Le libertarisme de gauche permet-il une réconciliation des concepts de libertés et d'égalité ?( Télécharger le fichier original )par Jérôme Grand Université de Genève - Bachelor en science économique et sociale 2008 |
ConclusionUn constat indiscutable ressort de ce travail : le libertarisme de gauche a des racines lointaines et ses fondements reposent sur des bases qui sont aujourd'hui dépassées. Les réflexions de John Locke sur la propriété doivent, pour être crédibles, être réadaptées à un monde sécularisé. Les libertariens de gauche contemporains ne doivent pas se contenter de développer la pensée de Locke, ils doivent lui trouver de nouveaux fondements. Aucun d'eux n'y a pris le temps (excepté Steiner pour le dernier chapitre)et ils ont ainsi laissé la porte grande ouverte aux critiques. A l'aide des réflexions de M.Risse et de S.Dumitru nous avons donc rationalisé les postulats de base, en remplaçant l'intervention divine par une argumentation logique, afin de confronter les théories à cette nouvelle construction. Au final, on constate que les théories libertariennes de gauche s'effondrent les unes après les autres lorsqu'elles sont confrontées aux contraintes de cohérence. Les premières à céder sont les théories excluant l'appropriation individuelle, tel que celles qui prônent l'appartenance commune et collective des ressources. Elles ne permettent en effet pas une propriété de soi effective. Elles sont suivies de la proposition de Van Parijs, qui craque elle aussi lorsqu'on la confronte au choix nécessaire entre propriété de soi et égalité des ressources. Elle cède comme les premières à l'attrait égalitariste et en oublient les conditions qui rendent les deux principes cohérents, soit une maximisation de la propriété de soi par une partage équitable des ressources naturelles. A ce stade il nous restait alors la théorie de Steiner, mais pas pour longtemps. Confronté à l'emprise de la propriété de soi, il refuse le compromis consistant à diviser ce dernier, et s'emmêle ainsi dans ses propres ficelles pour aboutir au final à une négation de la propriété de soi. Le libertarisme de gauche est malgré tout une alternative intéressante aux autres théories de la Justice. En proposant de rétablir une certaine égalité avant le processus de coopération, elle tente de conserver la justice sociale sans pour autant toucher à la propriété. Ce faisant, elle coupe l'herbe sous les pieds des courants de droite, qui utilisent souvent les droits de propriété pour justifier les inégalités sociales. Pour ce faire le libertarisme de gauche ose l'alliance originale de la propriété de soi et de l'égalité des ressources et se risque à une difficile conciliation des concepts de liberté et d'égalité. Mais réconcilier des concepts si contradictoires ne se fait pas sans conséquences. Au début de notre travail nous utilisions le terme de « balance » pour faire allusion au difficile équilibre entre les concepts de liberté et d'égalité. Après réflexion, il semble que ce terme colle parfaitement à la situation. Il s'agit en effet d'une juste mesure, d'un équilibre fragile. Oui, une conciliation théorique entre liberté, entendue comme propriété de soi, et égalité, entendue comme égalité des ressources, est possible. Mais il semble que les contraintes théoriques nécessaires à une harmonisation de principes si contradictoires et si complexes soient trop fortes pour qu'elle puissent être respectées dans une théorie concrète. Non que cela soit impossible, mais en tout cas les théories libertariennes de gauche actuelles n'y parviennent pas. Et on le comprend facilement. Pour y parvenir, il faut que le principe d'égalité des ressources soit subordonné au principe de propriété de soi, tout en faisant de manière que celui-ci ne soit pas trop fort et qu'il n'étouffe pas totalement le principe égalitaire. Dans ce contexte aucune règle générale n'est valable, l'équilibre est changeant. Deux poids, deux mesures, à chaque situation les principes doivent trouver un nouvel équilibre. C'est dire au combien l'application pratique du libertarisme de gauche demanderait de la phronesis, cette intelligence pratique chère à Aristote. Si l'une des théories libertariennes parvenait toutefois à respecter ces contraintes théoriques, il est à craindre qu'elle serait trop informe pour être crédible. Ces postulats théoriques ressembleraient à des modifications ha doc, et aucune règle générale ne serait dépourvue des nombreuses exceptions qui l'accompagne. Qui plus est, si l'on sort de l'abstraction libertarienne et que l'on quitte ce monde d'îles dessertes et de pulls en cheveux pour revenir dans le monde réel, on constate qu'une telle théorie pourrait être fortement contestable, non seulement du point de vue logique, mais aussi moral. L'Etat minimal, présent dans toute théories libertarienne, ne permet en effet pas de défendre une quelconque conception du bien. Le juste ( les droits de propriété) à priorité sur le bien et « cette priorité implique une impossibilité de trouver les fonds nécessaires pour favoriser l'épanouissement de chaque individu. (...)Cette conception pose un problème pour tout ce qui concerne la distribution de nos impôts pour le théâtre, la culture, les fêtes locales, les financements à l'agriculture ou à l'entreprise. »81(*). Au final ce sont toutes les formes de solidarités sociales que nous connaissons dans nos sociétés qui seraient remises en cause. Mais il s'agit ici d'une toute autre question que celle qui nous a occupé. * 81 Raul Magni Berton « J'ai raté ma vie, à qui la faute ? » |
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