Conclusion :
Les coutumes administratives et politiques de la France et de
la Turquie ont pour conséquence une gestion culturelle peu semblable
dans les deux pays, notamment de par les sources de financement. Les acteurs
culturels de l'art contemporain à Istanbul, métropole dynamique
empreinte d'un fort libéralisme, ne jouent en aucun cas le rôle de
service public. Certains d'entre eux doivent leur existence au souci de
responsabilité sociale d'une entreprise attachée à l'image
qu'elle transmet. D'autres, une flopée de galeries, sont nés
d'une vocation commerciale. D'autres encore, qui se multiplient, les espaces
indépendants ou initiatives d'artistes, vivent petitement sur des
capitaux propres ou se tournent vers les possibilités de fonds
communautaires.
L'Etat, pour qui culture est synonyme de tourisme, se
désintéresse de ce qui a trait à l'art. En France, les
orientations artistiques font partie de l'agenda politique et du budget de
l'Etat. Les acteurs marseillais de l'art contemporain peuvent
bénéficier de fonds publics, qu'il s'agisse de subventions
locales ou nationales. L'Etat est une sorte d'interface entre le projet d'un
artiste et les fonds qui seront nécessaire à sa
réalisation. Il assure son rôle de service public et s'implique
dans l'éducation artistique de la population. Le degré de
motivation n'est pourtant pas le même dans les milieux artistiques
stambouliote et marseillais. Travailler dans le secteur de l'art contemporain
à Istanbul est un choix et requiert une grande volonté pour se
constituer, survivre et s'imposer. En découle un dynamisme
énergisant dans le milieu. Il arrive en revanche de se retrouver en
France face à un employé de la fonction publique affecté
à un poste relatif au domaine de l'art, qui ne semble représenter
aucune espèce d'intérêt pour lui.
Les opérateurs artistiques marseillais ont le
mérite de s'organiser en réseau, tel que le collectif
d'association Marseille expos, et de faire preuve de coopération, ce qui
manque cruellement à Istanbul. La collaboration entre les diverses
structures d'art contemporain stambouliotes se manifeste au maximum au
prêt de matériel à l'occasion d'un événement.
Qu'il s'agisse de partenariats public-privé, professionnels-amateurs,
avec des lieux dévoués à d'autres disciplines artistiques,
ou universités, les relations sont quasiment inexistantes. On ressent
une sorte de mise en concurrence involontaire des diverses structures, pour une
même audience, pour des mêmes partenaires étrangers, pour
les mêmes maigres ressources.
L'ambition à Istanbul n'est pas de brasser un public
large, telle qu'elle peut l'être à Marseille comme on l'observe
à travers les moyens de communication utilisés et de
l'utilisation de subventions publiques dans la plupart des projets artistiques,
impliquant le devoir d'une diffusion la plus large possible. Les supports de
communication se réduisent à l'envoi de courriels à une
liste de contacts, un public averti. Les médias ajoutent au
cloisonnement de l'art contemporain en s'y désintéressant
complètement. Le public marseillais, lui, ne se sent pas exclu devant un
art qui lui est étranger, et qui pourrait apparaître au visiteur
turc comme marginal ou élitiste.
Les institutions d'art contemporain à Istanbul
gagneraient à s'engager dans des partenariats horizontaux, surtout en ce
qui concerne les petites structures, vitales d'un point de vue créatif,
afin de profiter d'une mise en commun de leurs moyens, réseau,
expérience et initiatives. Il ne semble pas indispensable
d'établir un dialogue avec les institutions publiques, qui, même
si elles se résolvaient à prendre en considération l'art
contemporain par le biais de subventions, ne manqueraient pas d'apporter toutes
sortes de restrictions. L'art contemporain à Istanbul est libre dans la
mesure où il est détaché de l'Etat. Le manque de
ressources pour les petites structures comme les initiatives d'artistes
permettent de ne pas prendre de risques. Que leur projet,
événement, ou exposition soit un échec ou un
succès, cela ne comportera pas de conséquences économiques
pouvant affecter la vie du lieu. En revanche, une amputation du budget des
institutions plus importantes peut mener à l'annulation de leur
programmation compte tenu de l'interdépendance de l'un envers l'autre.
Les petites structures d'art contemporain à Istanbul, insensibles aux
fluctuations du marché et aux tendances gouvernementales, me semblent
donc être les plus adaptées à l'environnement stambouliote,
pourvu qu'à l'avenir, elles fassent preuve de plus de solidarité,
d'une meilleure organisation en interne, planifient une mise en réseau
sur le long terme, et se développent. Ceci est acquis pour les lieux
d'art contemporain à Marseille. Il leur manque par ailleurs une
alternative aux fonds publics, qui peuvent diminuer selon les priorités
politiques ou ont tendance à délaisser les petites initiatives
pour les projets prestigieux. Le mécénat existe mais n'est pas
inscrit profondément dans les mentalités, il serait judicieux
d'en populariser l'idée.
Le manque de moyens n'est par ailleurs pas un obstacle
à la créativité, je dirais même que moins de moyens
pousse à plus de créativité.
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