Nous dirons, en nous appuyant sur
les citations ci-dessus et sur quelques considérations de la
première méditation cartésienne, que la réduction
phénoménologique consiste pour le moi dans la suspension de tout
jugement ou toute croyance sur le monde, de sorte que, au-dessus du moi de
l'attitude naturelle qui exprime naïvement des jugements sur l'être
du monde objectif, soit placé le moi pur qui observe la vie de la
conscience du moi `naturel' et, dans l'analyse transcendantale, décrit
tout juste le rapport dans lequel l'ego transcendantal
appréhende le moi `naturel' ou le moi empirique. Il y a chez Husserl
plusieurs sortes de réduction, mais leurs différences consistent
en nuances, et entreprendre de les distinguer ici dépasserait le cadre
de cette analyse.
Qu'il suffise ici d'indiquer qu'à la réduction
phénoménologique qui suspend tout jugement d'être ou
disqualifie l'existence du monde extérieur fait suite la
réduction transcendantale qui conduit à l'ego
transcendantal, lequel est une instance qui analyse le rapport du moi
phénoménologique pur au moi naturel et décrit les
vécus purs du moi phénoménologique.
18E. Husserl, Méditations
cartésiennes, op. cit., p. 24. 19 Ibidem, p.
33.
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La sphère de la phénoménologie
transcendantale est donc, comme on l'a déjà laissé
entendre ci-dessus, celle des vécus `réduits' du moi, celle du
moi qui ne fait que décrire ses actes ou vécus intentionnels,
sans le moindre intérêt pour la position du monde qui est parfois
contenue dans ses vécus directs. Elle est par la suite
désignée par Husserl comme sphère de la
`primordialité', c'est-à-dire comme sphère des
vécus purs du moi comme sujet.
I.2.2. La substitution de l'égologie
solipsiste à l'ontologie
Après avoir expliqué la réduction
phénoménologique non au sens de négation, ni de remise en
doute de l'existence du monde, mais comme mise en épochè
phénoménologique qui interdit absolument tout jugement
portant sur l'existence spatiotemporelle, Husserl opère un retour
radical vers le sujet pour décrire ses états de conscience
intentionnels. C'est une démarche phénoménologique qui
consiste à accorder une importance prépondérante à
l'individu, mieux, et selon l'expression husserlienne, au << moi pur
>>, à l'ego transcendantal.
« La phénoménologie transcendantale,
systématiquement et pleinement développée, déclare
Husserl, eo ipso une authentique ontologie universelle. Non pas une
ontologie formelle et vide, mais une ontologie qui inclut toutes les
possibilités régionales d'existence, selon toutes les
corrélations qu'elles impliquent »20.
Cette ontologie universelle et concrète dont parle
l'auteur des Méditations cartésiennes
présenterait par conséquent, l'univers des sciences, premier en
soi et ayant un fondement absolu. L'ordre des disciplines, soutient-il, serait
le suivant : << d'abord 1'égologie solipsiste, celle de l'ego
réduit à la sphère primordiale ; ensuite viendrait la
phénoménologie intersubjective, fondée sur
l'égologie solipsiste >>21. Si on s'arrête
à ce niveau, on pensera que Husserl n'accorde que la primauté
à l'égologie solipsiste par rapport à l'ontologie telle
qu'il l'entend, mais lorsqu'on s'enfonce dans la profondeur de sa
pensée, on découvre qu'il y a plus. En effet, c'est à la
fin de la quatrième Méditation cartésienne que Husserl
développe de la manière la plus claire la thématique de
l'idéalisme transcendantal qui est la solution possible au
problème de la théorie de la connaissance, c'est-à-dire au
problème que devait résoudre chez Descartes la théorie
de
20 E. Husserl, Méditations
cartésiennes, op. cit., p. 249.
21 Ibidem, p. 250.
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la véracité divine. A la place de Dieu, il y a
en effet pour Husserl l'ego transcendantal, dans lequel se constituent
tout sens et tout être imaginables. Ce qui permet donc de jeter un pont
entre le transcendant et l'immanent, c'est la théorie de la conscience
constituante : l'être se révèle comme une formation de la
subjectivité ontologique et l'explicitation de l'ego par
lui-même, l'égologie, est en même temps ontologie. Il y a
donc non seulement une identification de l'égologie à
l'ontologie, mais surtout une substitution de l'une à l'autre. Car, la
voie qui mène à une connaissance des fondements derniers, au plus
haut sens, c'est-à-dire à une science philosophique, affirme
Husserl, « est la voie vers une prise de conscience universelle de
soi-même, et embrasse toute science authentique, responsable
d'elle-même >>22. Dès lors, il se trouve
qu'il y a ici une substitution de l'égologie à l'ontologie, et
par là même, l'oracle delphique du « connais-toi
toi-même >> se trouve justifié et acquiert un sens
nouveau23. La science positive est une science de l'être qui
s'est perdu dans le monde. Il faut d'abord perdre le monde par
l'épochè, pour le retrouver ensuite dans une prise de
conscience universelle de soi-même.
De là découle le sens fondamentalement nouveau
de l'idéalisme transcendantal husserlien, car, à la
différence de l'idéalisme kantien, Husserl ne croit pas «
pouvoir laisser ouverte la possibilité d'un monde nouménal
(le monde des choses en soi), fut-ce à titre de concept limite
>>24. Pour Husserl, en effet, souligne Bertrand Bouckaert, il
n'y a pas de réalité absolue qui viendrait de l'extérieur
limiter les pouvoirs constituants de l'ego transcendantal, ce qui
implique du même coup l'illimitation de la sphère
égologique25.
En somme, nous pouvons rappeler que c'est dans les
Méditations cartésiennes que Husserl nous déploie
sa véritable pensée phénoménologique. Dans ce livre
qui retrace son itinéraire philosophique, l'auteur, en emboîtant
le pas à Descartes, nous invite à faire abstention de tout ce que
nous savons sur le monde et à revenir des discours et opinions «
aux choses mêmes >> telles qu'elles apparaissent. En d'autres
termes, il faut mettre en épochè toutes nos
préoccupations touchant le monde extérieur et revenir à
nous-mêmes. Cette attitude nouvelle qui implique une mise entre
22E. Husserl, Méditations
cartésiennes, op. cit., p. 251.
23 Idem.
24 Ibidem., p. 172.
25 B. Bouckaert, L'Idée de l'autre. La
question de l'Idéalité et de lAltérité chez
Husserl., Springer, 2003, p. 115.
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parenthèses du monde extérieur traduit en fait
que la phénoménologie est une conversion du regard qui devra, au
lieu de se diriger vers l'être ou l'altérité, faire un
retour radical sur soi-même afin d'observer la manière dont notre
conscience saisit la structure intime des choses, leur eidos (forme),
leur essence. D'où la définition de la
phénoménologie comme d'une part << science eidétique
» ou science des essences, et d'autre part, elle est perçue comme
une auto-méditation égologique.
Cela dit, la phénoménologie transcendantale de
Husserl, parce qu'elle accorde le primat au moi, à la conscience
intentionnelle du sujet, se mue en une égologie solipsiste, selon ses
propres termes. Elle disqualifie ipso facto l'ontologie fondamentale,
comme pensée de l'être. Cette disqualification de l'ontologie
fondamentale va donc conduire Martin Heidegger, qui a été
longtemps assistant avant de devenir successeur de Husserl à <<
déconstruire » l'approche de Husserl et à prendre une
orientation plutôt ontologique de sa description du Dasein.
Heidegger ne désavoue pas la maxime husserlienne du
retour << aux choses mêmes », mais son questionnement est en
quelque sorte antérieur à celui de son maître Husserl. Ce
dernier présuppose une conscience susceptible de saisir des
phénomènes ; en ce sens, il s'inscrit dans la lignée de
Descartes et de Kant qui privilégient le cogito et l'ego
transcendantal. Heidegger, de son côté va chercher son point
de départ en deçà même de la conscience et du
phénomène. S'il effectue, lui aussi, un retour aux choses, c'est
pour s'interroger sur le fait qu'il y ait des choses, que ces choses soient
là, et là où elles sont. Et c'est dans ce
là que réside tout le problème de
Heidegger26. Dès lors, la question fondamentale devient, non
plus celle de l'ego ou de la conscience, mais surtout celle de
l'être, question de l'ontologie fondamentale dont la réponse est
imprimée dans l'existence même du Dasein, le là de
l'être. Certes, Heidegger est influencé par la notion d'existence
de Kierkegaard et la méthode phénoménologique de Husserl,
mais, ces notions reprises sont dotées d'une autre force. Il
décrit l'homme dans son existence et utilise la méthode
phénoménologique, mais tâchera de nous libérer de
l'anthropologie religieuse de Kierkegaard et de l'engluement égologique
de Husserl. C'est la raison pour laquelle il s'avère nécessaire
de reprendre, et de fond en comble, le problème de l'être au sens
de l'exister du Dasein.
26 J.-A. Barash, Heidegger et son siècle.
Temps de l'être, temps de l'histoire, PUF, Paris, 1995, p. 22.
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CHAPITRE I I:
L'EK-SISTENCE DU DASEIN : UNE OUVERTURE
EK- STATIQUE
On ne peut définir l'homme par rapport à
lui-même : il n'est ni un sujet isolé, ni la monade leibnizienne
qui serait une réalité sans ouverture, sans fenêtre, sans
porte. Pour Heidegger, en fait, le propre du Dasein c'est d'être dans le
monde, de vivre et d'ek-sister. Ek-sister, en effet, n'est
pas synonyme d'être qui peut renvoyer à un état «
factice » et fictif, un état passif et oisif oü l'homme se
contente uniquement d'être dans le monde, d'être là en
spectateur. Cette présence fondamentale du Dasein au monde n'est pas
exclusivement un fait constatable, elle est un événement
vécu, l'expérience étonnante du surgissement de
l'être, que notre philosophe traduit par le terme ek-sistence.
Mais qu'est-ce qu'ek-sister pour le Dasein? Qu'est-ce qui
caractérise sa modalité d'être? Telles sont les questions
qui nous serviront de fil conducteur tout au long de ce chapitre. Pour y
répondre, nous articulerons nos investigations autour de trois axes.
Nous évoquerons tour à tour les caractères de
l'ek-sistence du Dasein. Ensuite, nous essayerons de comprendre et de
mettre en lumière les modalités de son ek-sistence,
à savoir les modes inauthentique et authentique. Enfin, il sera question
de présenter l'argument ontologique de l'ek-sistence. Mais
avant de nous adonner à cette description du Dasein, il convient de
clarifier ce que ce mot représente dans l'acception
heideggérienne.
II.1- Esquisse d'explication du concept de Dasein
La question qui a taraudé Martin Heidegger durant toute
son existence en tant que penseur est bien évidemment celle de
l'être, ou mieux celle du sens et de la vérité de
l'être. C'est à partir de cette interrogation fondamentale sur
l'être que le philosophe allemand va poser le problème
anthropologique, celui de la condition humaine. Pour Heidegger, en effet, il y
a plusieurs sortes d'étants, et puisque l'être est commun à
tous, il faut impérativement choisir un qui sera en mesure de livrer ou
de délivrer le sens et la vérité de l'être.
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« Qui dit élaboration de la question de
l'être, déclare Heidegger, dit par conséquent
qu'un étant, celui qui questionne, se rend transparent à
lui-même en son être. Dès lors que poser cette question est
un mode d'être d'un étant, le questionnement qu'elle
instaure doit lui-même de sa détermination au questionné
qui est visé en lui à l'être. Cet étant que nous
sommes chaque fois nous-mêmes et qui a, entre autres possibilités
d'être, celle de questionner, nous lui faisons place dans notre
terminologie, poursuit-il, sous le nom de Dasein. Pour poser
expressément et en toute clarté la question du sens de être
(sic), il est requis d'en passer d'abord par une explication d'un étant
(Dasein) en considérant justement son être
»27.
Mais pourquoi ce vocable de Dasein ? En d'autres termes,
pourquoi cette re-nomination ou cette « rebaptisation » de l'homme
sous la terminologie de Dasein ? D'entrée de jeu, Heidegger approuve
cette terminologie qui signifie « réalité humaine
»28. D'autre part, il explique que c'est un concept
intraduisible en français : « Da-sein ne signifie pas tellement
pour moi « me voilà là ! », mais si je puis
ainsi m'exprimer dans un français sans doute impossible :
être-le-là, et le-là est
précisément Alèthéia
décèlement -- ouverture »29. Cette
deuxième réponse à la question touchant au statut du
Dasein va se situer dans une perspective de dépassement et de
déplacement de la conception traditionnelle que l'on a de l'être
humain. A cet effet, F. Dastur peut dire :
« Heidegger est le penseur qui a rappelé de
manière très forte la philosophie à sa vocation
première, qui est celle du souci de la totalité et non pas
seulement de la sphère humaine, en une époque dominée par
l'anthropocentrisme et où, en cette fin de siècle, la philosophie
se voit réduite à l'éthique, c'est-à-dire à
une préoccupation centrée sur l'homme seul. C'est là le
sens fondamental du retour à la question de l'être comme question
fondamentale de la philosophie [...J. Que le rapport à
l'être définisse de manière première et fondamentale
l'être de l'homme, c'est là ce qui a conduit Heidegger à
nommer ce dernier d'un nom qui n'est pas traditionnel : Dasein, et non
plus 'sujet' ou ' conscience' »30
.
27 M. Heidegger, Sein und Zeit (1927),
Etre et temps, traduction française par F. Vezin, Gallimard, Paris,
1986, p. 7 (Nous optons dans ce travail pour la pagination de l'édition
originale qui se trouve en marge de la traduction française).
28 M. Heidegger, « Lettre à Jean Beaufret
», in Question III, Gallimard, Paris, 1966, p.130.
29 Idem.
30 F. Dastur, cité par D. Janicaud,
Heidegger en France, Tome II . Entretiens, éd. Albin Michel, Paris,
2001, p. 75.
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Ainsi, il faut reconnaître que cette explication n'est
que liminaire, car c'est au cours de cette description des caractères de
l'ek-sistence du Dasein que nous mettrons en lumière les
raisons de ce choix de notre auteur.
II.2. Les caractères de l'ek-sistence du Dasein
Le Dasein est manifestement un étant au monde. Ce qui
particularise et spécifie sa présence au monde par rapport aux
autres étants est son ek-sistence : <<
1'être-aumonde, nous dit Heidegger, est la constitution fondamentale
du Dasein >>31, mais il ne l'est pas, comme le
précise l'auteur, comme << 1'eau dans le verre ou comme le
vêtement dans l'armoire >>32. En effet, ce que
Heidegger appelle les étants intramondains sont
caractérisés par leur disponibilité, leur
maniabilité, leur «utilisabilité». L'eau et le
vêtement, par exemple, ne sont là dans le verre et dans l'armoire
que pour être utilisés par l'homme. Le rapport fondamental que
l'homme entretient avec ces étants intramondains est celui de
profitabilité, d'utilisabilité. C'est dans ce sens que Folscheid,
en commentant la pensée de Heidegger, dit que << ce qui
constitue le monde ambiant, c'est la structure référentielle de
"maniabilité" d'un ensemble d'"outils" qui sont, en tant que tels,
inséparables du Dasein auquel ils renvoient. La
maniabilité (Zuhandenheit), et non la simple présence
(Vorhandenheit), est donc le mode originel de découvrement de
l'étant intramondain >>33. Et c'est cette
différence capitale d'êtreau-monde qui existe entre le Dasein et
les autres étants. Car, le Dasein, ontologiquement parlant, se
caractérise par la compréhension de l'être, le projet, la
transcendance et l'ouverture ek-statique à l'être.
Dès lors, il convient d'apporter un éclairage à ces
différents existentiaux.
II.2.1. L'ek-sistence du Dasein comme
compréhension de l'être
Par la compréhension, l'homme projette son être
en visant ses possibilités. Nous pouvons dire qu'il y a ici au fond de
la compréhension une possibilité de développement qui
s'inscrit en droite ligne dans l'ek-sistence. C'est l'être qui
est là pour lui-même, c'est-à-dire l'étant singulier
qui a pour modalité d'être non comme les
31M. Heidegger, Etre et temps, op. cit, p.
53.
32 Ibidem, p. 54.
33 D. Folscheid, La philosophie allemande. De Kant
à Heidegger, PUF, Paris, 1993, p. 304.
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choses, mais la possibilité ou le pouvoir-être.
Il se comprend à partir de sa possibilité d'être ou de ne
pas être. On pourrait dire que ce qui spécifie l'homme par rapport
aux étants intramondains, c'est qu'il est un ensemble de
possibilités. Ek-sister pour l'homme, c'est se remettre sans
cesse en question. L'eks-sistence désigne le caractère
qui porte l'homme ou le Dasein à être toujours en avant de
lui-même, à assumer son être-dans-le-monde. Car
être-au-monde ou être-dans-le-monde pour l'homme signifie se
reconnaître temporel et mortel, et par conséquent rester en
ouverture à l'être duquel il tient l'ek-sistence.
L'homme ek-siste de manière qu'il comprend
l'être. La compréhension de l'être devient ainsi un mode
d'être de l'être-là qui est l'homme : « La
compréhension de l'être, dit Heidegger, est elle-même une
détermination d'être du Dasein. Ce qui distingue
ontiquement le Dasein, c'est qu'il est
ontologique»34. Cela signifie que « c'est [...]
toute l'existence du Dasein qu'il faut interpréter pour lire le sens de
son projet ontologique et dégager ainsi l'horizon de la
révélation de l'être »35. Autrement
dit, l'homme est le seul étant auquel incombe la lourde tâche, la
première responsabilité de dévoiler le sens de
l'être ; il est le seul à être la voie royale d'accès
à l'être, le seul répondant de l'être. Car il est le
seul capable de s'interroger sur le fondement de son existence factice et sur
sa destinée. Interroger les autres étants, c'est donc aux yeux de
Heidegger emprunter des « chemins qui ne mènent nulle part ».
C'est là la primauté ontico-ontologique du Dasein. Le Dasein est
l'étant, pour lequel dans son être il y va de cet
être36. C'est pourquoi F. Couturier dira : «
l'existence heideggérienne n'est pas autre chose que cette
compréhension de son être qu'a le Dasein et qui permet
à celui-ci de se rapporter à son être.
»37 L'homme existe de façon qu'il puisse comprendre
l'être. Cette formule heideggérienne, selon E. Lévinas,
équivaut à une autre qui, d'abord semble en dire beaucoup plus :
« L'homme existe de telle manière qu'il y va toujours pour lui
de sa propre existence »38. Dès lors,
l'étude de l'être - ontologie - devient une étude des modes
d'être du Dasein. Autrement dit, l'ontologie fondamentale se mue en une
« analytique existentiale du Dasein », en une analyse de l'existence
humaine. Ainsi, ek-
34 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
12.
35 A. Chapelle, L'ontologie
phénoménologique de Heidegger. Un commentaire de « Sein
und Zeit », éd. Universitaires, Paris, 1962, p. XXII.
36 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., ,p.
12.
37 F. Couturier, Monde et être chez
Heidegger, Préface de Bernhard Welte, Presses de
l'Université de Montréal, Montréal, 1971, p. 1.
38 E. Lévinas, En découvrant
l'existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, Paris, 1982, p.
60.
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sister pour le Dasein, c'est comprendre ou avoir
l'intelligence de l'être. Dans cette
compréhension, l'homme reste fondamentalement
pro-jet.
II.2.2. Ek-sistence du Dasein conçue comme
pro-jet
L'homme, au dire de Heidegger, est un pro-jet
jeté dans le monde. Il n'est pas le fondement de son
être-au-monde. Il se découvre déjà plongé,
enraciné dans le monde. C'est ce qui explique le mieux sa situation dans
le monde. Ek-sister n'est pas synonyme d'être tout court.
L'ek-sistence, au sens ontologique du terme, n'est pas un attribut,
mais la réalité de tous les attributs. Elle devient un
caractère radical du Dasein. En effet, le mot "existence" dans la
conception ontologique heideggérienne doit être entendu dans
l'étymologie latine du terme : ek-sistere, c'est tout entier se
tenir au-dehors, outrepasser la réalité simplement
présente en direction de la possibilité39. Toutefois,
il ne suffit pas de passer d'un état à un autre pour
ek-sister : le pouvoir-être et l'ek-sistence supposent
une ouverture. Ainsi, l'anthropologie ontologique n'est pas une simple
description des faits ou des étants intramondains, mais elle est surtout
une réflexion sur le sens de l'eksistence, une explicitation de
l'ek-sistence, dont l'homme seul détient le
privilège.
Compris dans ce sens, Heidegger peut dire que le mot
ek-sistence est exclusivement réservé à l'homme
:
<< 1'homme seul existe. Le rocher est, mais
n'existe pas. L'arbre est, mais il n'existe pas. Le cheval est, mais il
n'existe pas. L'ange est, mais il n'existe pas. Dieu est, mais il n'existe pas
»40.
L'expression << l'homme seul existe >>, chez
Heidegger, signifie que l'homme est le seul étant à jouir d'une
triple ouverture : ouverture envers lui-même, ouverture envers les autres
étants et finalement ouverture envers l'être puisqu'il en est le
site de dévoilement. Il s'agit aussi de comprendre que «
l'homme seul est [...J engagé dans le destin de l'ek-sistence
>>41. En d'autres termes, il est un projet qui doit se
réaliser, et la réalisation de ce projet suppose une ouverture
à l'être. C'est ici que la présence de
39 J. Beaufret, Introduction aux philosophies de
l'existence. De Kierkegaard à Heidegger, éd.
Denoël/Gonthier, Paris, 1971, p. 21.
40 M. Heidegger, Was ist Metaphysik ? (1949),
<< Qu'est-ce que la métaphysique ? », in
Questions I, Gallimard, Paris, 1968, p. 35.
41 M. Heidegger, << Lettre sur l'humanisme
», in Questions III, op. cit., p. 80.
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l'homme au monde est une présence dynamique, une
tâche ardue à assumer. Il va sans dire que c'est également
dans cette optique que notre philosophe a fait cette déclaration qui a
été l'objet de tant de méprises dans la sphère de
la philosophie. Si pour Sartre, l'existence précède l'essence,
pour Heidegger : << L'essence du Dasein réside dans son
existence >>42. Cette expression aussi bien bouleversante
que révolutionnaire signifie en réalité que l'homme n'est
vraiment homme que dans la mesure où, d'une part il se tient ouvert
à l'ouverture de l'être, et d'autre part son existence se
présente ici comme une °uvre de longue haleine à accomplir.
Evidemment une telle ek-sistence vise donc la déconstruction de
l'idéalisme de Platon ainsi que sa postérité pour qui le
vrai monde de l'homme serait intelligible et que le monde sensible n'est qu'un
pseudo-monde. Du coup, Heidegger balaie d'un revers de la main le dualisme qui
caractérise la philosophie occidentale. Toutefois, il faut
reconnaître que la réalisation de cette existence requiert une
lutte, un dépassement de soi-même, une transcendance.
II.2.3. Ek-sistence du Dasein en tant que
transcendance
Il faut souligner que 1'ek-sistence du Dasein est
au-delà des autres étants. Elle est transcendante. En effet, la
transcendance, selon Heidegger, est l'expression de ce dynamisme de l'homme
à pouvoir se projeter, à devenir un <<
être-des-lointains >>. Ce qui revient à dire que la
manière humaine d'être est un appel à un dépassement
continuel de soi. Le Dasein, en ek-sistant, ne cesse de se remettre en
question, de dépasser la réalité qui l'environne et le
conditionne, sans pourtant se laisser déterminer par lui. Toutefois, il
faut éviter une certaine méprise quant à la
compréhension de cette transcendance qui explique le caractère
existential de l'ek-sistence du Dasein; elle n'est pas à
prendre au sens idéaliste du terme. La transcendance selon la
compréhension heideggérienne est paradoxalement immanente et
<< le processus de transcendance est un acte par lequel le
Dasein se pose lui-même comme être-dans-le-monde
>>43. Cela signifie que la réalité d'être
de l'homme est d'être présent au monde. Et nous pouvons ajouter
que c'est grâce à ce mouvement de transcendance que le Dasein
inteiigibilise son monde, le constitue (l'organise) et lui donne un
sens. Bref, le Dasein se transcende
42 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
42.
43 G. Vattimo, Introduzione a Heidegger (1971),
Introduction à Heidegger, traduction française par J.
Rolland, Cerf, Paris, 1985, p. 88.
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du même coup qu'il transcende les existants bruts. Cet
acte de transcendance ne peut pas être posé : il est la
caractéristique même du Dasein, sinon celui-ci perdrait son statut
d'étant ontologique. Enfin, une ek-sistence transcendante ne
serait-elle pas une ouverture ek-statique à l'être ?
Autrement dit, le Dasein ne serait-il pas vraiment luimême que dans la
mesure oü il est une ouverture ek-statique à l'ouverture
dé-celante et apparaissante à l'être ? A ce questionnement,
Heidegger répond sans tergiverser par l'affirmative. Pour lui, la
véritable essence, comme nous l'avions dit, repose dans son
ek-sistence :
<< se tenir dans l'éclaircie de l'être,
dit-il, c'est ce que j'appelle l'ek-sistence de l'homme. Seul l'homme
a en propre cette manière d'être (essence). L'ek-sistence
ainsi comprise est non seulement le fondement de la possibilité de la
raison, ratio, elle est cela même en quoi l'essence de l'homme
garde la provenance de sa détermination »44.
En définitive, l'homme ne déploie son
ek-sistence que lorsqu'il devient le "là",
c'est-à-dire le lieu du dévoilement de la
vérité de l'être ou de l'éclaircie de l'être.
Cette existence est susceptible de se déployer de deux façons,
soit dans l'inauthenticité, soit dans l'authenticité.
II.3. Les deux modes de l'ek-sistence :
inauthentique et authentique
Nous avons esquissé dans la partie
précédente une analytique de l'ek-sistence du Dasein
telle qu'elle nous est présentée par le philosophe allemand, M.
Heidegger. Il nous faut à présent faire un pas de plus en
profondeur pour apporter un éclairage sur la double modalité de
cette ek-sistence. En effet, l'ek-sistence humaine est une
structure susceptible de deux modalités fondamentales : inauthentique et
authentique. Qu'est-ce qu'une ek-sistence inauthentique et authentique
pour le Dasein ? Comment le Dasein est-il appelé à
ek-sister dans-le-monde et surtout à être-avec-autrui
?
Le Dasein ne rencontre pas seulement dans le monde oü il
est plongé, ou déjà jeté des ustensiles dont il
dispose, mais aussi d'autres Dasein. Son monde est toujours un monde commun,
c'est un monde au sein duquel les autres se sont toujours déjà
annoncés. Même seul, même lorsqu'il n'y a aucun homme dans
son environnement immédiat, le Dasein est toujours avec autrui :
<< le Dasein est essentiellement en lui-
44 M. Heidegger, << Lettre sur l'humanisme
», in Questions III, op. cit., p. 80.
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même un être-avec »45.
Mais que peut bien signifier cette affirmation très suggestive de
Heidegger ? Cet énoncé qui est, au dire de Heidegger,
phénoménologique a un sens existential si bien que la solitude
n'a plus de sens dans l'ek-sistence du Dasein, sinon elle n'a de sens,
à vrai dire, que pour un être qui est fondamentalement en rapport
avec les autres. Ces derniers ne peuvent manquer que dans et pour un
être-avec : « 1'êtreavec, dit Heidegger, est une
détermination du Dasein que j'ai chaque fois en propre ; la coexistence
caractérise le Dasein des autres dans la mesure oil elle s'offre, de par
leur monde, à un être-avec. »46 Dans son
rapport quotidien, dans cette coexistence avec les autres, le Dasein qui
entretient des relations particulières avec autrui, et par manque de
vigilance ou de contrôle sur soi, tombe dans l'inauthenticité ou
mieux dans l'ek-sistence inauthentique.
II.3.1. L'ek-sistence inauthentique
L'ek-sistence inauthentique caractérise le
stade où l'homme dilue sa personnalité dans la masse, vit dans
les apparences. Il est accaparé, pourrions-nous dire, par les autres et
se détermine par rapport à eux. Ce sont les autres qui lui
dictent la conduite à tenir. Dans la perspective heideggérienne,
l'homme ou le Dasein inauthentique pourrait être fondamentalement
défini comme celui qui abdique sa responsabilité et son autonomie
pour se soumettre à la complète hétéronomie. Il
n'est pas celui qui se fait comme dirait l'existentialiste athée, J.-P.
Sartre, mais il est fait ; il n'agit pas selon ses propres convictions, mais
est agi par les événements, les hommes, l'entourage, ou le
milieu. C'est un homme à être superficiel, si nous entendons la
superficialité comme la mesure de notre
hétéro-détermination. Se laisser fasciner par la
majorité, par l'extériorité au point de s'oublier
soi-même, au point de se laisser mécaniser, instrumentaliser par
les structures ou les institutions sociales, voilà ce qui est l'apanage
de l'ek-sistence inauthentique. Dans cette modalité
d'être, l'être humain reste prisonnier de la société,
des traditions, des opinions. Ce n'est pas lui qui agit, mais il est
plutôt agi par le regard des autres, par les influences
extérieures.
Tel pourrait être le vrai visage de l'existence
inauthentique. D'une manière générale, dans son rapport
quotidien avec les autres, le Dasein se tient sous l'emprise
45 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
120. 46Ibidem, p. 121.
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d'autrui et est par là même
dépossédé de son être soi-même. Dans cette
dépossession, « ce n'est pas lui-même
[c'est-à-dire le Dasein] qui est, nous dit Heidegger, les
autres lui ont ôté l'être ».47 Etant
donné que le Dasein n'est plus lui-même, il tombe du coup sous ce
que Heidegger appelle la dictature du on.48
Concrètement, dans l'existence inauthentique, l'homme ne se
détermine plus par lui-même, mais d'après ce qu'on dit, ce
qu'on fait : « Nous nous réjouissons et nous nous amusions
comme on se réjouit ; nous lisons, voyons et jugeons en
matière de littérature et d'art comme on voit et juge ;
mais nous nous retirons aussi de la " grande masse"comme on se retire
; nous trouvons "révoltant" ce que l'on trouve
révoltant. »49. Voilà l'homme de la masse,
de la majorité qui sombre dans l'anonymat de la masse, dans
l'annihilation de toute velléité créationnelle, qui
croupit dans l'ek-sistence monotone et routinière. C'est bien
cela que nous pouvons appeler le conformisme qui caractérise aussi
l'existence inauthentique.
II.3.1.1. L'ek-sistence inauthentique comme
attitude conformiste
Le conformisme, en effet, est l'acte de se conformer, de se
complaire dans ce qui convient aux autres ; ce qui en soi est un processus
naturel, et, en certaines circonstances, positif, il faut même dire
créateur, constructif. Une telle complaisance constructive et
créatrice entre les hommes, à l'intérieur d'une
société, est une confirmation de la solidarité et son
épanouissement. Cependant, malgré cet aspect positif, le terme de
conformisme comme existence inauthentique renvoie à une
réalité négative. Le conformisme, à ce niveau,
« désigne un manque de solidarité intrinsèque, en
même temps que la dérobade par rapport à l'opposition
»50 . S'il dit la complaisance des uns et des autres
à l'intérieur d'une société, ce n'est qu'en un sens
extérieur et superficiel, privé du fondement personnel de la
conviction et du choix. C'est ici que la pertinence de la conception
heideggérienne de l'existence inauthentique trouve un écho
favorable chez K. Wojtyla qui le lui concède.
47 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
126.
48 Idem.
49Ibidem, pp. 126-127.
50 K. Wojtyla, Osaba i czyn (1977),
Personne et Acte, traduction française par G. Jarczyk,
éd. Centurion, Paris, 1983, p. 326.
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En effet, selon le point de vue wojtylien, <<
l'attitude de conformisme implique avant tout une certaine
démission, variante caractéristique de ce pati par
lequel l'homme-personne n'est que le sujet d'un " advenir " , et non
l'auteur responsable d'une attitude et d'un engagement propres dans une
communauté» .51 Dans cette forme de conformisme, le
Dasein ne construit pas le groupe humain ou la société à
laquelle il appartient, mais se laisse plutôt porter par la
collectivité. Se cache derrière cette attitude, sinon la
négation ou la limitation, du moins la faiblesse de la transcendance
personnelle, c'est-à-dire l'émergence personnelle et le
dépassement de soi, bref l'autodétermination et du choix. C'est
en cela que consiste le manque de réalité ontologique de cette
modalité. Il ne s'agit pas là, bien évidemment, du seul
fait de baisser pavillon devant les autres, car cela peut avoir en bien des cas
une signification positive. Il s'agit, tout au contraire, d'un renoncement
ontologique à s'accomplir soi-même, comme l'affirme Heidegger,
dans l' << être-en-compagnie »52 avec les
autres. L'homme s'accorde pour ainsi dire avec le fait que la compagnie prive
le Dasein de lui-même, le dépossède, le décharge du
poids de son être, c'est-à-dire de toute responsabilité et
favorise ainsi la médiocrité, ou selon l'expression de Heidegger
lui-même, << tendance au moindre effort que le Dasein
a foncièrement en lui ».53 L'étant qui, dans
l'existence quotidienne, est au monde n'est pas le Dasein existant
authentiquement en vue de lui-même, mais celui qui est dispersé
dans le on, ce que Heidegger appelle le <<on-même »
(das Man-selbst)54, modalité inauthentique du
soi-même. La dispersion du Dasein dans le on est en outre ce que
Heidegger nomme << déchéance » ou l' <<
échéance » (Verfallen) du Dasein.
II.3.1.2. L'inauthenticité comme chute dans
la déchéance
La déchéance du Dasein n'a pas une signification
négative. Elle fait partie de sa constitution ontologique. Ainsi, en
tant que déchu ou échu, le Dasein esquive son propre
pouvoir-être, et se réfugie dans le bavardage, la
curiosité, l'équivoque ou les << parleries »,
c'est-à-dire des paroles vides de sens ; les commérages (le
«congossa »). Ainsi, nous pouvons dire que vivre dans
l'existence inauthentique, c'est être sous la
51 K. Wojtyla, Personne et acte, op. cit., p.
326.
52 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
127.
53 Ibidem, p. 128.
54 Ibidem, p. 129.
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dictature du on. Il s'agit de comprendre que d'un
côté l'homme se décharge de toute sa responsabilité
pour vivre dans la dispersion, «passe de l'excellence à la
médiocrité » (déchéance). En effet,
« l'homme médiocre, au dire de
Njoh-Mouelle, est l'homme du milieu ou encore l'homme moyen. Il est l'homme
du milieu par les insuffisances (accumulées) et les tares qu'il
manifeste et au premier rang desquelles nous plaçons l'aliénation
sous toutes ses formes : absence de jugement personnel et soumission,
c'està-dire dépendance par rapport à l'opinion et au
jugement anonyme de la majorité, comportements
stéréotypés, recherche de la facilité et de la
sécurité à tout prix, renonciation à l'autonomie et
à la liberté. »55
Bien plus, l'homme de l'ek-sistence inauthentique en
tant qu'homme médiocre est un homme du centre sans être
véritablement central56, car il est manipulé par la
majorité et non maître de ses propres décisions. Nous
pourrions dire davantage que l'homme de l'ek-sistence inauthentique
est celui qui met sa raison et son jugement personnel en congé pour
s'abandonner au ballottement que lui imposent l'opinion et le jugement anonyme
des autres. Il peut être et il est également l'homme qui, dans un
second mouvement d'<< auto-abandonnement », se laisse ballotter par
ses diverses tendances aussi tyranniques les unes que les autres. <<
Entre l'inférieur et le supérieur, le corps et l'esprit, la
bête et l'ange, il balance sans cesse et, en désespoir de cause,
finit par ériger son balancement en raison de vivre
»57.
L'homme inauthentique est, par ailleurs, un homme au carrefour
d'embarras. Il ne sait quelle direction prendre. Et comme il piétine au
carrefour, il en vient à se complaire dans son embarras et à
transformer son inaptitude à créer ou inventer, ou encore
à trouver des issues favorables à ses difficultés en
raison de vivre. L'inauthenticité montre ici un autre de ses aspects :
l'accommodation facile à n'importe quelle situation. Nous avons
déjà souligné qu'elle se manifeste à nous comme
démission de notre responsabilité, abandonnement à
l'hétéro-détermination ; à présent, elle se
révèle, comme nous venons de le dire, en tant que complaisance
dans le balancement et dans l'embarras. A dire vrai, l'ek-sistence
inauthentique est le fait de ne pas chercher à mettre fin au
mouvement de balançoire auquel est assujetti l'homme, ni à
55 E. Njoh-Mouelle, De la médiocrité
à l'excellence. Essai sur la signification du développement
humain, 3è éd. Clé, coll. << Etudes et
documents », Yaoundé, 1998, p. 51.
56Ibidem, p. 53.
57Ibidem, p. 54.
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résoudre son embarras. Un homme qui accepte un tel
état d'ek-sistence est un homme, à notre avis, de
fausses solutions qui transforme le carrefour en point d'arrivée ; ne
réussissant pas à sortir de la croisée des chemins, il
dépose ses bagages et décrète qu'il a atteint sa
destination. C'est finalement, et il faut le dire en toute radicalité,
l'homme qui ne sait où il va ou plutôt l'homme qui oublie sa
destination lorsqu'il rencontre des difficultés sur son
itinéraire. C'est l'homme qui ne cherche à résoudre aucun
problème mais qui transforme toutes ses difficultés en solutions.
Seul le présent l'intéresse et, à la rigueur, le
passé. Il est un homme fermé à la dimension de l'avenir,
incapable de créativité et d'inventivité. Par analogie, on
dirait qu'il est l'homme de l'existence esthétique de Kierkegaard
décrite ci-dessus. En outre et sur le plan éthique, cet homme ira
jusqu'à ériger les pseudo-valeurs ou les anti-valeurs en vraies
valeurs, et par un curieux renversement des valeurs, il arrive qu'on le prenne
pour un modèle social réussi.
A un niveau supérieur et surtout sur le plan politique,
l'existence inauthentique se conçoit ici comme le manque de
détermination politique d'un peuple ; le fait que ce dernier soit
à la « remorque » d'un autre peuple, le fait qu'il ne peut
user de sa souveraineté nationale. Aussi pouvons-nous dire que dans
l'existence inauthentique, un peuple ne dispose pas d'un pouvoir
décisionnel effectif, et ainsi il est ou devient la marionnette de tous
les pays dits puissants, les décideurs politiques et économiques
internationaux, les grandes firmes internationales.
Somme toute, nous pouvons dire que l'existence inauthentique
est non seulement une paupérisation, mais véritablement une
négation anthropologicoontologique, en ce sens que dans cette
modalité, quelque chose de très essentiel se trouve ravi,
arraché de l'homme. Inauthenticité, médiocrité,
conformisme, bref, l'infrahumanité est le trait fondamental d'une telle
ek-sistence que Heidegger appelle « inauthentique ». D'un
côté, l'homme est dépersonnalisé, de l'autre il se
« déresponsabilise », si nous pouvons nous permettre ce
néologisme. Dans ces situations, la seule issue favorable consiste
à acquérir ou reconquérir une identité
précise : l'existence authentique. C'est à ce niveau que se joue
donc le destin de tout Dasein et de tout peuple croupissant dans la
déchéance, le conformisme, la dictature de grandes puissances,
dans la dictature du on. Alors, par opposition à l'existence
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inauthentique, qu'est-ce que l'authenticité ou l'existence
authentique pour le Dasein? Quelles peuvent être ses
caractéristiques ?
II.3.2. L'ek-sistence authentique
Comme nous venons de l'évoquer, l'authenticité
ou l'existence authentique est à l'opposé de l'existence
inauthentique que nous venons de développer. En tant que telle
l'existence authentique doit consister en une modification existentielle du
on en tant que modalité d'être du Dasein : <<
1'être véritablement soi-même ne repose pas sur un
état d'exception oil le sujet et le on seraient
dissociés, au contraire c'est une modification existentielle du
on en tant qu'existential essentiel >>.58 Il
s'agit de comprendre par là que la reconquête de la
véritable essence de soi-même, par le fait qu'on soit tombé
dans la déchéance, n'est pas seulement une décision
ponctuelle, mais requiert une transcendance.
II.3.2.1. L'ek-sistence authentique : appel à
la transcendance
La transcendance du Dasein, en effet, est le
dépassement, qui a toujours déjà eu lieu de quelque
façon, au-delà de tout étant et de chaque étant, un
dépassement au moyen duquel seulement le Dasein peut revenir d'une
manière authentique vers les choses, vers l'être-avec et vers
lui-même. C'est seulement au moyen de ce dépassement que peut
être posée la question d'un rapport possible du Dasein à
l'être. La transcendance, le dépassement par-delà
l'étant dans son ensemble, s'effectue vers le monde et est de ce fait
être-au-monde. Le monde, au sens heideggérien du terme, n'est pas
l'ensemble de l'étant, mais c'est ce tout dans lequel le Dasein se
trouve déjà toujours, dans le comment de sa manifesteté,
de sa révélabilité, compris avec une extension variable
par une compréhension anticipante et englobante.59 Cela
signifie que le monde comme totalité n'est pas de l'étant, mais
ce à partir de quoi l'être-là ou bien le Dasein se signifie
à lui-même avec quel étant il peut avoir rapport et de
quelle façon.
Ainsi, << le monde est lié à cet
en-vue-de-soi qui est la manière d'être dont existe
1'être-là >>.60 Le dépassement,
au-delà de l'étant, qui est constitutif du monde, est la
58 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
130.
59 F. Couturier, Monde et être chez
Heidegger, Presses de l'Université de Montréal,
Montréal, 1971, p. 3.
60 O. Pöggeler, Der denkweg Martin
Heidegger (1963), La pensée de Martin Heidegger. Un cheminement
vers l'être, traduction française par M. Simon,
Aubier-Montaigne, Paris, 1967, p. 127.
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transcendance, comme nous l'avons souligné plus haut,
conçue comme être-dans-lemonde procure seulement à
l'étant l'accès au monde de sorte que l'étant puisse se
révéler tel qu'il est lui-même. Par là, la
transcendance est l'événement originaire, l'histoire originaire.
Elle doit être conçue comme liberté, car celle-ci place en
face de soi un en-vue-de-soi et fait ainsi << perdominer »
(Waltenlassen61) un monde. Ainsi, si ce n'est que dans le
monde et en compagnie avec les autres que le Dasein peut retrouver son statut
authentique, il va sans dire que cette authenticité ne sera effective
que dans l'avènement de la mort. Nous expliciterons plus tard et
davantage la mort comme phénomène du Dasein authentique le moment
indiqué.
Concrètement, opter pour l'ek-sistence
authentique chez Heidegger signifie sortir de sa léthargie, secouer
le joug de son esclavage inconscient, passer au crible, une à une,
toutes les pseudo-valeurs de l'ek-sistence inauthentique. En outre,
choisir l'authenticité ou l'ek-sistence authentique, c'est
s'engager à devenir, comme le surhomme nietzschéen,
créateur des valeurs nouvelles susceptibles de transformer sa propre vie
et la vie de la société. En effet, le créateur des valeurs
nouvelles doit s'émanciper de tous les conformismes inhibants, de tous
les maîtres, voire du devoir, le << tu dois », pour
qu'advienne le règne du << je veux » qui, à notre
avis, est une expression de la responsabilité assumée.
II.3.2.2. L'authenticité en tant que
responsabilité
L'homme authentique ou bien de l'ek-sistence
authentique, en effet, ne se départit en aucun moment de sa
responsabilité sans se renoncer, sans se renier. L'authenticité
selon Heidegger implique pour l'homme le devoir de responsabilité. Mais
s'agit-il d'une responsabilité illimitée et étendue
à tout le genre humain ? Toute responsabilité qui se limiterait
à l'individu enfermerait l'homme dans les cercles étroits de
l'égoïsme, de l'individualisme exclusif et des diverses autres
clôtures que la liberté devrait ébranler. Or, pour
Heidegger, justement, être-au-monde pour l'homme, c'est être-avec ;
<< le Dasein est essentiellement en lui-même
être-avec, et cet énoncé phénoménologique :
le Dasein est essentiellement être-avec, a un sens ontologique
existential. »62 Cette affirmation capitale de notre
auteur n'a pas d'autre intention ou
61 Nous traduisons approximativement Walten
(<< perdominer ») par s'étendre souverainement,
régner.
62 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
120.
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d'autre ambition humaniste que de nous signifier en fait que
toute attitude égoïste, égocentrique et particulariste
contredit l'authenticité de l'homme. La responsabilité bien
assumée et bien exercée dans l'ek-sistence authentique
ne peut donc être qu'une responsabilité étendue à
l'humanité objective. Autrement dit, toute responsabilité humaine
doit désormais mobiliser la dimension de l'altérité et de
l'humanité ; elle doit engager ce que Heidegger lui-même appelle
dans sa terminologie le << souci mutuel
>>63.
De plus, le vouloir de l'homme authentique ne se subordonne
pas à des fins partisanes ; il veut et intègre la volonté
générale. En effet, nous avons parlé plus haut de
création de valeurs nouvelles par l'homme authentique, mais il faut
préciser qu'il faille que ces valeurs nouvelles puissent être
voulues par tout le monde. Car, point n'est besoin ici d'ouvrir la voie
à une anarchie des valeurs sous prétexte de favoriser
l'avènement d'hommes authentiques, à l'exemple du surhomme
nietzschéen. L'homme authentique ne peut être tel que dans la
mesure où les autres le reconnaissent tel, c'est-àdire se
reconnaissent idéalement en lui. Et se reconnaître
idéalement en l'homme créateur des valeurs, c'est accorder une
valeur d'universalité à ce qu'il fait et crée, puisque,
déjà dans son ek-sistence à lui, il
intègre la dimension de la coexistence existentiale ontologique des
autres.64 Ainsi, nous voyons deux exigences capitales venir se
greffer à la définition de l'authenticité : l'exigence de
la responsabilité à l'égard de tous les humains et,
corollairement, l'exigence de connaissance de ce qui est bien pour tous les
hommes. C'est ici que la pensée de Heidegger trouve écho chez E.
NjohMouelle qui parle de l'homme excellent ou de l'excellence. En effet, selon
le philosophe camerounais,
<< 1'homme excellent, en tant qu'il prend des
initiatives novatrices, engage le sort de ses semblables. Il ne saurait lui
être interdit de vouloir son propre bien ; mais alors, il doit agir de
telle sorte que vouloir son propre bien ne contredise pas le bien des autres ;
en d'autres termes vouloir son propre salut et vouloir le salut de ses
semblables doivent être une seule et même chose. Il n'est
responsable que parce qu'il est apte à la liberté ; et si sa
recherche de la liberté devait nuire à la libération des
autres, il fait échec par là-même à sa propre
libération et se dénoncerait comme indigne de la
responsabilité de l'humain. >>65
63 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
121. 64Ibidem, p. 125.
65 E. Njoh-Mouelle, op. cit., p. 160.
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De tout ce qui précède, nous pouvons retenir en
fait que l'authenticité ou l'existence authentique est le fait
d'être soi-même, c'est-à-dire le fait de
s'autodéterminer dans la vie quotidienne et de vouloir s'accomplir en
tant qu'homme qui ne se laisse ni dominer, ni aliéner, ni
déterminer par la dictature du on. Déjà à
ce niveau, il faut relever que ce qui caractérise l'existence
authentique d'un homme, ce sont d'un côté la transcendance
entendue comme émergence et dépassement du on, et de
l'autre l'autodétermination et l'accomplissement de soi dans le monde.
Tout ceci suppose donc la liberté qui place l'homme seul en face de
lui-même. Ce n'est que dans cette condition que le Dasein pourra
réaliser son ek-sistence, et notamment dans son rapport
à l'être.
II.4. Etre et ek-sistence : l'argument
ontologique
Si l'homme comprend le monde à l'intérieur de la
situation, c'est qu'il est luimême situé dans la
compréhension de l'être et par là, il est le Dasein. Car
<< il y va dans son être de l'être même
>>66. Que l'homme soit Dasein cela signifie qu'il n'est
pas semblable aux étants intramondains qui sont, mais qu'il tranche
radicalement sur eux parce que justement il est la clé de la
compréhension de l'être. Cela veut dire que l'eksistence
du Dasein n'est pas une donnée statique, stable, mais elle est dynamique
; elle est une tâche à réaliser. Bien plus, elle est
réplique à la revendication de l'homme par l'être,
écoute silencieuse de sa voix interpellante. L'ek-sistence,
comme le dit A. De Waelhens << ne se manifeste jamais comme un
état, mais comme une sorte de visée limite astreinte à
s'expliciter par l'engagement au monde >>.67 Etre Dasein,
ek-sister, c'est donc être toujours en ek-stase,
se tenir dans l'éclaircie de l'être, et expérimenter
que chaque problème n'a pas de solution en surface, mais qu'il
s'enracine dans une question fondamentale qui constitue l'être humain :
la question de l'être.
Par ailleurs, l'ek-sistence ne peut en aucun cas
être réduite à un moyen ou à un ensemble de moyens ;
elle se présente en réalité comme impliquant et aussi
dépassant tout ce à quoi on prétendrait la réduire.
Mais ce n'est pas tout. Nous l'avons entrevu déjà, plus
l'ek-sistence du Dasein affecte un caractère inclusif, plus
l'intervalle qui le sépare de l'être tend à se
rétrécir, en d'autres termes, plus le Dasein devient
lui-même.
66 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
27.
67 Cf. J.-P Resweber, La pensée de Martin
Heidegger, op. cit., p. 96.
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Ceci revient à dire qu'on ne peut en aucune
façon concevoir l'être coupé de l'eksistence et
l'ek-sistence de l'être. C'est par une sorte de processus
analogue à celui de l'argument ontologique que la pensée pose
l'être : << 1'essence du Dasein réside dans son
ek-sistence >>68. Ici ek-sister n'indique pas un
état, c'est-à-dire le fait d'être, mais la modalité
d'être (existential). L'essence de l'homme est de se
révéler comme une eksistence, ce qui veut dire que
l'homme est le << topos >>, le << là
>> de l'être, c'est-à-dire, comme il l'expliquera plus
précisément, une << clairière
(Lichtung) pour la présence et pour l'absence
>>69 de l'être.
Ainsi, en insistant sur la très étroite et
indéchirable co-appartenance de ce qu'il appelle << l'essence de
l'homme >> et << l'essence de l'être >> ce dont la
Lettre sur 1'humanisme esquissait l'élucidation, Heidegger vise
à nous libérer de l'égo-centrisme, du subjectivisme et de
l'anthropologisme dans lesquels les Modernes et les Postmodernes ont
embrigadé l'homme. Bien plus, le philosophe allemand veut montrer que
cette affinité, ce rapport qui suscite et ouvre le libre espace
où << homme >> et << être >> peuvent en
venir à paraître et correspondre, ce rapport représente une
exigence ontologique fondamentale pour une anthropologie
décentrée, ouverte. Une telle anthropologie ontologique ouverte
se met radicalement aux antipodes de celle des philosophes des Lumières
et philosophes contemporains, tels que Descartes, Stirner, Sartre, pour ne
citer que ceux-là, qui pensent la relation de l'homme à
l'être en termes d'aliénation, de domination et de soumission
aveugle. C'est dans ce contexte de rapport ontologique entre l'ek-sistence
du Dasein et l'être que peut donc se comprendre la relation que
l'homme doit entretenir avec le langage, et surtout le langage
existentential.
68 M. Heidegger, Lettre sur l'humanisme, in
Questions III, op. cit., p. 92.
69 M. Heidegger, Das ende der Philosophie und die
Aufgabe des denkens, 1968, << La fin de la philosophie et la
tâche de la pensée », in Questions IV,
Gallimard, Paris, 1977, p. 295.
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CHAPITRE III :
LE DASEIN ET SON RAPPORT AU
LANGAGE EXISTENTIAL
Heidegger voit dans le langage comme moyen d'expression et de
communication la cause essentielle de l'inflation verbale perpétuelle du
monde moderne et contemporain. Une telle essence nous plonge dans l'oubli le
plus épais de l'être du langage. C'est ce qu'il appelle le
<<danger >> ou <<péril >>. Ce
danger est menace du langage originel lui-même condamné à
ne plus se déployer que comme fonds disponible, c'est-à-dire
comme étant subsistant et menace de l'être du Dasein devenu sourd
et aveugle à sa propre essence, celle d'être le <<
là >> de l'être. C'est pourquoi, la pensée
du danger comme danger est nécessaire et urgent, car c'est dans la
pensée du danger comme tel que pointe à l'horizon ce qui sauve,
c'est en mettant en lumière la menace que fait peser sur nous le mode
interpellant que nous pouvons nous débarrasser, nous libérer de
l'emprise de cette inflation continue verbale.
III.1. Ereignis et langage
Selon Martin Heidegger, le premier danger que recèle
l'usage du langage moderne est qu'il maintient l'homme dans une surdité
à l'appel et à l'interpellation de l'être, ce qui est aussi
une ignorance de sa propre essence, celle d'être le <<
là >> de l'être, le << messager du langage
>>. Se ferme alors la possibilité d'une entente ou d'une vision.
C'est ce que Heidegger appelle la << surdité et la
cécité ontologiques de celui qui est sourd et aveugle à la
physis, sourd et aveugle à l'être >>70.
Celui-là abandonne alors son être libre, c'est-à-dire qu'il
<< oublie sa part, son destin, sa vocation la plus estimable. Abandon
de soi, oubli de l'être, dissipation de soi dans la consommation
d'étants : telle est la figure de l'errance >>71
et tel est aussi, aux yeux de Heidegger, le danger suprême qui menace
l'homme moderne. Car« devenu simple outil de communication, le langage
s'insurge contre la parole, exclut de plus en plus de lui-même toute
capacité de
70 M. Heidegger, << Ce qu'est et comment se
détermine la physis >>, in Questions II,
traduction française par K. Axelos, F. Fédier, Gallimard, Paris,
1968, p. 522.
71 M. Heidegger, << Vom wessen der Wahrheit
>> (1954), << De l'essence de la vérité >>,
traduction française par A. De Waelhens et W. Biemel, in Questions
I, Gallimard, Paris, 1968, p. 186.
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monstration originelle des choses
>>72. Ainsi, tantôt informatisé,
tantôt simplement nivelé et appauvri par les médias, le
langage est réduit à véhiculer des << messages
>> préétablis. En outre, et parce qu'il concerne
l'être lui-même, le danger relatif à l'oubli de l'essence du
langage n'est pas un danger quelconque, il est le << danger par
excellence >>. Ce qui constitue aux yeux de Heidegger, le
<<danger suprême >> ou <<danger par
excellence >> est que « l'être lui-même soit
oublié, c'est que l'oubli ne soit plus pensé comme oubli, c'est
l'absence de détresse. L'absence de détresse est donc la
détresse suprême >>73. Cette détresse
suprême est aussi fort remarquée dans la sphère politique
lorsque le politicien s'empare du langage pour ses allocutions
mensongères, notamment lors des campagnes électorales. L'oubli de
l'essence du langage conduit inconditionnellement à l'oubli de la
vérité, et c'est ainsi que dans le champ politique, le mensonge
ou le langage mensonger devient le critère indiscutable de la <<
maturité politique >>. Ceci pour dire en fait que s'il faut se
tailler une place dans le gouvernement et l'assurer en permanence, il faut
savoir user de la duplicité, de la dissimulation et du mensonge, ces
<< vertus politiques >>, afin d'apparaître << homme de
confiance >> aux yeux de ses chefs hiérarchiques. Et c'est dans
cette optique qu'il est important de comprendre que les politiciens <<
n'échapperaient pas aux mensonges inéluctables,
inhérents à 1'existence politique >>74.
Par ailleurs, à cause de l'instrumentalisation du
langage comme moyen d'expression et de communication, le Dasein tente
d'échapper à la contrainte d'écoute de l'être qui
l'oblige sans cesse à le dévoiler et à le déployer,
car << l'être même, dit Heidegger, est contrainte
>>.75 Mais à quoi l'être nous contraint-il ?
A cette question, Heidegger répond sans équivoque: <<
Il nous contraint à l'entendre et à le dire, à le
porter au langage. Nous ne pouvons pas ne pas entendre l'être même
silencieusement, et toute parole que nous disons dit l'être.
>>76 C'est la raison pour laquelle Heidegger évoque,
non sans ambiguïté que l'être est << ce qui a
toujours réclamé l'homme dans une
72 M. Haar, << Le tournant de la
détresse >>, in Heidegger, Cahier de l'herne, L'Herne,
Paris, 1983, p. 344
73 Ibidem, p. 346.
74 R. Polin, << Principes du mensonge
politique >>, in Le langage. Actes du XIIIè congrès des
sociétés de philosophie de langue française,
Genève, 2-6 août 1966, éd. La Baconnière,
Neuchâtel (Suisse), 1966, p. 359.
75 M. Heidegger, Nietzsche I, traduction
française par P. Klossowxki, Gallimard, Paris, 1971, p. 365.
76 M. Heidegger, << La question de la technique
>>, in Essais et conférences, traduction française
par A. Préau et préfacé par J. Beaufret, Gallimard, Paris,
1958, p. 25.
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parole à lui adressée (Anspruch)
»77. Dès lors, l'homme << ne peut jamais
être homme, si ce n'est comme celui auquel une telle parole
s'adresse »78. Etre homme, selon notre auteur, c'est
précisément :
<< être cet étant insigne qui a la
tâche de porter l'être à la parole ; être homme c'est
entendre et répondre à cet appel de l'être. Quels que
soient le moment et les caractéristiques de 1'existence, nous sommes mis
face à l'être. Nous sommes toujours déjà «
conduit dans le non-caché », que l'on agisse, parle ou pense. Ce
qui est premier c'est l'appel de l'être, et 1'homme ne fait qu'y
répondre. »79
Pour parvenir à répondre à l'appel de
l'être, Heidegger souligne que le Dasein doit d'emblée se disposer
à faire une expérience avec le langage originel qu'il nomme donc
Ereignis qui veut dire << évènement » ou
<< avènement ». Ce mot qui est en quelque sorte le nouveau
sens même de l'être veut exprimer la coappartenance entre l'homme
et l'être, coappartenance dans laquelle le Dasein est appelé
à se mettre à l'écoute de l'être. Que signifie en
fait faire une expérience avec le langage originel ? Les
conférences sur le langage, rassemblées sous le titre de
Acheminement vers la parole, nous aideront à répondre
à cette question.
Faire une expérience avec quelque chose, que ce soit
une chose, un homme ou un dieu, signifie que ce quelque chose vient à
nous, nous rencontre, nous renverse et nous change, que nous recevons ce
quelque chose qui nous concerne et nous réclame et que nous accommodons
ou nous soumettons à lui dans la mesure où il transforme en lui
selon qu'il nous réclame.80 Faire une expérience avec
quelqu'un veut dire plus qu'expérimenter quelque chose comme ce serait
le cas d'un chimiste ou d'un biologiste dans son laboratoire. Dans ce dernier
cas, il s'agit tout simplement, en chemin sur un chemin, d'atteindre quelque
chose (un résultat confirmant ou infirmant des hypothèses
formulées). Dans l'autre cas, ce vers quoi nous sommes en chemin pour
l'atteindre, nous concerne lui-même, nous rencontre et nous
réclame dans la mesure où il nous
77 M. Heidegger, << La question de la technique
», in Essais et conférences, op. cit., p. 25.
78 M. Heidegger, Nietzsche I, op. cit., p.
27.
79 Ibidem, p. 31.
80 M. Heidegger, Unterwegs zur Sprache
(1959), Acheminiemnt vers la parole, traduction française par
J. Beaufret, B. Brokmeier et F. Fédier, Gallimard, Paris, 1976, p.
177.
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change en lui.81 L'homme n'est seulement homme que
dans la mesure oü, promis pour recevoir l'interpellation du langage, il
est employé pour le langage afin de le parler.
Le mot est le voisinage oü habitent la poésie et
la pensée. Non pas que ce voisinage résulte de l'arrivée
en un milieu de la pensée et de la poésie venant on ne sait
d'oü. La proximité qui approche est elle-même
l'Ereignis à partir duquel la poésie et la pensée
sont envoyées à leur propre essence. Si donc la proximité
du poétiser et du penser est celle du dire (des Sagens), notre
pensée est par là même amenée à
présumer que l'Ereignis se déploie selon ce dire,
c'est-à-dire selon cette dictée dans laquelle le langage nous
confie son essence. Le voisinage du poétiser et du penser comme habiter
dans la proximité qu'est la dictée est la région dans
laquelle nous pouvons être amenés devant la possibilité de
faire une expérience avec le langage.82
Nous séjournons dans cette région
(dictée), mais de telle manière que nous ne sommes pas encore
parvenus proprement à ce qui nous concerne, nous appelle, nous abrite et
nous contient (be-langt) dans le déploiement de notre propre
essence.83 Le chemin qui doit nous amener à cela qui nous
concerne de cette façon est indiqué dans le signalement
impliqué dans : << Das wesen der Sprache ; Die sprache des
Wesens >>.84 L'essence du langage doit être
cherchée dans la direction de ce que Heidegger nomme << Die
sprache des Wesens >>. Dans ce dernier cas, << Wesen
>> ne signifie plus << essence >>, mais
déploiement de ce qui dans son déploiement même nous
concerne, nous interpelle, vient à nous et ainsi bâtit les chemins
que nous devons prendre pour que notre être profond habite son propre
domaine dans lequel il a son origine. << Die sprache des Wesens
>> signifie que le langage appartient à ce qui se déploie
ainsi, qu'il est le propre de ce qui se déploie ainsi en nous
interpellant. Ce déploiement interpellant nous interpelle en ce qu'il
est essentiellement << dictée >>, c'est-à-dire
langage originel. Point n'est besoin d'insister ici pour voir que ce langage
n'est pas ce que nous nous représentons habituellement comme instrument
de communication.85 Ce langage est ce que Heidegger appelle <<
Ereignis >>, en ce sens qu'il est un déploiement qui
appelle l'homme à son être propre en ce qu'il est une
dictée (Sage). C'est le langage originel. Ainsi,
l'Ereignis en tant que dictée rassemble, c'est-à-dire se
fait déployer la proximité
81F. Couturier, Etre et monde, op. cit., p.
214.
82M. Heidegger, Acheminement vers la parole, op.
cit., pp.198-199. 83Ibidem, p. 119.
84 Ibidem, p. 200.
85 Ibidem, p. 203.
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qu'habitent en voisins le poétiser et le penser en tant
qu'ils sont des manières privilégiées du dire.
L'expérience originaire que Heidegger veut nous amener
à faire avec le langage originel vise à conduire au langage, le
langage en tant que langage et non pas en tant qu'activité de
l'homme-sujet représentant, ni en tant qu'expression ou moyen de
communication.86 Cette expérience, comme nous l'avons
mentionnée ci-dessus, nous change dans la mesure où notre rapport
au langage devient autre. Faire cette expérience avec le langage, c'est
accomplir le pas en arrière : en arrière des
représentations usuelles relatives au langage, dans le domaine où
le langage originel nous convoque comme dictée. C'est dans ce sens qu'il
faut comprendre la tournure heideggérienne : << le langage
parle >>87. Le langage parle en tant qu'il montre, et il
montre en atteignant toutes les régions de la présence et en
laissant apparaître en elles le présent. Nous, les hommes, nous
parlons dans la mesure où nous entendons la voie silencieuse de la
dictée du langage. Nous devons nous laisser dire le dire originel du
langage. C'est cela qui signifie dans la perspective de Heidegger entendre ou
écouter le langage. Nous écoutons, c'est-à-dire nous
pouvons écouter le langage parce que d'une part nous lui appartenons et
d'autre part, nous habitons en lui. Rappelons-nous la célèbre
formule de Heidegger : << Le langage est la maison de l'être,
dans son abri habite l'homme. >>88 Et parce que nous lui
appartenons, le langage peut disposer de nous, nous employer en employant notre
parler sans pour autant le ramener à un simple produit de notre
activité parlante. Autant l'homme est le berger de l'être, autant
il est le messager du langage. Il n'en est pas le propriétaire, mais la
sentinelle, pourrions-nous dire, dont la mission qui lui est dévolue
consiste à veiller sur le déploiement du langage originel.
III.2. Du langage existential au langage humain
(existentiel): rapport dialogique
Le langage, pris dans son sens global comme tout
phénomène qui manifeste l'expressivité de l'homme,
revêt chez Heidegger différentes significations : la signification
existentiale (ontologique) et la signification existentielle (ontique), et
entre
86 M. Hedegger, Acheminement vers la parole, op.
cit., p. 242.
87 Ibidem, p. 254.
88 M. Heidegger, << Lettre sur l'humanisme
», in Questions III, op.cit., p. 149.
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les deux un dialogue doit s'établir. Pour arriver
à la détermination de cette double signification du langage,
Heidegger va en quête du site propre du langage humain en se mettant
à l'écoute de son parler plutôt que de le traiter
en objet de connaissance. A l'encontre de la conception courante qui voit dans
le parler seulement le pouvoir d'expression de l'homme, notre auteur
découvre qu'avant tout parler humain, il existe le langage existential
ou originel.
Heidegger rompt, quant à lui, de manière
décisive avec le mode de représentations habituelles du langage,
se situe au-delà d'elles et parvient ainsi à faire cette
découverte originale de la vérité tautologique et
paradoxale selon laquelle, en amont de toute expression humaine, c'est le
langage qui parle et non véritablement l'homme. Cette découverte
vient du fait qu'il pense l'essence, en allemand Wessen, non plus
comme un genre ou une quiddité, mais comme le déploiement de
l'être de quelque chose. Le risque du retour de la métaphysique
est clairement impliqué dans les énoncés tautologiques par
lesquels Heidegger évoque la nouvelle essence du langage : <<
le langage parle >>, << le langage est langage
>>89. Il l'est aussi par le but qu'il se donne à
lui-même dans Acheminement vers la parole:
réfléchir sur le langage lui-même et uniquement sur lui,
parce que << le langage lui-même est langage et rien de
plus >>90. En outre, lorsque le philosophe dit que le
langage est monologue, « cela veut dire à présent,
d'après ses propres explications, deux choses : le langage seul
est ce qui, à proprement parler, parle. Et il parle solitairement
>>91.
Tout emploi concret ou ontique du langage présuppose
que celui-ci nous est déjà parlé. Le langage est avant
tout, plus originairement qu'une faculté dont nous disposons, une parole
adressée, sans laquelle nous ne pourrions plus parler. Si le parler est
d'abord et fondamentalement un écouter, cela ne veut pas dire pour
autant que l'homme soit un auditeur passif. Ce n'est pas accidentellement que
le langage est une parole adressée : son essence consiste dans cette
parole adressée à nous. << La parole, nous dit
Heidegger, doit nécessairement, à sa façon, nous adresser
elle-même la parole, c'est-à-dire son déploiement. La
parole se déploie en tant que cette parole adressée.
>>92 En mettant l'accent sur le caractère monologique
et solitaire du langage originel, on penserait que
89 M. Heidegger, Acheminement vers la parole, op.
cit., p. 254.
90 Ibidem, p.14.
91Ibidem, p. 254. 92Ibidem p. 165.
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Heidegger refuse à l'homme toute capacité de
parler. Bien au contraire. Le langage existential est annonce, appel, mais il
emploie l'homme comme son messager. Il a besoin du parler humain et il n'est
cependant pas le simple produit de notre activité linguistique. C'est
dans cette perspective que cet auteur critique de Heidegger, G. Vattimo,
pouvait bien dire : << Le langage ne se donne que dans le parler de
l'être-là (Dasein) et, en même temps, ce parler
trouve déjà ses possibilités et ses horizons
définis par le langage lui-même, non pas comme une structure
rigide qui le contraindrait mais comme un appel auquel il répond.
»93 Et F. Dastur de renchérir que le langage ontologique
en tant que dire ou dictée
<< appelle l'homme du regard. Get
être-appelé et regardé constitue la véritable
spécificité de l'humanité par rapport à
1'animalité : ce n'est plus en effet l'homme qui a besoin de comprendre
ce langage, selon la perspective transcendantale qui était celle de
Heidegger dans la première phase de sa pensée, c'est le langage
qui a maintenant besoin de l'homme en vue de la propriation des étants.
G'est en tant que tel que 1'homme est voué à la parole et
à la voix, laquelle n'est plus un phénomène secondaire, la
réponse appropriée de l'homme au dire
».94
Ce langage originel qui est à la fois monologue et
solitaire, comme nous l'avions sommairement dit, est dictée
(Sage). Mais est-ce à dire que ce langage exclut tout rapport
au langage humain ? Que devient l'homme ou son langage dans le
déploiement de ce langage originel ?
Le langage authentique ou existential est dictée. Dire,
dans l'acception heideggérienne, signifie montrer, c'est-à-dire
laisser apparaître, laisser voir, laisser entendre. En tant que montrer
ou monstration, la dictée laisse apparaître l'étant comme
présent ou absent, elle articule en quelque sorte la libre ouverture de
la clairière où toute présence et toute absence doivent
s'annoncer selon le mode de l'apparaître ou du disparaître. Et pour
que le mode de l'apparaître soit effectif, le Dasein doit faire un vide
en lui-même : se mettre dans une attitude silencieuse et ainsi
écouter.
93 G. Vattimo, op. cit. p. 137.
94 F. Dastur, Heidggger et la question
anthropologique, éd. Peeters, Louvain-Paris, 2003, p. 117.
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III.3. Langage du Dasein comme silence et
écoute
A l'heure actuelle, avec l'émergence des nouvelles
technologies de l'information et de la communication, surtout en milieu
journalistique et politique, il y a une espèce d'inflation verbale. En
effet, aujourd'hui plus que jamais, l'homme parle, il parle trop et
écrit trop ; il pratique une inflation verbale et par là
même, le langage se dévalue sans cesse, on en arrive à
l'oubli fondamental de l'essence du langage du Dasein : silence et
écoute. Pour parvenir à l'essence de ce langage, nous dit
Heidegger, il faut sortir des déterminations traditionnelles du langage
comme << énergie », << activité (de l'homme)
», << travail », << force de l'esprit », <<
aperçu du monde », << expression » et «
emprunter le chemin vers le langage en tant que langage
»95. Car, << le chemin vers le langage cherche
maintenant à aller plus rigoureusement au long du fil conducteur que
nomme la formule : amener le langage en tant que langage au langage. Il s'agit,
précise Heidegger, d'approcher la propriété même du
langage »96 qui consiste à parler uniquement et
solitairement avant de se déployer et se communiquer à l'homme.
Mais comment écouter le langage du langage ? Le langage du langage
serait-il compréhensible à tout le monde ?
Dans sa double visée d'expression et de communication,
le langage humain en tant que réponse au langage originel requiert le
dialogue entre silence et écoute, et plus exactement la synthèse
du silence et de l'écoute. Le rapport entre silence et écoute est
à concevoir comme un rapport dialectique. Mais cette dialectique n'est
pas faite de moments successifs ; c'est simultanément que silence et
écoute sont présents dans le langage et se font valoir l'un par
l'autre. Pour Heidegger, le langage du Dasein qui ne repose pas sur le silence
est en fait un langage creux et dont les boursouflures cachent mal le vide. Il
est bruit de paroles, flot dévastateur, logorrhée stérile.
Le langage, bien évidemment le langage du Dasein, doit être
habité de silence, pétri de silence afin qu'il retrouve sa
spécificité, son essence. A ce propos, Heidegger dira : <<
Quelqu'un peut parler et parler sans fin, et cela ne veut rien dire. Au
contraire, voilà quelqu'un qui fait silence, il ne parle pas, et en ne
parlant pas il peut beaucoup dire. »97 Mais que peut bien
signifier cette déclaration forte?
95 M. Heidegger, Acheminement vers la parole,
op. cit., p. 236.
96Ibidem, p.
236. 97Ibidem, p. 239.
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Nous pouvons comprendre cette affirmation dans ce sens que
chez le philosophe allemand, la quantité ne saurait procurer la
plénitude, et un instant de silence peut être plus plein et plus
riche que de longs discours ; c'est le silence qui << informe » la
parole, c'est-à-dire lui donne sa forme, la fait être comme parole
humaine. Le langage du Dasein se détache sur fond de silence et se
découpe en lui ; le silence fait donc partie intégrante et
essentielle du langage. C'est en nous situant dans la même perspective de
Heidegger que Pierre Masset pouvait affirmer :
« Le silence donne à la parole (humaine) le
temps de se décanter, de se poser, de prendre forme et consistance, il
est 1'épreuve de la parole. Il en est aussi la préparation et le
mûrissement. Mais beaucoup plus que cela : il en est l'armature
secrète et la trame solide. »98
Toutefois, il faut distinguer le silence comme dimension
essentielle du langage du mutisme. En effet, le mutisme et le silence sont
antithétiques. Alors que le silence plein et fécond est tout
prêt à se prendre en forme de paroles et ne tarde à
s'exprimer que pour enrichir davantage la parole à venir, le mutisme
plat est une <<caricature du silence »99. Le
silence est tout entier tendu vers la parole en puissance, sous-tend la parole
en acte, le mutisme est ce que Claire Lucques désigne << le
fait de ne pas apporter la vérité que l'autre attend de nous
»100. En bref, observer le silence dans la perspective de
Heidegger
« ne signifie pas le défaut de la
capacité de parler, mais présuppose au contraire la
possibilité de dire, c'est-à-dire de montrer, de sorte que le
silence est ce mode originel du discours qui peut même faire comprendre
mieux que la parole ellemême »101.
Dans cette optique, observer le silence devient une attitude
de l'homme sage. Car, le sage est celui qui écoute plus qu'il ne parle.
Ainsi, faire silence n'est pas synonyme de négation de la parole, mais
signifie faire le vide en soi afin de se rendre disponible à
l'interpellation de l'être. Tel est le sens que pourrait revêtir
l'écoute comme langage du Dasein.
98 P. Masset, << la parole et le silence »,
dans Le langage. Actes du XIIIè congrès des
sociétés de philosophie de langue française, op. cit.,p.
275.
99 C. Lucques, << Silence et mutisme »,
dans Le langage, op. cit., p. 348.
100 Idem.
101 F. Dastur, op. cit., p. 107.
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Selon Martin Heidegger, le langage du Dasein serait
essentiellement écoute. En effet, si le Dasein en tant que <<
messager du langage >> est appelé à permettre le
déploiement de son em-ployeur, pour lui, << parler est avant
tout écouter. Cette écoute de la parole, insiste Heidegger,
précède même toutes les écoutes ordinaires.
>>102 Il s'agit de comprendre à ce niveau que si
le Dasein est orienté de prime abord vers le dévoilement de
l'être, il s'ensuit que c'est dans son essence, il est l'étant,
qui est intrinsèquement tendu vers la manifestation de l'être, et
ce, dans son histoire et par la parole. Pour Heidegger, être vraiment et
pleinement homme, c'est se mettre à l'écoute et pour autant qu'on
le fait. Dès lors, toute la vie de l'homme ou mieux toute l'existence
humaine devient ipso facto écoute ; celle-ci se manifeste comme
une exigence ontologique. Et c'est à juste titre que K. Rahner, dans sa
perspective de la théologisation de la pensée de Heidegger, peut
dire :
<< 1'anthropologie [...J devient ainsi l'ontologie
de la puissance obédientielle à une libre
révélation éventuelle >>103, en ce
sens que l'homme tout entier et dans son évolution historique <<
n'aura compris sa propre essence que s'il est consciemment à
l'écoute et en attente d'une révélation possible
>>104.
En somme, il convient de rappeler ici que pour Heidegger, la
relation que l'homme doit entretenir avec le langage se situe sur un autre
niveau de compréhension. Pour y parvenir, il faut transcender les
considérations ordinaires. En effet, le langage et surtout le langage
originel, selon notre auteur, n'est pas un outil d'expression ou de
communication ; il n'est pas une production humaine, mais il est monstration ou
déploiement. C'est ce langage que Heidegger nomme donc
Ereignis, dans ce sens qu'il est un déploiement qui appelle
l'homme à son être propre en ce qu'il est une dictée
(Sage). Aussi, en affirmant que le langage seul parle et <<
parle solitairement >>, Heidegger admet-il toutefois que ce langage a
besoin de l'homme pour se manifester ; il ne se donne que dans le langage de
l'homme, d'où le rapport dialogique entre le langage existential et le
langage existentiel. C'est dans cette optique que nous comprendrons que la
place et le rôle qui reviennent à l'homme dans la monstration de
l'Ereignis, c'est
102 M. Heidegger, Acheminement vers la parole, op. cit.,
p. 241.
103 K. Rahner, op. cit., p. 279.
104 Ibidem, p. 280.
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d'être la « sentinelle » et le « messager
» du langage, l'homme n'est homme que dans la mesure oü il est le
« là » du langage. Ainsi, après avoir accompli
sa mission, l'être humain, et selon la conception de Heidegger, doit
reconnaître que l'essence de son parler se trouve beaucoup plus dans le
rapport dialectique entre le silence et l'écoute. Cela suppose que c'est
un travail existentiel qui ne peut s'achever que dans cette ultime
possibilité d'être du Dasein qu'est la mort.
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CHAPITRE IV :
L'ONTOLOGIE DE LA MORT : LA MORT COMME TERME DE
L'EXISTENCE DU DASEIN
Le philosophe de Freibourg-en-brisgau, M. Heidegger, dont les
lecteurs et les critiques ont à maintes reprises affirmé qu'il
s'est fait le défenseur de haute facture de l'être en oubliant
l'homme105, nous amène progressivement dans la profondeur de
sa pensée unifiée à travers ses investigations sur
l'homme. En effet, pour lui, l'ontologie fondamentale réclame un
soubassement ontique, c'est-à-dire que l'étude de l'être a
pour fil conducteur l'analyse de l'homme. Après avoir analysé
1'ek-sistence humaine dans sa plus grande étendue comme une
ouverture ek-statique, comme une relationalité ontologique et
ontique, Heidegger ne fait pas l'économie d'une réflexion hors
pair sur la mort : une réflexion ontologique et
phénoménologique de la mort. Mais qu'est-ce qui peut bien
signifier cet intitulé quasiment insolite? Comment la mort
apparaît-elle dans son essence même chez le père de
l'ontologie ?
IV.1. Le Dasein : l'être-pour-la-mort
La phénoménologie se borne à
décrire les réalités qui se donnent à voir dans
notre champ expérimental afin de leur conférer un sens. Elle est
une explicitation des phénomènes. Chez Heidegger, étudier
la mort en tant que phénomène revient à chercher son sens,
son être ou son essence. Dans cette optique, l'ontologie
phénoménologique de la mort pourrait brièvement signifier
une quête descriptive du sens et de l'essence de la mort. L'analyse
heideggérienne de la mort est une interprétation existentiale de
la mort qui précède toute interprétation biologique,
ethnologique et psychologique de ce phénomène. L'existence
humaine est un phénomène inscrit dans cet intervalle qui va de la
naissance à la mort.
Le « Dasein ist sein zum Tode
»106, c'est-à-dire que le Dasein est un
être-pour-lamort. Dès la naissance, dès son
ek-sistence, il est tout entier tendu, voué à la mort.
Dans la lucidité de l'angoisse, il apparaît avec l'éclat du
feu qu'à tout instant, et dès le premier moment de sa vie, le
Dasein est capable et sur le point de mourir. La mort est,
105 M. Heidegger, Cahier de l'herne, l'Herne, Paris,
1983, p. 383.
106 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
266.
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pour lui, une manière d'être, une modalité
d'être qui l'affecte dès qu'il existe, et qui mûrit
implacablement en lui. Dans cette perspective purement
phénoménologique, le phénomène de la mort
apparaît comme la possibilité de l'existence qui conduit à
la nonexistence, au néant d'être. Ainsi, la mort est le
néant d'être du Dasein. Dans l'angoisse, celui-ci réalise
l'expérience fondamentale du néant de son être.
Comprise comme la modalité la plus propre d'être
de l'homme, la possibilité absolument inévitable,
inconditionnée, insurmontable et indépassable, la mort est ainsi
la possibilité de l'impossibilité de toute autre
possibilité. Autrement dit, << la mort est possibilité
de la pure et simple impossibilité de l'être-là
».107 En effet, lorsqu'elle survient, la mort annule toutes les
autres possibilités, tous les projets de l'homme ; elle se
présente comme l'«élément zéro»,
c'est-à-dire l'élément absorbant de toutes les ambitions
humaines. D'une part, la mort est le pouvoir-être le plus propre,
c'est-à-dire le plus authentique du Dasein. D'autre part, elle
est authentique pouvoir-être, pouvoirêtre qui demeure toujours
pouvoir, qui ne se réalise jamais, au moins tant que le Dasein est
là. La mort est donc possibilité authentique (propre) et
authentique possibilité (insurmontable).
En outre, dire que l'homme est un être pour la mort,
selon la compréhension de Heidegger, cela signifie qu'il est un
être voué à la mort et que celle-ci se présente ici
comme une affaire très personnelle et très individuelle, en ce
sens que chaque homme est inexorablement condamné à mourir seul ;
personne ne peut mourir à la place de l'autre : << Nul,
affirme l'auteur, ne peut décharger l'autre de son
trépas.»108 Quelqu'un peut bien << aller
à la mort pour un autre ». Toutefois cela revient à dire :
se sacrifier pour l'autre dans un cas déterminé. Mais <<
mourir ainsi pour (autrui) ne peut jamais entraîner que l'autre
serait dans la moindre façon déchargé de sa mort.
» 109 Cela consiste à dire que, ontologiquement parlant, il ne
peut jamais avoir de mort par << représentation », par
<< procuration », c'est-à-dire par délégation.
Le trépas, c'est à chaque Dasein de le prendre comme une affaire
individuelle et personnelle, c'est-à-dire que chaque homme doit porter
et assumer son trépas. C'est là la modalité d'être
propre (authentique) à chaque être humain. Désormais, et
dans la perspective heideggérienne, toute notion de sacrifice
(mourir-pour-autrui ou à la place d'autrui) est vidée de son
107 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
170.
108 Ibidem, p. 240.
109 Idem.
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sens. Selon Heidegger, ce serait une aberration de dire qu'on
peut mourir à la place de l'autre.
Si la mort est donc le néant de toute
possibilité, est-ce à dire que l'homme ne doit plus avoir des
projets ? L'homme doit-il tomber dans la résignation et dans le
fatalisme ? Quand le Dasein sait pertinemment qu'au surgissement, à
l'avènement de la mort tout devient néant d'être, comment
va-t-il donc concevoir son existence et tout ce qui implique comme désir
de réalisation de soi ? Pour Heidegger, la réponse à ces
interrogations est sans ambiguïtés. Une fois que l'homme sait qu'il
est un être-pour-lamort et que, à cause de cela, refuse d'agir, il
tombe en quelque sorte dans la déréliction, dans l'existence
inauthentique. Car,
« avec l'être-pour-la-mort, la
possibilité ontologique d'un pouvoir-être total et authentique du
Dasein est donc démontée. Ce mode d'être
authentique de l'homme n'est pas une « construction théorique
», mais est attesté existentiellement par la voix de la conscience
qui convoque le Dasein hors de la perte dans le on et l'appelle
à son pouvoir-être le plus propre »110.
Répondant à cet appel, l'homme existe
résolument, c'est-à-dire en vue de luimême. En anticipant
résolument la mort, le Dasein existe authentiquement en vue de
lui-même et de son pouvoir-être le plus propre. Ainsi, la
résolution anticipante est la forme originaire et authentique du souci.
En sachant pertinemment que l'homme est pour la mort, il doit assumer son
être-jeté-dans-le-monde.
C'est ici que l'originalité de l'interprétation
ontologico-phénoménologique de la mort chez Heidegger est,
à notre avis, mise en évidence. En effet, la mort comme
possibilité de l'impossibilité de toute possibilité, loin
d'enfermer le Dasein, l'ouvre plutôt à ses possibilités sur
le mode le plus authentique. Ce qui implique toutefois qu'elle soit
assumée de manière authentique par lui, en ce sens qu'elle soit
reconnue explicitement par lui comme sa modalité d'être la plus
propre. Cette façon d'assumer pleinement la mort comme
possibilité est ce que Heidegger appelle l'anticipation de la
mort111. Anticiper la mort ne signifie pas y penser au sens de
garder à l'esprit le fait que nous devons mourir ; cela ne signifie pas
non plus « s'abandonner à la mort ». Pour le philosophe
allemand, l'anticipation de la mort s'identifie à la reconnaissance du
caractère non définitif de chacune des possibilités
concrètes que la vie nous présente, de
110 A. Boutot, Martin Heidegger, op.cit., p. 33.
111 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 261.
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telle sorte que le Dasein ne se fige pas en se projetant
définitivement sur la base de telle ou telle de ces possibilités,
mais reste continuellement ouvert:
« L'anticipation, indique-t-il, ouvre à
l'existence comme sa possibilité la plus extrême le renoncement
à elle-même et brise ainsi tout raidissement sur l'existence
à chaque fois atteinte [...]. Parce que l'anticipation de la
possibilité indépassable ouvre avec elle toutes les
possibilités situées en deçà d'elle, elle porte
avec elle la possibilité d'une anticipation existentielle du
Dasein total, c'est-à-dire la possibilité d'exister
comme pouvoirêtre entier. »112
Bien que l'homme soit inconditionnellement un
être-pour-la-mort, l'anticipation résolue du
phénomène du mourir apparaît ici comme un antidote, comme
une soupape de sécurité contre toute conception dramatique et
tragique de la mort.
Ce point de vue de Heidegger voudrait nous amener à
poser le phénomène de la mort comme une << forme >>
de la vie ; elle est innée à la vie si bien que, dès que
celle-ci se manifeste, celle-là est déjà là. La
mort n'apparaît pas au moment de la mort, elle est là dès
la naissance ; on pourrait même dire qu'elle précède la
naissance : << la vie serait différente du tout au tout si la
mort ne l'accompagnait pas dès ses débuts, mais se
présentait seulement à son terme>>.113 Une
telle conception du mourir ne veut pas dire que la mort doit être
acceptée avec joie ou célébrée comme on le ferait
à l'occasion d'une réussite. Concevoir ainsi la mort conduirait
à considérer Heidegger comme un << nécrophile
>> (qui aime la mort). C'est tout le contraire. En effet, si la mort
pour les religions du salut, porte en elle le risque de la perdition, il y a
donc chez Heidegger reconnaissance de la réalité de la mort
à sa juste valeur. La mort est quelque chose qui arrive
inévitablement, transforme radicalement, joue un rôle dans le
processus de la vie ; elle est quelque chose de naturel. La vie et la mort sont
les deux versants de l'existence de l'homme. N'est-ce pas à cause de
cela que Heidegger parvient à considérer la mort comme
constitution de l'existence du Dasein ?
IV.2. La mort comme constitution fondamentale du
Dasein D'après le Dictionnaire Larousse, la
<< constitution >> est << action de constituer,
c'est-à-dire de regrouper des éléments afin de former un
tout >> ou bien le fait de
112 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 264.
113 E. Morin, L'homme et la mort, Seuil, Paris, 1970, p.
274.
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<<former l'essence, la base de quelque chose
>>.114 Dans la logique de cette définition, on peut
dire que lorsqu'une chose est un élément constitutif d'une autre
elle devient un élément essentiel et non accidentel. Dès
lors, comment pouvons-nous comprendre que la mort soit considérée
comme partie constituante du Dasein ? C'est une question apparemment triviale,
mais combien elle revêt une importance capitale. Ce n'est qu'en nous
mettant à l'école, à l'écoute attentive du
philosophe Heidegger que nous saisirons la pertinence de cette nouvelle
considération sur la mort.
On nous a habitués à considérer la mort
comme étant quelque chose d'extérieur à l'homme. En
témoignent les communiqués nécrologiques qui nous font
toujours croire que la mort d'un individu, qu'elle soit naturelle ou
accidentelle, c'est-à-dire causée par un agent quelconque, est
considérée comme un drame ou une tragédie. Pour Heidegger,
tel n'est pas le cas. La méditation de ce phénoménologue
sur la mort se veut donc un dépassement et un déplacement de
cette conception classique du phénomène du mourir.
Selon lui, en effet, la mort est une dimension constitutive et
fondamentale de l'exister humain. C'est le véritable statut que nous
devons reconnaître à la mort de l'homme : << la mort est
repérée comme un phénomène existential. Cela engage
la recherche dans une orientation purement existentiale sur le Dasein
chaque fois mien. >>115 Cela dit, la mort n'est pas un
accident, elle est inhérente à l'existence de l'homme. Par
analogie, nous dirons que, autant il n'y a pas de médaille sans revers,
autant on ne peut concevoir la vie sans la mort : << la mort,
renchérit l'auteur, est un phénomène de la vie.
Vie doit être compris (sic) comme un genre d'être auquel un
êtreau-monde appartient. >>116 Ainsi, si personne
ne peut décharger autrui de sa mort et ne peut stricto sensu
« mourir pour l'autre, cela implique que le «
mourir n'est pas seulement une détermination extrinsèque de
l'existence, un accident de la substance " homme", mais au contraire un
attribut essentiel de celui-ci. Le rapport que l'être humain entretient
avec le mourir est donc constitutif de son être même et premier par
rapport à toutes ses autres déterminations. »117
Dans un cours dispensé pendant la parution d'Etre et
temps où Heidegger aborde, d'après le témoignage de
F. Dastur, pour la première fois l'analyse de l'être-
114 Dictionnaire Petit Larousse en couleurs, Librairie
Larousse, Paris, 1990, p. 258.
115 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 240.
116 Ibidem, p. 246.
117 F. Dastur, Heidegger et la question anthropologique, op.
cit., p. 22
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pour-la-mort, il parvient à affirmer que la certitude
du devoir-mourir est le fondement de la certitude que le Dasein a de
lui-même, de sorte que ce n'est pas le cogito sum, le <<
je pense, je suis » qui constitue la véritable définition de
l'être du Dasein, mais bien entendu le sum moribundus, <<
je suis mourant », le moribundus, le << destiné
à mourir », donnant seul son sens au << sum »,
au << je suis ».118
En somme, nous reconnaissons avec Heidegger que la mort ne
peut plus apparaître comme l'interruption de l'existence, comme ce qui
déterminerait la fin de celle-ci de manière externe, mais comme
ce qui constitue ce rapport du Dasein à son propre être que
Heidegger nomme existence. Comme face cachée de la vie, lorsqu'elle
apparaît, la mort peut être vécue avec beaucoup plus de
sérénité et de lucidité, étant entendu que
sérénité signifie d'un côté
détachement de cette conception traditionnelle et tragique de la mort,
et de l'autre détachement de cette idée de nous considérer
comme des immortels dans notre existence ou dans notre
être-au-monde119 .
IV.3. La mort : terme de l'existence du Dasein
Dans les pages qui précèdent, nous avons
montré que le Dasein est un être-pourla-mort, en ce sens que
dès son existence, il est voué à la mort ; celle-ci se
présente comme la manière d'être du Dasein la plus
authentique qu'aucune autre personne ne peut lui ravir. Ensuite, nous avons mis
en lumière que la mort est une dimension constitutive de l'homme ; elle
fait partie intégrante de l'existence humaine. A présent, nous
l'expliquerons en rapport avec la finitude de l'homme. Mais qu'est-ce que la
finitude ?
Pour définir la finitude, nous pouvons dire que
<< la forme antique la dissout, 1'engloutit et l'anéantit en
Dieu, tandis que la forme moderne l'assimile et la réduit en 1'homme qui
tente de dévorer et de s'approprier tous les pouvoirs divins
».120 Dans cette partie de notre travail, notre objectif n'est
pas de déterminer un rapport de la finitude humaine à
l'absoluité divine. Nous voulons comprendre la finitude de l'homme en
tant que limitation parce que l'homme est voué à la mort. En
effet, de toutes les manières d'être, la mort est la seule capable
de nous manifester que l'homme est fini, limité. C'est une finitude ou
une <<limitation spécifique qui consiste pour la
réalité humaine à ne pas
118 F. Dastur, Heidegger et la question anthropologique,
op. cit., p. 23.
119 M. Heidegger, << Pour servir de commentaire à
Sérénité », in Questions III, op.
cit., p. 172.
120 F. Guibal, Autonomie et altérité,
Cerf, Paris, 1993, p. 66.
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coïncider avec soi-même. Il ne sert à
rien non plus de définir la limitation comme une participation au
néant ou au non-être ».121 Quand nous parlons
ici de finitude humaine mise en évidence par le phénomène
de la mort, nous voulons souligner ipso facto la contingence radicale
du Dasein qui se manifeste dans son existence.
C'est la contingence et la facticité de l'homme qui
nous font parler de sa finitude, et c'est parce que l'homme est fini qu'il a
besoin de l'être. C'est ce qui fera dire à Heidegger qu' «
il n'y a d'être et il ne peut y en avoir que là où la
finitude s'est faite d'existence »122. C'est donc parce
que l'existence de l'homme est en soi finitude, et non pas parce que celle-ci
se verrait « dépassée » que l'ontologie est possible :
« Seul un être fini, explique Heidegger, et non pas Dieu, a besoin
d'ontologie ». C'est dans ce contexte où anthropologie et ontologie
s'identifient que le philosophe allemand thématise la
problématique de la finitude qui n'a pas été
véritablement élaborée dans Etre et temps. Et
cela sans doute parce que, comme lui-même l'a reconnu, il n'y a pas
suffisamment développé la problématique de la
facticité, l'analytique existentiale ayant constamment donné le
privilège ontologique à la dimension du comprendre, et par
là même à l'avenir de l'existentialité. Or
« dans la tradition philosophique, commente Dastur, la
finitude a essentiellement été comprise à partir de ce que
l'on pourrait nommer, par contraste avec la mortalité de l'être
humain, sa natalité »123. Selon cette tradition, ce
n'est pas parce que l'homme est mortel, mais bien parce qu'
« il est créé, un "ens creatum
", qui n'est pas à l'origine de son propre être, qu'il ne
possède, comme le dit la métaphysique scolaire, qu'un "
intuitus derivatus ", une « intuition dérivée »,
c'est-à-dire un regard qui ne peut prendre en vue que le donné,
le déjà-là, alors que l' " intuitus originarius "
du créateur est ce regard qui est à l'origine même de
l'étant, qui le fait être »124.
L'homme en tant qu' « ens creatum » est
donc compris par la tradition comme dépendant nécessairement d'un
étant qui le précède. Heidegger, dans cette logique,
épouse la vision kantienne qui avait développé son propre
concept de finitude en le déterminant de manière
extérieure par opposition à un intuitus originarius, une
intuition
121 P. Ricoeur, Philosophie de la volonté II,
finitude et culpabilité, Aubier-Montaigne, Paris, 1988, p. 149.
122 M. Heidegger, Kant und das Problem der
Metaphysik, Vittorio Klostermann, Frankfurt, 1965 (sic), Kant et le
problème de la métaphysique, traduction française par
A. De Waelhens et W. Biemel, Gallimard, Paris, 1953 (sic), p. 284.
123 F. Dastur, Heidegger et le problème
anthropologique, op. cit., p. 38.
124 Idem.
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productrice. Mais la subtilité et l'originalité
ontologique de Heidegger se remarquent nettement dans sa démarcation de
Kant.
Si, pour le philosophe de Koenigsberg (Kant), l'homme
s'interroge sur le devoir, le pouvoir et l'espoir de sa raison ( <<
Que puis-je savoir ? >>, << Que dois-je faire ?
>> et << Que m'est-il permis d'espérer ? >>
parce qu'il est fini, et que sa finitude lui révèle l'existence
d'un être supérieur et extérieur duquel il dépend
(ce qui nous conduit à une finitude saisie de façon externe),
pour le philosophe allemand Martin Heidegger, au contraire, le Dasein en tant
qu'existant est fini, c'est-à-dire mortel : il est un être en
vue de la mort, ce qui implique que la finitude n'est pas un accident de
son essence << immortelle >> mais le fondement même de son
être : <<Plus originelle que 1'homme, lâche vertement
Heidegger et n'en déplaise à Kant et aux idéalistes, est
en lui la finitude du Dasein >>125. Cette finitude
<< interne >> qui est originelle au Dasein lui est justement
révélée par la mort. C'est elle qui porte le Dasein et le
pousse ainsi à avoir besoin de la compréhension de
l'être. La mort devient ici donc le terme indépassable de
l'existence de l'homme.
Ainsi, nous pouvons dire que Heidegger, une fois de plus, a
mis en évidence le lien entre la question de l'homme et l'ontologie
fondamentale, entre la finitude révélée par la mort et le
déploiement de l'horizon, de la compréhension de l'être. En
insistant sur la vraie essence de la mort, terme indépassable de
l'existence du Dasein, l'auteur nous montre que le problème de
l'être, loin d'être une pure spéculation est au contraire la
question la plus concrète.
125 M. Heidegger, Kant et le problème de la
métaphysique, op. cit., p. 285.
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CHAPITRE V : PORTEE DE LA PENSEE
HEIDEGGERIENNE
« Les penseurs, selon P. Valery, sont des
gens qui repensent et qui pensent que ce qui fut pensé ne fut jamais
assez pensé »126. Tel est ce qui pourrait justifier
l'objectif affiché de Martin Heidegger lorsqu'il entreprend avec
détermination de repenser l'homme dans son ontologie fondamentale. C'est
pourquoi ce chapitre, en tant qu'évaluation critique de l'étude
que nous avons menée sur sa pensée, consistera à faire
ressortir les points saillants et intéressants touchant l'homme dans son
ontologie fondamentale. Dans un premier moment, il s'agira de montrer que
l'étude de l'être en tant que tel, loin d'être une
spéculation pure et simple, nous ramène sur nous en tant
qu'être humain. Ensuite, nous verrons comment la réflexion sur le
Dasein dans une perspective ontologique contribue à mieux cerner les
enjeux de la mondialisation. Enfin, nous montrerons comment être-au-monde
et être-avec-autrui sont considérés comme des
impératifs pour une mondialisation humanisée.
V.1. L'ontologie fondamentale comme pensée du
Dasein
Heidegger, de l'avis quasi-unanime des philosophes
d'aujourd'hui, est un des pionniers du renouvellement de la question de
l'ontologie au XXè siècle. Dans son ontologie dite fondamentale,
il s'attache à montrer comment cette question de l'être est
inscrite dans la texture même de l'existence humaine, de sorte qu'on ne
peut éviter de se la poser, dans la mesure où elle est
inséparable de la compréhension que nous avons de
nous-mêmes. Ce sera la tâche de l'analytique existentiale de faire
ainsi l'inventaire des structures existentiales dans lesquelles la question de
l'être apparaît comme étant immédiatement investie.
Le premier intérêt qu'il faut mettre ici en exergue réside
dans la démarche même de notre auteur : nous amener à nous
confronter avec nous-mêmes, à savoir qui nous sommes, et quel doit
être notre rapport à l'être. Ensuite, sa pensée vient
à point nommé pour cerner et mieux vivre le
phénomène de la mondialisation qui
126 J. Beaufret, Dialogue avec Heidegger. Philosophie
grecque, Minuit, Paris, 1973, p. 11.
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suscite aussi bien d'inquiétudes, de controverses que
de contradictions à l'heure actuelle.
La reprise de l'ontologie par Martin Heidegger a ceci de
particulier que la connaissance de l'être en tant que tel ou ontologie
fondamentale suppose une situation de fait pour l'esprit qui connaît. Une
raison affranchie des contingences temporelles. C'est l'image que se fait
d'elle-même une raison qui s'ignore ou s'oublie, une raison naïve.
L'ontologie dite fondamentale (authentique) coïncide avec la
facticité de l'existence temporelle. Nous pouvons en dire plus :
l'ontologie fondamentale requiert un soubassement ontique ou existentiel, en ce
sens que sa réalisation effective doit passer par l'explicitation ou
l'analytique du Dasein dans sa facticité, dans son existence triviale et
quotidienne.
Certes, l'intérêt de l'ontologie est
orienté vers le sens et la vérité de l'être. Mais
cet être, pour être accessible, doit au préalable se
dévoiler. Selon E. Lévinas, jusqu'à Heidegger la
philosophie moderne supposait à cette révélation un esprit
connaissant ; elle était son °uvre.
<< L'être dévoilé était
plus ou moins adéquat à l'être voilé. Que ce
dévoilement soit lui-même un événement de
l'être, que 1'existence de l'esprit connaissant soit cet
événement ontologique condition de toute vérité -
tout cela était, certes déjà soupçonné par
Platon, le père de l'idéalisme, quand il mettait la connaissance
non pas dans le sujet mais dans l'âme et que quand il conférait
à l'âme la même dignité et la substance qu'aux
idées, quand il pensait l'âme comme contemporaine des idées
ou coéternelles à elles ; mais que cet événement,
ce retournement de l'être en vérité s'accomplisse dans le
fait de notre existence particulière ici-bas, que notre ici-bas,
notre Da soit l'événement même de la
révélation de l'être, que notre humanité soit la
vérité - constitue l'apport principal de la pensée
heideggérienne >>127.
A travers la démarche du philosophe allemand, nous
découvrons que l'essence de l'homme est dans cette °uvre de
vérité ; l'homme n'est pas un substantif, mais initialement verbe
: il est dans l'économie de l'être, le << se
révéler >> de l'être, il n'est pas
Daseindes, mais Dasein, c'est-à-dire le lieu de la
manifestation de l'être. Pour Heidegger, la question de savoir ce qu'est
l'être en tant que tel est en tant que nécessité
constitutive de l'existence de l'homme, le point de départ de toute
question et de toute
127 E. Lévinas, En découvrant l'existence avec
Husserl et Heidegger, op. cit., p. 59.
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réponse ontologique. Dans la mesure oü ce point de
départ de toute question ontologique est conçu de prime abord
comme une marque distinctive de l'être humain, nous voyons tout
naturellement comment toute interrogation ontologique est en même temps
une étude ou une analytique de l'homme. La question sur l'être et
la question sur l'homme qui prend conscience de lui-même et s'interroge
sur sa destinée forment une unité fondamentale et toujours
intégrale. Cela nous garantit en même temps que Heidegger ne perd
pas l'homme de vue alors que, dans un premier temps il semble se mouvoir
seulement dans la question de l'ontologie fondamentale.
De plus, la question sur l'être en tant que tel est le
seul et unique point de départ possible de toute ontologie fondamentale.
A partir de l'analyse de cette question, notre auteur nous montre qu'on doit
obtenir ce qu'est en général l'étant et ce qu'est en
particulier l'étant qui pose nécessairement dans son existence la
question de l'être, à savoir l'homme. Le résultat de cette
analyse doit être affirmé par l'homme avec la même
nécessité avec laquelle il pose cette question ontologique, au
moins implicitement dans tous ses jugements et toutes ses actions, et à
laquelle il répond toujours. Puisque la question sur l'être et
celle sur l'homme s'interpénètrent et forment une unité,
ce qui résulte de l'essence de toute interrogation ontologique, cette
analyse doit toujours être à la fois une ontologie fondamentale et
une anthropologie ontologique, c'est-à-dire une étude approfondie
sur l'homme dans la perspective ontologique.
Comme le dit ce critique de notre auteur, E. Lévinas,
« le problème de l'être que Heidegger pose nous
ramène à l'homme, car l'homme est un étant qui comprend
l'être. Mais d'autre part, cette compréhension de l'être est
elle-même l'être; elle n'est pas un attribut, mais le mode
d'existence de l'homme. »128 Ce n'est pas là, et il
faut le souligner avec force, une extension purement conventionnelle du mot
être à une faculté humaine - en l'occurrence, à la
compréhension de l'être, - mais la mise en relief de la
spécificité de l'homme dont les actes et les
propriétés sont autant des existentiaux ou des modalités
d'êtres. C'est l'abandon de la notion traditionnelle de la conscience
comme point de départ (par exemple chez Husserl, le père de la
phénoménologie contemporaine), avec la décision de
chercher, dans l'événement fondamental de l'être, de
l'existence du Dasein, la base de la conscience elle-même. C'est ici
justement que la critique virulente
128 E. Lévinas, En découvrant l'existence,
op. cit., p. 59.
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que Heidegger adresse à la philosophie occidentale dans
son ensemble se trouve donc justifiée. En effet, de Platon à
Nietzsche, en étudiant la problématique de l'ontologie, les
philosophes parviennent d'une part à opérer une séparation
radicale entre l'être et l'homme (tel est le cas par exemple des
idéalistes), et d'autre part à embrigader l'homme dans
l'immanence sans aucune ouverture à la transcendance ; cette
dernière perspective est celle des philosophes immanentistes tels que
Feuerbach, Nietzsche...
En outre, si pour les philosophes de la post-modernité,
tout discours fondamental est révolu, si toutes les valeurs
transcendantes se dévaluent et tombent dans la nihilité, pour
Heidegger, l'étude de la compréhension de l'être est
ipso facto une étude du mode d'être de l'homme. Elle
n'est pas seulement une préparation à l'ontologie, mais
déjà une ontologie. Cette étude de l'existence de
l'être humain, le philosophe allemand l'appelle analytique du
Dasein : << l'ontologie fondamentale, dit Heidegger, dans
laquelle seulement les autres ontologies peuvent prendre source, doit
être cherchée dans l'analytique existentiale du Dasein
>>129. Sous une forme, étrangère au
problème de l'être en général, elle a
déjà été amorcée et poursuivie, dans de
multiples études philosophiques, psychologiques, littéraires et
religieuses consacrées à l'existence humaine.
C'est pour cette raison que Heidegger appelle
existentielle, l'analyse de l'existence humaine qui ignore la
perspective de l'ontologie. La replacer dans cette perspective, l'accomplir de
façon explicite, est donc l'°uvre d'une analytique existentiale,
tâche entreprise dans Etre et temps. Et c'est aussi la raison
pour laquelle Heidegger sera appelé par la postérité
penseur de l'être. Pour Pierre Trottignon,
<< la pensée de Heidegger est une
méditation ontologique. Une réflexion sur l'être et sur le
sens de l'être que la philosophie dans sa tradition métaphysique
aurait oublié et masqué. La question ontologique est le lieu de
la philosophie, mais la philosophie a perverti le sens de la question
ontologique >>130.
Aussi l'étude de la pensée heideggérienne
nous permet-elle de nous rendre compte du nouveau statut que l'auteur attribue
au Dasein dans son ontologie fondamentale. En baptisant justement l'homme comme
Dasein, Heidegger, à travers
129 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 13.
130 P. Trottignon, Heidegger, sa vie, son
wuvre avec un exposé de sa philosophie, PUF, Paris, 1965, p. 5.
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cette nouvelle terminologie, renverse, bouleverse et
dépasse la conception que nous avons de l'être humain depuis
l'antiquité grecque jusqu'à l'époque contemporaine. Et
pour parvenir à ce nouveau statut de l'homme, il faut au
préalable accepter de se questionner sur sa vérité.
Heidegger nous invite à comprendre cette vérité selon le
sens le plus originel et grec présocratique
d'alèthéia, de dévoilement. La
vérité peut être décèlement de l'étant
et décèlement de l'être. Il faut que le sens de
l'être soit décelé pour que le Dasein en tant que tel le
soit aussi. En cela, l'°uvre de Heidegger nous dévoile que
jusqu'ici l'étude de l'être ou l'ontologie classique n'a pas
posé, à proprement parler, la question de l'homme sur sa
vérité et que cette question doit être posée dans
toute son acuité. A ce titre, nous pouvons dire qu'en effet, la
pensée du philosophe allemand ne se laisse pas cerner, ni ne se livre
à l'assimilation de l'hommesujet en mal de tout arraisonner, mais
projette des horizons pour les décisions de l'homme en attente des
interpellations de l'être et prêt à ouvrir un monde en tant
qu'employé dans le déploiement de l'être, em-ployé
par et pour ce dé-ploiement.
La véritable pensée de Heidegger qui ne
relève ni de l'ontologie traditionnelle, ni de la métaphysique
transcendantale, ni de l'onto-théologie, encore moins de
l'épistémologie ou de l'anthropologie tout court nous propose un
être qui se résout à l'arrachement à la
quiétude de la vie et ose l'insécurité du
dépaysement. Il faut accepter de sortir du << monde >> pour
se tenir dans le monde. Il faut accepter ce dépaysement pour pouvoir
être authentiquement auprès de l'homme, accéder à
son essence et à sa vérité. Nous devons être
capables de voir que cette sortie et ce retour ne se font pas selon la
trajectoire ontologique traditionnelle de l'homme divisé entre un
<< monde d'ici >> et un monde de l'au-delà. Cela signifie en
fait que l'homme lui-même cessera de se concevoir uniquement comme un
animal raisonnable, ou comme sujet de connaissance, ou comme un Surhomme et
qu'il prendra au sérieux son être plus originel de << berger
de l'être >> ou gardien de sa vérité,
d'employé du déploiement de l'être, sentinelle du langage
existential. L'homme prendra cet être-homme originel au moins au
sérieux pour avoir l'endurance d'attendre que la parole non
parlée du déploiement de l'être lui fasse entendre et
comment tout cela peut et doit être existé. Cela signifie aussi
que la pensée de l'homme n'est pas d'abord et uniquement
représentative, objectivante et dominatrice mais qu'elle est, plus
originellement, écoute et réponse à l'interpellation de
l'être. D'autre part, cela veut dire que le langage n'est pas d'abord et
uniquement un
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moyen d'expression, un instrument que se donne la
pensée, mais que, dans son essence profonde, la pensée qu'est
langage et ce langage qu'est la pensée est une réponse à
la parole interpellatrice de l'être et que c'est elle, finalement, qui
est le langage originel. Pour Heidegger, l'être, s'il est langage,
interpellation, déploiement, n'est pas statique, mais le dynamisme
même.
Ainsi, c'est en développant cette corrélation
nécessaire entre Dasein et être que se dégage, comme nous
l'avions souligné avec Lévinas et que nous jugeons
nécessaire de le réaffirmer ici, l'originalité de
Heidegger :
<< L'originalité de Heidegger consiste
précisément à maintenir avec une grande netteté
jamais en défaut, cette distinction. L'être de l'étant est
l' « objet » de l'ontologie. Alors que les étants
représentent le domaine d'investigations des sciences ontiques
>>131.
A notre avis, c'est grâce à la mise en
lumière de cette différence ontologique, pierre angulaire ou
clé de voûte de l'édifice de sa pensée, que
Heidegger est amené à rejeter toutes les déterminations de
l'homme des modernes pour le baptiser finalement sous la terminologie du Dasein
dans son ontologie qu'il qualifie de << fondamentale >>.
Cette possibilité de concevoir la contingence et la
facticité, non pas comme des faits offerts à l'intellection
(cette possibilité de montrer dans la brutalité du fait et des
contenus donnés la transitivité du comprendre et une <<
intention signifiante >>, possibilité rattachée par
Heidegger à l'intellection de l'être en tant que tel) constitue la
très grande nouveauté de l'ontologie contemporaine dont le
philosophe allemand Martin Heidegger se fait le défenseur
inconditionné et incomparable. Dès lors, comprendre l'être,
c'est placer l'homme au centre de ses préoccupations et de ses
investigations philosophiques ; tout cela indique que l'apport essentiel de
l'ontologie fondamentale apparaît d'une part en rupture avec la structure
théorétique de la pensée occidentale, c'est-à-dire
de la métaphysique ou de l'ontologie classique ; et d'autre part, en
opposition à l'intellectualisme classique, à l'idéalisme
allemand. Penser, ce n'est plus contempler, mais s'engager au service de
l'homme. L'ontologie fondamentale ne suppose pas seulement une attitude
théorétique (contemplative), mais tout le comportement de
l'humain. Nous pouvons même dire que chez Heidegger, tout
131 E. Lévinas, En découvrant l'existence,
op. cit., p. 56.
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l'homme est ontologie, pour ne pas dire que toute l'ontologie
fondamentale est anthropologie ontologique : l'°uvre scientifique de
l'homme, sa vie affective, la satisfaction de ses besoins et son travail, sa
vie sociale (être-avec, c°xistence), et sa mort articulent, avec une
rigueur qui réserve à chacun de ces moments une fonction
déterminée, la compréhension de l'être ou de la
vérité de l'être. Ce n'est pas parce qu'il y a l'homme
qu'il y a vérité. Mais c'est parce que l'être en tant que
tel se trouve inséparable de son apérité (ouverture),
parce qu'il y a vérité, ou si nous le voulons, parce que
l'être est intelligible qu'il y a l'humanité.
Le retour aux thèmes originels de la philosophie, et
c'est par là encore, à notre humble avis, que l'°uvre de
Martin Heidegger, ce « brillant philosophe qui continue de dominer la
pensée de ses contemporains >>132, pour emprunter
cette expression à Henri Arvon, demeure frappante, ce «
philhellénisme >> ou encore cette quête
archéologique ne procède pas d'une pieuse
décision de retourner enfin de compte à n'importe quelle
philosophia perennis, mais est soutenu par une attention toute
radicale accordée aux préoccupations pressantes de
l'actualité : le problème de l'homme. La question du sens ou de
la vérité de l'être, question de l'ontologie fondamentale,
et les questions relatives à l'homme se rejoignent intimement et
spontanément. C'est en nous situant dans cette perspective que nous
saurons que sa pensée peut nous être d'une grande importance pour
la compréhension du phénomène de la mondialisation.
V.2. Contribution de la pensée
heideggérienne à l'analyse de
la mondialisation
S'il est un mot à la mode, c'est bien celui de la
mondialisation ; il est à la « une >> des journaux, fait
l'objet des débats parfois houleux, souvent controversés et
contradictoires. La mondialisation suscite aujourd'hui, comme nous venons de le
souligner, nombre de controverses. Le terme, à lui seul, condense des
inquiétudes : il évoque tout à la fois le
rétrécissement de la planète, lié aux innovations
technologiques, et l'impact massif du capitalisme triomphant qui impose au
monde sa domination sans partage (ère de l'anglo-saxonnisation du monde
ou américanisation du monde). Ce qui se produit avec la mondialisation,
c'est aussi un gigantesque changement à l'échelle mondiale :
mobilité sans précédent des hommes, des marchandises et de
l'information,
132 H. Arvon, La philosophie allemande, Seghers, Paris,
1970, p. 202.
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laquelle mobilité est due justement à la
fragmentation, à la dislocation, voire à la disparition des
barrières frontalières. C'est pourquoi Marc Abélès
n'hésite pas à définir ce phénomène de
mondialisation comme un << processus de brouillage des
frontières et de subversion des repères traditionnels
>>133. Marshall McLuhan, médiologue canadien,
professeur à l'université de Toronto, quant à lui, baptise
ce monde sous le terme de <<village global >> ou <<
village planétaire >>134, en ce sens que la
planète Terre devient un village.
Et c'est dans ce contexte que la perspective ontologique de
Heidegger se révèle nettement mieux pour cerner les
considérations philosophiques du phénomène de
mondialisation. Certes, la mondialisation est un évènement dont
les causes et les implications sont avant tout politiques, économiques,
techniques et culturelles. C'est un processus dont l'étude ne
relève pas directement de l'ontologie, mais plutôt de la
philosophie politique ou de la sociologie135.
Cependant, la réflexion sur la mondialisation
soulève d'une façon ou d'une autre le problème de
l'être-ensemble des hommes et implique ipso facto certaines
questions sur le plan ontologique. En effet, à l'heure actuelle
où nous vivons dans un monde devenu de plus en plus un
micro-village grâce au développement très
poussé des moyens de communications très performants, nous
assistons paradoxalement à une sorte de mondialisation qui ne cesse de
plonger les hommes dans une espèce d'angoisse existentielle. Car,
au-delà des points de vue économique, culturel, technique et
politique, la mondialisation touche l'homme dans son <<
être-au-monde >> et << être-avecautrui >>. C'est
pourquoi, l'apport de la pensée ontologique de Heidegger peut nous
être bénéfique à comprendre ce
phénomène de la mondialisation aussi complexe qu'ambigu.
V.3. Etre-au-monde et être-avec-autrui du
Dasein, impératifs pour une mondialisation
humanisée
Habituellement, nous pensons le rapport de l'homme au monde
selon le schéma suivant : d'un côté un sujet (l'homme), de
l'autre un objet (le monde). Cependant, Heidegger a montré qu'une telle
représentation est limitée et dépassée. Loin
d'être en
133 A. Appadurai, Après le colonialisme. Les
conséquences culturelles de la globalisation, Payot, Paris, 2001,
p. 10.
134 S. Cordellier, Mondialisation. Au-delà des
mythes, éd. La Découverte et Syros, Paris, 1997, p. 85.
135 Pour cet effet, bien vouloir se référer
à l'approche multiforme des articles liés à cette
problématique, dans la revue Cahier de l'UCAC, n° 6,
La mondialisation : quel humanisme ?, Presses de l'UCAC/Karthala,
Yaoundé/Paris, 2002.
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face du monde, l'homme est toujours pris par lui, et parfois
même englué en lui. Du point de vue de son conditionnement, comme
le dirait J. Greisch empruntant une image très suggestive, l'être
humain n'est pas un Robinson Crusoë qui attendrait sur son île qu'un
éventuel bateau veuille bien l'emmener sur la terre ferme du monde
extérieur, il est essentiellement un être de relation et en
relation avec le monde.136 Mais comment penser ou repenser cette
relation de l'homme au monde et à l'altérité dans le
contexte actuel où le concept de mondialisation suscite de plus en plus
ce que le Pr Gabriel Ndinga nomme des << effets
déstabilisants >>137 ?
Nous venons de souligner que la mondialisation touche l'homme
dans son êtreau-monde. Mais comment penser cette relation de l'homme au
monde ? La principale difficulté ici est d'éviter de penser
justement le rapport de l'homme au monde de façon spatiale,
c'est-à-dire comme une sorte de relation d'emboîtement. Certes,
l'homme est bien dans le monde, mais comme le souligne Thomas Joachim, il ne
l'est pas comme un poisson dans l'océan138. << Etre
dans >>, pour l'homme, signifie beaucoup plus qu'une simple
détermination locale dans l'espace. Sous l'angle ontologique, il est
d'importance primordiale de ne pas considérer cet <<
être-dans >> ou << être-au >> comme une
propriété extrinsèque, pour ainsi dire, à
l'être essentiel à l'homme, comme une relation au monde, que
l'homme serait à même de nouer ou de dénouer selon son bon
plaisir. A notre avis, le trait d'union dans l'expression <<
être-au >> ou << être-dans >> veut souligner en
fait que le << au >> ou le << dans >> appartient
essentiellement à l'<< être >>. Sans cet
être-au-monde, l'homme n'est tout simplement pas. Bref,
être-au-monde, c'est y demeurer, habiter, séjourner... <<
De même qu'être auprès de quelqu'un n'est pas seulement
être à côté de lui [...J, explique Th.
Joachim, de même l'homme n'est-il pas dans le monde comme dans un
super-contenant. Le rapport de l'homme au monde n'est pas celui d'un tout avec
l'homme dedans, ni de l'homme avec un tout autour >>139.
Mais comment comprendre cette relation d'ordre ontologique à
l'ère de la mondialisation ?
Lorsqu'il s'agit de la mondialisation, le monde dont nous
parlons ne doit plus être entendu au sens d'un ensemble de pays, mais
comme des pays qui se relancent les
136 J. Greisch, Ontologie et temporalité. Esquisse
d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, PUF, Paris,
1994, p. 126.
137 G. Ndinga, La mondialisation : quel humanisme ?, Cahier
de l'UCAC, op. cit., p. 9.
138 Th. Joachim, << contribution métaphysique
à l'analyse de la mondialisation >>, in Cahier de l'UCAC,
op. cit., p. 15.
139Th. Joachim, << contribution
métaphysique à l'analyse de la mondialisation >>, in
Cahier de l'UCAC, op. cit., p. 16.
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uns les autres, comme une structure de renvoi en
référence à l'homme. Le monde, c'est l'ensemble des pays,
des continents, en tant qu'ils sont ordonnés, non seulement les uns par
rapport aux autres, mais aussi et surtout par rapport à l'homme. Il
s'agit de comprendre tout simplement que le monde dont il est question, c'est
la totalité des pays et des continents dans leur relation possible ou
effective pour le bien-être individuel et collectif des hommes.
Pendant de nombreuses années, cette relation entre les
pays et les continents à l'égard de l'homme dépendait en
grande partie de ce que nous pouvons appeler la « proximité
spatiale », mais à l'heure actuelle, la proximité d'un pays
ou d'un continent par rapport à l'autre ne se mesure plus au voisinage.
Car, depuis quelques décennies, le progrès technologique
(développement de la communication et de la
télécommunication) a révolutionné cette conception
classique de la proximité. Nous pouvons aujourd'hui nous sentir
très loin de notre voisin, s'il n'y a pas à la base cette
coexistence, la considération de l'autre en tant qu'alter ego
qui a besoin de notre sollicitude. Nous pouvons aussi nous sentir très
proche d'un ami vivant à 8000 km grâce au téléphone
mobile et à un double clic à Internet. Cela dit, les
proximités spatiales ou géographiques qui semblent avoir
joué un si grand rôle dans l'histoire de la formation de notre
monde s'estompent désormais. La distance d'un homme, d'un pays ou d'un
continent par rapport aux uns et aux autres ne se mesure pas au
kilomètre, mais à la coopération effective entre les
hommes. Autrement dit, la proximité plus ou moins grande de tel homme ou
de tel pays par rapport à l'autre dépend de ce que J. Greisch
appelle la « quantité de souci »140 qu'il
en a. Il nous apparaît ici que c'est cette quantité de souci qui
se présente comme le meilleur principe herméneutique de toute
action à l'égard de l'homme, indépendamment de son origine
sociale, nationale, continentale... Ainsi, si l'être-au-monde traduit la
dimension relationnelle de l'homme dans l'ordre ontologique, l'être-avec,
notamment l'être-avec-autrui, l'exprime encore mieux.
Comme nous l'avions souligné, pour Martin Heidegger,
l'être humain est à la fois existence et ouverture. En tant
qu'existant, il est un être-au-monde et un être-avecautrui.
Fondamentalement êtres relationnels, c'est dans la société
ou cité que les hommes organisent leur existence et leur
destinée. L'existence de l'homme mobilise ainsi la dimension de
l'altérité parce qu'exister, c'est avoir le « souci
mutuel » les uns
140 J. Greisch, Ontologie et temporalité, op.
cit., 157.
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pour les autres. Dans ce contexte précis, exister et
être sont des concepts convertibles et identifiables. Cela met en relief
et surtout relève du fait que l'homme est fondamentalement
(ontologiquement) un être social, c'est-à-dire relationnel :
être, c'est être-avec-autrui (il faut considérer <<
autrui >> ici dans son acception large). Dès lors, comment
comprendre cela dans le contexte de la mondialisation ?
Dans ce contexte globalisé, on répète
souvent que l'homme n'est pas une marchandise. Ce qu'il est au juste, c'est un
être relationnel, un être-avec-autrui.
L'altérité est située donc au c°ur même de la
question du sens d'une mondialisation humanisée141 ; sinon
elle doit être perçue comme un impératif même pour
une mondialisation humanisée. Celle-ci doit aussi révéler
l'humain comme à la fois universel et particulier. C'est ce que dit
à juste titre C. Ngwey : << Si la mondialisation obéit
à une dynamique unifiante, c'est qu'elle est essentiellement un
processus qui repose sur l'universalité de l'humain. Mais
l'universalité ne gomme pas l'individualité ni même la
particularité historique des communautés nationales et
culturelles >>142. En d'autres termes, la mondialisation
ne doit pas être un lieu de négation de l'altérité,
une occasion d'écraser. Elle est au contraire, comme le dit si bien A.
Tshibilondi Ngoyi, << le lieu de l'émergence de l'autre dans
sa diversité et sa richesse, le lieu de la gestion de la
différence >>143, différence aussi bien
linguistique, religieuse que culturelle.
Au regard de ces analyses de la mondialisation dans la
perspective ontologique, nous pourrons affirmer que loin de susciter tant
d'angoisses existentielles, de controverses que de contradictions, le
phénomène de la mondialisation se présente plutôt
comme une chance, un horizon de toute existence humaine, si elle est prise
justement à la base même. Cependant, là où le
bât blesse, c'est qu'elle est devenue une << hydre pourvoyeuse
de marginalisation >>144, un système d'apartheid
à l'échelle mondiale, et par conséquent dévoreuse
des pauvres ; elle provoque des réactions d'autodéfense et l'on
assiste à une fragmentation culturelle à maints égards
dangereuse. En outre, dans ce contexte de << diversité diasporique
>>, c'est-à-dire de prolifération des groupes humains
déterritorialisés, de flux médiatique, bref, dans cette
configuration de
141 A. Tshibilondi Ngoyi, << L'altérité comme
impératif d'une mondialisation humanisée >>, dans
Cahier de l'UCAC, op. cit., p. 46.
142 C. Ngwey, << Enjeux existentiels de la mondialisation
>>, in Mondialisation vue du sud. Une approche
multidisciplinaire, éd. Du Kasayi, Kananga (Kinshasa), 2000, p.
115.
143 A. Tshibilondi Ngoyi, op. cit., p. 66.
144Ibidem, p. 45.
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mobilité générale, paradoxalement, les
rapports humains se creusent, se fragilisent au point oü nous assistons
à une « bipolarisation» du monde : le nord et le sud. Le
premier est celui des riches qui se coalisent, se liguent et se dressent contre
les envahisseurs ; et le second, celui des pauvres, voire des misérables
pour ne pas dire des miséreux qui, abandonnés à
eux-mêmes, croupissent, s'enfoncent davantage dans l'extrême
indigence. Entre les deux mondes, aucun dialogue constructif ne semble
s'établir, l'homme a semblé oublier son
être-avec-autrui.
C'est pourquoi, au-delà des approches éthiques,
économiques, politiques, théologiques du phénomène
de la mondialisation qui existent déjà, nous pensons qu'il est
capital de l'aborder dans son essence même afin qu'elle nous
révèle sa vraie identité. A notre avis, une
réflexion sur ce plan s'avère plus que jamais nécessaire
afin de tenter d'humaniser la mondialisation si tant est vrai que l'être
de l'homme consiste à être-aumonde et à
être-avec-autrui. Ainsi, si et seulement si les hommes savent que leur
être consiste à « être ensemble », ils
considéreront la mondialisation comme un horizon de leur existence ; ils
n'érigeront pas des barrières, des frontières
socio-politiques, religieuses et culturelles pour faire écran aux
autres, leurs murailles de xénophobie tomberont d'elles-mêmes,
l'expression « immigration choisie » sera vide de sens.
Ainsi, nous pouvons retenir succinctement que Martin Heidegger
qu'on qualifie de penseur ontologique n'est pas moins un penseur de l'homme.
Son ontologie dite fondamentale est une analytique du Dasein, dans la mesure
oü dans sa quête de fondement l'être humain occupe une place
de choix. A ce titre, E. Lévinas n'hésitera pas à
considérer que l'ontologie heideggérienne est une anthropologie.
Penser l'être, c'est revenir à l'homme, revenir à l'homme
c'est le prendre comme voie royale pour accéder au royaume de
l'ontologie. En outre, face au phénomène de la mondialisation qui
suscite tant d'interrogations sur le plan socio-économique, politique
qu'éthique, il y a intérêt à l'aborder sur le plan
ontologique afin de cerner ses enjeux. Car, si l'être de l'homme consiste
à être-au-monde et à être-avec-autrui, selon la
perspective ontologique de Heidegger, l'humanisation de la mondialisation passe
donc par la reconsidération des humains sur le plan de leur
être.
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CHAPITRE VI :
LIMITES ET PERSPECTIVES DE LA PENSEE DE
M. HEIDEGGER
Comme le disait Heidegger lors d'un séminaire du 05
septembre de 1937 à propos de Hegel, << toute pensée
authentique comporte une limitation essentielle. C'est seulement, ajoute-t-il,
quand on voit les limites qu'on voit le grand penseur
>>145. Et se tournant vers les séminaristes, il leur
déclare : << Quand vous verrez mes limites, vous m'aurez
compris. Je ne puis les voir. >>146 Dans la logique de
cet aveu, nous voulons à présent non pas critiquer, au sens
négatif du terme, la pensée de l'auteur dans son ensemble, mais
nous allons relever certaines ambiguïtés qui apparaissent dans sa
pensée au sujet de ses investigations ontologiques sur le Dasein. En
cheminant au sein de la pensée de Heidegger, nous avons constaté
d'une part qu'il existe un assujettissement du Dasein, et que d'autre part son
anthropologie s'inscrit en droite ligne dans celle des philosophes
immanentistes tels que Nietzsche, Feuerbach, d'où la
nécessité de faire un dépassement en redonnant à
l'homme son statut métaphysique.
VI.1. L'assujettissement du Dasein dans
l'ontologie heideggérienne
La notion du << Dasein >> dans l'ontologie
heideggérienne que nous venons de parcourir revêt quelques
difficultés majeures dont il convient ici de mettre en lumière
afin d'ouvrir d'autres perspectives. Beaucoup de critiques de Heidegger lui ont
reproché de se concentrer sur l'être en oubliant l'homme. Quant
à lui, il réplique en affirmant qu'une telle critique
relève d'un grand malentendu sur sa pensée et par
conséquent une telle critique est nulle et non avenue. En effet, ce que
nous nous sommes bien efforcé de montrer dans ce travail, c'est que la
nouvelle approche que Heidegger nous propose de l'essence de l'homme et qui le
conduit, dans son ontologie fondamentale, à abandonner les
appellations traditionnelles par lequel on le désigne, comme <<
homme >>, << sujet >> ou << conscience >>, pour
le terme, insolite à première vue, de Dasein, est
précisément rendue nécessaire par la tentative qui est la
sienne de redécouverte de l'idée la plus
145J. Beaufret, Dialogue avec Heidegger.
Philosophie grecque, op. cit., p. 11. 146 Idem.
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originelle de la philosophie, à savoir le souci de
l'étant dans sa totalité. Sur ce Heidegger engage la
pensée sur la voie d'une tout autre expérience de l'être de
l'homme que celle qui commande aujourd'hui les représentations que nous
faisons des sphères éthique et politique. Mais la rupture
radicale qu'il opère avec l'anthropocentrisme qui régit depuis
son début la pensée moderne ne signifie cependant pas l'abandon
pur et simple de la question de l'homme.
C'est en substance ce que Heidegger expliquait au cours d'une
émission de télévision organisée en septembre 1969
à l'occasion de son quatre-vingtième anniversaire. Au professeur
R. Wisser qui lui demandait : « De quelle manière votre
philosophie peut-elle agir aujourd'hui à l'égard d'une
société concrète avec ses multiples tâches, soucis,
ses angoisses et ses espérances ? Ou bien ont-ils raison ceux de vos
critiques qui prétendent que Martin Heidegger s'occupe de l'être
avec tant de concentration qu'il a sacrifié la condition humaine,
l'être de l'homme en société et en tant que personne ?
»,147 Heidegger répondait sans sourciller :
« Cette critique relève d'un grand malentendu
! En effet, affirme-t-il, la question de l'être et le
développement de cette question (qui concerne le statut de l'être
humain) présupposent même une interprétation du
Dasein, c'est-à-dire une détermination de l'essence de
l'homme Et l'idée qui est à la base de ma pensée est
précisément que l'être ou le pouvoir de manifestation de
l'être a besoin de l'homme et, vice-versa, l'homme n'est homme que dans
la mesure où il se tient dans l'éclaircie de l'être. Par
là devrait être résolue la question de savoir dans quelle
mesure je ne m'occupe que de l'être en oubliant l'homme. On ne peut
poser, lâche-t-il contre toute attente, la question de
l'être sans poser celle de l'essence de l'homme. » 48
Certes, Heidegger a tâché de penser l'homme dans
sa totalité, et surtout dans sa trivialité quotidienne, mais ses
investigations ontologico-anthropologiques comportent des difficultés,
sinon des ambiguïtés qui méritent que nous nous y attardions
nécessairement. Penser le Dasein en rapport avec l'être sans les
confondre ni les séparer ni les opposer est sans nul doute un tournant
décisif qu'il a opéré dans l'histoire de
147 M. Heidegger, Cahier de l'herne, l'Herne,
Paris, 1983, p. 383.
148 Idem
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l'ontologie. Mais sa pensée sur le Dasein, comme nous
l'avions dit, renferme des limites.
En parcourant ses chemins de pensée, nous nous sommes
rendu compte que Martin Heidegger, dans ses réflexions sur le Dasein a
fait preuve d'une subordination ou mieux d'une soumission intrinsèque du
Dasein, pour ne pas dire ontologique, à l'être. Dans cette
espèce d'assujettissement du Dasein à l'être, il manque
quelque chose de fondamental à l'homme, qu'il faut souligner ici avec la
même hargne dont il a critiqué la métaphysique dans son
ensemble : la liberté. A cet effet, nous convoquerons ici deux auteurs
majeurs, J. Habermas et K. Wojtyla, pour mener notre critique.
La position de Heidegger relative au problème
traditionnel de la liberté, telle qu'elle résulte d'Etre et
temps où elle n'est jamais exposée de façon
systématique, est fort problématique. Cette question de la
liberté est pour lui le problème fondamental de l'ontologie, un
problème renversé de façon radicale lors d'un cours
professé en 1930. Déployer la question de la liberté
humaine, enseigne Heidegger, c'est se trouver fondamentalement ailleurs, en un
lieu dans lequel << aucune science, ni aujourd'hui, ni demain, ni
jamais, n'est en mesure de s'installer >>149. La
liberté, aux dires de F. de Towarnicki en commentant la pensée de
Heidegger, << n'est plus une qualité parmi d'autres que
posséderait l'homme, mais c'est bien plutôt elle qui le
possède >>150. A ce niveau, nous sommes en droit
de nous demander ce que devient l'être humain dans une telle conception
de la liberté. Force est donc de constater ici que l'homme est
dépossédé de sa dimension essentielle qu'est la
liberté. En effet, l'homme étant déjà
possédé ne peut plus s'autodéterminer, ni opérer un
quelconque choix vis-à-vis de la liberté essentialiste. L'homme
n'a pas à faire un choix pour affirmer sa liberté, mais il est
appelé à se laisser posséder, à se soumettre. Et
c'est à juste titre que J. Habermas peut affirmer qu'en esquissant une
définition essentialiste de la liberté
<< Heidegger rejette le concept
existential-ontologique de la liberté. Le Dasein n'est plus
considéré comme l'auteur des projections du monde à la
lumière desquelles l'étant à la fois se montre et se
dérobe ; la productivité de l'ouverture au monde créatrice
de sens est au contraire attribuée à l'être
luimême >>151.
149 M. Heidegger, cité par F. de Towarnicki, << Une
métamorphose de la liberté >>, dans Magazine
littéraire, Hors-série, op. cit., p. 36.
150 Ibidem, p. 37.
151 J. Habermas, Der philosophische Diskurs der Moderne,
Le discours philosophique sur la modernité, traduction
française par C. Bouchindhomme et R. Rochlitz, Gallimard, Paris, 1988,
p. 181.
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Prise dans cette optique ontologique et reportée
à l'échelle de notre condition, la liberté humaine,
d'après les explications données par De Waelhens sur la
pensée de Heidegger,
<< peut être considérée comme
nulle. Elle n'est pas une arme à nous forger un destin supérieur,
comme le libre arbitre de la tradition chrétienne. Elle se réduit
à une connaissance intérieure, sans porter sur la
réalité ultime de l'existence. Elle n'est qu'un choix entre
l'acceptation de cette condition telle qu'elle est ou l'illusion touchant notre
destin. Elle demeure incapable de rien faire qui puisse nous dégager de
cette condition ou nous préparer à un état de
dignité supérieure >>152.
Cette position de Heidegger est conditionnée, voire
déterminée, par le fait que << l'homme est un pro-jet
jeté par l'être lui-même au monde
>>153. Nous voyons là comment notre auteur
dépouille l'être humain de sa capacité à
s'autodéterminer. En refusant ainsi à l'homme d'être
maître et auteur de ses actes, l'auteur de la Lettre sur
l'humanisme nous conduit à une sous-humanisation sinon à une
déshumanisation de l'homme. Car, si l'homme ne peut pas exercer sa
liberté en tant que sujet libre et autonome, en tant qu'auteur et
acteur, il descend en deçà de son humanité, il
réintègre son animalité. Soit il est purement et
simplement un objet dont l'être dispose et use pour son
dévoilement, soit il est contraint de se soumettre sans rechigner. Or,
et selon cette affirmation très forte de K. Wojtyla :
<< La personne est [...J le sujet réel de ses
actes, et dans son action, elle est non seulement sujet mais aussi auteur
acteur. La découverte de la liberté à la racine des actes
de la personne nous permet de comprendre encore plus à fond l'homme
comme sujet dynamique >>154.
L'homme est sujet dynamique, et dans la dynamisation de son
propre sujet, il dépend de lui-même. Cela veut dire que la
signification fondamentale de la liberté de l'homme nous fait voir en
elle avant tout cette autodépendance particulière qui va de pair
avec l'autodétermination155, l'autopossession et non pas la
possession de l'homme par l'être.
Si la liberté est une condition sine qua non
de créativité, car un esprit soumis ou assujetti ne peut en
aucune façon inventer ou créer, alors l'assujettissement
maintient
152 A. de Waelhens, La philosophie de Martin Heidegger, op.
cit., p. 262.
153 M. Heidegger, << Lettre sur l'humanisme >>, in
Questions III, op. cit., p. 87.
154 K. Wojtyla, personne et acte, op. cit., p. 124.
155Ibidem, p. 142.
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l'homme dans la dépendance radicale. Pour ce qui est de
la pensée de Heidegger, en affirmant que la liberté n'est pas une
arme à nous forger le destin et qu'elle n'est qu'une illusion, notre
auteur admet par là même que le Dasein ne peut aller
au-delà de luimême et recherche une réalité
transcendante ultime qui sera le terme de ses recherches. Ce n'est que dans ce
sens que nous apercevrons comment la conception anthropologique
heideggérienne s'enracine dans l'immanence.
VI.2. L'anthropologie heideggérienne : une
anthropologie immanentiste
Heidegger a toujours refusé d'être rangé
parmi les philosophes athées. Cependant, la question de la vie
post-mortem est quasiment mise en épochè dans sa
pensée. Pour lui, en effet, la thématique de la vie du Dasein
après la mort relève de la métaphysique de la vie qui
consiste à faire des spéculations sur des réalités
dont nous n'avons aucune expérience :
« Si la mort est déterminée comme
« fin » du Dasein, c'est-à-dire
comme fin de l'être-au-monde, affirme Heidegger, cela
n'entraîne nulle décision ontique sur la question de savoir si
« après la mort » un être
différent, supérieur ou inférieur, est possible, si le
Dasein « continue à vivre », voire si, se
« survivant », il est « immortel
» »156.
Dans cette affirmation, nous pouvons relever d'une part que
pour lui, le vrai monde de l'homme, contrairement à la position de
Platon, se trouve dans l'immanence. Car, si pour le père de
l'idéalisme, le véritable monde de l'homme est le monde
idéel et que le monde terrestre représente un danger pour lui,
pour le penseur de l'être, c'est tout à fait le contraire : il
faut enraciner l'homme dans l'ici-bas. En ce sens que pour l'homme, comprendre
l'être en tant que tel, c'est exister ici-bas, c'est élire
domicile sur la terre. Non pas que l'ici-bas, par les vicissitudes qu'il
comporte, les épreuves qu'il impose, élève et purifie
l'homme et le rende à même d'acquérir une
réceptivité à l'égard de l'être. Non pas que
l'ici-bas ouvre une histoire dont le progrès seul rendrait pensable
l'idée de l'être. L'ici-bas ne tient son privilège
ontologique ni de l'ascèse qu'il comporte, ni de la civilisation qu'il
suscite. Déjà dans ses soucis temporels s'épelle la
compréhension de l'être. L'ontologie ne s'accomplit pas dans le
triomphe de l'homme
156 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
247.
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sur sa condition, mais dans la tension même oü
cette condition s'assume. A cet effet, affirme L. Ferry, « Nous voici
reconduits [...J au primat d'une pensée "terrestre", d'une vision du
monde qui se veut débarrassée des "illusions" de la transcendance
>>.157 Autrement dit, dans son ontologie dite
fondamentale, Heidegger non seulement approfondit mais surtout radicalise le
matérialisme afin de poursuivre la logique « déconstructrice
>> jusqu'à son terme158 ; son ontologie fondamentale
n'est rien d'autre qu'une anthropologie immanentiste qui ne mobilise en
réalité aucune véritable transcendance,
c'est-à-dire une transcendance verticale. Cela ne conduit-il pas
Heidegger en fin de compte à une divinisation de l'humain,
conséquence logique d'une néantisation du divin ?
C'est ici que nous pouvons relever le parfum de l'agnosticisme
ou du scepticisme qui se dégage donc de cette déclaration. Si
pour Heidegger, l'interprétation ontologique de la mort « vue
de l'en deçà passe avant toute spéculation ontique sur
1'au-delà >>159, nous pouvons dès lors nous
demander si nous ne sommes pas finalement dans un « agnosticisme
fondamentalement ontologique >>, dans un scepticisme métaphysique
mitigé, ou mieux dans un dogmatisme ontologique.
Bien plus, lorsque nous abordons le statut de la transcendance
chez Heidegger, tout porte à renforcer notre argumentation. Certes, il y
a chez l'auteur, une sorte d'émergence du Dasein hors du néant,
mais cette émergence n'a rien de commun avec le mouvement classique vers
les hauteurs. En effet, nous apercevons une nouvelle forme de la transcendance,
tout à la fois intérieure à ce monde-ci et distincte
cependant d'une pure immanence qui serait opacité. Nous sommes là
en présence d'une description de l'immanence en termes de «
transcendance horizontale >>, qui est en fait le renversement de la
transcendance classique (verticale) ; c'est une transcendance dans l'immanence,
une transcendance boiteuse. C'est ce qui explique même l'essence du
Dasein heideggérien : l'essence de l'homme, il faut le rappeler,
réside dans son eksistence, l'essence de l'ek-sistence,
c'est la mort, et l'essence de la mort consiste à dévoiler
à l'homme qu'il est fini, et que sa réalité d'être,
c'est d'être en vue de la mort. Essence, ek-sistence, finitude
et mortalité sont ainsi liées et ce qui les lie, c'est l'acte de
transcendance, c'est-à-dire émergence et dépassement de
soi vers son propre avenir et
157 L. Ferry, Qu'est-ce qu'une vie réussie ?,
Essai, Bernard Grasset, Paris, 2002, p. 417.
158 Idem.
159 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p.
248.
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sa propre mort. Ainsi, nous avons apprécié la
cohérence des idées de Heidegger, la pertinence de son
anthropologie ontologique, la force de son argumentation, mais son
péché impardonnable réside à ce moment
précis : vouloir empêcher l'homme d'être
métaphysique, enfermer l'homme dans l'immanence pure et simple
relèverait d'un matérialisme pur et dur. L'aspect
matérialiste de la pensée de Heidegger n'a pas non plus
échappé à L. Ferry :
<< Depuis un siècle maintenant, affirme-t-il,
les penseurs les plus puissants, de Nietzsche à Heidegger en passant par
Freud, Marx ou Weber, n'ont cessé d'annoncer la « mort de Dieu
», d'analyser la sécularisation du monde et les processus qui
conduisaient inexorablement, dans l'univers moderne, à 1'érosion,
puis aux retraits des dispositifs religieux ; mais leur pensée qui n'a
cessé de s'humaniser jusqu'à culminer dans un matérialisme
radical >>160.
Ceci nous amène à nous demander une fois de plus
comment un grand penseur, sinon le << penseur majeur de notre
siècle >>, selon l'expression d'A. Boutot, comment Heidegger,
ce métaphysicien de haute facture parce qu'il s'est fait le
défenseur acharné de la métaphysique, peut-il manquer d'
<<intelligence métaphysique >>161 et
vouloir enfermer l'homme dans le matérialisme ? Une telle erreur est
inadmissible, car elle << déconstruit >> l'homme,
d'où la nécessité de lui redonner son statut
métaphysique.
VI.3. Perspective métaphysique
<< Les penseurs, selon P. Valery, sont des
gens qui repensent et qui pensent que ce qui fut pensé ne fut jamais
assez pensé >>162. Tel est ce qui pourrait
justifier l'objectif affiché de Martin Heidegger lorsqu'il entreprend
avec détermination de repenser l'homme dans son ontologie
fondamentale.
La métaphysique dans sa quête radicale se
présente comme ultime intentionnalité de la philosophie, car elle
nous propose un discours fondamental au sens étymologique grec du terme.
Autrement dit, elle recherche le fondement de toute réalité, ce
que les Grecs appellent l' << Arché ». En cela, nous
pouvons dire que toute philosophie doit s'achever dans la métaphysique
parce que celle-ci se présente comme
160 L. Ferry, op. cit., p. 446.
161 J. Granier, L'intelligence métaphysique,
Cerf, Paris, 1987.
162 J. Beaufret, Dialogue avec Heidegger. Philosophie
grecque, op. cit., p. 17.
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le nom propre de celle-là; la vocation authentique de
la philosophie consiste à donner du sens. Or, nous ne pouvons donner du
sens qu'en recherchant le fondement de toute réalité, et cette
recherche du fondement ne peut se faire que sous l'égide de
l'être. Ainsi, il convient d'affirmer ici que la vocation
véritable de la métaphysique est la recherche du fondement sous
l'égide de l'être. A ce titre, Martin Heidegger au XXè
siècle, c'est-àdire à l'heure de l'émergence des
tendances sociologisantes de la philosophie, au moment où la philosophie
devient science sociale et le philosophe sociologue, a raison de focaliser son
attention particulièrement sur la métaphysique. Il est
légitime de comprendre les critiques virulentes qu'il adresse aux
sciences163 en général et à la philosophie
occidentale ou à la métaphysique occidentale en particulier.
Il est vrai qu'il a eu cette intuition, qu'il a saisi cette
importance capitale de rappeler que la philosophie doit retrouver son origine,
son fondement. Cependant, Heidegger n'est pas allé jusqu'au bout de son
ambition philosophique. Analogiquement, nous pouvons dire qu'à l'exemple
de l'homme de l'existence inauthentique qui transforme le carrefour en point
d'arrivée, qui ne réussissant pas à sortir de la
croisée des chemins, dépose ses bagages et décrète
qu'il a atteint sa destination, Heidegger est finalement, avouons-le, cet homme
qui ne sait où il va ou plutôt cet homme qui oublie sa destination
lorsqu'il rencontre des difficultés sur son itinéraire. C'est
l'homme qui ne cherche à résoudre aucun problème mais qui
transforme toutes ses difficultés en solutions. Au terme de ses
investigations philosophiques, il a atterri dans la forêt de l'ontologie
en oubliant la métaphysique même. Devons-nous accepter cet oubli
de la métaphysique ? L'oubli de la métaphysique n'est-il pas
finalement l'oubli de l'homme lui-même dans ses fins ultimes ?
En effet, l'ontologie heideggérienne est la science de
l'être de l'étant. C'est la philosophie de l'être de
l'étant. Or, l'être, selon l'expression aristotélicienne,
se dit de façon plurielle. Ainsi, l'ontologie fondamentale de Heidegger
ne peut être métaphysique
163 Pour M. Heidegger, << La science ne pense
pas » et elle << ne peut pas penser », in Was
heisst Denken ?, 1954, Qu'appelle-t-on penser? PUF, 4è
éd., Paris, 1973, p. 26. Cette phrase à caractère choquant
veut en effet signifier que la science ne se pose pas la question des
questions, c'est-à-dire la question fondamentale de la
métaphysique : << Pourquoi donc y a-t-il l'étant et non
pas plutôt rien ? ». Cette question, explique Heidegger,
<< s'impose à nous comme occupant le rang, d'abord parce qu
»elle est la plus vaste, ensuite parce qu'elle est la plus profonde, enfin
parce qu'elle est la plus originaire ». En d'autres termes, cette
question demande : << Quel est le fondement ? Be
quel fondement l'étant est-il issu ? Sur quel fondement
se tient l'étant ? Vers quel fondement l'étant
se dirige-t-il ? », in M. Heidegger, Einfürung in die
Metaphysik, 1952, Introduction à la métaphysique,
traduction française par G. Kahn, Gallimard, Paris, 1967, pp. 14-15.
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dans son sens premier. Son ontologie qui en fait est une
anthropologie ontologique ne mobilise qu'une transcendance intra-mondaine,
sinon elle devrait parvenir à s'interroger sur Dieu et sur la vie
post-mortem de l'homme en se situant en dehors de l'ordre physique. C'est
la raison pour laquelle il faut un dépassement de cette anthropologie
heideggérienne afin de redonner à l'homme son statut
métaphysique. Mais qu'est-ce que la métaphysique ? Qui est
l'auteur de la métaphysique ?
Depuis Aristote jusqu'à Heidegger, il est fort de
constater que la métaphysique a connu de profondes transformations
terminologiques. Il existe un ordre dans les changements qui ont
bouleversé la signification de ce concept. Reconstruire cet ordre peut
d'ailleurs être passionnant et suggestif pourvu que nous ne nous
laissions pas enfermer dans une histoire des doctrines, mais tâcher de
dégager la ligne à partir d'une idée de la
métaphysique dans son essence. Cependant, nous ne pouvons faire
l'historique de ce concept à cause du cadre restreint qui nous est
réservé dans cette section de notre travail. En outre, au lieu de
chercher tout d'abord l'essence, c'est-à-dire ce qu'est la
métaphysique, il serait judicieux de mettre au premier chef la question
de l'origine de l'interrogation métaphysique ; autrement dit, il faut
essayer de découvrir son auteur. A notre avis, la question de l'essence
se subordonne à la question d'imputation.
En abordant ce problème de manière frontale, J.
Granier affirme que l'auteur de la métaphysique est le «
moi >>164, c'est-à-dire l'homme-philosophe.
Ceci dans la mesure où il est le seul habilité à
s'interroger sur la métaphysique et par conséquent sur sa
destinée. Car, l'homme, aux dires du Pr Daniel Payot dans la
présentation du livre du Pr Michel Kouam, La philosophie, un art de
vivre. A l'école de la sagesse antique, « est une
entité métaphysique et spirituelle >>165.
Ainsi, après avoir assigné son origine au moi, l'auteur de
L'intelligence métaphysique entreprend de définir la
métaphysique comme « une discipline égotiste
>>, et « une production égotiste
>>166. Voilà une affirmation très forte qui
suscite en nous des interrogations. Si en philosophie les questions sont plus
importantes que les réponses et que chaque réponse suscite une
nouvelle problématique, il convient donc de nous interroger sur cette
affirmation très
164 J. Granier, Intelligence métaphysique,
op. cit., p. 15.
165 M. Kouam, La philosophie, un art de vivre. A
l'école de la sagesse antique, Prologue du Pr Daniel
Payot, Imprimé à Douala (Cameroun) par Opit
Graphics Int., 2006, p. 5.
166J. Granier, Intelligence
métaphysique, op. cit., p. 15.
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capitale de J. Granier. Qu'est-ce qui peut bien être
à l'origine de cette production égotiste ? En d'autres termes,
pourquoi ce << besoin métaphysique >> est-il ontologiquement
inscrit en l'homme ? Les réponses à ces questions
formulées peuvent être différentes selon la perspective de
tel ou tel homme, tel ou tel auteur. Pour notre part, nous allons convoquer
Régis Jolivet dans cet espace de dialogue métaphysique afin de
nous aider à dépasser le regard que Heidegger porte sur
l'homme.
L'expérience quotidienne peut nous permettre de montrer
que la motivation de cette production égotiste, de cette interrogation
métaphysique, c'est l'épreuve de la discordance entre l'homme et
le monde. A notre avis, c'est le conflit entre l'homme et le monde physique qui
oblige celui-là à chercher, au-delà de celui-ci, l'espoir
d'une réconciliation, et lui ouvre ainsi le champ nouveau de la
pensée métaphysique. << L'homme, aux dires de R.
Jolivet, est métaphysique par essence >>167.
Cela signifie qu'il porte en lui quelque chose qui ne peut être
ramené à la nature ou au monde physique. Ce << quelque
chose >> d'irréductible au physique, c'est cette dimension
spirituelle de lui-même qui refuse de se soumettre aux conditionnements
spatiotemporels. Aussi vrai que l'homme est constitutivement spirituel, aussi
vrai qu'il est foncièrement habité par un furieux désir de
vivre et que le monde phénoménal (selon l'acception kantienne) se
présente ici comme obstacle majeur à la réalisation de ce
désir, seul le monde meta-physique peut lui offrir cette
possibilité de satisfaire ce besoin de transcender le monde sensible et
d'accéder au monde de l'invisible pour s'accomplir. Dans cette logique,
l'auteur de L'homme métaphysique dit :
<<Placé ou jeté dans un monde qui
l'accable, sans le satisfaire, [...J et devant lequel il éprouve des
sentiments d'étonnement, d'admiration et d'inquiétude, l'homme
apparaît animé par un besoin d'infini, ou plus exactement, par un
dynamisme infini, qui le pousse ou l'attire constamment au-delà de ce
qu'il voit, saisit ou imagine, sans terme assignable
>>168.
En ce sens, l'infini est moins le terme d'un mouvement jamais
achevable vers un avenir toujours ouvert, que la puissance de contester sans
cesse, comme insuffisante, précaire et limitée, toute
réalisation et toute valeur données. Ainsi, contrairement
à Heidegger qui pense que l'au-delà du monde sensible ne peut
faire l'objet d'aucune investigation philosophique parce que le propre
d'être de l'homme consiste à être voué
167 R. Jolivet, L'homme métaphysique, Librairie
Arthème Fayard, Paris, 1958, p. 9.
168 Ibidem, p. 14.
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à la mort, et que l'interprétation ontologique
de la mort « vue de l'en deçà passe avant toute
spéculation ontique sur l'au-delà >>169 ,
nous pensons qu'il est impératif de revenir à la
métaphysique, notamment à la métaphysique de la vie qui
prend en compte comme objet de réflexion et de méditation la vie
humaine dans son intégralité. C'est dans cet horizon que J.
Granier définit la métaphysique en tant qu'une discipline
égotiste « qui veut penser ce qui est au-delà de
l'expérience naturelle. [Car], elle mobilise une transcendance, elle est
dépassement vers... >>170. Et nous pouvons ajouter
qu'à cause de l'audace et de la radicalité de l'intelligence, il
serait moins prétentieux de définir la métaphysique comme
un discours radicalement rationnel qui se veut un dépassement du
naturel, du sensible vers un outrepassement. Dès lors la perspective
ontologique de Heidegger apparaît donc limitée,
dépassée ; elle n'est qu'une dérivée de la
métaphysique à cause de son refus délibéré
de prendre comme objet de réflexion la vie post-mortem.
En somme, il faut rappeler ici que dans l'ontologie
fondamentale, Heidegger assujettit le Dasein à l'être en le
dépouillant de sa liberté. Selon lui, la liberté humaine
est un leurre, elle ne permet nullement à l'homme de forger son destin.
La liberté ontologique est plus libre que la liberté de l'homme.
Et pour que ce dernier réalise son essence, il est appelé
à se soumettre à l'être. D'où l'assujettissement du
Dasein chez notre auteur. La deuxième limite que nous avons
relevée consiste à savoir que dans sa conception anthropologique,
le philosophe allemand enracine l'homme dans l'immanence. Il s'agit d'une
anthropologie immanentiste, en ce sens qu'elle refuse
délibérément toute ouverture sur le monde supra-sensible.
Cela se remarque aisément par le fait que l'auteur ne se
préoccupe pas de la vie de l'homme après la mort. Celle-ci, quand
bien même elle est une dimension constitutive de l'existence du Dasein,
souligne Heidegger, ne doit pas faire l'objet d'une recherche pour savoir si le
Dasein survit ou non après qu'il meurt. Dès lors, il nous
apparaît salutaire pour l'être humain de dépasser cette
ontologie de Heidegger par une perspective métaphysique. En effet, la
métaphysique, en tant que pensée fondamentale sans fond,
pensée qui pense l'au-delà de l'expérience naturelle,
d'une part mobilise la transcendance verticale, et d'autre part elle consacre
la destination de l'homme. Il s'agit de s'interroger sur la destination ultime
de l'homme. En ce moment, il est légitime de nous demander si l'homme en
tant qu'il est
169 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 248.
170 J. Granier, op. cit., p. 12.
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métaphysique par essence ne doit pas considérer
la métaphysique comme une forme de méditation permanente sur sa
vie aussi bien dans le monde physique que dans le monde nouménal, au
sens kantien du terme. En d'autres termes, pour que l'homme parvienne à
surmonter sa précarité ontologique, la discordance qui existe
entre lui et le monde physique, contrairement à la position de
Heidegger, ne faut-il pas que la métaphysique se prolonge et
s'achève dans la religion ou dans la théologie où Dieu
sera considéré comme objet de réflexion étant
donné que l'homme a horreur de l'abstraction ?
VI.4. Perspective hétérologique
lévinassienne
La pensée de Martin Heidegger, comme nous l'avions
montré, est essentiellement ontologique. C'est la raison pour laquelle
son anthropologie est abordée sur le plan ontologique, en ce sens que le
Dasein est pensé dans son rapport avec l'être. Cette ontologie
dont il est question n'est pas pour autant restée statique. C'est ainsi
qu'elle aboutira avec Emmanuel Levinas à l' «
hétérologie ». Ce terme qui vient de deux mots grecs «
heteros », (l'autre) et « logos », (science ou
discours) du point de vue philosophique de Lévinas signifie donc
pensée qui prend pour objet de réflexion l'autre ou
l'altérité. Dès lors, dans son discours dit
hétérologique, ce n'est plus l'ontologie qui occupe la place
centrale, mais c'est l'éthique.
VI.4.1. L'éthique comme philosophie
première
E. Lévinas, dans son hétérologie, cherche
à donner un contenu qui l'affranchira de la subordination à
l'être. C'est pourquoi il développe une critique
sévère contre l'ontologie heideggérienne. Les ouvrages
dans lesquels il expose sa critique sont Totalité et
Infini171, Autrement qu'être ou au-delà de
l'essence172. Pour lui, la totalité est une
catégorie où l'autoposition du moi caractérisée par
la conscience du soi tend à prendre et comprendre l'Autre en le ramenant
à soi-même en vue de la parfaite coïncidence de soi avec soi.
C'est ainsi que l'ontologie, essence de la métaphysique, nie le sens de
l'Autre. La philosophie qui pense l' Etre aboutit à forger un
système intellectuel que Lévinas remet en cause, puis qu'il nie
l'Autre théoriquement avant de le
171 E. Levina, Totalité et Infini. Essai sur
l'extériorité, éd. Martinus Nijhoff, la Haye, Paris,
1971.
172 E. Lévinas, Autrement qu'être ou
au-delà de l'essence, La Haye Nijhoff, Paris, 1974.
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faire concrètement173. Par sa critique,
Lévinas donne congé à l'Etre afin de prévaloir
l'Autre. Il aboutit à un véritable renversement de perspective
posant l'éthique au commencement de tout. La philosophie occidentale
dominée par l'ontologie réduit et annule la distance objective
qui sépare l'Autre du même, du sujet à l'objet. En effet,
l'Autre n'apparaît en ontologie que grâce à un
troisième terme qui se trouve dans le sujet connaissant. C'est la raison
humaine qui neutralise l'Autre et l'englobe. La neutralisation de l'Autre tel
qu'il s'établit en vue de le connaître est déjà une
réduction. C'est surtout contre l'ontologie dite fondamentale
élaborée par Heidegger que Levinas confronte sa pensée
hétérologique afin de redonner un regain d'intérêt
à l'éthique.
En effet, Heidegger distingue l'être de l'étant,
ce qu'il appelle la << différence ontologique » et
que l'ontologie classique n'a pas su mettre en lumière. L'étant
désigne pour lui tout ce qui est en tant qu'il a une
réalité ; c'est ce qui est représentable, objectivable ;
c'est ce qu'il nomme << seiendes ». Mais de tous les
étants, il existe un qui possède la primauté
ontico-ontologique, en ce sens qu'il est capable de s'interroger sur
lui-même et sur son être, cet étant Heidegger le baptise
sous le terme de Dasein. L'être, par contre, est le <<
Sein », c'est-à-dire le fondement ou la
vérité de l'étant. Lévinas voit dans cette
conception heideggérienne où << le sujet est absorbé
par l'être » une domination de l'ontologie qui exige que
l'éthique lui soit subordonnée.
« Le primat de l'ontologie heideggérienne ne
repose pas sur le truisme : "pour connaître l'étant, il faut avoir
compris l'être de 1'étant ', affirmer la priorité de
l'être par rapport à l'étant, c'est déjà se
prononcer sur l'essence de la philosophie, subordonner la relation avec
quelqu'un qui est étant, à la relation avec l'être de
l'être de l'étant qui, impersonnel, ne permet de saisir la
domination de l'étant »174.
En affirmant le primat de l'être sur l'étant,
Heidegger couronne l'impérialisme de l'ontologie sur
l'hétérologie et surtout sur l'éthique qui englobe
celle-ci et, partant toute la philosophie occidentale. Or cette transcendance
heideggérienne, celle de l'être par rapport à
l'étant et au Dasein ne convainc pas, car la lumière de
l'être chez
173 Le problème des relations de Heidegger avec le
nazisme ne réside pas tant dans l'établissement des faits que
dans leur interprétation et leurs liens avec l'euvre du philosophe.
C'est une difficulté qui est entretenue par le silence même de
Heidegger. Pour preuves de cette négation de l'Autre, bien vouloir
consulter les documents les plus troublants qui sont certainement ceux qui
touchent à l'antisémitisme : Cf. D. Rabouin << Heidegger et
le nazisme : quelle affaire ? », in Magazine littéraire, op.
cit., pp. 46-48.
174 E. Levinas, cité par B. Vergely, Textes
essentiels de la philosophie, Larousse, Paris, 1994, p. 116.
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Heidegger n'est finalement lumière de personne si bien
que la dimension éthique est véritablement absente de la
pensée. L'ontologie de Heidegger, nous dit Lévinas,
« était une ontologie sans éthique. Et
le problème était de sortir de cette ontologie et faire de
l'éthique la philosophie première. Et pour cela, il fallait
toujours être en état de déconstruction de la
prétention hégémonique de l'ontologie
heideggérienne. [...J Au fond, Heidegger ne pouvait pas produire une
éthique. Son ontologie est donc une sorte d'a-moralisme fondamental
»175.
Sortir de l'impérialisme de l'ontologie et restaurer
l'hétérologie grâce à une pensée
éthique, telle sera la tâche à laquelle s'attelle
Lévinas. Si l'ontologie comme philosophie première est source
d'injustice, si l'ontologie heideggérienne qui subordonne le rapport
avec Autrui à la relation de l'être en général
demeure dans l'obédience de l'anonyme176, alors, il faut
désormais replacer l'éthique au devant de la scène
philosophique, sinon il faut appeler éthique philosophie première
au sein de laquelle le visage de l'autre retrouvera sa notion ontologique.
VI.4.2. Le visage de l'autre comme une notion
ontologique
Lorsque Lévinas opte pour une interversion des termes
de l'ontologie, il souligne en même temps les termes qui diront la
déformation ou la concrétisation de cette autre ontologie et de
la notion d'infini qu'elle promeut. Cette nouvelle ontologie promeut la notion
de l'infini dans le fini, le plus dans le moins, le parfait dans l'imparfait...
Un infini qui se vit comme désir, non pas comme un désir
qu'apaise la possession de ce qui est désiré, mais comme le
désir que ce qui est désiré suscite au lieu de le
satisfaire177. Un désir parfaitement
désintéressé, il est bonté. La bonté devrait
naître dès lors qu'on est en face d'un visage qui appelle à
notre indulgence et nous assigne à une attitude de bienveillance et de
sollicitation. Ce visage qui est la transcendance d'un infini est une
expression. Comme le dit Lévinas, « le visage apporte une
notion de vérité qui n'est pas le dévoilement d'un Neutre
impersonnel, mais expression »178. La notion de visage
propre chez Lévinas ouvre ainsi de nouvelles perspectives vers une
notion de sens antérieur à ma Sinngebung,
c'est-à-dire mon
175 E. Lévinas, cité par S. Malka, Emmanuel
Lévinas. La vie et la trace, éd. J.-C. Latès, Paris,
2002, p. 206.
176 Vergely, op. cit., p. 113.
177 E. Lévinas, Totalité et Infini, op.
cit., p. 42.
178Ibidem, p. 43.
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interprétation. Elle signifie
l'antériorité de la philosophie de l'étant sur
l'être, et une antériorité qui n'en appelle pas au pouvoir,
ni à la domination, mais qui concourt à l'accueil et à la
sauvegarde du moi179.
Lévinas restaure ici la notion de l'immédiat qui
est proche de l'interpellation ; l'immédiat qui est le
face-à-face. Ainsi, entre une philosophie de transcendance qui situe
ailleurs la vie à laquelle l'homme accèderait, et une philosophie
de l'immanence où l'on se saisirait de l'être, il y a lieu
d'établir avec l'autre une relation non totalitaire qui donne lieu
à l'idée de l'infini. Une telle relation, selon Lévinas,
n'est rien d'autre que la métaphysique180. De ce fait,
l'histoire ne serait plus le plan privilégié où se
manifeste l'être dégagé des particularismes des points de
vue dont la réflexion porterait encore des tares. Pourtant il existe
cette autre possibilité de l'être d'être autrement
audelà de l'essence. Il s'agit pour l'homme non pas d'être le
<< berger de l'être >>, ni d'être un <<
être-pour-la-mort >>, mais essentiellement un
<<être-pour-autrui >>181 ; à l'être
ou à la mort, il y a substitution de l'homme (altérité)
sur lequel l'homme est appelé à veiller, à devenir en
quelque sorte << le gardien de son semblable >>. La
conséquence majeure des élaborations philosophiques n'ayant pu se
départir de cette logique d'enfermement, de pouvoir, de domination et de
totalitarisme est qu'elles ont élaboré de mauvaises ontologies.
Lévinas parle à cet effet de << méontologie
>>182. Et pour sortir de cette méontologie, le
<< penseur de l'autre >>, pour nommer ainsi Lévinas par
analogie à Heidegger qui fut appelé << penseur de
l'être >>, envisage de poser une éthique au-devant de
l'ontologie afin d'opérer un retournement radical de l'ordre des choses
et de la philosophie elle-même. Celle-ci ne sera plus perçue comme
<< amour de la sagesse >>, mais << sagesse de l'amour au
service de l'autre >>183 homme. Cette sagesse au service
de l'autre homme n'est rien d'autre que ce que Lévinas nomme la
responsabilité << asymétrique >>.
179 E. Lévinas, Totalité et Infini, op.
cit., p. 44
180 J. Debès, Lévinas, l'approche de
l'autre, éd. De l' Atelier/éd. Ouvrières, Paris,
2000, p. 46.
181 J. Rolland, Emmanuel Lévinas. L'éthique
comme philosophie première, Actes du Colloque de Cerisyla-Salle, 23
août-2eptembre 1986, Cerf, Paris, 1993, p. 52.
182 Ibidem, p. 54.
183 E. Lévinas, Autrement qu'être ou
au-delà de l'essence, op.cit., p. 20.
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VI.4.3. L' « autre » de l'être : la
responsabilité asymétrique
Le visage, tel que nous l'avions explicité ci-dessus,
est dans la pensée de Lévinas cette instance métaphysique
qui nous interpelle et nous assigne à la responsabilité. Le
penseur de l'altérité propose pour ainsi dire une philosophie
morale de la responsabilité humaine. C'est de cette
responsabilité dont il est question dans son autre °uvre majeure
Autrement qu'être ou au-delà de l'essence. Dans ce
traité qui se situe au prolongement de Totalité et
Infini, l'auteur présente la responsabilité comme la
structure essentielle, première et fondamentale de la
subjectivité par opposition à la liberté. En essayant de
fournir une compréhension de l'essence à la hauteur de son projet
moral, Lévinas affirme que si la transcendance a un sens, elle ne peut
signifier que le fait pour l'essence de passer à l'autre de
l'être184. L'auteur a pour objectif de saisir l'être
au-delà de la liberté. Cette liberté jusque-là
était exaltée par l'existentialisme athée comme
constituant l'essence même de l'être et le caractère
véritablement intrinsèque de l'homme. Or cette liberté a
déchanté au travers des évènements comme ceux de
Auschwitz, et est de nos jours suspecte. Au-delà de cette liberté
suspecte, Lévinas pose la responsabilité asymétrique pour
autrui185. Cette responsabilité se présente ainsi
comme une des caractéristiques de l'être au-delà de
l'essence, comme l'autre essence de l'être.
La responsabilité, l'autre essence de l'être dont
l'oubli a précipité l'humanité dans la perte de sens et
l'absence de liberté, évitera mieux ce qu'elle avait
frôlé : l'anéantissement, la catastrophe. C'est donc vers
la responsabilité asymétrique, c'est-àdire une
responsabilité illimitée et désintéressée,
bref une responsabilité infinie au service d'autrui qu'il faudrait
dorénavant orienter la réflexion pour qu'à l'horizon de
celle-ci, on ne soit suspendu dans des idéalités en face de Janus
telle la liberté. Pour preuve : « 1'autrement qu'être ne
peut se situer dans un quelconque ordre éternel arraché au temps
et commandant, on ne sait comment, la série temporelle
»186. Concrètement, Lévinas pourrait
paraphraser Rabelais dans sa célèbre maxime, que la
liberté sans la responsabilité n'est que chemin vers la ruine de
l'humanité. Avec Lévinas, nous passons en philosophie, et
principalement en métaphysique, du souci de
184E. Lévinas, Autrement qu'être ou
au-delà de l'essence, op. cit., p. 22.
185 Idem.
186 Ibidem, p. 26.
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l'être au souci de l'humanité de l'autre
homme187. Et c'est la responsabilité qui opère le
dépassement de la liberté perçue comme essence
fondamentale de l'être. Par la responsabilité, nous
acquérons le sens de l'humanité. Avec la responsabilité,
nous devenons le gardien de notre semblable en nous mettant à son
service, indépendamment de son origine raciale, socio-politique et
linguistique. Autrement dit, la responsabilité vis-à-vis d'autrui
ne relève plus chez Lévinas d'une parenté ou d'une
fraternité biologique. Cette responsabilité transcende
l'affinité biologique ou charnelle. Dans l'acception
lévinassienne donc, la responsabilité relève plutôt
d'une fraternité éthique fondée sur cet impératif
catégorique : « Tu ne tueras point ». Au travers de ces
éléments, Lévinas réintroduit dans la sphère
de la métaphysique et de la transcendance la dimension humaine de la
sensibilité. Par celle-ci nous sommes proches les uns des autres. La
proximité de l'autre nous rend responsable de lui. Il faut souligner que
la sensibilité dont il est question ici est animée par la
responsabilité. En effet, le vécu humain est un vécu dans
la sensibilité ; il s'agit du vécu sensible188. Tous
les aspects de la vie humaine sont pétris de sensibilité ; c'est
elle qui présuppose et favorise le rapprochement, la proximité et
nous enjoint à la responsabilité asymétrique,
c'est-à-dire illimitée et désintéressée de
l'autre. Ainsi, avec Lévinas, ne sommes-nous pas dans un bouleversement
radical, sinon dans un « formatage » de la tradition philosophique
occidentale qui perçoit la responsabilité comme un
déploiement actif de la liberté ?
187 E. Lévinas, Humanisme de l'autre homme,
Montpelleir, Fata Morgana, 1972.
188 E. Lévinas, Autrement qu'être, op.
cit., p. 55.
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CONCLUSION GENERALE
Au terme de ce parcours que nous avons effectué au sein
de la pensée de Martin Heidegger, que conclure de l'étude du
Dasein ? Il serait probablement audacieux, voire prétentieux de notre
part de vouloir conclure ce travail quand nous savons que toute la
pensée de notre auteur est un << chemin » ou un <<
cheminement vers l'être ». Loin d'être donc une conclusion
signifiant que nous avons épuisé cette étude sur
<< Heidegger et le problème anthropologique : le
statut du « Dasein » dans l'ontologie
fondamentale», cette partie se veut être plutôt une
<< halte » pour évaluer l'itinéraire, ou bien les
différentes étapes, ou encore les différentes stations de
ce << chemin de pensée ».
La philosophie est une quête inlassable de l'essence
(fondement) et du sens (signification et finalité) du réel. Mais
dans l'ensemble du réel, la réalité humaine occupe une
place centrale. Pour aborder le problème anthropologique, Heidegger part
d'un constat selon lequel la philosophie occidentale dans son ensemble a
oublié de penser l'homme du point de vue ontologique,
c'est-à-dire dans son rapport à l'être. Entre le discours
égologique des modernes, de Descartes à Husserl et la
problématique hétérologique de Lévinas et ses
disciples, Martin Heidegger décide de renouer avec la pensée
ontologique. En d'autres termes, entre le moi et l'autre, il y a de
l'être sur lequel il faut se pencher. Et chez Heidegger, l'ontologie
fondamentale est indissociable de l'analytique du Dasein. Autrement dit,
l'analytique du Dasein se présente comme << horizon transcendantal
de la question de l'être ».
Pour parvenir aux différentes réponses relatives
à notre préoccupation fondamentale, à savoir le statut du
Dasein dans l'ontologie fondamentale, il a fallu faire une incursion dans la
pensée de Kierkegaard et de Husserl afin de montrer combien ils ont
exercé une influence considérable sur la pensée de notre
auteur. Dans le deuxième, troisième et quatrième chapitre
de nos investigations où nous avons tâché d'étudier
le problème de l'homme chez Heidegger, nous nous sommes aperçu
que d'Etre et temps à Acheminement vers la parole en
passant par Qu'est-ce que la métaphysique ? et Introduction
à la métaphysique, pour ne citer que ces ouvrages, notre
auteur, dans son ontologie fondamentale, a baptisé l'être humain
sous la terminologie de Dasein. Ce terme qui vient de l'allemand signifie
<< être-là » ou <<
être-le-là », selon la traduction de Heidegger
lui-même dans la Lettre sur l'humanisme. Il veut se situer ainsi
dans une
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perspective de renversement des appellations traditionnelles
par lesquelles on désigne l'homme comme << conscience>>,
<< ego transcendantal >>, << sujet >>. Bref,
ce terme opère un dépassement et un déplacement du
discours égologique. S'agissant du deuxième chapitre où il
est question de l' << Ek-sistence du Dasein comme une ouverture
ekstatique >>, Heidegger nous fait remarquer que le Dasein, en
tant que << berger de l'être >>, << sentinelle du
néant >> se caractérise fondamentalement par une triple
ouverture : d'abord à lui-même, ensuite au monde et enfin à
l'être dont il est le << là ». Ainsi,
l'eksistence du Dasein, loin d'être un fait factice, devient par
là même un projet, une responsabilité, une tâche
existentielle ardue à réaliser.
Au troisième chapitre, nous avons étudié
le Dasein dans son rapport au langage existential. Dans cette section, il est
à retenir que le langage originel que Heidegger appelle <<
Ereignis >>, c'est-à-dire << Evènement
>> et <<Sage » ou dictée précède
le langage humain. Il est d'abord monologue et ensuite entretient un dialogue
avec le Dasein. Son essence réside dans son déploiement. Aussi
vrai que le Dasein est le << messager du langage >> son
activité linguistique consistera à permettre le
dévoilement de la vérité. L'essence du langage humain sera
donc silence et écoute, lesquelles dimensions du langage humain
caractérisent l'attitude du sage. L'oubli de l'essence du langage ou du
langage essentiel conduit à ce que Heidegger nomme la <<
détresse extrême >>, synonyme du bavardage et du mensonge
très récurrents tant dans la sphère politique,
diplomatique que médiatique. Dans le quatrième chapitre,
Heidegger nous conduit à l'ontologie de la mort du Dasein. La mort,
contrairement à la conception traditionnelle, est perçue chez
Heidegger comme une réalité intrinsèque de
l'ek-sistence du Dasein. Loin d'être une <<
absurdité scandaleuse >> ou une << injustice
métaphysique >>, loin des connotations dramatiques et tragiques
qu'on lui attribue, la mort est un phénomène purement
existential, indissociable de la vie. La vie et la mort sont les deux versants
de la même réalité qu'est l'ek-sistence du Dasein.
Ce dernier, puisqu'il ne peut échapper à la mort doit
considérer que la mort est son ultime pouvoir-être. Le Dasein est
un être-pour-la-mort. La meilleure façon de s'y préparer
est de rester ouvert, grâce à ce que Heidegger nomme l' <<
anticipation résolue >> ou la <<résolution
anticipante >>.
Enfin, dans les derniers chapitres, le cinquième et le
sixième, il a été question d'évaluer la
pensée de Heidegger relative au problème anthropologique, et
notamment au statut du Dasein dans son ontologie fondamentale. Au
cinquième chapitre où nous
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avons montré la portée ou l'intérêt
de la pensée de Heidegger, nous avons découvert que Heidegger est
un penseur original qui a la mesure de l'homme. Son originalité
réside dans le fait qu'au moment où les modernes, sous
l'influence des tendances sociologisantes des sciences positives, s'acharnent
à « déconstruire » l'ontologie ou la pensée
fondamentale, Heidegger décide de renouer avec la pensée de
l'être. La réalisation de son ontologie passe par l'explicitation
du Dasein. C'est pour dire que selon lui, l'homme est la voie royale qui
mène à l'être. Oublier l'être, c'est ipso facto
descendre dans l'infra-humanité. Ainsi, étant donné
que l'essence du Dasein réside dans son existence, et que l'existence du
Dasein mobilise la dimension de l'altérité parce qu'exister,
c'est avoir le « souci mutuel » les uns des autres, il est
indéniable que la pensée de Heidegger se présente ici
comme l'horizon possible de l'humanisation de la mondialisation. En effet, si
l'être de l'homme consiste à être-au-monde et à
être-avecautrui, selon la perspective ontologique de Heidegger,
l'humanisation de la mondialisation passe donc par la reconsidération
des humains sur le plan de leur être : ek-sister pour le Dasein,
c'est « être-en-compagnie de ». En cela, la réalisation
possible du phénomène de la mondialisation relève donc de
la prise en compte de ces deux existentiaux, être-au-monde et
être-avec, avec tout ce que cela implique comme responsabilité.
En « rebaptisant » justement l'homme comme Dasein,
Heidegger, par cette nouvelle terminologie, renverse, bouleverse et
dépasse la conception que nous avons de l'être humain depuis
l'antiquité grecque jusqu'à l'époque contemporaine.
Cependant, sa conception anthropologique présente quelques limites,
mieux quelques ambiguïtés qui méritent d'être
relevées. Dans l'élaboration de son ontologie dite fondamentale,
Heidegger avait la détermination de se soucier de l'étant, et
particulièrement du Dasein, dans sa totalité. Mais, en parcourant
quelques-uns des « jalons » de sa pensée, nous nous sommes
aperçu que son anthropologie est d'une part « immanentiste »
et d'autre part elle est « impérialiste ». Elle est
immanentiste parce qu'elle refuse délibérément
d'investiguer sur la vie post-mortem du Dasein. Car, selon Heidegger,
si la mort est déterminée comme « fin » du Dasein,
c'est-à-dire comme fin de l'être-au-monde, cela n'entraîne
nulle décision ontique sur la question de savoir si « après
la mort » un être différent, supérieur ou
inférieur, est possible, si le Dasein « continue à vivre
», voire si, se « survivant », il est « immortel ».
Nous voici reconduit au primat d'une pensée
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«mondaine», d'une vision du monde qui se veut
débarrassée des «illusions» de la transcendance, et
surtout de la transcendance verticale. Aussi, l'anthropologie ontologique
heideggérienne est-elle impérialiste, car elle
dépossède l'homme de sa liberté, considérée
comme un leurre ; elle assujettit finalement le Dasein. C'est à ce
niveau précis, donc que la conception anthropologique
heideggérienne mérite d'être complétée par la
perspective métaphysique et hétérologique.
La métaphysique en tant qu'elle est une quête
radicale sur l'existence humaine doit par là même
s'intéresser à l'homme dans sa totalité. Car, aussi vrai
que l'homme est constitutivement une entité spirituelle et
métaphysique, aussi vrai qu'il est foncièrement habité par
un furieux désir de vivre et que le monde phénoménal
(selon l'acception kantienne) se présente ici comme obstacle majeur
à la réalisation de ce désir, seul le monde
meta-physique peut lui offrir cette possibilité de satisfaire ce
besoin de transcender le monde sensible et d'accéder au monde de
l'invisible pour s'accomplir. La métaphysique, parce qu'elle est un
dépassement vers l'outrepassement se préoccupe aussi bien de
l'existence immanente que de la vie transcendante de l'homme. Dans cette
optique, il y a lieu de dire que le refus délibéré de
Heidegger de se préoccuper de l'après-mort de l'homme
relèverait soit d'un matérialisme pur et dur, soit d'un
dogmatisme ontologique. Ainsi, la métaphysique, en tant que
pensée fondamentale sans fond, pensée qui pense l'au-delà
de l'expérience naturelle, doit d'une part mobiliser la transcendance
verticale, et d'autre part, se soucier de la destinée de l'homme. Il
s'agit de s'interroger sur la destinée ultime de l'homme. C'est aussi
dans cette optique que se situe la problématique
hétérologique lévinassienne.
E. Lévinas, dans son hétérologie, cherche
à donner un contenu qui l'affranchira de la subordination à
l'être. C'est pourquoi il développe une critique
sévère contre l'ontologie heideggérienne. Pour lui,
l'ontologie de Heidegger était une ontologie sans éthique. Et le
problème était de sortir de cette ontologie et faire de
l'éthique la philosophie première. Et pour cela, il fallait
toujours être en état de déconstruction de la
prétention hégémonique de l'ontologie
heideggérienne. Sortir de cet impérialisme de l'ontologie
heideggérienne, c'est restaurer l'hétérologie grâce
à une pensée éthique, telle sera la tâche à
laquelle s'attellera Lévinas. Si l'ontologie comme philosophie
première est source d'injustice, si l'ontologie heideggérienne
qui subordonne le rapport avec Autrui à la relation de l'être en
général demeure dans l'obédience de l'anonyme, alors,
il
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faut désormais replacer l'éthique au devant de
la scène philosophique, sinon il faut appeler éthique «
philosophie première >> au sein de laquelle le visage de l'autre
retrouve sa notion ontologique. Cela signifie que le visage de l'autre appelle
à notre indulgence et nous assigne à une attitude de
bienveillance et de sollicitation. D'autre part, ce visage qui est une
transcendance d'un infini, c'est-à-dire expression ou mieux
dévoilement d'un « Neutre impersonnel >> nous convie à
une responsabilité, et notamment une responsabilité
vis-à-vis de l'autre qui prend une dimension incommensurable, ce que
l'auteur nomme « responsabilité asymétrique >>. Ainsi
entendue, la responsabilité de l'homme, dans l'acception
lévinassienne, ne relève plus d'une parenté ou d'une
affinité biologique ; elle transcende l'affinité biologique ou
charnelle. Il s'agit, en somme, d'une responsabilité éthique
fondée sur cet impératif catégorique : « Tu ne tueras
point >>. Ne sommes-nous pas là dans un bouleversement radical ou
mieux dans un « formatage >> même de la tradition
philosophique occidentale de la conception des rapports humains ?
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TABLE DES MATIERES
DEDICACE i
REMERCIEMENTS ii
INTRODUCTION GENERALE 1
CHAPITRE I : 5
LES RACINES DE LA PENSEE PHILOSOPHIQUE DE MARTIN HEIDEGGER
5
I.1. A la racine du terme existence : Kierkegaard, le penseur de
l'existence 5
I.1.1. L'existence comme une tâche ardue à
accomplir 6
I.1.1.1.Le stade esthétique 7
I.1.1.2. Le stade éthique 7
I.1.1.3. Le stade religieux 8
I.2. De la réduction phénoménologique
à la primauté du moi pur : la substitution de
l'égologie à l'ontologie
|
9
|
I.2.1. La réduction phénoménologique
|
9
|
I.2.2. La substitution de l'égologie solipsiste
à l'ontologie
|
12
|
CHAPITRE I I:
|
15
|
L'EK-SISTENCE DU DASEIN : UNE OUVERTURE EK-STATIQUE
|
15
|
II.1- Esquisse d'explication du concept de Dasein
|
15
|
II.2. Les caractères de l'ek-sistence du Dasein
|
17
|
II.2.1. L'ek-sistence du Dasein comme compréhension de
l'être
|
17
|
II.2.2. Ek-sistence du Dasein conçue comme pro-jet
|
19
|
II.2.3. Ek-sistence du Dasein en tant que transcendance
|
20
|
II.3. Les deux modes de l'ek-sistence : inauthentique et
authentique
|
21
|
II.3.1. L'ek-sistence inauthentique
|
22
|
II.3.1.1. L'ek-sistence inauthentique comme attitude
conformiste
|
23
|
II.3.1.2. L'inauthenticité comme chute dans la
déchéance
|
24
|
II.3.2. L'ek-sistence authentique
|
27
|
II.3.2.1. L'ek-sistence authentique : appel à la
transcendance
|
27
|
II.3.2.2. L'authenticité en tant que
responsabilité
|
28
|
II.4. Etre et ek-sistence : l'argument ontologique
|
30
|
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90
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CHAPITRE III :
|
32
|
LE DASEIN ET SON RAPPORT AU LANGAGE EXISTENTIAL
|
32
|
III.1. Ereignis et langage
|
32
|
III.2. Du langage existential au langage humain (existentiel):
rapport dialogique
|
36
|
III.3. Langage du Dasein comme silence et écoute
|
39
|
CHAPITRE IV :
|
43
|
L'ONTOLOGIE DE LA MORT : LA MORT COMME TERME DE L'EXISTENCE
DU
DASEIN
|
43
|
IV.1. Le Dasein : l'être-pour-la-mort
|
43
|
IV.2. La mort comme constitution fondamentale du Dasein
|
46
|
IV.3. La mort : terme de l'existence du Dasein
|
48
|
|
CHAPITRE V :
|
51
|
PORTEE DE LA PENSEE HEIDEGGERIENNE
|
51
|
V.1. L'ontologie fondamentale comme pensée du Dasein
|
51
|
V.2. Contribution de la pensée heideggérienne
à l'analyse de la mondialisation
|
57
|
V.3. Etre-au-monde et être-avec-autrui du Dasein,
impératifs pour une mondialisation
humanisée
|
58
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CHAPITRE VI :
|
63
|
LIMITES ET PERSPECTIVES DE LA PENSEE DE M. HEIDEGGER
|
63
|
VI.1. L'assujettissement du Dasein dans l'ontologie
heideggérienne
|
63
|
VI.2. L'anthropologie heideggérienne : une anthropologie
immanentiste
|
67
|
VI.3. Perspective métaphysique
|
69
|
VI.4. Perspective hétérologique
lévinassienne
|
74
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VI.4.1. L'éthique comme philosophie première
|
74
|
VI.4.2. Le visage de l'autre comme une notion ontologique
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76
|
VI.4.3. L' « autre » de l'être : la
responsabilité asymétrique
|
78
|
CONCLUSION GENERALE
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80
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91
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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 85
1. Ouvrages de l'auteur : 85
2. Ouvrages critiques 86
3. Ouvrages généraux 87
4. Dictionnaires, revues 89
TABLE DES MATIERES 90
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