La lutte contre la contrefaçon des marques au Maroc; quelle perspective?( Télécharger le fichier original )par Nabila BEN ALI Université sidi Mohammed Ben Abdellah - Fés- - diplôme d'études supérieures approffondies (DESA) 2008 |
Section I: La procédure de l'action en contrefaçon.L'action en contrefaçon des marques est une action gouvernée par un impératif de rapidité afin d'éviter d'une part, la disparition des objets portant une marque contrefaite, et d'autre part, la réalisation d'un préjudice difficilement réparable. La victime devra tout d'abord se ménager des preuves de la contrefaçon, puis introduire l'instance au fond, tout en évitant que les actes de contrefaçon ne perdurent (Sous-section I), pour ne pas donner l'occasion au défendeur à cette action de trouver un moyen de défense raisonnable qui lui permet d'échapper à sa responsabilité (Sous-section II). Sous-section I: acte introductif en justice et moyens de preuve de contrefaçon. Dans la mesure où elle se borne à agir devant les juridictions civiles ou pénales, la victime d'une atteinte à la marque n'a d'autre preuve à apporter que celle d'un fait matériel de contrefaçon. En particulier, la preuve de la mauvaise foi du contrefacteur n'est nullement nécessaire et celle de sa bonne foi ne saurait l'exonérer de sa responsabilité civile. En signalant ainsi que l'action en contrefaçon de marque obéit au droit commun de la procédure civile, on proposera donc d'examiner les aspects particuliers qui concernent, d'une part, l'acte introductif à l'instance (A) et d'autre part, les saisies dont la victime profite pour justifier l'infraction (B). A- Demande ou acte introductif en justice. La demande en justice doit prendre la forme d'une requête écrite conformément aux règles du code de procédure civile (33,34, et 35). Alors cette dernière doit être signée par le demandeur qui ne peut-être que le propriétaire de la marque, ou le cas échant, le titulaire de droit exclusif sur la marque, ou encore, leur mandataire. Celui-ci peut-être soit un avocat, soit un mandataire justifiant d'un mandat. L'acte introductif doit comporter les noms, prénoms, qualités, ou professions, domicile ou résidence ainsi que, le cas échéant, les noms, qualité et domicile du mandataire du demandeur91(*). Si le propriétaire de la marque, c'est-à-dire le demandeur ou le défendeur, est une société, le requérant est tenu, en outre, d'indiquer la dénomination sociale, la nature et le siège de la société. La requête doit enfin énoncer sommairement l'objet de la demande, les faits et les moyens évoqués. Les pièces dont le demandeur entend éventuellement se servir, doivent être annexées à la demande. Le demandeur peut, outre des faits de contrefaçon de marque, invoquer selon le cas, des faits de contrefaçon de dessins ou modèles et des faits de concurrence déloyale, sous réserve que ces faits soient distincts de ceux de la contrefaçon de la marque elle-même comme il était déjà signalé à la première partie. Le non respect de ces indications ou mentions entraîne l'irrecevabilité de la demande. Néanmoins, auparavant, le juge invite la partie intéressée à régulariser la procédure. Ce n'est qu'en cas de refus ou d'omission qu'il se prononcera sur les vices de forme et sans examiner le fond du procès92(*). B- La preuve de contrefaçon : saisie-contrefaçon. La contrefaçon est un fait. La preuve doit donc être rapportée par tous les moyens conformément au droit commun : aveux, supports matériels ayant un contenu certain et une date certaine, documents écrits, présentation de l'objet incriminé, etc. Mais en général, il existe une procédure spéciale permettant à la victime d'une contrefaçon d'apporter la preuve d'une atteinte à son droit. Cette preuve est la saisie des objets contrefaits ou la procédure dite « de saisie -contrefaçon ». Par principe, la « saisie contrefaçon » ne peut être mise en oeuvre qu'après autorisation du président du tribunal de commerce compétent (1). La saisie contrefaçon peut être réelle ou seulement descriptive : - La « saisie réelle » est la mise sous scellée des objets portants une marque contrefaite. - La « saisie descriptive » est la description, dans un procès verbal établi par un huissier, des objets portants une marque contrefaite93(*). Ainsi, cette saisie ne peut être exécutée que par un huissier de justice ou un greffier qui doit respecter une certaine limite pour ne pas tomber sous le coup de la qualification abusive 94(*) de moyen de preuve. 1- L'ordonnance autorisant la saisie La saisie contrefaçon peut être exclusivement requise par le propriétaire d'une marque enregistrée dûment inscrit au registre national des marques ou l'auteur d'une demande d'enregistrement ou par le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation dûment inscrit au registre. Dès lors, le juge saisi ne pourrait pas refuser de délivrer l'ordonnance ; la décision se bornant à un simple examen de régularité en la forme. Monsieur Robert PLAISANT estime que le magistrat ne peut refuser la saisie si le propriétaire de la marque décide d'y procéder et justifie à cet égard une demande régulière95(*). En revanche ROUBIER admet que le magistrat a un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou non la saisie96(*). Quoi qu'il en soit il n'appartient pas à l'ordonnance d'autoriser au-delà de ce que la requête sollicite, sinon le magistrat statuerait « ultra petita ». Ainsi, l'ordonnance ne peut autoriser une saisie réelle de tous les objets incriminés s'il est demandé la saisie réelle d'un échantillon, ou autoriser une saisie réelle lorsqu'une simple saisie description est requise. De même, le magistrat ne saurait rendre une ordonnance générale permettant au requérant de poursuivre la contrefaçon d'une marque chez tout contrefacteur, en tout temps et en tout lieu. Au contraire, l'ordonnance doit se prononcer sur un fait précis de poursuite pour éviter des saisies abusives et vexatoires qui seraient un moyen trop facile entre les mains d'un concurrent peut scrupuleux. L'ordonnance doit préciser les noms de l'huissier ou du greffier ainsi que tout expert éventuel. L'ordonnance précisera, en cas de saisie réelle, sur quels objets portera la saisie. Mais en pratique, la saisie de quelques échantillons paraît suffisante infiniment plus utile qu'une simple saisie descriptive97(*). Le fait que la mesure porte uniquement sur un nombre limité d'objets ne peut causer aucun préjudice au poursuivi, et permet une meilleure possibilité de preuve. Enfin l'ordonnance désigne les tierces saisies et les lieux dans lesquels la saisie pourra être effectuée. 2- exécution et conséquence de la saisie L'exécution se fait par l'agent compétent, c'est-à-dire l'huissier ou le greffier, avec la présence éventuelle de tout expert et même du poursuivant s'il est expressément autorisé par l'ordonnance. L'huissier de justice est assisté très fréquemment d'un expert dont la mission consiste à l'aider en effectuant une description de l'objet argué de contrefaçon, et d'un photographe (en cas de « saisie description98(*) ») sous réserve que la présence de ces personnes soit autorisée par l'ordonnance. L'huissier mène ainsi les opérations matérielles de la « saisie -contrefaçon99(*) ». Logiquement, l'huissier ou le greffier doit opérer conformément aux dispositions du code de procédure pénale en matière de saisie. Ce dernier qui est chargé de l'exécution de la « saisie - contrefaçon » doit dans la rédaction de son procès verbal, préciser qu'il s'agit de saisie description ou bien de saisie réelle. Dans ce cas, l'agent doit déposer les objets saisis au greffe du tribunal, à moins que l'ordonnance n'ait prévu d'autres mesures telles que le séquestre ou l'apposition de scellés. Sa mission est précisée dans l'ordonnance, il ne peut lui-même l'étendre et doit respecter scrupuleusement les termes de l'ordonnance. Il lui appartient de relater dans le procès-verbal de saisie contrefaçon tous les faits argués de contrefaçon, les constatations faites par l'expert et de décrire les objets argués de contrefaçon ; ceci conformément à l'ordonnance. La saisie contrefaçon n'étant que la constitution d'un mode de preuve particulier à la matière, elle doit normalement être suivie dans un délai aussi bref que possible de l'action judiciaire pénale ou civile à peine de nullité. Ainsi, l'article 222 de la loi 17-97 prévoit dans son alinéa 5 que « à défaut par le requérant de s'être pourvu devant le tribunal dans le délai maximum de trente jours à compter du jour de l'exécution de l'ordonnance ci-dessus, la description détaillée, ou la saisie est nulle de plein droit sans préjudice d'éventuels dommages et intérêts ». En outre, la nullité de la saisie contrefaçon peut être invoquée pour non respect de l'ordonnance la prescrivant, ou généralement le non respect des règles de fond et de forme. Si la nullité est prononcée, tous les éléments se reportant aux opérations de saisie contrefaçon (procès-verbal, documents, etc.) ne valent pas comme preuve de contrefaçon100(*) . La nullité de la saisie contrefaçon est sans incidence sur la validité de la procédure de la contrefaçon. Mais la preuve matérielle de la contrefaçon devra être rapportée par un autre moyen ; à défaut, la demande en contrefaçon sera rejetée. Pour éviter l'abus du demandeur de la saisie contrefaçon, l'ordonnance peut-être subordonnée à une consignation par le requérant destinée à assurer l'indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée (art 203 al 3). Sous-section II : Défense à l'action en contrefaçon. Le succès de l'action en contrefaçon implique que celui auquel on fait grief d'avoir porté atteinte à la marque, ne puisse pas invoquer un fait justificatif qui ferait disparaître l'illicéité du comportement. A la différence de ce que l'on connaît en matière de brevet d'invention, la loi sur les marques n'énonce pas de faits justificatifs spécifiques de la contrefaçon de marque. La preuve de la bonne foi est inopérante dans la plupart des cas surtout en cas du délit matériel dont l'élément matériel n'est pas nécessaire. Seul le titulaire d'un droit antérieur peut opposer à son profit des droits antérieurs à la marque du demandeur. Le défendeur ne peut valablement opposer au demandeur à l'action en contrefaçon, des droits antérieurs dont il n'est pas titulaire. Le défendeur peut soulever avant toute défense au fond des exceptions de procédure, sans que le fond du droit ne soit discuté. Il peut aussi soulever des fins de non-recevoir, c'est-à-dire des moyens tendant à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond. Il peut notamment soulever le défaut de qualité du demandeur (cessionnaire non dûment inscrit au registre, licencié non exclusif, etc.), l'inopposabilité du titre invoqué, la prescription de l'action ou la forclusion en matière de contrefaçon. Aussi, et toujours dans le cadre de l'action en contrefaçon, le défendeur peut contester la contrefaçon pour se défendre, tout en invoquant les arguments suivants: - le défaut de preuve matérielle de la contrefaçon (la saisie contrefaçon est nulle et aucune autre preuve n'a été rapportée ; la saisie contrefaçon ne permet pas d'établir la contrefaçon ; le document prouvant la contrefaçon est incertain quant à son contenu et/ou à sa date); - l'absence de risque de confusion entre la marque invoquée et le signe incriminé; - le signe incriminé est appliqué à des produits totalement différents de ceux couverts par l'enregistrement de la marque invoquée; - le signe incriminé se fond dans un tout indivisible excluant toute contrefaçon; - l'utilisation du signe argué de contrefaçon dans son sens habituel : l'enregistrement d'une marque ne saurait priver les tiers de la liberté de se référer à la dénomination enregistrée à titre de marque dans le sens qui lui est donné dans le langage courant101(*) , l'utilisation de la marque invoquée à titre de référence pour des accessoires; - l'absence de contrefaçon en raison de la règle de l'épuisement des droits; - l'absence de contrefaçon en raison du principe de la territorialité des droits de marque. Il peut agir en demandant notamment par voie reconventionnelle, la nullité de la marque invoquée, la déchéance pour non-usage de la marque du demandeur à l'action en contrefaçon. Il peut également demander à titre reconventionnel la condamnation du demandeur pour procédure abusive. Mais, il est rarement fait droit par les tribunaux à cette demande, sauf s'il est démontré un abus manifeste de droit102(*). * 91 C A. Ch. Com. Casablanca. A, n° 1988 du 4-9-1984, dos. Com. 1985/82 GTM, n°558 ; p 83. * 92- A. Boudhrain, Droit Judiciaire Privé au Maroc, Ed. Al Madariss, 2003, P.167. * 93 -" La saisie descriptive n'étant pas obligatoire, la partie civile peut avoir recours à tous les moyens qu'elle juge utiles à l'établissement de la preuve de l'existence de la contrefaçon reprochée à reprochée à l'inculpe " Trib. Reg. Casablanca : Traduction du jugement rendu en langue arabe dans l'affaire dite " TERGL ", 26 oct. 1966, GTM janvier -février 1986 p 13. * 94 D.A MDaghri, « la propriété intellectuelle : la nouvelle richesse des nations »T1, op. Cit. p 262. * 95 - J. CI. Com, Annexes, Marques, Fasc. 30, n° 22. * 96 - Roubier In. La protection de la marque au Maghreb, Op. Cit, p. 247. * 97 - M. Ali Haraum, op. cit. p 248. * 98 C.A .com. Casablanca, Arrêt n° 01/7287, 2001/07/24, aff. Model BIC c/ Model BATD. * 99- Camille .Guthmann " marques- Droit Français- " fasc. 600, 15 Juillet 2001, Ed, JSC. Affaire 2004. * 100 Cammil -Guthman, marques -Droit Français-, op. Cit. Fasc. 600. 208 * 101- CA Paris, 11 déc. 1996 : Ann. propr. ind.1997, p. 239 : l'expression "Turquie, une terre d'aventure" n'est pas la contrefaçon de la marque "Terres d'aventure" ; CA Paris, 13 nov. 1996 : Ann. propr. Ind. 3/1997, p. 270. ; V. aussi, CA Paris, 25 avril. 1994 : Ann. propr. Ind. 3/1994, p. 166. * 102- CA Metz, 4 janv. 1995 : PIBD 586/1995, III, p. 218 : le demandeur a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits. |
|