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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean Cassien

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par Isabelle PEREE
Strasbourg (Théologie Catholique) - Master de théologie 2009
  

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Conclusion.

Au terme de notre étude, il serait peut-être judicieux de mentionner le caractère un tant soit peu unilatéral avec lequel Cassien décrit les Pères.

Sa passion pour le désert est telle que son discours pourrait nous sembler parfois légèrement absolutiste. Il y a chez Cassien, une assimilation de la vie monastique à la vie évangélique. Pour lui, la pureté dont il parle ne peut s'atteindre que dans la vie monastique et bien plus, dans la solitude des anachorètes141. Il oppose son ouvrage, fruit de l'expérience, à ceux de ses prédécesseurs qui ne connaissaient le désert que par ouï-dire142. Cassien aurait une légère tendance à magnifier l'obéissance au risque parfois de subordonner la charité à cette obéissance. Sa présentation de l'ascèse semble également subordonnée à la charité et orientée vers elle. Toutefois, le message qui nous intéresse est riche d'enseignements et le parcours de Cassien totalement original. Cassien est un chercheur de Dieu. Il veut enseigner par l'exemple et par le renoncement total à soi-même. Son observation de la formation du disciple par le maître aide à cette compréhension. Chez lui, la relation entre le disciple et le maître va au-delà de la formation : il est question d'un parcours commun dans la même direction.

Cassien nous apprend, par son oeuvre, que le disciple ne se contente pas de faire tout ce que dit le maître mais qu'il apprend surtout à ne plus vivre pour lui, mais pour Dieu, sous la conduite d'un ancien qui se fait intermédiaire. Le jeune se situe dans un esprit de conversion lorsqu'il part au désert et sa quête de l'ancien est dynamique. Il est avide de s'établir dans la solitude proposée par le maître et s'y livre docilement parce qu'il le veut au plus profond de lui-même. Son choix est donc libre.

Le jeune moine dispose du temps qui lui convient au désert et n'est jamais poussé dans le dos mais simplement invité à toujours se dépasser. Il a le droit de rester lui-même et sait que toute sa vie sera chemin vers Dieu. Il aborde l'ancien avec d'infinies précautions car son respect envers lui est immense. Cassien nous brosse un portrait très idéalisé de l'ancien tel qu'il le voit lui-même : un homme sage rempli d'expérience qui a lutté plusieurs années avant de pouvoir transmettre ce qu'il sait, mais il nous dit que tous les Pères ne se considéraient pas

141 P.CHRISTOPHE in « Cassien et Césaire, prédicateurs de la morale monastique. » Duculot Lethielleux. 1969.

142 J.CASSIEN in « Institutions cénobitiques » Coll. Sources chrétiennes 109.

Cerf 1965.

comme des enseignants, certains d'entre eux estimant qu'ils ne peuvent conseiller alors qu'ils n'ont pas encore eux-mêmes intégré certaines bases de la vie monastique.

Cassien, de même que d'autres sources étudiées, nous apprend que c'est le jeune qui cherche le maître et qui le choisit. Il s'agit là de la première étape de la démarche spirituelle du novice. Il se mettra alors sous la tutelle de l'ancien élu et deviendra vraiment disciple en même temps qu'il fera de cet ancien un maître spirituel. C'est donc le disciple, par son choix, qui fait que l'ancien se transformera en maître.

Cassien nous informe que le disciple se réfère d'abord au jugement de l'ancien et que celui-ci, s'il le juge utile, appuyera son enseignement d'une citation biblique.

Il nous a paru important d'insister sur la notion originale de la formation au désert. Le disciple semble davantage demandeur d'une parole de l'ancien que d'un précepte de l'Ecriture sans commentaire du maître. Cassien insiste auprès des Pères en leur disant vouloir connaître leur doctrine. Ce que le disciple demande, c'est une parole issue de l'expérience. Celle-ci est le plus souvent mêlée à la Parole de l'Ecriture car l'ancien s'y réfère lui-même en toute occasion, même s'il l'adapte, la « re-visite » avant de la transmettre au jeune moine. Nous dirons donc qu'au désert, la Parole est mouvement et vie lorsqu'elle devient langage.

Chez les anachorètes, le spirituel semble issu du rationnel et non l'inverse. Même si le côté rationnel émane d'une spiritualité élevée de la part des anciens, cette spiritualité prend corps par l'exemple et se trouve, de ce fait, mieux intégrée par les disciples.

Durant la formation, le maître transmet l'enthousiasme de sa propre passion, mais il le fait de manière progressive afin que le disciple ait le temps de saisir toutes les subtilités de cette transmission. Cassien évoque l'expérience des hommes et des choses. (Coll.16) Cette expérience s'oppose à la méditation abstraite des théoriciens et à l'enseignement verbal des rhéteurs143. Nous retrouvons sans cesse dans l'oeuvre de Cassien cette opposition entre l'expérience vécue et la connaissance livresque. (Coll. 12, 14, 21)

Il nous est démontré que l'on doit commencer par la pratique et que ce n'est que plus tard, que le moine passera à la théorie. (Coll.2.3) Quant à la vie intérieure, seul compte l'exemple de ceux qui en vivent. La vie au désert est donc une connaissance de Dieu fondée sur la pratique.

143 J.CASSIEN in « Institutions cénobitiques » Coll. Sources chrétiennes 109. Cerf 1965.

C'est ce que transmet le maître à son disciple. Nous découvrons donc que l'expérience du maître est primordiale dans l'oeuvre de Cassien.

Nous avons vu qu'à cette époque, la façon d'accueillir un novice avait déjà changé par rapport au temps d'Antoine qui recevait les commençants de manière réfrigérante. Il appert que même si Antoine reste La référence par excellence, les Pères de l'époque étudiée ont compris qu'il fallait s'adapter à l'évolution des conduites. Ainsi, à l'inverse d'Antoine à qui les Ecritures seules suffisaient, Cassien nous indique que l'Ecriture est faite pour être sans cesse recréée et que les Pères l'actualisent en l'adaptant aux différents besoins de leurs disciples. Il apparaît donc chez Cassien que l'exemple des anciens semble davantage compréhensible que la Parole divine elle-même, pour le novice en croissance spirituelle.

Concernant la pédagogie propre au désert, il semble, d'après quelques exemples cités par Cassien, qu'elle ne soit pas générale. Chaque maître agit à sa manière (parfois comme il peut !) avec son disciple et certains débutants se retrouvent quelquefois surpris de l'extrême simplicité des réactions des anciens. Certains emploient l'exhortation, la patience et le silence, d'autres réconfortent, écoutent et consolent, d'autres Pères encore renvoient le disciple dans sa cellule. Malgré la diversité des méthodes, nous avons pu toutefois, brosser un portrait typique du maître qui, généralement, lorsqu'il décide d'accompagner un jeune moine, se montre plein de sollicitude et de patience envers lui.

La notion d'obéissance mutuelle nous a également interpellés durant notre étude. Pour que le disciple entre pleinement dans l'obéissance requise au désert, le maître doit le suivre au rythme de son tempérament. Il attend en somme, que le coeur du disciple soit apte à recevoir les enseignements qu'il a à donner et durant cette attente, le maître se montre patient. C'est donc par là que l'enseignement se révèle fécond. En délivrant un exemple d'obéissance par son attitude patiente, l'ancien se fera le disciple du disciple, ce qui nous fera dire que les deux personnages se situent dans une dynamique d'alliance et de partage.

Au sujet de la théologie propre au désert, nous avons découvert qu'il existait une doctrine : la vie spirituelle est orientée vers la vie d'union avec Dieu charité. On y accède par le renoncement total à la vie antérieure. Toutefois, les enseignements des Pères, davantage axés sur la contemplation que sur l'action (à l'opposé du Christ), pourraient laisser entendre qu'il existe une théologie érémitique. Mais ce sujet n'étant pas l'objet de notre étude nous avons préféré le passer sous silence.

Nous avons remarqué que la façon de procéder chez les Pères du désert était conforme à ce que prônait l'Ecriture : le Christ lui-même s'est bien posé en « maître » et non en « père » vis-à-vis de ses disciples.

Le rôle commun à ces « maîtres » (Jésus et les Pères) est donc bien cette fonction d'enseignant qui transmet, informe et éduque tout en gardant la distance affective et psychologique vis-à-vis du débutant. La notion d'imitation est présente mais il s'agit pour les Pères d'imiter le Christ et de s'effacer devant lui et non d'exhorter les novices à imiter l'ancien, ce qui serait falsifier et gâcher la richesse et l'orginalité de leur manière de procéder.

La formation au désert est donc bien une école, basée sur les préceptes évangéliques mais revisitée par les sentences du maître, elles-mêmes générées par l'expérience.

Enfin, nous dirons que la tradition du désert et sa transmission par l'expérience du contact direct de l'ancien au disciple semble porteuse. A notre sens, cette association des deux personnages est nécessaire à la formation d'un bon moine. Peut-être pouvons-nous regretter que par la suite, cette alliance ait été sacrifiée au profit d'une instruction collective au sein des monastères cénobitiques, où le maître des novices s'adresse à un groupe de jeunes moines aux tempéraments divers qui reçoivent le même enseignement et a fortiori les mêmes remarques adressées collégialement. Mais le débat reste ouvert ...

Cette méthode de transmission individuelle décrite par Cassien dans les Conférences nous semble, après analyse, riche et idéale à la formation d'un bon moine. Même s'il nous a fallu analyser les textes de manière prudente, à cause de leur caractère hagiographique, nous pouvons sans hésitation en retirer ce que nous étions venus y chercher : la notion d'authenticité monastique basée sur la pureté du coeur et la tranquillité de l'âme que l'on ne trouve nulle part ailleurs qu'au sein de ces monastères qui à leur tour et aujourd'hui encore, transmettent sans relâche les enseignements des Pères.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon