II. Proximité du maître et du disciple.
Même si dans les Apophtegmes, Dom L. Regnault
indique une variété de situations où
les jeunes moines viennent frapper à la porte de divers
anciens qu'ils connaissent seulement de réputation, afin de recevoir une
parole de façon isolée, sans suivi particulier, c'est la relation
individuelle dont parle Cassien qui fait l'objet de notre étude. Dom L.
Leloir dit que selon les Paterica arméniens, les anciens
appelaient leurs disciples « mon petit enfant », ce qui
dépeint une ambiance détendue et affectueuse entre vieillards et
disciples. « La direction des âmes réclame un don de soi
qui, pour être effectif, doit être sainement affectif
86. »
Si l'ancien se fait appeler « abba », c'est
que la relation est proche, voire filiale, mais il apparaît qu'elle n'est
pas fusionnelle. Le maître ne forme que celui qui accepte d'appliquer
les
85 Dom L.REGNAULT in « Sentences des
Pères du désert. » Collection alphabétique.
Solesmes 1981.
86 D.Louis LELOIR in « Désert et
communion » S0 N° 26 Bellefontaine 1978.
conseils. Cassien explique que l'entretien fut demandé
dans les larmes à Abba Moïse, car ils connaissent
l'inflexibilité du vieillard. Celui-ci n'ouvre sa porte qu'à ceux
qui cherchent avec le coeur contrit et c'est seulement fatigué des
prières de Cassien et Germain qu'Abba Moïse prend enfin la parole
pour leur exposer ce qu'ils attendent de lui. On le voit donc, la
proximité n'est créée que si le disciple est insistant et
motivé dans sa quête de Dieu.
Père spirituel, accompagnateur, confesseur,
éducateur, consolateur, le Père du désert est un peu tout
cela à la fois. La relation maître disciple relève d'un
partage.
« La paternité spirituelle ne consiste pas en
l'exemplarité morale d'une vie édifiante, mais bien en la
capacité de faire partager une expérience spirituelle vivante,
transformante 87. »
Pour atteindre le but fixé, le jeune doit se mettre
à l'école de l'ancien afin d'éviter les pièges du
démon.
« ...cette forte formation n'aura pas seulement
l'avantage de (nous) mener à la parfaite discrétion, elle (nous)
mettra encore à l'abri de toutes les embûches de l'ennemi. »
(Coll. 2)
Si le jeune se fie en son jugement personnel, il sera la proie
de la tentation. Les Pères insistent fortement sur ce point. Recevoir
les leçons de l'ancien et les mettre en pratique est donc indispensable
pour qui veut tenir au désert. Le maître autorise diverses
manières d'agir quant aux fréquences des visites du jeune
moine.
« A un frère qui demandait : Qu'est-il
préférable, père ? Aller trouver l'ancien ou rester en
cellule ? Un vieillard répondit : Aller trouver les anciens était
une règle des premiers Pères mais ils ont décidé
que rester en cellule était également une bonne chose
88. »
Il n'y avait donc pas de règle absolue, nous
dit D. Louis Leloir, la décision jugée la plus opportune
était celle que suggéraient les circonstances de personnes et
d'événements 89. Il apparaît donc que la
paternité spirituelle tenait compte de l'enseignement des anciens mais
également du tempérament du disciple.
On retrouve pareils textes chez Cassien (Coll. 6 et 24)
qui enseignent que la cellule permet de lutter contre l'acédie et
les tentations en tous genres. Cassien semble cependant moins souple que les
Paterica concernant la cellule puisqu'il ne tient apparemment pas
compte des différents tempéraments des disciples ni des
événéments.
87 N. MOLINIER in « Ascèse,
contemplation et ministère. » SO. N° 64.Bellefontaine.
1995.
88 Paterica arméniens :10, 70R :III,109. ( in
D.Louis Leloir : « Désert et communion. » S0
n°26. Bellefontaine.1978.)
89 D. L.LELOIR : « Désert et
communion. » S0.N°26. Bellefontaine.1978.
Les Conférences se montrent fermes quant à
l'observance de la cellule, assurant qu'à chaque fois qu'elle sera
réintégrée, le novice la trouvera nouvelle. C'est en elle
seule, selon
Cassien, que le jeune moine y trouvera stabilité et pourra
y fixer son esprit en Dieu, d'oül'importance d'y passer du
temps.
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