Le libertarisme de gauche permet-il une
réconciliation des concepts de liberté et d'égalité
?
Pour une conciliation entre liberté et
égalité
Les notions de liberté et d'égalité sont
fréquemment qualifiées de « soeurs ennemies »
afin de marquer à la fois l'opposition et le lien qui les unit. Elles
sont « soeurs » car elles semblent intrinsèquement
liées, comme si elles se situaient aux deux extrémités
d'une même balancier, et elles sont « ennemies » dans
le sens où elles sont incompatibles, si le poids gauche de la balance
monte celui de droite descend obligatoirement.
Il semble en effet a priori que la pleine réalisation
de l'une de ces valeurs engendre l'impossibilité de réaliser la
seconde. Il s'agirait alors d'un choix entre l'une ou l'autre : la
liberté au détriment de l'égalité ou
l'égalité par restriction de la liberté.
Cette manière de percevoir la relation entre ces deux
concepts est très présente dans le champ de la théorie
politique et généralement une théorie prend parti pour
l'une ou pour l'autre de ces valeurs, même si certaines accordent tout de
même une place pour la seconde. Ainsi les traditions socialiste et
libérale égalitaire tendent à défendre
l'égalité à travers la notion de justice distributive, ce
qui implique une restriction de liberté de par la taxation que cela
induit, alors que les traditions libérale et libertarienne tendent
à donner priorité à la liberté au nom de la
protection de l'individu contre les ingérences d'autrui mais aussi
contre celle de l'Etat, ce qui éloigne une quelconque idée de
redistribution.
Certaines théories se mettent en porte-à-faux de
cette perception en rejetant ce que l'on pourrait qualifier, en reprenant les
termes de Max Weber, « l'incompatibilité des
valeurs ». Cependant beaucoup de celles-ci s'appuient simplement sur
des définitions différentes de la liberté et de
l'égalité et font de ce fait converger l'une et l'autre sans pour
autant réconcilier les deux concepts. Certaines assemblent ainsi une
définition positive de la liberté (entendue comme la
réalisation de l'individu) avec une égalité sociale,
tandis que d'autres restreignent l'égalité à une simple
égalité devant la loi alors compatible avec une liberté
négative (entendue comme absence d'entraves pour l'individu).
Il semble évident qu'il ne s'agit là que d'un
tour de passe-passe et qu'au final ce ne sont que des dimensions
différentes de concepts polysémiques. Une seule théorie
semble réellement relever le défi en tentant de rendre compatible
la liberté négative et l'égalité des ressources, la
protection des droits fondamentaux des individus et une juste distribution des
avantages et des biens, c'est le libertarisme de gauche.
Dans ce travail nous allons tout d'abord expliquer comment les
libertariens de gauche arrivent à allier des principes en apparence si
contradictoires. Il s'agira alors d'énoncer les principes que les
libertariens de gauche empruntent au libertarisme classique, lesquels ils
modifient, et de montrer comment à partir des mêmes
prémisses ils arrivent à des conclusions radicalement
différentes. Cela nous permettra dans un deuxième temps
d'étudier la cohérence théorique des deux principes que le
libertarisme de gauche tente de concilier, puis de confronter nos conclusions
aux différentes alternatives que les auteurs proposent pour la
réalisation effective de leur principe de justice.
La thèse que nous allons défendre est qu'aucune
forme de libertarisme de gauche n'arrive à assumer les deux principes de
base, propriété de soi et juste distribution des ressources,
jusqu'au bout du raisonnement. Bien que les deux principes soient
théoriquement cohérents, les alternatives proposées pour
leur réalisation simultanée empiètent toujours sur l'un
d'eux.
Elle s'inscrit évidemment en opposition à la
thèse du libertarisme de gauche défendu par des auteurs tel que
Otsuka, Vallentyne, Steiner, Van Parijs, mais elle est également
distincte des critiques traditionnelles bien qu'en étant
inspirée1(*). Au
final, notre thèse regroupe diverses critiques adressées à
des points précis du libertarisme de gauche, les synthétise et
les examine.
Au terme de ce travail nous devrions donc être capable
d'établir si le libertarisme de gauche parvient à faire
coïncider d'une manière cohérente la liberté et
l'égalité.
Une telle entreprise est tout autant intéressante
qu'importante. Intéressante, car bien que ces origines remontent a un
passé lointain, le libertarisme de gauche a resurgi ces dernières
décennies dans le débat de la théorie politique et tend
à s'imposer comme alternative aux courants dominants des théories
de la justice.
Le développement théorique de cette alternative,
comme de ses critiques, est un phénomène contemporain qui n'a pas
encore fait l'objet d'une analyse complète. Le libertarisme de gauche
est en effet une famille de théorie politique, dans laquelle chaque
auteur argumente et défend une conception spécifique. Les
critiques se concentrent par conséquent généralement sur
un point précis développé par un auteur, et il semble y
avoir un réel manque d'une vision englobante. Importante, car analyser
la cohérence du libertarisme de gauche c'est par la même analyser
la cohérence d'une conciliation des notions de liberté et
d'égalité. C'est aussi examiner la réussite, ou a
contrario l'échec, d'une tentative de la gauche de reprendre à la
droite le concept de « self-ownership ».
Libertarisme classique et libertarisme de gauche
Le libertarisme est une théorie de la justice qui
a pour principe fondamental et inaliénable la propriété
privée, et plus précisément la propriété de
soi et du fruit de son travail. Ces auteurs conçoivent les droits de
l'individu comme une contrainte morale absolue. Les droits en tant que tels ne
peuvent pas être violés dans la poursuite d'un quelconque but (des
individus, de l'Etat, de la société), ils ne sont pas un
instrument au service d'un objectif mais au contraire une contrainte qui limite
les moyens utilisables pour parvenir à cet objectif. On peut ainsi lire
à la page 29 du célèbre livre de Robert Nozick Anarchy,
State and Utopia : « In contrast to incorporing rights into the
end state to be achieved, one might place them as side constraints upon the
action to be done »2(*).
Comme le dit Nozick « Individuals are
inviolable »3(*) , ils sont différents et uniques, ont des
existences séparées, et aucun bien commun ne peut donc justifier
le sacrifice de l'un deux : «There is no justified sacrifice of some
of us for others. »4(*) Il s'agit donc d'une conception qui donne la
priorité au juste sur le bien, fortement anti-conséquentialiste,
qui s'inscrit en accord avec le principe kantien d'égal respect et en
parfaite opposition à une vision utilitariste.
Ce postulat, qui est la clé de voûte de la
théorie libertarienne, de droite comme de gauche, est une idée
centrale du libéralisme classique qui remonte à John Locke.
La notion de propriété privée, sa
justification et son extension, a en effet été au coeur de la
réflexion menée par John Locke au XVII siècle. Il estimait
que des hommes « libres, égaux et
indépendants »5(*) ne pouvaient passer de leur état de nature
à un état de société sans une bonne raison qui
motiverait leur consentement, la préservation de leur droit à la
liberté. Car « si, dans l'état de nature, il
possède ce droit, il n'est pas pour autant assuré d'en jouir, et
de repousser les empiètements des autres auxquels ce droit est
constamment exposé »6(*), il est donc poussé à former une
société avec d'autres hommes « pour la sauvegarde
mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs biens, ce que je
nomme, de façon générale,
propriété. »7(*)
On comprend ici que Locke fonde la justification de l'Etat sur
la propriété et sa préservation, et qu'il donne à
ce terme une définition englobant l'individu lui-même, ses biens
et sa liberté. Les biens sont alors conçus comme le prolongement
de l'individu, fruit de son travail, et qui lui appartiennent
entièrement au même titre que son corps. C'est ce que l'on nomme
le principe de propriété de soi ( self-ownership ).
Ce principe est limité dans la théorie de Locke
par un autre principe, la clause lockéenne8(*), selon lequel l'appropriation privée des
ressources doit laisser « enough and as good for other ».
En d'autres termes, il ne faut pas que l'appropriation d'une ressource du monde
par un individu modifie négativement la situation des autres, elle doit
se réaliser avec« no prejudice to any
other »9(*). Pour
que cette condition soit respectée, il doit y avoir une méthode
d'acquisition légitime qui se traduit chez Locke par « (...)
the mixing of one's labour with wordly ressources »10(*). Sans ce second principe, la
propriété de soi ne serait pas effective étant
donné que les individus qui n'auraient pas pu s'approprier de ressources
tomberaient dans la dépendance des propriétaires.
Libertarisme classique et libertarisme de gauche s'accordent
parfaitement sur le premier principe mais ont une interprétation
différente du second. C'est de cette divergence concernant ce que l'on
peut appeler la justice de l'acquisition que naît la différence
fondamentale entre les deux courants.
On constate en effet que dans le libertarisme classique
(considéré comme de droite par les libertariens de gauche),
théorisé essentiellement par R.Nozick, l'interprétation de
la clause lockéenne est très étroite et qu'il
« est permis d'acquérir une terre (et ses fruits) qui
n'était auparavant la possession de personne que si et seulement si vous
ne rendez la situation de personne moins bonne qu'elle ne l'aurait
été dans un état de nature, dans lequel aucune terre n'est
propriété privée (...) » 11(*) Il s'agit donc d'un principe
de justice de l'acquisition qui ne contient que très peu de contraintes
morales et qui est par conséquent fortement inégalitaire,
permettant au premier venu de s'accaparer les ressources au détriment
des autres12(*).
Dans cette optique les ressources du monde sont la
propriété du premier venu, dans le respect de la condition
citée ci-dessus, et aucune d'entre elles ne sont par conséquent
sujettes à être distribuées. Il n'y a tout simplement rien
à distribuer puisqu'elles ont déjà été
appropriées de manière considérée ici comme
légitime. Dès lors, redistribuer les ressources c'est priver les
propriétaires de leur bien et commettre une injustice qui bafouerait le
principe de propriété de soi. Dans ce modèle, le seul
transfert non-volontaire acceptable est celui qui résulterait d'une
appropriation illégitime.
La situation « originelle » dans le
libertarisme classique est donc de nature inégalitaire en vertu de
l'interprétation du second principe (la clause lockéenne) alors
que le premier principe (la propriété de soi) ne permet aucune
modification du tir. En effet « dans la mesure où il n'y a pas
de distinction entre la propriété de soi et la
propriété des choses auxquelles j'ai mélangé ma
personne par mon travail, toute tentative pour redistribuer une partie de ce
qui m'appartient dans le but de pourvoir aux besoins des tiers ou de promouvoir
une politique d'égalité équivaut à une forme de
travail forcé ou d'esclavage. »13(*) . Nozick illustre cela avec
l'exemple très connu de Wilt Chamberlain14(*).
On comprend que la conception libertarienne de l'individu et
des droits restreint drastiquement le rôle de l'Etat à la seule
protection des individus, ce que Nozick appelle l'Etat minimal et qui est selon
lui le seul Etat qui peut se justifier, étant donné
que« any state more expansive violates people's
rights ».15(*)
Le libertarisme de gauche se démarque ici du
libertarisme classique en proposant une méthode d'acquisition
légitime plus contraignante, postulant que l'individu est pleinement
propriétaire des biens qui sont le fruit de son seul travail.
Il différencie ainsi les ressources internes, qui sont
entièrement propriété de l'individu, des ressources
externes, fruits du travail de l'individu mais aussi de l'utilisation des
ressources naturelles. Ces dernières sont des ressources
collectives16(*)
appartenant à tout un chacun et ne sont donc pas
considérée comme des extensions de la propriété de
soi, en conséquence de quoi leur utilisation est soumise à une
condition d'utilisation/appropriation spécifique.
Cette condition est la suivante :« vous pouvez
acquérir des ressources du monde qui n'ont jamais été
auparavant la propriété privée de quiconque que si, et
seulement si, vous en laissez suffisamment pour que tout le monde puisse
acquérir une part également avantageuse de
propriété terrestres non privées » 17(*), et si cela s'avère
impossible, une compensation pour l'appropriation devra être
versée à ceux qui subissent le préjudice. 18(*)
C'est là un point essentiel du libertarisme de gauche.
A contrario de sa version classique, il estime qu'une propriété
de soi effective implique un accès aux ressources qui permettent cette
propriété, sans quoi cette dernière est vide de sens. Or
cet « accès » aux ressources est permis par un
principe de justice beaucoup plus égalitaire que dans la version
classique.
Prenons un exemple pour illustrer notre propos, et mettre en
lumière les différentes interprétations de la clause
lockéenne. Imaginons deux hommes sur une île encore vierge. L'un
d'eux, « Chanceux », trouve un champ de blé sauvage,
alors que « Poisse » continue à errer dans
l'île au gré des baies sauvages et des animaux qu'il trouve. Dans
la version libertariste classique, où l'interprétation de la
clause est plus étroite, « Chanceux » aura la
propriété légitime du champ du simple fait que cette
appropriation ne détériore pas la situation de l'état de
nature de « Poisse », qui pourra toujours courir
après les lapins et récolter les baies. Tandis que dans la
version de gauche du libertarisme, « Chanceux » pourra
s'approprier le champ de blé sauvage que s'il existe dans l'île
d'autres ressources naturelles pour « Poisse » qui soient
autant avantageuses que celle qu'il s'est accaparé. Dans le cas
contraire, « Chanceux » sera propriétaire du champ
mais devra compenser « Poisse » pour les ressources
naturelles qu'il s'est accaparé.
Le libertarisme de gauche a donc pour base un principe de
justice de l'acquisition couplé au principe de propriété
de soi. Cette alliance pour le moins originale permet de« (...)dire
qui possède quoi avant d'entrer dans le processus de coopération
et indépendamment de lui (...)»19(*), et ainsi de garantir une
certaine égalité sans pour autant interférer dans le
processus de coopération par la redistribution et ainsi violer certains
droits de propriété.
Le principe de justice de l'acquisition est donc un
élément essentiel dans la théorie puisqu'il donne une
alternative face aux limitations des moyens utilisables dans la promotion de
l'égalité impliquée par le principe de
propriété. L'Etat ne peut toujours pars intervenir dans la
redistribution, mais les individus ont un droit égal aux ressources
externes.
Réconcilier liberté et
égalité ?
Le but de notre entreprise est de déterminer si le
libertarisme de gauche parvient à réconcilier de manière
cohérente liberté et égalité, pour ce faire nous
admettons donc une équivalence entre ces deux concepts et les principes
de base du libertarisme de gauche. Soit, nous estimons que la
« liberté » se manifeste dans la
propriété de soi, tandis que
l' « égalité » se manifeste sous la
forme de l'égale propriété des ressources
extérieures. Les deux principes ne sont que des formes
particulières des concepts de liberté et d'égalité,
mais nous soutenons qu'elles en sont des interprétations plausibles.
Avant toute chose, il nous faut définir ce qu'est la
propriété de soi. Il s'agit d'une notion complexe de laquelle
découlent nombre d'autres droits. Dans son acception minimale elle
implique la pleine propriété de son corps, garantissant
« (...) the right to contrôle that body free of coercitive
interference »20(*). En outre, cette propriété inclut
« 1) un droit entier de contrôle sur l'utilisation de leur
personne (et donc sur les actions qu'ils subissent) 2) un droit entier de
transférer les droits qu'ils ont à d'autres (par vente, location,
don ou emprunt), et 3) la pleine immunité pour la possession et
l'exercice de ces droits »21(*). Ces trois garanties constituent la pleine
propriété de soi, mais il est possible que celle-ci ne soit que
partielle et qu'elle accepte par exemple les points 1) et 2) tout en rejetant
le point 3).
De ce droit premier découle par extension celui de la
propriété de son travail, qui implique « the right to
contrôle the expenditure of energy and talent housed in that
body »22(*)ainsi
que la continuité de celui, un droit à la propriété
du fruit de son travail. Ces extensions dérivent toutes du droit
à la propriété de soi.
On comprend bien que rien de substantiel ne découle de
la formulation d'un tel principe. Cela vaudra au libertarisme de gauche de
nombreuses critiques, dont celle formulée par Barbara Fried, qui est
que ce concept de propriété de soi est indéterminé.
Fried soutient en effet que la notion générale
de « ownership » est trop vague et trop
indéterminée pour pouvoir être utilisée comme un
principe régulateur.
Elle soutient, en s'appuyant sur le courant
réaliste23(*), que
le droit de propriété est un ensemble de droits et de devoirs, un
patchwork de pouvoir réciproque et que de ce fait « in
elarging any one party's formal powers, we necessary diminish everyone
else's. »24(*)
En d'autres termes quand on accorde un droit à quelqu'un on sacrifie
donc nécessairement une partie des droits, et par conséquent des
libertés, de quelqu'un d'autre. La propriété est alors
indissociable d'un conflit de propriété. Aucune implication
concrète ne découlerait donc de la formulation d'un droit
à la propriété.
Toutefois, bien que la propriété de soi soit
quelque peu indéterminée, elle fait référence au
terme « soi » et concerne donc un champ
délimité. Il s'agit bien d'un ensemble de droits, qui ne donne
pas de piste en cas de conflit de propriété, mais comme le dit
Axel Gosseries « ces derniers s'appliquent à un domaine assez
substantiels défini comme le « soi ». En d'autres
termes, il s'agit d'une propriété qui n'est pas purement
réflexive ou formelle. La notion de propriété ainsi
entendue entretient un lien étroit avec l'idée de liberté
négative, qui renvoie pour les libertariens de droite ou de gauche
à l'interdiction pour l'Etat ou pour tout autre concitoyen de m'imposer
un travail forcé, une conscription obligatoire en cas de conflit,
l'expropriation d'organes non vitaux ou le don de sang obligatoire, par
exemple. En bref les libertariens, même de gauche, défendent un
ensemble étendu de droit sur un champ substantiel de ressources
internes ». 25(*)
La propriété de soi implique donc une
barrière, une bulle protectrice, qui protège l'individu contre
les ingérences extérieures sur le « soi ».
Elle implique« une garantie négative que les autres ne
pourront pas user de ma personne sans ma permission »26(*), or il semble que ce soit la
définition même de la liberté entendue dans son sens
négatif.
Concevoir la « commune »
propriété des ressources naturelles comme la manifestation de
l'égalité, c'est clairement omettre toutes les autres formes que
peut prendre celle-ci. Il s'agit en effet d'une égalité
matérielle, et non pas morale, concernant les ressources et non les
résultats.
Toutefois, interpréter la clause lockéenne de
telle manière à prétendre l'égal
propriété de tous vis à vis des ressources externes s'est
introduire « une exigence structurelle
d'égalité »27(*) sur la propriété des choses et ainsi
réduire les inégalités qui découleraient de la
seule propriété de soi. Dans le sens où elle est une
contrainte structurelle sur la répartition des biens, on peut affirmer
que l'égalité des ressources est une forme crédible
d'égalité matérielle.
Nous ne développerons pas d'avantage les justifications
concernant ces équivalences, car nous estimons que ce n'est pas
là notre propos. Nous les admettons en tant que postulat
théorique de notre travail, sans autre argument. Mais il nous faut
également préciser ce que nous entendons par
« réconcilier » liberté et
égalité.
Le terme évoque une entente nouvelle entre des
principes qui étaient alors en conflit ou en contradiction. Dans notre
cas, cette « entente nouvelle » ne signifie pas que tout ce
qui serait propice à l'un serait toujours propice à l'autre . Des
tensions peuvent subsister , mais il faut que les raisons d'adopter
l'égalité des ressources extérieures ne soient pas en
contradiction avec les raisons qui nous poussent à valoriser la
propriété de soi. En d'autres termes, il faut que nos deux
principes soient en harmonie en ce qui concerne leur raison d'être.
Nous adoptons donc le terme
« réconcilier » dans un sens strict, qui n'inclut
aucunement une fusion mais bien plutôt une harmonie.
Notre étude est divisée en deux parties
distinctes. Dans la première nous analyserons les implications
théoriques découlant des principes (1) et nous nous servirons
ensuite de celles-ci pour juger les diverses théories libertarienne de
gauche (2). Dans chacune d'elles nous porterons toute notre attention sur deux
points que nous considérons, à priori, comme des fondements
instables sur lesquels repose le libertarisme de gauche, l'harmonisation des
deux principes (a) et les implications internes de la propriété
de soi (b).
1) Les fondements du libertarisme de
gauche
1.a) Harmonisation des deux principes
Le libertarisme de gauche tente donc de concilier un principe
de propriété de soi avec un principe d'égalité
d'accès dans les ressources extérieures. Dans cette partie nous
allons examiner les fondements et les raisons d'être de ces deux
principes, cela devrait nous permettre d'évaluer la solidité
théorique des prémisses du libertarisme de gauche. Nous
plaiderons ici pour leur cohérence théorique, mais nous
attaquerons la théorie dans le chapitre suivant en démontrant
qu'aucune proposition libertarienne ne parvient à allier les deux
principes jusqu'au bout du raisonnement.
Justification du principe d'égal accès aux
ressources extérieures.
Ce principe, qui est le pivot du libertarisme de gauche trouve
son origine, comme nous l'avons vu précédemment, dans la clause
lockéenne. Locke, dans la lignée de Grotius et de Pufendorf,
soutient en effet que le statut originel des ressources du monde est la
propriété commune. Mais il ne suffit pas de l'affirmer, d'autres
alternatives à cette conception étant possibles, il faut
également lui donner une justification.
Les libertariens de gauche en disent peu à ce sujet et
semblent simplement se référer à Locke. Or celui-ci, tout
comme Grotius, fonde cette justification sur une autorité
extérieure supérieure, sur Dieu.
Comme nous l'indique Mathias Risse dans son article
« (...)they resorted to a theistic framework in wich it makes sens to
state that the crown of God's creation collectively received and thus owns the
rest. »28(*) Chez
Locke la propriété collective du monde est donc justifiée
par une explication de type théologique, laquelle n'est pas
présente chez les libertariens de gauche. Risse soutient donc, à
juste raison, que les libertariens de gauche doivent trouver une nouvelle
justification à la clause lockéenne. A défaut d'une
explication libertarienne, Risse développe pour eux les autres
justifications possibles.
La thèse d'une propriété commune
peut-être soutenue, toujours selon Risse, en vertu de trois
justifications différentes.
Le première étant que c'est intuitivement la
plus plausible. Il serait par exemple possible de faire reposer la
propriété commune des ressources sur l'idée de
« fairness », dans le sens ou « It is fair that
each person not injure others in pursuit of his own ends »29(*). Mais il s'agit ici de ce que
Risse nomme un « mid-level common sense principles of
morality »30(*)
et qui transformerait le libertarisme de gauche en « philosophically
shallow theory »31(*). Le statut des ressources extérieures
reposerait alors simplement sur un sens commun et il n'y aurait alors pas de
raison de prétendre que la clause des libertariens de gauche est plus
juste que l'interprétation qu'en fait Nozick.
La seconde consiste en une justification instrumentale,
soutenant que pour atteindre un certain but la propriété commune
des ressources est le meilleur moyen pour y parvenir. Par exemple on pourrait
soutenir que pour parvenir au plus grand bien du plus grand nombre, but
utilitariste par excellence, le meilleur moyen serait d'adopter une doctrine
« of equal life chance »32(*) qui se traduirait dans le concret par un égal
accès aux ressources extérieures.
Selon Risse « Such view give no inherent importance
to the fact that ownership is held in «common» : the common
ownership thesis will be readily abandoned by defender of this views if this
instrumental relationship fails to hold. »33(*) Risse passe très
rapidement sur cet argument, trop rapidement pour nous convaincre, et nous y
reviendrons donc un peu plus loin.
La troisième justification est que la
propriété commune des ressources dérive du concept de
« equal voice ». En ce sens toute personne appartenant
à l'humanité a le droit d'être traitée en tant que
propriétaire égal et d' avoir un droit égal dans
l'accès aux ressources. On fait donc dériver la clause
lockéenne d'un ensemble de droits de l'homme en tant que moyens de
garantir la préservation de ceux-ci.
En vertu de cette justification« common ownership
seems to be plausible only to those who hold a view that ties individuals'live
together and shares out fortunes and misfortunes (..) that we owe to each
other(...)»34(*).
Cela implique « a very comprehensive set of rights(..)35(*) et demande que l'on accorde
« a prominent role to solidarity »36(*). Il s'agit donc d'une vision
normative basée sur la notion d'humanité partagée et de
solidarité.
Selon Risse cette justification est profondément
incompatible avec une notion de propriété de soi, qui a pour but
(selon Otsuka) de garantir « a right to all of the income that one
can gain from one's mind and body (including one's labour) either on one's own
or through unregulated and untaxed voluntary exange with other
individuals. »37(*) Le principe de propriété de soi
défini comme tel exclut une conception dans laquelle les vies des
individus seraient liées les unes aux autres et rejette par
conséquent le fait d'accepter des restrictions afin de garantir que la
vie de certains ne soit pas plus mauvaise que celle des autres.
Risse en conclut que « the set of reasons that would
prompt one to endorse common ownership seem to be in deep tension with the set
of reasons that would prompt one to endorse the second bit of Otsuka's right to
self-ownership» .Il y aurait donc une incoherence théorique dans la
théorie libertarienne de gauche.
Il en va de même d'une conception qui définit les
ressources, non comme communes, mais comme non-appropriées. Par analogie
à ce que nous venons d'avancer, la thèse de la
non-propiété peut dériver du concept de « equal
freedom » et fait appel au même sens de la
solidarité.
Nous retiendrons de cet argument le fait que la clause
lockéenne doit trouver une autre justification que celle d'une
intervention divine, mais nous rejetons les conclusions de Risse.
Nous soutenons en effet qu'il est possible de trouver une
justification de type instrumental à la propriété commune
des ressources, sans pour autant que celle-ci soit une justification
« passe-partout » . Notre argument est que
l'égalité des ressources est le meilleur moyen pour parvenir
à une propriété de soi optimale.
Cette justification a été
développée par Van Parijs dans son livre Qu'est-ce
qu'une société juste ? dans lequel il nous
dit : « Au lieu d'enraciner la distribution des droits de
propriété sur les objets externes dans une interprétation
particulière de l'idée que la terre est à tous, elle la
fonde sur un principe de maximisation de la liberté réelle pour
tous. Ce n'est donc pas l'exhortation à un arbitrage avec d'autres
valeurs, comme l'égalité ou l'efficience, mais bien au nom de la
liberté même que cette position a pu être défendue
contre la critique des libertariens. »38(*)
Cet argument, qui perçoit l'égalité comme
un moyen de parvenir à la liberté, se base sur la distinction
entre liberté formelle et liberté réelle, entre le droit
à la liberté et la capacité réelle de cette
liberté. Car « pour que j'aie la liberté de faire ce
que je veux de ma vie(...) il ne suffit en effet pas que j'aie le droit de
faire cela, étant pleinement propriétaire de moi-même. Il
faut encore que j'aie le pouvoir de la faire, du fait que j'ai accès
à suffisamment de ressources pour pouvoir effectivement réaliser
ce que je désire. »39(*) En d'autres termes la liberté en tant que
propriété de soi est aussi « une question de
moyens »40(*) , lesquels sont donnés par la
propriété commune des ressources extérieures.
Avec cette justification instrumentale41(*), il nous est donc possible
d'affirmer que les raisons qui nous poussent à endosser la
propriété commune des ressources extérieures sont ainsi en
parfaite harmonie avec les raisons qui nous poussent à défendre
un principe de la propriété de soi, les une et les autres
consistant à garantir aux individus une pleine propriété
d'eux-mêmes. En conséquence de quoi nous rejetons l'argument de
Risse et nous estimons que les fondements du principe d'égal
accès aux ressources extérieures sont tout à fait
cohérents et légitimes.
Implications théoriques
Nous avons donc établi une cohérence concernant
les fondements du libertarisme de gauche, mais cette entreprise ne restera pas
sans conséquence. En postulant que la propriété commune
des ressources est légitime en tant que condition nécessaire
à la réalisation effective de la propriété de soi,
on établit en effet une hiérarchie entre les deux principes.
Le premier, la propriété de soi, est dominant et
inconditionnel, tandis que le second, la propriété commune des
ressources externes, est subordonné et n'a de sens que s'il permet une
réalisation plus effective du premier principe.
Il n'est certes pas possible de réconcilier
liberté et égalité dans toutes les applications pratiques
qui peuvent se poser et il est même très probable que certaines
situations imposent un choix entre l'un et l'autre. Nous ne cherchons donc pas
une formule magique, mais une théorie qui mette nos deux principes en
harmonie en ce qui concerne leur raison d'être et leur but. En vertu de
l'argumentation développée dans la partie
précédente, nous pouvons dire que c'est le cas du libertarisme de
gauche. Toutefois pour que ce soit réellement le cas, il faut que
lorsque l'on se retrouve dans cette situation de choix, ce soit le principe de
la propriété de soi qui soit valorisé. C'est
paradoxalement le seul moyen de maintenir une cohérence entre les deux
principes.
Pour réconcilier liberté et
égalité, il faut donc comprendre la propriété
commune des ressources comme une condition nécessaire à la
propriété de soi mais il faut également être
prêt à sacrifier le premier au nom du second, sans quoi la
théorie serait d'avantage « de gauche » que
« libertarienne ».On se retrouve donc avec un ordre fixe,
qui nous oblige à écarter toute proposition qui valoriserait la
propriété commune des ressources au détriment de la
propriété de soi. C'est ce que nous appellerons
« l'exigence de cohérence ».
1.b) Implication interne de la propriété
de soi
Le problème de l'équilibre entre les deux
principes ne s'arrête toutefois pas ici. S'il est vrai que le principe de
propriété de soi doit être dominant et que l'égal
partage des ressources doit lui être subordonné, il ne faut
toutefois pas que le premier aspire totalement le deuxième. Or la
propriété de soi est un principe fort, qui a tendance à
occuper tout l'espace sans en laisser pour d'autres principes. La question du
paradoxe « de la propriété de soi
universelle » est à ce titre éclairante. Le principe
est tellement fort qu'il aboutit dans ce cas à sa propre
négation.
Nous ne pouvons accepter que le libertarisme de gauche soit
anéanti par une propriété de soi trop forte, qui ne laisse
aucune place au partage des ressources. Si tel était le cas, le terme
« de gauche » serait usurpé.
Il semble que le principe fondamental de la
propriété de soi soit en effet confronté à un
problème qu'il a lui même créé, lequel peut se
résumer dans la question formulée par Sperenta Dimitru :
« Si nous sommes propriétaires de nous-mêmes (...)
comment se fait-il que nos enfants, engendrés et élevés
par nos efforts et avec nos propres ressources, finissent par être
propriétaire d'eux-mêmes ? »42(*). C'est ce que Steiner nomme
« le paradoxe de la propriété de soi
universelle » et que l'on peut synthétiser de la
manière suivante :
1) « Il est logiquement possible que toute personne
soit originellement propriétaire d'elle-même. »
2) « Les fruits d'une personne propriétaire
d'elle-même lui appartiennent. »
3) « Toute personne est fruit du travail d'autres
personnes »
4) « Donc, il est logiquement impossible que toute
personne soit originellement propriétaire d'elle
même »43(*)
Le premier a avoir soulevé cette incohérence est
Robert Filmer, qui tentait de justifier la monarchie de droit divin. Selon lui,
« Si Adam a reçu de Dieu le dominion sur lui et sur sa femme
et ses enfants, ainsi que sur la terre entière, personne ne peut
revendiquer quoi que ce soit sauf en vertu d'une donation d'Adam
lui-même »44(*).
Locke, très attaché à la
propriété, a tenté de répondre à cette
critique en expliquant pourquoi « les enfants ne peuvent pas
être une simple pièce du patrimoine de leur
parent »45(*).
Cette explication reste, comme à son habitude, dans un cadre
théologique. Ainsi « les enfants sont ouvrages de la
divinité et que par conséquent, les parents s'en occuperont
non pas comme de leur propriété mais par obligation à
l'égard de cette divinité. »46(*)
Le problème est qu'une fois épuré de la
connotation religieuse, seule la critique reste valable. Il est en effet
possible de soutenir que si les ancêtres étaient
propriétaires d'eux-mêmes et du fruit de leur travail, et que
leurs enfants sont en effet le fruit d'un travail, les
générations futures ne sont par conséquent pas
propriétaires d'elles-mêmes. A contrario l'explication de Locke
s'effondre.
Une fois encore les libertariens de gauche sont contraints
à retravailler les prémisses de leur théorie afin de la
rendre cohérente dans un monde où les références
théologiques ne font plus foi .
Sperenta Dumitru estime à ce titre qu'il est
nécessaire de se concentrer sur le rapport entre les agents et
d'« élaborer du point de vue normatif ces prémisses, en
montrant ou bien qu'il n'y a pas de propriété sur les enfants
(...) ou bien que cette propriété est
limitée. »47(*) Pour cela, il faudrait donc démontrer que la
procréation n'est pas un travail ou du moins pas le seul travail des
parents. Or, comme le dit Bernard Shaw, « le cas le plus clair du
monde où une personne produit elle-même quelque chose, par son
propre labeur douloureux, prolongé et risqué est celui d'une
femme qui produit son enfant »48(*). Il semble en effet que le cas de la
procréation soit un exemple paradigmatique de l'auto production et que
si l'on le rejette de la propriété de soi, aucun bien ne pourra y
figurer. Elle ressemble à ce titre au célèbre exemple de
Otsuka où quelqu'un produit un pull avec ses propres cheveux et en est
donc pleinement propriétaire49(*).
Lawrence Becker50(*) propose une alternative à cette impasse, en
travaillant non pas sur le prémisses mais sur le principe même. Il
estime en effet qu'il faut faire la part des choses, comme le faisait Locke,
entre le principe premier et ses dérivés.
Ainsi « le droit sur les fruits de son travail reste
secondaire, étant dérivé de la propriété de
soi. Or lorsque ce droit fait noyer la propriété dans la
contradiction, le premier moyen pour la sauver serait de rejeter le droit sur
les fruits de son travail toutes les fois où il entre en conflit avec la
propriété de soi. »51(*). C'est à nos yeux le seul moyen d'obtenir une
propriété de soi cohérente, qui soit conciliable avec le
principe d'égalité des ressources externes.
Le tableau qui se dessine est donc complexe.
L'équilibre entre les deux principes est en effet fragile, et pour le
maintenir, nous soutenons que le principe de propriété de soi
doit être toujours dominant, mais qu'il doit être parfois
limité. Il doit être dominant , lorsqu'il est en
balance avec l'égalité des ressources (1.a), et il doit
être limité, lorsqu'il n'est pas dans la situation
précédente et que ses dérivés le plonge dans la
contradiction (1.b).
Les théories que nous allons maintenant passer en revue
devront par conséquent n'être ni trop libertariennes, ni trop de
gauche.
2) De la cohérence entre fondement
théorique et réalisation pratique
Les différentes formes du libertarisme de
gauche
Le libertarisme de gauche propose un partage équitable
des ressources naturelles. Cette proposition n'aurait pas posé de
problème si nous étions à l'aube de l'histoire humaine,
mais dans les sociétés contemporaines presque toutes les
ressources sont appropriées. Dans un monde de rareté, les
libertariens de gauche doivent donc trouver un substitut plausible au partage,
que cela soit par le consentement, la location, ou la compensation. Ces
modalités d'appropriation / utilisation découlent du statut
donné aux ressources externes, lequel varie d'une forme de libertarisme
de gauche à l'autre52(*).
La forme primaire du libertarisme de gauche postule que les
ressources externes sont collectives, elles sont
propriétés de tout les hommes, lesquels sont donc
copropriétaires. Ainsi « les ressources naturelles sont la
propriété conjointe des membres de la société en ce
sens que l'autorisation à les utiliser, ou à se les approprier,
est déterminée par un processus spécifié de
décision collective » 53(*). Cette décision collective peut prendre
différentes formes, comme la décision à la majorité
ou comme (comme le soutien Grunebaum) à l'unanimité.
Il est également possible de définir les
ressources externes comme des ressources communes, dans le
sens où chacun a un droit égal à les utiliser sans engager
une procédure de décision collective. Cette conception des
ressources externes dérive de Grotius et de sa définition
concernant les biens communs. Ce dernier soutient en effet dans « Du
droit des gens » qu'en absence d'accord « les agents
sont autorisés à utiliser les ressources naturelles selon des
règles spécifiées d'usage public, mais qu'ils n'ont pas de
droits exclusifs d'utilisation (...). »54(*).
Une autre approche postule que les« agents sont
autorisés (...) à s'approprier des ressources naturelles non
encore appropriées sans la permission d'autrui, mais s'ils le font, ils
contractent certaines obligations.(...)»55(*).
Les ressources externes sont ici conçues comme
non-appropriées, et non pas communes ou collectives, et
leur acquisition doit être guidée par des contraintes morales.
C'est le cas du libertarisme de type géorgiste56(*) , qui postule, comme nous le
dit Peter Vallentyne, que : « les agents sont autorisés
à s'approprier des ressources naturelles non encore appropriées
tant qu'ils versent à un fond social la valeur concurrentielle des
droits qu'ils réclament. »57(*). C'est de toute évidence l'approche dominante,
dont nous prendrons pour représentant l'auteur belge Van
Parijs.
Une variante du libertarisme géorgiste est celui de la
taxation complète des avantages, comme précédemment les
individus qui s'approprient des ressources doivent verser une compensation au
fond social, mais cette compensation est ici en relation avec les avantages
personnels non-choisis. Ainsi ceux qui peuvent tirer plus de profit de leur
ressource de par leurs talents naturels doivent payer plus de taxe que les
moins capables. Cette taxe doit être inférieure à 100 %
afin de stimuler l'utilisation optimale des ressources. On considère
donc ici les talents personnels, en tant que patrimoine
génétique, comme ressources collectives. Le canadien Hillel
Steiner compte parmi les défenseurs de cette approche58(*).
Nous allons dans la suite de ce travail soumettre chacune de
ces approches à nos deux exigences théoriques, et pour être
cohérente, une théorie devra donc passer successivement nos deux
« tests ». L'ordre de ceux-ci est fonction de l'importance
que nous lui accordons, et si l'une des théories venait à
échouer au premier, nous ne prendrons pas la peine de la soumettre au
second. Nous estimons en effet que le problème de la hiérarchie
entre les principes est plus important que la résolution du paradoxe,
car il est au coeur du libertarisme de gauche et ne concerne pas la
validité du libertarisme en général.
2.1) Harmonisation des deux principes
Notre première exigence théorique prend donc la
forme logique suivante :
1) Thèse conditionnelle : Propriété
de soi et égalité des ressources sont compatibles SI l'on
conçoit le deuxième comme un moyen de maximiser la
propriété de soi.
2) Implication : Le principe de propriété
de soi est fondamental et l'égalité des ressources est un
principe qui a une valeur instrumentale indexée au premier.
3) Conclusion : Pour qu'une théorie libertarienne
réconcilie liberté et égalité, il faut que le
rapport soit tel que décrit ci-dessus, elle doit donc être
prête à valoriser la propriété de soi au
détriment de l'égalité des ressources dans les situations
où les deux entreraient en conflit.
Il semble que de nombreuses théories qui se
prétendent libertariennes de gauche ne parviennent pas à
respecter ces contraintes théoriques et qu'elles cèdent trop
facilement à l'attrait égalitariste que représente
l'égalité des ressources.
De facto, nous pouvons éliminer de notre cadre les
théories qui refusent toute appropriation individuelle, car elles
valorisent la propriété des ressources au détriment de la
propriété de soi. C'est le cas des théories qui ont pour
postulat la propriété collective ou la propriété
commune.
Dans le premier cas, la propriété
collective des ressources se traduit en effet par « un processus
spécifié de décision collective » 59(*), qui impliquerait que
« ...personne n'aurait le droit de faire quoi que ce soit (rester
debout dans lieu donné, manger une pomme, ou même respirer) sans
l'autorisation des autres membres de la société(...) »
étant donné que « chaque action exige l'utilisation de
ressources naturelles (l'occupation d'un espace, par
exemple)(...) » 60(*).
Dans le second cas, avec les ressources communes,
l'utilisation de celles-ci est soumise à des règles
spécifiées d'usage public et il n'existe aucun droit
d'appropriation exclusif. Plus besoin de l'autorisation d'autrui donc, mais
personne n'a de droit de propriété permanent. Les agents
« sont autorisés à utiliser les ressources naturelles
de façons variées (..) tant que d'autres ne les utilisent pas
à ce moment (...) on a le droit d'utiliser une ressource, mais
dès que l'on cesse de l'utiliser, on n'a plus le droit d'empêcher
les autres de les utiliser »61(*).
D'une manière générale, on comprend
facilement que ni l'une ni l'autre ne permettent une propriété
effective, car elles s'appuient toutes deux sur une gestion collective des
ressources (location, consentement) qui ne permet pas d'appropriation
individuelle unilatérale.
La question de l'héritage
Pour ce qui est des théories acceptant l'appropriation
individuelle, , tel que celles de Van Parijs et de Steiner, elles ne sont pas
fondamentalement en désaccord avec notre postulat théorique.
Elles respectent la propriété de soi et tentent de la maximiser
par un partage équitable des ressources naturelles (ou une compensation
si cela est impossible).Nous devons donc aller plus loin dans notre
raisonnement et tenter de le mettre dos au mur par des exemples
paradigmatiques.
La question de l'héritage est à ce titre
pertinente, car « le débat est vraiment
binaire »62(*),
soit l'héritage est injuste et moralement condamnable, soit il est juste
et les inégalités qui en découlent le sont
également. Elle met en avant une situation de choix et
« oblige à fixer une priorité radicale entre le
principe de propriété de soi et l'égalitarisme des
ressources. »63(*) .
Le droit de léguer une partie de ses biens fait en
effet partie intégrante du principe de propriété de soi,
étant donné que celui implique « (...)un droit entier
de transférer les droits qu'ils ont à d'autres
(...) »64(*)
.
Et si le droit de recevoir n'est pas une question qui concerne
la propriété de soi (il ne s'agit pas de la
propriété de l'individu), il nous paraît difficilement
acceptable de concevoir l'un sans l'autre, car « (...) si celui ou
celle à qui on souhaite donner n'a pas le droit de recevoir, a-t-on
vraiment le droit de donner ? »65(*).Estimant donc que le droit de recevoir et
indissociable du droit de donner, et que la distinction entre légataire
et héritier est non pertinente, nous considérons donc
l'acceptation de l'héritage comme une condition sine qua non au respect
de la propriété de soi.
En tant que théories libertariennes de gauches, les
propositions que nous allons étudier devraient donc valoriser le
principe de propriété de soit et considérer
l'héritage comme légitime.
Si elles ne le font pas, elles doivent donner une
justification légitime à ce rejet. A nos yeux et en vertu de ce
que nous venons d'avancer, cette justification éventuelle ne peut
reposer que sur le statut de l'héritage et des biens qui sont
concernés par ce dernier. Pour que ceux-ci relèvent du domaine de
la propriété de soi, il faut en effet qu'ils soient conformes aux
conditions de l'appropriation légitime explicitées au
début de ce travail, soit ils doivent être le fruit du travail de
la personne et non de ressources naturelles. En d'autres termes les biens en
question doivent être considérés comme des biens internes,
et non comme des biens externes soumis à la clause lockéenne.
Contester ce statut est la seule manière crédible d'un point de
vu libertarien de gauche de rejeter l'héritage.
C'est justement ce que fait Hillel Steiner, qui refuse le
droit d'héritage en se fondant sur le statut des biens concernés
par ce derniers. Pour ce faire, il « (..) part
d'une différence juridique fondamentale entre un don inter vivos et un
legs. »66(*)Le
premier, la donation, est en effet effectué par une personne vivante,
tandis que le second, la succession, concerne une personne défunte. Or
si Steiner estime que le don entre personne vivante est totalement
légitime, il postule à l'inverse que l'on ne peut pas accorder de
droit à quelqu'un qui n'est plus et que « dans le cas d'un
legs, il est impossible de déterminer qui détient le droit,
c'est-à-dire le pouvoir de léguer.»67(*).
Suivant ce raisonnement, les personnes mortes n'ont plus de
droit, la propriété de soi n'a plus de raison d'être et il
est légitime de considérer leurs biens comme des ressources
naturelles communes à tous .Dès lors "les biens qu'un
décès laisse sans propriétaire sont assimilables à
des ressources naturelles, et donc intégralement taxables"68(*)
Cet argument , qui provient de la philosophie du droit, nous
semble acceptable vis à vis de notre exigence de cohérence, dans
la mesure où il s'attaque aux prémisse du problème de
l'héritage et permet ainsi à Steiner de rejeter l'héritage
sans pour autant empiéter sur le principe de propriété de
soi.
Van Parijs, quant à lui, fait parti des nombreux
libertariens qui estiment cette distinction juridique « totalement
impertinente »69(*). Il refuse également l'héritage (et les
dons), mais pour des raisons très différentes, qui sont comme
nous allons le voir en profond désaccord avec nos postulats
théoriques.
Comme de nombreux libertariens de gauche, Van Parijs ne
parviens pas à résister à l'attrait égalitariste de
sa théorie. Face à la question de l'héritage, il
dérive en effet d'une conception profondément
anti-conséquentialiste, celle du libertarisme, à une conception
conséquentialiste qui a pour but la réduction des
inégalités.
D'une manière générale, ce but se
traduit par une volonté d'élargir le domaine des ressources
externes, lesquels sont soumises à la clause lockéenne et doivent
par conséquent être réparties égalitairement.
Ainsi« Plutôt que de nationaliser toute la valeur qui n'a pas
été produite (par un être humain), on peut nationaliser ou
distribuer également toute la valeur qu'elle n'a pas produite, qu'elle
réside dans des ressources naturelles ou dans des amélioration
passée »70(*). Le
problème est que cet élargissement empiète sur le domaine
de la propriété de soi étant donné que,
contrairement aux ressources non produites, les ressources du passé ont
déjà été la propriété de quelqu'un.
Sans un travail sur les prémisses qui établit qu'il n'y a plus de
propriété, tel que l'a effectué Steiner, cette proposition
semble être uniquement motivée par un but : la
réduction des inégalités.
Plus particulièrement chez Van Parijs, le but
à atteindre est la liberté réelle pour tous. Ce but absolu
dans sa théorie demande un moyen : l'égalisation radicale
des chances. Pour que chaque un puisse exercer sa liberté, il faut en
effet que tous aient les mêmes opportunités. C'est pourquoi, selon
lui « Un véritable libertarien (...) semble devoir
réclamer une égalisation radicale des chances »71(*), et toujours selon lui, cette
« (...) égalité des points de départ implique
pratiquement la prohibition de tout don »72(*). Dans le principe il serait donc pour abolir
l'héritage, mais des hypothèses d'ordre empiriques, tel que la
préservation de l'initiative économique, le pousse à lui
préférer une taxation élevée.
Il rejète donc l'héritage en vertu d'une
conception normative qui donne priorité au bien, la liberté
réelle (et la réduction des inégalités), sur le
juste, le respect des droits de propriété. A nos yeux, une telle
théorie ne peut se prétendre libertarienne et « les
termes égalitariste ou égalitariste libéral (...)
conviendrait mieux »73(*).
Comme les formes précédentes du libertarisme de
gauche, la théorie de Van Parijs privilégie donc
l'égalité des ressources au détriment de la
propriété de soi, ce que nous considérons comme
inacceptable en vertu de notre exigence théorique.
Nombre de théories libertariennes de gauche ne font
donc pas face aux contraintes imposées par la cohérence
théorique et seule la théorie de la taxation complète des
avantages de Steiner semble être une alternative crédible. Nous
allons donc soumettre cette dernière à notre deuxième
exigence théorique, la limitation du principe de propriété
de soi.
2.b) Implication de la propriété de
soi
En vertu de notre deuxième exigence théorique,
nous ne pouvons donc pas accepter que le libertarisme de gauche
s'étouffe dans une propriété de soi trop forte, qui ne
laisse aucune place aux partages des ressources. La solution que nous avons
proposé précédemment était de bien dissocier le
principe central, la propriété de soi, de ses
dérivés, le droit à son travail et aux fruits de son
travail, afin de pouvoir au besoin sacrifier les seconds au premier.
Nous avons ainsi abouti à un principe de
propriété de soi inconditionnel et à un principe de
propriété des fruits de son travail conditionnel, dans la mesure
où il est acceptable s'il n'entre pas en contradiction avec le premier.
A nos yeux, c'est la seule solution crédible et il est donc
indispensable d'accepter un principe de propriété de soi
restreint et divisé dans des cas comme celui-ci.
Ce n'est certainement pas l'avis de Steiner, qui semble
refuser ce compromis. Face aux problèmes des premiers
propriétaires d'eux-mêmes, il préconise une solution
alternative ingénieuse à celles que nous avons
proposé : montrer « que toute personne est bien le
résultat du travail des autres mais aussi d'une ressource naturelle,
à savoir de l'information génétique »74(*). La solution de Steiner
consiste donc à « interpréter l'information
génétique comme une ressource naturelle sur laquelle le travail
des adultes s'effectuerait. Cela permet de limiter les droits de
propriété des parents sur leur enfant à ne s'exercer que
jusqu'à sa majorité.»75(*) En d'autres termes il modifie les prémisses
afin de pouvoir donner une justification à la limitation de la
propriété.
Mais il ne faut pas oublier qu'en vertu du postulat
libertarien de gauche, les propriétés issues des ressources
naturelles sont soumises à « une clause égalitaire qui
porte sur la valeur des ressources »76(*). Estimer que les gènes utilisés lors de
la création d'un enfant sont des ressources naturelles, implique donc
des compensations en fonction de la qualité de ces gènes.
La conséquence pratique est que « ceux qui
ont des enfants avec des dots génétiques en or
transfèrent des ressources à ceux qui n'en ont
pas »77(*).
Si la proposition de Steiner nous semble ingénieuse et
que l'idée d'une mutualisation des risques liées à
l'information génétique peut paraître attrayante, notamment
de par le fait qu'elle défend implicitement « un droit
à ne pas être né avec des incapacités
génétiques »78(*), nous estimons toutefois qu'elle aboutit à des
conséquences beaucoup moins plaisantes.
Hormis les objections d'ordre moral que cette proposition peut
soulever, elle n'est surtout pas conforme à l'équilibre
nécessaire pour le libertarisme de gauche entre propriété
de soi et égalité des ressources. En cherchant à limiter
la propriété des parents sur leurs enfants, elle aboutit en effet
à l'effacement de la propriété de soi face à
l'égalité des ressources. Car si l'on pousse le raisonnement de
Steiner un peu plus loin , on constate que «(...) les parents font usage
de l'information génétique, une ressource naturelle, non
seulement pour faire des enfants, mais aussi pour produire leurs
protéines, métaboliser la nourriture, travailler et avoir
accès au bien-être »79(*). Dès lors on peut légitimement se
demander « Pourquoi tous leurs droits de propriété
s'épuisent quant aux enfants et non quant à leur propre
ressource ? »80(*). Steiner ne nous donne aucune réponse.
Dans cette version du libertarisme de gauche toute action
implique au bout du compte l'utilisation de ressources naturelles et par
conséquent une compensation au fond social, ce qui n'implique rien de
moins que la non propriété du corps.
Steiner refuse donc le compromis que nous avons proposé
et se tourne vers une solution qui n'en est pas une. Percevoir l'information
génétique comme une ressource naturelle, conduit en effet
à la négation de la propriété de soi de part le
fait que toute action humaine nécessite l'intervention d'information
génétique.
Sa proposition conduit donc à effacer le principe de la
propriété de soi au bénéfice du partage des
ressources, et nous avons démontré précédemment que
cette option était incompatible avec les contraintes théoriques
du libertarisme de gauche.
Conclusion
Un constat indiscutable ressort de ce travail : le
libertarisme de gauche a des racines lointaines et ses fondements reposent sur
des bases qui sont aujourd'hui dépassées. Les réflexions
de John Locke sur la propriété doivent, pour être
crédibles, être réadaptées à un monde
sécularisé. Les libertariens de gauche contemporains ne doivent
pas se contenter de développer la pensée de Locke, ils doivent
lui trouver de nouveaux fondements. Aucun d'eux n'y a pris le temps
(excepté Steiner pour le dernier chapitre)et ils ont ainsi laissé
la porte grande ouverte aux critiques. A l'aide des réflexions de
M.Risse et de S.Dumitru nous avons donc rationalisé les postulats de
base, en remplaçant l'intervention divine par une argumentation logique,
afin de confronter les théories à cette nouvelle construction.
Au final, on constate que les théories libertariennes de
gauche s'effondrent les unes après les autres lorsqu'elles sont
confrontées aux contraintes de cohérence.
Les premières à céder sont les
théories excluant l'appropriation individuelle, tel que celles qui
prônent l'appartenance commune et collective des ressources. Elles ne
permettent en effet pas une propriété de soi effective.
Elles sont suivies de la proposition de Van Parijs, qui craque
elle aussi lorsqu'on la confronte au choix nécessaire entre
propriété de soi et égalité des ressources. Elle
cède comme les premières à l'attrait égalitariste
et en oublient les conditions qui rendent les deux principes cohérents,
soit une maximisation de la propriété de soi par une partage
équitable des ressources naturelles.
A ce stade il nous restait alors la théorie de Steiner,
mais pas pour longtemps. Confronté à l'emprise de la
propriété de soi, il refuse le compromis consistant à
diviser ce dernier, et s'emmêle ainsi dans ses propres ficelles pour
aboutir au final à une négation de la propriété de
soi.
Le libertarisme de gauche est malgré tout une
alternative intéressante aux autres théories de la Justice. En
proposant de rétablir une certaine égalité avant le
processus de coopération, elle tente de conserver la justice sociale
sans pour autant toucher à la propriété. Ce faisant, elle
coupe l'herbe sous les pieds des courants de droite, qui utilisent souvent les
droits de propriété pour justifier les inégalités
sociales.
Pour ce faire le libertarisme de gauche ose l'alliance
originale de la propriété de soi et de l'égalité
des ressources et se risque à une difficile conciliation des concepts de
liberté et d'égalité. Mais réconcilier des concepts
si contradictoires ne se fait pas sans conséquences.
Au début de notre travail nous utilisions le terme de
« balance » pour faire allusion au difficile
équilibre entre les concepts de liberté et
d'égalité. Après réflexion, il semble que ce terme
colle parfaitement à la situation. Il s'agit en effet d'une juste
mesure, d'un équilibre fragile.
Oui, une conciliation théorique entre liberté,
entendue comme propriété de soi, et égalité,
entendue comme égalité des ressources, est possible. Mais il
semble que les contraintes théoriques nécessaires à une
harmonisation de principes si contradictoires et si complexes soient trop
fortes pour qu'elle puissent être respectées dans une
théorie concrète. Non que cela soit impossible, mais en tout cas
les théories libertariennes de gauche actuelles n'y parviennent pas.
Et on le comprend facilement. Pour y parvenir, il faut que le
principe d'égalité des ressources soit subordonné au
principe de propriété de soi, tout en faisant de manière
que celui-ci ne soit pas trop fort et qu'il n'étouffe pas totalement le
principe égalitaire. Dans ce contexte aucune règle
générale n'est valable, l'équilibre est changeant. Deux
poids, deux mesures, à chaque situation les principes doivent trouver un
nouvel équilibre. C'est dire au combien l'application pratique du
libertarisme de gauche demanderait de la phronesis, cette intelligence pratique
chère à Aristote.
Si l'une des théories libertariennes parvenait
toutefois à respecter ces contraintes théoriques, il est à
craindre qu'elle serait trop informe pour être crédible. Ces
postulats théoriques ressembleraient à des modifications ha doc,
et aucune règle générale ne serait dépourvue des
nombreuses exceptions qui l'accompagne.
Qui plus est, si l'on sort de l'abstraction libertarienne et
que l'on quitte ce monde d'îles dessertes et de pulls en cheveux pour
revenir dans le monde réel, on constate qu'une telle théorie
pourrait être fortement contestable, non seulement du point de vue
logique, mais aussi moral.
L'Etat minimal, présent dans toute théories
libertarienne, ne permet en effet pas de défendre une quelconque
conception du bien. Le juste ( les droits de propriété) à
priorité sur le bien et « cette priorité implique une
impossibilité de trouver les fonds nécessaires pour favoriser
l'épanouissement de chaque individu. (...)Cette conception pose un
problème pour tout ce qui concerne la distribution de nos impôts
pour le théâtre, la culture, les fêtes locales, les
financements à l'agriculture ou à
l'entreprise. »81(*). Au final ce sont toutes les formes de
solidarités sociales que nous connaissons dans nos
sociétés qui seraient remises en cause. Mais il s'agit ici d'une
toute autre question que celle qui nous a occupé.
Notes bibliographiques
q Articles
- BOURDEAU Vincent, « Peut-on s'approprier les
ressources naturelles sans compromettre la liberté libertarienne des
autres ? »du Congres AFSP Toulouse 2007.
- CHRISTMAN John «Can ownership be justified by Natural
Rights ?» in Philosophy and Public Affairs, Vol.15, No 2, 1986,
pp.156-177
- DEMUIJNCK Geert «Les libertariens de gauche et la
question de l'héritage » in Raison politique, n.23,
pp.127-143
- DUMITRU Speranta «Steiner et la
propriété des ressources
génétiques », in Raison politique,
N.23,pp.145-162
- FRIED Barbara « Left-Libertarianismus. A Review
Essay »,?» in Philosophy and Public Affairs,
Vol.32, No 1, pp.66-92.
- FRIED Barbara «Left-Libertarianism, Once More: A
Rejoinder to Vallentyne, Steiner and Otsuka» »,?»
in Philosophy and Public Affairs, Vol.33, No 1,2005 pp.216-222.
- GOSSERIES Axel « libertarisme de gauche et
hobbesianisme de gauche »in Raisons politiques, No 23, 2006.
- JEDENHEIM-EDLING Magnus « The compatibility of
Effective Self Ownership and Joint World Ownership » in The
journal of Political Philosophy: Volume 13, Number 3, 2005, pp.284-204
- MAGNI BERTON Raul « J'ai raté ma vie
à qui la faute ? »in Raisons politiques, No23,
2006.
- OTSUKA Michael « Comment être libertarien
sans être inégalitaire » in Raison politique No 23,
2006,pp9-22
- OTSUKA Michael « Self-Ownership and
Equality : A Lockean Reconciliation» ?» in Philosophy and
Public Affairs, Vol.27, No 2, pp.65-92.
- OTSUKA Michael, VALLENTYNE Peter, STEINER Hillel «Why
Left-Libertarianism Is Not Incoherent, Indeterminate, or Irrelevant»
?» in Philosophy and Public Affairs, Vol.33, No 2, pp.201-215.
- OTSUKA Michael «Réponses», in raison
politique, No 23-2006 : pp.163-174
- RISSE Mathias « Does Left-Libertarianismus Have
Coherent Foundations ? », in Politics, Philosophy and
Economics, No 3, 2004, pp.331-365
- SPITZ Jean-Fabien «Le libertarisme de gauche:
l'égalité sous condition de propriété de
soi» in Raison politique, n.23-2006/3,p.1.
- VALLENTYNE Peter « Libertarisme de gauche et
justice » in Revue économique, Vol. 50, No. 4, Economie
normative (1999), pp. 859-878
- WALDRON Jeremy « What is private
property ? »in Oxford Journal 5 (1985), Oxford University
Presse,pp.313-349.
q Livres
- BECKER Lawrence « Property Rights. Philosophical
Fondation», Londres, Routledge/Kegan Paul, 1977.
- FILMER Robert, « Patrircha ou le pouvoir naturel des
rois », trad. De l'angl. Par Michael Biziou, Cloas Duflo,
Hélène Pharabod, Paris, l'Harmattan, 1991.
- GAUS Gerald «Political Concepts and Political
Theory» Boulder (Colorado), Westview Press, 2000.
- KNOWLES Dudley « Political
Philosophy » Londre, Routledge,2001
- LOCKE John, tra. Par Jean-Louis Fyot «Essai sur le
pouvoir civil », , Presses Universitaires de France, 1953. Chap.
VIII.
- NOZICK Robert, « Anarchy, State and
Utopia », New York, Basic Books, 1974.
- OTSUKA Michael «Libertarianism without
inequality», Oxford, Oxford University Press, 2003.
- VAN PARIJS Philipe,« Qu'est-ce qu'une
société juste ? »,Paris, Edition du
Seuil,1991.
- VAN PARIJS Philipe, « Real Freedom for
All » Oxford, Oxford University Press, 1995.
q Sites Internet
- www.jstor.org
- www.cairn.info
- www.oxfordjournals.org
* 1 Notamment celles de Mathias
Risse et de Sperenta Dimitru
* 2 Robert Nozick
« Anarchy, State and Utopia »,, New York, Basic Books,
1974, p.29.
* 3Ibid p.31
* 4 Ibid p.33
* 5 Jonh Locke, «Essai sur
le pouvoir civil », tra. Par Jean-Louis Fyot, Presses Universitaires
de France, 1953. Chap. VIII
* 6 Ibid. Chap IX
* 7 Ibid
* 8 nommé
« proviso » par Robert Nozick dans « Anarchy,
State and Utopia »
* 9 Locke II.33
* 10 Michael Otsuka
«Libertarianism without inequality», Oxford, Oxford University
Press, 2003,p22.
* 11 Michael
Otsuka« Comment être libertarien sans être
inégalitaire » in Raison politique No 23, 2006, pp.9-22.
* 12Voir l'exemple qui illustre
cette interprétation en page 7
* 13 Jean-Fabien Spitz «Le
libertarisme de gauche: l'égalité sous condition de
propriété de soi» in Raison politique,
n.23-2006/3,p.1.
* 14 voir Robert Nozick
« Anarchy, State and Utopia »,, New York, Basic Books,
1974, p.49.
* 15 Robert Nozick
« Anarchy, State and Utopia »,, New York, Basic Books,
1974, p.33
* 16 Certains libertariens de
gauche les considèrent plutôt comme communes, ou encore
non-appropriées. Mais c'est là une question de détail,
dont nous ferons abstraction pour le moment.
* 17 Michael
Otsuka« Comment être libertarien sans être
inégalitaire » in Raison politique No 23, 2006, pp.9-22.
* 18 Il est ici important de
noter que le libertarisme de gauche, qui postule des conditions
d'appropriations très contraignantes, prévoit des compensations
dans le cas ou celles-ci ne seraient pas respectées, alors que chez
Nozick, où les conditions sont plus facilement réalisable, il n'y
a pas d'entre deux : soit l'appropriation est légitime et aucun
transfère ne peut-être justifiés, soit l'appropriation est
illégitime et le propriétaire perd ses droits de
propriété.
* 19 ibid.
* 20 FRIED Barbara
« Left-Libertarianismus. A Review
Essay »,?» in Philosophy and Public Affairs,
Vol.32, No 1, pp.66-92.
* 21 Peter Vallentyne
« Le libertarisme de gauche et la justice »
* 22 FRIED Barbara
« Left-Libertarianismus. A Review
Essay »,?» in Philosophy and Public Affairs,
Vol.32, No 1, pp.66-92.
* 23 Voir Magnus
Jedenheim-Edling «The compatibility of Effective Self Ownership and
Joint World Ownership» in The journal of Political Philosophy: Volume
13, Number 3, 2005, pp.284-204
* 24 Barbara Fried,
« Left-Libertarianismus. A Review Essai » in
Philosophy and Public Affairs, Vol.32, No 1, pp.66-92.
* 25 Axel Gosseries
«Libertarisme de gauche et Hobbesianisme de gauche»
* 26 Jean-Fabien Spitz «Le
libertarisme de gauche: l'égalité sous condition de la
propriété de soi»
* 27 Ibid.
* 28Mathias
Risse« Does Left-Libertarianismus Have Coherent
Foundations ? », in Politics, Philosophy and Economics, No
3, 2004, pp.331-365.
* 29 Ibid
* 30 Ibid
* 31 Ibid
* 32 Ibid,p27
* 33 Ibid,p.28
* 34 Ibid
* 35 Ibid
* 36 Ibid
* 37 Ibid
* 38 P.Van
Parijs,« Qu'est-ce qu'une société
juste ? », Paris, Edition du Seuil,1991, p.212.
* 39Ibid. p.187
* 40Ibid, p.225
* 41 A noter que cette
justification instrumentale est indépendante du concept fortement
contestable de « liberté réelle ». Elle
était d'ailleurs déjà présente chez Locke, bien que
caché par les références théologiques.
* 42 Speranta Dumitru
« Steiner et la propriété des ressources
génétiques »
* 43 Ibid p.149
* 44 Sir Robert Filmer,
« Patrircha ou le pouvoir naturel des rois », trad. De
l'angl. Par Michael Biziou, Cloas Duflo, Hélène Pharabod, Paris,
l'Harmattan, 1991.
* 45 Speranta Dumitru
« Steiner et la propriété des ressources
génétiques »
* 46 ibid.
* 47 ibid.
* 48 George Bernard Shaw,
« The Intelligent Woman's Guide to Socalism and
Capitalism » New Brunswick, Transaction Books, 1984, p.21.
* 49 voir Michael
Otsuka «Libertarianism without inequality», Oxford, Oxford
University Press, 2003,p.18.
* 50Voir Becker Lawrence
« Property Rights. Philosophical Fondation». P.38
* 51 Speranta Dumitru
« Steiner et la propriété des ressources
génétiques »p.151
* 52 Nous en avons
jusqu'à présent fait abstraction afin de simplifier notre
discussion.
* 53Peter Vallentyne
« le libertarisme de gauche et la justice » in Revue
économique, Vol. 50, No. 4, Economie normative (1999), pp. 859-878
* 54 ibid.
* 55 ibid.
* 56 éponyme de Henry
George,
* 57 ibid.
* 58 C'est le cas
également de Peter Vallentyne.
* 59Peter Vallentyne
« le libertarisme de gauche et la justice » in Revue
économique, Vol. 50, No. 4, Economie normative (1999), pp. 859-878
* 60 ibid.
* 61 ibid.
* 62 Geert Demuijnck
« Les libertariens de gauche et la question de
l'héritage »
* 63 ibid.
* 64 Peter Vallentyne
« Le libertarisme de gauche et la justice »
* 65 Geert Demuijnck
« Les libertariens de gauche et la question de
l'héritage », p.136
* 66 Geert Demuijnck «Les
libertariens de gauche et la question de l'héritage » in
Raison politique, n.23, p.137
* 67 Ibid.
* 68 VAN PARIJS
Philipe,« Qu'est-ce qu'une société
juste ? »,Paris, Edition du Seuil,1991, p.33
* 69 Geert Demuijnck «Les
libertariens de gauche et la question de l'héritage » in
Raison politique, n.23, p.136
* 70 Philippe Van Parijs
« Qu'est-ce qu'une société juste ? »,
p.148
* 71 Philippe Van Parijs
« Qu'est-ce qu'une société
juste ? »,p.159
* 72 Philippe Van Parijs
« Qu'est-ce qu'une société
juste ? »,p.160
* 73 Geert Demuijnck «Les
libertariens de gauche et la question de l'héritage » in
Raison politique, n.23, p.145
* 74 Speranta Dumitru
« Steiner et la propriété des ressources
génétiques »p.149
* 75 ibid. p.153
* 76 ibid. p.154
* 77 H.Steiner
« Silver Spoons and Goden Genes » art.cité, p.144
* 78 Speranta Dumitru
« Steiner et la propriété des ressources
génétiques »p.156
* 79 Speranta Dumitru
« Steiner et la propriété des ressources
génétiques »p.151
* 80 Ibid.p.151
* 81 Raul Magni Berton
« J'ai raté ma vie, à qui la
faute ? »